Anonyme

ANONYME

 

EXTRAITS DU MODJMEL AL-TEWARIKH

 partie I - partie II

 

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

EXTRAITS DU

MODJMEL AL-TEWARIKH

Relatifs à l'histoire de la Perse,

traduits par M. Jules Mohl.

 

INTRODUCTION

Le nom de l'auteur du Modjmel al-Tewarikh[1] est inconnu ; tout ce que l’on sait sur lui c'est que son grand-père s'appelait Mohallib, fils de Mohammed, fils de Schadi, et que lui-même a composé son ouvrage l'an 520 de l'hégire (1126 de J. C.) sous le règne de Sindjar, fils de Mélik chah, sultan seldjoukide.[2] Il est probable qu'il ait vécu dans l'Irak persan, car il mentionne après Sindjar son neveu Mahmoud, fils de Mohammed, fils de Mélik chah. On sait que Sindjar avait laissé à ce neveu le gouvernement de l'Irak[3] sous la condition qu'il le reconnaîtrait comme suzerain, et que son nom serait toujours placé avant celui de Mahmoud. C'est aussi dans cet ordre que les place l'auteur du Modjmel, qui sans doute n'aurait pas parlé du neveu s'il n'avait pas vécu sous son administration directe.[4] Il donne encore un renseignement sur lui-même en mentionnant une histoire des Barmékides composée par lui[5] ; mais cette indication reste malheureusement stérile, car il ne donne pas le titre de ce livre.

L'auteur du Modjmel était un homme fort savant et doué d'un esprit de critique peu commun dans son temps et dans sa nation, et quand on compare sa méthode avec celle des auteurs les plus en vogue dans son temps, on ne peut que rendre justice à la droiture de son esprit.

Les Arabes ne connaissaient avant leurs grandes conquêtes que les traditions de leurs tribus et celles des Juifs, et ce n'est que lorsqu'ils eurent formé le khalifat et propagé au loin l'islamisme, que de nouvelles sources littéraires leur furent accessibles. On sait avec quelle ardeur ils traduisirent des ouvrages grecs, et l'on verra plus tard qu'ils ne négligeaient point les principaux ouvrages indiens. Mais ils ne tiraient de ces deux littératures que peu de données historiques, car ils s'appliquaient principalement à l'étude des philosophes, des médecins, des mathématiciens et un peu des géographes grecs, et les traditions des Hindous se rattachaient trop peu à celles des Arabes pour jamais devenir populaires parmi ceux-ci, et pour exercer de l'influence sur leurs théories historiques. Il ne restait donc que la littérature persane qui pût leur fournir de nouveaux éléments pour l'histoire ancienne ; et elle ne tarda pas à être exploitée par eux, d'autant plus qu'une grande partie des historiens musulmans étaient d'origine persane, comme Ibn Djerir, natif du Tabaristan, Hamzah, né à Ispahan, Aboul Mouayyid de Balkh, etc. Les esprits systématiques sentirent naturellement bientôt le besoin de coordonner les matériaux qu'ils avaient à leur disposition pour former une histoire générale ; ils tâchèrent d'établir des synchronismes, d'identifier les personnages qui, dans l'histoire arabe et juive et dans celle des Persans, avaient joué un rôle semblable, ou qui offraient des ressemblances accidentelles, et de classer le reste en intercalant des parties d'une tradition dans l'autre. Cet essai ne pouvait pas réussir : les matériaux ne suffisaient pas, et l'on ne faisait que faire entrer de force dans un cadre étroit des éléments hétérogènes, car on était alors encore dépourvu des moyens qui peuvent conduire à la véritable critique historique. Les esprits les plus sages s'abstenaient de ces essais de reconstruire l'unité dans l'histoire, et tenaient séparées autant que possible les différentes traditions. L'auteur du Modjmel est de ce nombre : il présente séparément les traditions de différentes nations, et les distingue l'une de l'autre autant que le lui permettent la confusion qui déjà alors avait atteint un très haut degré, et les faibles moyens de critique qui étaient à la disposition des hommes de son époque ; aussi ne réussit-il pas toujours, mais au moins suit-il la seule direction qui pouvait sauver d'un amalgame entier les différents éléments historiques. Ses connaissances étaient très étendues pour son temps, comme le prouvent les ouvrages qu'il cite, et les discussions dans lesquelles il entre quelquefois pour démêler les sources des erreurs historiques qu'il combat ; il s'attache principalement aux auteurs qui n'avaient pas encore subi l'influence de cet esprit de confusion qui régnait depuis plusieurs siècles, et il tâche de tirer ses matériaux des livres les plus anciens qui étaient à sa disposition ; et connue précisément les plus anciens ouvrages de la littérature arabe et persane ont péri, il nous a conservé un assez grand nombre de faits que nous ne trouvons plus que dans son livre. Malheureusement son ouvrage n'est qu'un abrégé, et comme il l'appelle lui-même, une table de chapitres, qui, dans l'intention de l'auteur, ne devait servir que d'introduction a une histoire de taillée à laquelle il renvoie sans cesse pour les détails, mais qu'il ne paraît pas avoir écrite, ou qui au moins a disparu.

Le style de l'ouvrage est peu grammatical, très simple dans le récit, mais très embarrassé aussitôt que l'auteur se met à faire des réflexions. On pourrait s'en étonner de la part d'un homme qui évidemment était très instruit, si l'on ne savait pas combien de temps il faut là toute littérature pour arriver à une prose précise et claire. Celle-ci est évidemment, un instrument plus difficile à manier que la forme poétique, car on voit partout que la poésie produit des œuvres d'une grande beauté pendant que la prose est encore tout à fait barbare. Le manque de précision dans le style du Modjmel est d'autant plus sensible que très souvent l'auteur se contente de faire allusion à un fait par quelques mots si vaguement dits, qu'il est presque impossible d'en fixer le sens. Il faut ajouter à cela qu'on ne connaît qu'un seul manuscrit de cet ouvrage, et qu'une partie des obscurités que le texte nous offre est due au copiste, qui omet des lignes, transpose des mots et fait encore d'autres fautes qui souvent sont difficiles à distinguer des négligences de l'auteur.

J'ai choisi pour la publication actuelle les parties de l'ouvrage qui traitent de l'ancienne histoire de la Perse, et j'y ajouterai le chapitre qui traite de l'Inde, parce qu'il contient des extraits d'anciennes traductions, de livres sanscrits faites en arabe, et perdues depuis longtemps. L'auteur s'est occupé avec beaucoup de soin de la Perse, comme le prouve la liste des ouvrages qu'il a consultés. Elle se trouve dans la préface du Modjmel, et, comme j'ai imprimé autre part le texte de ce passage,[6] je me contente ici d'en reproduire la traduction :

« A chaque époque les sages et les savants ont y recueilli ce qui concerne les révolutions du ciel, les merveilles du monde, les histoires des prophètes et des rois, et tout ce qui s'est passé en différents lieux. Mohammed fils de Djerir, surnommé Tha-u hari, a composé un livre de tous ces renseignements, mais il n'a traité qu'imparfaitement des vies et de l'histoire des rois de Perse (qui occupaient le quatrième climat et étaient les rois les plus puissants du monde), et sa Chronique ne contient qu'un abrégé de leurs règnes par ordre de succession. « Quoique les histoires des rois et des Khosroès, des princes et des grands des temps anciens soient connues indépendamment de la Chronique de Tabari, et que chacun deux en particulier ait obtenu en son lieu un récit détaillé (de sa vie) ; quoique les historiens qui nous ont précédés aient fait des traductions des livres des Perses, qu'ils n'en aient rien omis dans leurs ouvrages en vers et en prose, et que chacun d'eux ait orné de belles peintures et de vignettes agréables ces mêmes ouvrages célèbres et vantés ; j'ai néanmoins voulu réunir dans ce livre la chronologie des rois de Perse, leur généalogie, le récit de leurs expéditions et leurs biographies, lune après l'autre, en abrégeant ce que j'ai lu dans le livre de Firdousi qui est comme la racine, et dans d'autres livres qui en sont comme les branches, et qui ont été mis en vers par d'autres auteurs, comme le Guerschasp-nameh, le Faramourz-nameh, l'histoire de Bahman, celle de Kousch-Pildendan, les ouvrages en prose d'Aboul-Mouayyid, c'est-à-dire les histoires de Nériman, de Sam, de Keïkobad, d'Afrasiab ; les événements de la vie de Lohrasp, d'Aghousch-Wehadan et de Keï-Keschen. (J'y ai joint en outre) ce que j'ai trouvé dans la Chronique de Djerir, et dans le Siar-al-Molouk, ou l'histoire des rois, (composée) d'après la tradition orale, (et traduite) par Ibn al-Mokaffa, et dans le sommaire de Hamzah, fils de Hasan d'Ispahan, qui a suivi les ouvrages de Mohammed, fils de Djehm le Barmékide ; de Radouïeh, fils de Schahouïeh d’Ispahan ; de Mohammed, fils de Bahram, fils de Dathian ; de Hescham, fils d'Alkasim ; de Mousa, fils d'Isa-al-Kesrefi[7] ; (enfin j'ai suivi) la Chronique des rois de Perse, que Bahram fils de Merdanschah, Mobed de Schapour, a apportée du Farsistan, et j'ai vérifié ces récits autant que possible. »

L'auteur ajoute à cette énumération de ses sources, qu'il s'est donné beaucoup de peine pour de couvrir la vérité parmi les récits contradictoires, et qu'il espère satisfaire aux exigences des hommes de sens ; qu'il a traduit (ou fait traduire) quelques ouvrages de l'arabe en persan, langue plus usuelle à son époque ; qu'au reste la longueur du temps qui s'est écoulé et les fautes des traducteurs sont des sources d'erreurs si fréquentes, que le lecteur doit avoir de l'indulgence où l'auteur aura failli.

Voici la table des chapitres dont se compose le Modjmel :

Préface. Fol. 1-8 v.

Chap. i. — Sur les chronologies et les différences que l'on trouve entre elles. Fol. 8-10 v.

Chap. ii. — Sur la chronologie des Prophètes. Fol. 10 v.

Chap. iii. — Sur la chronologie des rois de Perse. Fol. 11 r.

Chap. iv. — Sur la chronologie des philosophes et de quelques rois de Roum. Fol. 12 r.

Chap. v. — Sur la chronologie des rois des Arabes et des ancêtres du Prophète. Fol. 12 v.

Chap. vi. — Sur la chronologie des khalifes. Fol. 13 r.

Chap. vii. — Sur la chronologie des rois et sultans musulmans : — 1° Les Samanides ; — Les Bouïdes ; — 3° Les Ghaznévides ; — 4° Les Seldjoukides. Fol. 13 v.

Les chap. ii-vii ne contiennent aucune discussion, mais seulement des listes de noms propres et des dates.

Chap. viii. — Sur Kaïoumors, en quatre sections. Fol. 15 v.

Chap. ix. — Sur la généalogie des rois de Perse, en trois sections. Fol. 16 r.

Chap. x. — Sur les prophètes, les mobeds, les généraux et les hommes illustres qui ont vécu sous les rois de Perse. — Fol. 58 v.

Chap. xi. — Sur la généalogie des Turcs et de toutes leurs tribus, et sur leur établissement dans l'Orient Fol. 63 r.

Chap. xii. — Sur l'histoire et la généalogie des rois Indiens. Fol. 68 r.

Chap. xiii. — Sur la chronologie et l'histoire des rois grecs. Fol. 81 r.

Chap. xiv. — Sur les rois de Roum. Fol. 83 v.

Chap. xv. — Sur l'ère des koptes. Fol. 90 r.

Chap. xvi. — Sur l'ère des Juifs, et sur leurs rois et leurs sages. Fol. 90 r.

Chap. xvii. —Sur les rois des Arabes, en cinq sections. Fol. 93 v.

Chap. xviii. — Sur les prophètes. Fol. 116 v.

Chap. xix. — Sur les ancêtres et la vie de Mahomet, et sur l'histoire des khalifes. Fol. 148 v.

Chap. xx. — Sur les rois musulmans contemporains aux khalifes. Fol. 251 r.

Chap. xxi. — Sur les surnoms des rois de Perse, ceux des pays de l'Orient, de l'Inde et de l'Occident, et ceux des khalifes et des rois musulmans. Fol. 271 r.

Chap. xxii. — Sur les tombeaux et les lieux d'enterrement des prophètes, rois et khalifes. Fol. 280 r.

Chap. xxiii. — Sur la mesure de la terre, sur les montagnes, les fleuves et les édifices célèbres, et sur les plans de la Mecque, de Médine et de la mosquée de Jérusalem. Fol. 305 r.

Chap. xxiv. — Sur les villes fondées sous les princes musulmans.

La fin de ce chapitre et le chapitre xxv entier manquent. Il ne reste que la dernière feuille qui prouve que la copie de ce manuscrit a été achevée l’an 813 de l'hégire (1410 de J. C).

M. Saint-Martin a laissé en manuscrit une notice sur le Modjmel al Tewarikh, qui, je crois, était destinée aux Notices et Extraits, mais qui n'a pas été achevée, et qui n'offre que l'ébauche du travail historique et géographique que M. Saint-Martin se proposait de faire sur cet ouvrage. M. Lajard a eu la bonté de me la communiquer. M. Saint-Martin m'avait proposé, il y a dix ans, de publier de concert avec lui le Modjmel ; je devais en faire la traduction, et il se réservait le commentaire ; mais sa mort a interrompu ce projet, comme tant d'autres que ce savant avait formés ; et ce que je publie aujourd'hui est une partie du travail que j'ai entrepris à cette époque.[8]

 


 

CHAPITRE VII.

SUR KAÏOUMORS, EN QUATRE SECTIONS

SECTION I.

Le mobed Bahram, de Schapour, raconte en parlant de Kaïoumors qu'il a réuni vingt et quelques ouvrages de la classe de ceux qu'on appelle Tchenah Nameh,[9] et que sa collection de ces ouvrages est complète jusqu'à l'époque où l'empire est tombé entre les mains des Arabes, comme il se propose de le raconter plus tard. Puis il dit : Le premier homme que Dieu fit paraître sur la terre est celui que les Persans appellent Guilsckah[10] (le roi de la terre), parce qu'il n'avait à gouverner que la terre (inhabitée). Il laissa un fils et une fille appelés Meschi et Meschianeh, lesquels eurent, dans l'espace de cinquante ans, dix-huit enfants. Lorsqu'ils moururent, la terre resta quatre-vingt-quatorze ans sans roi, jusqu'à ce qu'Aouschehendj Pischdad s'en emparât, c'est-à-dire Houscheng. Il y avait entre Kaïoumors et lui un intervalle de deux cent quatre-vingt-quatorze ans et huit mois. Bahram veut prouver par ce récit que, selon les Persans, Kaïoumors fut le même qu'Adam. Dieu connaît la vérité.

SECTION II.

