Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Revue Africaine, 1897.
En cette année 92 (28 oct. 710), T'ârik' ben Ziyôd, client de Moûsa ben Noçayr, fît une incursion en Espagne, avec une armée de douze mille hommes. Il y eut à combattre le roi du pays nommé Edrînouk', qui tirait son origine de la ville d'Içbahân (Ispahan), et dont la famille fournissait les rois des étrangers régnant en Espagne.[1] La rencontre qui eut lieu entre T'ârik' à la tête de tous ses soldats, et le roi Edrînouk' fut des plus acharnées ; mais ce dernier, qui prit part au combat avec sa tiare sur la tête et recouvert de tous les ornements que portent ordinairement les rois, finit par être tué. Sa mort eut pour suite la conquête de l'Espagne, qui eut lieu en 92 (28 oct. 710).
Voilà tout ce que dit Abou Dja'far (Tabari) touchant cet événement ; [P. 440] mais la conquête d'une région aussi étendue, une victoire aussi considérable ne peuvent être racontés aussi brièvement. Je vais donc, si Dieu me le permet, faire un récit plus complet, que j'emprunterai aux auteurs indigènes, mieux placés pour connaître l'histoire de leur propre pays.
D'après eux, les premiers habitants portaient le nom d'Andalouch et donnèrent leur nom à cette région ; plus tard on donna à ce mot la forme arabe et l’on prononça Andalous.[2] Quant aux chrétiens, ils emploient, pour désigner ce pays, le mot Echbânia, du nom d'un homme qui y subit le supplice de la croix et qui s'appelait Echbânès. Mais d'autres prétendent retrouver l'origine de ce nom dans celui que portait un prince qui y régna dans les temps les plus reculés, Echbân fils de Titous. C'est ce nom d'Echbânia qu'on retrouve dans Ptolémée. D'après une autre opinion, la contrée tire son nom de celui d'Andalous ben Yâfeth ben Noûh' (Japhet fils de Noé), qui le premier la mit en valeur.
Il y en a qui disent que les premiers habitants de l'Espagne après le déluge furent un peuple mage nommé Andalous, qui civilisa le pays et chez qui le pouvoir passa de génération en génération pendant une longue période ; puis la volonté divine ayant arrêté toute pluie, une famine de longue durée en résulta et la plupart des habitants périrent ; ceux-là s'enfuirent qui le purent, et l'Espagne resta alors déserte pendant cent ans. Ensuite Dieu, pour la repeupler, envoya les Afârik'a (Africains), dont une troupe y arriva, chassée par le roi d'Ifrîkiyya ; celui-ci s'était ainsi débarrassé d'eux par suite d'une longue famine qui désolait son royaume et qui faillit emporter tous ses sujets. Ils arrivèrent dans des bateaux commandés par un officier du roi et jetèrent l'ancre dans la presqu'île de Cadix. Reconnaissant alors les gras pâturages de l'Espagne et les rivières qui arrosaient ce pays, ils s'y fixèrent et se mirent à le cultiver ; ils confièrent à des rois le soin de.les gouverner et pratiquaient la religion de ceux qui les accueillirent. Leur capitale était T'âlik'at el-Khirâb, dans la province de Séville[3] ; dans cette ville, qui fut fondée par eux, ils habitèrent pendant plus de cent cinquante ans, et onze princes y régnèrent successivement.
Dieu envoya ensuite contre eux les barbares de Rome, ayant à leur tête Echbân ben T'ît'ouch, qui leur fit la guerre, les persécuta et en fit mourir un certain nombre ; il mit le siège devant T'âlik'at, où les indigènes s'étaient fortifiés et, pour les combattre, il bâtit Echhâniya, c'est-à-dire Séville, dont il fit sa capitale. L'accroissement de ses partisans augmenta son orgueil : il fit une expédition contre Jérusalem, qu'il pilla et où il tua cent mille personnes ; il en ramena du marbre à Séville et ailleurs. Dans le butin figurait aussi la table de Soleymân ben Dâwoûd (Salomon fils de David), dont s'empara T'ârik' lorsqu'il conquit Tolède, [4] de même que la petite cruche en or, et la pierre précieuse qui fut trouvée à Mérida.[5]
El-Khid'r était venu, à un certain moment, trouver Echbân, occupé alors à cultiver la terre, et lui dit : « Un jour [P. 441] tu deviendras grand et puissant, et tu régneras. Quand tu auras conquis Ilia (Jérusalem), montre-toi bienveillant pour la postérité des prophètes. — Te moques-tu ? » lui répondit-il ; « comment un homme comme moi deviendrait-il roi ? — Ainsi l'a décidé », répartit le Prophète, « celui qui a transformé ton bâton comme tu peux le voir ». Et, en effet, il était couvert de feuilles. El-Khid'r disparut alors, laissant Echbân tout effrayé.[6] Cependant celui-ci, confiant dans la prédiction qui lui avait été faite, se mêla aux autres hommes et finit par devenir le chef d'un royaume puissant. Il régna vingt ans, et cinquante-cinq de ses descendants occupèrent successivement le trône après lui.
Contre les habitants de l'Espagne, surgit ensuite un peuple qui faisait partie des barbares de Rome et qui s'appelait El-Bachnoûliyyât, dont le roi était Tawîch ben Nîta, vers l'époque de la mission prophétique du Messie. Ce peuple conquit l'Espagne et fit de Mérida sa capitale. Il fournit une dynastie de vingt-sept princes.
L'Espagne fut ensuite conquise par les Goths, peuple qui obéissait à un roi et qui s'était d'abord montré en Italie, pays situé à l'est de l'Espagne. A partir de cette époque, ce dernier pays échappa, à leur profit, au souverain de Rome. Les Goths s'étaient d'abord dirigés contre la Macédoine, pays situé dans ces régions, à l'époque de K'alyoûdyoûs, le troisième des Césars ; mais à la suite de la défaite que leur infligea ce prince, qui en massacra un certain nombre, ils ne parurent plus jusqu'à l'époque de Constantin le Grand. Les incursions qu'ils recommencèrent sous ce prince furent réprimées par l'armée qu'il envoya contre eux ; on ne sait plus rien qui les concerne jusqu'au César Thalâth.[7]
Ils choisirent pour leur chef un prince du nom de Loderîk, qui, adorateur des idoles, alla à Rome pour convertir les chrétiens à son système d'idolâtrie. Ensuite ses partisans, mécontents de sa manière d'agir, se détachèrent de lui et, se ralliant à son frère, entamèrent la lutte avec lui. Mais il demanda du secours au roi de Rome, et, avec l'armée que celui-ci lui envoya, il battit son frère et se fit chrétien.
Après avoir régné treize ans, il eut pour successeur Akrît, puis Amalrik, puis Waghdîch, lesquels embrassèrent de nouveau l'idolâtrie. Ce dernier fut défait et tué par le roi de Roûm, alors qu'il marchait contre Rome à la tête d'une armée de cent mille hommes. [P. 422] Après lui régna Alarîk', qui était dualiste (zindîk') et vaillant guerrier, et qui, pour tirer vengeance de la mort de Waghdîch et des siens, alla assiéger Rome ; il en réduisit les habitants aux dernières extrémités, puis pénétra de vive force dans la ville et la pilla. Cela fait, il réunit une flotte pour aller conquérir et piller la Sicile ; mais la plus grande partie de ses troupes périt dans un naufrage, où lui-même perdit la vie. Son successeur At'loûf, qui régna six ans, alla d'Italie s'établir dans la Galice, proche de l'extrémité de l'Espagne, et de là à Barcelone. Il eut pour successeur son frère, qui régna trois ans. Ensuite se-succédèrent Wâliyâ et Boûrdezârîch, qui régnèrent trente-trois ans ; puis Tarachmond, fils de ce dernier, et son frère Loderîk', qui régnèrent treize ans ; Ourîk' (Euric), dix-sept ans ; Alarîk' à T'oloûcha (Toulouse), vingt trois ans ; 'Achlîk', puis Amlîk', deux ans ; Toûdhyoûch, dix-sept ans cinq mois ; T'oudatk'lîs, un an trois mois ; Athla, cinq ans ; Atlandja, quinze ans ; Liyoûbâ, trois ans ; son frère Lewîld. Ce prince fut le premier à faire de Tolède sa capitale ; la raison qui l'y poussa fut la position centrale de cette ville, qui lui permettait de combattre sans retard ceux qui tentaient de se soustraire à son pouvoir ; ses efforts furent couronnés de succès, et il finit par rester maître de l'Espagne entière. Il bâtit, proche de Tolède, la ville de Rak'awbal, qu'il appela ainsi du nom de son fils ; il la fortifia et en agrandit les jardins. Il fit la guerre au pays de Bachk'ons (Biscaye), dont les habitants durent courber la tête devant lui. Il demanda au roi des Francs la main de sa fille pour son propre fils Ermendjild, et, l'ayant obtenue, il établit les jeunes époux à Séville. Mais Ermendjild s'étant, par suite des suggestions de sa femme, révolté contre son père, celui-ci les tint étroitement bloqués [P. 443) et finit par s'emparer de vive force de son fils rebelle, qu'il laissa mourir en prison.
A Lewîld succéda son fils Rekared, prince dont la conduite mérita des louanges, pieux et chaste, qui revêtit le froc des moines. Il assembla les évêques, devant qui il blâma la conduite de son père, et confia le pays à ces prêtres, qui étaient au nombre de quatre-vingts environ. C'est ce prince qui bâtit l'église El-Wazk'a, en face de la ville de Wâdi Ach (Guadix).
Son fils Liyoûba marcha sur les traces de son prédécesseur. Mais un Goth, nommé Batrîk', le tua par trahison et s'empara du pouvoir malgré les Espagnols. Pécheur, impie et tyrannique, cet homme fut attaqué et tué par l'un de ses familiers.
Ghandamâr occupa ensuite le trône pendant deux ans. Après lui, Sîsîfoût, prince dont la conduite était louable, régna pendant neuf ans.
Son fils Rekarîd, qui n'avait que trois mois, lui succéda et mourut (bientôt). Vint ensuite Chontila (Suintila), qui sut s'attirer la reconnaissance de ses sujets et qui était contemporain de la mission du Prophète. Sichnand régna ensuite cinq ans, puis Khantala, six ans ; Khandas, quatre ans ; Benbân, huit ans, Arwa, sept ans. Sous le règne de ce dernier, une famine terrible faillit ruiner entièrement l'Espagne. Abk'a, prince injuste et mauvais, régna quinze ans et eut pour successeur son fils Ghît'icha (Vitiza), qui occupait le trône en 77 (9 avril 696) de l'hégire ; ce dernier fut un prince juste et doux, qui mit en liberté ceux que son père avait fait jeter en prison et qui restitua à leurs propriétaires les biens confisqués sur eux. Après sa mort, les Espagnols n'agréèrent ni l'un ni l'autre des deux fils qu'il laissait et portèrent leur choix sur un homme du nom de Roderik', vaillant guerrier qui n'appartenait pas à la famille royale.
[8]Or la coutume existait [P. 444] chez les princes d'Espagne d'envoyer leurs enfants des deux sexes dans la ville de Tolède ; ces enfants y remplissaient, à l'exclusion de tous autres, l'office de serviteurs chez le roi qui habitait cette ville, et y recevaient ainsi leur éducation ; puis, quand ils étaient devenus grands, le roi les dotait et les mariait entre eux. Roderîk', devenu roi, reçut de la sorte une fille de Julien, gouverneur d'Algésiras, de Ceuta et autres lieux ; elle lui plut et il lui fit subir les derniers outrages. La nouvelle de cette violence, dont la jeune fille informa son père, exaspéra celui-ci, qui se mit en rapport avec Moûsa ben Noçayr, gouverneur de l'Ifrîkiyya au nom d'El-Welîd ben 'Abd el-Melik, et lui offrit de se soumettre s'il se rendait à son appel. Moûsa consentit, et Julien le fit entrer dans les villes qui dépendaient de lui, après avoir reçu du nouveau venu, en sa faveur et en celle des siens, des engagements satisfaisants. Julien fit ensuite la description de l'Espagne, en engageant Moûsa à y pénétrer. Cela arriva à la fin de l'an 90 (19 nov. 708). Moûsa envoya alors à El-Welîd la nouvelle des conquêtes qu'il avait faites et de celle que Dieu lui offrait, par suite des propositions de Julien ; à quoi le khalife répondit : « Pénètre dans ce pays en y lançant quelques escadrons détachés, mais sans exposer les musulmans à se jeter dans une mer pleine d'épouvantes ». Moûsa objecta qu'il ne s'agissait pas d'une mer, mais d'un simple canal dont l'autre rive était à portée du regard, et El-Welîd consentit alors, si les choses étaient telles, à ce que quelques escadrons tentassent l'entreprise. Moûsa envoya donc T'arîf, l'un de ses affranchis, à la tête de quatre cents hommes et de cent cavaliers ; portée par quatre bâtiments, cette troupe débarqua dans une presqu'île d'Espagne qu'on nomma depuis lors presqu'île de Tarîf (djezîrat Tarîf), du nom de cet officier. Après s'être livré sur Algésiras à des incursions d'où il rapporta un riche butin, Tarîf rentra sain et sauf (en Afrique) en ramad'ân 91 (2 juil. 710), et en présence de ce résultat, tout le monde se précipita pour prendre part aux razzias.
Alors Moûsa fit venir un de ses affranchis, T'ârik' ben Ziyâd, qui commandait l'avant-garde de ses troupes, et lui confia une armée composée de sept mille musulmans, Berbères et affranchis pour la plupart, le très petit nombre étant Arabes.[9] T'ârik' dirigea les vaisseaux qui portaient son corps d'armée vers une montagne élevée qui appartient au continent et y fait saillie ; cet endroit, où il débarqua en redjeb 92 (23 avril 711), a conservé jusqu'à présent le nom de Djebel T'ârik' (Gibraltar). 'Abd el-Moumin (l'Almohade), quand il fut devenu maître du pays, fonda sur cette montagne une ville qu'il appela Medînat el-Fath' (ville de la victoire) ; mais ce nom ne put prévaloir sur le premier, qui continua de rester en usage.
Au moment de son embarquement, T'ârik' se sentit gagner par le sommeil [P. 445] et s'imagina voir le Prophète qui, entouré des Mohâdjir et des Ançâr[10] ceints de leurs épées et armés de leurs arcs, lui parlait ainsi : « Avance hardiment, ô T'ârik', mais use de douceur envers les musulmans et respecte les traités ! » après quoi il vit le Prophète et ses compagnons le précéder en Espagne. Alors il se réveilla tout joyeux et fit part de cet heureux présage à ses compagnons ; lui-même se sentit tout raffermi et dès lors ne douta plus de la victoire.[11]
Une fois toutes ses troupes débarquées sur le promontoire, il s'avança dans la plaine et conquit d'abord Algésiras, où il trouva une vieille femme qui lui dit : « Mon mari, qui avait une profonde connaissance des traditions, a annoncé aux habitants que ce pays serait conquis par un général dont il faisait la description et dont, entre autres traits, il disait qu'il avait la tête grosse et portait sur l'épaule gauche un signe foncé et couvert de poils. » T'ârik' se déshabillant montra qu'il avait le signe en question, et cela servit encore à fortifier son joyeux espoir et celui de ses soldats.
Après être donc entré dans la plaine, il conquit Algésiras et d'autres lieux, et abandonna le fort qui couronnait le promontoire. Sitôt que Roderîk', qui était à ce moment en expédition, apprit l'invasion de ses états par T'ârik', il reconnut la gravité de la situation, revint sur ses pas et réunit une armée qui montait, dit-on, à cent mille hommes. T'ârik', qui en fut informé, réclama des secours à Moûsa : tout en lui disant les conquêtes qu'il avait faites jusqu'alors, il ajoutait que le roi d'Espagne marchait contre lui avec des forces auxquelles il était hors d'état de tenir tête. Moûsa lui expédia cinq mille hommes de renfort, ce qui porta le nombre des soldats musulmans à douze mille hommes ; avec eux se trouvait Julien, qui leur indiquait les endroits vulnérables et les tenait, par ses espions, au courant de ce qui se passait.
Le choc avec l'armée de Roderîk' eut lieu sur la rivière de Bekka[12] dans le territoire de Sidona le 28 ramadan 92 (19 juillet 711), et il y eut une série d'engagements qui durèrent huit jours. Or les deux fils du prédécesseur de Roderîk', qui commandaient l'un l'aile droite et l'autre l'aile gauche de son armée, [13] complotèrent avec d'autres princes de s'enfuir, poussés qu'ils étaient par leur haine contre le roi régnant ; ils étaient d'ailleurs persuadés que les musulmans se retireraient quand ils se seraient gorgés de butin, et qu'alors eux-mêmes recouvreraient la royauté. A la suite de l'exécution de leur projet, Roderîk' et les siens furent mis en déroute, et lui-même se noya dans la rivière. T'ârik' poursuivant les fuyards, arriva jusqu'à la ville d'Ecija, où de nombreux vaincus, soutenus par les habitants de cette ville, se rallièrent [P. 446] et recommencèrent une lutte acharnée, qui se termina par la défaite des Espagnols et qui fut plus terrible qu'aucune de celles que les musulmans eurent encore à soutenir. T'ârik' établit alors son camp auprès d'une source située à quatre mille d'Ecija et qui a conservé jusqu'à ce jour le nom d'Ayn T'ârik'.[14]
Par ces deux défaites successives, Dieu jeta la terreur dans le cœur des Goths, qui s'enfuirent à Tolède, convaincus que le vainqueur allait réaliser les paroles de T'ârik' : celui-ci s'était donné, lui et les siens, comme anthropophages. Leur retraite à Tolède et leur évacuation des autres villes d'Espagne firent que Julien dit au général musulman : « Maintenant l'Espagne est à toi ; envoie des corps de troupes dans les diverses provinces, et marche en personne sur Tolède. » T'ârik' suivit ce conseil : d'Ecija il envoya des détachements à Cordoue, à Grenade, à Malaga, à Todmîr, et lui-même, avec le gros de son armée, marcha sur Jaén dans l'intention de se diriger ensuite sur Tolède. Mais lorsqu'il atteignit cette dernière ville, il la trouva abandonnée par ses habitants, qui s'étaient rendus dans la ville appelée Mâya[15] derrière la montagne.
Quant à Cordoue, le détachement qui avait été envoyé de ce côté s'en empara en y pénétrant par une brèche existant dans la muraille et qui fut signalée par un berger.[16]
Les troupes qui marchèrent contre Todmîr [Theudimer ou Théodemir] — c'est la ville d'Orihuela qui avait pris le nom du prince qui y régnait — eurent à combattre le prince de cette ville, qui, à la tête d'une armée considérable, leur livra un combat acharné ; mais il fut battu et laissa un grand nombre des siens sur le champ de bataille. Alors il fit armer les femmes et put ainsi faire la paix avec les musulmans.[17] Les autres corps d'armée se rendirent maîtres des pays qu'ils attaquèrent.
Quant à Târik', comme il trouva la ville de Tolède abandonnée, il y installa les Juifs[18] avec un certain nombre de ses soldats, et marcha en personne contre Guadalajara, [19] puis franchit la montagne par un défilé qui porte encore aujourd'hui le nom de Feddj T'ârik'[20] et arriva par delà à la ville dite de la Table (medînat elmâ'ida), où il trouva la table de Salomon fils de David, qui est en béryl vert ; les bords et les pieds, ceux-ci au nombre de trois cent soixante, sont en la même matière, enrichie de perles, de corail, de yâkoût, etc. De là il alla dans la ville de Mâya, qu'il pilla, puis retourna à Tolède en 93 (18 oct. 711). On dit aussi qu'il se jeta sur la Djâlîkiyya (Galice), qu'il ravagea, et pénétra jusqu'à la ville d'Astorga, [21] d'où il rentra à Tolède ; il y fut rejoint par les troupes qu'il avait envoyées d'Ecija [P. 447] et qui avaient accompli la mission de conquêtes qu'il leur avait confiée.
