Alathyr

IBN-ALATHYR

 

ANNALES DU MAGHREB ET DE L'ESPAGNE 1123 -1207

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Traduction française : Mr. ED. FAGNAN

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

ANNALES DU MAGHREB & DE L’ESPAGNE

PAR

IBN EL-ATHIR


 

1123 ― 1207

Revue Africaine, 1901.

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[P. 434] Bataille entre les Maghrébins et l’armée égyptienne

En 517 (2 mars 1123), une forte armée de Lawâta partit du Maghreb et pénétra en Egypte, [P. 435] où elle sema la dévastation et commit des actes honteux. El-Ma’moûn ben El-Bet’â’ih’i, qui était devenu vizir d’Egypte après El-Afd’al, marcha contre eux à la tête des troupes d’Egypte, les battit, leur fit des prisonniers et en tua beaucoup. Il leur imposa le paiement d’un tribut annuel, après quoi ils rentrèrent sur leur territoire, de même qu’El-Ma’moûn regagna la capitale.

[P. 444] Combats entre les Francs et les musulmans en Espagne

En 520 (26 janv. 1126), les affaires du Franc Rodmîr prirent en Espagne une brillante allure, et il fit sentir aux musulmans tout le poids de sa puissance. À la tête d’une forte armée, il entreprit des incursions sur leur territoire et pénétra jusque près de Cordoue, en semant sur son passage le pillage et le massacre. Les fidèles, de leur côté, réunirent des forces si imposantes qu’il ne put leur résister et qu’il dut se retrancher dans une de ses forteresses, du nom [P. 445] d’Arnîsoûl.[1] Mais une nuit il fondit soudain sur les assiégeants, dont il fit un grand massacre, après quoi il rentra sur son territoire.

[Tome XI, p. 19] L’armée de Yah’ya assiège Mehdiyya[2]

En 529 (21 oct. 1134), Yah’ya ben El-’Azîz ben H’ammâd, prince de Bougie, envoya des troupes assiéger Mehdiyya, où se trouvait alors El-H’asan ben ‘Ali ben Temîm ben El-Mo’izz ben Bâdîs, prince de cette ville. En effet, El-H’asan s’était pris d’amitié pour Meymoûn ben Ziyâda,[3] chef d’un fort parti d’Arabes, et le comblait de bienfaits, ce qui excita la jalousie d’autres Arabes, qui conduisirent à titre d’otages leurs enfants auprès de Yah’ya ben El-’Azîz, en lui demandant de les faire soutenir par ses troupes pour conquérir Mehdiyya. Il leur avait d’abord fait une réponse dilatoire ; mais à la suite de lettres que lui écrivit un des cheikhs de Mehdiyya, qui lui faisait la même proposition, il prit confiance et envoya une forte armée, sous le commandement d’un de ses grands officiers, le juriste Mot’arrif ben H’amdoûn.[4] D’ailleurs, Yah’ya ben El-’Azîz et ses prédécesseurs avaient toujours été en rivalité avec El-Mo’izz ben Bâdîs et ses successeurs.[5] Ces troupes, composées de cavalerie et d’infanterie, auxquelles s’étaient joints de nombreux Arabes, mirent le siège devant Mehdiyya, tant par terre que par mer. Or Mot’arrif, dont les dehors sordides annonçaient l’ascétisme, répugnait à verser le sang et disait n’être venu que pour prendre livraison de la ville sans combattre ; mais comme son espoir fut déçu, au bout de quelques jours il dut se décider à attaquer. L’avantage resta très sensiblement aux assiégés, et il continua d’en être de même dans les combats qui suivirent, où la plupart des assaillants trouvèrent la mort. Quand Mot’arrif désespéra de la reddition de la ville, il tenta un vigoureux assaut général, tant par mer que par terre, et les galères, qui s’étaient approchées de la côte, [P. 20] touchaient presque les fortifications. La lutte était vive, et El-H’asan, faisant ouvrir la porte de la ville, chargea en tête de ses hommes en criant : « C’est moi qui suis El-H’asan ! « À ce cri, ses adversaires le saluèrent et s’écartèrent par respect, et au même moment les galères qu’il avait dans le port en sortirent, conformément à son ordre ; mais quatre furent prises et les autres durent fuir. Bientôt, le roi franc de Sicile, Roger, envoya à son secours une flotte de vingt bâtiments, qui serra de près les galères du prince de Bougie, mais qui, sur la demande d’El-H’asan, les laissa se retirer. Puis ce fut Meymoûn ben Ziyûda qui amena de nombreux Arabes au secours d’El-H’asan. L’aide que ce prince recevait par les deux voies fit comprendre à Mot’arrif l’inanité de sa tentative, et il s’éloigna de Mehdiyya sans en être venu à bout.

Le Franc Roger renouvela à El-H’asan ses déclarations de paix et d’alliance, mais continua néanmoins de construire des galères et de les bien approvisionner et armer.

Conquête de l’île de Djerba par les Francs[6]

Cette île, qui fait partie de l’Ifrîkiyya, était aussi florissante par l’industrie humaine que par ses produits naturels ; mais la turbulence des habitants ne leur laissait reconnaître l’autorité d’aucun prince, et ils étaient réputés pour les ravages et les brigandages qu’ils commettaient. C’est pourquoi une flotte équipée par les Francs de Sicile et portant de nombreuses troupes, où figuraient quelques-uns des chevaliers les plus réputés, y alla débarquer, et les bâtiments entourèrent l’île de tous côtés. Les insulaires se réunirent et opposèrent une vive résistance ; ils livrèrent plusieurs combats sanglants où beaucoup d’entre eux se firent tuer, mais ils succombèrent, et leur île tomba au pouvoir des Francs, qui la livrèrent au pillage et réduisirent en esclavage les femmes et les enfants. La plupart des hommes avaient péri, mais les survivants revinrent demander quartier au roi de Sicile et purent racheter ceux des leurs qui étaient prisonniers. Dieu sait ce qu’il en est.

Prise par les Francs de Rota en Espagne[7]

En 529 (21 oct. 1134), El-Mostançer billâh ben Hoûd[8] conclut avec le petit roi franc de Tolède[9] une trêve dont la durée fut fixée à dix ans.[10] En effet, le petit roi ne cessait pas ses expéditions sur le territoire d’El-Mostançer, dont les troupes peu nombreuses étaient hors d’état de tenir tête aux fortes armées franques, et qui, par suite, crut devoir conclure une paix de quelque durée pour se préparer à reprendre la lutte. Les pourparlers qui s’engagèrent aboutirent à la reddition, par les musulmans, [P. 21] de la forteresse presque inexpugnable de Rota,[11] moyennant quoi la paix fut conclue. Cet acte d’El-Mostançer était sans précédent.

Ibn Rodmîr assiège Fraga ; défaite et mort de ce prince

C’est en 529 (21 oct. 1134) que fut assiégée Fraga, dans l’Est de l’Espagne, par Ibn Rodmîr [Alphonse VII de Castille, le Batailleur]. L’émir Tâchefin ben ‘Ali ben Yoûsof, qui résidait à Cordoue et gouvernait l’Espagne au nom de son père, expédia de cette ville contre Fraga une troupe de deux mille cavaliers, commandés par Zobeyr ben ‘Amr le Lamtoûni, et bien approvisionnés de vivres. Yah’ya ben Ghûniya, l’officier bien connu qui administrait Murcie et Valence, dans l’Est de l’Espagne, pour le compte du Prince des musulmans, ‘Ali ben Yoûsof, mit également sur pied cinq cents cavaliers, et de son côté, ‘Abd Allah ben ‘Iyâd’,[12] qui gouvernait Lérida, en équipa deux cents. Chacun de ces groupes amena ses vivres, et après avoir opéré leur jonction, ils arrivèrent bientôt en vue de Fraga. Zobeyr se tenait en arrière, précédé du convoi de vivres en avant duquel était Ibn Ghâniya, qui suivait Ibn ‘Iyâd’, dont la bravoure personnelle, aussi bien que celle de ses hommes, était notoire.

Ibn Rodmîr, qui était à la tête de 12.000 cavaliers, ne ressentit que du mépris en voyant arriver cette troupe de musulmans, et dit aux siens : « Allez donc recevoir le cadeau que viennent apporter ces infidèles ! « N’obéissant qu’à son orgueil, il se borna à envoyer en avant un fort détachement, qui, quand il fut à distance, fut chargé par Ibn ‘Iyâd’ et vit ses lignes rompues et fortement bousculées. Une mêlée s’ensuivit, et Ibn Rodmîr en personne s’avança avec toutes ses troupes, pleinement confiantes dans leur nombre et leur bravoure. Mais alors Ibn Ghâniya chargea à son tour, tandis qu’Ibn ‘Iyâd’ continuait de leur faire face, et une lutte acharnée jeta sur le carreau nombre de chrétiens. À ce moment même, une sortie en masse fut faite, par les habitants de Fraga : hommes et femmes, jeunes et vieux se jetèrent sur les tentes chrétiennes, les hommes tuant tout ce qu’ils rencontraient et les femmes s’occupant de piller, de sorte qu’ils emportèrent dans la ville tous les vivres, approvisionnements et armes sur lesquels ils mirent la main. D’autre part, Zobeyr, à son tour, se précipita avec ses troupes sur le champ de bataille, si bien qu’Ibn Rodmîr dut fuir après avoir perdu la plupart de ses soldats, et se jeta dans Saragosse. Vingt jours après, il mourait du chagrin et de la honte [P. 22] de sa défaite.

Nul prince chrétien n’avait plus que lui de courage, d’ardeur à incessamment combattre les musulmans, de force de résistance. Il dormait avec sa cuirasse et sans matelas ; et comme un jour on lui demandait pourquoi il ne couchait pas avec les filles des chefs musulmans qu’il avait faites prisonnières : « Un véritable soldat, dit-il, ne doit vivre qu’avec les hommes, et non avec les femmes ! « Dieu, par sa mort, permit aux fidèles de respirer et ne les laissa plus exposés à ses coups.

[P. 60] En 536 (5 août 1141), Roger, le prince franc de Sicile, envoya une flotte sur les côtes de l’Ifrîkiyya : elle s’empara par trahison de vaisseaux envoyés d’Egypte à El-H’asan, prince d’Ifrîkiyya. À la suite d’une députa lion que celui-ci envoya à Roger, la paix fut renouvelée, car le manque de vivres causait une grande mortalité en Ifrîkiyya, et l’importation des blés de Sicile était nécessaire.[13]

Siège de Tripoli de Barbarie par les Francs[14]

En 537, le 9 dhoû’l-hiddja (24 juin 1143), la flotte des Francs de Sicile’vint mettre le siège devant Tripoli de Barbarie. En effet, du vivant d’El-H’asan, prince d’Ifrîkiyya, les habitants, sans vouloir jamais reconnaître son autorité, ne cessaient de lui faire de l’opposition et de le combattre, sous la direction de cheykhs des Benoû Mat’roûh’ qu’ils avaient mis à leur tête. [P. 61] Les assaillants débarquèrent, lancèrent des grappins sur les murailles et commencèrent à les miner. Mais le lendemain, une troupe d’Arabes vint renforcer les habitants de la ville ; les chrétiens, alors, se retirèrent du côté de leurs vaisseaux[15] et eurent à supporter une furieuse attaque qui les mit complètement en déroute ; beaucoup furent tués, et les survivants ne bougèrent pas de leurs bâtiments, abandonnant leurs armes, leurs instruments, leurs tours, leurs ustensiles, qui devinrent la proie des Arabes et des Tripolitains.

Les Francs retournèrent en Sicile pour réorganiser leurs forces, puis ils revinrent au Maghreb attaquer Djidjelli, dont les habitants s’enfuirent dans la campagne et dans les montagnes. Les chrétiens y débarquèrent, firent prisonniers ceux qu’ils y trouvèrent, ruinèrent et incendièrent la ville ; ils détruisirent également le château de plaisance qu’y avait bâti Yah’ya ben El-’Azîz ben H’ammâd ; puis ils reprirent la mer.

[P. 66] Voici un récit qui est rapporté d’après un savant versé dans la connaissance des généalogies et des chroniques. Le prince de Sicile avait envoyé contre Tripoli de Barbarie et les cantons avoisinants, une expédition maritime qui se livra au pillage et au massacre. Or, il y avait en Sicile un savant et vertueux musulman pour qui ce prince avait de l’estime et de la considération ; il tenait compte de ses avis et le faisait passer avant les prêtres et les moines, si bien que cela faisait dire à ses sujets que leur roi était musulman. Ce prince était un jour assis dans un belvédère dominant la mer, quand un petit navire arriva, lui apportant la nouvelle que ses troupes, débarquées en pays musulman, s’y étaient livrées au pillage et au meurtre et étaient restées victorieuses. Alors le prince, interpellant le musulman qui était à ses côtés et qui sommeillait, lui demanda s’il entendait ; et sur sa réponse négative : « Eh bien ! on m’annonce telle et telle chose ; où donc était Mahomet ? avait-il abandonné ce pays et ses habitants ? — Oui, répondit l’autre, il les avait quittés, car il assistait à la prise d’Edesse, que les musulmans viennent de conquérir. « Les chrétiens présents se mirent à rire : « Ne riez pas, dit le roi, car, j’en prends Dieu à témoin, cet homme ne dit jamais que la vérité «. Quelques jours après, on connut en effet, par les Francs de Syrie, que cette conquête avait eu lieu.[16]

[P. 68] En 539 (3 juill. 1144), une flotte franque partie de Sicile se dirigea vers l’Ifrîkiyya et le Maghreb : elle conquit la ville de Brechk, en tua les habitants et y fit prisonniers les femmes et les enfants, qu’elle alla vendre aux musulmans de Sicile.[17]

En la même année mourut Tâchefîn ben ‘Ali ben Yoûsof, souverain du Maghreb, après un règne de plus de quatre ans. Il eut pour successeur son frère, et les affaires des Almoravides périclitèrent, tandis que le pouvoir d’ ‘Abd el-Mou’min croissait. Nous avons parlé de cela sous l’année 514.

[P. 70] En 540 (23 juin 1145), les Francs conquirent les villes de Santarem, de Béja, de Mérida, de Lisbonne, ainsi que toutes les places fortes voisines, grâce à la discorde qui régnait parmi les musulmans et qui excita les convoitises de l’ennemi. L’accroissement de puissance que celui-ci en tira lui fit regarder comme assurée la conquête de toute l’Espagne musulmane, mais Dieu trompa son espoir, ainsi qu’on le verra.

En cette même année, une flotte franque partie de Sicile conquit l’île de Kerkenna, sur la côte d’Ifrîkiyya : les hommes furent massacrés, les femmes et les enfants réduits en esclavage. El-H’asan, prince d’Ifrîkiyya, fit rappeler la teneur des traités à Roger, roi de Sicile, qui invoqua pour s’excuser le défaut d’obéissance de ces insulaires (vis-à-vis d’El-H’asan).

Conquête par les Francs de Tripoli de Barbarie[18]

Voici dans quelles circonstances eut lieu cette conquête, en 541 (12 juin 1146). [P. 71] Roger, roi de Sicile, expédia une flotte considérable, qui investit Tripoli par terre et par mer, le 3 moharrem (14 juin). Les habitants firent une sortie et engagèrent un combat sérieux qui dura trois jours ; mais, le troisième jour, les Francs entendirent de grandes clameurs provenant de la ville et virent les murailles se dégarnir de leurs défenseurs. En effet, peu de jours avant l’arrivée des Francs, la discorde avait éclaté chez les Tripolitains, et l’un des partis, après avoir expulsé les Benoît Mat’roûh’, avait choisi pour chef un Almoravide qui, avec quelques-uns de ses compagnons, s’était trouvé passer par leur ville pour aller en pèlerinage à la Mekke ; mais après le débarquement des Francs, l’autre fraction avait rappelé les Benoû Mat’roûh’, et les deux partis en étant venus aux mains, les murailles avaient été abandonnées à elles-mêmes. Les Francs profitèrent de l’occasion pour dresser leurs échelles et escalader les murailles ; malgré une vive résistance, ils conquirent la ville de vive force, tuèrent les hommes, firent les femmes prisonnières et livrèrent tout au pillage ; ceux qui purent s’échapper se réfugièrent chez les Berbères et les Arabes. Une amnistie générale fut ensuite proclamée, qui permit aux fuyards de rentrer. Pendant six mois, les Francs s’installèrent pour consolider les fortifications et en approfondir les fossés. Ensuite ils s’éloignèrent, après s’être fait livrer par les habitants des otages, parmi lesquels figuraient les Benoû Mat’roûh’ et l’Almoravide. Mais ensuite, ils restituèrent ces otages et se contentèrent d’en demander au chef qu’ils donnèrent à la ville et qu’ils choisirent parmi les Benoû Mat’roûh’. Tout alors marcha bien ; les bateaux siciliens et chrétiens recommencèrent à fréquenter Tripoli, qui redevint promptement florissante.

[P. 75] Conquête de l’Espagne par ‘Abd el-Mou’min

En 541 (12 juin 1146), ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali envoya en Espagne un corps d’armée qui y conquit toute la portion musulmane de la Péninsule. Pendant qu’il était occupé à bloquer Merrâkech, il avait reçu une députation venant de ce pays et où figurait entre autres Aboû Dja’far Ahmed ben Mohammed ben H’amdîn, laquelle lui remit une lettre contenant le serment de fidélité à lui prêté par les Espagnols [P. 76] et la nouvelle qu’ils seraient dorénavant du parti des Almohades et soutiendraient son pouvoir. Le prince accepta ces offres, remercia les députés, les tranquillisa et réclama leur aide. Sur la demande de secours qu’ils lui adressèrent, il équipa un corps d’armée considérable qu’il fit partir avec eux, de même qu’il expédia une flotte. Celle-ci fit voile pour l’Espagne du côté de Séville, dont elle remonta le fleuve : la ville, où se trouvait un corps d’Almoravides, fut assiégée par terre et par mer et prise de vive force. Un certain nombre de ceux qui la défendaient furent massacrés, mais il fut pardonné aux habitants, qu’on laissa tranquilles. Les vainqueurs s’emparèrent du pays, dont les habitants embrassèrent le parti d’Abd el-Mou’min.