J'ai lu dans l'histoire de Hamzah d'Ispahan et dans un autre livre de traditions (ce qui suit). Hamzah dit, au reste, que cette tradition est dans le genre de celles que les Arabes ont sur Lokman, fils d'Ad, et de celles que les Juifs ont sur Og[11] et sur Beloukia. Hamzah conte donc, d'après un livre traduit de l’Avesta de Zerdouscht, qui est la loi des Persans, que Dieu a fixé à douze mille ans la durée du monde, depuis son commencement jusqu'à sa fin. Le inonde resta en haut, sans mal, pendant trois mille ans ; et lorsqu'il fut envoyé en bas,[12] il resta de nouveau trois mille ans sans souffrir aucun mal ; ensuite parut Ahriman, et les maux et les dissensions s'en suivirent. Dans le septième millier d'années, il y eut un mélange (des deux principes), et les premiers êtres vivants qui apparurent furent un homme et un taureau qui naquirent sans père et sans mère. Le nom de l'homme était Kahoumors, celui du taureau était Aboudad ; Kahoumors était vivant et avait la faculté de parler, pendant que l'homme-taureau était privé de mouvement et de parole. Cet homme fut l'origine de toutes les générations. Il mourut après trente ans, et une semence tomba de ses reins sur la terre et resta dans le sein de la terre pendant quarante ans, au bout desquels deux plantes semblables au riwas[13] en naquirent, et de vinrent, avec le temps, des êtres humains prenant la taille et l'aspect humain. Leurs noms étaient Meschi et Meschianeh ; ils s'unirent et eurent, après cinquante ans, des enfants, dont le premier fut né quatre-vingt-dix….. ans et six mois avant le temps de Houscheng. Dieu sait la vérité.

SECTION III.

Hamzah emprunte encore d'un autre livre le récit suivant, tiré des livres des Persans écrits dans une langue étrangère : Dieu créa d'abord un homme et un taureau qui vécurent, sans éprouver de mal, pendant trois mille ans dans les régions supérieures du monde ; c'étaient les milliers d'années qui appartenaient aux signes du Bélier, du Taureau et des Poissons. Ensuite ils restèrent sur la terre d'autres trois mille ans sans souffrir de peines et de désagréments ; c'étaient les milliers d'années des signes de l'Ecrevisse, du Lion et de la Vierge. Au commencement du millier d'années de la Balance, des dissensions se montrèrent. L'homme dont j'ai parlé s'appelait Kahoumors ; il cultiva pendant trente ans la terre et les plantes, et eut soin du taureau.[14] Le signe de ce millier d'années était l'Écrevisse, dans lequel Jupiter se trouvait ; le soleil était dans le Bélier, la lune dans le Taureau, Saturne dans la Balance, Mars dans le Capricorne, Vénus et Mercure dans les Poissons. Ces astres commencèrent leurs mouvements en partant de ces signes le premier du mois Feruerdin, qui marque la fête du Now rouz. Par la rotation du ciel, le jour se distingua de la nuit, et la race de cet homme se continua. Dieu sait la vérité.

SECTION IV.

Quelques-uns de ceux qui rapportent les traditions disent que Kaïoumors est le même que Seth ; d'autres racontent qu'il était petit-fils de Seth, et d'autres encore, qu'il était le quatrième fils de Noé ; et l’on trouve dans la Chronique de Tabari que, entre Idris et Noé, il y eut un intervalle de mille sept cents ans, pendant lequel il y eut des rois, et que le premier homme s'appelait Kaïoumors, le quel fut roi pendant sept cents ans. Les Parsis indiquent, par les traditions que nous avons citées, qu'ils veulent parler d'Adam et de la création d'Adam ; mais il n'est point sûr qu'ils n'adoptent leurs calculs qu'à cause de leur religion. Au reste, je n'ai parlé que d'après ce que j'ai trouvé écrit, et il n'y a point de doute là dessus, que Kaïoumors ait existé, et qu'il ait régné pendant trente ans, comme je le dirai en son lieu, en rattachant à lui les généalogies des rois. Dieu connaît là dessus la vérité mieux que nous.

CHAPITRE IX

SUR LA SUCCESSION DES ROIS DE PERSE, EN TROIS SECTIONS.

SECTION I

Sur la généalogie des rois de Perse

Aouschehendj. — Les rois de Perse, quoique nous ramenions toutes leurs généalogies à Houscheng et à Kaïoumors, se divisent en plusieurs dynasties que voici : les Pischdadiens, les Keïanides, les Aschkanides et les Sassanides. Le nom de Pischdad a été donné d'abord à Houscheng, parce qu'il a été le premier qui ait rendu justice, et on l'appelle aussi Meyandji Merdum (le médiateur entre les hommes), et Aouschehendj. Il régna après Kaïoumors, et sa généalogie est, selon nous, la suivante ; car, quoiqu'il soit impossible de concilier les opinions différentes sur les généalogies, on peut pourtant ajouter foi à celles qui se trouvent fixées de même dans différents ouvrages. Aouschchendj était donc fils de Ferawek, fils de Siamek, fils de Meschi, fils de Kaïoumors. On dit aussi, dans un livre de traditions, qu'il était fils de Mahlaiel, et petit-fils d'Adam ; Firdousi[15] le donne, dans son Livre des Rois, pour fils de Siamek, et les Parsis disent que Houscheng et son frère Yegret étaient des prophètes. Dieu sait la vérité.

Thahmouras Ribawend. — Le sens de Ribawend est un homme qui a une armure complète ; on rappelle aussi Divbend (le vainqueur des Divs). Le Livre des Rois en fait le fils de Houscheng ; nos propres recherches nous en donnent la généalogie suivante : Thahmouras, fils de Widjihan, fils d'Abourkehed, fils de Hourkehed, fils d'Aouschehend).

Djamschid. — Son véritable nom était Djem, mais on l'appela Djamschid à cause de sa honte et de l'éclat dont il brillait ; car schid signifie brillant, et c'est ainsi qu'on appelle le soleil Khour et Khourschid, c'est-à-dire le soleil brillant. Firdousi, dans son Livre des Rois, dit que Djamschid était fils de Thahmouras, mais il est plus exact de dire qu'il en était le frère ; cela suffit pour fixer sa généalogie. Il eut de Peritchehreh,[16] fille du roi du Zaboulistan, un fils nommé Tour[17] ; et de Mahenk, fille du roi de Madjin, deux autres appelés Betoual et Humayoun. Ce dernier eut pour fils Abtin, le père de Feridoun. Les noms de ces fils étaient, selon une autre tradition, Fanek et Nounek. Tour eut pour, fils Schidasp, lequel eut pour fils Thourek, lequel engendra Schem appelé par d'autres Schem ; Schem fut le père d'Asreth, lequel fut le père de Guerschasp. Celui-ci eut de la fille du roi de Roum, un fils nommé Neriman, qui fut père de Sam. Sam eut de Nefithi Mahouradj,[18] fille du roi de Misr, dont le nom signifie reine des reines, un fils nommé Zal, lequel eut de Roudabeh, fille du roi de Kaboul, un fils nommé Rustem, et, d'une autre femme, un fils nommé Zewareh. Rustem épousa la tante maternelle du roi Keïkobad, dont il eut un fils nommé Faramourz, et deux filles, Banougouschasp et Zerbanou, lesquelles furent très braves et vaillantes. Le seul des fils de Faramourz qui lui survécut, fut Aderberzin, et Zewareh laissa deux fils, Ferhad et Tekhwareh ; avec eux s’éteignit cette famille. Djemschid eut encore d'autres enfants, mais on n'a sur eux aucune tradition.

Zohak Peiverasp. — On explique ce surnom de Peiverasp, par l’habitude qu'il avait de faire porter devant lui de l'or et de l'argent chargés sur dix mille chevaux arabes (Peiver asp, dix mille chevaux). On dit que son nom réel était Kaïs Lehoub ; d'autres l'appellent Zohak, et d'autres encore Himyari. Les Persans lui ont donné le nom de Deh ak (les dix maux), parce qu'il a introduit dans le monde dix maux et coutumes cruelles, comme la torture, la pendaison et autres actes hideux ; car ak signifie le mal, la calamité. Lorsqu'on a écrit ce nom à la manière des Arabes, on la très bien changé en Dsohak, c'est-à-dire le rieur. On l'appelle encore Azdehak, à cause d'une maladie qu'il avait aux épaules, c'est-à-dire des serpents qui dévoraient les hommes. Djerir al Tabari dit que Peiverasp et Zohak étaient deux hommes différents, que Dieu envoya Noé à Zohak, et que celui-ci s'empara de la royauté quelques années après le déluge. Voici sa généalogie : Zohak était fils de Nedasp, ou, selon d'autres, d'Arvendasp, qui fut ministre de Thahmouras, et qui introduisit le jeûne et l'adoration de Dieu. Nedasp était fils de Rebigawen[19] (?) fils de Beïadscreh (?), fils de Tadj, fils de Ferwal, fils de Siamek, fils de Meschi, fils de Kaïoumors. Tadj, qui était ainsi un des ancêtres de Zohak, fonda la race arabe, et s'établit à Babel. Un de ses fils épousa la fille de Feridoun, et s'établit dans le Kaboulistan ; et Mihrab, le grand-père de Rustem (du côté de la mère), est un des enfants de cette fille (de Feridoun). Je n'ai trouvé aucune mention d'enfants de Zohak.

Aferidoun, fils d'Atfial. — Firdousi, dans son Livre des Rois,[20] donne à son père le nom d'Abtin, et dans d'autres ouvrages on l'appelle Atfial. Voici sa généalogie telle qu'on la donne : Feridoun, fils d'Atfial, fils de Humayoun, fils du roi Djamschid ; sa mère était[21] Ferireng, fille de Thehour, roi de l'île de Besla, dans le Madjin. Il eut trois fils, dont les deux aînés de Schehrinaz, sœur de Djamschid, ou, selon d'autres, d'une fille de Zohak, et le puîné d'Arnewaz, autre sœur de Djamschid.[22] Leurs noms sont Selm, Tour et Iredj, et les rois de Perse tirent leur origine d'Iredj, ceux des Turcs la dérivent de Tour, et les Kaisars sont la postérité de Selm, comme il sera montré en son lieu,

Minoutchehr. — Il y a une tradition qui lui donne pour père Tadj, fils de Feridoun, celui qui a rendu navigable le Mihran.[23] Feridoun maria, selon Firdousi,[24] la fille d’Iredj à un homme de sa famille, et Minoutchehr est issu de ce mariage. Selon une autre tradition, la fille d’Iredj eut de nouveau une fille que Feridoun épousa et qui mit au monde Minoutchehr. La Chronique de Tabari lui donne la généalogie suivante : Minoutchehr, fils de Mefesjer, fils de Wetrek, fils de Scherouseng, fils d'Irak, fils de[25] ……, fils de Ferseng, fils d’Ischek, fils de Fergouzek, fils d’Iredj, fils du roi Feridoun. Toutes les traditions sont unanimes là-dessus qu'il est descendant d’Iredj. Il eut pour fils Thasmasp, le père de Zab, comme je dirai plus tard. Il eut encore un autre fils, Newder, qui eut pour fils Thour et Kustehem Rastendaz (qui tire droit).

Newder. — J'ai déjà dit qu'il était fils de Feridoun. Hamzah d’Ispahan ne le mentionne pas dans sa Chronique ; mais il est certain qu'Afrasiab le priva de son trône et le mit à mort, et le Livre des Rois[26] contient le récit complet de ces événements dont je parlerai en leur lieu. Mais il n'a régné que peu de temps avant d'être déposé.

Afrasiab. — Voici sa généalogie : Afrasiab, fils de Pescheng, fils de Raiesch (?), fils de Zadschem, fils de Tour, fils d'Aferidoun ; sa mère……

Zab fils de Thahmasp. —Les Persans rappellent Zew ou Zeh. Quelques-uns disent qu'il était fils de Newder ; mais la vérité est qu'il était fils de Thahmasp, fils de Minoutchehr. Djerir dit dans sa Chronique que, Minoutchehr étant fâché contre son fils Thahmasp, celui-ci s'enfuit dans un endroit éloigné. Or il avait pour femme une de ses parentes nommée Maderek, qui mit au monde Zab. Lorsque Minoutchehr eut nouvelle de cette naissance, il pardonna à son fils et le rappela. Il n'y a aucun doute que Zab était le petit-fils de Minoutchehr. Le Zab[27] supérieur et le Zab inférieur sont dénommés d'après lui, et c'est de son temps que Guerschasp forma un royaume indépendant (de la Perse) ; un fait dont le Livre des Rois et d'autres ouvrages ne font pas mention. Dieu sait la vérité.

La dynastie des Keïanides.

Keï Kobad. — Le premier roi de cette dynastie est Keï Kobad, dont j'ai lu la généalogie rédigée d'après Ibn Almôkassim, Atha, Scha'bi et Daghfel, qui sont des rawis arabes. Voici ce que dit l'auteur : « Keï Kobad était fils de Zab, à qui les mages donnent le nom de Zew. » Keï Kobad, selon une autre tradition, était fils de Keï Kameh, fils de Zew, ce qui est presque la même chose. Ses fils étaient Keï Kaous et Keï Peschin ; ce dernier eut pour petit-fils Lohrasp, son frère Djamasp le sage, et Keï Arschisch.

Keï Kaous. — Il était, selon une tradition, fils de Keï Afreh, fils de Keï Kobad ; mais la vérité est qu'il était fils de Keï Kobad. Tous les rois de cette famille ajoutent Keï à leurs noms depuis Keï Kobad, dont le nom propre était Kobad, et à qui Zal avait ajouté ce préfixe de Keï, qui signifie souche. Ses enfants étaient Siawusch et Feribourz ; le nom de ce dernier est proprement Bourzferi ; mais Firdousi a (ait le commencement du nom de ce qui était sa fin, pour le faire entrer dans le mètre de son poème. Il a fait la même chose en beaucoup d'autres cas. Keï Kaous avait encore un fils appelé Riwniz, qui fut tué à la bataille de Peschen.[28]

Keï Khosrou. — Il était fils de Siawusch ; sa généalogie est donc claire. Les Parsis le regardent comme un prophète à cause des belles sentences qui se sont conservées de lui, et dont je parlerai plus tard Il n'eut pas d'enfants. Siawusch l'avait eu de Ferenguis, fille d'Afrasiab, comme il avait eu Firoud de Djerireh, fille, ou, selon d'autres, sœur de Piran Wiseh. Firoud était le frère aîné de Keï Khosrou.

Keï Lohrasp. — Keï Khosrou le nomma son successeur au trône. Voici sa généalogie : Keï Lohrasp, fils de Keï Menisch, fils de Keï Peschin, fils de Keï Kobad. Le livre des Rois le fait descendre de Keï Kobad, par le seul intermédiaire de Keï Peschin, et toutes les traditions en font un oncle[29] de Keï Khosrou. Le nom de sa mère était Zerrin Tchinar (le platane d'or). La vérité est qu'il était fils de Keï Menisch, que le Tarikhi Keï-Bahmani appelle Keï Arisch, et qui fut le père de Keï Scheken.

Keï Gustasp. — Il était le fils puîné de Lohrasp ; son frère aîné était Zerir. Il monta sur le trône du vivant de son père, et eut deux fils : Isfendiar (qu'il eut) de Kitayoun, fille du kaïsar de Roum, et Beschouten, qui eut trente et quelques fils, qui, tous furent tués dans la guerre contre Ardjasp.

Keï Bahman. — Il était fils d'Isfendiar et d'Asnour, fille du roi Thalout. Son véritable nom était Ardeschir, et on l'appelait Keï Ardeschir Dirazenkil ; mais il est plus connu sous le nom de Bahman. Un autre appellatif sous lequel on le désigne, est Dirazdast (longue main), parce que, quand il était debout et laissait tomber ses bras, sa main descendait au-dessous de la jarretière. C'est dans ce sens que Firdousi le désigne dans son Livre des Rois.[30]

Quand il se tient debout et laisse tomber le bout de ses doigts, sa main descend jusqu'au-dessous du genou.

Son nom de Dirazenkil vient, selon une autre tradition, de ce qu'il avait ravagé des pays lointains, vers le midi, vers l'orient et dans le pays de Roum. Il eut un fils nommé Sasan, et une fille, Homaï. Il épousa Aberdokht, fille de Roboam, qui était fils de Salomon et un des princes de Jérusalem, et c'est à cause d'elle qu'il ordonna de relever le temple de cette ville.