Moûsa ben Noçayr entra en Espagne en ramad'ân 93 (comm. le 10 juin 712), avec une nombreuse armée, car le récit des exploits de T'ârik' avait excité sa jalousie. Lors de son débarquement à Algésiras, il n'écouta pas le conseil qu'on lui donnait de suivre la même route que T'ârik', et les guides s'offrirent à le mener par une route préférable à la sienne et qui passait par des villes non encore conquises. Inquiet comme il l'était de ce qu'avait fait T'ârik', il accueillit avec joie la promesse de succès importants que lui fit le comte Julien. On le mena d'abord à Medînat ibn es-Selîm,[22] qu'il prit de vive force, puis il marcha sur Carmona, la ville la plus forte du pays. Julien et ses affidés s'y présentèrent d'abord, se donnant comme des fugitifs, mais munis de leurs armes ; ils furent reçus par les habitants, puis Moûsa envoya des cavaliers, à qui ils ouvrirent les portes pendant la nuit, de sorte que les musulmans purent s'emparer de la ville. De là Moûsa se dirigea sur Séville, l'une des villes d'Espagne qui comptait le plus d'habitations et l'une des plus remarquables par ses antiquités. Il s'en empara après plusieurs mois de siège et y installa les Juifs pour remplacer les habitants qui s'étaient enfuis. Il alla ensuite assiéger Mérida ; les habitants ayant opéré une sortie et lui ayant livré une sanglante bataille, il dressa pendant la nuit une embuscade dans les défilés des montagnes, et quand, le matin, les infidèles sortirent comme d'habitude pour combattre, ils se trouvèrent entourés de toutes parts par les musulmans sortis de leur cachette ; comme ils ne pouvaient échapper, ils furent surpris par la mort, à laquelle quelques-uns purent se soustraire en se sauvant dans la ville. Moûsa assiégea celle-ci, qui était bien fortifiée, pendant plusieurs mois, et parvint, à l'aide d'une tour mobile (debbâba), à ouvrir une brèche dans les murs ; les habitants tentèrent alors une sortie et massacrèrent des musulmans auprès de la tour, qu'on appelle encore aujourd'hui Tour des martyrs (bordj ech-chohadâ). Le jour de la Rupture du jeûne, dernier de ramadan 94 (28 juin 713), la ville capitula en reconnaissant aux musulmans la propriété des biens de ceux qui avaient été tués le jour de l'embuscade et de ceux qui avaient fui en Galice, ainsi que des biens et des bijoux appartenant aux églises. Mais alors les Sévillans, ayant organisé un complot, se rendirent (de nouveau) maîtres de cette ville et mirent à mort les musulmans qui s'y trouvaient. Moûsa l'envoya assiéger par une armée que commandait son fils 'Abd el-'Azîz, qui s'en empara de vive force et tua ceux des habitants qui y étaient encore ; puis 'Abd el-'Azîz alla conquérir les villes de Niébla et de Bâdja (Béja), et retourna [P. 448] à Séville.
Au mois de chawwâl (juillet), son père Moûsa partit de Mérida pour se rendre à Tolède. T'ârik' sortit à sa rencontre et mit pied à terre sitôt qu'il l'aperçut. Moûsa le frappa de son fouet à la tête, en lui reprochant sa désobéissance, puis l'emmena avec lui à Tolède. Il s'enquit du butin qu'il avait fait, ainsi que de la table de Salomon ; celle-ci, sur sa demande, lui fut apportée, mais un pied en avait été enlevé par T'ârik' et manquait. « J'ignore, répondit cet officier interrogé, ce qu'il est devenu ; c'est dans cet état que j'ai trouvé la table. » Alors Moûsa en fit faire un en or pour remplacer le manquant.
Moûsa alla conquérir Saragosse et les villes qui en dépendent ; puis il pénétra dans le pays des Francs, où il parvint jusqu'à une vaste plaine déserte, mais où se trouvaient des monuments, entre autres une idole debout, sur laquelle étaient gravés ces mots : «Fils d'Ismâ'îl, c'est ici votre point extrême, et il vous faut retourner. Si vous demandez à quel lieu vous retournez, je vous répondrai que c'est aux discussions relativement à ce qui vous concerne, si bien que vous vous couperez la tête les uns aux autres, ce qui a eu lieu déjà. » Il revint alors sur ses pas. et rencontra un messager que lui envoyait le khalife El-Welîd avec l'ordre de quitter l'Espagne et de venir le trouver ; mais, mécontent de cet ordre, il différa de répondre à l'envoyé et attaqua l'ennemi par un autre point que celui où se trouvait l'idole, tuant et pillant tout, détruisant les églises et brisant les cloches. Il parvint ainsi jusqu'au rocher de Belây[23] sur l'Océan, [24] lieu élevé et dont la situation est forte. Alors un second messager d'El-Welîd vint insister sur l'urgence de son départ, et saisit même la bride de sa mule pour le faire partir. Cela eut lieu dans la ville de Loukk, [25] en Galice, d'où il partit par le col dit Feddj Moûsa ; il fut rejoint par T'ârik', venant de la Frontière supérieure (Aragon) ; il se fit accompagner de ce chef, et tous deux partirent ensemble.
Moûsa laissa pour gouverner l'Espagne son fils 'Abd el-'Azîz ben Moûsa ; après être débarqué à Ceuta, il nomma gouverneur de cette ville, de Tanger et de la région avoisinante, un autre de ses fils, 'Abd el-Melik, et il plaça à la tête de l’Ifrîkiyya et de ses dépendances, son fils aîné 'Abd Allâh. Alors il se dirigea sur la Syrie porteur du butin, des trésors et de la table conquis en Espagne, et emmenant avec lui, outre trente mille vierges, filles des rois et des principaux Goths, une quantité innombrable de marchandises et de pierres précieuses. A son arrivée en Syrie, Welîd ben 'Abd el-Melik était mort et remplacé par Soleymân ben 'Abd el-Melik. Le nouveau prince, mal disposé [P. 449] pour Moûsa ben Noçayr, le destitua de toutes ses fonctions et le bannit de sa présence ; puis il le fit jeter-en prison et lui infligea des amendes telles que ce général fut obligé de mendier sa nourriture.
D'après une autre version, il arriva en Syrie du vivant d'El-Welîd, à qui dans ses lettres il s'était donné comme le conquérant de l'Espagne, en même temps qu'il avait parlé de la table. A son arrivée, il étala son butin, la table comprise. Comme Târik', qui l'accompagnait, prétendait qu'elle figurait parmi les dépouilles dont il s'était rendu maître, Moûsa lui donna un démenti ; T'ârik' dit alors à El-Welîd : « Demande-lui ce qu'est devenu le pied manquant. » A cette question, Moûsa ne put répondre, car il n'en savait rien. Alors T'ârik' le fit voir, en ajoutant qu'il l'avait caché avec cette arrière-pensée, et El-Welîd reconnut que c'était lui qui disait vrai. Il n'avait agi ainsi que parce qu'il avait été emprisonné et battu (par Moûsa), car il ne recouvra la liberté que grâce à l'arrivée d'un message d'El-Welîd. Selon d'autres, T'ârik' ne fut pas emprisonné.
On dit qu'il existait dans les possessions des chrétiens (Roûm), depuis leur entrée en Espagne, une maison à laquelle chaque nouveau prince ajoutait une serrure. Devenus maîtres du pays, les Goths continuèrent d'en faire autant. Roderîk', à son avènement, voulut ouvrir ces serrures et passa outre à l'opposition des grands du royaume ; alors on vit, dans la maison ouverte, des images d'Arabes porteurs de turbans rouges et montés sur des chevaux gris, avec cette inscription : « Quand cette maison sera ouverte, les gens que voici entreront dans ce pays. » Or l'Espagne fut conquise cette année-là.[26]
En voilà assez sur la conquête de ce pays ; nous dirons le reste à mesure que les événements se dérouleront, d'après le plan que nous nous sommes tracé.
Cette île figure parmi les plus grandes de la mer de Roûm et n'est dépassée en étendue que par la Sicile et la Crête ; elle produit des fruits en abondance. En 92 (28 oct. 710), Moûsa, qui venait de conquérir l'Espagne, fit embarquer une portion de ses troupes à destination de cette île. A l'arrivée des musulmans, les chrétiens, réunissant leurs vases d'or et d'argent, les jetèrent dans le port et déposèrent leurs richesses dans un grenier qu'ils construisirent en installant un plafond sous le toit de leur principale église. Les musulmans y firent un butin [P. 450] qui dépasse toute description et y commirent bien des fraudes. Ainsi il arriva qu'un musulman en train de se laver dans le port s'embarrassa le pied dans un objet qu'il retira, et qui était un plat d'argent ; ses frères relevèrent alors tout ce que recelait cette cachette. Une autre fois, un musulman entré dans l'église en question et y voyant un pigeon, lui tira une flèche, qui, manquant le but, frappa le toit factice et brisa une planche ; cette ouverture laissa passer quelques dinars, et l'on put mettre la main sur le reste, ce qui fit que les vainqueurs redoublèrent leurs fraudes (au détriment du Trésor). Il y en eut qui, après avoir égorgé des chats et leur avoir enlevé les entrailles, remplissaient le creux de pièces d'or, recousaient la peau et jetaient ces charognes dans la rue, puis en sortant les ramassaient et glissaient l'or dans le fourreau sur lequel ils ne mettaient que la poignée de leur sabre. Quand ils furent embarqués, on entendit une voix prier le Ciel de les noyer, ce qui eut lieu en effet pour eux tous, et l'on retrouva la plupart des noyés, qui portaient des dinars à la ceinture.
En 135 (17 juillet 752), 'Abd er-Rah'mân ben H'abîb ben Abou 'Obeyda Fihri fit une razzia dans cette île, et, après avoir fait un grand massacre des habitants, consentit à conclure la paix avec les survivants moyennant paiement du tribut. Tel fut à partir de là l'état des choses : on n'y fit plus de razzia, et les Roûm la remirent en culture.
En 323 (10 décembre 934), El-Mançoûr ben El-Kâ'im l’'Alide, prince d'Ifrîkiyya, envoya de Mehdiyya une flotte qui passa d'abord par Gênes et conquit cette ville, puis qui alla faire des prisonniers en Sardaigne ; elle brûla de nombreux vaisseaux et livra Gênes à la destruction et au pillage.
En 406 (20 juin 1015), Modjâhid l’'Amiride envoya de Dénia, contre elle, une flotte composée de cent vingt bateaux ; l'amiral qui la commandait se rendit maître de la Sardaigne, y tua beaucoup d'hommes[28] et emmena en captivité les femmes et les enfants. En présence de ces ravages, les princes de Roûm avec une armée considérable marchèrent par la Grande terre (d'Italie) contre le (prince de Dénia) : les musulmans battus furent expulsés de Sardaigne et perdirent une partie de leurs bâtiments. Le frère de Modjâhid, ainsi que son fils 'Ali ben Modjâhid, furent faits prisonniers, et ce prince rentra à Dénia avec les débris de son armée. Ce fut la dernière expédition dirigée contre la Sardaigne.
Nous avons jugé bon de réunir ici ces faits minimes, que l'on ne peut saisir aussi bien quand ils sont présentés isolément.[29]
D'après Abou Dja'far [Tabari], ce fut en cette année 93 (18 octobre 711) que Moûsa ben Noçayr conçut de l'irritation contre son affranchi T'ârik', qu'il alla rejoindre au mois de redjeb (avril-mai 712) en laissant à la tête de l'Ifrîkiyya son fils 'Abd Allâh ben Moûsa. Moûsa passa la mer avec dix mille hommes pour aller retrouver T'ârik' ; celui-ci alla au-devant de son chef, dont il parvint à apaiser le mécontentement et qui agréa ses excuses. Moûsa l'envoya contre Tolède, l'une des principales villes d'Espagne, à vingt journées de marche de Cordoue ; T'ârik' s'en empara et y prit la table de Salomon fils de David, ainsi que tout ce qui s'y trouvait d'or et de pierres précieuses, dont Dieu sait l'importance.
J'ajoute, moi Ibn al-Athîr : Voilà tout ce que dit ce chroniqueur. Or j'en ai dit assez, sous l'année 92, touchant la conquête de l'Espagne et le départ postérieur de Moûsa ben Noçayr, qui alla rejoindre T'ârik', pour n'avoir pas besoin d'y revenir. Je me bornerai à remarquer que, d'après Abou Dja'far, ce fut Moûsa, déjà arrivé en Espagne, qui envoya T'ârik' faire la conquête de Tolède. Le récit que nous avons donné plus haut est celui des chroniqueurs espagnols.
[P. 457] En 93 (18 octobre 711), la population d'Ifrîkiyya, qui souffrait du manque d'eau, en obtint grâce aux prières de Moûsa ben Noçayr.[30]
[31]Nous avons dit que son père Moûsa, en partant pour la Syrie, l'avait placé à la tête de l'Espagne. Sous la ferme et juste administration de ce chef bienfaisant et distingué, les places frontières furent bien gardées, et il acheva la conquête commencée par son père. La femme[32] de Rodrîk', qu'il avait épousée et qui avait sur lui la plus grande influence, le poussa à exiger de ses compagnons et de ses sujets qu'ils se prosternassent en se présentant devant lui, selon l'usage suivi chez son premier mari Rodrîk'. En vain il lui représenta que ce n'était pas conforme à sa religion, elle insista tant qu'elle obtint l'ordre qu'elle demandait. On ouvrit donc une porte basse pour donner accès à la salle où il donnait audience, de sorte que tous ceux qui y pénétraient, devant baisser la tête, faisaient comme une prosternation ou ce qu'elle considérait comme tel, ce qui la satisfit. « Maintenant », dit-elle à son mari, « que tu as atteint au rang des rois, il me reste à te faire un diadème (tâdj) avec l'or et les perles que je possède. » Malgré son refus, elle insista assez pour qu'il y consentît. Quand la chose fut connue, les musulmans se dirent qu'il se faisait chrétien et se rendirent compte de l'incident de la porte[33] ; ils assaillirent le prince et le tuèrent à la fin de l'année 97 (août 716).
D'après une autre version, [34] Soleymân ben 'Abd el Melik, irrité contre Moûsa ben Noçayr, père d'Abd el-'Azîz, envoya à l'armée (djond) l'ordre de tuer ce prince, qui était alors au mihrâb à réciter la prière de l'aurore et avait déjà lu la fâtih’a et la sourate de l'Evénement (Coran, s. I et s. LVI). Toutes les épées s'abattirent en même temps sur lui, puis on lui coupa la tête et on l'envoya à Soleymân. Celui-ci la présenta au père de la victime, qui, se raidissant contre sa douleur, s'écria : « Puisse son martyre lui profiter ! Vous avez, j'en jure par Dieu, tué un fidèle observateur du jeûne et des pratiques religieuses. » Ce meurtre est une des choses qu'on reproche à Soleymân. Il eut lieu, d'après cette version, à la fin de 98 (juillet 717).
Soleymân nomma ensuite gouverneur d'Espagne El-H'ourr ben 'Abd er-Rah'mân Thakefi, qui fut destitué par 'Omar ben 'Abd el-'Azîz, successeur de Soleymân. Tel est le récit abrégé que nous voulions faire de la mort d’Abd el-'Azîz.
En la même année 97, Soleymân ben 'Abd el-Melik remplaça 'Abd Allâh ben Moûsa ben Noçayr comme gouverneur d'Ifrîkiyya par Mohammed ben Yezîd K'orachi [P. 15] qui garda ces fonctions jusqu'à la mort de Soleymân. 'Omar ben 'Abd el-'Azîz y nomma à sa place, en l'an 100 (2 août 718), Ismâ'îl ben 'Obeyd Allâh[35] dont l'administration mérite des éloges, et du temps de qui tous les Berbères embrassèrent l'islamisme.
[P. 17] En 97 (4 sept. 715) mourut le conquérant de l'Espagne, Moûsa ben Noçayr, pendant qu'il était en route pour la Mekke avec Soleymân ben 'Abd el-Melik.[36]
[P. 40] En 100 (2 août 718) 'Omar ben 'Abd el-'Azîz nomma gouverneur d'Ifrîkiyya Ismâ'îl ben 'Abd Allâh client des Benoû Makhzoûm, et gouverneur d'Espagne Es-Samh' ben Mâlik Khawlâni, dont il avait apprécié la droiture et la piété auprès d'El-Welid ben 'Abd el-Melik.
[P. 41] En 100 (2 août 718) mourut H'anach ben 'Abd Allâh Çan'âni, [37] qui était l'un des compagnons d’Ali et qui, à la suite de la mort violente de celui-ci, s'était transporté en Egypte. C'est lui qui a le premier tracé le plan de la grande mosquée de Saragosse, en Espagne.
[P. 58] En 101 (23 juillet 719) Ismâ'îl ben 'Obeyd Allâh fut révoqué de sa situation de gouverneur d'Ifrîkiyya et remplacé par Yezîd ben Abou Moslim, secrétaire d'El-Haddjâdj, qui resta en place jusqu'à ce qu'il fût tué, ce qu'on lira plus loin.
Les uns disent que Yezîd ben 'Abd el-Melik avait nommé Yezîd ben Abou Moslim gouverneur d'Ifrîkiyya en 101 (23 juill. 719), d'autres disent en 102 (11 juillet 720). Sa mort violente fut le résultat de sa manière de faire : il voulait agir comme avait fait El-Haddjâdj en Irak à l'égard des habitants des villes qui, originaires du Sawâd, étaient d'abord tributaires et s'étaient ensuite convertis, et qu'il renvoyait dans leurs villages en prélevant sur eux une capitation analogue à celle qu'ils payaient avant leur conversion.[38] Cette conduite souleva une réprobation unanime : on le mit à mort et on le remplaça par son prédécesseur Mohammed ben Yezîd, client des Ançâr, qui était resté au milieu d'eux. On écrivit à Yezîd ben 'Abd el-Melik qu'on ne voulait pas se soustraire à son autorité, mais que le fait de Yezîd ben Abou Moslim de vouloir imposer des choses improuvées par Dieu et par les musulmans avait causé sa mort et son remplacement par le gouverneur précédemment institué par le khalife. Yezîd ben 'Abd el-Melik répondit qu'il n'approuvait pas les actes de Yezîd ben Abou Moslim et confirma les pouvoirs de Mohammed ben Yezîd.
En 107 (18 mai 725), 'Anbasa ben Soh'aym Kelbi, gouverneur d'Espagne, à la tête d'une nombreuse armée, fit une expédition dans le pays des Francs. Il assiégea la ville de Carcassonne, dont les habitants durent, pour obtenir la paix, céder la moitié de leur territoire, livrer les prisonniers musulmans et le butin qu'ils avaient fait, payer tribut et conclure avec les musulmans une alliance offensive et défensive. Alors 'Anbasa se retira. Il mourut en cette même année 107, au mois de cha'bân (décembre 725), après avoir gouverné l'Espagne quatre ans et quatre mois. Bichr ben Çafwân le remplaça en dhoûl-ka'da de cette année (mars 726) par Yah'ya ben Selama Kelbi.
[P. 108] En 109 (27 avril 727), Bichr ben Çafwân, gouverneur d'Ifrîkiyya, fit en Sicile une expédition d'où il rapporta un butin considérable ; il rentra à Kayrawân et y mourut l'année même.[39] Hichâm lui donna pour successeur 'Obeyda ben 'Abd er-Rah'mân ben Abou'l Agharr Solami, qui destitua Yah'ya ben Selama Kelbi de son poste de gouverneur d'Espagne et le remplaça par H'odheyfa ben el-Ah'waç Achdjal.[40] Celui-ci arriva dans son gouvernement en rebî' I 110 (13 juin-12 juill. 728) et n'y passa que six mois, au bout desquels il fut destitué et remplacé par 'Othmân ben Abou Nis'a Khath'ami.
[P. 117] En 111 (4 avril 720), 'Obeyda ben 'Abd er-Rah’mân, gouverneur d'Ifrîkiyya, révoqua 'Othmân ben [Aboû] Nis'a[41] de son gouvernement d'Espagne et le remplaça par El-Haythem ben 'Obeyd Kenâni, [42] qui arriva dans cette province en moharrem 111 (4 avril-3 mai 729) et mourut en dhoû'l-hiddja (fév.-mars 730) de cette même année, n'ayant tenu cette fonction que dix mois.
[P. 129] En 112 (25 mars 730), les Espagnols choisirent pour les gouverner, après la mort d'El-Haythem, Mohammed ben 'Abd el-Melik[43] Achdja'i ; au bout de deux mois d'administration il fut remplacé par 'Abd er-Rah'mân ben 'Abd Allâh Ghâfiki.