[P. 79] Gabès, après s’être soumis aux Francs, est conquis par les musulmans[19]

Avant 542 (1er juin 1147), Gabès avait pour chef un certain Rechîd. Après sa mort, Yoûsof, un de ses affranchis, projeta d’élever au pouvoir Mohammed, le fils cadet du défunt, et expulsa le fils aîné, Ma’mar. Yoûsof, qui dominait entièrement Mohammed, grâce à la jeunesse de celui-ci, dirigeait le gouvernement, et, entre autres choses que l’on raconte de lui, s’en serait même pris aux femmes de son maître. L’une de celles-ci, qui était des Benoû K’orra, écrivit à ses frères pour se plaindre de la situation qui lui était faite. Ces derniers voulurent la reprendre avec eux, mais Yoûsof se refusa à la leur livrer, alléguant qu’elle était la femme de son maître. Alors les Benoû K’orra et Ma’mar ben Rechîd allèrent exposer leurs plaintes à El-H’asan, prince d’Ifrîkiyya, qui écrivit à Yoûsof à ce propos et ne reçut pas satisfaction : « Si El-H’asan ne me laisse pas tranquille, dit Yoûsof, je livrerai Gabès au roi de Sicile ». Et en effet ; sitôt qu’il apprit qu’El-H’asan préparait une expédition contre lui, il députa à Roger, lui offrant de se soumettre à lui moyennant l’envoi d’une robe d’honneur et d’un diplôme constatant qu’il gouvernait Gabès en qualité de lieutenant du roi de Sicile, au même titre que les Benoû Mat’roûh’ à Tripoli. Roger lui expédia l’une et l’autre choses : Yoûsof endossa la robe et il fut donné lecture du diplôme au peuple assemblé. Alors El-H’asan s’empressa de terminer ses préparatifs d’expédition, et son armée vint mettre le siège devant Gabès, dont la population se souleva contre Yoûsof à cause de sa soumission aux chrétiens, et livra la ville aux assiégeants. Yoûsof, retiré dans le fort de la ville, tenta de se défendre, mais fut assiégé et fait prisonnier. Ma’mar ben Rechîd et les Benoû K’orra se chargèrent de le punir comme il le méritait : on lui coupa d’abord la verge, qu’on lui mit dans la bouche, et on le fit périr dans des supplices de toute sorte. Ma’mar ben Rechîd remplaça son frère comme gouverneur de la ville, et les Benoû K’orra emmenèrent leur sœur. Quant à Isa, frère de Yoûsof, et au fils même de Yoûsof, ils s’enfuirent auprès de Roger, de qui ils réclamèrent la protection et à qui ils racontèrent comment les avait traités El-H’asan, ce qui excita la colère du roi de Sicile. Ce fut là la cause de la prise de Mehdiyya en 543 (21 mai 1148), ce que nous raconterons.

Un exemple qu’un homme sage doit se garder d’imiter[20]

Un messager envoyé par Yoûsof, prince de Gabès, à la cour de Roger, s’y rencontra avec H’oseyn, messager du prince de Mehdiyya, [P. 80] et, au cours d’une discussion qu’il eut avec lui, parla d’El-H’asan et de la conduite de celui-ci à son égard en termes peu flatteurs. Les deux envoyés repartirent en même temps, chacun sur un bâtiment différent ; mais le messager d’El-H’asan envoya à son maître, par un pigeon messager, le récit de ce qui s’était passé. Ce prince fit embarquer une petite troupe, qui se saisit du messager de Yoûsof et l’amena à El-R’asan, qui lui adressa de vifs reproches : « C’est donc toi, dit-il, qui, après avoir livré des territoires musulmans aux Francs, oses encore me blâmer ! » Puis il lui mit des clochettes sur la tête et le fit promener dans la ville à dos de chameau, tandis qu’un héraut proclamait : «Voilà la récompense de quiconque s’efforce de livrer des territoires musulmans aux Francs ! » Quand enfin il fut arrivé au centre de Mehdiyya, la populace s’ameuta et le lapida.

Conquête par les Francs d’Almeria et d’autres villes d’Espagne

En djomâda I 542 (27 sept. 1147), les Francs, après avoir commencé par investir Almeria par terre et par mer, s’en emparèrent de vive force et y livrèrent tout au massacre et au pillage. Ils prirent également la ville de Baeza[21] et la province de Jaén. Mais les musulmans, comme on le verra, en refirent ensuite la conquête.

[P. 81] En 542, la famine sévit en Ifrîkiyya ; elle durait [P. 82] depuis 537 (26 juil. 1142) et s’aggrava à un tel point qu’on se livra à l’anthropophagie ; la faim chassait les gens de la campagne dans les villes, mais celles-ci fermèrent leurs portes pour ne pas les laisser pénétrer. La famine fut suivie d’une peste qui entraîna une mortalité considérable et laissa le pays désert. Pas un chérif n’y resta, et beaucoup d’entre eux gagnèrent la Sicile pour y trouver de quoi manger ; les souffrances furent terribles.[22]

Conquête de Mehdiyya par les Francs[23]

Nous avons dit sous l’année 541 que la famille de Yoûsof, prince de Gabès, s’était rendue auprès de Roger de Sicile pour lui demander du secours. Cela excita le vif mécontentement de ce prince, qui était lié par un traité de paix qui devait encore durer deux ans avec El-H’asan ben ‘Ali ben Yah’ya ben Temîm ben ElMo’izz ben Bâdîs, le Çanhadjide d’Ifrîkiyya, et qui se rendait compte qu’il ne pouvait laisser échapper l’occasion de faire des conquêtes en profitant de la famine qui ravageait tout le Maghreb depuis 537 et était à son comble en 542 (de 1142 à 1147) : en effet, la population abandonnait villes et bourgades, et beaucoup étaient venus en Sicile, car les hommes se mangeaient les uns les autres et la mortalité était considérable. Roger se décida donc, et équipa une flotte considérable composée d’environ deux cent cinquante galères remplies d’hommes, d’armes et de vivres. Partie de Sicile, cette flotte arriva d’abord à Pantellaria, île située entre Mehdiyya et la Sicile, et y rencontra par hasard un bâtiment venu de Mehdiyya. Ceux qui le montaient furent faits prisonniers et amenés à Georges [d’Antioche], chef de l’expédition, qui les interrogea sur l’état de l’Ifrîkiyya. Comme ce bâtiment était porteur d’une cage renfermant des pigeons voyageurs, et que l’équipage jura n’en avoir encore expédié aucun, il força l’homme qui était préposé à ces oiseaux d’écrire ceci de sa main : « Arrivés à Pantellaria, nous y avons trouvé des bâtiments de Sicile dont les matelots nous ont appris que la flotte maudite a appareillé pour les îles de Constantinople. » Le pigeon fut lâché et porta à Mehdiyya une nouvelle qui réjouit El-Hasan et son peuple. Georges, qui avait voulu par cette ruse arriver inopinément, régla sa marche de manière à se présenter devant Mehdiyya au point du jour et à l’investir avant que les habitants pussent s’enfuir. La réussite de son plan [P. 83] n’aurait permis à personne de se sauver ; mais la volonté divine souleva un vent violent qui ne permit aux navires que l’emploi des avirons, de sorte que le jour était levé et qu’ils furent aperçus quand ils arrivèrent le 2 çafar (21 juin).

Georges, qui vit son coup manqué, envoya ce message à El-H’asan : « Je n’amène cette flotte que pour venger Mohammed ben Rechîd et le rétablir dans son gouvernement de Gabès ; quant à toi, les traités que tu as avec nous ne sont pas expirés encore, et nous ne te demandons qu’un corps d’armée qui marche avec nous. « El-H’asan convoqua les juristes et les principaux habitants pour délibérer avec eux, et leur avis fut de combattre, puisque la ville était assez forte pour résister : « Mais, répartit El-H’asan, je crains que l’ennemi débarquant ne nous assiège par terre et par mer et n’intercepte l’arrivée des vivres, dont nous n’avons pas pour un mois. Comme je préfère à mon pouvoir de voir les fidèles échapper à la captivité et au massacre qui seraient la conséquence de la prise de la ville de vive force, et que d’autre part on me demande d’envoyer des troupes contre Gabès, la situation est celle-ci : ou bien consentir, et ainsi commettre un acte illicite en prêtant secours à des infidèles contre des musulmans ; ou bien refuser, et alors l’ennemi prétextera la rupture des traités, son but n’étant que de gagner du temps pour nous couper de la terre ferme. Comme nous ne sommes pas en état de le combattre avantageusement, je pense que nous devons quitter la ville avec nos femmes et nos enfants ; que quiconque y est disposé s’empresse de faire comme nous ! Il donna aussitôt l’ordre du départ et emmena son entourage et les objets d’un faible poids ; le peuple aussi s’en alla avec femmes et enfants et en emportant les objets et les meubles facilement transportables, mais il y en eut également qui se cachèrent chez les chrétiens et dans les églises. La flotte était en vue de la ville, mais la force du vent empêcha le débarquement de se faire avant que les deux tiers de la journée fussent passés, et alors il ne restait plus personne de ceux qui avaient voulu se sauver. Les Francs pénétrèrent dans la ville sans aucune difficulté. À son entrée dans le palais, Georges le trouva intact, puisqu’El-H’asan n’avait emporté que les objets précieux d’un faible poids et qu’il s’y trouvait encore plusieurs de ses concubines. Il vit les trésors remplis d’objets précieux et de toutes sortes de choses curieuses et rares, et fit apposer les scellés sur ce palais après en avoir fait sortir les concubines d’El-H’asan.

Les princes descendants de Zîri ben Menâd avaient été, jusqu’à El-H’asan, au nombre de neuf et avaient régné deux cent quatre-vingts ans, de 361 à 543 (971 à 1148).[24] Un des officiers d’El-H’asan, qui avait antérieurement été envoyé en ambassade à Roger, avait reçu de ce prince une lettre de sauvegarde pour lui et pour sa famille, et ne s’enfuit pas de la ville avec les autres.

Après que le pillage eut duré environ deux heures (seulement), on proclama une amnistie générale, qui fit sortir de leurs retraites ceux qui s’étaient cachés. Le lendemain matin, [P. 84] il fit convoquer les Arabes du voisinage, qu’il traita bien et à qui il distribua des sommes considérables ; il envoya également des hommes du djond de Mehdiyya restés en ville porter des lettres de grâce aux habitants qui s’étaient enfuis, avec des montures destinées à ramener les femmes et les enfants. Les fuyards, en effet, étaient déjà torturés par la faim, bien qu’ayant laissé à Mehdiyya des choses précieuses dans des cachettes et de l’argent en dépôt. Une semaine s’était à peine écoulée que la plus grande partie de la population était rentrée dans ses foyers.

Quant à El-H’asan, qui était accompagné de ses femmes, de ses enfants, dont douze garçons et plusieurs filles, ainsi que de ses plus proches serviteurs, il se dirigea vers El-Mo’allak’a,[25] où se trouvait Moh’riz ben Ziyâd. En route il rencontra un émir arabe du nom de H’asan ben Tha’leb, qui lui réclama un arriéré dont le trésor était débiteur ; mais le prince ne pouvait se dessaisir d’aucune somme, car il aurait ainsi risqué d’être arrêté dans son voyage, et il laissa comme otage son fils Yah’ya. Il arriva le lendemain auprès de Moh’riz, qu’il avait autrefois distingué par dessus tous les Arabes, qu’il avait couvert de bienfaits et d’argent. Moh’riz lui fit un excellent accueil et compatit aux revers qui le frappaient. Le prince déchu passa auprès de lui quelques mois, mais à contrecœur : il voulait gagner l’Egypte pour se rendre à la cour du khalife Alide El-H’âfiz’, et acheta à cet effet un navire. Mais comme Georges eut vent de son projet et équipa des galères pour le poursuivre, il renonça à ce plan et songea à se rendre au Maghreb auprès d’Abd el-Mou’min. Il députa en conséquence ses trois fils aînés, Yah’ya, Temîm et ‘Ali, auprès de son cousin le Hammâdide Yah’ya ben El-’Azîz pour renouveler le traité qui les liait et lui demander de passer par chez lui pour se rendre auprès d’Abd el-Mou’min. Yah’ya, après avoir accordé la permission qui lui était demandée, se refusa à le voir quand il fut arrivé et l’envoya, lui et ses enfants, dans l’île des Benoû Mazghennân [Alger], sous la surveillance d’officiers chargés de ne pas les laisser agir à leur guise. Cet état de choses dura jusqu’à la prise de Bougie par ‘Abd el-Mou’min en 547 (7 avril 1152) ; El-H’asan se présenta alors au vainqueur, et nous dirons quelle en fut la suite. Huit jours après s’être installé à Mehdiyya, Georges expédia deux flottes, l’une contre Sfax l’autre contre Sousse. Cette dernière ville était gouvernée par ‘Ali, fils du prince lui-même, qui retourna auprès de son père dès qu’il eut appris la prise de Mehdiyya ; les habitants aussi abandonnèrent la ville, que les Francs occupèrent sans coup férir le 12 çafar (1er juillet 1148). Mais à Sfax, dont la population s’était renforcée de nombreux Arabes, il y eut de la-résistance ; les habitants firent une sortie où les Francs, après avoir feint de fuir et les avoir, attirés assez loin, firent volte-face et les mirent en déroute ; les uns furent rejetés dans la ville, les autres dans la campagne, et un certain nombre furent tués. [P. 85] Les Francs s’emparèrent de la place le 23 çafar (12 juillet) à la suite d’un assaut qui leur coûta beaucoup de monde, et réduisirent en esclavage les hommes survivants, les femmes et les enfants. Une amnistie générale fut ensuite proclamée et permit à la population, rentrée dans ses foyers, de racheter femmes et enfants. Le vainqueur traita avec mansuétude les habitants de Sfax aussi bien que ceux de Sousse et de Mehdiyya. Ensuite arrivèrent des lettres de Roger qui accordaient l’amnistie, à toute l’Ifrîkiyya et qui étaient-remplies de belles promesses.

Après avoir rétabli l’ordre dans les villes conquises, Georges conduisit sa flotte à Ik’lîbiyya [Clypea, aujourd’hui Galipîa], château-fort bien défendu naturellement. Mais à cette nouvelle les Arabes se jetèrent dans la place et la défendirent si vigoureusement que les Francs durent se rembarquer après avoir subi des pertes sensibles, et regagner Mehdiyya. Malgré cet échec, les Francs se trouvèrent maîtres de la région qui s’étend de Tripoli de Barbarie jusqu’aux environs de Tunis et depuis le [désert du] Maghreb jusqu’en-deçà de K’ayrawân.

[P. 90] Conquête par les Francs de plusieurs villes d’Espagne

En 543 (21 mai 1148), les Francs conquirent Tortose et tous les forts qui en dépendent, ainsi que les places fortes de Lérida et de Fraga. Il ne resta dans ces régions aucune place qui ne tombât entre leurs mains, grâce aux discordes qui divisaient les musulmans, et aujourd’hui encore ils en sont les maîtres.[26]

[P. 93, an. 544 (10 mai 1149)] … ‘Abbâs ben Aboû’l-Fotoûh ben Yahya ben Temîm ben el-Mo’izz ben Bâdîs Çanhâdji était venu en Egypte parce que son grand-père Yah’ya avait chassé Aboû’l-Fotoûh de Mehdiyya.[27] Yah’ya étant mort et ayant eu pour successeur en Ifrîkiyya [P. 94] son fils ‘Ali ben Yah’ya ben Temîm, celui-ci en 509 (26 mai 1115) bannit d’Ifrîkiyya son frère Aboû ‘l-Fotoûh’, père d’Abbâs, lequel se rendit en Egypte avec sa femme Bellâra, fille d’El-K’âsim ben Temîm ben el-Mo’izz ben Bâdîs, et son fils ‘Abbâs, qui alors était encore à la mamelle. Aboû’l-Fotoûh’ débarqua à Alexandrie, où il fut honorablement accueilli et où il mourut au bout de peu de temps. Sa veuve épousa El-’Adil ben es-Salâr, et ‘Abbâs devenu grand reçut de l’avancement auprès du khalife Ez-Z’àfer, si bien qu’il succéda comme vizir à son beau-père El-’Adil, qui fut tué en moharrem 548 (28 mars 1153).

[P. 95] Guerre entre le prince de Sicile et le roi des Roûm[28]

En cette année 544 (10 mai 1149), la discorde se mit entre Roger, prince franc de Sicile, et le roi de Constantinople. Ils se livrèrent maints et maints combats, et ces hostilités, qui durèrent plusieurs années, les occupèrent assez pour qu’ils ne fissent rien contre les musulmans, car sans cela Roger eût certainement conquis toute l’Ifrîkiyya. [P. 95] Dans les rencontres qui eurent lieu tant sur terre que sur mer, l’avantage resta toujours au prince de Sicile, si bien que, dans une de ces années, sa flotte arriva à Constantinople et pénétra jusqu’à l’entrée du port : les Francs s’y emparèrent de plusieurs galères, firent un grand nombre de prisonniers et lancèrent même des flèches jusque dans les fenêtres du palais impérial. Celui qui infligea ces échecs aux Roûm et aux musulmans était Georges, ministre du prince de Sicile ; mais ensuite il eut à souffrir de diverses maladies, parmi lesquelles les hémorroïdes et la pierre. Sa mort, survenue en 546 (19 avril 1151), mit fin à la guerre entre chrétiens, et les populations n’eurent plus à redouter les effets de sa méchanceté ni les ravages qu’il commettait, car son maître ne trouva personne pour le remplacer dignement.