Homaï Tchehrzad. — Il y a une différence d'opinions sur sa généalogie : les uns disent qu'elle était fille de Haret, roi d'Egypte, et épouse de Bahman, et que Bahman lui avait laissé dans son testament le trône à elle et à sa postérité. Les Parsis, au contraire, disent qu'elle était la propre fille de Bahman et de la fille du roi d'Egypte dont je viens de parler, qu'elle s'appelait Schemiran, fille de Bahman, avec le surnom de Homaï, et qu'elle devint enceinte (des œuvres de son père}, ce qui, chez les Persans, ne passait pas pour un crime. C'est à cela que Firdousi fait allusion dans ces vers[31] :

Elle trouva grâce devant les yeux de son père, à cause de sa beauté, ce qui était conforme à la religion pehlwie, et c'est ainsi que Homaï, la lune brillante qui ravissait les cœurs, devint enceinte du roi.

Darab, fils de Bahman. — Il était donc, selon cette tradition, fils de Bahman et d'Homaï, laquelle le plaça, aussitôt après sa naissance, dans une boîte et le jeta dans l'eau ; un foulon l'y trouva et lui donna le nom de Darab.[32] Il monta sur le trône quand il fut arrivé à l'âge d'homme.

Dora, fils de Darab. — Toutes les traditions le disent fils de Darab ; c'est lui contre lequel Secander Roumi se révolta. Il avait un fils nommé Aschk, et tous ceux qui tiraient leur origine de la famille des Ascbanides étaient les descendants de cet Aschk, et les Molouki Thewaief les reconnaissaient pour suzerains.

Iskender le Roumi — C'est le même que Dsoul Karnain le second. Les Persans[33] disent que Dara demanda en mariage la fille de Filikous, roi des Grecs, quelle devint enceinte de lui, et qu'il la renvoya honteusement à son père, pour une raison que je dirai en son lieu, mais sans savoir qu'elle était enceinte. Lorsqu'elle mit au monde un fils, Filikous lui donna le nom d’Iskender et l'adopta, et reçut fort mal ceux qui disaient que Dara avait demandé en mariage sa fille, ce qu'il voulait tenir caché. Les Persans l'appellent Dara, fils de Darab, et racontent son origine de plusieurs manières fort différentes. Par exemple : l'auteur de l’Iskender nameh[34] dit que Nectanabous était roi d'Egypte et magicien, et que tant expulsé de son royaume il se rendit dans le pays des Grecs sous un déguisement. Il parvint, par ses ruses et son art magique, à s'introduire auprès de la fille de Filikous, dont le nom était Almolrid, et eut d'elle un fils, Iskender. On raconte encore quelques autres histoires invraisemblables sur ce sujet ; mais il n'y a pas de doute là-dessus que la mère de Sekander ne fut fille de Filikous. Djerir dit dans sa Chronique que le Dsoul Karnaïn auprès duquel le prophète Khisr se rendit et avec lequel il chercha la fontaine de la vie, était contemporain d'Abraham ; et qu'au contraire le Dsoul Karnaïn dont parie le Coran dans le chapitre de la Caverne,[35] et qui bâtit la muraille de Gog et de Magog, vécut après Moïse, et est le même qu'Iskender Roumi, ou Makedouni, comme d'autres l'appellent ; c'est lui qui est fi»oul Karnaïn le second, et j'en parlerai plus tard, s'il plaît à Dieu.

Les Aschkanides et leur généalogie.

Cette famille a été dispersée de tous côtés, et c'est pourquoi on leur a donné le nom de Molouki Thewaïf (les rois des tribus). Je donnerai peut-être plus tard leur histoire, selon les récits qui se sont conservés. J'ai trouvé leur généalogie copiée séparément de la collection des traditions faites par Bahram, Mobed de Schapour ; la voici :

Aschk, fils de Dara, fils de Darab.

Aschk, fils d'Aschk.

Schapour, fils d'Aderan, fils d'Aschk.

Bahram, fils de Schapour.

Balasch, fils de Bahram.

Hormuz, fils de Balasch.

Nerseh, fils de Balasch.

Firouz, fils d'Hormuz.

Balasch, fils de Firouz.

Khesreh, fils de Weladan, fils de Balasch.

Ardewan, fils de Balasch.

Ardewan le Grand, fils d'Aschkanan.

Khesreh, fils d'Aschkanan.

Beh Aferid, fils d'Aschkanan.

Balasch, fils d'Aschkanan.

Nersi, fils d'Aschkanan

Ardewan le Petit, ou le Dernier.

D’autres traditions changent deux ou trois de ces noms. Par exemple : le Siar al-Molouk écrit Aderwan au lieu d'Ardewan ; Afdoum signifie le dernier. Voici sa généalogie (selon cet auteur) : Aderwan, fils de Boudasp, fils d'Ascheh, fils de Weled Aderwan, fils d'Ascheh, fils d'Aschghan. Le Ardewan dont il veut parler est Ardewan le Grand. Dieu seul connaît la vérité.

Dynastie des Sassanides et description de leurs costumes.

Ardeschir, fils de Babek. — La tradition dit que Bahman avait un fils nommé Sasan, qui, dans son dépit de ce que Bahman donnait le trône à sa fille, partit pour un pays lointain, cacha sa naissance, se procura un troupeau de brebis et en eut soin jusqu'à ce qu'il mourût dans l'Inde. Il laissa un fils appelé Sasan comme lui, et tous ses descendants, jusqu'à la cinquième génération, continuèrent à porter le même nom et à rester de pauvres pâtres, jusqu'à ce que Babek, roi d'Istakher, eut des songes dont je parlerai plus tard,[36] et en conséquence desquels il amena Sasan des montagnes et lui donna en mariage une de ses filles. Sasan eut un fils nommé Ardeschir, que Babek fit passer pour son propre enfant, et (Ardeschir lui-même) n'osa rendre publique sa véritable origine, de peur des Aschkanides, que lorsqu'il fut devenu roi. Selon quelques chroniques, Babek lui-même était fils de Sasan, et Ardeschir fils de Babek. Voici sa généalogie selon le Siar al-Molouk : Ardeschir, fils de Babek, fils de Sasan, fils de Farek, fils de Mahounes, fils de Sasan, fils de Bahman, fils d'Isfendiar. Dieu seul connaît la vérité là-dessus. On lit, dans le Livre des Portraits des rois Sassanides, que sa tunique était brodée de dinars,[37] que ses pantalons étaient bleu de ciel, sa couronne verte sur or, et qu'il tenait droite dans la main une lance.

Schapour, fils d'Ardeschir. — On dit que sa mère était fille d'Ardewan, dernier des Molouki Thewaïf. Ardeschir, après avoir vécu avec elle, la livra à son vizir pour qu'il la fît mourir, parce qu'elle avait essayé de l'empoisonner de connivence avec son frère. Elle était alors enceinte, et l'on donne là-dessus quelques détails. Lorsqu'elle fut arrivée à la maison du vizir, elle accoucha d'un fils à qui le vizir donna le nom de Schapour, c'est-à-dire Fils du roi. Lorsque l'enfant fut devenu grand, le vizir le présenta à son père qui, sans savoir que c'était son fils, le prit en tendresse et l'adopta. Je reviendrai sur cette histoire en son lieu.[38] On dit, dans le Livre des Portraits, qu'il portait une tunique bleu de ciel, des pantalons en weschi[39] rouge, une couronne rouge sur la tête, et une lance dans la main.

Hormuzd, fils de Schapour, fils d'Ardeschir. — Sa mère était Nouschzad, fille de Mahrek.[40] Il ressemblait extrêmement à son grand-père Ardeschir. On dit, dans le Livre des Portraits, qu'il portait une tunique en weschi rouge, des pantalons verts, et une couronne verte sur or,[41] (dans la main) droite une lance, et dans la main gauche un bouclier. Il est représenté assis sur un dromadaire.

Bahram, fils d'Hormuzd, fils de Schapour. — On le peint en tunique rouge et en pantalons rouges, avec une couronne bleu de ciel et brodée, et tenant dans la main droite une lance, dans la main gauche une épée sur laquelle il s'appuie.

Bahram II, fils de Bahram, fils d'Hormuzd. — Il est représenté dans une tunique de weschi rouge, des pantalons rouges, et avec une couronne bleu de ciel, entourée de deux cercles d'or. Il est assis sur un lit de repos, et tient dans la main droite un arc bandé, dans la gauche une flèche forte.[42]

Bahram III. — Il était fils de Bahram, fils de Bahram, fils d'Hormuzd, et portait le surnom de Seganschah. Segan est un autre nom pour la province de Séistan. Dans ce temps-là chaque roi, quand il voulait désigner un de ses fils pour son successeur, lui donnait le titre de roi d'une province, titre qu'il échangeait, quand il arrivait au gouvernement, contre celui de Schahinschah (Roi des rois). La tunique de Bahram, fils et petit-fils de Bahram, est bleu de ciel, et ses pantalons sont rouges. Il est assis sur un lit de repos et s'appuie sur son épée ; sa couronne est verte et contenue par deux cercles d'or.

Nouseh, fils de Bahram. — D'autres l'appellent Nousi ; il était frère de Bahram III. Nousi, fils de Bahram, fils d'Hormuzd, est représenté en tunique de weschi rouge, en pantalons de weschi bleu de ciel, se tenant debout, une couronne rouge sur la tête, et les deux mains appuyées sur son épée.

Hormuzd, fils de Nouseh. — Il est peint, dans le Livre des Portraits des Sassanides, dans une tunique de weschi rouge, en pantalons bleu de ciel, une couronne verte sur la tête, et les deux mains appuyées sur une épée.

Schapour, fils du même Hormuzd, dont je viens de parler. — Les Arabes l'appellent Dsoul Aktaf (le Maître des Épaules), parce qu'après un grand carnage qu'il avait fait des Arabes, il fit percer les épaules de ceux qui survivaient et y fit passer des anneaux de fer. Les Persans l'appellent Schapour Houïeh Senba. Il n'était pas encore né lorsque son père fit placer la couronne sur le ventre de sa mère et mourut. On représente Schapour en tunique de weschi couleur de rose, en pantalons rouges de weschi, une hache d'armes dans la main, avec une couronne bleu et or, brodée en différentes couleurs, entourée de deux cercles d'or, et ornée d'une figure de lune en broderie.

Ardeschir, fils d'Hormuzd, fils de Nersi, et frère de Schapour. — Il portait, chez les Persans, le nom de Nikoukar (le bienfaisant) et de Nerm (le doux). Sa tunique est en weschi bleu de ciel et ornée de dinars, ses pantalons sont rouges. Il porte dans la main droite une lance, et dans la gauche une épée sur laquelle il s'appuie. Sur sa tête est placée une couronne rouge.

Schapour, fils de Schapour. — Il était fils de Schapour Dsoul Aktaf. On le voit représenté, dans le Livre des Portraits, dans une tunique de weschi rouge qui en recouvre une autre, laquelle est jaune. Ses pantalons sont bleu de ciel, sa couronne est verte et entourée de deux cercles d'or. Il porte dans sa main droite une verge de fer surmontée d'une figure d'oiseau, et appuie sa main gauche sur la poignée de son épée.

Bahram IV, fils de Schapour. — On l'appelle Kirmanschah. On lui donne une couronne verte entourée de trois cercles d'or, une tunique bleu de ciel, des pantalons de weschi. Il tient dans sa main droite une lance, et appuie la gauche sur son épée.

Yezdejird I était fils de Bahram (IV). — Les Persans lui ont donné le surnom de Bezehgar (le pécheur) et de Zefr. Les Arabes l'appellent Yezdejird al-Atsim (le méchant), à cause des injustices qu'il commettait. Il avait une tunique rouge, des pantalons bleu de ciel, et une couronne de la même couleur. Il est représenté debout et tenant une lance dans la main.

Bahram Gour. — Il était fils de Yezdejird et un prince puissant, joyeux et humain. Il est peint, dans le Livre des Portraits des Sassanides, en tunique bleu de riel, en pantalons de weschi vert, et tenant une massue dans la main.

Yezdejird II fils de Bahram Gour. — Il porte le surnom de Nerm (le doux)[43] et est représenté en tunique verte, en pantalons de weschi noir et or, et avec une couronne bleu de ciel. Il est assis sur un trône et s'appuie sur une épée.

Firouz était fils de Yezdejird, fils de Bahram Gour. — Il est peint en tunique rouge, en pantalons de weschi bleu de ciel et or, avec une couronne des mêmes couleurs, assis sur un trône et tenant une lance dans la main.

Balasch était fils de Firouz. —-Il est représenté en tunique rouge, en pantalons blancs et noirs sur un fond rouge, avec une couronne bleu de ciel, se tenant debout et ayant une lance dans la main.

Kobad, fils de Firouz. —Les Persans lui ont donné le nom de Kewad, à cause de sa barbe. Son frère Djamasp s'empara pendant quelque temps du gouvernement, mais il le reprit après. Il eut, outre Nouschirwan, un fils nommé Karen, qui eut le gouvernement du Tabaristan et de toute cette frontière. On le représente en tunique blanche et noire sur un fond bleu de ciel, en pantalons rouges, une couronne verte sur la tête, et appuyé sur une épée.

Kesra Nouschirwan. — Il était fils de Kobad et un roi plein de justice. Les Persans l'appellent Nouschin Rewan (l'âme douce) ; sa mère était fille d'un Dih-kan du district d'Ispahan, ou, selon d'autres, de celui d'Ahwaz. Son surnom, pendant la vie de son père, était Fedeschkharker Schah, parce qu'il était gouverneur du Thaberistan. Fedeschkhar est le nom d'une montagne et d'une plaine……………… Il est représenté en tunique de weschi blanc et rayé d'autres couleurs, en pantalons bleu de ciel, assis sur le trône et appuyé sur une épée.

Hormuzd, fils de Nouschirwan et d'une femme de race turque, fille du Khakan. — On le représente en tunique de weschi rouge, en pantalons bleu de ciel, avec une couronne verte, assis sur le trône, tenant dans la main droite une massue, et appuyant la gauche sur la garde de son épée.

Kesra Parwiz, fils d’Hormuzd, fils de Nouschirwan. — Les Persans lui ont donné le nom de Khosrou Parwiz, c'est-à-dire généreux comme un nuage. Il a une tunique en weschi couleur de rose, des pantalons bleu de ciel, une couronne rouge, et tient une lance dans la main.

Schirouïeh, fils de Kesra Parwiz et de Mariam, fille de Maurikes, empereur grec. — D'autres lui donnent le nom de Schirouï. Son premier nom avait été Kobad. Il fit tuer, aussitôt qu'il fut monté sur le trône, son père et ses dix-sept frères, que leur pouvoir et leur intelligence rendaient dignes du trône. Voici les noms de ses frères : Schehriar, Mardanschah, Kouranschah, Firouzanschah, Abroudschah, Zerrabroud, Schadman, Schadgiz, Arwendzil, Arwenddest, Kes Beh, Kes Dil, Kherreh Mard, Zadbehreh Djouanschir, Schirzad, Djihanbakht. On dit, dans le Livre des Portraits des rois Sassanides, qu'on le représentait en tunique de weschi rouge, pantalons bleu de ciel, avec une couronne verte, placé debout et tenant dans la main droite une épée nue.

Ardeschir. — Il était fils de Schirouïeh et encore enfant. Sa tunique est bleu de ciel, sa couronne rouge. Il est debout, tient une lance dans la main droite et s’appuie avec la gauche sur une épée.