En cette année 113 (14 mars 731), une expédition fut faite par 'Abd er-Rah'mân ben 'Abd Allâh Ghâfiki, qui gouvernait l'Espagne au nom d’Obeyda ben 'Abd er-Rah'mân Solami, lequel avait été placé en 110[44] par Hichâm ben 'Abd el-Melik à la tête de l'Ifrîkiyya et de l'Espagne. A son arrivée en Ifrîkiyya, 'Obeyda trouva que Mostanîr ben Hâreth H'oraythi était occupé à une expédition en Sicile, île où ce chef resta jusqu'à l'arrivée de l'hiver ; il en partit alors, mais tous ses soldats périrent dans un naufrage, tandis que Mostanîr lui-même put se sauver avec le bateau qui le portait. 'Obeyda, pour le punir, le jeta en prison et le fit battre de verges, puis promener ignominieusement dans les rues de Kayrawân.[45]
'Obeyda confia ensuite le gouvernement de l'Espagne à 'Abd er-Rah'mân ben 'Abd Allâh, qui organisa une expédition contre la France. Ce chef pénétra fort avant dans ce territoire et y fit un butin considérable, où figurait une statue d'homme en argent enrichie de grosses perles, de rubis et d'émeraudes, qui fut brisée et distribuée aux soldats. Au reçu de cette nouvelle, 'Obeyda entra dans une violente colère et lui écrivit une lettre de menaces. 'Abd er-Rah'mân, qui était un homme de bien, lui répondit : « Après les salutations d'usage ; si les deux mêmes et la terre pouvaient être donnés en récompense, [46] Dieu les attribuerait à ceux qui le craignent. » La même année, mais d'autres disent, ce qui est plus exact, en 114 (2 mars 732), il entreprit dans le pays des Francs une nouvelle expédition, où lui et les siens trouvèrent le martyre.
'Obeyda partit ensuite d'Ifrîkiyya pour la Syrie, emmenant avec lui une quantité considérable de cadeaux, d'esclaves des deux sexes, de montures, etc., et alla solliciter sa grâce auprès de Hichâm, qui la lui accorda, mais en le destituant. Antérieurement, il avait nommé en Espagne, pour remplacer 'Abd er-Rah'mân tué, 'Abd el-Melik ben K'at'an. Hichâm chargea du gouvernement de l'Ifrîkiyya 'Obeyd Allâh[47] ben el-H'abh'âb, alors gouverneur de l'Egypte, qui rejoignit son nouveau poste en 116 (9 février 734). 'Obeyd Allâh tira El-Mostanîr de prison et le chargea d'administrer Tunis.
[P. 131] 'Obeyd Allâh équipa ensuite un corps d'armée, dont il confia le commandement à H'abîb ben Abou 'Obeyda, [48] et qu'il expédia contre le Soudan. Ces troupes remportèrent des succès sans pareils et s'emparèrent de tout ce qui leur plut. Il ('Obeyd Allâh ?) fit aussi une campagne maritime, [49] puis se retira.
[P. 134] En 115 (20 février 733), 'Abd el-Melik ben K'at'an, gouverneur d'Espagne, entreprit une expédition contre le territoire de Bachkans (Biscaye) et en revint sain et sauf.
[P. 137][50] En 116 (9 février 734), Hichâm déplaça 'Obeyd
Allâh ben el-H'abh'âb Mawcili d'Egypte, où il était gouverneur, et le nomma en Ifrîkiyya, où ce chef se rendit. Ibn el-H'abh'âb envoya la même année une armée en Sicile : la flotte des Roûm se porta au-devant d'elle et fut battue à la suite d'un combat acharné. Cependant, plusieurs musulmans tombèrent en captivité, entre autres 'Abd er-Rah'mân ben Ziyâd, [51] qui ne recouvra la liberté qu'en 121 (17 décembre 738).
La même année ce gouverneur envoya également des troupes dans le Soûs et au Soudan, d'où elles revinrent victorieuses et chargées de butin.
En 116 (9 février 734), 'Obeyd[52] Allâh ben el-H'abh'âb nomma en Espagne 'Ok'ba[53] ben el-H'addjâdj K'aysi, qui prit l'administration de cette province au mois de chawwâl (novembre 734), en remplacement de 'Abd el-Melik ben K'at'an, destitué. 'Ok'ba entreprit chaque année une expédition ; il conquit la Galice, Alava, [54] etc. D'après une autre version, plus exacte, 'Obeyd[55] Allâh ben el-H'abh'âb ne fut nommé en Ifrîkiyya qu'en 117 (30 janvier 735). Nous reparlerons de lui.
En 117 (30 janvier 735), Hichâm ben 'Abd el-Melik nomma gouverneur d'Ifrîkiyya et d'Espagne 'Obeyd Allâh ben el-H'abh'âb et lui donna l'ordre de s'y rendre (aussitôt). Ce chef, qui gouvernait alors l'Egypte, laissa son fils dans ce dernier pays et se rendit en Ifrîkiyya. Il nomma en Espagne 'Ok'ba ben el-H'addjâdj et à Tanger son fils Ismâ'îl.[56] H'abîb ben Abou 'Obeyda ben 'Ok'ba ben Nâfi', qu'il envoya à la tête d'une expédition dans le Maghreb, atteignit le Soûs el-Ak'ça et le Soudan sans jamais subir de revers ; il revint sain et sauf, après avoir recueilli un butin considérable, fait des prisonniers et rempli le Maghreb de la terreur de son nom. Parmi ses prisonniers figuraient deux jeunes filles berbères dont chacune n'avait qu'une mamelle. En (la dite année) 117 (30 janvier 735), il envoya en Sardaigne un corps de troupes qui fit des conquêtes dans cette île et revint après l'avoir pillée et y avoir fait du butin.
En 122 (6 décembre 739), 'Obeyd Allâh envoya H'abîb avec son fils 'Abd er-Rah'mân ben H'abîb faire une expédition en Sicile. Mis à la tête de la cavalerie, 'Abd er-Rah'mân battit tous ceux qu'il rencontra avec un succès inouï. Il arriva ainsi jusqu'à la ville de Syracuse, l'une des plus importantes de la Sicile. Les Syracusains, d'abord battus, furent ensuite assiégés et durent, pour obtenir la paix, se soumettre à payer un tribut. Il rejoignit ensuite son père H'abîb, qui avait l'intention de ne pas quitter la Sicile avant de l'avoir entièrement soumise, mais qui reçut alors d'Ibn el-H'abh'âb une lettre le rappelant en Ifrîkiyya.
En effet, ce dernier avait nommé son fils Ismâ'îl gouverneur de Tanger et placé à côté de lui 'Omar[57] ben 'Abd Allâh Morâdi. [P. 142] Administrateur mauvais et injuste, Ismâ'îl voulut prélever le quint sur les Berbères musulmans, prétendant, ce qui ne s'était jamais fait, que cela était dû aux (autres) musulmans.[58] En apprenant le départ pour la Sicile des troupes conduites par H'abîb ben Abou[59] 'Obeyda, les Berbères, pleins d'espoir, rompirent le traité de paix qui les liait à Ibn el-H'abh'âb, et tous, musulmans et infidèles, se liguèrent contre lui, de sorte que la situation devint très périlleuse.
Les Berbères de (la région de) Tanger choisirent pour leur chef Meysera es-Sak'k'â, Madghoûri, [60] qui était khâredjite çofrite[61] et porteur d'eau (sak'k'â). Ils marchèrent contre Tanger et tuèrent 'Omar ben ‘Abd Allah, qui voulut leur tenir tête. Ils s'emparèrent de cette ville et élevèrent au khalifat Meysera, qu'ils saluèrent du titre de Prince des croyants (Émir el-mouminîn), et qui, réunissant autour de lui de nombreux Berbères, établit solidement son pouvoir dans les environs de Tanger.
A cette époque (aussi) se montrèrent en Ifrîkiyya des gens qui prêchaient les doctrines khâredjites. Ibn elH'abh'âb envoya à H'abîb, alors en Sicile, un messager pour le rappeler auprès de lui, à l'effet de combattre Meysera es-Sak'k'â, dont le pouvoir grandissait, et H'abîb obéit.[62] Ibn el-H'abh'âb, qui avait déjà envoyé Khâled ben H'abîb[63] avec une armée contre Meysera, le fit suivre de H'abîb ben Abou 'Obeyda sitôt que celuici fut arrivé. Entre Khâled et Meysera une bataille d'un acharnement inouï eut lieu dans les environs de Tanger. Meysera rentra alors dans cette ville, mais sa conduite mécontenta les Berbères qui l'avaient élevé au khalifat ; ils le mirent à mort et le remplacèrent par Khâled ben H'amîd Zenâti. Une sanglante bataille eut lieu contre celui-ci à la tête des Berbères d'une part, et d'autre part Khâled ben H'abîb, qui commandait les Arabes et les troupes de Hichâm. Les Arabes, qui d'abord tenaient bon, furent mis en déroute grâce à une embuscade préparée par les Berbères, Khâled ben H'abîb, honteux de fuir devant ces derniers, résista avec les siens et tous furent tués. Les Arabes perdirent leurs meilleurs fantassins et leurs plus braves cavaliers dans cette affaire qu'on nomma « la bataille des nobles[64] ». La conséquence de cette défaite fut que la révolte gagna tout le pays et que le désordre se mit partout.
A la nouvelle de ces événements, les Espagnols se soulevèrent contre leur gouverneur 'Ok'ba ben el-H'addjâdj, à la place de qui ils nommèrent 'Abd el-Melik ben K'a'tan. La situation devint fort difficile pour Ibn el-H'abh'âb. Hichâm ben 'Abd el-Melik, en apprenant ce qui se passait, s'écria : « Je leur montrerai ce qu'est la colère d'un Arabe ! J'enverrai une armée dont la tête de colonne sera chez les rebelles, alors que la queue sera encore près de moi. » [P. 143] Ibn el-H'abh'âb, obéissant à l'ordre de rappel que lui envoya le khalife, partit en djomâda 123.[65]
Hichâm le remplaça par Kolthoûm ben 'Iyad' K'ocheyri, qu'il fit partir avec une armée considérable, tout en envoyant aux pays qu'il devait traverser l'ordre de lui fournir encore des troupes. L'avant-garde de Kolthoûm, commandée par Baldj ben Bichr, [66] arriva en Ifrîkiyya et gagna Kayrawân. Ce dernier se montra tyrannique et hautain à l'égard des habitants de cette ville et voulut installer ses soldats dans leurs demeures. Les Kairâwâniens firent parvenir à H'abîb ben Aboû Obeyda, qui défendait alors Tlemcen contre les Berbères, les sujets de plainte qu'ils avaient contre Kolthoûm et Baldj, et H'abîb écrivit à Kolthoûm : « Baldj a agi de telle et telle manière ; sors donc du pays si tu ne veux pas que je fasse marcher mes cavaliers contre toi. » Kolthoûm s'excusa et alla rejoindre H'abîb, Baldj ben Bichr commandant toujours son avant-garde. Des difficultés s'élevèrent par suite des manières méprisantes et injurieuses de Baldj à l'égard de H'abîb ; puis ils se raccommodèrent et s'entendirent pour tenir tête aux Berbères, qui venaient de Tanger les attaquer. Malgré le conseil de H'abîb d'opposer les fantassins aux fantassins, la Cavalerie à la cavalerie, Kolthoûm marcha avec ses cavaliers contre les fantassins berbères. Il fut défait et se replia en désordre vers Kolthoûm, [67] ce qui découragea l'armée. Le combat continua néanmoins et, à son tour, la cavalerie berbère dut plier ; mais l'infanterie tint bon, et les nombreux bataillons dont elle se composait se battirent avec acharnement. Enfin, Kolthoûm ben Iyâd, H'abîb ben Abou 'Obeyda et les principaux officiers arabes furent tués ; leur armée battue se débanda : les Syriens passèrent en Espagne, commandés par Baldj ben Bichr et 'Abd er-Rah'mân ben H'abîb ben Abou 'Obeyda, et d'autres regagnèrent K'ayrawân.[68]
A.la suite de cette affaire, qui porta un coup sensible à la puissance des Arabes, parut dans la ville de Gabès un homme nommé 'Okkâcha[69] ben Ayyoûb Fezâri, qui professait les opinions des Khâredjites çofrites. Un corps de troupes fut envoyé de K'ayrawân contre lui, mais fut, à la suite d'un combat acharné, mis en déroute ; des troupes fraîches marchèrent alors contre lui, lui livrèrent une bataille où il perdit beaucoup des sienSj et il dut, malgré la vive résistance qu'il leur avait opposée, se jeter dans le désert.
Hichâm ben 'Abd el-Melik, quand il apprit la mort violente de Kolthoûm, envoya en Ifrîkiyya, en qualité d'émir, H'anz'ala ben Çafwân Kelbi, [70] qui arriva dans ce pays [P. 144] en rebî II124 (11 févr.-12 mars 742). Il n'était que depuis peu de temps à Kayrawân quand 'Okkâcha le Khâredjite marcha contre lui à la tête de nombreux Berbères que, à la suite de sa défaite, il avait levés pour prendre sa revanche. Il avait comme auxiliaire le Çofrite 'Abd el-Wâh'id ben Yezîd Hawwâri Madghami (sic), qui avait aussi sous ses ordres de nombreux partisans. Ces deux chefs, divisant leurs forces, marchèrent, chacun de son côté, sur K'ayrawân. Quand 'Okkâcha s'approcha, H'anz'ala marcha contre lui, [71] l'attaqua pendant qu'il ne disposait que de ses seules forces et le mit en fuite, malgré la vive résistance qu'il lui opposa, non sans avoir tué une quantité innombrable de Berbères. H'anz'ala regagna ensuite K'ayrawân, car il craignait qu’'Abd el-Wâh'id ne vînt attaquer cette ville. Il envoya contre ce chef un corps d'armée considérable qui comptait quarante mille hommes, mais qui, en s'approchant de l'ennemi, ne trouva plus d'orge pour nourrir ses montures, et qui dut y suppléer par du blé. Le lendemain, il se heurta contre les troupes d’Abd el-Wâh'id, mais il fut mis en déroute et dut se replier sur K'ayrawân. Quant aux chevaux, ils périrent à cause de la nourriture qu'on leur avait donnée, si bien qu'à leur arrivée on en compta vingt mille de moins.
'Abd el-Wâh'id, poursuivant sa marche, vint camper à trois milles de K'ayrawân, au lieu dit El-Açnâm (les idoles), à la tête de trois cent mille combattants. H'anz'ala, de son côté, leva tous les habitants valides, de K'ayrawân, leur distribua des armes et de l'argent et se constitua ainsi des troupes nombreuses. A l'approche des Khâredjites commandés par 'Abd el-Wâh'id, H'anz'ala sortit de la ville, et les préparatifs eh vue d'un engagement commencèrent. Alors les uléma, parcourant les rangs des K'ayrawâniens, les encouragèrent à la guerre sainte et à la lutte contre les Khâredjites, en leur rappelant comment ces hérétiques réduisaient femmes et enfants en esclavage et, d'autre part, massacraient les hommes. Ces gens, alors, mirent en pièces les fourreaux de leurs épées, tandis que leurs femmes, se précipitant vers eux, relevaient encore leur courage. Tout frémissants, ils se précipitèrent comme un seul homme contre les Khâredjites ; mais ceux-ci résistèrent à leurs adversaires, et une furieuse mêlée s'engagea où les deux partis déployèrent une ténacité égale. La protection divine se déclara enfin contre les Khâredjites et les Berbères en faveur des Arabes, qui firent un grand massacre de leurs adversaires et les poursuivirent l'épée dans les reins jusqu'à Djeloûla. Les vainqueurs ignoraient qu' 'Abd el-Wâh'id était mort, et ils ne l'apprirent que quand sa tête fut apportée à H'anz'ala ; tous alors se prosternèrent pour rendre hommage à Dieu. Il n'y eut, dit-on, jamais de plus épouvantable massacre au Maghreb, car l'ordre de H'anz'ala de compter les victimes ne put être exécuté, et ce fut en se servant de cannes qu'on arriva à fixer le nombre des morts à cent quatre-vingt mille. 'Okkâcha fut ensuite fait prisonnier ailleurs avec une autre troupe de partisans, et fut amené à H'anz'ala, qui le fit exécuter. [P. 145] H'anz'ala envoya alors la nouvelle de sa victoire à Hichâm ben 'Abd el-Melik. El-Leyth ben Sa'd disait : « Après la bataille de Bedr, il n'y en a aucune que j'aurais désiré voir plus que celle livrée par les Arabes à El-Açnâm[72] ».
[P. 187] En 122 (6 déc. 739), dit-on, fut tué Kolthoûm ben Iyâd K'ocheyri dans une bataille contre les Berbères soulevés. Il avait été envoyé avec les Syriens en Ifrîkiyya par le khalife Hichâm.[73]
En 123 (25 nov. 740) mourut 'Ok'ba ben el-H'addjâdj Seloûli, gouverneur d'Espagne. On dit aussi que les Espagnols se révoltèrent contre lui, le déposèrent[74] et mirent à sa place 'Abd el-Melik ben K'at'an, qui arriva ainsi au pouvoir pour la seconde fois en çafar 123 (25 déc. 740). Nous avons, sous l'année 117, raconté le soulèvement des Berbères en Ifrîkiyya. Ils tinrent serré de très près Baldj ben Bichr 'Absi[75] et le réduisirent, lui et les siens, à la dernière extrémité. Ceux-ci résistèrent cependant jusqu'à cette année 123, où ils firent demander à 'Abd el-Melik ben K'at'an des navires pour les transporter en Espagne, en dépeignant leur triste situation et ajoutant qu'ils devaient se nourrir de leurs montures. Mais 'Abd el-Melik refusa de les laisser venir en Espagne et leur fit la promesse, qu'il ne tint pas, de leur envoyer des secours. Il dut cependant céder à cause de l'accroissement de la puissance des Berbères en Espagne, et consentir à l'arrivée de Baldj et de ses troupes. D'après une autre version, 'Abd el-Melik consulta ses compagnons sur la réponse à faire à Baldj, et comme on lui représentait les dangers qui pouvaient résulter d'un acquiescement : « Je redoute, dit-il, que le Prince des croyants ne me reproche d'avoir causé la mort de ses troupes. » Il consentit donc à les recevoir, mais pour une année seulement, au bout de laquelle ils devraient retourner en Ifrîkiyya. Cette condition fut acceptée, et Baldj fournit des otages (pour assurer l'exécution de sa promesse). A leur arrivée, 'Abd el-Melik et les musulmans (d'Espagne) purent voir l'état de pauvreté et de dénuement auquel les épreuves du siège subi par eux avaient réduit les nouveaux venus ; aussi reçurent-ils des vêtements et furent-ils traités généreusement. Ils allèrent alors attaquer [P. 189] des troupes berbères à Sidona ; ils remportèrent la victoire, et sur les ennemis qu'ils tuèrent ils firent un butin considérable en argent, en chevaux et en armes, de sorte que les compagnons de Baldj, maintenant dans une situation meilleure, se trouvèrent pourvus de montures.
'Abd el-Melik ben K'at'an, de retour à Cordoue, signifia à Baldj et à ses gens d'avoir à quitter l'Espagne ; ils y consentirent, mais en demandant à s'embarquer ailleurs qu'à Algésiras, pour éviter de retrouver les Berbères qui les avaient assiégés. 'Abd el-Melik refusa, en alléguant qu'il n'avait de vaisseaux qu'en cet endroit ; à quoi les autres répondirent qu'ils n'iraient pas de nouveau affronter les Berbères et ne se dirigeraient pas sur l'endroit où ils savaient les trouver ; ils redoutaient, disaient-ils, de rencontrer la mort en se rendant sur le territoire même de leurs ennemis. Comme 'Abd el-Melik insistait pour les faire partir, ils prirent les armes contre lui, le battirent et l'expulsèrent du château, au commencement de doû'l-ka'da de cette année (mi-septembre 741). Les compagnons de Baldj conseillèrent à celui-ci de mettre à mort 'Abd el-Melik, qu'il avait en son pouvoir. Le gouverneur, que son grand âge, car il avait quatre vingt-dix ans, faisait ressembler à un jeune oiseau, fut donc tiré de son palais et massacré, puis crucifié, et Baldj resta maître du gouvernement de l'Espagne.
Les deux fils d’Abd el-Melik, K'at'an et Omeyya, purent se sauver, l'un à Mérida, l'autre à Saragosse, avant le meurtre de leur père. Nous dirons plus tard ce qu'ils firent.
[P. 194] Guerre entre Baldj et les deux fils d’Abd el-Melik ; mort de Baldj, qui est remplacé comme gouverneur d'Espagne par Tha'leba ben Selâma.
