Alathyr

IBN-ALATHYR

 

ANNALES DU MAGHREB ET DE L'ESPAGNE

 

Traduction française : Mr. ED. FAGNAN

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 


ANNALES DU MAGHREB & DE L'ESPAGNE

 

Par Edmond Fagnan

IBN EL-ATHIR

 

'Izz ed-Dîn Aboû' l-Hasan 'Ali ben el-Athîr Djezeri, né à Djezîrat Ibn 'Omar, sur la rive droite du Tigre, à trois journées nord-ouest de Mossoul, le 4 djomada 555 (12 mai 1160), mourut en cha'bân 630 (mai-juin 1233). Second fils d'un personnage qui avait rempli de hautes fonctions administratives, il fut lui-même chargé de plusieurs missions à la cour.de Baghdâd, mais renonça à cette carrière pour se livrer tout entier aux travaux littéraires.

Il a laissé divers ouvrages, dont plusieurs ne paraissent pas être parvenus jusqu'à nous ; le plus connu et le plus souvent cité est le vaste corps d'annales, le Kâmil fî'l-tarîkh, qui s'étend jusqu'à la fin de l'année 628 de l'Hégire, et qui jouit à juste titre d'une haute estime auprès des savants musulmans et européens. Cette chronique a été publiée par C. J. Tornberg à Leyde (Ibn el-Athiri Chronicon, 14 vol. 8°, 1851-1876) chez l'éditeur Brill, à qui les études orientales ont tant d'obligations ; elle a été aussi réimprimée à Boulak, bien vraisemblablement, à en juger par les passages que j'ai collationnés, d'après l'édition du savant européen. C'est de cette dernière que j'ai extrait et traduit tout ce qui concerne le Maghreb et l'Espagne; j'ai pu aussi, pour une faible partie seulement, collationner les manuscrits de Paris pour quelques passages douteux. Malheureusement la plupart des chapitres ayant trait à l'Occident ne figurent pas dans tous les exemplaires, alors que, notamment, divers noms géographiques corrompus ou dépourvus de points diacritiques ne peuvent guère être rétablis que par le rapprochement de plusieurs copies, Disons en passant que ces lacunes semblent autoriser la supposition qu'Ibn el-Athîr, écrivant en Orient et n'ayant vraisemblablement pas sous la main des sources assez nombreuses et sûres pour l'histoire de l'Occident, a pu ajouter ces chapitres postérieurement, de façon à établir une seconde édition de son livre. Cependant on pourrait croire aussi que ces additions sont l'œuvre de Mohammed ben Ibrahim el-Wat'wât', qui mourut en 718 (1318-19 de J.-C.) et annota le Kâmil, au dire du bibliographe Haddji Khalfa.[1]

On a souvent, et avec raison, relevé le fait que les chroniqueurs orientaux sont peu et mal renseignés sur les événements du Maghreb. Mais Ibn el-Athîr constitue une brillante exception. Il ne cite pas les sources auxquelles il a recouru, mais elles sont bien choisies, et maintes fois elles complètent ou rectifient ce que nous savons par ailleurs ; les lacunes que présentent parfois ses annales ne lui sont peut-être pas toujours imputables, et je suis très porté à croire que la portion ici traduite de son œuvre mérite les éloges qu'on accorde unanimement à son récit des faits relatifs à l'Orient.

La première obligation du traducteur d'un texte arabe consiste sans doute à rendre aussi fidèlement que possible la pensée de l'auteur, mais aussi, ce que certains paraissent oublier, sous une forme toujours intelligible dans la langue adoptée. A mes yeux ce n'est cependant pas tout : une partie non moins importante de son rôle est de fournir les éclaircissements et rapprochements indispensables pour compléter, vérifier ou contredire les assertions d'un texte destiné à d'autres encore que des arabisants.

Tel est le but de notes assez nombreuses, bien que généralement aussi succinctes que possible, et qui auraient pu être plus copieuses si j'avais eu plus de facilités de recherches ou le désir d'augmenter le nombre de ces pages.

Je ne pouvais omettre la traduction de certains fragments déjà faite ailleurs, et j'ai signalé le fait autant que je l'ai pu ; mon travail a cependant toujours été fait d'une manière indépendante, et peut-être les arabisants et les historiens trouveront que, même pour ces portions, et bien que n'ayant aucun caractère officiel, il ne fait pas toujours double emploi.

E. F.


 

ANNALES DU MAGHREB ET DE L'ESPAGNE

Revue Africaine, 1896

 

 

Conquête de Tripoli de Barbarie et de Bark'a

[T. III, p. 19] En l'an 22 (29 novembre 642), 'Amr ben el'Açi marcha de l'Egypte sur Bark'a, dont les habitants se rendirent par composition moyennant paiement du tribut (constitué par) la vente de ceux de leurs enfants qu'ils voudraient.[2]

Après avoir conquis Bark'a, il se dirigea sur Tripoli de Barbarie, qu'il assiégea sans résultat pendant un mois. Il était campé à l'est de la place, et un jour un homme des Benoû Modlidj avec sept compagnons, étant allé chasser du côté de l'ouest, prit pour revenir, à cause de la chaleur, la route longeant la mer. Or, les remparts ne se prolongeaient pas jusqu'à la mer, et dans le port se trouvaient, vis à vis des habitations, les navires des chrétiens. Le Modlidjite et ses compagnons suivaient un chemin qui séparait la mer de la ville, où ils pénétrèrent en poussant le cri « Dieu est grand », et les chrétiens, s'imaginant que tous les musulmans envahissaient la place, cherchèrent un refuge sur leurs navires. 'Amr et ses troupes, voyant la lutte commencer et entendant pousser des cris, entrèrent à leur tour dans la place, et les chrétiens ne purent emporter sur leurs bâtiments que les objets les plus facilement transportables. La garnison du fort de Sebra[3] avait résisté quand 'Amr était venu assiéger Tripoli, et la défense qu'avaient opposée les habitants de cette ville les avait complètement rassurés; mais à la suite de la conquête de Tripoli, 'Amr envoya contre Sebra un fort détachement qui y arriva au matin, alors que l'on avait ouvert la porte pour laisser paître les troupeaux au dehors, [P. 20] clans l'ignorance où l'on était de la chute de Tripoli. La subite arrivée des musulmans leur permit de pénétrer audacieusement dans la place qu'ils mirent au pillage, puis ils rejoignirent 'Amr.