Pourandokht. — Elle était fille de Pairwiz et d’une fille de l'empereur grec, laquelle était aussi la mère de Schirouïeh. Elle renvoya aux catholiques et à sa famille, à Roum (Constantinople), le bois de la croix que les chrétiens appellent Dari Mesihah (la croix du messie). L'auteur du Firouz-Nameh dit qu'elle était fille de Nouschirwan et que son nom propre était Hedjir, mais la première tradition est la vraie. Elle a une tunique de weschi vert, des pantalons bleu de ciel, une couronne de la même couleur, est assise sur un trône et tient une hache d'armes dans la main.

Azermidohkt. — Elle était sœur de Pourandokht et fille de Kesra Parwiz, mais d'une autre mère. Le Firouz Nameh en dit encore une fille de Nouschirwan. Son nom propre était Khourschid, et son père lui donna le surnom d'Azermidokht (la fille tendre), à cause de sa tendresse pour lui. Elle est peinte en tunique rouge et brodée de différentes couleurs, en pantalons bleu de ciel, une couronne sur la tête, assise sur un lit de repos, tenant dans ta main droite une hache d'armes et appuyant la main gauche sur une épée.

Yezdejird III, le dernier des rois de Perse, était fils de Schehriar, fils de Kesra Parwiz, et l'empire persan périt entre ses mains. Il a une tunique de weschi rouge, des pantalons bleu de ciel, une couronne rouge, une lance dans la main, et s'appuie sur une épée. Tous les rois de la dynastie des Sassanides ont porté des bottes rouges.[44]

Il y a sur toutes ces généalogies encore d'autres, traditions, que je ne mentionne pas parce qu'elles s'éloignent de la vérité et sont des fables comme les mages les inventent, ou des erreurs qui proviennent des traductions, et qui, dans le cours des temps, sont devenues de plus en plus confuses. En voici quelques-unes. Les uns disent que Feridoun est le même que Nimrod, d'autres que Keï Kaous est le même que Nimrod, parce qu'ils sont montés tous les deux dans le ciel. On identifie Abraham avec Siawusch parce qu'il traversa le feu, Salomon avec Djamschid, Noé avec Neriman, Lohrasp avec Nabuchodonosor ; on donne à Rustem une origine arabe ; on fait venir Afrasiab et Zohak de race étrangère. Quant à Isfendiar, on raconte que Salomon avait une fontaine d'où coulait de l'airain liquide dont on faisait des images et des figures sur lesquelles Salomon priait et auxquelles Dieu donnait une âme ; qu’Isfendiar avait été formé de cette manière, qu'il fut adopté par Gustasp qui n'avait pas d'enfant, qu'il s'enfuit devant Rustem dans le Turkestan, que Rustem l'y suivit et le tua, et que c'est à cause de cela qu'on donna à Isfendiar le surnom de Rouin-ten (au corps d'airain). Ce sont là d'insignes mensonges ; j'en fais mention parce que je les ai trouvés dans les fables et dans les livres persans ; mais, selon moi, ces assertions des mages ne méritent pas croyance, et, au contraire, ce que j'ai rapporté plus haut est la tradition originale et sur laquelle ceux qui ont recueilli les traditions dans leurs histoires et leurs chroniques sont unanimes. Dieu seul connaît les secrets (du passé).

SECTION II.

SUR LA LONGUEUR OU REGNE DES ROIS DE CES DYNASTIES, ET SUR LES EDIFICES ET LES TRAVAUX PUBLICS QUE CHACUN DEUX A ENTREPRIS PENDANT SA VIE.

I. Dynastie de Pischdadiens, d'après les traditions recueillies par Bahram, mobed de Schapour, et en faisant abstraction des trente ans de règne de Kaïoumors.

Houscheng. — Il régna pendant quarante ans, et toutes les traditions donnent le même chiffre. Il inventa beaucoup de choses, comme je le dirai plus tard en détail ; c'est lui qui introduisit l’art de bâtir dans le monde, et qui le premier fit creuser des canaux,[45] et la science de l'astronomie fit des progrès, sous lui après que le prophète Idris l'eut inventée. C'est lui qui bâtit Istakher. Les Persans lui donnent le nom de Kedaboum Schah.[46] Il a fondé le Scharestan de Reï, qui est aujourd'hui en ruines, et Damghan, et une ville dans la province de Koufah, qui selon quelques-uns est Koufah même ; il mourut de mort naturelle. Dieu connaît la vérité.

Thahmouras. — Son règne dura trente ans. Il vainquit les Divs et les employa aux bâtisses. On commença de son temps à écrire et à lire d'après les enseignements des Divs. Il apprivoisa beaucoup d'animaux sauvages et apprit aux bommes l’art de la chasse. Le Kobendiz (le château) de Merv, la citadelle de Babel, le grand Guirdabad,[47] les sept villes de Madaïn qui sont aujourd'hui en ruines, Mabrin et Sarouieh, deux villes situées devant les portes d'Ispahan et dont on voit encore les traces dans le Scharistan, enfin la ville de Balkh, sont toutes fondées par Thahmouras. Mille ans plus tard fut construit, tel qu'on le voit encore, le mur qui entoure Mahrin et Sarouieh. Ensuite Thahmouras mourut de mort naturelle.

Djamschid. — Son règne dura sept cent seize ans. Il reste dans le monde beaucoup de traces des entreprises et des découvertes qu'il fit pendant sa longue vie et de ses essais d'introduire dans le monde des mœurs et des arts, comme je le dirai en son lieu. Il devint impie vers la fin de sa vie[48] et se révolta contre Dieu ; mais quand le sort tourna contre lui, il se repentit et rentra en lui-même. Lorsque Zohak l'Arabe parut, Djamschid s'enfuit et erra dans le monde pendant dix ans sans être reconnu, ensuite[49] il resta dans le Zaboulistan pendant vingt ans, pendant lesquels il eut un fils de la fille du roi de Zaboul. Son secret allait être découvert, lorsqu'il s'enfuit et s'établit dans l'Inde, du côté de Laheth, où il resta cent ans en exerçant la souveraineté sur ce pays. Il y eut de nouveau des enfants, et le Maharadja des Indiens lui livra un grand nombre de batailles par ordre de Zohak, jusqu'à ce que Djamschid fut à la fin fait prisonnier, amené devant Zohak et scié en deux avec une arête de poisson, qui ressemble à une scie. Ensuite on le brûla.[50]

Ses constructions sont sans nombre, car il passa son long règne à en faire élever. La ville de Ctésiphon, qui fait partie de Madaïn, en est une. Il bâtit sur le Tigre un pont qu'Alexandre le Grand fit détruire. On en voit encore des traces sur le côté occidental du gué. Plus tard on bâtit un (nouveau) pont. Tabari dit, dans sa Chronique, que l'on avait fait un pont d'une côte d'Aoudsch, fils d'Otik ; mais que, quelques années après, on le détruisit, parce que tous les rois du monde s'en plaignaient et en faisaient des reproches aux Persans, et qu'on construisit alors un pont (régulier).[51]

Peiverasp Zohak. — Son règne dura mille ans, ou, comme quelques-uns disent par pédanterie, mille ans moins un jour et demi. Lorsque Zohak expulsa Djamschid, ce dernier avait pour petit-fils le jeune Guerschasp, qui était gouverneur du Zaboulistan. Zohak l'envoya tuer un dragon,[52] dans l'espoir que le jeune homme lui-même succomberait ; mais il en revint, et Zohak l'envoya alors dans l'Inde pour aider le Maharadja,[53] et il y resta quelques années jusqu'à ce qu'il se fut emparé de l'ennemi du Maharadja. Ensuite Zohak envoya son frère Kousch vers l'extrémité de l'Orient, pour y rechercher les enfants de Djamschid.

Après cela survint à Zohak sa célèbre maladie aux épaules, que l'on appelle mar,[54] les serpents, et à l'occasion de laquelle le monde fut dépeuplé, parce que l’on prenait des cervelles d'hommes pour la guérir. Zohak envoya ensuite Guerschasp dans l'Occident, pour lui soumettre tous les rois de ces pays. Guerschasp en tua (quelques-uns) et amena Menheras prisonnier à la cour. Plus tard Zohak demanda en mariage la fille du Maharadja ; on la lui envoya, mais elle disparut sur mer pendant la traversée. Il expédia alors Guerschasp,[55] avec l'ordre de dévaster tout le pays de Zenguestan et d'en amener tous les rois prisonniers à sa cour. On trouva (plus tard) des traces de la fille du Maharadja dans l'île des Djinnes, et il y envoya de nouveau Guerschasp pour aller la chercher. Quelque temps plus tard, il fit partir Guerschasp pour Semendoun, dans le pays de l'Occident, pour lui amener la fille de Khengasp. Tous les rois de l'Occident y étaient rassemblés sous les ordres de Khengasp, et lorsque Guerschasp revint avec la jeune fille, ils lui coupèrent le chemin ; il s'ensuivit un nombre de grandes batailles, mais Guerschasp revint vainqueur auprès de Zohak. On fit ensuite la guerre dans le pays de Roum, contre Asthames. Les Arabes demandèrent du secours à Zohak ; il leur envoya une armée sous le commandement de Guerschasp, qui dévasta le pays (de Roum) et obtint ce qu'il voulut. Après[56] que Zohak eut régné sept cents ans, Armaïl et Guirmaïl entrèrent à son service et sauvèrent chaque jour un des deux hommes qu'on avait coutume de tuer ; ils les envoyèrent dans le désert et loin des hommes, et les Kurdes sont les descendants de ces fugitifs. Zohak alla seul, sur l'ordre d'Iblis et par des moyens de magie, dans l'île de Bermoumïeh,[57] à la recherche des filles de Raghib et de Rhalib, qui étaient des sectateurs de la religion du prophète Salih ; mais il y resta prisonnier, parce que ses enchantements ne pouvaient pas prévaloir contre les invocations et le nom de Dieu, et ne pouvaient pas le délivrer. A la fin il se procura sa liberté en ordonnant à Guerschasp d'apporter des trésors et de payer sa rançon. On possède beaucoup de détails sur toutes ces histoires, et, si Dieu le permet, je les donnerai plus tard, car mon récit actuel n'est guère qu'une table de matières. Ensuite Dieu suscita Feridoun qui combattit Zohak, le fit prisonnier, l'attacha sur le dos d'un chameau et lui fit faire, dans cet état, le tour du monde pendant quarante ans. A la fin il l'attacha à de fortes chaînes, dans une caverne du mont Demavend. Quelques-uns disent qu'il s'y trouve encore, et que les magiciens y vont prendre des leçons de lui, ce qui n'est pas raisonnable à croire.[58]

Sa résidence était d'abord à Babel, où il avait un grand palais appelé Kelenk Diz, ou, selon d'autres, Dishet. Plus tard il établit sa capitale à Ilia, où il avait un palais appelé Dizhoukht dans lequel il résidait ; Dia est, selon Firdousi,[59] la même ville que Beit al-Mokaddes (Jérusalem). Voici ce qu'il dit : « Sache qu'en arabe ce nom veut dire la ville sainte ; « appelle-la le palais élevé de Zohak. » Quelques auteurs persans donnent à Zohak le nom de Schelim,[60] et la ville sainte est Jérusalem.

Feridoun. — Son règne dura cinq cents ans. Aussitôt qu'il eut vaincu Zohak, il envoya Guerschasp et Neriman dans le Turkestan, et Kaweh d'Ispahan à Roum, pour qu'ils fissent reconnaître son gouvernement dans ces pays. Après cela Guerschasp alla dans les pays d'occident, à Thantcheh, et mourut à son retour. Feridoun envoya Karen, fils de Kaweh, en Chine, pour s'emparer de la personne de Kousch Pil Dendan. Lui-même alla plus tard dans le Mazandéran occidental, et fit prisonnier Kerouth roi de ce pays. Ensuite Feridoun envoya Neriman dans l’Hindoustan, pour faire prisonnier le fils du rajah indien, ce qui eut lieu, et se termina par un traité de paix. Une autre fois il envoya Neriman faire la guerre au roi de Roum, et lui ordonna de dévaster le pays et de détruire l'idolâtrie dans le pays. Quelques temps après son retour, Neriman reçut au siège de Schekawend, pendant son sommeil, une pierre sur la tête qui le tua. Feridoun partagea ensuite le monde entre ses fils, et fit accompagner Selm et Tour par Sam, fils de Neriman, qui fit reconnaître leur autorité dans le Roum et dans le Turkestan, et revint. Plus tard, le Maharadja envoya de l'Inde un message pour demander à Feridoun aide contre les Segsars ; Feridoun y envoya Sam qui mit en ordre les affaires du Maharadja, et revint ayant accompli sa mission. Feridoun donna la liberté à Kousch Pil Dendan, et lui confia le gouvernement des pays d'Occident ; mais il se révolta bientôt après. Hirbedeh, fils de Keroulh, roi de Mazenderan, amena de nouveau son armée (contre Feridoun), le roi envoya Sam, fils de Neriman, contre lui, et Sam le tua.

A cette époque Tour et Selm se révoltèrent de concert contre leur père, et tuèrent Iredj ; quelque temps après Minoutchehr grandit et mit à mort, encore du vivant de son grand-père, ses deux oncles Selm et Tour, pour venger le sang d'Iredj ; ensuite Feridoun mourut à Gouigan. Sa première résidence était à Babel, plus tard il établit sa demeure royale à Temmischeh et dans le Tabaristan, et toutes les villes et toutes les forteresses de cette province sont bâties par lui, et de même dans le Farsistan. Quelques-uns disent que le déluge a eu lieu de son temps en Syrie ; mais ce n'est pas vrai, car le déluge s'est étendu sur toute la terre, et c'est Abraham qui vécut du temps de Feridoun, et non pas Noé ; ainsi c'est une tradition fausse de tout point.

Minoutchehr. — Son règne dura cent vingt ans. Il resta, sans éprouver de l'opposition, maître de l'empire depuis qu'il eut mis à mort Selm et Tour. C'est sous lui que Zal naquit et que Sam l'exposa. Zal grandit sous les yeux d'un sage ermite,[61] et après quelques années Sam le ramena ; Minoutchehr voulut le voir, fut étonné de son aspect et se réjouit de son horoscope. Plus tard Zal devint amoureux de la fille de Mihrab, (qui fut plus tard) mère de Rustem, et Sam et Minoutchehr finirent par consentir à leur mariage ; Rustem naquit quelques temps après, et Sam s'en retourna du Séistan dans le pays des Segsars. Afrasiab commença alors ses invasions (dans l'Iran) ; Minoutchehr envoya plusieurs fois Zal contre lui, et Zal le repoussa au delà du Djihoun. Cependant une fois Afrasiab amena pendant l'absence de Sam et de Zal, une armée innombrable et tint pendant quelques années Minoutchehr assiégé dans le Tabaristan ; mais à la fin ils firent à paix en faisant lancer à Arisch une flèche (pour fixer la frontière). Cette flèche alla du château d'Amol jusqu'au sommet du Mezdouran, et c'est là que fut fixée la frontière du Touran. Minoutchehr mourut bientôt après.