En 124 (14 nov. 741) une lutte acharnée eut lieu en Espagne entre Baldj et les deux fils d’Abd el-Melik ben K'at'an, Omeyya et K'at'an. Ces deux princes, avons-nous dit, s'étaient enfuis de Cordoue, et après l'exécution de leur père, ils se firent un parti tant dans le pays que chez les Berbères et parvinrent à rassembler un nombre de soldats qu'on évalue à cent mille. A cette nouvelle, Baldj et les siens s'avancèrent contre eux et leur livrèrent une sanglante bataille où ils restèrent vainqueurs et où ils tuèrent beaucoup de monde. Mais Baldj, atteint de plusieurs blessures, (P. 195) ne rentra à Cordoue que pour y mourir sept jours plus tard, en chawwâl de cette année (août 742) ; son administration avait duré onze mois.[76]
Ses compagnons le remplacèrent par Tha'leba ben Selâma 'Idjli, [77] conformément aux ordres de Hichâm ben 'Abd el-Melik, qui l'avait désigné comme le successeur éventuel de Baldj et de Kolthoûm. Sous Tha'leba, les Berbères se révoltèrent dans les environs de Mérida, et il fit contre eux une expédition où il en tua un certain nombre ; puis, revenant à la charge, il leur fît mille prisonniers, qu'il ramena à Cordoue.[78]
En redjeb 125 (29 avril 743), Abou'l-Khat't'âr Hosâm ben D'irâr le Kelbite arriva en Espagne en qualité de gouverneur. Pendant que les gouverneurs K'aysites d'Espagne se succédaient les uns aux autres, il composa une poésie où il parlait de la bataille de Merdj Râhit[79] et des pertes subies par les Kelbites qui y figurèrent à côté de Merwân ben el-H'ak'am et combattirent les K'aysites commandés par D'ah'h'âk ben K'ays Fihri. En voici un fragment :
[Tawîl] Les fils de Merwân ont donné notre sang aux K'aysites ; mais s'ils ont tort, c'est Dieu qui rendra un jugement équitable ! Il semble que vous n'ayez pas vu Merdj Râkit' et que vous ne sachiez pas qui s'y est signalé. Nos gorges ont servi à vous défendre contre des coups de lances excellentes, alors que vous n'aviez ni cavaliers ni fantassins qui pussent compter.[80]
Hichâm ben 'Abd-el-Melik, lorsqu'il entendit cette poésie, s'enquit de l'auteur et apprit que c'était un Kelbite. Il écrivit alors à H'anz'ala ben Çafwân le Kelbite, qu'il avait nommé gouverneur d'Ifrîkiyya en 124 (14 nov. 741), de confier l'administration de l'Espagne à Abou'lKhat't'âr. H'anz'ala obéit, et Abou'l-Khat't'âr entra à Cordoue un vendredi où Tha'leba ben Selâma, alors gouverneur de la ville, allait faire exécuter les mille prisonniers berbères dont nous avons parlé. Mais alors ceux-ci lui furent remis, et ils ne durent leur vie qu'à cette circonstance. Les Syriens qui étaient en Espagne [P. 29] voulaient retourner dans leur patrie avec Tha'leba ben Selâma ; mais Abou'l-Khat't'âr sut se les attacher par ses bienfaits et les décider à rester. Il installa chaque groupe dans des lieux semblables à ceux qu'ils occupaient dans leur pays d'origine, et cette ressemblance les fit renoncer à leur projet de départ. D'autres prétendent que la répartition des Syriens entre les diverses provinces ne fut faite que parce que le séjour de Cordoue leur était trop difficile.[81]
Sous l'année 139, nous disons maintes choses concernant Abou'l-Khat't'âr.
[P. 234] (Dans la lutte que soutint Merwân ben Mohammed contre Yezîd ben el-Welîd), Thâbit ben No'aym Djodhâmi embrassa le parti du premier par reconnaissance. En effet, Hichâm, qui l'avait envoyé en Ifrîkiyya à la suite du meurtre par les habitants de Kolthoûm ben 'Iyâd', l'avait emprisonné parce qu'il maltraitait le djond, et il avait recouvré sa liberté grâce à Merwân, qui, dans une de ses visites au prince, intercéda en sa faveur, et qui ensuite le compta au nombre de ses partisans.
'Abd er-Rah'mân ben H'âbîb ben Abou 'Obeyda ben 'Ok'ba ben Nâfi' s'était enfui en Espagne quand son père et Kolthoûm ben 'Iyâd' furent tués, comme on l'a vu, en 122 (6 déc. 739) ; il voulait, mais il n'y réussit pas, se rendre maître de ce pays. En effet, H'anz'ala ben Çafwàn étant devenu gouverneur d'Ifrîkiyya, ce que nous avons dit plus haut, envoya [P. 236] Abou'l-Khat't'âr gouverner l'Espagne, et 'Abd er-Rah'mân, qui le redoutait ; dut renoncer à ses espérances et regagner l'Ifrîkiyya. Arrivé à Tunis en djomâda I 126 (19 fév. 744), alors qu'El-Welîd ben Yezîd ben ‘Abd el-Melik était déjà khalife en Syrie, il adressa à la population un appel qui fut entendu, et marcha avec ses partisans sur Kayrawân.[82] Les habitants de cette ville voulaient l'attaquer, mais Hanz'ala, qui croyait qu'il ne fallait combattre que les infidèles ou les hérétiques, s'y opposa, et lui envoya une députation composée des principaux de la ville et des chefs de tribus pour l'exhorter à rentrer dans l'obéissance. Mais 'Abd er-Rah'mân se saisissant de leurs personnes entra avec eux à Kayrawân, en menaçant les habitants, si une pierre seulement lui était lancée, de massacrer tous ceux qu'il détenait comme otages. Aussi ne lui fit-on aucune résistance. Hanz'ala se retira alors en Syrie, et 'Abd er-Rah'mân devint ainsi, en 127 (12 oct. 744), maître de Kayrawân et de toute l'Ifrîkiyya. Mais, en se retirant, Hanz'ala invoqua le ciel contre celui qui le supplantait et contre les habitants du pays : sa prière fut exaucée, et pendant sept ans la peste et des épidémies sévirent presque sans interruption, tandis que d'autre part des Arabes et des Berbères s'insurgeaient contre ‘Abd er-Rah'mân, qui fut ensuite tué.
Parmi ces insurgés on compte 'Orwa ben el-Welîd[83] Çadefi, qui s'empara de Tunis, et Abou Attâf 'Imrân ben 'Attâf Azdi, qui s'installa à Teyfâch ; [84] les Berbères se soulevèrent dans les montagnes, et Thâbit[85] le Çanhâdjien se révolta à Bâdja et s'en rendit maître. 'Abd er-Rah'mân fit alors venir son frère Elyâs, à qui il confia six cents cavaliers avec les instructions suivantes : « Avance-toi jusqu'à proximité de l'armée d’'Aboû 'At't'âf Azdi, et quand elle t'aura vu, éloigne-toi dans la direction de Tunis comme si tu y allais combattre 'Orwa ben el-Welîd ; puis quand tu auras atteint tel endroit, tu y resteras à attendre mes ordres écrits sur ce que tu auras à faire. » Après le départ d’'Elyâs, 'Abd er-Rah'mân fit venir le messager dont il avait parlé à son frère et lui remit une lettre en lui disant : « Rends-toi à l'armée d’'Aboû 'At't'âf, qui se préparera au combat à l'approche d'Elyâs ; mais le départ de celui-ci tranquillisera nos ennemis et leur fera déposer les armes ; c'est à ce moment que tu te rendras auprès de lui pour lui remettre ma lettre. » Le messager obéit, et les choses se passèrent selon les prévisions : quand Elyâs s'éloigna [P. 237] dans la direction de Tunis, les rebelles se tranquillisèrent : « Le voilà, se dirent-ils, entre les deux mâchoires du lion, nous de ce côté et les Tunisiens de l'autre » ; et ils formèrent le projet de le poursuivre. Comme notre homme les vit bien confiants, il alla remettre à Elyâs la lettre dont il était porteur et qui contenait ces mots : « Les rebelles se croient en sûreté ; tombe sur eux pendant qu'ils ne sont pas sur leurs gardes ! » Elyâs, revenant sur ses pas, tomba sur ces gens sans méfiance avant, même qu'ils pussent s'armer et les massacra, eux et leur chef Aboû 'At't'âf, en l'an 130 (10 sept. 747). Il informa de cet heureux événement son frère 'Abd er-Rah'mân, qui lui écrivit de marcher sur Tunis., dont les habitants le prendraient pour Aboû 'At't'âf, ce qui lui faciliterait la victoire. L'événement justifia cette prévision : 'Orwa ben el-Welîd, surpris au bain par l'arrivée d'Elyâs, n'eut pas le temps de se vêtir et se jeta sur son cheval sans autre vêtement que la serviette avec laquelle il s'essuyait. Comme il prenait la fuite, Elyâs lui cria : « O champion des Arabes ! » ce qui lui fit faire demi-tour, et Elyâs le blessa, mais 'Orwa étreignit son ennemi, et tous deux tombèrent. 'Orwa allait avoir le dessus quand il fut tué par un client de son adversaire ; sa tête fut coupée et envoyée à 'Abd er-Rah'mân.
Elyâs s'étant fixé à Tunis, deux hommes se révoltèrent à Tripoli, 'Abd el-Djebbâr et El-Hârith, qui commirent de nombreux massacres dans cette ville. 'Abd er-Rah’mân marcha en 131 (30 août 748) contre ces deux hérétiques ibâdites et les tua.[86] Dans sa lutte contre les Berbères, il employa les troupes du djond.[87] En 132 (19 août 749) il reconstruisit les remparts de Tripoli, puis retourna à Kayrawân.
En 135 (17 juill. 752) il fit une expédition contre Tlemcen, où il y avait beaucoup de Berbères, et les vainquit. Il envoya en Sicile une flotte qui y fit beaucoup de butin ; il en dirigea une autre sur la Sardaigne, d'où l'on ramena aussi du butin après avoir massacré les Roûm qui y habitaient.[88] Il conquit tout le Maghreb sans que ses troupes subissent d'échec. Merwân ben Mohammed, en qui finit la dynastie Omeyyade, fut mis à mort pendant le gouvernement d’'Abd er-Rah'mân en Ifrîkiyya, et ce chef reconnut Es-Seffâh'[89] et proclama le nom des Abbasides dans la khotba (prône).
Plus tard, [P. 238] des Omeyyades se rendirent auprès de lui, et il épousa, de même que ses frères, des femmes de cette famille. Parmi ces réfugiés figuraient El-'Aci[90] et 'Abd el-Mou'min, fils l'un et l'autre d'El-Welid ben Yezîd ben 'Abd el-Melik, et qui furent livrés à la mort par 'Abd er-Rah'mân, contre qui, d'après ce qu'on rapporta à celui-ci, ils nourrissaient de mauvais desseins. Alors leur cousine paternelle, qui était devenue la femme d'Elyâs, frère d’'Abd er-Rah'mân, tint à son mari les propos que voici : « Ton frère a tué mes parents tes alliés, sans avoir égard au lien qui nous unissait et montrant ainsi le mépris qu'il a pour toi, la vaillante épée dont il se sert ; quand tu remportes une victoire, il l'annonce aux khalifes en l'attribuant à son fils H'abîb, qu'il a désigné., au lieu de toi, pour son héritier.» Ces excitations incessantes agirent sur lui, et il organisa un complot contre son frère.
Es-Seffâh' étant alors venu à mourir fut remplacé, sur le trône des khalifes par El-Mançoûr, qui confirma 'Abd er-Rah'mân dans son gouvernement et lui envoya, dès le début de son règne, une robe d'honneur de couleur noire, la première que l'on vit en Ifrîkiyya. 'Abd er-Rah'mân la revêtit et lui envoya des présents avec une lettre disant : « L’Ifrîkiyya est maintenant entièrement musulmane, et l'on a cessé d'y faire des esclaves et de prélever (des contributions supplémentaires) ; il ne faut donc pas me demander de ces dernières. » Ce message irrita El-Mançoûr, qui y répondit par une lettre de menaces. 'Abd er-Rah'mân proclama alors la déchéance en Ifrîkiyya du khalife, et montant en chaire il mit en pièces la robe d'honneur qui lui avait été envoyée.[91] Cette affaire entre autres servit la cause d'Elyâs, qui se mit d'accord avec plusieurs des chefs de Kayrawân pour tuer son frère, se faire proclamer gouverneur et reconnaître de nouveau l'autorité d'El-Mançoûr. 'Abd er-Rah'mân, quand il apprit ce qui se tramait, ordonna à Elyâs de se rendre à Tunis ; celui-ci commença ses préparatifs, puis, sous prétexte de lui faire ses adieux, il pénétra avec son autre frère' Abd el-Wârith chez 'Abd er-Rah'mân, qu'ils massacrèrent en doû'l-hiddja 137 (mai-juin 755). Son gouvernement en Ifrîkiyya avait duré dix ans et sept mois.
Cela fait, le meurtrier fit fermer les portes du palais pour s'emparer de H'abîb ben 'Abd er-Rah'mân ; mais celui-ci put s'enfuir à. Tunis auprès de son oncle paternel 'Imrân ben H'abîb, à qui il apprit ce qui venait de se passer. Elyâs marcha contre eux et engagea les hostilités, qui ne durèrent pas : un accord fut conclu en 138 (15 juin 755), aux termes duquel H'abîb garderait Gafça, Kastîliya et Nefzâwa, 'Imrân régnerait à Tunis, à Çatfoûra et dans la péninsule (de Bâchoû), tandis qu'Elyâs garderait le reste de l'Ifrîkiyya.
[P. 239] A la suite de cet arrangement, H'abîb regagna son gouvernement, pendant qu'Elyâs se rendait à Tunis avec 'Imrân ; mais celui-ci tomba victime des embûches de son frère, qui se rendit maître de Tunis et qui, après y avoir fait mettre à mort plusieurs nobles arabes, retourna à Kayrawân. Après s'y être installé, il fit porter à El-Mançoûr ses promesses de soumission par une ambassade où figurait entre autres 'Abd er-Rah'mân ben Ziyâd ben An'am, kâdi d'Ifrîkiyya. H'abîb s'étant ensuite rendu à Tunis et s'en étant emparé, Elyâs marcha contre lui ; mais, après un combat sans importance, H'abîb abandonna ses tentes quand la nuit fut entièrement tombée, et se rendit avec une petite troupe de cavaliers à Kayrawân, où il fit ouvrir les portes des prisons et augmenta ainsi beaucoup ses forces. Elyâs se mit à sa poursuite, mais fut abandonné par la plupart des siens, qui allèrent grossir l'armée de son neveu. Les deux armées en vinrent aux mains, mais la trahison se mit dans les compagnons d’'Elyâs. Alors H'abîb, s'avançant, cria à son oncle : « Pourquoi faire tuer nos partisans et nos amis dévoués ? Engageons un combat singulier dont le résultat laissera : dorénavant tranquille le vainqueur quel qu'il soit !» Après quelque hésitation, Elyâs s'avança contre lui, et un duel acharné s'ensuivit : les deux adversaires brisèrent d'abord leurs lances, puis leurs sabres, mais H'abîb, se précipitant alors sur Elyâs, le tua. Il entra ensuite à Kayrawân, en 138.
Les frères d'Elyâs se réfugièrent alors auprès de la tribu berbère des Ourfeddjoûma, qui leur accorda sa protection. H'abîb, qui alla, les combattre, fut mis en fuite et regagna Gabès. Cette affaire augmenta le prestige des Ourfeddjoûma, à qui se rallièrent les autres Berbères, ainsi que les hérétiques (khawâridj). Le chef de cette tribu, 'Açim ben Djemîl, se prétendait prophète et devin ; il introduisit des changements dans la religion, fit des additions dans la prière, et fit disparaître le nom du Prophète dans la formule d'appel à la prière. Il organisa les Arabes qui se trouvaient auprès de lui à l'effet de marcher sur Kayrawân, et des députés envoyés par un groupe d'habitants de cette ville l'invitèrent à y venir, après avoir exigé de lui des actes par lesquels il s'engageait à les protéger et respecter, et à reconnaître l'autorité d'El-Mançoûr. 'Açim s'avança alors à la tête des Berbères et des Arabes, mais quand il fut près de la ville les habitants en sortirent et l'attaquèrent. Ils furent battus, et ce chef pénétra avec ses troupes à Kayrawân, où les Ourfeddjoûma commirent toutes les horreurs : ils réduisirent en captivité [P. 240] les femmes et les enfants, attachèrent leurs montures dans la grande mosquée et y commirent des dégâts. 'Açim se mit ensuite à la poursuite de H'abîb, qui était alors à Gabès ; il l'atteignit et le battit, de sorte que ce prince se réfugia dans le mont Aurès, où il trouva un refuge et où les habitants lui accordèrent leur protection. 'Açim voulut l'y poursuivre, mais il fut battu et tué, lui et la plupart des siens. H'abîb, qui marcha ensuite sur Kayrawân, trouva sur sa route 'Abd el-Melik ben Abou'l-Dja'd, [92] qui avait remplacé 'Açim comme chef des Ourfeddjoûma. La rencontre fut fatale à H'abîb, qui fut battu et qui y trouva la mort avec plusieurs des siens en moharrem 140 (mai-juin 757). Son gouvernement en Ifrîkiyya avait duré trois ans, [93] celui de son père 'Abd er-Rah'mân ben H'abîb dix ans et quelques mois, celui de son oncle Elyâs un an et six mois.[94]
Après avoir tué H'abîb ben 'Abd er-Rah'mân, 'Abd el-Melik ben Abou'l-Dja'd rentra à Kayrawân et y pratiqua le même système qu’Açim en fait de désordres, d'injustice, d'irréligion, etc., si bien que les habitants désertèrent cette ville. Or, il arriva qu'un Ibâdite, appelé à Kayrawân par ses affaires, vit des Ourfeddjoûmites prendre de force, sous les yeux du peuple, une femme qu'ils emmenèrent dans la grande mosquée. Sans plus songera ses affaires, il alla trouver Abou'l-Khat't'âb 'Abd el-A'labenes-Samh' Ma'âferi, qui, au récit de ce fait, sortit de chez lui en s'écriant : « Me voici, Seigneur Dieu ! me voici ! » De toutes parts ses compagnons affluèrent, et il marcha sur Tripoli, soutenu par les Ibâdites, les hérétiques (Khawâridj) et autres. Il battit une armée envoyée contre lui par 'Abd el-Melik et s'avança sur Kayrawân, d'où les Ourfeddjoûma sortirent pour lui livrer bataille. Après un combat acharné, les habitants de Kayrawân, qui combattaient avec les Berbères, furent mis en déroute, et les Ourfeddjoûma les suivirent dans leur fuite. 'Abd el-Melik fut tué avec nombre des siens, et Abou'l-Khat't'âb, après avoir massacré une foule de fuyards, en çafar 141 (12 juin 758), retourna à Tripoli, laissant en qualité de lieutenant à Kayrawân 'Abd er-Rah’mân ben Rostem Fârisi.[95]
[P. 241] En 142 (3 mai 159), Mohammed ben el-Ach'ath Khozâ'i, qui gouvernait l'Egypte au nom d'El-Mançoûr, expédia Abou'l-Ah'waç 'Omar[96] ben el-Ah'waç 'Idjli à la tête d'une forte armée Abbasside contre Abou'l-Khat't'âb installé à Tripoli ; mais ce dernier la battit, [97] et il étendit son pouvoir sur toute l'Ifrîkiyya, tandis que les fuyards rentrèrent en Egypte. El-Mançoûr nomma alors émir d'Ifrîkiyya Mohammed ben el-Ach'ath Khozâ'i, qui partit d'Egypte en 143 (21 avril 760) avec 50.000 hommes.[98] Avec lui le khalife envoya El-Aghlab ben Sâlim Temîmi. A la nouvelle de l'approche d'Ibn el-Ach'ath, Abou'l-Khat't'âb réunit des forces si considérables que son adversaire prit peur. Mais la discorde se mit entre les Hawwâra et les Zenâta à cause du meurtre commis sur un homme appartenant à cette dernière tribu, laquelle suspecta Abou'l-Khat't'âb de partialité pour les Hawwâra et par suite l'abandonna en partie. Ibn el-Ach'ath reprit alors courage, et ce chef s'avança avec lenteur ; puis, feignant qu'un ordre d'El-Mançoûr lui prescrivait de battre en retraite, il fit demi-tour, et pendant trois jours revint sur ses pas, mais en faisant peu de chemin. Les espions d'Aboû'1-Khat't'âb vinrent alors annoncer à celui-ci la retraite de l'ennemi, et cela fut cause que nombre des siens se retirèrent, tandis que ceux qui restaient croyaient n'avoir rien à redouter. Alors Ibn el-Ach'ath, se mettant à la tête de ses plus braves soldats, revint à marches forcées sur ses pas et tomba au matin sur Abou'l-Khat't'âb, qui n'avait pris aucune disposition de combat. Malgré la chaude résistance que présentèrent les hérétiques, Abou'l-Khat't'âb et presque tous les siens mordirent la poussière en çafar 144.[99]
Ibn el-Açh'ath croyait avoir anéanti tous les hérétiques, mais le Zenâtien Abou Horeyra était encore à la tête de 16.000 hommes, qu'il dut combattre et qu'il tua jusqu'au dernier en 144 (10 avril 761). Il annonça alors ses succès à El-Mançoûr et procéda à la nomination des gouverneurs des diverses provinces ; il commença la même année à relever les murs de Kayrawân et termina ce travail en 146 (20 mars 763).