Ce général marcha ensuite sur Bark'a,[4] occupée par la peuplade berbère des Lowâta, lesquels se rendirent à composition moyennant un tribut de treize mille dinars et en stipulant le droit de vendre[5] ceux de leurs enfants qu'ils voudraient pour payer le tribut.

Les Berbères habitaient autrefois la Palestine, en Syrie, et avaient émigré vers Bark'a et le Maghreb à la suite de la mort violente de leur roi Djâloût (Goliath). Ils arrivèrent ainsi jusqu'aux deux districts de Loûbiyya et de Merâk'iya, dans l'Egypte occidentale,[6] où ils se divisèrent : les deux tribus berbères de Zenâta et de Meghîla poussèrent plus avant à l'ouest et s'installèrent dans les montagnes ; les Lowâta se fixèrent dans la région de Bark'a, autrefois la Pentapole, et s'y répandirent jusqu'au Sous ; les Hawwâra s'établirent dans la ville de Lebda,[7] et les Nefoûsa vers la ville de Sebra. Cette invasion eut pour effet l'émigration des Roûm établis dans le pays, et les Africains,[8] qui étaient dominés par les Roûm et leur payaient tribut, se joignirent aux nouveaux occupants.

[P. 67] Gouvernement d' ‘Abd Allah ben Sa'd ben Aboû Sarh' en Egypte et conquête de l'Ifrîkiyya.

En l'an 26 (16 oct. 646), l'administration du kharâdj de l'Egypte fut enlevée à 'Amr ben el-'Açi pour être confiée à 'Abd Allah ben Sa'd ben Aboû Sarh', qui était frère de lait[9] d’'Othmân. [P. 68] Chacun de ces chefs voulant nuire à son rival, 'Abd Allah écrivit à 'Othmân qu' 'Amr administrait mal le kharâdj (impôt foncier), et 'Amr, de son côté, écrivit au prince qu' 'Abd Allah était peu au courant des stratagèmes de la guerre : 'Othmân destitua et rappela 'Amr, et confia à 'Abd Allah le commandement militaire et l'administration du kharâdj. 'Amr alla le trouver, fort irrité et portant comme vêtement une djobba doublée : « Qu'est-ce que cette doublure ? » dit le prince. 'Amr répondit : [lacune[10]] « C'est ce que je savais, dit 'Othmân, et ce que je ne voulais pas. »

'Abd Allah, qui appartenait au djond (corps d'armée) d'Egypte, avait, dès l'an 25 (27 octobre 645), reçu d’'Othmân l'ordre d'attaquer l'Ifrîkiyya[11] avec la promesse, s'il restait vainqueur, qu'il lui serait alloué le cinquième du quint ; en outre, ce prince nomma comme chefs du djond 'Abd Allah ben Nâfi' ben 'Abd el-K'ays et 'Abd Allah ben Nâfi' ben el-Hârith, et les envoya à leur poste avec l'ordre d'attaquer le prince d'Ifrîkiyya de concert avec 'Abd Allah ben Sa'd, qui continuerait ensuite ses fonctions. Obéissant à ces ordres, ces chefs se jetèrent sur l'Ifrîkiyya avec une forte armée composée de 10,000 braves musulmans, et l'ennemi conclut la paix moyennant paiement d'une somme d'argent sans que les envahisseurs pénétrassent bien loin, à cause de. la nombreuse population de l'Ifrîkiyya.

Devenu gouverneur [de l'Egypte], 'Abd Allah ben Sa'd demanda à 'Othmân de faire la conquête de l'Ifrîkiyya et de lui envoyer à cet effet des renforts. Après avoir consulté les Compagnons qui se trouvaient auprès de lui, et dont la plupart se montrèrent favorables à ce projet., 'Othmân lui envoya des troupes de Médine, où figuraient plusieurs des principaux Compagnons, entre autres 'Abd Allah ben 'Abbâs. 'Abd Allah ben Sa'd s'avança avec eux en Ifrîkiyya et se joignit à Bark' a à 'Ok'ba ben Nâfi' et aux musulmans qui occupaient cette ville. De là on marcha sur Tripoli, où on livra au pillage les biens des Grecs (Roûm) qui y habitaient, puis on poussa en avant, en expédiant des colonnes légères dans toutes les directions. L'Ifrîkiyya obéissait alors à Djerdjîr (Grégoire), dont l'autorité s'étendait de Tripoli à Tanger et qui y gouvernait au nom d'Hirakl (Héraclius), roi des Roûm, entre les mains de qui il versait chaque année le produit des impôts. A la nouvelle de l'agression des musulmans, ce gouverneur se prépara à la résistance. Il réunit ses troupes et les habitants du pays ; son armée comptait 120.000 cavaliers et se heurta aux envahisseurs [P. 69] en un lieu situé à un jour et une nuit de Sobeytala (Suffetula), alors siège du gouvernement. Des combats quotidiens s'engagèrent, puis 'Abd Allah ben Sa'd fit inviter son adversaire à se convertir ou à payer tribut ; mais le chrétien refusa dédaigneusement l'une et l'autre alternatives. 'Othmân, qui était sans nouvelles des troupes engagées dans cette expédition, envoya 'Abd Allah ben ez-Zobeyr avec une troupe d'hommes à l'effet de le renseigner ; ce messager arriva à marches forcées et vint se joindre aux combattants. Son arrivée fut saluée par des cris de joie et de « Dieu est grand » qui excitèrent la curiosité de Djerdjîr ; mais la réponse. qu'on lui donna, qu'il s'agissait de l'arrivée de renforts, abattit son courage. 'Abd Allah ben ez-Zobeyr vit le combat se faire, comme chaque jour, depuis l'aurore jusqu'à midi, où les divers groupes, quand retentissait l'appel à la prière, se retiraient sous leurs tentes ; mais comme le lendemain il remarqua qu'Ibn Aboû Sarh' ne participait pas à la lutte, et qu'il s'enquit du motif de son absence on lui dit que ce chef s'abstenait par crainte, à cause d'une proclamation par laquelle Djerdjîr promettait de donner cent mille dinars et sa propre fille à celui qui tuerait le chef musulman. Alors Ibn ez-Zobeyr se rendit auprès de ce dernier et lui conseilla de faire proclamer que celui qui lui apporterait la tête de Djerdjîr recevrait cent mille dinars, la fille de ce chrétien et le gouvernement de ce pays. C'est ce qui fut fait, et alors les craintes de Djerdjîr devinrent bien plus vives que celles d' 'Abd Allah ben Sa'd.