Ses travaux sont nombreux. Il a rendu navigable l'Euphrate et le cours du Mihran,[62] qui est un fleuve plus grand que l'Euphrate. Afrasiab, pendant qu'il assiégeait Minoutchehr, arrêta le courant du Kaseh-roud, et y fit jeter une grande quantité de peaux de bœufs remplies de sable, avec lesquelles il finit par arrêter l'eau et la détourner. Les villes de l'Iran avaient été détruites tant par Afrasiab que par d'autres rois ; on employa ces décombres, pendant son règne, à de nouvelles constructions, tleï était une de ces villes détruites, et Minoutchehr la rebâtit sur son emplacement actuel. Aucun édifice de l'ancienne ville n'était resté debout, de sorte qu'il était plus facile de bâtir une ville toute, nouvelle ; il lui donna le nom de Mahmân. On appela les ruines de l'ancienne ville le Reï supérieur, et la nouvelle ville le Reï inférieur. Le khalife Mahdi ajouta encore à l'étendue de la ville, et lui donna le nom de Mohammedieh. Minoutchehr apporta beaucoup de fleurs, de roses et de plantes odorantes des montagnes et du désert dans les villes, et les planta ; il fit construire un mur tout autour, et lorsque les plantes furent en fleurs et qu'elles exhalèrent leur parfum, il donna à cette plantation le nom de Bostan (jardin). Il rétablit tous les canaux d'irrigation et tous les puits qu'Afrasiab avait comblés dans ce pays ; il bâtit dans tous les pays de la terre un grand nombre de châteaux, dont quelques-uns sont encore debout, et c'est lui qui, le premier, empenna les flèches. Dieu connaît la vérité.

Newder. — Son règne dura sept mois. Firdousi, dans son Livre des Rois,[63] dit cinq ans, et dans une autre tradition on lui donne vingt ans de règne. Dieu sait ce qui est le vrai. L'armée se révolta contre lui, et ne voulut pas de lui, jusqu'à ce que Sam arriva et rétablit ses affaires. Sam étant retourné dans le pays des Kerkesars, Afrasiab fit une invasion dans le pays d'Iran, et en même temps Sam mourut dans l’Hindoustan,[64] et Zal s'y rendit. Newder combattit contre Afrasiab, et fut fait prisonnier ; Afrasiab le tua pour venger la mort de son grand-père Tour, et s'empara (de l'empire). Les grands du pays d'Iran et de toute la Perse se rendirent auprès de Zal, dans le Séistan.

Afrasiab. — Son règne dans l'Iran dura douze ans. Il permit aux Turcs de dévaster l'Iran. Il bâtit à Merv une muraille au milieu du Kohendiz,[65] qui allait jusqu'à la porte de Tenk.[66] Dans le Turkestan, il fit beaucoup de grandes constructions, tant de forteresses que de villes, qu'il serait trop long d'énumérer. Ses champs de bataille sont situés dans les sept zones de la terre, et il a livré onze cents et quelques combats dans lesquels il fut toujours victorieux. A la fin, il fut tué par son petit-fils Keï-Khosrou[67] dans le pays de Tchisen dans l’Azerbaïdjan,[68] et son frère Guersiwei, son fils et quelques autres de ses parents furent mis à mort avec lui.

Zab, fils de Thamasp. — Son règne dura trois ans, et selon une autre tradition cinq ans. Guerschasp forma sous lui un royaume indépendant ; il était de la famille de Djemschid.[69] Tabari dit, dans sa Chronique, que ce Guerschasp était vizir de Zab. Lorsque l’armée persane s'adressa à Zal (pour leur donner un roi[70]), et qu'elle eut placé (Zab) sur le trône, elle s'avança vers Afrasiab ; il y eut alors une famine qui dura jusqu'à ce que la paix fut faite. Zab releva pour la seconde fois les ruines qu’Afrasiab avait faites pendant son règne de douze ans ; il creusa le lit des deux Zab dans l'Iran, comme je l'ai déjà dit ; on les appelle l'un, le grand et l'autre le petit Zab. Il mourut à Istakher de mort naturelle.

Cette dynastie se compose donc de neuf rois, leurs règnes ont duré ensemble deux mille quatre cent vingt et un ans sept mois et quelques jours, sans compter Kaïoumors.

LA DYNASTIE DES KEÏANIDES D'APRES LE RECIT DU MOBED BAHRAM.

Keïkobad. — Son règne dura cent ans, ou, selon une autre tradition, cent vingt-six ans. Zal[71] envoya Rustem pour chercher Keï Kobad et l'amener des montagnes de Hamadan à Reï, où il fut placé sur le trône. Il commença alors la guerre contre Afrasiab, et c'était à cette guerre que Rustem fit ses premières armes, et qu'il arracha Afrasiab du dos de son cheval ; mais les Turcs se ruèrent sur lui, de sorte que la ceinture d'Afrasiab se rompit, qu'il tomba à terre et put se réfugier au milieu de ses cavaliers avec lesquels il s'enfuit. Ensuite Keïkobad fit la paix avec Pescheng, père d'Afrasiab. Plus tard[72] il guerroya contre Abd al-Schams, roi des Arabes et des Himyarites qui sont de la race de Kabtan, avec lequel il finit par faire la paix. Keïkobad alla plus tard dans le pays de Heyatheleh, de l'autre côté de Djihoun, où il combattit Wiseh ; car Afrasiab était dans ce moment dans le pays de Roum, où il faisait la guerre. Keïkobad fut victorieux et fonda, sur le bord du Djihoun, une ville qu'il appela Kobadian[73] et 'qu'on appelle aujourd'hui Kewadian. Il peupla beaucoup de districts dans la province d'Ispahan et y bâtit des bourgs qu'on appelle en pehlewi Istanber bounaret kewad ; ils existent encore et portent aussi le nom de Kam roud. Il mourut de mort naturelle dans le Farsistan.

Keï Kaous. — Son régne dura cent cinquante, ou, selon une autre tradition, cent soixante ans. Il résida d'abord à Balkh, parce que son père y avait demeuré longtemps ; ensuite il établit sa résidence dans le Farsistan. Plus tard[74] il alla dans le Mazenderan où il fut retenu captif, lui et les grands de l'empire persan, jusqu'à ce que Rustem tout seul le ramena, après avoir eu beaucoup d'aventures et tué le div blanc et le roi du Mazenderan. Pendant ce temps, Afrasiab avait occupé l'Iran ; selon les uns, il le quitta (au retour de Keï Kaous) ; mais, selon une autre tradition, Rustem lui livra une bataille dans le district de Bagdad et le poursuivit jusque dans le Turkestan. Après cela,[75] Keï Kaous fit le tour de son empire ; le roi du Hamaveran lui offrit l'hospitalité ainsi qu'à ses grands, ensuite il les jeta dans les fers pendant qu'ils étaient ivres, et les envoya dans une forteresse. Soudabeh, la fille du roi de Hamaveran, servit Kaous dans sa prison. A la fin Rustem rassembla une armée, se mit en marche, délivra après beaucoup de combats Kaous et le ramena dans l'Iran. Ensuite arriva la célèbre aventure de Kaous, qui voulait monter au ciel par le moyen d'aigles attachés à une caisse, qui finirent par le laisser tomber du haut des airs dans l'eau, près de Sari. Quand les grands apprirent cela, ils lui firent des reproches sur son impiété, et il revint vers son trône, tout honteux de ce qui était arrivé.

Ensuite arriva l'aventure de la chasse de Rustem et des grands de l'empire persan, de l’attaque d'Afrasiab et de sa défaite ; l'histoire de la perte de Raksch, de la naissance de Sohrab ; la guerre de Kaous contre Sohrab et l'armée d'Afrasiab, et de la mort de Sohrab par la main de son père Rustem ; ensuite vient la naissance de Siawusch, son éducation par Rustem, jusqu'à ce qu'Afrasiab vînt faire la guerre pour laquelle Siawusch se fit adjoindre Rustem par son père ; la guerre contre les Turcs, qui fut occasionnée par les paroles de Soudabeh, la femme de Kaous, après que Siawusch eut passé par le feu et y avait prouvé son innocence. Siawusch partit et fit ensuite la paix avec Afrasiab. Kaous ne l'approuva pas, et Siawusch s'enfuit dans le Turkestan, où Afrasiab le reçut bien et lui donna en mariage sa fille. Il y bâtit une ville ; mais à la fin Afrasiab, que des envieux avaient indisposé contre lui, le fit mourir. Keï Khosrou naquit après l'assassinat de son père (Siawusch). Rustem, après avoir coupé en deux Soudabeh, se mit en marche vers le Turkestan pour venger la mort de Siawusch ; il vainquit Afrasiab, tua son fils Surkheh et resta pendant sept ans dans le Turkestan, qu'il dévasta entièrement ; ensuite il retourna dans l'Iran.

[76]Plus tard la splendeur de l'empire périt entre les mains de Kaous, et le monde devint inquiet. Kaous avait un jeune frère, Keï Bahman, qui avait un fils nommé Keï Scheken ; ces deux princes s'emparèrent d'une partie de l'empire, mais à la fin Keï Scheken fut pris par les Turcs, qui le tuèrent quelque temps après.

[77]Gouderz eut un songe sur Keï Khosrou, en conséquence duquel iî envoya dans le Turkestan son fils Guiv, qui découvrit Keï Khosrou, après avoir erré pendant sept ans dans ce pays. Ils repartirent ensemble, passèrent après beaucoup d'autres aventures le Djihoun sans barque, et arrivèrent ainsi dans l’Iran en amenant avec eux Ferenguis mère de Kbosrou. Thous et Gouderz eurent alors une querelle, parce que Thous voulait assurer la succession du trône à Feribourz, fils de Kaous ; mais Keï Khosrou l'emporta sur lui, parce qu'il parvint à s'emparer du château de Bahman, et succéda à son père Keï Kaous encore du vivant de celui-ci.

Salomon était (du temps de Keï Kaous) prophète et roi de Syrie, et l'on raconte que Kaous lui demanda d'ordonner aux divs de s'employer à ses bâtisses ; et les magnifiques édifices qui se trouvent dans le Farsistan, le monument que l'on appelle le trône de Salomon, et d'autres bâtisses, ont été faits par eux pour Keï Kaous, selon le récit de Tabari. D'autres disent que Salomon vécut du temps de Keï Khosrou. Hamzah d'Ispahan réfute cette origine du trône de Salomon ; car il raconte, dans son ouvrage, que l’image du sanglier[78] se trouve souvent répétée sur les sculptures de cet édifice ; or il n'y a pas d'animal qui soit plus en horreur aux Juifs que le sanglier. On y voit aussi beaucoup d'inscriptions en pehlevi, et (Ispahani) dit qu'on y amena un jour un mobed qui savait les lire et qui indiqua qu'elles signifiaient que cet édifice avait été bâti par Djamschid dans, telle année et tel mois. Ces paroles et beaucoup d'autres y sont écrites en pehlevi ; mais je ne peux ici en indiquer le sens, car je ne connais pas ces caractères, et la forme des sculptures ne laisse pas deviner le sujet. On appelle ce monument Hezar soutoun (les Mille colonnes). On trouve d'autres monuments avec des inscriptions et des sculptures du temps de Thahmouras. Il aurait été difficile d'exécuter ces travaux par la force des hommes ; mais Djamschid et Thahmouras avaient à leurs ordres les divs, à l'exception des oiseaux et du vent, qui n'ont jamais obéi qu'à Salomon parmi tous les êtres créés. Voici ce que j'ai trouvé dans des livres, mais Dieu sait la vérité.

Keï Kaous bâtit encore à Babylone un édifice qui s'élevait haut dans l'air, et l'on dit qu'on lui donnait le nom d'Akarkoub.[79] Quelques uns disent qu'on appelle les ruines de cet édifice Teli Nimroud (la tour de Nimrod), mais communément on le désigne sous le nom de Teli Karkoub. Je l'ai vu, et quelques-uns lui donnent le nom de Serh, mot que les Arabes ont emprunté de la langue des Nabatéens de l'Irak, qui appellent un palais Serha. Keï Kaous mourut dans le Farsistan, après qu'Afrasiab eut été mis à mort.

Keï Khosrou.[80] — Son règne dura soixante, ou, selon d'autres, quatre-vingts ans. Il commença par venger la mort de son père, et envoya Thous fils de Newder, dans le Turkestan où la violence de Thous fit périr Firoud, frère de Keï Khosrou. Les Iraniens attaquèrent les Turcs, furent défaits et revinrent. Soixante et dix fils de Gouderz furent tués dans ce combat, que l’on appela le combat de Peschen. Keï Khosrou avait rappelé Thous avant que l'armée fût de retour, et l'avait jeté dans les fers.[81] Rustem intercéda pour lui et lui fit rendre la liberté. Alors Thous réorganisa l'armée et partit pour le Turkestan ; mais les Iraniens furent battus de nouveau et se réfugièrent sur le mont Hemawend, d'où ils demandèrent secours au roi. Keï Khosrou envoya Rustem qui tua un grand nombre des principaux personnages parmi les Turcs : on appela cette bataille le combat de Kamous. C'est là que Rustem jeta par terre Pouladwend.[82] Afrasiab fut battu par Rustem et les Iraniens revinrent victorieux dans l'Iran. Ensuite vint l'histoire du div[83] Akvvan, qui fut tué par Rustem, et la défaite d'Afrasiab qui était venu avec un cortège voir ses troupeaux de chevaux.

Quelque temps après, Bischen[84] envoya Guiv et Gourguin, fils de Milad, pour tuer des sangliers. A cette occasion la fille d'Afrasiab devint amoureuse de Bischen, l'enleva par ruse et remmena dans le Turkestan. Lorsque sa présence y fut connue, on l'enchaîna dans une caverne après beaucoup d'aventures, et après que l'Iran, fils de Wiseh, eut intercédé pour lui. Keï Khosrou consulta là-dessus Rustem qui finit par partir pour le Turkestan avec quelques-uns des grands déguisés en marchands. Il ne fut pas reconnu, tira Bischen de la caverne, attaqua Afrasiab dans la nuit, et repartit le matin pour l'Iran. Ensuite Keï Khosrou se décida à en finir avec Afrasiab,[85] et leva quatre grandes armées dont il confia la première à Lohrasp, le fils de son oncle, qu'il envoya avec les princes de la famille des Keïanides à Derbend, dans le pays des Alains, et dans les pays des khazars, des Busses et des Bulghars ; il confia la seconde armée à Faramourz, fils de Rustem, qu'il envoya vers l'Hindoustan ; il donna la troisième à Aghousch Wehadan, roi de Ghilan, qu'il envoya avec Kustehem, fils de Newder, vers le Kharezm et les pays environnants ; enfin il confia la quatrième à Gouderz ; fils de Keschwad, qu'il envoya avec d'autres généraux sur le bord du Djihoun. Lohrasp tua quelques-uns des rois (contre lesquels il avait été envoyé) et soumit le reste. Faramouz entama l'Hindoustan, tua des ennemis sans nombre et envoya le Raja à la cour de Khosrou. Schideh, fils d'Afrasiab, s’avança contre Aghousch, et Guersiwez, frère d'Afrasiab, battit Aghousch qui se retira de Bokhara, et qu'Afrasiab poursuivit jusqu'à Merv. Keï Khosrou arriva de Gourgan pour venir à l'aide d'Aghousch, qui était revenu de Bokhara ; Rustem les suivit en toute hâte, et ils finirent, après mainte aventure, par battre Afrasiab. Gouderz[86] fut combattu par Piran, fils de Wiseh, et alors eut lieu la bataille qu'on appelle le combat des douze héros, dans laquelle Piran, ses frères, fils et parents, périrent tous. Keï Khosrou y arriva dans la même semaine, et l'on amena devant lui les morts attachés sur des chevaux. Il appela alors à Balkh toutes ces, quatre armées qui avaient mis huit ans à vaincre leurs ennemis. Il fit à Balkh la revue de ses troupes, et se mit en marche contre Afrasiab avec une armée innombrable. On appela cette campagne la guerre de Bezkel (?). Afrasiab fut une fois mis en fuite dans le Kharezm, et Khosrou se battit en personne contre son oncle Schideh,[87] qui portait aussi le nom de Pescheng, et le tua. Une autre bataille fut livrée à Gulzerrioun, après laquelle Afrasiab se réfugia à Gueng Diz et lorsque Khosrou se fut emparé de cette ville, il s'enfuit de nouveau et surprise quelque temps après (le camp iranien) pendant la nuit ; mais Rustem était sur ses gardes et tua un grand nombre (de Touraniens). Afrasiab s'enfuit, traversa les mers de Zereh et de Kaïmal,[88] et personne ne put indiquer ses traces. Keï Khosrou parcourut longtemps le monde sans trouver aucun indice d'Afrasiab, jus : qu'à ce qu'à la fin un ermite, nommé Houm, le saisit dans une caverne sur les frontières de Djis et d'Aran. Afrasiab s'échappa de ses mains et se réfugia dans l'eau, où on le saisit de nouveau. Khosrou le tua sur la place ; ensuite il remit l'empire à Lohrasp et partit, et personne ne le revit.