[P. 98] Les Francs assiègent Cordoue sans succès[29]

En 545 (29 avril 1150), le petit roi, c’est-à-dire Alphonse, roi de Tolède et des environs [Alphonse VIII de Castille], qui régnait sur le peuple franc des Djelâlik’a (Galiciens), mit le siège devant Cordoue à la tête d’une armée de 40.000 cavaliers. Quand ‘Abd el-Mou’min, alors à Merrâkech, apprit que cette ville se défendait péniblement et souffrait de la famine, [P. 99] il envoya à son secours une forte armée qu’il fit bien équiper et à qui il donna pour chef Aboû Zakariyyâ Yah’ya ben Yermoûz.[30] Ces troupes ne pouvant se mesurer en plaine avec les assiégeants, à cause des conséquences possibles, et voulant d’autre part venir en aide aux Cordouans, s’engagèrent dans des montagnes abruptes et des défilés sinueux, où elles parcoururent en vingt-cinq jours environ une distance qui en demande quatre sur un sol uni, et débouchèrent sur la montagne qui domine Cordoue. Le petit roi, se rendant alors compte de la situation, s’éloigna de la ville. Le kâ’id Aboû’l-Ghomr[31] es-Sâ’ib, l’un des enfants du kâ’id Ibn Ghalboûn[32] et comptant parmi les héros et les chefs de la Péninsule, se précipita hors de la ville sitôt qu’il vit le départ des Francs et monta auprès d’Ibn Yermoûz pour lui dire de descendre au plus tôt et de s’installer dans la ville. Ce mouvement fut exécuté, et le lendemain matin on aperçut l’armée du petit roi sur la montagne même occupée la veille par les fidèles. C’était là en effet ce que craignait Ibn Ghomr, ainsi qu’il le dit, car les assiégeants guettaient l’armée de secours et pouvaient disposer d’un chemin commode pour atteindre le sommet de la montagne ; une plus longue station sur celle-ci leur aurait donc permis de rester vainqueurs et des troupes d’Abd el-Mou’min et de Cordoue.

Le petit roi, voyant son coup manqué, comprit qu’il ne pouvait plus songer à prendre cette ville, qu’il venait d’assiéger pendant trois mois, et rentra dans ses états.

[P. 100] En l’année 545 (29 avril 1150), ‘Abd el-Mou’min choisit comme ministre Aboû Dja’far ben Aboû Ahmed Andalosi,[33] qu’il détenait prisonnier et dont on lui vanta l’intelligence et le talent de rédaction. Il fut le premier vizir que prirent les Almohades.

[P. 102] Sièges de Grenade et d’Almeria

En 546 (19 avril 1151), ‘Abd el-Mou’min fit passer en Espagne une armée d’une vingtaine de mille cavaliers commandés par Aboû H’afç ‘Omar ben Yah’ya Hintati. Il y expédia aussi leurs femmes, qui, couvertes de burnous noirs, voyageaient seules et n’ayant pour les accompagner que leurs serviteurs ; l’homme qui osait s’approcher d’elles était puni de la peine du fouet. Après avoir franchi le détroit, ‘Omar alla mettre le siège devant Grenade, où se trouvait un corps d’Almoravides ; pendant qu’il la serrait de près, il fut rejoint par Ahmed ben Molh’ân, prince de Wâdi-âch et dépendances, qui vint, avec un certain nombre des siens, se déclarer Almohade, puis par Ibrahim ben Ahmed ben Mofridj ben Hemochk,[34] beau-père de [Mohammed ben Sa’d ben Mohammed ben Ahmed] Ibn Merdenîch, prince de Jaén, qui vint également avec les siens faire profession d’Unitéisme. L’armée d’Omar ‘se grossit par le concours de ces deux chefs, qui le poussèrent à précipiter les hostilités contre Ibn Merdenîch, roi de l’Espagne orientale, et à le surprendre avant que ses préparatifs fussent terminés. Mais ce dernier, inquiet de ce qu’il apprenait, réclama des secours au roi franc de Barcelone, qui accueillit sa demande et lui amena une armée de dix mille cavaliers. Les troupes almohades s’avancèrent jusqu’aux bains chauds de Balkawâra, à une étape de Murcie[35] qui était la capitale d’Ibn Merdenîch, mais battirent en retraite en apprenant que l’armée franque aussi s’avançait. Elles allèrent assiéger Almeria, qui appartenait aussi aux Francs ; mais au bout de quelques mois, la famine dont elles souffraient leur fit lever le siège et regagner Cordoue, où elles s’installèrent.[36]

[P. 103] Conquête par ‘Abd el-Mou’min de Bougie et du royaume des Benoû H’ammâd.[37]

En 547 (7 avril 1142), ce prince conquit Bougie et tout le royaume des Benoû H’ammâd.

Il commença, en 546 (19 avril 1151), par se rendre de Merrâkech à Ceufa, où il séjourna le temps nécessaire pour équiper la flotte et réunir les troupes du voisinage ; il envoya à celles-ci l’ordre de se tenir prêtes à partir à la première réquisition. Mais comme il n’était pas sur la route de Bougie, on croyait qu’il projetait de passer en Espagne. Il commença par faire intercepter toutes communications, tant par terre que par mer, avec le Maghreb central, puis partit de Ceuta en çafar 547 (7 mai 1152) et s’avança à marches forcées en ralliant toutes les troupes qui se trouvaient sur son passage, si bien qu’il était sur le territoire de Bougie quand les habitants l’apprirent. Le prince qui y régnait et qui fut le dernier des H’ammâclites était Yah’ya ben el-’Azîz, qui délaissait les soucis du gouvernement pour ne s’occuper que de chasse et de plaisirs, et laissait la charge des affaires aux Benoû H’amdoûn. L’un de ceux-ci, Meymoûn ben H’amdoûn, sortit de Bougie [P. 104] avec l’armée aussitôt qu’il fut renseigné, mais la seule vue de l’avant-garde des troupes d’Abd el-Mou’min, composée de plus de 20.000 cavaliers, suffit à la débander, et cette avantgarde, qu’Abd el-Mou’min suivait à deux journées de marche, pénétra dans Bougie sans coup férir. Yah’ya ben el-’Azîz, abandonné par ses troupes qui s’étaient enfuies par terre aussi bien que par mer, s’enferma dans la place forte de Constantine, tandis que ses deux frères El-H’ârith et ‘Abd Allah se réfugiaient en Sicile. L’envahisseur resta maître de tout le royaume sans avoir à combattre.

ERRATUM. — Le divan d’Ibn Hâni, publié à Beyrouth en 1886, permet de rétablir le vers cité p. 245, en. 1899, et d’en fixer le mètre.

Lisez donc :

[Kâmil] Ce que tu veux (voilà ce qui fait loi), et non ce que veulent les destins ; c’est à toi, etc.

******************

Plus tard, Yah’ya vint trouver ‘Abd el-Mou’min pour demander quartier, ce qu’il obtint. Il avait manifesté une joie exubérante quand il avait vu El-H’asan ben ‘Ali dépouillé de l’Ifrîkiyya et ne lui avait ménagé ni le blâme ni les reproches ; bien peu après cependant il se voyait dans la même situation. Son vainqueur l’envoya au. Maghreb, qu’il lui assigna comme résidence et où il lui servit une forte pension. El-H’asan ben ‘Ali sortit des îles des Benoû-Mezghannân, — nous avons dit qu’il y avait été interné en 543 (21 mai 1148), — et se rendit auprès d’‘Abd el-Mou’min, où il se rencontra avec son ancien rival. Il reçut bon accueil du vainqueur, qui l’attacha à sa personne et lui assigna un haut rang, et qui, après la prise de Mehdiyya, le laissa dans cette ville pour servir de conseiller et de directeur au chef qu’il y nomma.

Lors de la conquête de Bougie, tous les biens des habitants furent respectés, car le souverain almohade fut fidèle à la parole donnée aux Benoû H’amdoûn, qui avaient demandé grâce.

Victoire d’Abd el-Mou’min sur les Çanhâdja[38]

Après la prise de Bougie, les Çanhâdja, commandés par un certain Aboû K’açba, se réunirent en quantités innombrables, et de très nombreux Kotâma, Lawâta, etc., vinrent se joindre à eux pour combattre ‘Abd elMou’min. Le choc entre les fédérés et l’armée Almohade commandée par l’un des Cinquante, Aboû Sa’îd Yakhlef, eut lieu au pied de la montagne située à l’est de Bougie : Aboû K’açba fut battu, et la plupart de ses soldats furent tués ; les biens des vaincus devinrent la proie des vainqueurs, et leurs femmes et enfants furent réduits en esclavage.[39]

Cette affaire terminée, on marcha contre la K’al’a des Benoû H’ammâd, qui est une place des plus fortes et que rend inexpugnable sa hauteur, car elle est située au sommet d’un mont si élevé que le regard peut mal s’en rendre compte ; mais il n’est de troupes ni de forteresses qui puissent empêcher le destin de se réaliser au moment fixé. En effet, la vue des troupes Almohades [P. 105] suffit à faire fuir les habitants dans les montagnes environnantes ; le fort fut pris, on pilla tout ce qu’il contenait, et ‘Abd el-Mou’min en opéra le partage entre ses compagnons.[40]

[P. 122] Guerre entre ‘Abd el-Mou’min et les Arabes[41]

En ça far 548 (27 avril 1153), eut lieu près de Sétif une bataille entre l’armée d’Abd el-Mou’min et les Arabes. En effet, les Arabes des Benoû Hilal, les Athbedj, les ‘Adi, les Riyâh’, les Zighba,[42] etc.,. depuis Tripoli jusqu’à l’extrémité du Maghreb, se dirent entre eux, à la suite de la conquête du territoire des Benoû H’ammâd par les Almohades : « ‘Abd el-Mou’min, s’il devient notre voisin, nous expulsera du Maghreb ; le seul parti à prendre est de faire tous nos efforts pour le chasser avant qu’il se soit emparé du tout. » Ils se jurèrent donc aide et secours mutuels et s’engagèrent à rester toujours unis ; leur projet était de s’avancer en masse avec leurs femmes et leurs richesses, pour livrer le combat [dit] des femmes.[43]

Quand le roi franc Roger de Sicile apprit l’intention des Arabes, il députa [P. 123] aux chefs de ceux-ci, Moh’riz ben Ziyâd, Djebbôra ben Kâmil, H’asan ben Tha’leb, ‘Isa ben H’asan, etc., pour les encourager dans leurs projets belliqueux et leur offrir le concours, moyennant livraison d’otages, de 5.000 cavaliers francs. Mais ces chefs le remercièrent, disant qu’ils n’avaient pas besoin d’aide et ne voulaient recevoir de secours que des musulmans.

Quand ’Abd el-Mou’min, qui venait de quitter Bougie pour se rendre au Maghreb, sut qu’une masse innombrable d’Arabes s’avançait, il équipa plus de 30.000 cavaliers almohades, dont il confia le commandement à ‘Abd Allah ben ’Omar Hinlâfi et à Sa’d Allah ben Yah’ya.[44] Cette armée entraîna à sa suite les Arabes, deux fois plus nombreux, jusque dans des montagnes du côté de Sétif, puis (fit volte-face et) les chargea ; une affreuse mêlée s’engagea, mais les Arabes mal équipés finirent par être mis en déroute et abandonnèrent leurs familles, leurs troupeaux, leurs mobiliers et leurs richesses. Tout cela fut amené à ‘Abd el-Mou’min, qui en opéra le partage entre ses compagnons ; mais il réserva les femmes et les enfants, qu’il mit sous bonne garde et dont il confia le soin à des eunuques chargés de les surveiller et de pourvoir à leurs besoins. À son arrivée à Merrâ.kech, il les installa dans de vastes demeures et leur attribua de larges pensions ; puis il fit écrire par son fils Mohammed aux émirs arabes que leurs femmes et leurs enfants étaient sous bonne garde, qu’il leur avait pardonné et les traitait généreusement. Alors ces émirs s’empressèrent de venir à Merrâkech, où ‘Abd el-Mou’min leur rendit leurs familles, les traita bien et leur distribua de fortes sommes. Ces procédés lui concilièrent leurs cœurs, et ils s’installèrent auprès de lui. Il ne changea pas de manière de faire à leur égard, et ce fut avec leur concours qu’il fit ce que nous dirons sous l’an 551 relativement à la désignation de Mohammed comme héritier présomptif.

Prise de Bône par les Francs ; mort de Roger et avènement de son fils Guillaume[45]

En 548 (28 mars 1153) la flotte de Roger, roi franc de Sicile, sous le commandement de son page Philippe de Mehdiyya, alla mettre le siège devant Bône. Secondé par les Arabes, cet officier s’empara de la ville au mois de redjeb (sept.-oct.) ; il réduisit les habitants en captivité et s’empara de ce qu’elle contenait, mais en permettant [P. 124] à un certain nombre de savants et de gens de bien d’aller, avec leurs familles et leurs biens, se réfugier dans les localités voisines. Après y avoir séjourné dix jours, il regagna Mehdiyya en emmenant une partie des prisonniers, et de là rentra en Sicile. Roger le fit emprisonner à cause de l’indulgence qu’il avait montrée à l’égard des musulmans de Bône ; on disait d’ailleurs que Philippe et les autres pages, musulmans au fond du cœur, cachaient leurs croyances, et des témoins déposèrent qu’il ne jeûnait pas en même temps que le roi et qu’il était musulman. Roger le fit juger par un tribunal composé d’évêques, de prêtres et de chevaliers, qui le condamna à être brûlé, et cette sentence fut exécutée en ramadan de cette année (nov.-déc.). Ce mauvais traitement fut le premier qui fut (à cette époque) infligé aux musulmans de Sicile, mais Dieu ne tarda que peu à frapper Roger, qui mourut d’une angine dans la première décade de dhoû‘l-hiddja de la même année (fin février 1154) : il avait près de quatre-vingts ans et en avait régné vingt environ.[46] Son fils Guillaume [I le Mauvais], qui lui succéda, eut une administration injuste et conçut des projets sinistres ; il prit pour vizir Mayo Barâni [Majone de Bari], dont le mauvais gouvernement provoqua le soulèvement de plusieurs places fortes de Sicile et de Calabre, et ce mouvement s’étendit jusqu’en Ifrîkiyya, ainsi que nous le dirons.

[P. 125] En 548 (25 mars 1153) des vaisseaux de Sicile que montaient un grand nombre de Francs arrivèrent en Egypte et y mirent au pillage la ville de Tennis.[47]

[P. 134] Insurrection des îles et de l’Ifrîkiyya contre la domination franque[48]

Sous l’année 548, nous avons dit qu’à la suite de la mort de Roger, roi de Sicile, son fils Guillaume l’avait remplacé sur le trône, et que la mauvaise administration de celui-ci lui avait fait perdre plusieurs places fortes de cette île. En 551 (24 févr. 1156), le désir de s’affranchir augmenta chez ses sujets, et les îles de Djerba et de Kerkenna aussi bien que les populations de l’Ifrîkiyya se soulevèrent contre lui. Celui qui donna le signal de la révolte fut ‘Omar ben Aboû‘l-H’asan H’oseyn Forriyâni,[49] à Sfax. Roger, à la suite de la conquête de cette ville, en avait d’abord nommé gouverneur le père d’’Omar, c’est-à-dire Aboû ‘l-H’oseyh, qui était un homme savant et vertueux ; mais celui-ci, alléguant sa faiblesse et son âge, pria le roi de nommer ‘Omar gouverneur. Roger y consentit, mais emmena comme otage le vieillard en Sicile. En partant pour sa destination, celui-ci dit à son fils : « Je suis vieux et j’approche du terme de ma vie. Profite de la première occasion favorable pour te révolter et ne garder aucun ménagement à l’égard de nos ennemis ; ne songe pas que ma vie est en jeu et agis comme si j’étais déjà mort ». Dès que l’occasion se présenta, ‘Omar appela les habitants à la révolte, ordonnant aux uns de monter sur les remparts, aux autres d’envahir les demeures des Francs et autres chrétiens et de les massacrer tous. Comme on lui fit observer qu’il y avait lieu de craindre pour la vie de son père prisonnier : « C’est, dit-il, d’après ses ordres que j’agis ; et si nous tuons quelques milliers d’ennemis, ne sera-t-il pas bien vengé ? » Le soleil n’était pas levé que tous les Francs étaient égorgés jusqu’au dernier ; cela se passait au commencement de 551 (24 févr. 1156).

L’exemple d’Omar fut imité à Tripoli par Yah’ya[50] ben Mat’roûh’, puis par Mohammed ben Rechîd à Gabès ; d’autre part, l’armée d’Abd el-Mou’min s’empara de Bône, de sorte que dans toute l’Ifrîkiyya les Francs ne conservèrent que Mehdiyya et Sousse. Les habitants de Zawila, ville qui n’est séparée de Mehdiyya que par une espèce d’hippodrome,[51] suivirent les conseils que leur fit parvenir ‘Omar de massacrer les chrétiens ; puis les Arabes du dehors vinrent aider les habitants de Zawîla contre les Francs de Mehdiyya, dont ils interceptèrent les approvisionnements.