Ibn ez-Zobeyr dit ensuite à celui-ci : « Les choses traînent en longueur, et l'ennemi qui combat sur son territoire peut recruter des troupes sur place, tandis que nous sommes éloignés de nos frères et des pays qu'ils habitent. Je suis en conséquence d'avis que demain nous laissions sous leurs tentes une bonne troupe des plus braves de nos soldats, qui se tiendra toute prête à combattre, tandis que nous attaquerons avec le reste de nos forces et que nous fatiguerons et épuiserons nos adversaires ; puis quand ils se retireront et que nous en ferons autant, nos troupes fraîches et bien reposées feront une sortie subite, et peut-être Dieu nous accordera-t-il le dessus. » On sollicita sur le plan l'avis de plusieurs des principaux Compagnons, qui le jugèrent bon. En conséquence, le lendemain on laissa sous leurs tentes les plus braves des musulmans, qui gardèrent auprès d'eux leurs chevaux tout sellés, tandis que le reste des troupes combattit avec ardeur jusqu'à midi, et quand [P. 70] l'appel à la prière retentit alors, les chrétiens, comme d'habitude, voulurent se retirer. Mais Ibn ez-Zobeyr ne leur en laissa pas le loisir et continua le combat pour les fatiguer davantage ; ensuite il battit en retraite, et les deux troupes fatiguées déposèrent leurs armes. Mais alors Ibn ez-Zobeyr se mit à la tête des braves qu'on tenait en réserve et qui étaient tout dispos ; il se précipita sur les chrétiens, qui ne se doutèrent de son arrivée que quand il fut au milieu d'eux et que ses troupes firent une charge générale au cri de « Dieu est grand », si bien qu'elles ne leur laissèrent pas le temps de s'armer. Djerdjîr fut tué par Ibn ez-Zobeyr lui-même, ses troupes furent mises en déroute et subirent des pertes considérables, sa fille fut faite prisonnière par les vainqueurs. 'Abd Allah ben Sa'd mit le siège devant la ville, dont il s'empara, et qui renfermait plus de richesses que nulle autre : la part de prise de chaque cavalier fut de trois mille, celle de chaque fantassin de mille dinars.[12] Après la conquête de Sobeytala, les troupes furent envoyées dans les diverses directions et poussèrent jusqu'à Gafça en se livrant au pillage et réduisant les habitants en captivité. Un corps d'armée fut envoyé contre la forteresse d'El-Adjem,[13] où la population de la région s'était réfugiée et qui se rendit par composition. Les habitants de l'Ifrîkiyya traitèrent moyennant le paiement de 2.500.000 dinars. 'Abd Allah ben ez-Zobeyr, à qui fut donnée la fille de Djerdjîr, reçut la mission d'annoncer à 'Othmân l'heureuse conquête de ce pays. On dit aussi que la fille de Djerdjîr tomba aux mains d'un des Ançâr, qui la fit monter sur un chameau et lui adressa ces vers du mètre redjez :

O fille de Djerdjîr, tu poursuis ta destinée ! C'est en Hedjâz maintenant que se trouve celle qui te commande, et tu vas porter une outre d'eau puisée à K'obâ ![14]

'Abd Allah ben Sa'd regagna l'Egypte après un séjour en Ifrîkiyya d'un ah et trois mois ; trois musulmans seulement manquaient, entre autres le poète Aboû Dho'ayb le Hodheylite, qui fut tué et enterré dans ce pays.[15] Le quint de l'Ifrîkiyya fut transporté à Médine et acheté par Merwân ben el-H'akam moyennant 500,000 dinars, somme dont 'Othmân lui fit la remise. Ce fut une des choses que l'on reprocha à ce prince.[16] Telle est la meilleure version [P. 71] en ce qui concerne le quint de l'Ifrîkiyya. En effet, on dit aussi qu’'Othmân en fit don à 'Abd Allah ben Sa'd, ou selon d'autres, à Merwân ben el-H'akam, ce qui indique, peut-être, qu'il donna le quint de la première expédition à 'Abd-Allâh, et à Merwân celui de la seconde, qui aboutit à la conquête de toute l'Ifrîkiyya.

Révolte et seconde conquête de l'Ifrîkiyya

Héraclius, roi de Constantinople, prélevait un tribut sur tous les autres rois chrétiens, d'Egypte, d'Ifrîkiyya, d'Espagne., etc. Après que la paix eut été conclue entre les habitants de l'Ifrîkiyya et 'Abd Allah ben Sa'd, ce souverain y envoya un Patrice chargé de prélever une somme égale à celle qui avait été payée aux musulmans. Quand cet envoyé, qui descendit à Carthage, fit connaître l'objet de sa mission aux habitants réunis, ceux-ci refusèrent, disant qu'ils paieraient à l'empereur la somme habituelle, mais qu'il en faudrait défalquer ce qui avait été versé aux musulmans. Le gouverneur chrétien qui avait remplacé Djerdjîr fut, à la suite de grands troubles, chassé par le Patrice et se rendit en Syrie, où le pouvoir était, à la suite du meurtre d’'Ali, exercé par Mo'âwiya ben Aboû Sofyân. Il dépeignit à celui-ci la situation de l'Ifrîkiyya en le priant de l'y faire accompagner par une armée. Le prince de Syrie envoya avec lui Mo'âwiya ben H'odeydj (Kindi) Sekoûni,[17] mais celui-ci, par suite de la mort du chrétien survenue à Alexandrie, arriva seul en Ifrîkiyya, qui était en ébullition. Il s'installa avec des forces imposantes auprès de Ka'moûniya[18] et expédia de là un corps de troupes contre les 30.000 soldats que le Patrice fit marcher contre lui et qui furent défaits. On mit le siège devant le fort de Djeloûlâ,[19] mais sans succès ; puis les remparts s'étant écroulés, les musulmans mirent la place au pillage. Des colonnes lancées dans diverses directions pacifièrent et soumirent le pays, après quoi Mo'âwiya repassa en Egypte.