Il y a à Ispahan une montagne appelée Sourkh Kouschid ; Keï Khosrou y bâtit un grand temple de feu et y établit le feu Kouschid ; il en établit encore d'autres, comme dans le Gourguin, où il bâtit Abad Kedjin,[89] et en beaucoup d'autres endroits ; il rétablit dans l’Azerbaïdjan le temple de feu Diz Bahman, qui avait été détruit.[90]

Lohrasp. — Son règne dura cent vingt ans. Il suivit les formes et les principes du gouvernement, tels que Keï Khosrou les avait établis. Son fils Gustasp[91] le quitta en colère avec quelques-uns de ses affidés ; son frère aîné Zerir le ramena par ses bons procédés. Il[92] envoya Bakhtinasr dans la Syrie, pour faire la guerre aux Juifs, et celui-ci détruisit Jérusalem et fit périr ou emmena toute la nation juive. Bakhtinasr était le même que Rehham, fils de Gouderz, ou, selon Hamzah Ispahani, le même que Nouscheh, fils de Wiwin, fils de Gouderz ; selon d'autres encore, c'était Wiwin, fils de Gouderz lui-même. Dieu connaît la vérité.

Plus tard,[93] Gustasp, mécontent de ce que son père ne voulait pas lui donner un gouvernement, se rendit de nouveau et seul dans le Roum, où il fit des actions merveilleuses et devint à la fin gendre du Kaïsar. Gustasp avait adopté le nom de Farroukhzad ; il alla, pour rendre service au Kaïsar, faire contre Elias, roi des Khazars, une guerre dans laquelle il fut victorieux. Le pouvoir du Kaïsar s'en accrut tant qu'il finit par envoyer, sur la demande de Gustasp, des ambassadeurs à la cour de Lohrasp, pour exiger de lui un tribut. Lohrasp envoya une armée sous Zerir pour combattre le Kaïsar. Zerir apprit l’histoire de Gustasp et le ramena (en Perse). (Lohrasp) abandonna alors à Gustasp la couronne et le trône et se retira dans le Noubehar de Balkh, où il se livra à l'adoration de Dieu dans le temple de feu, jusqu'à ce que le Turc Ardjasp, petit-fils d'Afrasiab, amenât une armée à Balkh et livrât une bataille dans laquelle Lohrasp fut tué.

Lohrasp acheva les fortifications de la ville de Balkh que Keï Khosrou avait commencées, et fit de nouvelles constructions dans l'intérieur de la ville. Il bâtit dans le pays des Alains, pendant qu'il y séjournait, une grande muraille sur le haut de laquelle il fit construire mille maisons pour les mille hommes qui y étaient de garde chaque nuit. Je donnerai, si Dieu le permet, les détails de cela en son lieu, car ceci n'est qu'un abrégé.

Gustasp. — Son règne dura cent vingt ans. Zerdouscht se présenta au commencement de son règne devant lui, le convia (à changer de religion), établit le culte du feu, fixa la règle de la foi et fit des miracles, jusqu'à ce que Gustasp se convertît. On dit[94] qu'il se coucha tout nu sur le dos, fit fondre dans quatre creusets dix rotls d'airain, les fit verser sur sa poitrine nue et refroidir sur elle goutte à goutte sans que son corps et sans qu'un seul poil fût brûlé. Hamzah Ispahani dit que ce miracle fut fait par un homme nommé Aderbad, sons le règne des Sassanides. Dieu sait ce qui est vrai.

Gustasp avait un jeune fils, Isfendiar, qui soumit les hommes avec son épée, les força d'adopter la religion de Zerdouscht, et établit des temples de feu dans tous les pays. Ensuite il livra à Ardjasp une bataille dans laquelle Zerir fut tué ; à la fin Isfendiar mit en fuite Ardjasp. Plus tard Gustasp chargea Isfendiar de fers et l'enferma dans la forteresse de Gounbedan qui est le même endroit que Guird-kouh, et il y resta jusqu'à ce qu’Ardjasp eût tué Lohrasp. Gustasp se trouvait alors dans le Séistan où il jouissait de l'hospitalité de Rustem, fils de Zal. Il partit pour la guerre contre Ardjasp, mais il y fut réduit à la plus grande détresse, perdit trente et quelques-uns de ses fils, et se réfugia sur une montagne, jusqu'à ce que son oncle Djamasp partît, brisât les fers d'Isfendiar et l'amenât après beaucoup de supplications. Isfendiar mit en fuite Ardjasp, se rendit par le chemin de Haft khaneh dans le Turkestan, et s'empara par ruse de Rouin Diz ; il battit Ardjasp et ramena à son père sa sœur qu'Ardjasp avait emmenée de Balkh.

Isfendiar demanda ensuite à son père un gouvernement, et Gustasp finit par l'envoyer dans le Séistan pour faire prisonnier Rustem. Djamasp le sage dit qu'il trouverait la mort de la main de Rustem. Isfendiar se rendit contre son gré dans le Séistan, et Rustem offrit de céder son trône et sa couronne et de paraître devant le roi ; mais il ne voulut pas être enchaîné. A la fin ils se combattirent ; une flèche perça l'œil d'Isfendiar, et il en mourut après avoir confié à Rustem par ses dernières paroles son fils Bahman. Vers la fin de sa vie, Gustasp demanda à Rustem de lui envoyer Bahman, ce que Rustem fit en lui donnant un équipage royal. Gustasp le déclara son successeur, partit pour la frontière de Balkh et y mourut.

On compte parmi les constructions que Gustasp a fait élever une ville triangulaire à laquelle il donna le nom de Rameschasan, et que l'on appelle aujourd'hui Besa.[95] Cette ville triple fut ruinée du temps de Hedjadj, fils de Iousouf, et abandonnée à Azadmard Kamkar (?). Gustasp fonda le bourg de Nemiwer,[96] dans le district d'Anar, et y construisit un grand temple de feu qu'il dota richement. Isfendiar bâtit une muraille contre les Turcs, à vingt farsangs au delà de Samarkand, et fit placer dans l'eau de fortes chaînes de fer, pour que les Turcs ne pussent la passer. Partout où ce prince trouva des temples d'idoles il les détruisit, et fit construire à leur place des temples de feu.

Bahmam.[97] — Son règne dura cent douze ans. Il épousa d'abord, sur la demande et l'ordre de Rustem, la fille de Sour, roi de Kaschmir, dont le nom était Kusaioun. Ensuite il livra, par amour pour elle, ses trésors et ses armées à un certain Loulou, qui était venu avec elle du Kaschmir. Loulou corrompit avec de l'argent et des présents tous les grands, et trama une conspiration pour s'emparer de la personne de Bahman. Celui-ci en eut nouvelle, s'enfuit avec Barin, un saint homme que Rustem lui avait envoyé, et se rendit en Egypte, où il épousa, après beaucoup d'aventures, la fille du roi. Il emmena de là une armée, arracha l'empire des mains de Loulou, mit à mort Kusaioun, pardonna à Loulou sur l'intervention des grands, et l'exila de l'empire. A cette époque Rustem et Zewareh furent tués par la ruse de Scheghad et du roi de Kaboul, qui avaient fait creuser un fossé. Bahman, lorsqu'il apprit cet événement, se livra à sa douleur ; ensuite il entreprit de venger Isfendiar, mena une armée dans le Séistan, et livra plusieurs batailles. Il fut d'abord battu et obligé de revenir ; mais à la fin il obtint la victoire, et Faramourz se réfugia dans l'Inde. Bahman s'empara de Zal : il fit construire en fer une espèce de cage dans laquelle il plaça Zal, et le traîna avec lui sur le dos d'un éléphant, jusqu'à ce que Faramourz fut tué dans le Kaschmir. On dit qu'un écart de son cheval fit tomber Faramourz dans un fossé où il fut noyé. Dans tous les cas, Bahman le fit attacher, après sa mort, au gibet. Le Livre des rois[98] dit qu'il le fit pendre vif : Dieu sait la vérité.

Ensuite Bahman résolut de détruire les tombeaux de Sam et de Rustem, et de faire brûler leurs cadavres pour les détruire entièrement. Il reçut alors la nouvelle qu'Aderbèrzin arrivait de Hamadan à l'aide de son père Faramourz ; Bahman le surprit et le fit prisonnier au moment où il débarquait de la mer, prenant le camp de Bahman pour celui de son père : on le jeta dans les fers, et Bahman s'en retourna dans le Séistan, fit remettre les palais de Zal et de Rustem dans leur état primitif, et renvoya Zal dans son palais, avec ses filles Zerbanou et Gouschasphanou, et les enfants de Zewareh. Il envoya Aderberzin dans une forteresse ; mais Rustem fils de Tour du Ghilan, s'en empara sur la route. Une armée se rassembla autour de Rustem, qui livra à Bahman des combats innombrables, assiégea Bahman dans le Gourgan et fit à la fin la paix avec lui. Aderberzin devint le Pehlewan (le connétable) de Bahman. Plus tard, Bahman fut mordu par un serpent à Dirkedjin,[99] entre Reï et Ispahan. Il donna, par ses dernières volontés, la succession au trône à sa fille Tchehrazad, qui est connue sous le nom de Homaï. D'autres disent qu'il mourut de mort naturelle. On raconte aussi que Bahman tint pendant longtemps Zal enfermé dans une forteresse, où il composa quelques livres sur la vie des membres de sa famille, et sur les vices et les défauts de Gustasp et de cette famille.

Bahman bâtit, entre autres villes, celle d'Abadi Ardeschir, dans le Sewad, à laquelle les Nabatéens donnent le nom de Hemianian ; ensuite le Néran supérieur et Behestan dans (le district de) Bahman Ardeschir, que l'on appelle (maintenant) Forati Basrah. Il fit rebâtir Jérusalem, et en jeta un jour les fondements au moment du lever du soleil et de son passage par le pôle. Il jeta les fondements de trois autres villes au coucher du soleil ; il y fit bâtir des édifices qu'il donna aux Hirbeds (prêtres). La première fut appelée Ardeschir ; elle se trouve du côté du château de Marfanan (?) ; la seconde fut appelée Zerwari Ardeschir ; elle est située dans le canton de Darek et dans le district de Berkhar ; la troisième porte le nom de Mihri Ardeschir, dans le canton d'Ardestan.

Homaï Tchehrazad. Son règne dura trente ans. Elle établit sa résidence à Balkh. On dit qu'ayant mis au monde un fils, elle le confia à un mobed ; mais l'histoire telle qu'on la raconte ordinairement, est qu’elle le plaça dans une caisse et le fit jeter dans l'eau, où un meunier finit par le trouver, et lui donna le nom de Darab.

Homaï envoya, dans le pays de Roum, une armée qui fut victorieuse et ramena beaucoup de captifs dont elle se servit pour ses constructions. Elle fonda, dans le Farsistan, trois villes : la première, du côté de Hezaran Oustoun, c'est-à-dire d'Istakher ; la seconde, nommée Khehin, sur la route de Darab guird ; enfin, la troisième sur la route du Khorasan, dans le district de Kimreh, et l'on dit que c'est l'endroit qu'on appelle aujourd'hui Tcheh. Cette dernière ville était une de celles qu'Afrasiab avait détruites : Alexander les dévasta toutes les trois. Homaï fit mettre sur les monnaies d'or et d'argent qui furent frappées pendant son règne : « Jouis, ô reine du monde, pendant mille ans du printemps et de l'automne. » Ayant retrouvé son fils, elle lui remit le gouvernement et mourut dans la province de Fars.

Darab. — Son règne dura douze ans, ou, selon d'autres, quatorze. Quelque temps après son avènement au trône, Filikous, roi de Roum, lui déclara la guerre ; ils firent plus tard la paix, et Darab épousa la fille de Filikous, mais la renvoya, quelque temps après, à Roum. Les Persans disent qu'elle était alors grosse d'Alexandre. Parmi les villes qu'il a fondées est Darabguird, dans le Farsistan : le district où cette ville est située en a pris son nom, qui, auparavant, était Aspan Fergan. Darab mourut dans le Farsistan.

Dora, fils de Darab. — Son règne dura quatorze ans, ou selon une autre tradition, seize. Il eut des guerres à soutenir contre Alexander le Grec (Iskender Roumi), et essuya quelques défaites. Les Grecs firent une invasion dans l'Iran, et (les Persans) demandèrent du secours à Four, roi des Indiens. On avait pensé, en Perse, à faire la paix avec Alexander et à se soumettre à lui ; mais l'espoir de l'aide des Indiens fit rejeter ce plan, lorsque Djanousiar et Mahiar frappèrent inopinément, dans la nuit, Dara de quelques coups d'épée et le laissèrent gisant par terre. Ils étaient les gardes particuliers du roi, et, selon quelques-uns, ses ministres. Dans ce moment Alexander arriva, serra la tête de Dara contre sa poitrine et pleura. Dara lui recommanda, dans ses dernières volontés, d'épouser sa fille Rouscheng et de protéger les Iraniens ; ensuite il mourut.

Dara avait, du temps de sa guerre contre Alexander, fait beaucoup de constructions dans le château de Hamadan, et y maintenait une garnison comme garde de ses trésors, de ses femmes et de ses enfants, comme je dirai en détail dans le livre[100] sur Hamadan. Il fonda une ville au-dessus de Nisibin, que l’on appela, d'après son propre nom, Daran : elle existe encore sous le nom de Daria. Il peupla, dans le Farsistan, un nouveau canton, et fonda beaucoup de villages. Dieu connaît la vérité.