Au reçu de ces nouvelles, Guillaume de Sicile fit venir Aboû’l-H’oseyn, le mit au courant de ce qui se passait et lui ordonna d’écrire à son fils pour le faire rentrer dans le devoir et le menacer des conséquences qu’entraîneraient ses actes : [P. 135] « Une simple lettre, dit le vieillard, pourra-t-elle agir sur celui qui a fait un pareil coup ? « Un messager que le prince envoya à ‘Omar pour le menacer et le sommer de renoncer à ses entreprises, ne put obtenir d’entrer dans la ville le jour même de son arrivée. Le lendemain, il vit tous les habitants sortir de la ville pour accompagner un convoi funèbre et procéder à une inhumation ; puis, quand ils furent rentrés, ‘Omar lui fit dire : « C’est mon père que je viens d’enterrer, et c’est à cause de sa mort que j’ai reçu les condoléances du peuple ; faites maintenant de lui ce que vous voudrez ! » Le messager reporta le récit de ce qui s’était passé à Guillaume, qui fit crucifier Aboû’l-H’oseyn ; celui-ci ne cessa jusqu’à son dernier soupir d’invoquer le nom de Dieu très haut.

Les gens de Zawîla, renforcés par les Arabes, les habitants de Sfax, etc., assiégèrent Mehdiyya d’assez près pour que les vivres y devinssent rares. Mais le roi de Sicile y expédia vingt galères chargées de guerriers, d’armes et de vivres. Ces renforts pénétrèrent dans la ville, et l’on envoya alors de l’argent aux Arabes pour acheter leur défection. Dans une sortie qui eut lieu le lendemain, les Arabes s’enfuirent ; alors les gens de Sfax, qui combattaient en dehors de la ville avec ceux de Zawîla, furent entourés par les Francs, et, prenant la fuite à leur tour,[52] ils s’embarquèrent et laissèrent les habitants de Zawîla livrés à leurs propres forces. Ceux-ci, à la suite d’une charge des Francs, durent fuir vers leur ville, dont ils trouvèrent les portes fermées ; ils résistèrent vaillamment au pied même des murailles, mais la plupart furent tués, et le petit nombre des survivants se dispersa ; quelques-uns se réfugièrent auprès d’‘Abd el-Mou’min. Les femmes, les enfants et les vieillards de la ville se sauvèrent par terre comme ils purent sans pouvoir rien emporter ; les Francs y pénétrèrent, massacrèrent les femmes et les enfants qui n’avaient pu fuir et mirent tout au pillage. Ils restèrent maîtres de Mehdiyya jusqu’à la conquête qu’en fit ’Abd el-Mou’min.

[P. 139] Mohammed ben ‘Abd el-Mou’min est reconnu en qualité d’héritier présomptif.

En 551 (24 fév. 1156) ’Abd el-Mou’min fit reconnaître son fils Mohammed comme son héritier présomptif. Or il avait été entendu entre lui et ‘Omar [H’intâti] que ce dernier remplacerait ‘Abd el-Mou’min ; mais celui-ci une fois arrivé au pouvoir et devenu père de nombreux enfants, désira les voir lui succéder. Il convoqua en conséquence les émirs arabes de Hilâl’, de Zighha, d’Adi, etc., leur fit des cadeaux et les poussa par l’intermédiaire de ses émissaires à déclarer qu’ils demandaient comme héritier présomptif l’un des fils du prince régnant. Mais il feignit de ne pas consentir à leur demande par considération pour Aboû H’afç ‘Omar Inti et à cause du haut rang que celui-ci tenait chez les Almohades, et il répondit que cette qualité appartenait à ‘Omar. Mais quand ce dernier vit ce qui se passait, il fut pris de peur et alla déclarer à ‘Abd el-Mou’min qu’il renonçait à se prévaloir de son litre. On prêta alors serment à Mohammed, ce qui fut pour ‘Abd el-Mou’min l’occasion de nombreuses largesses ; la nouvelle fut proclamée par tout l’empire, et le nom de l’héritier présomptif fut (désormais) prononcé au prône.

‘Abd el-Mou’min confie à ses fils l’administration de diverses provinces[53]

En la même année, ce prince nomma son fils Aboû Mohammed ‘Abd Allah, gouverneur de Bougie et de son territoire,[54] son fils Aboû‘l-H’asan ‘Ali, gouverneur de Fez et de son territoire, son fils Aboû Sa’îd, gouverneur de Ceuta, Algésiras et Malaga, et ainsi de suite pour les autres. [P. 140] Sa façon de procéder fut d’ailleurs remarquable, car il s’y prit de la manière que voici. Comme il lui était difficile de révoquer les cheikhs almohades, qui étaient connus, qui avaient été des compagnons du Mahdi Mohammed ben Toûmert, et à qui il avait confié le gouvernement de diverses provinces, il garda leurs enfants auprès de lui pour les faire instruire ; puis, quand ceux-ci en surent assez pour servir de modèles, il dit à leurs pères : « Je désire vous avoir auprès de moi pour appuyer mes plans de vos conseils ; vos enfants, qui sont maintenant savants et bons juristes, pourront gouverner à votre place ». Ils consentirent, fort aises de voir leurs enfants placés. Alors le prince leur fit insinuer par un homme de confiance, stylé à cet effet : « Je crois que, dans une affaire d’importance, vous vous êtes montrés inconséquents et peu convenables. — Et comment cela ? — Vos enfants ont des places de gouverneurs, tandis que ceux du Prince des croyants, bien que savants et bons administrateurs, n’en ont aucune. Il y a lieu de craindre que vous ne perdiez l’estime du Prince si son attention se porte sur ce point ». Frappés de la justesse de cette remarque, ils se rendirent auprès de leur maître pour lui demander de donner des gouvernements à ses fils ; mais il (feignit de) s’y refuser, et ce ne fut que vaincu par leurs insistances qu’il accéda à leur demande.

[P. 147] Conquête d’Almeria par les musulmans ; fin du pouvoir Almoravide en Espagne[55]

En 552 (12 févr. 1157), Almeria fut conquise sur les Francs par les troupes d’Abd el-Mou’min, et le pouvoir des Almoravides prit fin en Espagne.

‘Abd el-Mou’min ayant nommé gouverneur de Malaga et d’Algésiras son fils Aboû Sa’îd, celui-ci aborda à Malaga, où il s’installa et où il reçut une lettre de Meymoûn ben Bedr le Lamloûni, qui se disait prêta reconnaître l’Unitéisme et à livrer la ville de Grenade, où il commandait. Aboû Sa’îd accepta cette offre, et Meymoûn se rendit à Malaga avec ses femmes et ses enfants ; il y fut reçu très honorablement par Aboû Sa’îd, qui l’envoya à Merrâkech, où ‘Abd el-Mou’min lui-même se porta au devant de lui.

Ainsi finit la dynastie Almoravide, à qui il ne resta que l’île de Mayorque avec H’ammoû ben Ghâniya.

Après être devenu maître de Grenade, Aboû Sa’îd marcha avec ses troupes contre Almeria, dont, les Francs étaient restés possesseurs depuis la conquête qu’ils en avaient faite sur les musulmans en 542 (1er juin 1147). Il en avait commencé le siège quand il fut rejoint par la flotte de Ceuta, que montait un grand nombre d’hommes, et les opérations se poursuivirent tant par mer que par terre.

[P. 148] Les Francs occupaient le fort de la ville ; il les assiégea, tandis que son armée alla camper sur la montagne qui domine Almeria, et où l’on éleva par son ordre des fortifications qui descendaient jusqu’à la mer et qui étaient précédées d’un fossé. De la sorte le fort et la ville même étaient enserrés dans cette enceinte, et nul secours ne pouvait y parvenir. Le roi franc d’Espagne Alphonse, connu sous le nom de petit roi, se mit à la tête de 12.000 cavaliers francs et de 6.000 cavaliers musulmans sous les ordres de Mohammed ben Sa’d ben Merdenîch, et tenta de secourir la ville ; mais il ne put rien contre les fidèles, et tous les deux, trompés dans leur espoir, durent battre en retraite. Le petit roi mourut en route, avant même d’être rentré à Tolède. Trois mois de siège avaient épuisé les vivres de la ville, dont les habitants demandèrent quartier moyennant remise du fort. Ces conditions furent acceptées par Aboû Sa’îd, et les Francs s’éloignèrent par mer, après être restés pendant dix ans maîtres d’Almeria.

[P. 158] ‘Abd el-Mou’min conquiert Mehdiyya sur les Francs et devient maître de toute l’Ifrîkiyya[56]

Sous l’année 543 nous avons dit que la conquête par les Francs de Mehdiyya sur El-H’asan [ben ‘Ali ben Yah’ya] ben Temîm ben El-Mo’izz ben Bâdîs Çanhâdji, et sous l’année 551, comment les Francs avaient massacré et pillé les Musulmans de Zawîla, proche de Mehdiyya. [P. 159] Quelques-uns de ces derniers s’enfuirent auprès d’Abd el-Mou’min pour se mettre sous sa protection. Ce prince, qui était à Merrâkech, les accueillit honorablement et reçut de leur bouche le récit de leurs souffrances en même temps que l’expression de leur conviction qu’il était le seul prince musulman à qui ils pussent recourir pour obtenir satisfaction. Des larmes lui jaillirent des yeux et il baissa la tête, puis, la relevant, il leur dit d’avoir confiance, qu’il leur prêterait aide, au moins au bout de quelque temps. Il fit alors installer ses visiteurs et leur distribua deux mille dinars.

Par ses ordres on prépara des sacs à provision, des outres et tout ce qu’il faut à une armée en marche ; il écrivit à ses lieutenants dans le Maghreb, —dont il était le maître jusqu’auprès de Tunis — de conserver et emmagasiner sur place toutes les récoltes en laissant le grain dans l’épi, et de creuser des puits sur toutes les routes. Conformément à ces ordres, le produit de trois récoltes successives fut amassé, transporté aux lieux de halle et recouvert de terre,[57] de manière à former de véritables collines.

En çafar 554 (21 fév. 1159), ce prince, qui entreprenait le plus souvent ses voyages dans ce mois, partit de Merrâkech pour l’Ifrîkiyya, avec 100.000 combattants et un nombre égal de suivants et de goujats. Grâce aux précautions qu’il avait prises, ce flot d’hommes traversa des campagnes cultivées sans toucher à un épi et, en arrivant au lieu de campement, faisait la prière avec un tel ensemble qu’un seul imâm suffisait et que le cri d’Allah akbar sortait simultanément de toutes les bouches sans que personne fût en retard. Devant ’Abd el-Mou’min s’avançait El-H’asan ben ‘Ali Çanhâdji, l’ancien prince de Mehdiyya et d’Ifrîkiyya, dont nous avons dit l’arrivée auprès du prince almohade. Une marche ininterrompue mena l’armée le 24 djomâda II (12 juillet) jusqu’à Tunis, occupée par Ahmed ben Khorâsân, prince de cette ville.[58] La flotte arriva également ; elle comptait soixante-dix galères, transports et chalands.[59] Quand la ville fut investie, on somma les habitants de se rendre et, sur leur refus, on commença le lendemain l’attaque avec une vigueur extrême. Il ne restait plus [semblait-il] qu’à prendre la ville et à y laisser entrer la flotte, quand un veut violent s’éleva et força les Almohades à se retirer et à remettre leur conquête au lendemain. Or, quand la nuit fut tombée, dix-sept des principaux habitants de la ville vinrent demander à ‘Abd el-Mou’min quartier pour leurs concitoyens. Le prince, pour récompenser leur empressement à se soumettre, promit de respecter la vie, la famille et les biens des messagers, [P. 160] mais exigea que les autres habitants, pour sauver leurs tôles et celles des leurs, lui abandonnassent la moitié de leurs biens meubles et immeubles et renvoyassent Ahmed ben Khorâsân et sa famille. Ces conditions ayant été acceptées, il prit possession de la ville, posta des gardes pour empêcher les soldats d’y pénétrer et fit procéder par des commissaires au partage des biens. Les juifs et les chrétiens qui habitaient la ville eurent à choisir entre la conversion à l’Islamisme et la mort ; les autres habitants eurent à payer un loyer prélevé sur la moitié de la valeur de leurs habitations.

Au bout de trois jours, ‘Abd el-Mou’min se dirigea sur Mehdiyya, accompagné par sa flotte, qui suivait la côte de conserve avec lui, et y arriva le 18 redjeb.[60] Il y avait alors dans cette ville plusieurs fils de rois francs et des chevaliers d’une bravoure exceptionnelle ; ils avaient évacué Zawîla, située à une portée de flèche de Mehdiyya, et ce l’ut de ce côté qu’arriva ‘Abd el-Mou’min. Ce lieu fut bientôt rempli de soldats et de goujats, et en une heure de temps la population se trouva ainsi reconstituée ; la portion de l’armée qui n’y trouva pas de place s’installa en dehors, et fut bientôt rejointe par une foule innombrable de Çanhâdja, d’Arabes et de gens du pays. Des attaques réitérées furent dirigées contre la ville, mais elles restèrent infructueuses à cause de la force naturelle de sa position, de la solidité de ses murailles et du peu de prise qu’elle présentait aux assaillants, car elle a la forme d’une main en saillie sur la mer et rattachée à la terre par le poignet seulement. Les Francs lançaient sur les flancs de l’armée musulmane leurs plus braves guerriers, qui la harcelaient et se retiraient au plus vile, ce qui fut cause qu’Abd el-Mou’min éleva une muraille à l’ouest de la ville, afin d’empêcher ces sorties ; d’autre part, la flotte assiégea Mehdiyya par mer. ‘Abd el-Mou’min, s’étant embarqué sur une galère avec El-H’asan ben ‘Ali, qui y avait régné, en fit le tour, et, frappé de la solidité de l’emplacement de cette ville, il dut reconnaître qu’on ne pouvait s’en emparer de vive force ni par terre ni par mer, qu’il fallait nécessairement recourir au blocus. El-H’asan, à qui il demanda comment il avait pu abandonner une pareille forteresse, lui répondit que c’était par suite du petit nombre d’hommes sûrs dont il pouvait disposer, du manque de vivres et de la décision du destin, raisons dont le prince Almohade reconnut la valeur. Il se fit débarquer, et donna l’ordre de réunir du blé et des vivres sans plus combattre. Bientôt on vit s’élever dans le camp deux montagnes l’une de blé et l’autre d’orge, dont la vue frappait de loin les arrivants, qui restaient tout surpris d’apprendre de quoi elles étaient composées.

Pendant que le siège se prolongeait, Sfax fit sa soumission, de même que Tripoli, les montagnes de Nefoûsa, les K’çoûr de l’Ifrîkiyya et leurs dépendances ; Gabès fut conquis de vive force. ‘Abd el-Mou’min fit en outre conquérir diverses localités par son fils Aboû Mohammed ‘Abd Allah.[61] Les habitants de Gafça, voyant les progrès du pouvoir Almohade, [P. 161] furent unanimement d’avis de le reconnaître au plus tôt et de faire remise de leur ville, et ce fut leur prince Yah’ya ben Ternira ben el-Mo’izz qui alla, avec plusieurs des principaux, trouver ‘Abd el-Mou’min. Celui-ci répondit d’abord à son chambellan qui lui annonçait leur arrivée : « Tu te trompes ; ce ne sont pas les gens de Gafça ». Mais comme le chambellan maintenait son dire : « Comment donc, dit-il, cela est-il possible ? Le Mahdi annonce que les nôtres doivent couper les arbres et abattre les murailles de cette ville. Acceptons cependant leur offre et épargnons-les, afin que Dieu accomplisse l’œuvre décrétée dans ses destins. » [Coran, VIII, 43 et 46] Et il leur envoya quelques-uns des siens pour les recevoir. Un poète qui figurait dans la députation adressa à ‘Abd el-Mou’min un poème qui débute ainsi :

[Basît’] Nul ne tressaille de joie, quand il se trouve au milieu des épées et des lances, comme le khalife ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali.[62]

Un cadeau de mille dinars fut sa récompense.

Le 22 cha’bân de la même année (7 septembre) parut la flotte sicilienne composée de cent cinquante galères, sans compter les transports. Elle arrivait de l’île d’Iviça, qui dépend de l’Espagne, d’où elle amenait tous les habitants qu’elle avait réduits en captivité et d’où un ordre du roi franc l’avait envoyée à Mehdiyya. En arrivant, elle cargua ses voiles pour pénétrer dans le port, mais la flotte d’Abd el-Mou’min s’avança contre elle, tandis que toute l’armée se rangea sur le littoral. Devant ce déploiement de forces, les Francs restèrent saisis de frayeur. Mais alors l’action s’engagea, et ‘Abd el-Mou’min, le front prosterné contre terre, restait à pleurer et à invoquer la faveur céleste pour les siens ; la flotte chrétienne battue dut rehisser ses voiles pour s’enfuir, poursuivie par les musulmans qui s’emparèrent de sept galères et auraient pris la plupart des vaisseaux ennemis s’ils avaient eu des bâtiments de la même espèce.[63] Ce fut un fait d’armes remarquable et « une prompte victoire » (Coran, XLVIII, 18 et 27). Les marins victorieux reçurent à leur retour les largesses d’Abd el-Mou’min.

Les assiégés, bien qu’ayant perdu l’espoir d’être secourus, résistèrent encore six mois, jusqu’à la fin de dhoû’l-hiddja,[64] où dix chevaliers francs vinrent demander quartier pour les habitants et solliciter la permission de se retirer dans leur pays en emportant tous leurs biens. À ce moment, les vivres faisaient complètement défaut et ils étaient réduits à manger leurs chevaux. Ils rejetèrent cependant la proposition que leur fit ‘Abd el-Mou’min d’embrasser l’islamisme, mais pendant plusieurs jours ils recommencèrent d’humbles démarches, et le prince finit par acquiescer à leur demande. Il leur fournit des vaisseaux pour s’embarquer, [P. 162] mais comme on était dans la saison d’hiver, la plupart de ces bâtiments sombrèrent, et un petit nombre seulement revit la Sicile. Le prince de cette île avait menacé, au cas où ‘Abd el-Mou’min aurait tué les chrétiens de Mehdiyya, de massacrer les musulmans de Sicile, de réduire leurs femmes en captivité et de s’emparer de leurs biens. Mais ce fut Dieu qui se chargea d’engloutir les Francs.