L'Ifrîkiyya resta ensuite le pays le plus soumis et le plus obéissant jusqu'à l'époque de Hichâm ben 'Abd el-Melik, où [P. 72] des. gens de l'Irak s'étant glissés dans le pays vinrent exciter les habitants et soulever des discussions qui durent encore.[20] Ceux-ci répondaient ne pas vouloir s'insurger contre les imâms à cause des sommes prélevées par ceux qui les représentaient ; et comme les nouveau-venus disaient que les seconds se bornaient à agir d'après les instructions des premiers : « Encore faut-il, répondirent-ils, que nous en informions le khalife ! » En conséquence Meysera et une vingtaine de messagers avec lui furent dépêchés à Hichâm, de qui ils ne purent obtenir d'audience ; ils allèrent alors trouver El-Abrech et lui dirent : « Informe le Prince des croyants que notre émir nous mène en expédition avec son djond et qu'il distribue à celui-ci le butin que nous avons fait, disant que cela vaut mieux pour la guerre qu'il entreprend ; s'il y a une ville à assiéger, c'est nous qu'il met au premier rang et le djond au dernier, disant que notre mérite au ciel sera plus grand. Et pourtant des gens comme nous valent bien ses frères ! Ensuite nos oppresseurs se sont mis à fouiller les ventres de nos brebis pour en extraire des fœtus dont la blanche toison est destinée à fournir des pelisses au Prince des croyants, de sorte que mille brebis périssent pour donner une seule toison. Tout cela, nous l'avons supporté; mais quand ensuite ils ont enlevé les plus belles.de nos filles, nous leur avons dit que, bien qu'étant musulmans, nous ne trouvions pareil fait autorisé par aucun livre ni aucune pratique traditionnelle. Nous voulons savoir si cette conduite a ou non l'approbation du Prince des croyants ! » Comme leur séjour en se prolongeant épuisait leurs ressources, ils remirent leurs noms par écrit aux ministres du prince, en les priant, s'il demandait des renseignements, de le. mettre au courant.. De là ils regagnèrent l'Ifrîkiyya, où ils attaquèrent et tuèrent le gouverneur nommé par Hichâm, puis se rendirent maîtres de ce pays. Quand Hichâm, informé de ces événements, demanda les noms de ceux qui étaient venus le trouver, il se trouva que ceux-là mêmes étaient les coupables.

Invasion de l'Espagne

A la suite de la conquête de l'Ifrîkiyya, et conformément aux ordres d’'Othmân, 'Abd Allah ben Nâfi' ben el-H'açîn[21] et 'Abd Allah ben Nâfi ' ben 'Abd el-K'ays passèrent en Espagne par mer. 'Othmân écrivit alors à ceux qui s'enrôlaient sous leurs drapeaux que Constantinople ne pourrait être conquis que par l'Espagne. Ces chefs étaient accompagnés de Berbères, et l'appui divin ajouta aux territoires musulmans un pays aussi grand que l'Ifrîkiyya. Quand 'Othmân rappela de cette dernière région 'Abd Allah ben Sa ' d, il laissa en place 'Abd Allah ben Nâfi' ben 'Abd el-K'ays. 'Abd Allah ben Sa'd rentra en Egypte, d'où il envoya au khalife des richesses qu'il y avait réunies. Or 'Amr ben el-'Açi étant venu trouver [P. 73] 'Othmân, celui-ci lui dit : « Savais-tu qu'après ton passage cette chamelle pût encore donner tant de lait? — Aussi, reprit 'Amr, ses nourrissons sont-ils morts. »

En l'an 26 (16 oct. 646) mourut le poète Aboû Dho'ayb le Hodheylite en Egypte, alors qu'il revenait d'Ifrîkiyya. D'autres le font mourir dans le désert, alors qu'il se rendait à la Mekke, ou encore dans le pays des Roûm ; mais on est unanime à dire que ce fut sous le khalifat d'Othmân.[22]

[P. 107] En l'an 33 (1er août 653), eut lieu la seconde expédition d' 'Abd Allah ben Sa 'd contre l'Ifrîkiyya, dont les habitants avaient violé le traité conclu avec eux.[23]

[P. 161] En l’an 35 (10 juill. 655), vers la fin du khalifat d’'Othmân, Ma'bed ben el-Abbâs ben 'Abd el-Mot't'alib fut tué en Ifrîkiyya.[24]

[P. 351] En l'an 41 (6 mai 661), 'Amr ben el-'Açi nomma au gouvernement de l'Ifrîkiyya son cousin du côté maternel 'Ok'ba ben Nâfi ' ben 'Abd K'ays (sic). [P. 352] 'Ok'ba poussa jusque chez les Lowâta et les Mezâta, qui d'abord lui prêtèrent obéissance pour ensuite retourner à leurs erreurs ; de sorte que, cette année même, il dirigea contre eux une expédition où il leur tua du monde et leur fit des prisonniers. En l'an 42 (25 avril 662), il conquit Ghadamès et y agit de même. En 43 (11 avril 663), il conquit des portions du Soudan et se rendit maître de Waddân, qui dépend de Bark'a. Il conquit aussi tout le pays des Berbères. C'est lui qui, en l'an 50 (28 janvier 670) jeta les fondements de K'ayrawân. Ces faits seront racontés plus loin.[25]

[P. 386] Gouvernement d’'Ok'ba ben Nâfi' en Ifrîkiyya et fondation de la ville de K'ayrawân