Sekander Roumi. — Son règne dura quatorze ans, ou, selon d'autres, vingt-deux : il est possible de concilier ces deux chiffres en comptant (les quatorze ans) pour le temps qu'il a régné sur l'Iran, de même que nous avons compté plus haut à Afrasiab douze ans de règne entre Minoutchehr et Keï Khosrou. Or, Sekander est allé dans l'Occident et dans l'Orient, traversant le monde entier, soumettant les rois, et mettant sous ses pieds la terre et la mer, ce qui ne peut se faire que pendant une longue vie : Dieu sait ce qui est vrai. Sekander ayant placé Dara dans un tombeau, s'empara par une ruse de ses assassins et les fit pendre. Il demanda après cela la main de Rouscheng, ce qui le rendit très aimé chez les Iraniens. De là, il partit pour l’Hindoustan, où il tua de sa main Four. Le prince indien Keid demanda la paix, et lui envoya sa fille, un médecin, une coupe et un philosophe qu'il lui avait demandés, parce que personne dans le monde n'avait rien de semblable à ces quatre merveilles. Ensuite il quitta ce pays et marcha contre (la reine) Keidafeh, avec laquelle il conclut à la fin la paix. Tous les rois de l'Orient se soumirent à lui, après qu'il en eut tué quelques-uns. Tous ces événements seront racontés en détail si Dieu le permet. Après la guerre contre Darab, Sekander parcourut l'Occident d'un bout à l'autre, jusqu'à ce qu'il arrivât à l'endroit où le soleil se couche, comme le prouve un verset du Coran. Ensuite il fit bâtir la muraille de Yadjoudj et de Madjoudj ; on la fit en briques de fer entre lesquelles on plaça du plomb, du cuivre et un mélange (d'autres métaux), de la manière que les architectes du Roum savent le faire ; ensuite on y appliqua le feu, jusqu'à ce que tout fût fondu et formât une masse solide. Cet événement est attesté par la parole de Dieu, dans la sourate de la Caverne.[101] Alexander fit placer sur cette muraille, lorsqu'elle fut achevée, l'inscription suivante : « Au nom de Dieu, le glorieux, le sublime ! Cette muraille a été bâtie à l'aide de Dieu, et elle durera ce que voudra Dieu. Mais lorsque huit cent et soixante ans du dernier millier seront passés, cette muraille se fendra dans le temps des grands péchés et crimes (du monde), et de la rupture des liens du sang et de l'endurcissement des cœurs, et il sortira de cette muraille une multitude d'hommes de ce peuple, telle que Dieu seul en saura le nombre. Ils atteindront le coucher du soleil, et ils dévoreront tout ce qu'ils trouveront de nourriture et de fruits, jusqu'à ce qu'ils se jettent sur l'herbe sèche et les feuilles des arbres. Ils épuiseront toutes les rivières qu'ils traverseront, de manière à n'y pas laisser une seule bouchée d'eau. Quand ils auront atteint le pays de Sabous, ils périront tous, jusqu'au dernier, selon l’ordre de Dieu. »

Sekander fonda douze villes : Iskanderieh, en Egypte, dont les bâtiments sont étonnants et où il construisit le phare dont Belinas, qui vivait de son temps, confectionna le talisman ; ensuite Merv, dans le Khorasan, et la ville de Sedreh ; sur le bord de la mer, et celle de Mekr, dans la Chine : on dit aussi que la ville d'Abher et le château d'Ispahan datent de lui. Il en fit bâtir d'autres dans les pays de Roum, de Misan, de Samarkand, de Babylone, et dans beaucoup d'autres pays. Les Persans nient ce qui regarde les villes (qu'il aurait fondées) dans l'Iran, et disent qu'il a détruit la ville de Merv au lieu de la bâtir ; mais j'ai trouvé dans quelques livres ce que je viens de dire. Vers la fin de sa vie il établit, d'après le conseil d'Aristote le sage, dans toutes les provinces de l'Arabie et de l'Iran, des rois qui, tous, étaient indépendants l'un de l'autre, et a qui il donna le nom.de rois des tribus (molouki thewaïf), et[102] que les Arabes appellent les tribus et les maîtres (afya wa souna). Le but d'Aristote en cela était de faire que personne ne fût en état de faire une invasion dans le pays de Roum pour se venger (de la conquête de l'Iran). Sekander mourut à Zouz (Suse), et son corps fut transporté à Iskanderieh : quelques-uns disent qu'il mourut dans cette dernière ville. Les philosophes grecs parlent beaucoup de la sagesse, des sentences et du cercueil d'Iskander, leurs récits ont été traduits en arabe, et Firdousi en a traduit une partie en vers, comme je le dirai en son lieu, si Dieu le permet.

Ainsi, la dynastie des Keïanides consistait en dix rois, Sekander Roumi compris : elle a régné pendant sept cent trente-deux ans. On dit qu'après Sekander tous ses ministres et ses grands officiers se rendirent indépendants pendant soixante et douze ans ; mais je n'ai pas trouvé une histoire détaillée de ces princes, et qui aurait donné un récit de leurs règnes tel qu'on doit le désirer.

 

LA DYNASTIE DES ASCHKANIDES OU DES MOLOCKI THEWAÏF.

D'après une tradition, cette dynastie forme onze générations de rois ; mais les listes de leurs noms ne s'accordent pas entre elles : ainsi on parle de Gouderz le Grand et Gouderz le Petit, de Widjen et de quelques autres. Le Mobed Bahram suit une autre tradition, et énumère dix-huit rois : j'en parlerai (plus tard) en détail. Voici sa liste :

Aschek, fils de Dara, fils de Darab ; il régna dix ans.

Aschek, fils d'Aschkanan ; il régna vingt ans.

Schapour, fils d'Aschek ; il régna soixante ans.

Bahram, fils de Schapour ; il régna quinze ans.

Balasch, fils de Bahram ; il régna onze ans.

Hormouzd, fils de Balasch ; il régna dix-neuf ans.

Nouscheh, fils de Balasch ; il régna quarante ans.

Hormouzd, régna dix-sept ans.

Balasch, fils de Firoud ; il régna douze ans.

Khosrou, fils de Falazan ; il régna quarante ans.

Balaschan ; il régna vingt-quatre ans.

Ardewan, fils de Balaschan ; il régna seize ans.

Ardewan le Grand, fils d'Aschkan ; il régna vingt-trois ans.

Khosrou, fils d'Aschkanan ; il régna trente ans.

Aferid, fils d'Aschkanan ; il régna quinze ans.

Balasch, fils d'Aschkanan ; il régna trente ans.

Nouscheh, fils d'Aschkanan ; il régna vingt ans.

Ardewan le Petit ; il régna trente et un ans.

La dynastie des Aschkanides occupa le trône en tout pendant quatre cent onze ans, et tous ceux qui ont de la parenté avec Aschkan sont de la descendance de Dara, fils de Darab. Je raconterai (plus tard) ce que j'ai trouvé sur le sort de ces princes, si Dieu le permet.

Schapour, fils d'Aschek. — Il était de la famille des Aschkanides, et fit une expédition contre…[103] qui était fils de Zerwan, fils d'Aschghan, et vécut du temps d'Isa (Jésus-Christ) ; ensuite Schapour marcha contre le pays de Roum, et y fit une invasion. Antiochus était alors troisième roi de Roum depuis Sekander. Schapour emmena de Roum beaucoup de captifs, qu'il fit mettre sur des vaisseaux, et ensuite noyer en vengeance de Dara. Il rapporta beaucoup de choses précieuses que Sekander avait envoyées à Roum, et fit ouvrir le Nahr al Melik,[104] entreprise dans laquelle il dépensa une grande partie des trésors (qu'il avait rapportés).

Gouderz, fils d'Aschek. —Il fit une invasion dans la Judée, après la mort de Iahia, fils de Zakariah, et dévasta Jérusalem pour la seconde fois ; Bakhtnasr l'avait fait avant lui, et avait tué et emmené en captivité beaucoup de Juifs. Après Gouderz, Thithghous, fils d'Asfesanoun (Titus, fils de Vespasianus), en tua, quarante ans après la mort du Messie, une quantité innombrable, en emmena un grand nombre en captivité, et dévasta le pays.

Balasch, fils de Khosrou. — Il apprit que les Romains voulaient envoyer une armée pour faire une invasion dans le pays des Persans, et écrivit sur-le-champ des lettres dans lesquelles il demanda aux Molouki thewaïf des secours. Chacun d'eux lui envoya des trésors et des soldats sans nombre, de sorte qu'il devint fort puissant ; ensuite il envoya le prince de Hadhr[105] (dont la famille possédait, sous la suzeraineté des Molouki thewaïf, une principauté sur la frontière de Roum) contre les Romains, en le nommant général en chef. Il vainquit l'armée romaine, tua l'empereur, et revint dans l'Irak avec un butin immense et beaucoup de prisonniers Les Romains cessèrent alors de faire de la ville de Rome le siège du gouvernement, et bâ tirent une ville fortifiée pour avoir leur capitale près de la frontière de Perse. Ils choisirent l'endroit où se trouve maintenant la ville de Costantinieh. Leur empereur était alors Costantin, fils de Néron, qui donna à la nouvelle ville son nom. Il fut le premier empereur de Rome qui embrassa la religion chrétienne, à laquelle il convertit aussi ses sujets. Il persécuta les Juifs et les bannit de Jérusalem, ville dans laquelle aucun d'eux n'a pu revenir jusqu'au moment actuel.

Ardewan fut le dernier des Aschkanides.

suite


 

[1] Le seul manuscrit connu de cet ouvrage se trouve à la Bibliothèque royale, man. persans, ancien fonds, no 62.

[2] Fol. 8 v.

[3] Voyez Price, Retrospect., vol. II, p. 364.

[4] Il mentionne, sous le règne de Balasch (fol. 48 r.), un monument de ce roi, qui se trouvait sur la frontière de notre province. La phrase immédiatement suivante prouve que remplacement de ce monument était dans les environs de Balaschguird. Il y avait effectivement une ville de Balashguird dans l'Irak, entre Kerman-schah et Hamadan (voyez le Mérasid de Soyouthi), et c'est probablement l'endroit dont veut parier l'auteur ; mais cette indication n'est pourtant pas suffisante parce qu'il y avait des villes du même nom dans d'autres provinces de la Perse, comme dans la Bactriane et le Kerman

[5] Man. fol. 223 r.

[6] Voyez le Livre des Rois, vol. I, préface, p. lii.

[7] Ce nom est effacé dans le manuscrit, mais comme l'auteur le cite plus tard à plusieurs reprises, il ne peut y avoir aucun doute sur la manière de remplir la lacune.

[8] Ces lignes étaient écrites il y a deux ans, et j'allais livrer mon travail à l’impression lorsque j'ai appris que M. Quatremère voulait faire paraître une notice sur le Modjmel. Je suspendis alors la publication de ces extraits que je reprends maintenant, parce que j'ai vu que M. Quatremère n'avait eu principalement en vue que la dynastie des Sassanides. J'omets, pour ne pas répéter ce que le lecteur du Journal connaît, les tables chronologiques qui composent les chap. ii-vii, et qui se trouvent dans la notice de M. Quatremère (Journal asiatique IIIe série, t. VII, p. 246 et suiv.).

[9] Il me semble qu'il faut lire Khoda Sameh au lieu de Tchenah Nameh, car ce dernier mot n'a pas de sens, pendant que Khoda Nameh (Livre des Kois) était le titre commun des anciens récits épiques des Persans. Voyez plus tard le Modjmel al-Tewarikh, ch. ix, sect. 3 au commencement, et ma préface du Livre des Rois, t. I, p. x. Au reste, il ne peut y avoir aucun doute sur la nature de ces ouvrages, et l'on verra plus tard que ce sont les mêmes que les poèmes épiques dont nous possédons encore une partie.

[10] Voyez, sur cette expression, la note de M. Dubeux dans sa traduction de Tabari, t. I, p. 6.

[11] Voyez les contes sur Og dans Tabari.

[12] Ce passage est fort obscur, le sens paraît en être que la terre était placée au commencement plus haut dans le firmament, et qu'après trois mille ans elle descendit à sa place actuelle. Anquetil, qui a traduit ce chapitre (Zend-Avesta. t. II, p. 352, note), suppose une omission dans le texte et traduit : lorsque (Dieu) envoya (des êtres) en bus, mais cette correction n'est pas heureuse, car il n'est question de la création d'êtres vivants que plus tard.

[13] Voyez sur le riwas, Hyde, de Relig. vet Persarum, p. 511 et suiv., et Abdallatif, publié par M. de Sacy, p. 417.

[14] Anquetil traduit la terre, les plantes et l'herbe, mais il n'y a aucune nécessité de rien changer au texte.

[15] Voyez le Livre des Rois, t. I, p. 32.

[16] Toute la généalogie entre Djamschid et Guerschasp est tirée du Guerschasp Nameh. Voyez le manuscrit de cet ouvrage, Bibl. royale, fonds Anquetil, n° 84, p. 25-6i. Macan, dans son édition de Firdousi, a imprimé ce morceau dans l'appendice, p. 2109-2133.

[17] Le ms. écrit, le Guerschasp Nameh.

[18] Ces noms prouvent que l'auteur a suivi ici une tradition déjà très corrompue ; je ne sais d'où il l'a prise : ce n’est pas dans le Sam Nameh qui parle longuement du mariage de Sam, mais où tous les noms sont différents.

[19] Cette généalogie de la famille de Rustem est tirée du Bahman Nameh.

[20] Voyez le Livre des Rois, t. I, p. 78.

[21] Firdousi l'appelle Firanek ; voyez t. I, p. 78.

[22] Selon d'autres, c'étaient des filles de Djamschid ; les mss. de Firdousi varient beaucoup sur ce point. Voyez le Livre des Rois, t. I, p. 98.

[23] Voyez Aboulféda, texte arabe, édition de MM. Reinaud et de Slane, p. 62, et Edrisi, traduction de M. Jaubert, p. 161.

[24] Voyez le Livre des Rois, t. I, p. 164.

[25] Nom illisible.

[26] Livre des Rois, tom. I, p. 382 et suiv.

[27] Voyez la Géographie d'Aboulféda, texte arabe, p. 55.

[28] Peschen était fils de Guiv, fils de Keschwad, et a donné son nom a un combat célèbre entre les Iraniens et les Touraniens.

[29] Le texte donne oncle, ce qui est faux uns doute ; car, selon l’une des traditions, Lohrasp était petit-fils, selon l'autre arrière petit-fils de Keï Khosrou. Il faut peut-être lire : Keï Khosrou était oncle de la mère de Lohrasp. ».

[30] Voyez l'édition de Calcutta, p. 1228.

[31] Voyez l'édition de Calcutta, p. 1247. Ce vers prouve que l’on prononçait également pehloui et pehlevi, et montre que la dérivation qui fait venir pehlewi de pehlou, « la frontière, » est parfaitement légitime.

[32] Voyez Firdousi, édit. de Calcutta, p. 1248.

[33] Ibid. p. 1265.

[34] L'auteur de l’Iskender Nameh, mentionné ici, est Abou-Thaher de Tartessus, qui a puisé dans la rédaction alexandrine des contes grecs sur Alexandre le Grand.

[35] Coran, sur. xviii, vers. 85 et suiv.

[36] L'auteur ne revient plus là-dessus, mais on peut voir les deux songes de Babek cher Firdousi, éd. de Calcutta, p. 1365.

[37] Ces pièces d'or paraissent avoir formé le col de la tunique. On voit sur les médailles des Sassanides souvent des portraits de rois avec des cols qui ont l'air d'être brodés de cette façon ; les femmes, en Mésopotamie, portent des enfilades de monnaies sur le front et sur la tête. Firdousi (Livre des Rois. t. I, p. 266) cite aussi des dinars comme faisant partie de la toilette de Roudabeh.

[38] On trouve le détail de cette histoire dans Mirkhond ; voyez Antiquités de la Perse, par M. de Sacy, p. 283 et suiv.

[39] Weschi est une étoffe de soie fabriquée à Wesch, dans le Turkestan.

[40] Voyez Antiquités de la Perse, p. 291 et suiv.

[41] Ce que l'auteur dit de la couleur des couronnes s'applique à cette espèce de ballon en étoffe qui donne aux couronnes des rois Sassanides un aspect particulier, comme on peut le voir dans toutes les sculptures qui nous en restent et sur leurs médailles. Voyez, pour les sculptures, Ker Porter, et, pour les médailles, les Médailles des Sassanides, par M. Longperrier, qui donne d'excellentes représentations de toute la série.

[42] L’expression propre est une flèche à triple bois, c'est-à-dire une flèche dont le bois est trois fois plus gros que celui d'une flèche ordinaire. On trouve dans Firdousi (voy. le Livre des Rois, t. I, p. 418) que Zal, voulant faire connaître aux Touraniens son arrivée dans le camp des Iraniens, lança des flèches de cette espèce dans leur camp, et ils les reconnurent sur-le-champ parce que personne que Zal n'en lançait d’aussi grosses.

[43] Selon Mirkhond, il portait aussi le nom de l’ami de l’armée.