Devenu maître de l'Ifrîkiyya, il s'attacha à poursuivre tous les Berbères et autres insoumis ; il fit marcher une armée contre Zawîla et Waddân, [100] qui furent conquises l'une et l'autre ; les Ibâd'ites de Waddân furent égorgés, de même que le chef de cette secte à Zawîla, 'Abd Allah ben Sinan Ibâdi, et les familles des survivants. Ces procédés inspirèrent une vraie terreur aux malfaiteurs et aux opposants, Berbères ou autres, [P. 242] et tous se soumirent. Un guerrier appartenant à son djond, Hâchim ben ech-Châh'idj s'étant révolté à Kamoûniya et ayant trouvé de l'appui chez beaucoup de soldats du djond, Ibn el-Ach'ath le fit combattre par un de ses officiers, qui fut tué et dont les troupes prirent la fuite ; alors les officiers mod'arites d'Ibn el-Ach'ath, qui en voulaient à celui-ci de l'hostilité qu'il leur témoignait, ordonnèrent à leurs hommes de se joindre à Hâchim.[101] Néanmoins celui-ci fut mis en déroute par une seconde armée qu'Ibn el-Ach'ath envoya contre lui, et il se réfugia à Tâhert, où il parvint à réunir une troupe de 20.000 Berbères de basse classe ; il marcha ensuite sur Tehoûda, mais il fut de nouveau battu par les troupes d'Ibn el-Ach'ath et subit des pertes considérables ; il se dirigea alors vers la région de Tripoli. Un messager d'El-Mançoûr (le khalife) lui porta un blâme attiré par sa désobéissance ; mais Hâchim se défendit, déclarant qu'il n'avait pas voulu se révolter, mais qu'Ibn el-Ach'ath, trouvant mauvais que lui Hâchim prononçât dans la prière le nom d'El-Mahdi à la suite de celui du khalife, avait cherché à le faire mourir : « Eh bien ! dit le messager, si tu es réellement obéissant, allonge donc le cou ! » Il le fit, et cet homme lui trancha la tête en çafar 147 (avril-mai 764). Tous les partisans du rebelle obtinrent leur grâce et purent se retirer ; mais Ibn el-Ach'ath se mit ensuite à leur poursuite et les massacra. Les Mod'arites indignés et mus par un même sentiment d'hostilité, s'entendirent pour le chasser du pays. Dans cette situation, le gouverneur crut devoir se retirer ; il rencontra des messagers d'El-Mançoûr qui le reçurent avec de grands témoignages de considération, et il se rendit auprès de ce prince. Les Mod'arites choisirent pour gouverner l'Ifrîkiyya 'Isa ben Moûsa Khorâsâni.[102] Ces derniers incidents se déroulèrent dans une période de trois mois, et El-Mançoûr nomma alors, en rebî' I 148 (26 avril 765), El-Aghlab Temîmi en qualité de gouverneur.
Nous avons raconté tous ces faits d'affilée à raison de leur caractère connexe et selon la règle que nous nous sommes imposée. Comme chacun d'eux figure à sa date, les deux ordres logique et chronologique sont respectés.
En 127 (12 octobre 744) les Espagnols déposèrent leur gouverneur, Abou'l-Khat't'âr H'osâm ben D'irâr. Il avait en effet, dès son arrivée dans le pays, manifestement favorisé les Yéménites au détriment des Mod'arites. Or un jour un Kenânien, à la suite d'une querelle qu'il avait eue avec un Ghassânide, eut recours à Eç-Çomeyl ben H'âtim ben Dhoû'l-Djawchen D'abâbi. Celui-ci intervint auprès d’'Aboû'l-Khat't'âr, qui le reçut grossièrement. Eç-Çomeyl, qui lui répondit, fut alors, par l'ordre du gouverneur, chassé et frappé, si bien que son turban en fut dérangé. Aussi le lui fit-on remarquer, quand il sortit : « Eh bien ! répondit-il, si j'ai des contribules, ils sauront le remettre droit[103] ». Eç-Çoméyl était un noble Mod'arite et s'était, dès son arrivée en Espagne avec Baldj, trouvé dans les premiers rangs de la noblesse, tant par sa valeur propre que par (le nombre de) ses partisans. Il réunit alors ses contribules pour les informer de l'outrage qu'il venait de subir ; et comme ceux-ci lui déclarèrent qu'ils étaient à ses ordres, il leur dit que son but était de chasser Abou'l-Khat't'âr de l'Espagne ; sur quoi, l'un d'eux lui donna cet avis : « Agis comme tu l'entends et demande du secours à qui tu voudras., sauf à Abou 'At'â' le K'aysite, autre noble K'aysite qui disputait le premier rang à Eç-Çomeyl et le jalousait. Mais une opinion contraire s'éleva : « Je suis d'avis, dit un autre, que tu ailles trouver Abou ‘At'â' pour avoir son appui, car alors l'amour qu'il a pour sa race le portera à te seconder ; autrement, il se tournera vers Abou'l-Khatt'âr et il tâchera, grâce à l'aide qu'il fournira à celui-ci, d'obtenir à ton détriment ce qu'il convoite. Je pense, en outre, qu'il faut demander l'aide des Yéménites aussi bien que celle des Ma'addites ». Eç-Çomeyl adopta cet avis et partit la nuit même pour se-rendre auprès d'Aboû 'At'à', qui résidait à Ecija. Celui-ci lui fit un accueil magnifique et s'informa du but de sa visite.
Aux ouvertures que lui fit Eç-Çomeyl, il ne répondit qu'en se levant et en montant à cheval tout armé : « Va maintenant, lui dit-il, où tu veux, je ne te quitte plus » ; et, en même temps, il ordonna à ses parents et à ses compagnons de le suivre. De là ils allèrent à Moron, où résidait Thawâba ben Selâma Djodhâmi, [104] qui avait une grande influence sur sa tribu. Abou'l-Khat't'âr l'avait d'abord nommé gouverneur de Séville et d'autres lieux, puis l'avait destitué, ce qui avait excité le ressentiment de Thawâba. Eç-Çomeyl lui demanda son concours, avec promesse de le prendre pour émir après l'expulsion d'Aboû'l-Khat't'âr. Thawâba consentit, et sa tribu répondit à son appel. De là, on se rendit à Sidona.
[P. 258] Abou'l-Khat't'âr s'avança de Cordoue, où il laissa un corps de troupes, pour les attaquer. La bataille eut lieu[105] en redjeb de cette année (avril-mai 745) ; on se battit bravement de part et d'autre, mais Abou'l-Khat't'âr finit par être battu et fait prisonnier, tandis qu'on faisait un affreux carnage de ses troupes. Omeyya ben 'Abd el-Melik ben K'at'an, qu'Aboû'l-Khat't'âr avait laissé à Cordoue, fut chassé de cette ville, où l'on mit au pillage tout ce qui leur appartenait, à lui et à son chef. A la suite de leur victoire, Thawâba ben Selâma et Eç-Çomeyl pénétrèrent à Cordoue ; ils y exercèrent d'abord conjointement le pouvoir, qu'ensuite Thawâba garda seul. Mais alors 'Abd er-Rah'mân ben H'assân[106] Kelbi se révolta et tira de prison Abou'l-Khat't'âr, qui rassembla une nombreuse armée yéménite et marcha contre Cordoue. Thawâba, accompagné d'Eç-Çomeyl et à la tête des troupes yéménites et mod'arites qu'il avait sous la main, se mit en marche pour lui livrer bataille. Au milieu de la lutte, un Mod'arite s'avança et s'écria : « 0 Yéménites, pourquoi combattre pour AboulKhat't'âr ? C'est un des vôtres » — il voulait dire Thawâba — «que nous avons pris comme chef ; on ne comprendrait votre résistance que si nous avions choisi quelqu'un de notre race. Si nous parlons de la sorte, c'est uniquement pour éviter l'effusion du sang et dans l'espoir de procurer la tranquillité au peuple. » Ceux à qui ces paroles s'adressaient se dirent alors : « Par Dieu ! il dit vrai ; pourquoi combattre nos contribules ? » La lutte cessa aussitôt, et les troupes se dispersèrent.[107] Abou'l-Khat't'âr s'enfuit à Béja, et Thawâba rentra à Cordoue. Ces troupes furent dès lors dénommées armée de la paix.[108]
Thawâba ben Selâma, gouverneur d'Espagne, mourut en 129 (21 septembre 746), après avoir exercé le pouvoir pendant deux ans et quelques mois. Sa mort donna le signal des dissensions, car Mod'arites aussi bien que Yéménites voulaient que son successeur fût un des leurs, si bien que le pouvoir resta vacant. Eç-Çomeyl, qui redoutait de voir éclater la guerre civile, suggéra de prendre pour gouverneur un K'oreychite. Tout le monde s'étant rallié à cet avis, il choisit Yoûsof ben 'Abd er-Rah’mân Fihri, qui était alors [P. 287] à Elvira et qu'on informa par lettre de l'unanimité qui le portait au pouvoir. Ce chef refusa d'abord, et n'accepta que par la considération qu'on fit valoir à ses yeux, que la guerre civile, dont il serait responsable, serait la suite de son refus. Il se rendit alors à Cordoue et l'on reconnut son autorité. Mais, à la nouvelle de la mort de Thawâba et de son remplacement par Yoûsof, Abou'l-Khat't'âr parvint à susciter la guerre entre les Yéménites et les Mod'arites, en représentant aux premiers qu'Eç-Çomeyl ne voulait' autre chose qu'un gouverneur appartenant à cette dernière race. Alors Yoûsof, quittant le palais gouvernemental de Cordoue, rentra chez lui. Abou'lKhat't'âr se rendit à Secunda,[109] où les Yéménites se groupèrent autour de lui, tandis que les Mod'arites se serraient auprès d'Eç-Çomeyl. Alors eut lieu une bataille qui dura plusieurs jours et telle qu'on n'avait jamais rien vu de pareil en Espagne ; elle finit par la défaite des Yéménites. Abou'l-Khat't'âr se réfugia dans un moulin appartenant à Eç-Çomeyl ; mais il fut dénoncé, et celui-ci le fit mettre à mort.[110] Yoûsof ben 'Abd er-Rah'mân se réinstalla dans le palais et n'eut que l'apparence du pouvoir, tandis qu'Eç-Çomeyl, dont l'influence croissait toujours, était le chef réel.
Ensuite Ibn 'Alk'ama se révolta contre Yoûsof, dans la ville de Narbonne, mais ce mouvement ne dura guère ; l'insurgé fut bientôt tué et sa tête fut envoyée à Yoûsof.[111]
Un autre soulèvement eut lieu sous la direction d"Odhra dit Ed-Dhimmi, surnom provenant de ce qu'il demanda du secours aux tributaires, ahl ed-dhimma.[112] Yoûsof envoya pour le réprimer 'Amir ben 'Amr, qui a donné son nom au cimetière d"Amir (situé près d'une) des portes de Cordoue[113] ; mais ce général ayant été mis en déroute, Yoûsof en personne se mit à la tête d'une armée et tua le rebelle, dont les troupes furent livrées à la fureur des vainqueurs. Oh raconte aussi d'une autre manière cet événement, sur lequel on n'est pas d'accord.[114] Nous en reparlerons sous l'année 139, à propos de l'arrivée d’Abd er-Rah'mân l'Omeyyade en Espagne.
[P. 344] En 133 (8 août 750), Mohammed ben el-Ach'ath pénétra en Ifrîkiyya et la soumit, malgré la vive résistance que les habitants lui opposèrent.[115]
En 135 (17 juillet 752), 'Abd Allah ben H'abîb fit contre la Sicile une expédition d'où il ramena des prisonniers et du butin et où il obtint plus de succès que personne avant lui. Il avait auparavant fait une expédition contre Tlemcen, et d'autre part les divers chefs d'Ifrîkiyya étant occupés à combattre les Berbères, cette île se croyait en sécurité. Les Roûm l'avaient partout mise en état et y avaient bâti des places fortes et des lieux de refuge ; chaque année, leurs vaisseaux croisaient autour des côtes pour veiller à leur sécurité et plus d'une fois avaient capturé les bateaux des marchands musulmans qui se trouvèrent sur leur route.[116]
En 136 (6 juillet 753) El-H'obâb ben Rawâh'a ben 'Abd Allah Zohri se révolta en Espagne. Pour soutenir ses prétentions au pouvoir, il réunit autour de lui nombre de Yéménites et marcha contre Eç-Çomeyl, émir de Cordoue. Celui-ci, serré de près dans cette ville, [117] adressa une demande de secours à Yoûsof le Fihrite, gouverneur d'Espagne, qui n'accorda rien, à cause autant de la période de disette et de famine par où l'Espagne passait alors que du peu de sympathie qu'il avait pour Eç-Çomeyl. Yoûsof préférait plutôt la mort de ce chef, qui était pour lui une source d'embarras.
Mais, la même année, eut lieu aussi le soulèvement d"Amir 'Abderi, [118] qui, à la tête de ses troupes, fit cause commune avec El-H'obâb contre Eç-Çomeyl, l'un et l'autre soutenant la causé des 'Abbassides. Réduit à la dernière extrémité, Eç-Çomeyl s'adressa à sa tribu, qui s'empressa de lui fournir des secours. L'annonce de l'arrivée de ces troupes permit à Eç-Çomeyl de sortir de Saragosse, puis El-H'obâb, revenant sur ses pas, put s'emparer de cette ville. Yoûsof Fihri donna à Eç-Çomeyl le gouvernement de Tolède.
Nous avons, sous l'année 92, raconté la conquête de l'Espagne et la révocation dont Moûsa ben Noçayr fut l'objet. Après sa révocation, il partit pour la Syrie en laissant pour commander en Espagne son fils 'Abd el-'Azîz, qui prit possession du pays, en défendit les frontières et conquit en outre quantité de villes. Le pouvoir de ce chef honnête et capable dura jusqu'en 97 (4 septembre 715), ou, selon d'autres, jusqu'en 98 (24 août 716), où il fut mis à mort, nous avons dit pourquoi. Lui mort, sa place resta vacante pendant six mois ; puis les Espagnols s'accordèrent à choisir Ayyoûb ben H'abîb Lakhmi, fils de la sœur de Moûsa ben Noçayr, qui leur servit d'imâm pour la prière, à cause de sa vertu et de ce qu'il se transporta[119] à Cordoue, dont il fit la capitale au commencement de 99 (13 août 717), ou, selon d'autres, en 98 (24 août 716).
Soleymân ben 'Abd el-Melik nomma après lui El-Horr ben 'Abd er-Rahman Thak'afi, qui rejoignit son poste en 98 et y resta deux ans et neuf mois.
A son avènement au khalifat, 'Omar ben 'Abd el-'Azîz nomma comme gouverneur Es-Samh' ben Mâlik Khawlâni avec mission de recenser le territoire, de prélever le quint sur la partie conquise par la force et de lui envoyer une description écrite de l'Espagne. L'intention du khalife était de ramener de ce pays les habitants (musulmans) à raison de leur séparation d'avec les (autres) musulmans. Es-Samh' arriva en ramad'ân de l'an 100 (26 mars 718) et exécuta les ordres qu'il avait reçus ; il fut tué en 102 (11 juillet 720), en sortant du territoire ennemi.[120] 'Omar avait formé le projet de retirer de l'Espagne les habitants (musulmans), mais Es-Samh' n'exécuta pas cette mesure et implora 'Omar en leur faveur.[121]
Es-Samh' eut pour successeur 'Anbasa ben Soh'aym Kelbi, qui, nommé en 103 (30 juin 721), mourut en cha'ban 107 (11 décembre 725), en revenant d'une expédition contre les Francs.
[P. 374] Il fut remplacé par Yah'ya ben Selâma Kelbi en dhoû'l-ka'da 107 (mars 726), qui resta dans ce poste pendant deux ans et demi. Vint ensuite H'odheyfa ben el-Abraç[122] Achdja'i, en 110 (15 avril 728), qui fut destitué au bout de six mois et remplacé par 'Othmân ben Abou Nis'a Khath'ami. Celui-ci fut destitué au bout de cinq mois, à la fin de cette même année 110.
El-Haythem ben 'Obeyd Kenâni, [123] arrivé en moharrem 111 (avril 729), mourut dix mois et quelques jours plus tard, au mois de dhoû'l-hiddja (février-mars 730).
Les Espagnols choisirent alors pour leur chef Mohammed ben 'Abd Allâh[124] Achdja'i, qui gouverna pendant deux mois et qui eut pour successeur 'Abd er-Rah'mân ben 'Abd Allâh Ghâfik'i, en çafar 112 (24 avril 730), lequel mourut en martyr chez les infidèles en ramad'ân 114 (24 octobre 732).
'Abd el-Melik ben K'at'an Fihri, qui vint après lui, fut destitué au bout de deux ans et remplacé par 'Ok'ba ben el-H'addjâdj Seloûli, qui gouverna cinq.ans, à partir de 116 (9 février 734). Alors les habitants se soulevèrent contre lui et mirent à sa place 'Abd el-Melik ben K'at'an, qui se trouva ainsi gouverneur pour la seconde fois. Selon certains chroniqueurs espagnols, ce fut à sa mort que les habitants le remplacèrent par 'Abd el-Melik.
Le gouverneur qui vint ensuite fut Baldj ben Bichr K'ocheyri, à qui ses compagnons prêtèrent hommage. 'Abd el-Melik s'enfuit et se confina chez lui ; ses deux fils K'at'an et Omeyya s'enfuirent aussi, l'un à Mérida, l'autre à Saragosse. Ensuite les Yéménites se soulevèrent contre Baldj et réclamèrent la mort d’'Abd el-Melik ben K'at'an ; Baldj, qui redoutait leurs violences, fit alors tuer, puis crucifier le vieillard, âgé de quatre vingt-dix ans. A cette nouvelle, ses deux fils se rendirent de Mérida à Narbonne, d'où, après avoir rassemblé une armée de cent mille hommes, ils marchèrent contre Baldj et ses partisans, à Cordoue. Celui-ci sortit de la ville avec ses Syriens et remporta la victoire dans la bataille qui eut lieu dans le voisinage de Cordoue. Il rentra dans la capitale, mais mourut quelques jours plus tard. Baldj était arrivé [P. 375] en Espagne à la suite de la mort de son oncle Kolthoûm ben 'Iyâd', auprès de qui il servait et qui fut tué en 123 (25 novembre 740) dans une bataille contre les Berbères, ainsi que nous l'avons dit. 'Abd el-Melik ben K'at'an, en lui permettant d'entrer dans le pays, prépara ainsi sa propre mort.
Les Syriens nommèrent pour lui succéder Tha'leba ben Selâma 'Amili, qui garda cette situation jusqu'à l'arrivée d'Aboû'l-Khat't'âr en 125 (3 novembre 742). Les Espagnols reconnurent le nouveau gouverneur, à qui Tha'leba, ('Othmân) Ibn Abou Nis'a et les deux fils d'Abd el-Melik vinrent faire leur soumission et qui furent traités par lui avec bienveillance. L'autorité d’'Aboû'l-Khat't'âr, qui était un homme brave, prudent et généreux, s'établit solidement. Il répartit entre les diverses parties du territoire les nombreux Syriens qui l'entouraient et que Cordoue ne pouvait supporter : il établit les habitants de Damas à Elvira, à cause de là ressemblance de cette ville avec leur lieu d'origine, et lui donna le nom de Damas ; ceux de H'imç à Séville, qu'il nomma H'imç ; ceux de K'innesrîn à Jaén, qu'il nomma K'innesrîn ; ceux du Jourdain à Rayya (Mâlaga), qu'il nomma Jourdain ; ceux de Palestine à Sidona, qu'il nomma Palestine, et ceux de Miçr à Todmîr, qu'il nomma Mier à cause de la ressemblance qu'il y avait entre cette dernière et Todmîr.
En 127 (12 octobre 744), l'esprit départi des Yéménites fut cause qu'Eç-Çomeyl ben H'âtim réunit des troupes Mod'arites, marcha contre lui et lui enleva le pouvoir. Eç-Çomeyl ben H'âtim ben Chamir ben Dhoû'l-Djawchen était arrivé de Syrie avec des troupes qu'il continua de commander après son arrivée en Espagne. Abou'lKhat't'âr, qui voulait l'humilier, le fit un jour injurier et traiter d'une manière méprisante, alors que lui-même était entouré du djond. Eç-Çomeyl en sortant de là avait son turban dérangé, ce dont un chambellan lui fit la remarque : « Si j'ai des contribules, s'écria Eç-Çomey], ils sauront le remettre droit ! » Il envoya à ses contribules ses plaintes contre ce traitement ignominieux, et ceux-ci se déclarèrent prêts à le suivre. Ils écrivirent à Thawâba ben Selâma Djodhâmi, l'un des Palestiniens, qui vint leur apporter son concours ; les Lakhm et les Djodhâm en firent autant. Informé de ce qui se passait, 'Abou'l-Khat't'âr marcha contre eux, mais il fut battu et fait prisonnier. Thawâba s'installa dans le palais de Cordoue et ne relâcha pas son captif ; il mourut après avoir exercé le pouvoir pendant deux ans.