D'après Aboû Dja'far T'abari, Maslama ben Mokhalled était en l’an 50 (28 janv. 670) gouverneur de l'Ifrîkiyya, et 'Ok'ba, à qui il avait succédé, avait construit K'ayrawân ; mais les chroniqueurs maghrébins placent à cette année le début du gouvernement d’'Ok'ba ben Nâfi', qui dura jusqu'en 55 (5 décembre 674), et la fondation de K'ayrawân, et font de Maslama le successeur d’'Ok'ba. Comme ces faits doivent leur être mieux connus, je vais suivre la version qu'ils ont consignée dans leurs livres. Mo'âwiya ben Aboû Sofyân, disent-ils, destitua Mo'âwiya ben Hodeydj et le remplaça dans ce gouvernement, en l'an 50, par 'Ok'ba ben Nâfi' Fihri, qui était resté à Bark'a et à Zawîla depuis qu'il les avait conquises du temps d' 'Amr ben el-'Açi et d'où il avait pratiqué la guerre sainte et fait des conquêtes. Avec les dix mille cavaliers que Mo'âwiya lui envoya en même temps que sa nomination, ce chef pénétra en Ifrîkiyya, et le concours que lui prêtèrent les Berbères convertis lui procura une nombreuse armée. Son épée s'abattit sur les habitants qui, à l'arrivée d'un chef musulman, se soumettaient et, au moins en partie, [P. 387] faisaient profession de l'Islam, puis qui, quand il s'en allait, se révoltaient et abjuraient. Il crut alors devoir bâtir une ville où habiteraient les troupes musulmanes avec leurs familles et leurs biens, et où elles seraient en sécurité contre les soulèvements des indigènes. Il arriva sur l'emplacement de K'ayrawân, qui n'était alors qu'une cuvette dont les fourrés étaient pleins de bêtes fauves, de serpents, etc. Comme le ciel exauçait ses prières, il commença par invoquer Dieu, puis prononça ces mots : « Serpents et bêtes féroces ! nous sommes les Compagnons de l'Apôtre de Dieu ! éloignez-vous, car nous allons nous fixer ici, et nous tuerons tous ceux d'entre vous que nous trouverons dorénavant en ces lieux. » On vit alors les reptiles s'éloigner en emportant leurs petits, et ce spectacle amena la conversion d'une tribu berbère nombreuse. Il fit abattre les arbres et construire la ville ainsi que la grande mosquée ; la masse édifia de petites mosquées et des demeures, et les maisons s'étendirent sur une longueur de 3.600 brasses. En 55 (5 décembre 674), toutes les constructions étaient achevées et habitées, sans que, pendant le cours de la construction, on cessât de faire des expéditions et de recueillir du butin. De nombreux Berbères se convertirent, le domaine habité par les musulmans s'agrandit, les cultures des hommes du djond fixés en ces lieux prospérèrent, le séjour en était sûr, de sorte que l'Islam y fut solidement implanté.

Gouvernement de Maslama ben Mokhalled

Mo'âwiya ben Aboû Sofyân confia alors le gouvernement de l'Egypte et de l'Ifrîkiyya à Maslama ben Mokhalled Ançâri, qui nomma en Ifrîkiyya un de ses clients nommé Aboû'l-Mohâdjir. Celui-ci se rendit dans ce pays, où il procéda sans aucun ménagement à la destitution d’'Ok'ba. 'Ok'ba se rendit en Syrie pour se plaindre des procédés d'Aboû' l-Mohâdjir à Mo'âwiya, qui s'excusa et lui promit de lui rendre sa situation ; mais les choses traînèrent en longueur, et ce prince étant venu à mourir, son fils et successeur Yezîd rendit, en 62 (19 sept. 681), à 'Ok'ba, la situation antérieurement occupée par ce chef, qui rejoignit son poste.

D'après le récit d'El-Wâkidi, 'Ok'ba ben Nâfi', devenu gouverneur d'Ifrîkiyya en 46 (12 mars 666), fut le fondateur de K'ayrawân et occupa cette situation jusqu'en 62 (19 sept. 681), où il fut révoqué par Yezîd ben Mo'âwiya et remplacé par Aboû'l-Mohâdjir, client des Ançâr. [P. 388] Celui-ci emprisonna 'Ok'ba et le maltraita, ce qui parvint aux oreilles de Yezîd ben Mo'âwiya et fut cause que ce prince écrivit au nouveau gouverneur de rendre 'Ok'ba à la liberté et de le lui envoyer. A la suite, de son entrevue avec Yezîd, 'Ok'ba, réintégré comme gouverneur de l'Ifrîkiyya, fit arrêter et emprisonner Aboû'l-Mohâdjir. Alors eurent lieu les événements auxquels est attaché le nom de Koseyla, et dont nous parlerons sous l'année 62.

[T. IV, p. 88] Second gouvernement d’'Ok'ba ben Nâfi' en Ifrîkiyya : ses conquêtes et sa mort

Nous avons raconté qu’'Ok'ba, dépouillé de l'administration de l'Ifrîkiyya, était retourné en Syrie [P. 89] auprès de Mo'âwiya, qui lui avait promis de lui rendre cette situation et qu'il était mort pendant qu’'Ok'ba était encore en Syrie. En 62 (19 sept. 681). Yezîd, réalisant la promesse de son père, le renvoya en Ifrîkiyya, et ce chef se rendit en toute hâte à K'ayrawân, où il se saisit d'Aboû'l-Mohâdjir et le jeta enchaîné dans une prison. Il laissa dans cette ville un djond avec ses enfants et ses biens, et y nomma pour le remplacer Zoheyr ben K'ays Balawi, à qui, en présence de ses propres enfants, il annonça qu'il avait fait à Dieu le sacrifice de sa vie et qu'il allait combattre sans trêve les infidèles; puis il lui donna les instructions nécessaires pour agir après lui. Il s'avança alors avec des forces considérables jusqu'à la ville de Bâghâya, où s'étaient concentrés les Roûm en très grand nombre; il leur livra une bataille acharnée où il les mit en déroute, leur fit subir de très grandes pertes en hommes et en biens, et les força de se réfugier dans la ville, dont il commença le siège. Peu soucieux de s'immobiliser là, il marcha bientôt contre le Zâb, vaste région comprenant plusieurs villes et de nombreuses bourgades, et y attaqua Arba,[26] qui en est la ville la plus considérable et où les Roûm et les chrétiens lui opposèrent delà résistance; une partie cependant s'enfuit dans les montagnes, et ceux qui étaient restés durent, à la suite de plusieurs rencontres avec les musulmans, fuir à leur tour après avoir perdu de nombreux cavaliers, et 'Ok'ba marcha sur Tâhert. Alors les Roûm sollicitèrent le concours des Berbères, qui répondirent en grand nombre à cet appel, et une sanglante bataille fut livrée, où les musulmans faillirent succomber sous le nombre; mais, grâce à la protection divine, les alliés furent battus et perdirent une foule des leurs, en outre de leurs richesses et de leurs armes, 'Ok'ba, poursuivant sa marche en avant, arriva à Tanger, où Ilyân (Julien), patrice de Roûm, vint lui présenter de riches cadeaux et reconnaître son autorité. Interrogé sur l'Espagne, le chrétien lui en dit l'importance; des Berbères, sur qui des renseignements lui furent aussi demandés, il dit que leur nombre n'était connu que de Dieu seul, qu'ils habitaient dans le Soûs citérieur et que, restés infidèles et non convertis au christianisme, leur puissance était très grande. 'Ok'ba poussa donc vers le Soûs citérieur, qui est à l'ouest de Tanger, et arriva aux confins du pays berbère. Une très nombreuse armée voulut lui barrer le passage et subit des pertes considérables, puis fut pourchassée dans toutes les directions par la cavalerie musulmane. [P. 90] Il arriva ainsi jusqu'au Soûs ultérieur, où d'innombrables Berbères lui livrèrent de nouveau bataille; mais ils furent encore bal lus, les musulmans en tuèrent tant qu'ils en eurent la force et firent un grand butin et de nombreux prisonniers. Ayant ainsi atteint Mâliyân,[27] sur l'Océan Atlantique, il s'écria : « O mon Dieu ! si je n'étais arrêté par cette mer, je continuerais mes conquêtes en combattant dans ta voie! »