[44] L'auteur remarque cette circonstance probablement en opposition aux bottines d'or (de brocart d'or) que les princes de la dynastie des Keïanides et les grands seigneurs de ce temps portaient, au moins selon les poètes épiques. On voit, par un passage de Firdousi, que la permission de les porter était considérée comme une des plus grandes distinctions. Il raconte (édition de Calcutta, p. 545) que Thous, qui était de la famille des Keïanides, paraît devant Keï Kaous : « Thous arriva avec le Kawejani direfsch (l'étendard de l'empire), avec les timbales et les bottines d'or ; il les fit porter devant le trône d'or du roi, et les lui remit en baisant la terre et disant : Voici les timbales, les bottines d'or et le Kawejani direfsch qui porte bonheur ; regarde qui, dans l'armée, en est digne ; que) est le Pehlewan qui y a droit, et donne-les lui ; etc. » On porte encore aujourd'hui, dans les jours de cérémonie, à la cour de Perse, une espèce de bottes rouges.

[45] Voyez le Livre des Rois de Firdousi, t. I, p. 34.

[46] Ou plutôt Khodaï-boum, le maître de la terre en pehlewi.

[47] Ghirdabad passe communément pour être la même ville que Madaïn, je ne sais comment l'auteur les distingue. Je renvoie pour tout ce qui regarde la topographie fort compliquée de Madaïn à la traduction de la Géographie d'Aboulféda, que M. Reinaud est occupé à publier, et où il éclaircira cette partie importante de la géographie persane.

[48] Voyez le Livre des Rois, t. I, p. 52.

[49] Ce qui suit est tiré du Gustasp-nameh, et se trouve dans l'extrait de cet ouvrage imprimé par Macan à la suite de son texte de Firdousi, p. 2109 et suiv.

[50] Voyez une autre variante de la même tradition chez Mirkhond, traduction de Shea, p. 120.

[51] Voyez ce conte dans la traduction de Tabari, par M. Dubeux, p. 49.

[52] Voyez le Guerschasp Nameh, ms. de la Bibl. royale, p. 70.

[53] Ibid. p. 77 et suiv.

[54] Ceci est un exemple frappant de la manière dont les traditions antiques perdent leur caractère. Firdousi (Livre des Rois. t. I, p. 62 et suiv.) nous a conservé une rédaction plus ancienne de ce conte, d'après laquelle des serpents avaient poussé sur les épaules de Zohak, qui les nourrit de cervelle humaine. Il est difficile de fixer avec certitude le sens et l'origine de cette tradition. Zohak est le représentant d'une dynastie sémitique qui a remplacé en Perse la dynastie indienne, et renversé les institutions toutes braminiques de Djamschid, il est possible que l'horreur que le nouveau culte aux sacrifices sanglants, ou l'habitude de manger de la chair introduite par Zohak, devait inspirer au peuple, ait fait naître le mythe des serpents. Mais les Arabes, quand ils commencèrent à s'occuper de l'histoire des Persans, s'inquiétèrent peu de la base historique du récit, et s'appliquèrent à le rendre plus probable en changeant les serpents en ulcères, et leur nourriture de cervelles en onguent de cervelles. C'est Tabari qui paraît avoir fait le premier ce changement (voyez Tabari, p. 109), et la plupart des historiens musulmans n'ont fait que le copier (voyez Mirkhond, traduction de Shea, p. 126). C'est toujours ainsi que périssent les traditions ; il vient un temps de demi savoir où l’on n'est plus assez crédule pour admettre le sens littéral des mythes, et où l'on est encore trop ignorant pour les apprécier et pour remonter à leur origine. On croit alors faire œuvre de critique en les rendant plausibles, et en les convertissant en événements ordinaires qui ne blessent en rien la raison du lecteur, mais les traces de la vérité que contenait l'ancien récit disparaissent ordinairement sous cette opération.

[55] Je suppose que c'est la guerre qui est appelée dans le Guerschasp Nameh (p. 351 et suiv.) la guerre contre Afriki.

[56] Ce qui suit est tiré de Firdousi ; voyez le Livre des Rois, t. I, p. 68 et suiv.

[57] Je ne sais d'où l'auteur a tiré ce conte de l'île Bermoumïeh.

[58] Voyez sur cette tradition Ouseley, Travels, t. III, p. 172, 178.

[59] Voyez le Livre des Rois, t. I, p. 96. Ce vers de Firdousi a donné lieu chez les auteurs persans à une confusion continuelle entre Babylone et Jérusalem. Quand on lit avec attention tout le passage de Firdousi, on ne peut guère douter que l'auteur pehlewi qu'il suit n'ait voulu désigner Babylone sous le nom de Gangui Dizhoukht. Firdousi, qui veut donner le sens de ce nom, le traduit par Beit al-mokaddes, la ville sainte, ce qui est effectivement la signification de Dizhoukht en pehlewi (voyez houkht dans le sens de pur, saint, dans le Boundehesch, xv, 10). Mais Firdousi aurait dû se senir d'une autre expression qu’Al-Beit al-mokaddes, parce que, chez les musulmans, ce terme est consacré à Jérusalem, et cette traduction devait nécessairement induire en erreur tous les lecteurs du Livre des Rois.

[60] Je ne sais pas à quels auteurs l'écrivain fait allusion, car Schelim ou plutôt Schellim est dans la tradition épique un personnage différent de Zohak, et postérieur à lui. On le trouve par exemple comme antagoniste de Sam dans le Sam Nameh, fol. 359 et suiv. de mon manuscrit. Le mètre prouve qu'il faut lire Schellim, par exemple :

Schellim se leva devant le Div en disant : Sois le bienvenu, ô vaillant maître du monde !

[61] C'est encore un exemple de la manière dont on a renouvelé la tradition antique. Chez Firdousi (Livre des Rois, t. I, p. 116 et suiv.), c'est le Simurgh qui élève l'enfant, et tout ce récit a gardé chez lui son caractère ancien et sauvage ; mais la variante de l'ermite a eu un succès complet ; voyez Mirkhond, traduction de Shea, p. 167.

[62] C'est-à-dire l'Indus ; voyez l’Edrisi, trad. de M. Jaubert, t. I, 161, et Géographie d’Aboulféda, texte arabe, p. 62.

[63] Voyez le Livre des Rois, t. I, p. 381. La plupart des manuscrits disent sept ans, et c'est ainsi que j'ai imprimé à l'endroit cité, de même que M. Macan dans son édition. Au reste, ce n'est pas dans le texte de Firdousi qu'on trouve l'indication de la durée du règne de Newder, mais seulement en tête du chapitre, et la citation du Modjmel al-tevarikh est curieuse en ce qu'elle prouve que les têtes des chapitres existaient déjà du temps de l'auteur du Modjmel dans les manuscrits du Livre des Rois, et qu'il les attribuait à Firdousi lui-même.

[64] Je ne sais où l'auteur a pris cette tradition ; ce n'est pas dans le Sam-Nameh qui ne va pas jusqu'à la mort de Sara, ni dans Firdousi qui ne dit rien sur le pays où Sam mourut. Voyez le Livre des Rois, t. I, p. 394.

[65] Kohendiz est un nom générique signifiant citadelle d'une grande ville, mais qui est appliqué plus particulièrement aux citadelles de Nischapour, Samarkand, Merv, Hérat et Bokhara. Voy. la Géographie d'Aboulféda, texte arabe, p. 444.

[66] Je soupçonne dans cette phrase une faute du copiste, mais je ne sais comment la corriger.

[67] Keï Khosrou, quoique de la famille des Keïanides, était, du côté maternel, petit-fils d'Afrasiab, son père Siawusch ayant épousé la fille d'Afrasiab.

[68] Firdousi n'indique pas l'endroit où Afrastab fut mis à mort ; voy. l'édition de Macan, p. 986 et suiv.

[69] Voyez la généalogie de Guerschap, tirée du Guerschap Nameh, chez Macan, p. 2131. L'auteur du Modjmel confond au reste ici Guerschasp, fils d'Atreth, qui fonda la famille princière du Séistan, avec Guerschasp, fils et successeur de Zab (voyez le Livre des Rois, t. I, p. 440), on, selon d'autres, son frère et co-régent, voyez Mirkhond, traduction de Shea, p. 205.

[70] On peut voir dans le Livre des Rois, t. I, p. 434 et suiv. la raison qui me fait remplir ainsi la lacune que présente la phrase de l'auteur.

[71] Ce qui suit est tiré de Firdousi ; voyez le Livre des Rois, vol. I, p. 452 et suiv.

[72] Je ne sais d'où Bahram a tiré le reste de ce qu'il dit sur Keï-Kobad.

[73] Voyez la Géographie d'Aboulféda, texte arabe, p. 445.

[74] Tout ce qui suit, est tiré de Firdousi ; voyez le Livre des Rois, vol. I, p. 486 et suiv.

[75] Firdousi, Livre des Rois, t. II, p. 2 et suiv.

[76] Ce paragraphe paraît tiré de l'Histoire de Keï-Scheken, ouvrage épique dont l’auteur du Modjmel parle dans la préface, et qui est perdu.

[77] Ici reprend l'extrait de Firdousi.

[78] Hamzah veut probablement parler du grand bas-relief du Takhti-Bostan, qui représente une chasse au sanglier, et que Ker-Porter a fait graver, voyez Travels, vol. II, p. 175, pl. 63. Il est presque inutile de dire que ces sculptures et les inscriptions qui les entourent datent des temps des Sassanides, et que le mobed qui prétendait les expliquer, en imposait à ses auditeurs.

[79] On trouve dans le voyage de Ker-Porter, vol. II, p. 177, la description et plusieurs représentations de ce monument, qui porte encore aujourd'hui les deux noms mentionnés par le mobed Bahram. C'est au reste par erreur que Bahram attribue ce monument à un roi Keïanide, car il est incontestablement de construction Babylonienne.

[80] Cette vie de Keï-Khosrou est tirée de Firdousi, à peu d'exceptions près.

[81] Une glose marginale dit : « Parce que Thous avait tué Firoud, qui était frère de Keï-Khosrou, et fils de Siawusch et de la fille de Piran, que Siawusch avait épousée avant qu'Afrasiab lui eût donné sa fille. »

[82] Voyez l'histoire du div Pouladwend et de ses combats contre Rustem, dans Firdousi (éd. de Calcutta, p. 737 et suiv.).

[83] Une glose marginale dit : « Akwan est le div qui surprit Rustem pendant son sommeil, l’enleva avec la terre sur laquelle il était couché, et l’emporta dans l’air. Rustem finit par le tuer. » (Voyez ce conte dans Firdousi, édit. de Calcutta, p. 754 et suiv.)

[84] Voyez Firdousi, édit. de Calcutta, p. 754 et suiv.

[85] Le mobed paraît s'être servi ici des traditions sur Aghousch Wehadan, qui sont perdues aujourd'hui, mais dont l'auteur du Modjmel parle dans sa préface.

[86] Le récit de Firdousi reprend ici. (Voyez l'édit. de Calcutta, p. 870 et suiv.)

[87] La phrase de l'auteur est fort ambiguë, mais il ne peut y avoir de doute sur le sens, car Schideh était frère de Ferenguis, mère de Khosrou, et dans le Livre des Rois (éd. de Calcutta, pag. 966), il dit en s'adressant à Khosrou : « Si tu avais du sens, tu ne t'attaquerais pas à ton oncle. » C'est probablement ce vers que Bahram avait sous les yeux.

[88] Ce sont des mers orientales ; mais je ne sais pas si la tradition attachait une idée précise à ces mots, et si elle distinguait ces deux mers. Firdousi en parle d'une manière assez obscure ; par exemple (éd. de Calcutta, p. 966) il fait dire à Keï Khosrou : « Je couvrirai de mes troupes toute la Chine et le Mekran, je traverserai la mer de Kaimak (ou Kaimal, selon d'autres manuscrits), et quand la Chine et le Madjin me seront soumis, je ne demanderai aucun aide au pays de Mekran, je ferai traverser la mer de Zereh par mon armée, si le ciel me le permet. » Au reste, ce n'est pas la plus grande des difficultés qui se rattachent, dans ta tradition épique des Persans, au lac ou à la mer de Zereh, et je reviendrai plus tard sur ce sujet.

[89] Je suis indécis sur le sens de ce passage ; il y a peut-être une faute dans le manuscrit.

[90] Ce dernier paragraphe n'est pas tiré de Firdousi.

[91] Voyez Firdousi, éd. de Calcutta, p. 1031.

[92] Ceci est encore un exemple de la confusion introduite dans l'histoire ancienne de l'Orient par les historiens musulmans. La tradition persane ne reconnaissait dans l'Asie moyenne d'autre dynastie que celle des rois de Perse ; les Arabes acceptèrent cette base, mais étant obligés de parler de quelques-uns des rois de la Mésopotamie parce qu'ils les trouvaient dans l'histoire des Juifs, ils en firent des satrapes persans et les identifièrent avec des personnages de la tradition épique persane. Tabari est, je crois, le premier, qui ait identifié Nabuchodonosor avec un des fils de Gouderz. La raison de ce choix était probablement la circonstance que, selon la tradition, Gouderz était satrape héréditaire d'Ispahan et de la frontière occidentale de l'empire et avait soixante et dix-huit fils, ce qui permettait de faire un choix plausible et que ne contredisait aucune tradition.

[93] Ici reprend le récit de Firdousi.

[94] Ce passage est tiré d'une tradition des Guèbres que l’on retrouve dans plusieurs ouvrages, particulièrement dans le Zerdouscht Nameh. Le reste de la vie de Gustasp est emprunté à Firdousi, à l'exception du dernier paragraphe, qui traite des constructions faites par ce roi.

[95] Dans le district de Darabdjerd, dans le Farsistan. (Voyez la Géographie d’Aboulféda. texte arabe, p. 330.)

[96] J'ai des doutes sur le sens de cette phrase.

[97] Cette vie est entièrement tirée du Bahman Nameh. (Voyez man. de la Bibl. royale, fonds Anquetil, n° 68.)

[98] Voyez Firdousi, éd. de Calcutta, p. 1246.

[99] La lecture du nom de l'endroit est très incertaine.

[100] Ou peut-être seulement dans le « chapitre », car l'auteur parle effectivement en quelque détail de cette ville. (Voyez le ms. fol. 344 et suiv.)

[101] Coran, sour. 18, v. 95 et suiv.

[102] Je soupçonne quelque erreur de copiste dans cette phrase.

[103] Nom illisible.

[104] Le Nahr al Melik est le grand canal qui traversait autrefois toute la Mésopotamie. Il est beaucoup plus ancien que le règne de Schapour l'Aschkanide, qui probablement ne fit que le déblayer. Voyez, sur le Nahr al Melik, une note de M. Saint-Martin, dans son édition de Lebeau, Histoire du Bas-Empire, vol. III, p. 109.

[105] Hadhr ou Khadhr, était une ville fort importante en Mésopotamie, qui a joué un rôle considérable dans les guerres des Arsacides contre les empereurs romains. Ammien Marcellin dit, l. XXV, c. viii : « Prope Hatram venimus, vetus oppidum in media solitudine positum olimque desertum, quod diruendum adorti temporibus variis Trajanus et Severus, principes bellicosi, cum exercitibus pœne deleti sunt. » Voyez aussi M. de Sacy, Antiquités de la Perte, p. 286, et la Géographie d'Aboulféda, texte arabe, p. 55 et 284. Les ruines de Hadhr, qui subsistent encore, sont extrêmement considérables ; M. Ross les a visitées deux fois, en 1836 et 1837, et en a donné une description dans le Journal de la Société de Géographe de Londres, vol. IX, p. 467 et suivantes.