Les Yéménites voulaient réinstaller 'Abou'l-Khat't'âr, mais les Mod'âr, ayant Eç-Çomeyl à leur tête, s'y opposèrent ; on ne put tomber d'accord, [P. 376] et pendant quatre mois l'Espagne resta sans chef ; nous en avons dit plus long sous l'année 127. Pendant cet interrègne, on chargea 'Abd er-Rah'mân ben Kethîr Lakhmi de ce qui avait trait à la justice.[125] La situation devenant plus difficile, on tomba d'accord pour choisir Yoûsof ben 'Abd er-Rah'mân ben H'abîb ben Abou 'Obeyda Fihri, qui exerça le pouvoir pendant l'année 129 (21 septembre 746) : il était entendu qu'au bout d'une année de gouvernement, il remettrait ses pouvoirs aux Yéménites, qui éliraient alors l'un d'entre eux. Quand l'année fut écoulée, tous les Yéménites voulurent faire exécuter la convention ; mais Eç-Çomeyl les attaqua pendant la nuit et en fit un grand carnage à la célèbre bataille de Secunda, en 130 (10 septembre 747), où 'Abou'l-Khat't'âr perdit la vie et où l'on finit, lances et épées étant brisées, par se prendre aux cheveux. Toute la population se soumit à l'autorité de Yoûsof, qui ne rencontra plus d'opposition.
On raconte aussi les faits, d'une manière différente, que nous avons exposée sous l'année 127.
Ensuite une sécheresse prolongée força (une grande partie de) la population à émigrer, ce qui appauvrit considérablement le pays. Cela dura jusqu'en 136 (6 juillet 753), où Temîm ben Ma'bed Fihri et 'Amir 'Abderi réunirent leurs forces à Saragosse. Eç-Çomeyl leur tint d'abord tête, puis Yoûsof Fihri conduisit une armée contre eux et les tua l'un et l'autre ; il resta de la sorte maître de l'Espagne jusqu'à la conquête qui en fut faite par 'Abd er-Rah'mân ben Mo'âwiya ben Hichâm.
Telle est l'histoire abrégée des gouverneurs d'Espagne, sur qui nous en avons déjà dit plus long çà et là, et que nous n'avons reprise ici que pour en présenter un tableau suivi et moins décousu. Nous allons maintenant raconter l'arrivée dans ce pays d’'Abd er-Rah'man ben Mo'âwiya ben Hichâm.[126]
Voici à la suite de quels événements ce prince passa en Occident. L'avènement de la dynastie 'Abbaside fut suivie du massacre de nombre d'Omeyyades et de leurs adhérents ; ceux d'entre eux qui le purent se sauvèrent en se dispersant de toutes parts. 'Abd er-Rah'mân ben Mo'âwiya, qui était à Dhât ez-Zeytoûn, [127] se réfugia en Palestine, où il resta, tandis que son affranchi Bedr s'enquérait de ce qui se passait. Voici, 'dit-on, ce que le prince a lui-même raconté : « Lorsque la promesse d'amnistie qui nous avait été faite fut violée [P. 377] auprès de la rivière d’'Aboû Fotros[128] et qu'il fut permis de nous tuer, nous reçûmes cette nouvelle alors que j'étais à quelque distance de ma demeure. Désespéré, je rentrai chez moi et m'occupai de réunir ce qui nous était nécessaire à moi et à ma famille. Je m'en allai tout tremblant et atteignis sur l'Euphrate une bourgade boisée et marécageuse. Pendant que nous demeurions là, il arriva un jour que mon fils Soleymân, alors âgé de quatre ans, et qui jouait sous mes yeux, sortit de la maison. Quand il rentra, il pleurait, et tout apeuré, se cramponna à moi ; comme je ne pouvais parvenir à me débarrasser de son étreinte, je sortis pour me rendre compte de ce qui se passait. Tout le village était en émoi à cause des drapeaux noirs (des Abbâssides) qui y flottaient, et un de mes jeunes frères me cria : « Sauvons-nous ! Sauvons-nous ! ce sont les drapeaux des troupes Abbâssides. » Je me précipitai aussitôt sur quelque argent et m'enfuis avec mon frère, en indiquant à mes sœurs l'endroit où je me réfugiais et les priant de m'envoyer mon affranchi Bedr. Les cavaliers cernèrent alors le village, mais sans trouver ma trace. Je me rendis chez un homme que je connaissais et par qui je me fis acheter des montures et les approvisionnements nécessaires ; mais un esclave de cet homme alla nous dénoncer au chef du détachement, qui arriva avec ses hommes à ma recherche. Nous nous enfuîmes à pied, mais les cavaliers nous aperçurent, et nous nous jetâmes dans des jardins qui bordent l'Euphrate ; arrivés les premiers au bord du fleuve, nous nous y précipitâmes, mais je pus seul échapper. En effet, malgré les cris des cavaliers qui promettaient de nous épargner, je continuai de nager ; tandis que mon frère, quand il fut au milieu du fleuve, ne put lutter contre le courant et regagna le bord où, malgré la promesse faite, il fut massacré sous mes yeux ; il avait treize ans quand j'eus la douleur de le perdre. Je continuai de fuir et me tins caché dans un fourré marécageux jusqu'à ce qu'on eût cessé de me poursuivre ; puis j'en sortis pour me rendre dans le Maghreb et gagner l'Ifrîkiyya. » Sa sœur Omm el-Açbagh lui envoya son affranchi Bedr avec de l'argent et des pierreries.
Arrivé en Ifrîkiyya, le fugitif fut rigoureusement recherché par 'Abd er-Rah'mân ben H'abîb ben Abou 'Obeyda Fihri, qui était, dit-on, le père de Yoûsof Fihri, gouverneur de l'Espagne, tandis que lui-même était gouverneur d'Ifrîkiyya. A la suite des mesures prises contre lui, il s'enfuit à Miknâsa (Méquinez), dans une tribu berbère ; mais là aussi il essuya de mauvais traitements trop longs à raconter, et il se rendit, accompagné de Bedr, chez les Nefzâwa,[129] tribu à laquelle appartenait sa mère. On dit aussi que ce fut dans une tribu Zenâta qu'il reçut le meilleur accueil ; grâce à la sécurité dont il y jouissait, il entra en correspondance avec les Omeyyades d'Espagne, à qui il fît savoir son arrivée en les invitant à se rallier à sa cause. A cet effet, il dépêcha son affranchi Bedr dans ce pays, alors gouverné [P. 378] par Yoûsof ben 'Abd er-Rah'mân Fihri. Les propositions dont Bedr était porteur trouvèrent un accueil favorable, et les Espagnols envoyèrent un navire à bord duquel se trouvaient Thomâma[130] ben 'Alk'ama, Wahb ben el-Açfar et Châkir ben Abou'l-Achmat', chargés de porter à 'Abd er-Rah'mân leur promesse de lui obéir. Les envoyés ramenèrent le prince avec eux et débarquèrent en rebî' I 138 (13 août 755) à El-Monakkeb (Almunecar), où plusieurs chefs de Séville vinrent les trouver, de même que des Yéménites, qui étaient également irrités contre Eç-Çomeyl et Yoûsof Fihri.
Le prince s'avança ensuite dans le canton de Rayya (Malaga), dont le gouverneur 'Isa ben Mosâwir le reconnut, puis à Ghidoûna (Sidona), dont le gouverneur Ghiyâth ben 'Alk'ama Lakhmi fit de même, puis à Mouroûr (Moron), gouverné par Ibrâhîm ben Chedjera, qui le reconnut également, enfin à Séville, où Abou' ç-Çabbâh' Yah'ya ben Yah'ya en fit autant.[131] De là il marcha sur Cordoue. Yoûsof était alors absent de cette ville, et ce fut en revenant des environs de Tolède, où il se trouvait, qu'il apprit qu’Abd er-Rah'mân marchait sur Cordoue. Dans (les environs de) cette dernière ville, 'Abd er-Rah'mân engagea avec Yoûsof de feintes négociations pendant deux jours, dont le premier était celui de la fête d’Arafa.[132] Du côté de Yoûsof, on regardait la paix comme déjà conclue, et l'on se mit à préparer le repas qu'on devait faire sur des nattes le jour de la Fête des sacrifices. Mais 'Abd er-Rah'mân disposa ses troupes, cavalerie et infanterie, et leur fit traverser le fleuve[133] pendant la nuit. La bataille s'engagea dans la nuit qui précède la Fête des sacrifices et fut soutenue des deux parts avec acharnement jusqu'à ce qu'il fît plein jour. 'Abd er-Rah'mân était monté sur un mulet pour qu'on ne le crût pas disposé à fuir, et cela rassura entièrement ses troupes. La mort fit de prompts ravages dans l'armée de Yoûsof, et celui-ci s'enfuit ; Eç-Çomeyl résista encore avec une troupe de ses contribules, mais finit aussi par s'enfuir, et la victoire resta à 'Abd er-Rah’mân.
Yoûsof se réfugia à Mérida, tandis que son rival entrait dans Cordoue, mais il ne pénétra dans le palais qu'après en avoir, dès son arrivée, fait sortir la famille de Yoûsof. Il se mit ensuite à poursuivre ce dernier, qui put lui échapper et rentrer à Cordoue par une autre route,[134] retira sa famille et ses trésors de son palais, puis s'en alla à Elvira, tandis qu'Eç-Çomeyl résidait à Chawdher (Jodar). A la première nouvelle qu'il en eut, [P. 379] 'Abd er-Rah'mân revint sur Cordoue pour l'y attaquer, mais ne l'ayant plus trouvé, il forma le plan d'aller l'attaquera Elvira. Eç-Çomeyl avait rejoint Yoûsof dans cette ville, et une armée se reformait autour d'eux. Des négociations s'engagèrent, et là paix fut conclue moyennant l'engagement que prit Yoûsof de résider à Cordoue auprès d’Abd er-Rah'mân et de donner comme otages ses deux fils Abou '1-Aswad Mohammed et 'Abd er-Rah'mân.[135] En rentrant à Cordoue, Yoûsof prononça ce vers proverbial :
[Tawîl] Nous avons été à la tête des hommes et des affaires, et nous voilà maintenant devenus des sujets forcés d'obéir[136] !
Cordoue devint la résidence d' 'Abd er-Rah'mân, qui y bâtit le palais et la grande mosquée, pour laquelle il dépensa 80.000 dinars, sans que la mort lui permît de l'achever ; il fit aussi élever des mosquées ordinaires. Plusieurs membres de. sa famille vinrent habiter auprès de lui.[137] Il faisait faire (à l'origine) la prière pour l'Abbasside El-Mançoûr.
Selon Abou Dja'far [Tabari], c'est en 139 (4 juin 756) qu' 'Abd er-Rah'mân pénétra en Espagne ; une autre. opinion, que nous avons suivie, place cet événement en 138 (15 juin 755). Nous n'entrerons pas à ce sujet dans des détails plus circonstanciés, afin de ne pas sortir du cadre restreint que nous nous sommes tracé.
En 140 (24 mai 757), Yoûsof Fihri viola le pacte qu'il avait conclu avec 'Abd er-Rah'mân l'Omeyyade. Celui-ci lui suscitait par dessous main des humiliations et faisait élever des chicanes relativement à ses propriétés ; lorsqu'il feignait d'invoquer la loi, il n'en faisait rien dans la réalité. Yoûsof, comprenant le but que l'on poursuivait, gagna Mérida, où il réunit une armée vingt mille hommes avec laquelle il marcha contre 'Abd er-Rah'mân. Celui-ci, de son côté, sortit de Cordoue pour le combattre et marcha vers le H'içn el-Modawwar (Almodovar). Alors Yoûsof se décida à attaquer 'Abd el-Melik ben 'Omar ben Merwân, gouverneur de Séville, et 'Omar ben 'Abd el-Melik, ce dernier préposé à Moron[138] ; tous les deux sortirent de Séville pour l'arrêter dans sa marche. Un combat sanglant et acharné s'engagea, mais qui finit par la défaite de Yoûsof, dont beaucoup de soldats furent tués ; lui-même parcourut pendant quelque temps le pays en fugitif et fut tué par l'un de ses compagnons en redjeb 142 (27 octobre 759), dans les environs de Tolède. Sa tête fut envoyée à 'Abd er-Rah’mân et exposée à Cordoue ; son fils, 'Abd er-Rah’mân ben Yoûsof, qui était retenu à la cour comme otage, fut également mis à mort, et sa tête fut exposée à côté de celle de son père. Abou'l-Aswad ben Yoûsof, dont nous reparlerons, continua d'être gardé comme otage.
Quant à Eç-Çomeyl, qui n'avait pas accompagné Yoûsof lorsque celui-ci s'était enfui de Cordoue, il fut appelé par l'émir 'Abd er-Rah'mân, qui l'interrogea : « Yoûsof, répondit-il, ne m'a pas fait part de ses affaires et je n'ai pas de nouvelles de lui. —C'est impossible, reprit le prince. — [P. 382] Quand mes pieds le recouvriraient, repartit Eç-Çomeyl, je ne les lèverais pas de dessus lui ». Il fut emprisonné ainsi que les deux fils de Yoûsof, et dédaigna de [tenter de] fuir en même temps que ceux-ci.[139] Quelque temps après, on introduisit dans sa prison des cheikhs des Mod'ar, qui le trouvèrent mort ayant à côté de lui une coupe et des confitures : « Abou Djawchen ! s'écrièrent-ils, nous savons que tu es mort par le poison et non par le vin ! » Le cadavre fut remis à la famille, qui procéda à l'enterrement.
En cette même année 140 (24 mai 757) mourut, après un règne de dix-huit ans, Alfonse, roi de Galice ; il eut pour successeur son fils Firowilia,[140] qui l'emportait sur son père en bravoure, en habileté administrative et en fermeté. Il exerçait un pouvoir incontesté et eut un règne glorieux : il chassa les musulmans des places frontières et s'empara de la ville de Loukk (Lugo de Galice), du Portugal, de Salamanque, de Chamoûra (Zamora), d'Avila, de Ségovie, de la Castille, tout cela faisant partie de l'Espagne.[141]
[P. 390] En 143 (21 avril 760), Rizk' ben No'mân Ghassânij gouverneur d'Algésiras, se révolta en Espagne contre 'Abd er-Rah'mân. De nombreux partisans se' joignirent à lui ; il marcha contre Sidona, dont il s'empara, et pénétra dans Séville, où 'Abd er-Rah'mân s'empressa de l'assiéger. Ceux qui étaient renfermés dans cette ville, se voyant serrés de près, se concilièrent le prince en lui livrant Rizk', qui fut mis à mort. Eux-mêmes obtinrent quartier, et le vainqueur s'éloigna.[142]
[P. 401] En 144 (10 avril 761), Hichâm ben 'Odhra[143] Fihri, * des Benoû 'Amr, et Yoûsof ben 'Abd er-Rah'mân Fihri[144] * se révoltèrent à Tolède contre l'émir omeyyade 'Abd er-Rah'mân et furent suivis par les habitants de cette ville. Le siège de Tolède, entrepris et poussé avec vigueur par ce prince, amena le révolté à demander la paix, et 'Abd er-Rah'mân, après avoir pris son fils Aflah' comme otage, retourna à Cordoue. Mais alors Hichâm [P. 402] se ressaisit du pouvoir au détriment d’'Abd er-Rah'mân, qui revint l'assiéger avec des machines de guerre auxquelles la ville était assez forte pour résister. L'émir fit alors mettre à mort Aflah', dont la tête fut jetée sur les remparts,[145] et il regagna Cordoue sans être venu à bout de Hichâm.
[P. 432] J'ai (dit le khalife El-Mançoûr) donné….. quarante mille hommes de mon djond à Mohammed ben el-Ach'ath, en Ifrîkiyya…….
En 147 (20 mars 763), El-'Alâ ben Moghîth Yah'çobi passa d'Ifrîkiyya dans la ville [de Béja[146]] en Espagne, où il arbora la couleur noire des Abbâssides et fit faire la khotba au nom d'El-Mançoûr (l'Abbaside). De nombreux adhérents se joignirent bientôt à lui. L'émir Omeyyade 'Abd er-Rah'mân lui livra, dans les environs de Séville, une bataille qui dura plusieurs jours et se termina par la déroute d’'El-'Alâ et des siens, dont sept mille avaient péri dans la lutte. El-'Alâ aussi fut tué ; sa tête et celles de plusieurs de ses principaux compagnons furent, sur l'ordre du vainqueur, portées par un marchand à Kayrawân et jetées furtivement au milieu du marché ; il y en eut même qui furent ensuite portées à la Mekke, où se trouvait El-Mançoûr. Ces têtes étaient accompagnées d'un drapeau noir et d'un diplôme d'investiture délivré par El-Mançoûr à El-'Alâ.[147]
[P. 446] En 147 (9 mars 764), l'Omeyyade d'Espagne 'Abd er-Rah'mân fit marcher son affranchi Bedr et Temmâm ben 'Alk'ama contre Tolède, où se trouvait Hichâm[148] ben 'Odhra. Ils le serrèrent de près et finirent par s'emparer de lui, de H'ayât ben El-Welîd Yah'çobi et d’Othmân[149] ben H'amza ben 'Obeyd Allah-ben 'Omar ben El-Khat't'âb. Ces prisonniers, vêtus de djobba de laine, têtes et moustaches rasées, montés sur des ânes et couverts de chaînes, furent amenés au prince ; ils furent ensuite crucifiés à Cordoue.
En la même année 147, revint de Syrie un envoyé d’'Abd er-Rah'mân, qui avait reçu mission d'amener en Espagne. Soleymân, fils aîné de ce prince.[150] Ce dernier avait eu, en Espagne même, un autre fils, Hichâm, qu'il favorisa au détriment de Soleymân ; de là, entre les deux frères, des rivalités et une haine cachée dont nous aurons à raconter les effets.
(Année 148). Quand El-Mançoûr apprit que Mohammed ben el-Ach'ath avait quitté l'Ifrîkiyya, il envoya un diplôme d'investiture, comme gouverneur de cette province, à El-Aghlab ben Sâlim ben 'Ik'âl ben Khafâdja Temîmi, qui avait combattu aux côtés d'Aboû Moslim Khorâsâni et qui s'était ensuite rendu en Ifrîkiyya avec Mohammed ben el-Ach'ath. Sitôt qu'il eut reçu son diplôme, El-Aghlab gagna Kayrawân, en djomâda II 148 (24 juillet 765), et il procéda à l'expulsion de plusieurs chefs mod'arites, ce qui ramena le calme.
Aboû Korra se révolta contre lui[151] et fut suivi par de nombreux Berbères ; mais il s'enfuit sans combattre [P. 449] quand El-Aghlab marcha contre lui. Le gouverneur voulut ensuite se diriger sur Tanger, mais cette expédition ne plut pas au djond, qui la trouvait trop pénible et qui, petit à petit, regagna Kayrawân, ne laissant son chef qu'avec une faible troupe. El-H'asan ben H'arb Kindi, qui était à Tunis, envoya au djond une demande écrite de le reconnaître, ce qui fut accepté et lui permit d'entrer à Kayrawân sans éprouver aucune résistance. El-Aghlab, en apprenant ces événements, revint à marches forcées sur ses pas. Oh lui conseilla, dans son entourage, de ne pas affronter l'ennemi avec les faibles troupes dont il disposait, mais de se diriger sur Gabès, où, disait-on, la plupart de ceux qui s'étaient ralliés au rebelle le rejoindraient, leur désertion n'ayant eu d'autre cause que leur répugnance à aller à Tanger, et lui permettraient alors de soutenir la lutte. Il suivit çé conseil, et quand ses troupes furent assez nombreuses, il livra bataille à El-H'asan ben H'arb, qui, après une vive résistance, s'enfuit, en djomâda II 150 (3 juillet 767), à Tunis, non sans avoir perdu nombre des siens ; quant à El-Aghlab, il entra à Kayrawân. Mais El-H'asan reconstitua son armée et marcha avec des forces considérables contre El-Aghlab, qui sortit de Kayrawân et fut tué d'un coup de flèche dans la rencontre qui s'ensuivit. Cependant, son armée tint bon, et dirigée par El-Mokhârik ben Ghaffâr, qui commandait l'aile droite, elle fit une charge devant laquelle El-H'asan dut plier et se réfugier à Tunis, en cha'bân 150 (31 août 767).