Revenant alors sur ses pas et tandis que la crainte éloignait de sa route Roûm et Berbères, il campa au lieu dit maintenant Ma'l-faras, où il n'y avait pas d'eau. Comme ses troupes étaient près de mourir de soif, il fit une prière de deux rek'a et invoqua le ciel; un de ses chevaux, s'étant alors mis à gratter le sol de ses deux pieds de devant, mit au jour un rocher d'où l'eau jaillit, et à la suite de l'ordre qu'il donna, les soldats fouillèrent le sol et de nombreux points d'eau lui permirent de se désaltérer.[28] De là ce nom de Ma'l-faras (eau du cheval). Arrivé à la ville de T'obna, à huit journées de K'ayrawân, il fit marcher ses troupes par détachements isolés, tant les succès qu'il avait obtenus le rendaient confiant et tant il croyait n'avoir plus rien à redouter de personne. Lui-même se rendit avec une faible troupe à Tehoûda,[29] où il voulait se rendre compte des choses ; mais quand les Roûm le virent presque isolé, leur convoitise s'alluma et, fermant les portes de la place, ils se mirent à l'injurier et à le combattre, tandis que lui les invitait à se convertir. Mais ils ne purent, néanmoins, se rendre maîtres de lui.

Révolte du Berbère Koseyla ben Kemrem[30]

Sous l'administration d'Aboû'l-Mohâdjir, Koseyla, qui était un des chefs berbères et celui dont l'attitude était la plus correcte, avait sincèrement embrassé l'Islâm et était devenu l'un des compagnons de ce gouverneur. Celui-ci dit à 'Ok'ba, par qui il fut remplacé, quelle était la situation de Koseyla, et lui conseilla de le ménager; mais 'Ok'ba ne tint pas compte de cette recommandation et traita l'indigène sans aucun respect. Ainsi, il ordonna un jour à Koseyla, qui lui avait amené du bétail, d'égorger et de dépecer ces bêtes avec les bouchers ; en vain Koseyla objecta qu'il avait là ses gens et ses serviteurs qui étaient chargés de ces soins de nourriture, 'Ok'ba l'invectiva et le fit procéder au dépeçage, sans que la désapprobation manifestée par Aboû'l-Mohâdjir le fît revenir sur son ordre. « Assure-toi donc de sa personne, lui dit l'ex-gouverneur, car je crains pour toi son ressentiment. » Mais 'Ok'ba méprisa cet avis. Koseyla médita sa vengeance en silence, et quand, dans les circonstances que nous venons de dire, les Roûm virent 'Ok'ba si faiblement accompagné, ils en informèrent Koseyla, qui avait continué de figurer dans l'armée musulmane, [P. 91] mais qui leur avait dévoilé ses secrètes pensées en les poussant à agir. A la suite du message qu'il reçut, il jeta le masque et, soutenu par sa famille et par ses cousins, il marcha contre 'Ok'ba. « Hâte-toi, » dit alors Aboû'l-Mohâdjir à 'Ok'ba., dont il était toujours le prisonnier, « d'attaquer le rebelle avant que ses forces soient trop considérables. » 'Ok'ba marcha alors contre Koseyla, qui l'évita pour donner à ses partisans le temps de se réunir, et l'ex-gouverneur récita en cette circonstance ces vers d'Aboû Mih'djan Thakéfi :

[Tawîl] Ce m'est une suffisante douleur, alors que les chevaux vont se repaître de combats, de rester enchaîné dans ma prison. Quand je me lève, le poids de mes fers me retient, et les portes fermées m'empêchent de répondre à l'appel.[31]

'Ok'ba, qui l'apprit, le rendit à la liberté en lui disant de rejoindre et de diriger les autres musulmans, et que lui-même voulait chercher la mort du martyr. « Non, dit Aboû'l-Mohâdjir, car moi aussi je veux mourir en martyr ! » 'Ok'ba et ses compagnons, brisant les fourreaux de leurs sabres, se jetèrent sur les Berbères et périrent tous en combattant, sauf un petit nombre, entre autres Mohammed ben Aws[32] Ançâri, qui furent faits prisonniers et que le chef de Gâfça renvoya libres à Kayrawân. Zoheyr ben K'ays Bâlawi voulait poursuivre la lutte contre les rebelles, mais H'anech[33] eç-Çan'âni s'y opposa et regagna l'Egypte avec la plupart des troupes, de sorte que Zoheyr dut en faire autant et battit en retraite jusqu'à Bark'a, où il s'arrêta. Quant à Koseyla, il vit toutes les populations de l'Ifrîkiyya se joindre à lui, et il marcha sur Kayrawân [texte, Ifrîkiyya], où se trouvaient les gardiens du butin et les enfants des musulmans ; il leur accorda la grâce qu'ils demandaient et entra dans la ville. Son pouvoir s'étendait de là sur toute l'Ifrîkiyya et dura jusqu'à ce qu"Abd el-Melik ben Merwân, jouissant d'un pouvoir incontesté, confiât le gouvernement de l'Ifrîkiyya à Zoheyr ben K'ays Balawi, qui était resté à Bark'a en continuant d'y combattre la guerre sainte.