Le vainqueur fit son entrée dans Mehdiyya, où la domination franque avait duré douze ans, le matin du jour d’achourâ, 10 moharrem 555 (20 janvier 1160) ; cette année fut appelée par lui année des quints.[65] Il y passa vingt jours à rétablir l’ordre, à en relever les fortifications et à l’approvisionner en vivres, en soldats et en munitions. Il y installa comme gouverneur l’un des siens,[66] à qui il laissa, pour lui servir de conseiller, El-H’asan ben ‘Ali, ancien chef de cette ville. Il y concéda à celui-ci ; de même qu’à ses enfants, des fiefs et des demeures magnifiques. Tout cela terminé, il reprit la route du Maghreb le 1er çafar de la même année (10 février 1160).

‘Abd el-Mou’min attaque les Arabes[67]

Après avoir réglé ce qui concerne Mehdiyya, et avant de se remettre en route, ce prince convoqua les émirs arabes des Benou Riyâh’ établis en Ifrîkiyya et leur tint ce discours : « Notre devoir est de faire triompher l’Islam. Or la puissance des polythéistes en Espagne est grande, et ils sont les maîtres de nombreuses provinces où les musulmans dominaient autrefois. Nul ne peut les combattre mieux que vous, dont les ancêtres ont conquis ce pays dans les premiers temps de l’Islam, et c’est par vous encore que les conquérants en vont être chassés. Nous vous demandons donc 10.000 braves cavaliers pour combattre dans la voie de Dieu. « Ils les lui promirent et en prêtèrent le serment qu’il leur demanda en invoquant le nom de Dieu et le Saint Livre, puis ils marchèrent de conserve avec lui jusqu’au défilé de la montagne de Zaghwân.[68] Mais Yoûsof ben Mâlik, qui figurait parmi les émirs et chefs de tribus, se rendit secrètement et de nuit auprès d’Abd el-Mou’rnin pour l’informer de la répugnance qu’avaient les Arabes à se rendre en Espagne, parce qu’ils le soupçonnaient de chercher uniquement à leur faire quitter leur pays ; il ajouta qu’ils ne respecteraient pas le serment prêté : « Eh bien ! répondit-il, Dieu se chargera de punir le parjure. » Dans la nuit qui suivit, en effet, ces chefs se jetèrent dans la campagne et rejoignirent leurs tribus. Seul, Yoûsof ben Mâlik resta auprès du prince, qui l’appela à cause de cela, « Yoûsof le véridique ».

‘Abd el-Mou’min ne parla pas de cette affaire et poursuivit rapidement sa marche dans la direction du Maghreb [P. 163] jusqu’aux environs de Constantine, où il installa son camp dans un endroit riche en pâturages appelé Wàdi’n-Nisâ,[69] et, comme on était au printemps, le fourrage abondait. Il y séjourna vingt jours en ayant soin d’intercepter les routes et de ne laisser sortir aucun soldat du camp, de sorte que dans le pays nul n’avait connaissance de la présence d’une armée si considérable, et l’on se disait que quelques nouvelles inquiétantes reçues d’Espagne le faisaient s’éloigner au plus vite. Aussi les Arabes qui l’avaient abandonné, rassurés en ce qui les concernait, revinrent des plaines où ils s’étaient réfugiés se réinstaller dans leurs séjours d’habitude. Dès qu’il en eut connaissance, ‘Abd el-Mou’min expédia contre eux ses deux fils Aboû Mohammed et Aboû ‘Abd Allah avec trente mille guerriers choisis parmi les principaux et les plus braves des Almohades ; ces deux chefs précipitèrent leur marche par des lieux inhabités et vinrent surprendre, sans qu’ils s’attendissent à rien, les Arabes par derrière, c’est-à-dire du côté du désert, de façon à leur couper la retraite qu’ils auraient pu tenter de ce côté. Les Arabes étaient installés dans la région de K’ayrawân, au sud d’une montagne dite Djebel el-K’arn[70] ; leurs tentes dépassaient 80.000, et parmi les plus connus de leurs chefs figuraient Aboû Mah’foûz’ Moh’riz ben Ziyâd, Mas’oûd ben Zemmâm el-Ballât’, Djebbâra ben Kâmil, etc. La subite apparition des Almohades jeta le trouble parmi eux et ils ne s’entendirent pas : Mas’oûd et Djebbâra ben Kâmil s’enfuirent avec leurs tribus, tandis que Moh’riz ben Ziyâd tint ferme et voulut combattre ; mais on ne l’écouta pas, et il ne resta avec lui qu’une troupe d’Arabes pour livrer bataille aux Almohades, dans la seconde décade de rebî’ II 555 (19-29 avril 1160). La lutte fut chaude, mais Moh’riz ben Ziyâd fut tué et sa tête fut promenée sur une pique, ce qui amena la débandade des Arabes, qui abandonnèrent leurs tentes, leurs femmes, leurs enfants et leurs biens. Tout cela fut amené à ‘Abd el-Mou’min, qui était encore dans son campement ; il fit garder les femmes de race pure et les emmena avec lui au Maghreb sous bonne garde et avec tous les soins que requérait la pudeur, les traitant comme il avait fait les femmes des Alhbedj.[71] Alors, et comme avaient fait ceux-ci, des députations des Riyâh’ vinrent les unes après les autres lui redemander ces captives ; les envoyés furent bien traités et leur demande fut accueillie, si bien qu’il ne resta bientôt plus personne d’entre eux qui n’en fit autant et ne fit sa soumission : il rabaissait leur orgueil, mais les traitait généreusement. Alors il les expédia aux frontières d’Espagne, ainsi qu’il avait été entendu tout d’abord. Les ossements des Arabes lues [P. 164] à la bataille de Djebel el-Karn furent amoncelés en un las énorme qui se voyait de loin et qui subsista longtemps. Toute l’Ifrîkiyya resta tranquillement soumise aux lieutenants d’Abd el-Mou’min, et il n’y eut plus parmi les émirs arabes que Mas’oûd ben Zemmâm Ballâf qui conserva son indépendance et resta avec les siens aux extrémités du pays.

[P. 184] En 556 (30 déc. 1160), ‘Abd el-Mou’min franchit le détroit et se transporta à Djebel Târik’, sur la rive d’Espagne ; il y édifia une ville bien fortifiée et, après y avoir séjourné quelques mois, regagna Merrâkech.

[P. 186] Ibn Merdenîch conquiert Grenade sur ‘Abd el-Mou’min, puis en est chassé[72]

En 557 (20 déc. 1161), les Grenadins, qui reconnaissaient alors l’autorité d’Abd el-Mou’min, députèrent à Ibrahim ben Hemochk pour lui demander de venir prendre possession de leur ville. Ce chef, qui était le beau-père d’Ibn Merdenîch, avait d’abord embrassé l’Unitéisme, était devenu partisan d’Abd el-Mou’min et l’avait excité à attaquer son beau-père, mais il avait ensuite abandonné le parti des Almohades et s’était réconcilié avec Ibn Merdenîch.[73] Ibn Hemochk, agréant cette offre, se rendit à Grenade avec les députés, [P. 187] mais il y trouva un groupe d’Almohades qui se retrancha dans le fort. Quand Aboû Sa’id ‘Othmân ben ‘Abd el-Mou’min, alors à Malaga, eut vent de cette affaire, il réunit ses troupes pour marcher au secours de ses partisans de Grenade, et de son côté Ibrâhîm ben Hemochk adressa une demande de secours à Ibn Merdenîch, chef de l’Espagne orientale, qui lui envoya deux mille cavaliers musulmans et francs. Cette troupe livra dans les environs de Grenade un combat aux Almohades qui se trouvaient dans cette ville, avant qu’Aboû Sa’îd pût arriver. Les Almohades se battirent courageusement, mais furent mis en fuite ; puis Aboû Sa’îd livra à son arrivée un nouveau combat où beaucoup des siens tombèrent ; lui-même cependant tint ferme avec une troupe de chefs et de braves cavaliers et fantassins, qui se firent tuer jusqu’au dernier, et Aboû Sa’îd dut alors s’enfuir à Malaga.

‘Abd el-Mou’min apprit ces nouvelles pendant qu’il était déjà en marche vers Salé, et il expédia aussitôt son fils Aboû Ya’koûb Yoûsof avec 20.000 combattants et plusieurs des cheikhs almohades qui s’avancèrent à marches forcées. À cette nouvelle, Ibn Merdenîch se dirigea avec son armée vers Grenade pour soutenir Ibn Hemochk ; et ces deux contingents réunis formaient une nombreuse armée. Le premier de ces chefs était campé en dehors de la ville, à Ech-Cherî’a[74] ; les deux mille cavaliers qui avaient formé la première armée d’Ibn Hemochk campèrent en dehors du Fort rouge,[75] et ce chef avec les siens dans ce fort même. Les troupes almohades parurent sur une montagne proche de Grenade, auprès de laquelle elles séjournèrent quelques jours ; puis elles firent tenter par quatre mille cavaliers une attaque nocturne contre les troupes campées en dehors du Fort rouge, tandis qu’elles les enceignaient de toutes parts. Ces soldats ne purent pas même monter à cheval et furent massacrés jusqu’au dernier. L’armée almohade tout entière s’avança ensuite et s’installa dans les environs immédiats de Grenade.[76] Ibn Merdenîch et Ibn Hemochk, comprenant qu’ils ne pouvaient résister, s’enfuirent la nuit suivante et se retirèrent dans leurs Etats. Les Almohades conquirent Grenade au cours de la même année. Quant à ‘Abd el-Mou’min, il repartit de Salé pour rentrer à Merrâkech.

[P. 191] Mort d’’Abd el-Mou’min et avènement de son fils Yoûsof [77]

Le 20 djomâda II 558 (25 mai 1163), ce prince, qui régnait sur le Maghreb, l’Ifrîkiyya et l’Espagne, mourut à Salé, où il s’était rendu en venant de Merrâkech. [P. 192] Quand il se vit malade et près de sa fin, il convoqua les cheikhs almohades qui l’accompagnaient et leur dit que, après avoir mis à l’épreuve son fils Mohammed,[78] il ne le jugeait pas en état d’exercer le pouvoir, et que, croyant son autre fils Yoûsof plus apte à supporter ce fardeau, il leur conseillait de le prendre pour leur chef. Ce fut donc, d’après ses dernières recommandations, à Yoûsof qu’on prêta serment en le saluant du litre de Prince des croyants. Mais la mort d’Abd el-Mou’min fut tenue secrète, et on transporta son corps en litière, comme s’il était seulement malade, jusqu’à Merrâkech. Aboû H’afç, autre fils du défunt, était alors chambellan, et il continua de remplir les mêmes fonctions auprès de son frère et de porter au peuple les ordres du Prince des croyants.[79] Yoûsof exerça le pouvoir aux lieu et place de son père jusqu’à ce que son autorité fût reconnue dans toutes les provinces, et ce fut alors seulement qu’il annonça la mort d’Abd el-Mou’min.

Ce dernier prince, qui avait régné trente-trois ans et quelques mois, était intelligent, décidé, avait le jugement droit, était bon administrateur, se montrait généreux ; mais il versait facilement le sang des musulmans coupables d’une faute légère. Il respectait hautement la religion et sut la consolider ; dans tous ses Etats il fit respecter l’obligation de la prière, et la mort frappait celui qu’il surprenait à ne pas prier quand le moment était venu. Dans tout le Maghreb il établit le rite malékite en ce qui concerne les applications de la loi, et la doctrine d’Aboû’l-H’asan Ach’ari en ce qui a trait aux principes religieux. Aux réunions qu’il tenait figuraient principalement les gens de science et de religion ; il recourait à eux, recherchait leur conversation et leur permettait de lui parler.

[P. 206] Insurrection des Ghomâra au Maghreb

Quand, en 559 (29 nov. 1163), la mort d’Abd el-Mou’min fut divulguée, toutes les tribus des Ghomâra, qui forment un peuple nombreux, se soulevèrent sous la conduite d’un grand chef nommé Miflàh’ ben ‘Ami’ et se cantonnèrent dans leurs montagnes, qui forment des citadelles presque inaccessibles. Aboû Ya’koûb Yoûsof, successeur d’Abd el-Mou’min, marcha contre eux avec ses deux frères, ‘Amr[80] et ‘Othmân, à la tête d’une forte armée d’Almohades et d’Arabes. Les combats livrés par eux en 561 (6 nov. 1165) mirent les Ghomâra en déroule ; [P. 207] ceux-ci perdirent de nombreux guerriers, parmi lesquels Miftâh’ ben ‘Amr et d’autres chefs, et leur pays fut conquis de vive force. De nombreuses tribus de ces régions étaient toutes disposées à la révolte, mais attendaient l’issue de la lutte pour se prononcer ; le massacre des Ghomâra rabattit leur audace et les décida à la soumission, de sorte qu’il ne resta plus aucun fauteur de troubles et que le calme régna dans tout le Maghreb.[81]

[P. 235] Combats livrés à Ibn Merdenîch par les troupes du fils d’Abd el-Mou’min

Mohammed ben Sa’d ben Merdenîch régnait dans l’Espagne orientale et vivait en bonne intelligence avec les Francs. Il refusa de reconnaître ‘Abd el-Mou’min aussi bien que son successeur ; sa puissance s’accrut surtout du temps de ce dernier. Mais en 565 (24 sept. 1169), Yoûsof ben ’Abd el-Mou’min fit marcher contre lui une armée qui parcourut et ravagea le territoire, s’empara de deux villes et jeta la terreur dans le cœur de ses troupes et de ses milices. Elle y séjourna assez pour le parcourir et en emporter les dépouilles.[82]

[P. 246] Mort d’Ibn Merdenîch, dont les Etats passent aux mains de Yoûsof ben ‘Abd el-Mou’min

En 567 (3 sept. 1171), mourut l’émir Mohammed ben Sa’d ben Merdenîch, qui régnait dans l’Espagne orientale, c’est-à-dire à Murcie, Valence, etc. La dernière recommandation qu’il adressa à ses enfants fut d’aller, dès qu’il serait mort, trouver Aboû Ya’koûb Yoûsof, qui venait de débarquer à la tête de 100.000 combattants. Ils suivirent ce conseil, et leur démarche remplit de joie le cœur de Yoûsof, qui prit possession de ce territoire ; il épousa la sœur des princes ralliés, les traita honorablement, leur assigna un rang élevé et les installa à la cour après leur avoir distribué des sommes considérables.[83]

[P. 256] Arrivée des Turcs en Ifrîkiyya, où ils conquièrent Tripoli et d’autres villes[84]

En 568 (22 août 1172) une troupe de Turcs ayant à sa tête K’arak’oûch[85] mamlouk de Tak’i ed-Dîn ‘Omar, neveu de Galâh’ ed-Dîn Yoûsof ben Ayyoûb (Saladin), dans une rédaction qui attribue à ‘Omar, frère du Prince des croyants, le commandement des troupes envoyées par Ya’koûb [lisez Aboû Ya’koûb Yoûsof], sortit d’Egypte[86] et se rendit dans les montagnes de Nefoûsa, où elle opéra sa jonction avec Mas’oûd ben Zemmâm, connu sous le nom de Mas’oûd el-Ballât.[87] Ce chef, l’un des principaux de la région, avait pu autrefois se soustraire à l’autorité d’Abd el-Mou’min.[88] La réunion des partisans de ces deux chefs constitua une force considérable, et ils mirent le siège devant Tripoli, qu’ils bloquèrent et serrèrent de très près. Cette ville fut prise, K’arâk’oûch s’y empara du gouvernement, installa sa famille dans le palais et poursuivit ses conquêtes en Ifrîkiyya, sans qu’il pût cependant se rendre maître de Mehdiyya, de Sfax, de Gafça, de Tunis et des territoires et bourgades dépendant de ces villes. De nombreux soldats constituèrent une armée de plus en plus forte à K’arâkoûch, dont l’autorité dans ces pays trouvait chez les Arabes une aide fondée sur leurs dispositions innées à détruire, à piller, à couper les arbres, les palmiers, etc. Il réunit ainsi des richesses considérables qu’il mit en sûreté à Gabès, et, l’orgueil lui montant au cerveau, il se flatta de conquérir l’Ifrîkiyya tout entière, grâce à l’éloignement du maître de ce pays, Aboû Ya’koûb Yoûsof. Nous verrons plus tard comment les choses se passèrent.