En ramadan (29 sept. 767), El-Mokhârik', qui prit le gouvernement de l'Ifrîkiyya, fit poursuivre par sa cavalerie El-H'asan, qui dut quitter Tunis pour se rendre chez les Ketâma,[152] d'où, après y avoir séjourné deux mois, il voulut rentrer à Tunis ; mais la portion du djond qui s'y trouvait marcha contre lui et le massacra. On rapporte aussi que, dans la bataille où El-Aghlab périt, comme ses troupes restèrent, grâce à leur résistance, victorieuses, El-H'asan également fut tué, ce qui entraîna la débandade de ses partisans. Le cadavre de ce dernier fut crucifié, tandis qu'El-Aghlab eut les honneurs de l'enterrement et fut appelé martyr (chehîd) ; la bataille où il périt eut lieu en cha'bân' 150 (septembre 767).
[1] Les Echbân ou Espagnols sont regardés comme descendant de Japhet et ayant autrefois régné sur la Syrie, l'Egypte, le Maghreb et l'Espagne. L'origine des rois d'Espagne ou Loderîk était .rattachée à Ispahan en Perse (Mas'oûdi, Prairies d'or, I, 359 et 370 ; II, 326 ; Kitab el-'Oyoûn dans les Fragmenta historicorum, éd. de Goeje, p. 3; Belâdori, p. 230; Mir'ât es-zemân, de Sibt Ibn el-Djoûzi, n° 1224 du Cat. du Brit. Mus., f. 73 v° ; ce dernier auteur ne consacre que trois lignes au récit de la conquête de l'Espagne par Târik).
[2] Il y a probablement lieu de chercher dans le nom des Vandales l'étymologie du mot Andalous (Reinaud, Géographie d’Aboulféda, II, 234 ; Dozy, Recherches, etc., 3e éd., I, 301).
[3] « Région qui figure parmi les cantons de Séville », dit le Merâçid. Cette ville est aussi mentionnée par 'Abd el-Wâhid Merrâkechi, (Histoire des Almohades, tr. franc., p. 312) et par le Bayân (II, 3). Ni Edrisi ni Aboulféda n'en parlent.
[4] Sur cette table, voir Dozy, Recherches, 3° éd. I, p. 52, et les auteurs cités dans la trad. de Merrâkechi, p. 10.
[5] Cette pierre précieuse est une espèce d'escarboucle qui, d'après un auteur cité par Aboulféda (Géographie, II, 248), illuminait les environs. Sur Mérida, voir Edrisi, p. 220 ; Aboulféda, l, l. ; Merâçid, III, 29.
[6] ) La même légende se retrouve dans le Bayân (II, 3). Le Khidr des Arabes est le prophète Elie de la Bible.
[7] Variante, Belît.
[8] Sur les divers incidents de la conquête de l'Espagne, et la manière dont elle s'accomplit, il faut voir le mémoire de Dozy (Recherches, 3e éd., p. 1 et s.). Ce savant reproduit (p. 40) le récit de l’Akhbâr Madjmoû'a (p. 4 et s. du texte publié par Lafuente sous le titre Ajbar Machmûa, Madrid, 1867), comme étant le plus véridique ; il ressemble beaucoup au nôtre. La version de Nowayri, lequel a suivi le récit d'Ibn el-Athîr, figure dans les Berbères (i, 345). Il faut également recourir au travail de M. E. Saavedra, Estudio sobre la invasion de los Arabes en España, Madrid, 1892.
[9] Bekri (p. 236) rappelle aussi les secours fournis par Julien à T'ârik' pour faciliter à celui-ci le passage en Espagne.
[10] C'est-à-dire des Mekkois, compagnons de sa fuite, et des Médinois, qui les accueillirent.
[11] Ce rêve de bon augure est soigneusement consigné par Ibn Khallikân (III, 476) et par Ibn El-K'oût'iyya. Ce dernier auteur, qu'il faut parfois contrôler (Dozy, Recherches, I, 39) a été partiellement traduit, et d'une manière à peu près satisfaisante, par A. Cherbonneau (Journal Asiatique, 1856, II, p. 429) ; le même fragment du récit d'Ibn El-K'oût'iyya a été retraduit et accompagné du texte correspondant par M. Houdas (Recueil de textes et de traductions publié par les professeurs de l’École des langues orientales vivantes, Paris 1889), mais cette dernière traduction donne lieu à maintes réserves.
[12] Il faut corriger le texte d'après Edrisi et Ibn El-Koûtiyya. Le lieu où se livra cette bataille est près du Lago de la Janda et, d'une manière plus précise, aux bords du Salado, qui a son embouchure non loin du cap Trafalgar, ainsi que l'a établi Dozy (Recherches, 2e éd., I, 314 ; 3e éd., p. 305). Il faut donc corriger la note du dernier traducteur d'Ibn el-Koûtiyya (p. 224), qui n'a pas connu le travail de Dozy. Voir Saavedra, Estudis, p. 68.
[13] Sisebert et Oppas, fils de Witiza (Recherches, I, 41).
[14] Localité située sur les bords du Genil, d'après l’Akhbâr madjmoû'a, (ap. Recherches, I, 46 ; Saavedra, p. 77) ; Edrisi ne la mentionne pas.
[15] On lit Amâya, mais sans points sous le yâ dans l’Akhbâr madjmoû'a (ibid., p. 52); quelques lignes plus bas, notre chroniqueur cite encore ce nom, écrit de la même manière, et on le retrouve t. VII, p. 119, sous l'orthographe Mâna, que l'éditeur a fait suivre d'un point d'interrogation. On trouve aussi « Maïa » dans Nowayri, qui a copié Ibn el-Athîr (Berbères, I, 349). Quant au Bayân (II, 13), il parle de cette ville sans la nommer. Sur la ville de la Table et Maya ou Amâya, voir l'index géographique du Madjmoûa (éd. Lafuente, p. 246 et 247).
[16] On trouve des détails sur la manière dont Cordoue fut prise par Moghîth dans les Recherches (3e éd., p. 46) ; Saavedra, p. 81.
[17] Orihuela se rendit à 'Abd el-'Azîz ben Moûsa, et non à un lieutenant de T'ârik' ; le texte du traité qui fut alors conclu est parvenu jusqu'à nous (Recherches, 2e éd., 56; 3e éd., 50 ; Saavedra, p. 127).
[18] Dans les diverses relations de la conquête, il est maintes fois fait allusion au rôle joué par les Juifs à cette époque (Fournel, I, 259).
[19] Edrisi (p. 229) parle de cette ville, en arabe Wâdi' l-h'adjâra et aussi Medînet el-Faradj, ainsi qu'on le trouve dans le Bayân (II, 75), et la Géographie d'Aboulféda (n, 255).
[20] Il s'agit de Buitrago, qui serait une altération de Bâb Târik. Selon Lafuente (p. 252), c'est le défilé de Somosierra, ce qui est aussi l'avis de Gayangos (ap. Berbères, i, 349).
[21] Ibn el-Koûtiyya mentionne aussi cette expédition contre Astorga, que le Madjmoûa passe sous silence.
[22] Le nom de cette ville figure dans Edrisi, p. 208 et 215 ; il faut supprimer les notes 5, 6 et 7 de la p. 208 (Recherches, 3e éd., i, 305).
[23] Il s'agit probablement du rocher appelé plus tard de Pelayo, vraisemblablement la Sierra de Covadonga (Gayangos).
[24] L'Atlantique est appelé dans le texte Mer Verte, dénomination qui est d'ordinaire réservée à la Mer des Indes (Géogr. d'Aboulféda, ii, 27).
[25] Lugo, qui ne figure ni dans Edrisi ni dans Aboulféda. Le Merâçid en dit un mot.
[26] On retrouve cette même fable dans Ibn Khallikân (III, 483) et ailleurs (Dozy, Recherches, 3e éd., i, 37). Cf. Saavedra, Estudio, etc., p. 40.
[27] Ce chapitre figure tout entier dans la Biblioteca (i, 356), et le premier alinéa, dans le Journ. asiatique (1841, i, 575).
[28] Amari (Biblioteca, trad. 1, 358) suit, contrairement au texte imprimé par Tornberg et à l'opinion de Fleischer, un ms qui lit « y tua Mâloût ». Ce Mâloût est d'ailleurs inconnu.
[29] Il est aussi parlé plus bas d'une campagne dirigée, en 117, contre la Sardaigne (p. 32) ; une autre aurait eu lieu en 119, d'après le Nodjoûm (I, 314).
[30] Voir lus haut, Revue Africaine, 1896.
[31] Comparez Berbères, I, 354; Bayân, II, 22.
[32] La sœur, selon Ibn Abd el-Hakam, ou la fille, selon Wâkidi.
[33] C'est probablement la lecture adoptée par M. de Slane (Berbères, I. 355), et le même sens résulte du passage correspondant du Bayân (II, 23, l. 6).
[34] C'est celle que rapportent Ibn el-Koûtiyya et le Bayân.
[35] Plus bas et ailleurs (Desvergers, Histoire de l'Afrique, texte, p. 8 ; Bayân, I, 33 ; Berbères, I, 356, texte et note 1 ; Ibn el-Koûtiyya, texte, p. 264 ; Beladhori, p. 231) on lit aussi « 'Abd Allâh ». Cet Ismâ'îl était petit-fils d’'Aboû'l-Mohâdjer, et M. de Slane (Berbères, I, Introd. p. XXIII) l'appelle Ismâ'îl ben Aboû'l-Mohâdjer.
[36] Selon d'autres, il périt dans les tortures (Berbères, I, 355).
[37] Le texte orthographie « Çaghâni », que j'ai cru devoir corriger, ainsi qu'on le voit par Makkari, éd. Boulak, II, 52; Ibn el-Faradhi, éd. Codera, p. 108.
[38] Un autre motif est aussi allégué pour expliquer cette insurrection : l'obligation du tatouage qu'il voulut imposer à ses gardes (Dayân, I, 34; Berbères, I, 357; Fournel, I, 271). Le Nodjoûm (I, 272) s'exprime comme Ibn el-Athir, probablement d'après celui-ci.
[39] ) Ces trois lignes figurent dans la Biblioteca, I, 359 ; cf. Berbères, I, 357.
[40] Sur la suite de ces gouverneurs, voir Merrâkechi (trad. fr., p. 11, n.) ; ci-dessous, t. V du texte, p. 373 ; Madjmoua, p. 240. On en retrouve aussi la liste, avec l'indication de la durée du pouvoir de chacun d'eux, dans le ms 1592 du Catalogue d'Alger, fol. 127.
[41] Les deux vocalisations Nis'a et Nes'a existent, au témoignage de Dhehebi (Moschtabih, p. 557).
[42] On lit aussi « Kilâbi ».
[43] Plus loin (t. V, p. 374) notre chroniqueur écrit « ben 'Abd Allâh », comme fait aussi le Bayân (II, 27).
[44] Quelques lignes plus haut, notre auteur même semble donner la date 109. 'Obeyda arriva en Ifrîkiyya en rebi' I 110, d'après le Bayân.
[45] Ce passage concernant la Sicile n'a pas été relevé par Amari dans sa Biblioteca. Cf. Berbères, I, 359, n. 3, où on lit le nom « Mostatîr », probablement par suite d'une faute d'impression.
[46] ) Ces mots sont extraits du Coran, xxi, 31.
[47] Ce nom est écrit « 'Abd Allâh » par Beladhori, p. 231, et par le Nodjoûm ; cf. Fournel, I, 282.
[48] Ou H'abîb ben Abou 'Obda ? Voir Merrâkechi, trad. fr., p. 9, n. C'est aussi sous l'année 116 que cette expédition contre le Soudan est mentionnée par le Nodjoûm, I, 306.
[49] Je crois que cette dernière phrase fait allusion à l'expédition contre la Sicile qui est rappelée plus bas.
[50] L'alinéa qui suit figure dans la Biblioteca (1, 360).
[51] C'est-à-dire, si je ne me trompe, Abou Khâlid Ifrîki, kâdi d'Ifrîkiyya, qui mourut en 157 (Nodjoûm, I, 420).
[52] Je corrige le texte, qui porte 'Abd.
[53] Je corrige le texte, qui porte 'Atiyya (voir sous l'année 117 ; Madjmoûa, p. 241, et Merrâkechi, p. 11 n.). On voit que la nomination de ce chef en Espagne est de 116 (de même le Bayân, II, 38, ci-dessous, texte, t. v, p. 374) ou de 117 (voir plus bas). Le traducteur d'Ibn el-Koûtiyya a imprimé « 110 » tant dans la traduction que dans le texte (p. 230 et 265), et sans avertir le lecteur. L'omission du nom de nombre « six » est probablement due au copiste même du ms unique de Paris, car la traduction Cherbonneau (p. 442) porte aussi « 110 ».
[54] Je lis ainsi, au lieu de Elbata du texte.
[55] Je corrige le texte, qui porte 'Abd.
[56] Il était assisté de 'Omar ben 'Abd Allâh Morâdi, ainsi qu'il est dit plus bas ; mais celui-ci est maintes fois qualifié du titre de gouverneur de Tanger.
[57] Bien qu'on trouve aussi ce nom écrit Amr, Omar paraît bien être l'orthographe exacte (voir quelques lignes plus haut ; de Slane, Berbères, I, 216, 237, 360, etc.).
[58] Littéralement, « qu'ils étaient un fey' pour les musulmans », et le Bayân (I, 38) emploie la même expression. Amari entend le mot fey' au sens ordinaire de « sommes ou butin prélevés sur les infidèles vaincus» (Biblioteca, trad., I, 362 et 297) ; M. de Slane, comparant divers passages de chroniqueurs, estime qu'il s'agit d'un prélèvement du cinquième opéré sur la population pour en faire des esclaves (Hist. des Berbères, I, 215, 216, 359, n. 5, et 367 ; voir aussi Bayân, I, 39). Cf. Dozy, Histoire des musulmans d'Espagne, I, 241 : «. ... pour ordonner aux Berbères de son district de payer un double tribut, comme s'ils n'eussent pas été musulmans. »
[59] Le mot Abou manque dans le texte, ainsi que dans la traduction d'Amari ; on doit le rétablir d'après ce qu'on lit quelques lignes plus haut, et ainsi qu'on le trouve dans Noweyri (ap. Hist. des Berbères, I, 355, 360-362).
[60] Ce mot est ailleurs orthographié Mat'ghari et Madghari (Amari, Biblioteca, trad., I, 362 ; De Slane, Berbères, I, 216, 237, 360 ; Fournel, I, 287).
[61] Sur les Khâredjites, voir entre autres la note 5, p. 203 du tome I de l'Histoire des Berbères.
[62] Tout ce qui précède de ce chapitre figure dans la Biblioteca, I, 360.
[63] Khâled ben Aboû H'abîb, selon Noweyri (ap. Hist. des Berbères, I, 360 ; Ibn Khaldoun, ibid., I, 217, et le Bayân, I, 40).
[64] Cette bataille fut livrée sur les bords du Chélif (voir Berbères, I, 217, 360; Dozy, Musulmans d'Espagne, I, 243; Fournel, I, 289).
[65] Ou, plus exactement, en djomâda I 123 (avril 741), d'après ce qui est dit ailleurs (Noweyri apud Berbères, I, 361; Bayân, I, 41).
[66] Baldj était le neveu ou le cousin de Kolthoûm (Fournel, I, 292; Dozy, Mus. d'Esp., I, 244; Ibn el-Koutiyya, etc.).
[67] Il faut probablement corriger ce passage et y lire « H'abîb ».
[68] Cette bataille est décrite par Dozy (Mus. d'Esp., I, 246); elle eut lieu non loin de Tanger, sur les bords du Wâdi Seboû, dans un endroit dont on trouve le nom écrit Bakdoûra, Nafdoûra, Nabdoûra et Nakdoûra (Berbères, 1, 217 et 362; Mus. d'Esp., l. l.; Ibn el-Koutiyya, 231 et 266; Bayân, I, 42; Fournel, I, 294; Achbar machmua, p. 248). Des fuyards qui regagnèrent l’Ifrîkiyya, Ibn el-Koûtiyya (texte, p, 266, I. 14), nous dit : « Ils y constituèrent une partie du djond syrien jusqu'à l'époque de Yezîd ben H'âtim [ben] el-Moballeb, gouverneur ('âmil) nommé par El-Mançoûr. Ce chef les fondit avec les sujets (proprement dits, ra'iyya) et constitua le djond avec les Arabes du Khorasân qui étaient arrivés avec lui. Cette situation est restée la même jusqu'à l'époque actuelle ». Ce passage, traduit assez fidèlement par Cherbonneau (Journ. as., 1856, II, 443), est ainsi rendu par le nouveau traducteur (l. l. p. 231) : « tandis que dix mille autres se réfugiaient en Ifrîkiyya, où ils avaient formé le corps des troupes syriennes jusqu'à l'époque du gouvernement de Yezîd ben H'âtim el-Mohalleb, gouverneur nommé par El-Mançoûr. Plus tard, ils avaient été rendus à la vie civile, et les troupes que ce prince emmenait dans ses conquêtes étaient formées d'Arabes du Khorasân, ainsi que cela est encore aujourd'hui. » On sait qu'il n'existe aucun Omeyyade, puisqu'il s'agit ici, en l'année 123, de faits contemporains de cette dynastie, du nom d'El-Mançoûr. Celui qui est ainsi désigné est le célèbre khalife abbaside de ce nom, qui nomma, une trentaine d'années plus tard, c'est-à-dire en 154, ledit Yezîd gouverneur de l’Ifrîkiyya (voir plus loin, t. V, p. 460 du texte; Berbères, I, 223 et 384 ; Fournel, I, 375, etc.).
[69] D'après le Kâmoûs, les deux lectures 'Okkâcha et 'Okâcha sont permises.
[70] H'anz'ala gouvernait l'Egypte depuis 119 ; voir le récit de Noweyri (Berbères, I, 362; Bayân, I, 45).
[71] A El-K'arn, à ce qu'on voit ailleurs (Berbères, I, 363, etc.).
[72] On retrouve les mêmes détails dans le Bayân, I, 47. Ibn Sa'd est un célèbre traditionniste mort en 175 hég.
[73] Allusion à ce qui a été dit plus haut (p. 187). Pour ce qui a trait à la date de 122, comparez Fournel, I, 297 et 298.
[74] Les deux versions sont aussi rapportées par le Bayân (II, 29) ; Ibn el-Koûtiyya et Noweyri ne mentionnent que la seconde, de même que le tome I du Bayân, p. 41.
[75] Dans Ibn el-Koûtiyya (266, trad. p. 231), il est appelé 'Anberi, c'est-à-dire descendant de Temîm ; mais Baldj était 'Absi, c'est-à-dire descendant de K'ays.
[76] Voyez le récit de ces événements dans Dozy, Musulmans d'Espagne, I, 256 et s. On trouve des détails sur l'affaire d'Aqua Portora, à la suite de laquelle Baldj mourut, soit un, soit sept jours plus tard, dans les Mus. d'Espagne (I, 264) ; Ibn el-Koûtiyya (p. 267 et 233) ; Bayân (II, 32). Sur l'emplacement de cette localité, voir le Madjmoua, p. 243.
[77] On le dit aussi 'Amili, ou descendant de 'Amila, des K'od'âta (infra, p. 216). 'Idjl était fils de Bekr, fils de Wâ'il.
[78] D'abord battu et forcé de se renfermer dans Mérida, il put surprendre les assiégeants et les battre à son tour (voir Dozy, l. l., 265).
[79] Cette bataille, livrée en 684 (64 ou 65 de l'heg., voir Ibn el-Athîr, iv, 123), éleva entre les Kelbites et les K'aysites un souvenir inoubliable de sang et de vengeance (Dozy, ibid., 133 ; Mas 'oûdi, y, 201; Weil, I, 348). Noweyri attribue la poésie qui suit à Abou ‘l-Khat't'âb ben Çafwân (Berbères, I, 358), et il en place, de même que le Bayân, la rédaction en 114, à l'époque où 'Obeyda ben 'Abd er-Rah'mân gouvernait l'Ifrîkiyya.
[80] Ces vers se retrouvent, quelquefois avec plusieurs autres, chez divers auteurs et présentent maintes variantes (Dozy, l. L, I, 223; Bayân, I, 37 ; Berbères, I, 358 : Ibn el-Koûtiyya, p. 267 ; Ibn el-Abbâr, dans les Notices de Dozy, p. 47).
[81] Parce qu'on ne pouvait les y souffrir, à ce qu'on voit par Ibn el-Koutiyya (p. 268, av. dern. ligne).
[82] Noweyri et le Bayân (I, 48 et 50) font débarquer ce chef à Tunis juste un an plus tard, en djomâda I 127. On trouve aussi ailleurs la date de 126 (Berbères, I, 218; Fournel, I, 309), qui doit être la vraie. Le Nodjoûm ne précise pas.