Gouvernement de Zoheyr ben K'ays en Ifrîkiyya ; sa mort et celle de Koseyla

A l'avènement d’Abd el-Melik ben Merwân, on parla à ce prince des musulmans de K'ayrawân et, sur le conseil de son entourage d'y envoyer des troupes pour les délivrer, il expédia à Zoheyr ben K'ays sa nomination de gouverneur d'Ifrîkiyya en même temps qu'il équipa une armée nombreuse. Ce chef entra dans ce pays en l’an 69 (5 juillet 688). A cette nouvelle, Koseyla [P. 92] rassembla autant qu'il put les Berbères et les Roûm et tint à ses principaux compagnons ce langage : « Je pense que je dois aller camper à Mems,[34] car il y a à K'ayrawân de nombreux musulmans vis-à-vis de qui nous sommes engagés par un traité que. nous ne devons pas violer. Or, il y a à craindre qu'en nous portant au-devant de Zoheyr pour lé combattre, nous ne laissions sur nos derrières ces musulmans solidement installés, tandis. qu'à Mems nous n'aurons rien à redouter d'eux et nous pourrons livrer bataille à Zoheyr : vainqueurs, nous poursuivrons nos ennemis jusqu'à Tripoli et ne laisserons rien subsister d'eux en Ifrîkiyya; vaincus, nous nous jetterons dans les montagnes et nous leur échapperons ». On adopta son plan, et il marcha vers Mems. Zoheyr, qui en fut informé, n'entra pas à K'ayrawân et se reposa sous les murs de cette ville pendant trois jours, puis se mit à la recherche de Koseyla, et quand il fut proche de lui, il établit son camp et prit ses dispositions de combat. La bataille fut acharnée et les deux armées subirent de telles pertes que personne, semblait-il, n'en devait réchapper ; cela dura ainsi la plus grande partie du jour, puis grâce à la protection divine, la victoire se décida en faveur des musulmans. Koseyla et plusieurs de ses principaux compagnons furent tués à Mems, et les musulmans, se mettant à la poursuite des Roûm et des Berbères, tuèrent tout ce qu'ils purent et firent un grand carnage ; les plus vaillants guerriers des alliés, leurs princes et leurs nobles furent anéantis. Quant à Zoheyr, il regagna K'ayrawân.

Ce chef, se rendant compte que l'Ifrîkiyya constituait un royaume important, redouta, à cause de ses sentiments de piété et de mortification, d'y rester [sans combattre] : « Je ne suis, dit-il, venu ici que pour faire la guerre sainte, et je crains de succomber à la tentation des plaisirs mondains ». Il laissa donc à K'ayrawân un corps de troupes qui y était en sûreté, puisque le pays ne renfermait plus d'ennemis ni de chef puissant, et il rentra en Egypte avec une nombreuse armée,

[35]Or les Roûm de Constantinople, qui avaient appris que Zoheyr avait laissé Barka sans défense pour aller combattre Koseyla en Ifrîkiyya, voulurent profiter de l'occasion, et, partant de l'île, de Sicile avec une nombreuse flotte et une forte armée, ils attaquèrent cette ville et y firent quantité de prisonniers, en outre des massacres et du pillage auxquels ils se livrèrent. Gela se passait au moment où Zoheyr, qui venait de quitter l'Ifrîkiyya, arrivait près de Bark'a; faisant alors avancer ses troupes à marches forcées, il fut accueilli par les demandes de secours des musulmans. Il ne pouvait reculer, et se jeta sur les Roûm malgré leur nombre ; une terrible bataille s'engagea et, la lutte fut chaude, mais la supériorité numérique des Roûm était trop grande, [P. 93] et Zoheyr et tous les siens succombèrent sans qu'il en échappât un seul. Les Roûm retournèrent à Constantinople avec leur butin.

La nouvelle de l'écrasement de Zoheyr fut très sensible à 'Abd el-Melik ben Merwân, qui, comme nous le dirons à l'année 74, envoya en Ifrîkiyya H'assân ben en-No'mân Ghassâni.[36] — Le gouvernement et la mort de Zoheyr auraient dû figurer sous l'année 69 ; si nous les avons narrés ici, c'est pour faire sentir la connexion existant entre ces faits et la révolte suivie de la mort de Koseyla, car il s'agit là d'un fait unique dont il faut grouper les épisodes.

[P. 251] En 69 (5 juillet 688), Zoheyr ben K'ays, gouverneur d'Ifrîkiyya, fut tué, ainsi qu'il a été dit sous l'année 62.

[P. 300] Gouvernement de H'assân ben en-No'mân en Ifrîkiyya

Nous avons, à l'année 62, parlé du gouvernement de Zoheyr ben K'ays et dit qu'il avait été tué en 69 (5 juillet 688). La nouvelle de sa mort fut un coup sensible pour 'Abd el-Melik et pour les musulmans ; mais le prince, malgré le souci que cela lui donna, ne pouvait s'occuper de l'Ifrîkiyya au moment où il avait affaire à Ibn ez-Zobeyr.[37] Quand, par suite de la mort de ce dernier, l'ensemble des musulmans reconnut son autorité, il équipa des troupes dont il confia le commandement, ainsi que l'administration de l'Ifrîkiyya, à H'assân ben en-No'mân el-Ghassâni, qui entra en 74 (12 mai 693) dans ce pays à la tête d'une armée dont ce pays n'avait pas encore vu la pareille.[38] Arrivé d'abord à K'ayrawân, il en repartit pour marcher contre Carthage, dont le prince, le plus puissant d'Ifrîkiyya, n'avait pas encore été attaqué par les musulmans. Cette ville renfermait une population innombrable de Roûm et de Berbères ; il l'attaqua et la serra de près, si bien que les assiégés, voyant le grand nombre des leurs qui étaient tués., s'embarquèrent et gagnèrent les uns la Sicile, les autres l'Espagne. H'assân entra dans la place l'épée à la main et la livra au meurtre et au pillage[39] ; puis il fit parcourir les environs par ses troupes, et les habitants effrayés s'étant empressés de venir le trouver, il leur fit autant que possible démanteler Carthage. Comme ensuite il apprit que les Roûm et les Berbères se concentraient pour lui résister dans les deux villes de Çat'ibûra[40] et de Benzert (Bizerte), il marcha contre eux, et la ténacité des musulmans vint à bout de la résistance qu'ils opposèrent ; les ennemis durent fuir en laissant un grand nombre de morts. Cette région fut conquise, et H'assân, ne laissant aucune portion insoumise, inspira la crainte la plus vive aux habitants. Les Roûm qui purent s'enfuir se retranchèrent dans la ville de Bâdja, et les Berbères en firent autant à Bône. H'assân regagna alors K'ayrawân pour donner à ses nombreux blessés le temps de guérir.