Campagne de Yoûsof ben ‘Abd el-Mou’min contre les Francs en Espagne[89]

En la même année, Yoûsof partit de Séville à la tête de ses troupes pour faire campagne contre les Francs et alla assiéger Huete, ville qui est située à l’est et non loin de Tolède. De nombreux : Francs vinrent se ranger sous les drapeaux d’Alphonse roi de Tolède [Alphonse IX de Castille], mais ne livrèrent pas de bataille rangée aux musulmans. Or ceux-ci vinrent, à cause de leur grand nombre, à manquer de vivres et furent ainsi forcés de quitter le territoire franc pour retourner à Séville. Jusqu’à 571 (21 juillet 1175), Yoûsof y séjourna, organisant ses troupes et faisant faire d’incessantes incursions [P. 257] en territoire franc. Il y eut de nombreux combats et razzias où les Arabes déployèrent une bravoure indescriptible : en vain le champion arabe s’avançait entre les deux armées pour provoquer en combat singulier les chevaliers francs les plus réputés, nul n’osait relever son défi. Aboû Ya’koûb Yoûsof regagna alors Merrâkech.[90]

[P. 272] La flotte sicilienne se présente devant Alexandrie et est mise en déroute

En moharrem 570 (août 1174), les Alexandrins et l’armée d’Egypte remportèrent une victoire sur la flotte des Francs de Sicile. Nous avons dit en effet que les Égyptiens avaient député au roi des Francs sur le littoral de Syrie ainsi qu’au prince de Sicile pour leur demander d’attaquer l’Egypte, de manière à leur permettre à eux-mêmes de se soulever et de chasser Çalâh ed-Dîn (Saladin). Le prince de Sicile équipa en conséquence une flotte considérable, etc.[91]

[P. 303] Révolte du prince de Gafça et conquête de cette ville par Yoûsof[92]

En 576 (27 mai 1180), Yoûsof s’avança en Ifrîkiyya et fit la conquête de Gafça. Le prince de cette ville, ‘Ali ben el-Mo’izz ben el-Mo’tazz, ayant vu que les Turcs étaient entrés en Ifrîkiyya, en avaient conquis une partie et avaient obtenu la soumission des Arabes, fut pris aussi de l’envie de se rendre indépendant et de secouer la suzeraineté de Yoûsof. Il se révolta ouvertement et, soutenu par les habitants de Gafça, il massacra la garnison almohade de cette ville en chawwâl 572 (1er avril 1177). Le gouverneur de Bougie informa Yoûsof de l’état de trouble où se trouvait le pays, de la reconnaissance faite par de nombreux Arabes du Turc K’arâk’oùch qui était entré en Ifrîkiyya, et du massacre de la garnison almohade de Gafça par Ali d’accord avec les habitants de cette ville. Yoûsof commença par assurer les frontières qui pouvaient donner lieu à quelque crainte, et ce ne fut qu’après avoir pris ce soin qu’il passa en Ifrîkiyya avec ses troupes en 575 (7 juin 1179). Pendant trois mois il assiégea Gafça, qui était bien fortifiée et dont les habitants étaient braves, et coupa les arbres des environs. La situation devenant pénible, ‘Ali sortit à l’insu de la population et de l’armée et arriva jusqu’à la tente de Yoûsof, où il se fit connaître au chambellan du prince. Ce dernier, très surpris qu’Ali eût pu, sans sauf-conduit, arriver jusqu’à sa tente, le laissa néanmoins pénétrer jusqu’à lui, et ‘Ali, après lui avoir baisé la main, essaya de se justifier et le pria d’agir avec une générosité digne de lui-même en faisant grâce aussi bien à lui ‘Ali qu’aux habitants. C’est ce que fît Yoûsof, qui pénétra dans la ville au commencement de l’année 576 (27 mai 1180) et envoya ‘Ali au Maghreb, où il le traita avec honneur et lui assigna un fief considérable.[93] Il réinstalla une garnison almohade à Gafça, et pardonna également à Mas’oûd ben Zemmâm, émir des Arabes, qui vint se présenter à lui, et qui fut aussi envoyé à Merrâkech.

Yoûsof se rendit ensuite à Mehdiyya, où il reçut un messager du roi de Sicile, qui venait solliciter la paix, et qui obtint une trêve [P. 310] de dix ans. Mais l’Ifrîkiyya, ravagée par la famine, ne pouvait nourrir ni les hommes ni les chevaux, et il regagna précipitamment le Maghreb.

[P. 332] Mort de Yoûsof et avènement de son fils Ya’koûb[94]

En 580 (13 avril 1184), Yoûsof passa du Maghreb en Espagne avec des troupes nombreuses, tant cavaliers que fantassins, et alla à l’ouest de ce pays assiéger Santarem, qui appartenait aux Francs. Au bout d’un mois, il tomba malade et mourut en rebi’ I (11 juin 1184) ; on le transporta en cercueil à Séville.[95] Il avait régné vingt-deux ans et un mois.[96] Comme de son vivant il n’avait désigné aucun de ses fils pour le remplacer, les chefs almohades, d’accord avec la famille d’Abd el-Mou’min, choisirent le fils du défunt Aboû Yoûsof Ya’koûb, et l’installèrent sitôt que son père fut mort, car le voisinage de l’ennemi rendait l’entente urgente. Le nouveau prince tint très dignement sa place, maintint haut l’étendard de la guerre sainte et gouverna sagement ; plein de piété, il appliquait les peines légales aux grands aussi bien qu’aux petits ; sa main ferme contint tout son vaste empire dans une obéissance parfaite. Après avoir réorganisé les places frontières d’Espagne et y avoir installé de nombreuses garnisons, il répartit aussi des troupes dans le reste du pays et mit tout en ordre, puis retourna à Merrâkech.

Son père Yoûsof avait gouverné sagement et avec plus de douceur qu’Abd el-Mou’min ; il aimait [P. 333] et favorisait les savants, avait recours à leurs lumières, leur confiait des fonctions et les attirait à sa cour ; les populations lui obéissaient volontiers, et des territoires qui avaient résisté à son prédécesseur lui firent leur soumission ; il ne changea rien au prélèvement des impôts tel que l’avait fixé son père. Son autorité resta toujours incontestée, grâce à la manière dont il gouverna et dont il ne se départit pas jusqu’à la fin de sa vie.

[P. 334] Bougie est conquise par les Almoravides puis reconquise par les Almohades.[97]

En cha’bân 580 (6 nov. 1184), ‘Ali ben Ish’âk’, connu sous le nom d’Ibn Ghâniya, qui était l’un des principaux officiers des Almoravides, les anciens maîtres du Maghreb, partit de Mayorque, où il régnait, et alla conquérir Bougie. En effet, à la nouvelle de la mort de Yoûsof ben ‘Abd el-Mou’min, il équipa les vingt bâtiments qui constituaient sa flotte, alla jeter l’ancre sur le littoral de Bougie, et après avoir débarqué les deux cents cavaliers almoravides et les quatre mille fantassins dont il était accompagné, il occupa cette ville sans coup férir. Ce succès tint à l’absence du gouverneur qui, peu de jours auparavant, était parti pour Merrâkech sans laisser ni troupes ni défenseurs à Bougie, qu’aucun ennemi ne semblait alors menacer et que l’on croyait à l’abri d’un pareil coup d’audace d’Ibn Ghâniya. Celui-ci fut rejoint par les survivants des Benoû H’ammûd, et cet accroissement de forces augmenta sa confiance. En apprenant cet événement, le gouverneur de Bougie, interrompant son voyage, revint sur ses pas à la tête de trois cents cavaliers almohades, auxquels il en joignit environ un millier d’autres recrutés parmi les Arabes et les tribus de ces régions. Dès que l’Almoravide fut informé qu’il approchait, il marcha à sa rencontre avec mille cavaliers et engagea l’action, mais elle fut de courte durée, car tous les auxiliaires du gouverneur se retournèrent contre lui, de sorte qu’il dut fuir avec ses Almohades et se retirer vers Merrâkech. L’Almoravide regagna Bougie, et conquit ensuite tous les cantons qui en dépendent ; mais Constantine résista, et il dut en faire le siège jusqu’en çafar 581 (3 mai 1185). À cette date, une armée almohade partie de Merrâkech vint assiéger Bougie par terre et par mer, et les deux frères d’Ali ben Ish’âk’, c’est-à-dire Yah’ya et ‘Abd Allah, durent s’enfuir de là et rejoindre ‘Ali, qui leva le siège de Constantine et s’avança dans l’Ifrîkiyya. L’armée almohade venue de Merrâkech et qui reconquit Bougie comptait, comme troupes de terre, vingt mille cavaliers envoyés par Ya’k’oûb, qui avait été mis au courant des événements par le gouverneur de Bougie et à qui celui-ci avait représenté les dangers que risquait de provoquer toute négligence.

[P. 342] L’Ifrîkiyya, d’abord conquise par les Almoravides et les Arabes, rentre sous l’autorité des Almohades.[98]

Sous l’année 580, nous avons dit que Bougie, d’abord conquise par l’Almoravide ‘Ali ben Ish’âk’, fut reprise par l’armée de Ya’k’oûb ben Yoûsof, et qu’ ‘Ali s’enfonça en Ifrîkiyya. Les Soleym, les Riyâh’ et autres Arabes de ces régions se joignirent à lui, aussi bien que les Turcs que nous avons dit être venus d’Egypte dans ce pays sous la conduite de Cheref ed-Dîn K’arâk’oûch ; là aussi se trouvait parmi les Turcs d’Egypte, Bouzâba, mamlouk de Tak’i ed-Dîn, le neveu de Saladin.[99] Réunis ainsi, ils formaient une troupe nombreuse et puissante, et tous ces alliés étaient hostiles au pouvoir almohade. Ils reconnurent pour chef ‘Ali ben Ish’âk’, parce qu’il appartenait aune famille qui exerçait le pouvoir depuis longtemps, et lui donnèrent le titre d’Émir des musulmans. Ils conquirent l’Ifrîkiyya tout entière de l’est à l’ouest, moins les deux villes de Tunis et de Mehdiyya, que les Almohades occupaient et où, se maintenant malgré tout, ils résistèrent à l’intimidation, au blocus et à la force. Tous les fauteurs de troubles dans ce pays se joignirent à l’Almoravide insurgé, [P. 343] aussi bien que tous ceux qui ne cherchaient qu’à piller et à faire le mal ; ils ravagèrent les villes, les places fortes et les villages, violèrent les femmes et abattirent les arbres. ‘Abd el-Wâh’id ben ‘Abd Allah Hintâti, alors gouverneur d’Ifrîkiyya, résidait à Tunis, d’où il écrivit à Merrâkech à Ya’k’oûb, prince du Maghreb, ce qui se passait. L’Almoravide se dirigea vers la presqu’île de Bâchoû, qui est voisine de Tunis et renfermait de nombreux villages.[100] Il en entreprit le blocus, puis il accorda l’amân aux habitants, qui le demandèrent ; mais ses soldats y ayant pénétré, y pillèrent toutes les richesses, les bêtes de somme et les vivres, dépouillèrent les hommes de leurs derniers vêtements, s’emparèrent des femmes et des enfants et laissèrent toute la population exténuée et sans ressources.

Ces malheureux se dirigèrent ensuite sur Tunis ; là, ceux qui avaient assez de vigueur pour cela travaillèrent pour se procurer de quoi se sustenter, tandis que les plus faibles vivaient de la charité publique. Mais l’hiver étant survenu, ils furent fort éprouvés par le froid, et en outre la peste les accabla : on compta 12.000 morts dans une seule localité, ce qui peut faire juger du l’esté.

L’Almoravide, une fois maître de l’Ifrîkiyya, fit remplacer dans la khotba le nom des fils d’ ‘Abd el-Mou’min par celui du khalife Abbasside En-Nâçir lidîn-illâh, à qui il fit demander (l’investiture sous forme de) robes d’honneur et d’insignes noirs. En 582 (23 mars 1186), il alla mettre le siège devant Gafça, dont les habitants, après avoir expulsé la garnison almohade, reconnurent son autorité ; il y organisa une milice formée d’Almoravides et de Turcs, et non content de la solidité des fortifications, il y laissa une garnison.

Au reçu de ces nouvelles, Ya’koûb ben Yoûsof forma une armée choisie de 20.000 cavaliers seulement, à cause du peu de vivres que l’on pouvait trouver dans ces régions et de l’état de ruine et de dévastation où elles se trouvaient, et se mit en marche vers Tunis en çafar 583 (Il avril 1187). Il fit marcher contre ‘Ali ben Ish’àk’, qui était alors à Gafça, un corps de 6.000 cavaliers commandés par son neveu fils de son frère ; mais quand on en vint aux mains, une troupe de Turcs qui accompagnait le corps Almohade fit défection, ce qui amena la défaite de ce dernier et la mort de plusieurs des officiers qui le commandaient, en rebî’ I 583 (10 mai 1187). Ya’koûb, après avoir reçu cette nouvelle, continua de résider à Tunis jusqu’à la mi-redjeb (20 septembre) de cette année, et mena alors ses troupes contre l’Almoravide et les Turcs : la rencontre eut lieu proche [P. 344] de Gabès[101] et aboutit à la défaite d’Ibn Ghâniya et des siens, dont il fut fait une extermination presque complète ; le faible nombre qui échappa se jeta dans l’intérieur. Le même jour, Ya’koûb se dirigea contre Gabès, et quand il l’eut conquise, il en tira les femmes et les enfants de K’arâk’oûch pour les expédier au Maghreb. Il marcha ensuite sur Gafça, qu’il assiégea pendant trois mois, et au cours de cette période, il ravagea les environs et en abattit les arbres. Les Turcs alors lui firent demander quartier pour eux-mêmes et pour les habitants, ce qui leur fut accordé. Les Turcs sortirent sains et saufs, et le prince, qui avait remarqué leur bravoure et leur férocité, les envoya en garnison dans les places frontières ; mais les Almoravides qui étaient dans la ville furent mis à mort, les murs en furent démantelés et il n’y laissa plus subsister qu’une simple bourgade. Ainsi se réalisa la prédiction, rappelée plus haut, du Mahdi Ibn Toûmert, que ses murs seraient détruits et ses arbres coupés.[102]

La ruine de Gafça opérée et l’Ifrîkiyya remise en ordre, Ya’k’oûb rentra à Merrâkech en 584 (1er févr. 1188).

[T. XII, 37] Silves est prise par les Francs, puis reprise par les musulmans.[103]

En 586 (7 févr. 1190) le roi franc Ibn er-Renk’[104] conquit Silves, dans l’ouest de l’Espagne, l’une des principales villes musulmanes de ce pays. Au reçu de cette nouvelle, Aboû Yoûsof Ya’k’oûb, émir d’Espagne et du Maghreb, équipa une armée nombreuse et, franchissant le détroit qui le séparait de l’Espagne, il fit aussi passer par mer un important corps de troupes. Il mit le siège devant celle ville et la combattit si vigoureusement que ses défenseurs durent demander grâce, ce qui leur fut accordé, et ils se retirèrent dans leur pays. Il fit prendre également par une armée Almohade, à laquelle étaient adjoints de nombreux Arabes, quatre villes conquises par les Francs depuis quarante ans. Les audacieuses attaques de ces guerriers furent cause que le roi franc de Tolède [Alphonse IX de Castille, 1158-1214 de J.-C] intimidé fit demander la paix, qui lui fut consentie pour une période de cinq ans ; après quoi Aboû Yoûsof retourna à Merrâkech. Mais il y avait chez les Francs un parti hostile à cette trêve ; seulement, comme il ne pouvait manifester son opposition, il attendit pour relever la tête que commençât l’année 591 (15 déc. 1194), où il arriva ce que nous dirons.

[P. 73] Guerre d’Aboû Yoûsof Ya’koûb contre les Francs d’Espagne[105]

Cet événement est de cha’bân 591 (10 juil. 1195). En effet le roi franc d’Espagne Alphonse [IX de Castille], ainsi que la reine de Tolède[106] écrivirent à Ya’koûb une lettre ainsi conçue[107] : « En ton nom, ô Dieu très grand, créateur des cieux et de la terre ! Pour en venir au fait, ô émir, nul être doué d’une saine raison ou d’une intelligence nette n’ignore que tu es le chef de la religion hanîfienne[108] tout comme je le suis de la religion chrétienne. D’autre part, tu n’ignores pas jusqu’à quel point les chefs d’Espagne poussent le laisser-aller, l’abandon, l’insouciance du soin de leurs sujets, ainsi que les plaisirs auxquels ils s’adonnent. Aussi je leur impose la loi du plus fort, [P. 74] je vide leurs demeures, je réduis leurs enfants en captivité, je promène ignominieusement les hommes mûrs et je massacre les jeunes. Tu ne peux te soustraire à l’obligation de les protéger, car la force est entre tes mains et vous croyez que Dieu vous impose le devoir de nous combattre un contre dix. Mais maintenant Dieu, connaissant votre faiblesse, ne vous impose plus que de nous combattre un contre deux. C’est nous à l’heure présente qui allons vous combattre un contre plusieurs, sans que vous puissiez nous repousser ni que vous soyez capables de nous résister. On m’a rapporté aussi que tu as commencé à faire des levées et que tu penses à combattre, mais que tu diffères d’année en année, que tu n’avances un pied que pour reculer l’autre, et j’ignore si c’est la pusillanimité qui t’arrête ou le manque de foi en ta révélation. On m’a dit encore que tu ne trouves pas de moyen de faire la guerre. C’est peut-être que tu n’oses t’y exposer ? Eh bien ! je te déclare, à l’effet de te tranquilliser, que je te tiens pour excusé et que je regarde comme respectés tous les traités, conventions et serments si tu amènes ici toutes tes forces dans tes bateaux et les galères. Je marcherai contre toi avec toutes mes troupes pour l’attaquer dans l’endroit que tu préféreras. Si tu l’emportes, c’est un butin immense qui tombera entre tes mains et que tu pousseras devant toi ; mais si je reste vainqueur, c’est mon pouvoir qui l’emportera sur le tien, c’est mon autorité qui s’étendra sur les deux religions, c’est ma prééminence qui s’imposera aux deux peuples. C’est Dieu qui exauce les désirs, et qui par sa bonté accorde la félicité ; il est le seul maître et il n’y a de bien qu’en lui ! « Après avoir pris lecture de ce message, Ya’k’oûb écrivit ce verset (Coran, xxvii, 37) au haut de la lettre : « Retourne vers ceux qui t’envoient. Nous irons les attaquer avec une armée à laquelle ils ne sauraient résister ; nous les chasserons de leur pays avilis et humiliés », et la renvoya au prince chrétien. Puis il réunit une formidable armée et s’embarqua pour l’Espagne.