[83] Ou « ben ez-Zobeyr » selon Noweyri (Berbères, I, 366).
[84] On trouve aussi Tabînas (ibid.) qui paraît être une corruption de Teyfach (cf. Fournel, 1, 324).
[85] Thâbit ben Ouzîdoûn (ou Ouizîdan), d'après Ibn Khaldoun, Berbères, I, 218; II, 4).
[86] Ces deux chefs Hawwarides mirent à mort le gouverneur de Tripoli, Bekr ben 'Abs K'aysi (Berbères, I, 219).
[87] Le manuscrit de Paris n° 1495 paraît être la vraie leçon et signifie « il déploya beaucoup d'ardeur à combattre les Berbères ». Cf. Bayân, I, 49, l. 5.
[88] Ces cinq lignes ont été omises par Amari qui n'a traduit que la rédaction légèrement différente qu'on trouvera un peu plus loin. L'expédition contre la Sardaigne a été mentionnée déjà (supra, p. 22). Le Bayân parle aussi de ces campagnes (I, 49 et 53)
[89] C'est-à-dire le fondateur de la dynastie Abbasside. — Tout ce récit est plus détaillé que les relations de Noweyri et du Bayân. D'après le Nodjoûm (I, 366), une expédition préparée contre le Maghreb par Çâlih' ben 'Ali, gouverneur d'Egypte, fut suspendue par l'ordre d'El-Mançoûr, qui venait de monter sur le trône.
[90] Ce nom est écrit de même dans Ibn Khaldoun (Desvergers, p. 45) ; on lit El-K'âd'i dans Noweyri (Berbères, I, 368).
[91] Voir le Bayân (I, 55) et l’Hist. des Berb. (I, 367).
[92] Noweyri écrit « ... ben Aboû Dja'da » (Berbères, I, 372 et 373) ; le Bayân, I, 59, « Abou'l-Dja'di ».
[93] Dix-huit mois d'après Noweyri (Berbères, I, 372).
[94] Dix mois, d'après le même, ibid. ; cf. Fournel, I, 347 ; Bayân, I, 58.
[95] Voyez le Bayân, I, 58; Berbères, I, 373.
[96] Ou Amr, d'après Noweyri (Berbères, I, 374).
[97] A Mighdâch (Bayân, I, 60). Sur ce nom, cf. Fournel, I, 147, Bekri, p. 20 ; Edrisi, 143 et 159.
[98] D'après le Nodjoûm (I, 383 et 386), des troupes envoyées dans le Maghreb en 141 par Mohammed ben el-Ach'ath furent battues, et ce gouverneur s'était alors mis lui-même en route quand il apprit sa destitution en 141. Son successeur en Egypte fut H'omeyd ben K'abt'aba, qui arriva dans ce pays en ramadan 143 et qui, le mois suivant, envoya en Ifrîkiyya des troupes commandées par Abou' l-Ah'waç 'Abdi. Celui-ci ayant été défait, H'omeyd en personne se mit à la tête de l'armée et battit Abou' l-Khat'tâb.
[99] Correspondant au 10 mai-7 juin 761. On lit ailleurs en rebî' I, ou 8 juin-7 juillet de la même année (Noweyri, ap. Berbères, I, 375). Bekri donne aussi la date de çafar (p. 160). Noweyri fait d'Ourdâsa le théâtre de cette bataille (ibid.).
[100] Je corrige le texte ; voir d'ailleurs le Bayân (I, 62), qui orthographie « 'Abd Allah ben H'ayyân » le nom du chef ibâd'ite de Zawîla. Comparez aussi Fournel (I, 363).
[101] Il n'est parlé de l'intervention de ce Hâchim ni par Noweyri ni par le Bayân. Comparez Fournel (I, 363 et 364, n. 1) ; ci-dessous t. v, p. 465 du texte.
[102] D'après Noweyri et le Bayân, les troupes se révoltèrent contre Ibn el-Ach'ath, le forcèrent à se retirer et mirent 'Isa ben Moûsa à leur tête. Ni l'un ni l'autre ne parlent de messagers envoyés par le khalife. Cf. Belâdhori, p. 232.
[103] Sur les événements qui vont suivre et sur lesquels notre chroniqueur revient lui-même un peu plus loin (p. 217), consulter Dozy, Mus. d'Espagne, I, 274. C'est à tort qu'Ibn el-Koûtiyya attribue à 'Abd er-Rah'mân ben Mo'âwiya le procédé dont il vient d'être question à l'égard d'Eç-Çomeyl; cf. infra, p. 217.
[104] Je corrige le texte imprimé, qui lit « H'addâni ». On retrouve plus loin (p. 217) la leçon Djodhâmi.
[105] Sur les bords du Guadalete.
[106] Ou (d'après le Bayân, II, 36, suivi par Dozy, I, 281) 'Abd er-Rah'mân ben No'aym.
[107] D'après Ibn el-Athîr, il y aurait eu trois rencontres entre Abou'l-Khat't'âr et ses adversaires ; c'est à la seconde que serait intervenu le Mod'arite pour s'élever contre une lutte fratricide. Il n'est ordinairement parlé que des batailles du Guadalete et de Secunda, et c'est dans la seconde qu'on place l'intervention du Mod'arite. Ibn el-Koûtiyya ne mentionne même que la rencontre de Secunda.
[108] Le mot 'asker du texte semble plutôt signifier « camp de la paix ».
[109] Ancienne ville romaine sur la rive gauche du Guadalquivir, vis-à-vis Cordoue. On trouve la description de cette bataille dans les Mus. d'Espagne (i, 286).
[110] Il fut, en outre, procédé à de nombreuses exécutions dans la cathédrale de Cordoue (Dozy, I, 288
[111] Ce mouvement insurrectionnel, passé sous silence par Dozy, est également mentionné par le Bayân (II, 39), qui en nomme le chef 'Abd er-Rah'mân ben Alk'ama.
[112] Il s'agit probablement de l'insurrection que le Bayân (l. l) dit avoir été fomentée à Béja par un chef dont le nom est écrit 'Orwa, ou, selon Makkari (II, 17), 'Orwa ben el-Welîd.
[113] Ce détail est rapporté par Ibn el-Koûtiyya (texte, p. 270, l. 9), qui fait remonter à ce personnage l'origine du nom de la porte d'Amir, à Cordoue. Mais les deux traducteurs successifs de ce texte, méconnaissant la valeur du mot (capitale) de l'original, placent à Saragosse le Bâb 'Amir (Journal as., 1856, ii, 453; Recueil de textes, p. 238). Au surplus, le Bâb 'Amir K'orachi et le cimetière du même nom figurent dans l'énumération des portes de Cordoue (Makkari, éd. de Leyde, I, 304).
[114] On trouve, en effet, d'autres versions de ces événements ; on établit aussi un rapprochement entre ce soulèvement et celui d'El-Hobâb, dont il va être question (voir Bayân, ii, pp. 38, 39 et 43 ; Ibn el-Koutiyya, p. 270, 1. 8 ; Makkari, ii, 17 et 21 ; infra, p. 212). L'exposé de Dozy (l. l., i, 291) ne fait pas allusion à ces récits différents, où l'on trouve le nom d’Amir sous les diverses formes : 'Amir 'Abderi, 'Amir ben 'Amr, 'Amir ben 'Amr ben Wahb, 'Amir K'orachi 'Amiri.
[115] Cette assertion contredit ce que nous savons par ailleurs : Mohammed ben el-Ach'ath entra en Ifrîkiyya en 144. C'est 'Abd er-Rahmân ben H'abîb qui gouvernait ce pays en 133.
[116] Il a été fait plus haut allusion à ces événements, qui sont racontés d'une manière un peu différente. Le présent chapitre seul a été traduit par Amari (I, 363), mais le savant italien n'a pas remarqué que le nom d’'Abd Allâh ben H'abîb, qui figure ici, doit être corrigé en 'Abd er-Rah'mân ben Habib, ce qui résulte et de la date et de la première rédaction de notre chroniqueur.
[117] Ce n'est pas à Cordoue qu'Eç-Çomeyl eut à combattre contre les révoltés, qui se disaient partisans des Abbasides, mais à Saragosse, où Yoûsof Fihri avait envoyé son impérieux protecteur (Makkari, I, 148 ; ii, 17, 20 et 21 ; Bayân, ii, 38).
[118] Le texte porte 'Abdrebbiy, que je corrige d'après d'autres sources (p. 211, n. 3).
[119] C'est-à-dire, quitta Séville pour faire de Cordoue le siège du gouvernement (voir Bayân, II, 24 ; Makkari, n. 8).
[120] Le Nodjoûm (i, 279) place la mort d'Es-Samh’ au 8 doûl-hidja 103, ou 28 mai 722; mais il la retarde erronément d'un an, puisque ce chef tomba dans la bataille de Toulouse.
[121] Le projet que l'on prête à 'Omar ben 'Abil el-'Azîz lui était inspiré par le souci de ses sujets, et il y est fait allusion par maints auteurs (Madjmoua, p. 23 ; Fath' o-l-Andaluçi, texte p. 24 ; Bayân, II, 25 ; Ibn Hayyân, ap. Makkari, n, 8 ; Ibn el-Koûtiyya, 265, l. 5). Ibn el-Athir emploie le mot ahl « habitants », qui pourrait s'entendre des indigènes ; mais le rapprochement avec les autres textes justifie, je crois, les additions que j'ai faites entre parenthèses (comparez aussi Dozy, Recherches, t. I, 2e éd., p. 81, ou 3e éd., p. 76 ; Codera, Boletin de la Real Academia de la Historia, t, xxvi, p. 115). Ibn el-Koûtiyya s'est exprimé dans des termes que je traduis le plus littéralement possible : « 'Omar ben 'Abd el-'Azîz avait recommandé à Es-Samh’ de faire émigrer ceux des adeptes de l’Islâm qui étaient entrés en Espagne, a raison des bons sentiments qu’il avait pour eux, vu qu’il craignait que l’ennemi ne l’emportât sur eux. On lit dans la traduction du Recueil de textes, p. 229 : « 'Omar avait promis à Es-Samh’ d’exonérer d’impôts tous les musulmans qui s'étaient établis en Andalousie ; il avait décidé de prendre à leur égard cette mesure gracieuse parce qu'il craignait qu'ils ne pussent tenir tête à l'ennemi. Es-Samh' lui ayant fait savoir par écrit, etc. ». Le mot exonérer est l'objet d'une note. La traduction de Cherbonneau (Journal as., 1856, II, 440) s'était moins éloignée du texte.
[122] Plus haut, on lit « el-Ah'waç », comme dans Makkari, le Bayân et Ibn el-Koûtiyya.
[123] On lit aussi Kenâni dans le Bayân ; Makkari lit, Kilàbi. Ibn el-Koutiyya appelle ce chef « El-Haythem ben 'Abd el-Kâfi », et le Nodjoûm «El-Haythem ben 'Abd Allâh Kelbi ».
[124] Ci-dessus, il est appelé « ben 'Abd-el-Melik ».
[125] Voir le Bayân, ii, 36.
[126] Makrizi a consacré à ce prince un assez long article dans son dictionnaire biographique intitulé Mokaffa, dont un volume est conservé à Paris (voir le ms. n° 2144, f° 53-56). Le récit de la fuite d’'Abd er-Rahmân y est, entre autres choses, reproduit textuellement. Comparez la narration que fait Dozy de cet événement (Mus. d'Espagne, I, 297.)
[127] Le Meraçid ne mentionne pas cette localité, que je n'ai pas non plus retrouvée citée ailleurs.
[128] A douze milles au nord de Ramla en Palestine ; la rivière de ce nom a sa source dans la montagne de Naplouse, et se jette dans la mer entre Arsouf et Jaffa (Meraçid, II, 357 ; III, 243 ; Géographie d'Aboulféda, trad., ii, 60).
[129] Ou chez les Nefza, comme dit le Bayân (II, 42) qui donne la même origine berbère à la mère du prince fugitif. Cette femme s'appelait Râh' ou Redâh' (Bayân, p. 49 ; Mokaffa ; voir aussi Fournel, I, 338).
[130] Il faut probablement lire « Temmâm », forme sous laquelle ce nom est presque toujours écrit.
[131] Comparez Musulmans d'Espagne, I, 324.
[132] C'est-à-dire le 13 mai 756. Il s'était écoulé plus de six mois depuis le débarquement de l'envahisseur, qui eut lieu en septembre 755 (voir Dozy, l. l. I, 324-350).
[133] Le Guadalquivir.
[134] Selon Ibn el-Koutiyya et ainsi que le raconte Dozy (I, 355), ce fut Abou Zeyd, fils de Yoûsof, qui exécuta, d'après l'ordre de son père, ce retour offensif. La version du Mokaffa est la même que celle d'Ibn el-Athîr.
[135] Le fils de Yoûsof qui fut livré comme second otage était, d'après Dozy (t. I, 357 et 362), Abou Zeyd, ce qui est le Konya ou prénom d’Abd er-Rah'mân, ainsi qu'on le voit par le Madjmoua ; c'est ce dernier nom aussi qu'on retrouve dans le Mokaffa.
[136] Ce vers figure dans la Hamâsa.
[137] 'Abd er-Rah'mân, sitôt installé, fit aussi, pour amener auprès de lui ses deux sœurs germaines restées en Syrie, une tentative dont fut' chargé le kâdi Mo'âwiya ben Gâlih', mais qui resta infructueuse, les deux princesses ayant objecté les périls du voyage et fait valoir le calme et l'abondance où elles vivaient. C'est ce que nous apprend Ibn el-Koûtiyya (p. 275 du texte partiel publié dans le Recueil de textes et de traductions), ce qui est rendu ainsi dans la traduction (p. 249 ibid.) : « Lorsqu’'Abd errahmân était venu pour la première fois en Andalousie, il y avait rencontré Mo'awïa ben Salih Elhadrami, un jurisconsulte syrien ; il l'avait envoyé en Syrie accompagner ses de deux sœurs germaines et porter en même temps une certaine somme d'argent. Quand Mo'awïa se présenta aux deux sœurs, celles-ci lui dirent : « Les dangers du voyage sont toujours à redouter ; mais, grâce à Dieu, nous sommes arrivées saines et sauves ; on a été largement généreux pour nous, et il nous eût suffi d'être en bonne santé ». Cf. la trad. Cherbonneau, Journ. as., 1856, II, p. 465. — Ce voyage du Mdi eut lieu à une date où les deux fils du souverain Soleymân et Hichâm étaient d'âge à recommander à leur père un candidat à la place de kâdi à Cordoue, ainsi qu'on le voit par le récit de l'auteur cité (texte, p. 28u). Yahya ben Yezîd Todjîbi (ou Yah'çobi), dont la nomination remontait à Hichâm ben 'Abd el-Melik, étant venu à mourir, le refus de Moç'ab ben 'Imrân d'accepter cette situation fut cause que le choix du souverain se porta sur Mo'âwiya ben Çâlih' Had'rami (ou H'imçi). Celui-ci resta en place jusqu'à la fin du règne d' 'Abd er-Rah'mân et pendant la première année du règne de Hichâm ben 'Abd er-Rah'mân ; alors il mourut et fut remplacé par Moç'ab, que Hichâm avait autrefois recommandé à son père (voir Dozy, Mus. d'Esp., I, 383 ; Makkari, II, 31, l. 20 ; et Ibn el-Koûtiyya, texte p. 275 et 280) ; la traduction, p. 249 et 257, présente autrement les faits et confond les deux Hichâm : l'un, fils d’'Abd el-Melik, et l'autre, fils d’'Abd er-Rah’mân.
[138] Le texte imprimé porte « Almodovar ». Je corrige en « Moron » d'après le Bayân (ii, 51), Ibn Khaldoun (éd. Boulak, iv, 121), et Dozy (l. l., p. 360).
[139] D'après le Bayân (II, 50), les deux fils de Yoûsof Fihri avaient été remis en liberté par le vainqueur dès que celui-ci eut regardé comme sincère la soumission de leur père. Ce passage fait probablement allusion à la fuite d’'Aboû'-l-Aswad (Dozy, l. l., 375 ; Bayân, ii, 52).
[140] C'est ainsi que je corrige le texte, qui porte « Tidowilia » ; il s'agit de Fruela I.
[141] « Lugo de Galice, Zamora, Salamanque, Avila, etc., qui furent, d'après Ibn el-Athîr et Ibn Khaldoun (éd. Boulak, iv, 122), conquises par Fruela Ier, le furent, disent les auteurs chrétiens, par son prédécesseur, Alphonse Ier le Catholique ». (Communication de M. Fr. Codera). — J'ai corrigé Fachtiyâla du texte en K'achtâla (orthographe d'Ibn Khaldoun et d'Edrisi) ou K'achtîla (orthographe du Bayân, ii, 130), nom arabe de la Castille.
[142] Je crois que l’Akhbâr Madjmoû'a (p. 101 texte, 95 trad.) est seul à mentionner aussi cette révolte. Les mouvements insurrectionnels furent d'ailleurs nombreux sous le règne de l'énergique fondateur de la dynastie omeyyade d'Espagne.
[143] Ce nom est écrit « Orwa » dans le Madjmoûa (texte, p. 101) et le Fatho-l-Andaluçi, texte, p. 61. Dozy lit aussi Ozra (i, 366). Ibn Khaldoun écrit « Hichâm ben 'Abd Rabbihi » (éd. Boulak, iv, 122).
[144] Les mots entre astérisques ne figurent pas dans le ms. de Paris, ainsi d'ailleurs que l'a signalé Tornberg. Au surplus, Yoûsof Fihri fut mis à mort en 142, ainsi qu'il est dit plus haut, de sorte qu'il ne peut être question d'une révolte à laquelle il aurait participé en 144. Ajoutez que notre chroniqueur, dans la suite du récit, parle toujours d'un révolté, au singulier. En rapprochant ce passage du Fatho-l-Andaluçi (l. l.) je suis amené à lire : « Hichâm, … l’un des cousins de Yousôf Fihri. »
[145] Je ne trouve que le mot signifiant : « a crown, globe or any ornament on the top of a flower, » (Richardson, Persian English dictionary). Peut-être faut-il traduire : « dont la tête placée sur un mangonneau fut (placée) dans la ville. »
[146] J'ajoute le nom de Béja, qui paraît avoir été omis ou défiguré, d'après le Bayân, le Mokaffa (qui donnent la date de 146), le Madjmoûa, Ibn Khaldoun (qui donne la date de 149), etc.
[147] Même récit dans le Mokaffa ; comparez Dozy, i, 365 ; Fournel, i, 422. C'est en 147 qu'El-Mançoûr fit le pèlerinage (Ibn el-Athîr, v, 446).
[148] Le texte lit « Hâchem », ce qui est certainement une faute d'impression ; d'ailleurs le ms. de Paris lit « Hichâm » (cf. supra, p. 227). La prise de Tolède, en 147 ou, d'après Ibn Khaldoun, en 149, marque la fin de la révolte dont il a été parlé sous l'année 144.
[149] On lit « Hichâm » dans le récit que fait le Bayân (n, 55). Le Madjmoû'a (p. 101) l'appelle simplement « El-'Omari », descendant d' 'Omar ben el-Khattâb ; dans Ibn Khaldoun, « Hamza ben 'Abd Allah ben 'Omar ».
[150] Ce fait est également mentionné dans le Fatho-l-Andaluçi (texte, p. 63), qui parle des affranchissements et des aumônes par lesquels le souverain manifesta sa satisfaction d'avoir son fils auprès de lui.
[151] Consulter Fournel (i, 365) sur 'la date de cette révolte, qui est ailleurs fixée à l'année 150 (Berbères, i, 221 et 249, cf. 377 ; III, 200 ; Bayân, i, 63). Un Berbère des Meghîla, nommé Wânsoûs, mais connu aussi sous le nom d’'Aboû Korra, vint en aide à 'Abd er-Rah’mân ben Mo'âwiya lorsque le fugitif traversa l'Afrique septentrionale pour gagner l'Espagne ; mais il ne semble pas, d'après le récit de Makkari (i, 215), que ces deux chefs berbères ne fassent qu'un.
[152] Le texte porte « Kenâya », nom d'ailleurs inconnu, mais dont l'analogue Kiyâna sert à désigner la Kal'a des Benoû Hammâd et une localité des environs de Gabès (Bekri, 120 n. ; J. as., 1852, ii, 166). J'ai lu « Ketâma », correction corroborée par le texte d'Ibn Khaldoun (Berbères, i, 378, n.) et du Bayân (i, 67). Ce dernier ouvrage rapporte aussi l'autre version, d'après laquelle El-H'asan périt dans la même bataille qu'El-Aghlab.