D’après une autre version, un parti franc, mécontent, nous l’avons dit, de la paix conclue en 586 (7 fév. 1190), parvint à réunir, à l’époque dont nous parlons, des troupes qui envahirent le territoire musulman, où elles massacrèrent et pillèrent tout et commirent d’épouvantables ravages. Ce serait la nouvelle de ces événements qui aurait déterminé le passage de Ya’k’oûb en Espagne avec des troupes innombrables.

De leur côté, les Francs, sachant ce qui se préparait, réunirent des guerriers recrutés jusque dans les régions les plus éloignées, et s’avancèrent avec ardeur et une confiance dans le succès qui reposait sur leur nombre. Une bataille des plus acharnées fut livrée le 9 cha’bân 591 (19 juillet 1195) au nord de Cordoue, à K’al’at Ribâh’ (Calatrava) dans un endroit connu sous le nom de Merdj el-H’adîd[109] ; la fortune, d’abord contraire aux musulmans, tourna ensuite contre les chrétiens, qui furent honteusement battus [P. 75] grâce à la faveur divine : « Dieu a abaissé la parole des infidèles et élevé la sienne. Il est puissant et sage » (Coran, ix, 40). 146.000 chrétiens furent massacrés, 13.000 furent faits prisonniers, et un butin immense échut aux musulmans : 143.000 tentes, 46.000 chevaux, 100.000 mulets et 100.000 ânes. Une proclamation de Ya’koûb avait annoncé que chacun resterait maître de son butin personnel, à l’exception des armes, et ce qui fut déposé entre ses mains dépassait, après compte fait, 70.000 armures complètes. Du côté des musulmans, la perte fut de 20.000 tués.

Ya’koûb, poursuivant les fuyards, trouva que Calatrava, que les chrétiens avaient d’abord occupée, avait été évacuée par eux, tant leur terreur était grande ; il y installa un gouverneur et un corps de milice, puis regagna Séville.

Après sa défaite, Alphonse se rasa la tête, retourna son crucifix, prit un âne pour monture en jurant de ne plus se servir de cheval ni de mulet avant de voir les chrétiens victorieux, et recruta de nouvelles troupes. Ya’koûb, qui en fut informé, envoya à Merrâkech et ailleurs l’ordre d’enrôler des soldats, mais sans exercer aucune contrainte, et de nombreux volontaires et soldés répondirent à son appel. En rebî’ I 592 (comm. le 2 févr. 1196), eut lieu une nouvelle bataille où les Francs furent encore honteusement battus, et à la suite de laquelle leurs richesses, armes, montures, etc., devinrent la proie des vainqueurs. Ya’koûb alla assiéger Tolède, qu’il attaqua vigoureusement ; il abattit les arbres des environs, y lança diverses expéditions qui s’emparèrent de plusieurs places fortes où l’on massacra les hommes et où l’on réduisit les femmes en captivité, tandis qu’on en ruinait les habitations et qu’on démantelait les murailles. Aussi les chrétiens étaient-ils réduits à l’extrémité, tandis que l’autorité de l’islâm s’accroissait. Ya’koûb retourna séjourner à Séville, et quand l’année 593 (23 nov. 1196) commença, il s’avança de nouveau sur le territoire des chrétiens, qui alors s’humilièrent et dont les rois demandèrent la paix d’un commun accord. Ya’koûb voulait d’abord poursuivre ses conquêtes et en finir avec eux ; il se décida cependant à leur accorder une trêve de cinq ans, par suite des nouvelles qu’on lui apporta des terribles ravages exercés par le Mayorcain ‘Ali ben Ish’âk’ en Ifrîkiyya, et il regagna Merrâkech à la fin de 593 (vers novembre 1197).

Ravages d’Ali l’Almoravide en Ifrîkiyya[110]

Pendant les trois années que passa Ya’koûb en Espagne à combattre le bon combat, [P. 76] on ne reçut pas en Ifrîkiyya de nouvelles de lui : les ambitions d’Ali ben Ish’âk, l’Almoravide Mayorcain, qui tenait la campagne avec les Arabes, se réveillèrent alors, et il recommença ses attaques contre l’Ifrîkiyya. Ses troupes se répandirent partout, semant le pillage et la dévastation ; les traces mêmes des villes furent effacées, les habitants disparurent et ces régions « restèrent désertes et toutes bouleversées » (Coran, ii, 261 ; xviii, 40 ; xxii, 44). Il voulait aller assiéger Bougie pour profiter de ce que Ya’koûb était occupé à combattre les infidèles, et ne cacha pas son intention de marcher, dès qu’il aurait pris Bougie, contre le Maghreb. Mais quand Ya’koûb sut ce qui se passait, il traita avec les chrétiens pour réduire le rebelle et le chasser, comme il avait fait déjà en 581.

[P. 95] Mort de Ya’koûb ben Yoûsof et avènement de son fils Mohammed

Ya’koûb mourut le 18 rebî’ II (16 févr. 1199) ou, selon d’autres, de djomâda I, 595 (16 mars 1199), à Salé, où il était venu de Merrâkech, afin de voir la ville nommée Mehdiyya, qu’il avait fait édifier vis-à-vis Salé, dans la région la plus belle et la plus plaisante.[111] Ce prince, qui avait régné quinze ans, était plein d’ardeur pour la guerre sainte et la religion, et sage administrateur. Il abandonna le rite malékite et professa le rite zâhirite. Les juristes Z’àhirites, qui furent alors nombreux au Maghreb, jouirent de beaucoup d’autorité sous son règne ; on les appelait aussi H’azmiyya, [P. 96] du nom de leur chef Aboû Mohammed [‘Ali ben Ahmed] ben H’azm, mais les partisans de ce système s’étaient fondus avec les Malékites.[112] Ils reparurent et se développèrent beaucoup sous son règne ; mais, vers la fin, la sympathie de ce prince alla aux Châfe’ites, et dans certains endroits il les appela aux fonctions de kâdis.

Mehdiyya, insurgée contre Ya’k’oûb, se soumet à son fils Mohammed.

Lors de son départ d’Ifrîkiyya en 581 (3 avril 1185), Ya’k’oûb’ donna à Aboû Sa’îd ‘Othmân le gouvernement de Tunis et à Aboû ‘Ali Yoûnos celui de Mehdiyya : ils étaient frères et comptaient parmi les grands de la cour, de même que leur père ‘Omar Inti. Il nomma commandant de la garnison de Mehdiyya Mohammed ben ‘Abd el-Kerîm, guerrier brave, renommé et très dur pour les Arabes, dont il n’épargna que ceux qu’il intimidait. Ce chef, ayant appris qu’une portion des ‘Awf étaient campés à un certain endroit, marcha contre eux, mais par des chemins détournés, de sorte qu’après les avoir dépassés il fit volte-face ; mais ils avaient eu connaissance de sa marche, si bien qu’ils s’enfuirent devant lui sans combattre et en abandonnant leurs biens et leurs femmes. Mohammed fit main basse sur le tout et rentra à Mehdiyya, où il remit ces dernières au gouverneur ; mais du butin proprement dit il s’appropria ce qui lui convint et nelaissa que le reste au gouverneur et à la milice. Alors les Benoû’ Awf se rendirent auprès d’Aboû Sa’îd ben ‘Omar pour embrasser l’Unitéisme, et sollicitèrent son intervention à l’effet de se faire restituer leurs biens et leurs femmes. Aboû Sa’îd fit appeler Mohammed ben ‘Abd el-Kerîm et lui donna l’ordre de restituer les dépouilles dont il s’était emparé ; mais comme le général répondait ne pouvoir le faire, puisque la milice les avait, le gouverneur l’interpella rudement et voulut employer la force. Alors Mohammed Je pria d’attendre jusqu’à ce que, rentré à Mehdiyya, il pût reprendre ce qui était encore entre les mains de la milice, s’engageant à parfaire de sa poche le manquant. Il obtint ce délai et retourna à Mehdiyya ; mais il n’était pas tranquille, et après avoir réuni ses compagnons il leur raconta ce qui venait de lui arriver avec Aboû Sa’îd, et s’engagea par serment à ne pas les abandonner. Ils lui en jurèrent autant, et alors il arrêta Aboû ‘Ali Yoùnos et s’empara de Mehdiyya. Aboû Sa’îd obtint cependant l’élargissement de son frère Yoùnos moyennant une rançon de 12.000 dinars, somme que Mohammed distribua à la milice. À la suite des armements faits par Aboû Sa’îd en vue du siège de Mehdiyya, Mohammed députa à ‘Ali ben Ish’âk’ l’Almoravide, et celui-ci s’engagea par serment à le soutenir. Alors Aboû Sa’îd ne donna pas suite à son projet ; mais la mort de Ya’k’oûb ayant fait monter sur le trône son fils Mohammed, celui-ci envoya par mer une armée [P. 97] commandée par son oncle, et par terre une autre armée que commandait son cousin El-H’asan ben Aboû H’afç ben ‘Abd el-Mou’min. La première était parvenue à Bougie et la seconde à Constantine, quand l’Almoravide et les Arabes qui le soutenaient s’enfuirent d’Ifrîkiyya pour s’enfoncer dans le désert. Lorsque la flotte se présenta devant Mehdiyya, Mohammed ben ‘Abd el-Kerîm se plaignit des procédés d’Aboû Sa’îd, déclarant qu’il reconnaissait l’autorité du Prince des croyants Mohammed et livrerait la ville non à Aboû Sa’îd, mais à ceux-là seulement qu’enverrait ce souverain. La prise.de possession fut opérée en effet par des envoyés de ce dernier, et tout rentra dans l’ordre.

[P. 171] En djomâda II 603 (2 janvier 1207), mourut à l’hôpital de Baghdâd Aboû’l-Fad’l ‘Abd el-Mon’im ben ‘Abd el-’Azîz ’Iskenderâni dit Ibn en-Natroûni. Il avait été en Ifrîkiyya porter un message au Mayorcain [Ali ben Ishâk’], de qui il avait reçu un cadeau de 10.000 dinars maghrébins, qu’il distribua entièrement dans sa ville à ses amis et connaissances. C’était un homme de mérite, vertueux et tout à fait distingué ; Dieu ait pitié de son âme ! Il était très versé dans la littérature et est auteur de belles poésies. Il fit à Mossoul un séjour de quelque durée pour étudier sous la direction du cheikh Aboû‘l-H’aram, chez qui je le fréquentai beaucoup.


 

[1] Aujourd’hui Anzul, près de Lucena. Ce nom ne se retrouve pas dans la géographie d’Edrisi ; mais Dozy en parle, dans sa relation de cette campagne d’Alphonse le Batailleur (Recherches, 3e éd., i, 357 ; Mus. d’Esp., iv, 257 ; cf. Bayân, trad. fr. (i, 465).

[2] Ce chapitre a été traduit dans la Biblioteca, i, 459, et dans les H. ar. des crois., i, 410.

[3] Amari orthographie « Meymoûn ben Ziyâd ».

[4] D’après le Bayân (trad., i, 466), Mot’arrif ben ‘Ali ben Khazroun (lis. Hamdoûn) Zenâti prit Tunis en 522, et en 530 ‘Ali ben Hammoûd, général de [Yah’ya ben] el-’Azîz ben el-Mançoûr, prince de Bougie, assiégea Mehdiyya pendant soixante-dix jours. Cf. Berbères, ix, 27, 30 et 57 : Mot’arrif y est toujours nommé « ben ‘Ali ben H’amdoûn ».

[5] J’ai suivi la leçon du texte Amari, seule admissible.

[6] Ce chapitre figure dans la Biblioteca, i, 461, et dans les H. ar. des Cr., i, 412 ; il est résumé dans l’Hist. des Berbères, ii, 578. Le Bayân (trad., i, 469) fixe à 530 la date de la conquête de Djerba par Roger.

[7] Ce chapitre et le suivant figurent dans les H. ar. des Cr., 1, 412 et s.

[8] Le Zafadola des chroniques espagnoles.

[9] En arabe, es-solaytin, c.-à-d. Alphonse VIII de Castille, fils de Raymond de Bourgogne et d’Urraque. On lit dans Dozy (Recherches, 3e éd., i, 105, n. 6) : « Alphonse, septième du nom ; » il est le huitième pour ceux qui incitent Alphonse Ier d’Aragon au nombre des rois de Castille.

[10] Cette trêve fut conclue en 534, d’après Ibn el-Abbâr, M. Codera en fixe la date à 1131 de J.-C. (Decad. y des. de los Almor., 24 et 284).

[11] Rueda de Jalon (Codera, ibid.).

[12] Il s’agit probablement du frère du chef renommé dont parle Merrâkechi (trad., p. 180) sous le nom d’ ‘Abd er-Rahmân ben Iyâd’, — Sur la bataille de Fraga, cf. Codera, l. l., p. 17.

[13] Cet alinéa, de même que le chapitre suivant, figurent dans la Biblioteca, i, 461, et dans les H. ar. des Cr., i, 439. Cf. le Bayân, trad., i, 470.

[14] Ce chapitre est également traduit dans l’Hist. des Berb., ii, 579.

[15] Les deux traductions citées expliquent ce passage, par suite d’une ambiguïté dans l’emploi du pronom, dans ce sens que « les Tripolitains ainsi renforcés firent une sortie contre les assaillants. »

[16] Ce paragraphe se retrouve dans les H. ar. des Cr., i, 445 ; il figure également, de même que le suivant, dans la Biblioteca, i, 463.

[17] Le Bayân (trad., i, p. 471) passe sous silence les attaques des Francs dirigées contre l’Afrique septentrionale, de 539 à 542 inclus. Brechk était sur la côte, à 20 milles O. de Cherche] (Edrisi, p. 403 et 118). — Cet alinéa, ainsi que les trois suivants, figurent dans la Biblioteca, i, 463 et s., et dans les H. ar. des Cr., i, 448 et s.

[18] Ce chapitre figure dans VII. des Berb., ii, 579, la Biblioteca, i, 465, et les H. ar. des Cr., i, 450.

[19] On retrouve ce chapitre dans l’Hist. des Berb., ii, 580, dans la Biblioteca, i, 466, et dans les H. ar. des Cr., i, 459.

[20] On retrouve la traduction de ce chapitre dans la Biblioteca, i, 468, et dans les H. ar. des Cr., i, 460.

[21] Le texte porte Châsa, nom d’ailleurs inconnu, que j’ai corrigé; cette dernière lecture se retrouve du reste dans les H. ar. des Cr., i, 461, où figure le présent alinéa.

[22] Ce paragraphe figure également dans la Biblioteca, i, 469, et l’Hist. des Berb., ii, 581.

[23] Ce chapitre figure dans la Biblioteca, i, 469, Hist. des Berb., n, 581, et les H. ar. des Cr., i, 462.

[24] Amari (Biblioteca, i, 472) dit : de 946 à 1148. Mais Bologgîn, à partir de qui Ibn Khaldoun fait commencer le pouvoir indépendant de cette dynastie, fut en effet laissé en Afrique par El-Mo’izz lors du départ de ce Fatimide pour l’Egypte, en 362 de l’hégire.

[25] Le Malka ou Malga de nos jours, village bâti sur une portion de l’emplacement de Carthage.

[26] Cet alinéa figure dans les H. ar. des Cr., i, 472.

[27] Sur Aboû ‘l-Fotoûh, cf. supra, p. 352, an. 1900. D’après Wüstenfeld, Gesch. der Fat. Chai. 314), ce personnage était le frère et non le fils de Yahya, et plusieurs passages de notre auteur devraient, en conséquence, être corrigés. — Le chapitre auquel appartient ce fragment figure tout entier dans les H. ar. des Cr., i, 474.

[28] On retrouve ce chapitre dans la Biblioteca, i, 476, l’H. des Berb., n, 584, et les H. ar. des Cr., i, 477. 88

[29] Ce chapitre figure dans les H. ar. des Cr., i, 479 : cf. la trad. latine du Kartâs, p. 405.

[30] Ce nom est écrit Yahya ben Yaghmor, et aussi Yermor dans Ibn Khaldoun (Berbères, u, -174, 176, 188 et 192) ; je crois que la lecture correcte est Yaghmor. Le Karlàs et ‘Abd el-Wâh’id Merrâkechi ne disent presque rien de ces événements d’Espagne, sur lesquels Ibn Khaldoun et Makkari sont plus explicites.

[31] On lit « Mo’ammer « dans les H. ar. des Cr., mais Makkari lit aussi Aboû’l-Ghomr (ii, 692).

[32] Il s’agit probablement de descendants d’Aboû‘l-Hasan ben Ghalboûn, savant du Ve siècle dont on retrouve le nom dans Makkari, II, 550 et 603.

[33] C’est-à-dire Ahmed ben ‘At’iyya, dont Merrâkechi (trad. fr., p. 173) et Ibn Khaldoun (Berbères, ii, 182) parlent plus longuement ; cf. aussi Kartâs, texte, p. 125, 126, etc.

[34] Le manuscrit d’Abd el-Wâh’id Merrâkechi indique les voyelles de ce nom, qui, dans l’Histoire des Berbères, est toujours lu Homochk. C’est la transcription du castillan hemocho ou he mochico, « voici le petit essoreillé « (Dozy, Recherches, etc., 3e éd., I, 368).

[35] Nos cartes indiquent un Los Banos sur la route de Murcie à Carthagène, ainsi qu’un « Banos « à proximité de Murcie, non loin de la route qui va de cette ville à Totana. On trouve dans Edrisi (p. 239) la mention d’un Alhama près de Lorca, sur la route qui va de cette dernière ville à Murcie.

[36] L’armée musulmane avait aussi à sa tête le fils d’Abd el-Mou’min, nommé Aboû Sa’îd, lequel s’empara d’Ubeda, de Baëza et d’Almeria (Kartâs, p. ‘126 du texte). Mais pour ce qui concerne cette dernière ville, cf. infra, année 552.

[37] Ce chapitre figure dans l’Hist. des Berb., II, 585, dans les H. ar. des Cr., I, 482, et, en partie, dans la Biblioteca, I, 487. Cf. Merrâkecbi, trad., p. 177 et 192.

[38] Ce chapitre figure dans les H. ar. des Cr., i, 484.

[39] Ni le Kartâs ni Ibn Khaldoun ne parlent de cette affaire ; voir cependant ce dernier, ii, 189.

[40] Comparez Ibn Khaldoun, ii, 58 et 190 ; Kartâs, texte, p. 126.

[41] Le commencement de ce chapitre figure dans la Biblioteca, I, 478, et le tout dans les H. ar. des Cr., i, 487.

[42] Cette orthographe est celle du Lobb el-lobâb et de Merrâkechi.

[43] C’est-à-dire un combat désespéré, Comparez le récit d’Ibn Khaldoun, qui paraît assigner à cette affaire la date de 546 ou du commencement de 547 (ii, 190). Le Kartâs la passe sous silence.

[44] ) D’après Ibn Khaldoun (ib.), le chef de l’armée almohade était ‘Abd Allah, fils d’’Abd el-Mou’min.

[45] Ce chapitre figure dans l’H. des Berbères, n, 586 ; dans la Biblioteca, i, 479 ; dans les H. ar. des Cr., i, 489.

[46] Au lieu de vingt, les H. ar., M. de Slane et Amari lisent soixante, bien que Tornberg ne signale aucune variante. Notre auteur paraît d’ailleurs confondre les deux Roger ; Roger II, né en 1093 et mort en 1154, n’avait que huit ans quand il monta sur le trône.

[47] On trouve cet alinéa dans la Biblioteca, i, 4S0, et dans les H. ar. des Cr., i, 491.

[48] Ce chapitre figure dans l’H. des Berbères, ii, 587, dans la Biblioteca, i, 480, et dans les H. ar. des Cr., i, 498.

[49] Ce mot a été ainsi imprimé et vocalisé par l’éditeur d’Ibn el Athîr, et sa lecture a été adoptée par Aman (voir le Merâcid et le Lobb el-lobâb ; cf. Storia dei Mus. di Sic., iii, 468, ’. M. de Slane a lu Gharyani (L L), ethnique que du reste on retrouve ailleurs et qui sert à désigner entre autres un glossateur de la Modawwana. J’ai lu « ben Aboû‘l-Hasan « avec Amari, Bibl., i, 482 ; ii, 719, etc.

[50] Un ms. lit Mohammed.

[51] Ou, d’après une autre leçon, « par une longueur de deux milles ».

[52] J’ai ici rétabli, d’après Amari et les H. ar., quelques mots omis par Tornberg.

[53] On retrouve ce chapitre ; dans les H. ar. des cr., i, 502.

[54] Le texte d’Ibn el Athir (in l. l.) ajoute la nomination d’Aboû Hafç ‘Omar à Tlemcen ; le Kartâs (p. 127 et cf. 129) et Ibn Khaldoun (ii, 190), confirment en effet qu’Aboû Hafç l’ut nommé gouverneur de cette ville. Cette attribution de divers gouvernements aux fils d’’Abd el-Mou’min remonte à 549, d’après le Kartâs, à 547 ou environ, d’après Ibn Khaldoun.

[55] Ce chapitre figure dans les H. ar. des Cr., i, 506.

[56] Ce chapitre figure dans l’H. des Berb. (II, 589), ainsi que dans la Biblioteca (I, 484) et dans les H. ar. des Cr. : (I, 508).

[57] Ce que Reinaud (Historiens, etc. I, 509) traduit par « les transportèrent dans des bâtiments sur lesquels ils apposèrent leur cachet. »

[58] Comparez les récits, qui présentent dus différences, de Merrâkechi, p. 195 de la trad. française ; de Zerkechi, trad., p. 12, et de Tidjâni, Journ. as., 1853, i, 393.

[59] En arabe, chini, t’arida et chelendi.

[60] Ou le 4 août 1159. M. de Slane, Reinaud et Amari ont tous lu « le 12 redjeb », date que donnent aussi Zerkechi (p. 12 de la trad. fr.) et Tidjâni (p. 397).

[61] Ibn Khaldoun énumère les conquêtes que fit ‘Abd Allâh (Berbères, ii, 193 ; et cf. Kartâs, p. 129).

[62] Ce vers est mis dans la bouche d’Aboû ‘Abd Allah Mohammed ben Aboû’ l-’Abbâs ‘Dinar Teyfâchi par Ibn Khallikan, ii, 183, et Zerkechi, trad. fr. p. 14 : cf. Kayrawâni, dont le texte (p. 113) devient, dans la version française de Pellissier et Rémusat (p. 198) : « Aucun de ceux qui agitent les épaules soit parmi les blancs soit parmi les noirs, n’a un courage égal au vôtre ».

[63] D’après une autre leçon « si leurs voiles avaient été hissées ».

[64] Commencement de janvier 1160. La soumission de la ville ayant eu lieu tout au commencement de 555 à la suite de pourparlers engagée en 554, on s’explique facilement que nos sources indiquent soit l’une soit l’autre de ces deux années. Il faut cependant remarquer que, d’après le Kartâs, le vainqueur fut de retour à Tanger en dhoû’l-hiddja 555.

[65] Ce qu’Amari a traduit par « année des cinq » (l’anno dei cinque), comme avait fait Reinaud (Hïstor. etc., i, 514). Cf. la trad. de Zerkechi, p. 14. La même expression se retrouve dans la chronique moderne El-Kholâçat en-nakiyya de Mohammed Bâdji Mas’oûdi, p. 56.

[66] Mohammed ben Faradj Koûmi, d’après Zerkechi (p. 12).

[67] Ce chapitre figure dans les H. ar. des cr., i, 514.

[68] Il est fait à cela une brève allusion par Zerkechi (p. 15) ; comparez aussi Berbères, ii, 194.

[69] Ni Bekri ni Edrisi ne mentionnent cette localité. Plusieurs endroits d’Algérie portent ce nom de « rivière du bivouac « (de Slane, Historiens, etc., i, 796).

[70] Cet endroit, qui est situé entre Djeloûla et Kayrawân, mais que ni Bekri ni Edrisi ne mentionnent, a vu d’autres rencontres célèbres (voir p. ex. l’Hist. des Berbères, i, 307, 363, etc.).

[71] Supra p. 114. Je corrige, comme plus haut, la lecture de Tornberg.

[72] Ce chapitre figure dans les Hist. ar. des cr. : (i, 523). Il faut voir le récit des faits tel qu’il est exposé par Dozy, (Recherches etc. 3e éd., i, 372). Ce savant parle (p. 364) du récit d’Ibn el-Athir comme n’étant pas traduit ; il n’a pas songé à consulter le recueil cité, où en effet, il n’y avait pas de raison d’insérer ce chapitre, non plus du reste que plusieurs de ceux dont nous avons donné l’indication.

[73] Ces derniers mots ont été ajoutés d’après le texte publié dans les H. ar., et énoncent un fait conforme à ce que nous avons vu p. 571. Tornberg n’a pas relevé cette variante, non plus d’ailleurs que quelques autres.

[74] Cheri’a (abreuvoir) désigne un quartier ou un faubourg dans diverses villes du Maghreb (Dozy, Recherches, i, 383).

[75] Ce que l’on appelle aujourd’hui l’Alhambra est de construction postérieure et remonte à l’époque des Naçrides ou Benoû Ahmar. Notre Fort rouge doit être ce qu’on nomme l’Alcazaba de l’Alhambra, dont des restes subsistent encore (Dozy, Recherches, I, 385).

[76] Cette bataille fut livrée le 28 redjeb ou 13 juillet 1162, d’après Ibn Çâhib eç-çalât (Dozy, t. I., où l’on trouve, à la p. 380, la traduction d’un fragment de notre auteur).

[77] On retrouve ce chapitre dans les Hist. ar. des cr., (i, 529).

[78] On a vu plus haut (p. 118) les moyens employés par ‘Abd el-Mou’min pour faire reconnaître Mohammed en qualité d’héritier ; voyez aussi ce que disent Ibn Khaldoun (ii, 195), Merràkechi (p. 202). Zerkechi (p. 15), Ibn Khallikan (iv, 470) et !e Kartâs (texte, p. 132).

[79] Aboû Hafç ‘Omar, selon Merrâkechi (p. 203), s’effaça volontairement devant son frère.

[80] Il faut, si je ne me trompe, lire ‘Omar.

[81] Comparez Merrâkechi (trad., p. 217, avec la note).

[82] Voir ibid., p. 214 ; Berbères, ii, 197 ; Kartâs, p. 137 ; trad. latine, 184. Ce chapitre figure dans les H. ar. des cr.. i, 573, dans une rédaction qui attribue à 'Omar, frère du Prince des croyants, le commandement des troupes envoyées par Ya'koûb [lisez Aboû Ya'koûb Yoûsof].

[83] Merrâkechi (trad. fr., p. 210) fait un récit analogue ; voir également Hist. des Berb., ii, 199 et 200 ; Ibn Khallikan.. iv, 471. On retrouve ce chapitre dans les H. ar. des cr., i, 585.

[84] Ce chapitre figure dans les Hist. ar. des cr., i, 590.

[85] Deux mamlouks du nom de Karakouch ont joué un rôle à cette époque : le premier et le plus célèbre est l’eunuque Behâ ed-Dîn Karakouch ben ‘Abd Allah Asadi Nâciri Çaklabi (aussi appelé Aboû Sa’îd par Defrémery, Hist. ar. des cr. ii, 1, p. 19), qui tint une place importante parmi les conseillers du Saladin, qui mourut en 597 (11 oct. 1200), et à qui une intéressante monographie a été consacrée par M. Casanova (Mém. de la mission arch. du Caire, vi, p. 447 ; à la p. 483, l. 20 et 28, lire 561 au lieu de 661) ; le second est Cheref ed-Dîn Karakouch Armeni Moz’afferi Nâçiri, mamlouk de Moz’affer Taki ed-Dîn, qui fut crucifié à Weddân en 609 (2 juin 1212), qui eut au moins deux fils et dont le rôle dans l’histoire du Maghreb est exposé notamment par Tidjâni (Journ. As., 1852, ii, 152 et s.), dont Ibn Khaldoun a suivi le récit (H. des Berb.. ii, 91). Cheref ed-Dîn, dont il est ici question, arriva au Maghreb, selon le dire formel de notre texte, en 568, mais des dates postérieures sont aussi indiquées (Tidjâni, pp. 159-160, et 163 : Merrâkechi, tr. fr., p. 221 et 250 ; H. des Berb., ii, 91 ; cf. i, 71 ; Zerkechi, tr. fr., p. 18). Les deux Karakouch ont été confondus et regardés comme n’étant qu’un, par exemple dans l’index d’ibn el Athîr, p. 498 ; dans le t. III des H. ar. des cr., p. 90, ainsi que par l’auteur de l’index de ce tome : ils avaient cependant, avec raison, été distingués dans l’index du t. I de cette collection, ainsi que l’avait fait Defrémery (J. as., 1869, i, 524), et comme le fait aussi M. H. Derenbourg, Vie d’Ousâma, p. 432 et 450). Cf. L’Afrique sept, au xiie s. de notre ère, p. 4, n. 2.

[86] C’est à la fin de 574 que Merrâkechi (p. 221 ; cf. 250) place la première arrivée des Turcs au Maghreb ; voir la note précédente.

[87] Dans Ibn Khaldoun, Mas’oûd ben Zemâm el-Bolt, chef des Benoû Riyâh (H. des Berb., i, 56, 71, 138 ; ii, 92).

[88] « Et de ses enfants », ajoute le texte des H. ar. des cr., ce qui est contredit par le récit d’Ibn Khaldoun.

[89] Ce chapitre figure dans les Hist. ar. des cr., I, 591.

[90] Comparez le récit de Merrâkechi (ibid.) et de VII. des Berb. (ii, 200). Au lieu de « Huete », Tornberg a mal restitué un mot écrit d’une manière imparfaite et en a fait « Honda ».

[91] Ce chapitre figure en entier dans la Biblioteca (i, 495) et dans les H. ar. des cr. (i, 611).

[92] De courts fragments de ce chapitre se retrouvent dans l’Hist. des Berb., ii, 593, et le dernier alinéa, dans la Biblioteca, i, 499 ; il figure en entier dans les Hist. ar. des cr., i, 645.

[93] Sur ‘Ali (Ibn er-Rend), comparez les récits d’Ibn Khaldoun (ii, 34 et 203), de Zerkechi (p. 15-16) et de Merrâkechi (p. 218).

[94] Le premier alinéa de ce chapitre se retrouve dans les Hist. ar. des cr. (i, 665).

[95] Voyez Recherches, de Dozy, 3e éd., ii, p. 443 ; H. des Berbères, ii, 205.

[96] Deux mss lisent « et quelques mois ».

[97] 3) On retrouve ce chapitre dans les H. ar., etc. (i, 667). Sur les faits dont il y est question, cf. Zerkechi, p. 18 ; Hist. des Berbères, ii, 208, et Merrâkechi, trad. fr., p. 233.

[98] Ce chapitre se retrouve presque tout entier dans les H. ar. des cr., i, 669.

[99] Sous l’année 582 (t. xi, 345 : H. ar. des cr., i, 672), notre auteur explique les événements auxquels il est fait ici allusion. En cette année, Saladin rappela en Syrie Tak’i ed-Dîn qui gouvernait en Egypte, et refusa de le recevoir. Alors Tak’i ed-Dîn réunit des milices et des troupes pour se rendre au Maghreb, où l’appelait son mamlouk K’arâk’oûch, qui s’était rendu maître des montagnes de Nefoûsa, de Barka, etc. Saladin, à cette nouvelle, rappela son neveu à la cour et lui attribua divers fiefs. Mais Taki ed-Dîn avait déjà fait partir son avant-garde sous le commandement de son mamlouk Bouzâba, lequel avait rejoint K’arak’oùch. — Behâ ed-Dîn (H. ar. etc., iii. 90) fait également allusion à ces incidents. Tidjâni les raconte d’une manière un peu différente et donne plus de détails sur les débuts de K’arâk’oûch en Ifrîkiyya (J. As., 1852, ii, 158 ; H. des Berb., ii, 91 ; cf. L’Afr. sept. au XIIe s. de notre ère, p. 5). — Sur l’orthographe du nom Bouzâba, cf. H. Derenbourg, Vie d’Ousâma, p. 450.

[100] Il s’agit là d’une région bien connue (Edrisi, 138 et 118 ; Bekri, 109 et ! 10, etc.), et non d’une île, ainsi que le dit la traduction des H. ar. des cr.

[101] À El-Hamma (Berbères, ii, 211 ; L’Afr. sept. au XIIe s., p. 4, n. 1).

[102] Tidjâni raconte comment Karakouch, ayant fini par se brouiller avec les Benoû Ghâniya, fut crucifié à Waddân en 609 (Journ. as., 1852, ii, 154).

[103] Ce chapitre se retrouve dans les Hist. ar. des croisades (ii, 1ère partie, p. 35).

[104] Ou plutôt Ibn er-Rîk. Il s’agit du roi de Portugal Sanche Ier (cf. Géographie d’Aboulféda, ii, 240, n. 5).

[105] Ce chapitre figure dans les Hist. ar. des Cr. (ii, 1ère p., 78).

[106] Ces six derniers mots, par suite d’une leçon différente adoptée par Defrémery (Hist., etc.) y sont rendus par « dont la capitale était Tolède ».

[107] On retrouve dans la biographie de Ya’koûb par Ibn Khallikan (iv, 338) un texte quelque peu différent de cette lettre, dont la rédaction y est attribuée à Ibn el-Fakhkhâr.

[108] C’est-à-dire de la religion orthodoxe qui remonte à Abraham et qui a été restaurée par Mahomet

[109] Tornberg a imprimé à deux reprises K’al’at Riyâh’, mais a rectifié cette orthographe dans son Index. Il s’agit de la célèbre bataille d’Alarcos, sur laquelle on peut voir l’Hist. des Berbères (ii. 213) ; Merrâkechi (trad., p. 245) ; Ibn Khallikan (iv, 340) ; le Kartâs (texte, p. 151 ; trad. Tornberg, p. 199). Au lieu de « Merdj el-H’adid », Merrâkechi lit « Fah’e el-Djedid ». C’est le 18 juillet 1195 qu’Alphonse IX perdit cette bataille.

[110] Ce chapitre se retrouve dans les H. ar. des cr. (ii, 1ère partie, p. 83).

[111] La Mehdiyya du Maroc fut fondée par ‘Abd el-Mou’min (voir la. note de la p. 308, trad. fr. de Merrâkechi), et Rabat par Ya’koûb (Ibn Khallikan, iv, 341). Il semble donc que notre auteur a commis une confusion. La mort de Ya’koûb n’est pas racontée de la même manière par tout le monde, et certains prétendent qu’il disparut mystérieusement (Zerkechi, tr. fr., p. 20 ; Ibn Khallikan, iv, 341).

[112] Le texte édité par Tornberg est corrompu ; il faut certainement lire …A-t-il ainsi que l’a d’ailleurs fait aussi Goldziher (Die Zahiriten, p. 174, où le renvoi, dans la note 3, doit se lire « Kâmil, xii, 95-96 ». Comparez aussi Quatremère, Mamlouks, I, B, 269, et les Prolégomènes, iii, 5.