Mise à sac de l'Ifrîkiyya

Quand leur santé fut rétablie, Hassan demanda quel était le prince le plus puissant restant encore [P. 301] en Ifrîkiyya : « C'est, lui dit-on, une femme berbère régnant dans l’Aurès, et connue sous le nom de Kâhina[41] parce qu'elle dévoile l'avenir aux Berbères qui se sont ralliés à elle après la mort de Koseyla ». Les indigènes ajoutèrent qu'elle était hautement considérée et que, elle morte, les Berbères n'offriraient plus aucune résistance. H'assân marcha donc contre la Kâhina qui, le voyant s'approcher et croyant qu'il en voulait aux places fortes, démantela Bâghâya;[42] mais cela ne suffisait pas au général musulman, qui poursuivit sa marche en avant et lui livra bataille près de la rivière Nîni.[43] A la suite d'une lutte plus acharnée qu'on n'eût jamais vu, les musulmans battus perdirent un grand nombre des leurs et H'assân dut s'enfuir. Quantité d'entre eux furent faits prisonniers, mais la Kâhina les rendit à la liberté, en gardant cependant près d'elle et adoptant Khâlid ben Yezîd K'aysi, homme distingué par sa naissance et sa bravoure.

H'assân évacua l'Ifrîkiyya, puis écrivit ce qui lui était arrivé à 'Abd el-Melik, qui lui enjoignit de rester, jusqu'à nouvel ordre, où il était. C'est ainsi que ce chef demeura pendant cinq ans dans la province de Bark'a, à un endroit qui reçut le nom, encore existant, de K'oçoûr H'assân. De son côté, la Kâhina, devenue maîtresse de toute l'Ifrîkiyya, y commit des actes de mauvaise administration, de tyrannie et d'injustice. Alors 'Abd el-Melik envoya à son lieutenant des troupes et de l'argent pour rentrer en Ifrîkiyya et y combattre la Kâhina. H'assân envoya secrètement à Khâlid ben Yezîd, qui était auprès de cette princesse, un messager porteur d'une lettre où il lui demandait des renseignements, et Khâlid répondit par un billet exposant la désunion des Berbères et indiquant à H'assân la nécessité d'une action prompte; puis il le cacha dans un pain cuit sous la cendre et qu'il remit à l'émissaire. Celui-ci s'éloignait quand la Kâhina sortit, les cheveux épars, en s'écriant : « Votre puissance s'en va dans ce qu'on mange ! » Le messager fut vainement fouillé et put rejoindre H'assân, mais le feu [qui avait cuit la galette encore chaude] avait détruit le billet. Il retourna de nouveau auprès de Khâlid, qui récrivit les mêmes renseignements que la première fois, qu'on dissimula dans le pommeau de la selle. En apprenant que H'assân se mettait en marche, la Kâhina dit : « Les Arabes recherchent dans un pays l'or et l'argent, tandis que nous ne demandons que des champs et des pâturages ; notre seule ressource est de ravager l'Ifrîkiyya pour les en dégoûter ». Elle envoya donc ses partisans partout pour ravager le pays, ruiner les places fortes et enlever les biens des habitants. Telle fut la première mise à sac de l'Ifrîkiyya.[44]

A l'approche de H'assân, de nombreux Roûm habitant cette région se portèrent à sa rencontre pour demander son aide contre la Kâhina et se plaindre de ses procédés, et il se réjouit de cette démarche. [P. 302] Il se dirigea sur Gabès, dont les habitants lui apportèrent des présents et des offres de soumission, alors qu'auparavant ils avaient toujours résisté aux officiers musulmans ; il leur donna un gouverneur de son choix et s'avança, pour se rapprocher de ses adversaires, vers Gafça, qui se soumit à lui; il étendit également son autorité sur Kastîliya et Nefzâwa. Quand la Kâhina sut qu'il arrivait, elle appela ses deux fils ainsi que Khâlid ben Yezîd, et leur dit que, elle-même se regardant déjà comme morte, ils n'avaient qu'à aller trouver H'assân pour lui demander de leur laisser la vie sauve. Ils suivirent ce conseil et restèrent avec lui. H'assân livra alors à cette princesse une bataille si acharnée qu'elle semblait être la fin de tout ; les morts jonchèrent le terrain, mais Dieu donna la victoire aux siens, et les Berbères durent prendre la fuite., de même que la Kâhina, qui fut poursuivie et massacrée. Les vaincus sollicitèrent leur grâce de H'assân, qui la leur accorda, à condition qu'ils fourniraient aux musulmans, pour faire avec eux la guerre sainte, un corps de 12.000 hommes, auquel il donna pour commandants les deux fils de la Kâhina.

L'Islam se propagea chez les Berbères, et en ramadan de cette année H'assân retourna à K'ayrawân, où il resta sans plus avoir de luttes à soutenir jusqu'à la mort d’'Abd el-Melik. El-Welîd ben 'Abd el-Melik, étant monté sur le trône, nomma son oncle, 'Abd Allah ben Merwân, gouverneur d'Ifrîkiyya, en remplacement de H'assân, puis en 89 (30 novembre 707), comme nous le dirons, Moûsa ben Noçayr.

D'après Wâk'idi, la Kâhina se révolta par suite de l'indignation qu'elle ressentit de la mort de Koseyla, puis devenue maîtresse de l'Ifrîkiyya entière, elle y commit des actes infâmes et des injustices sans nom ; les musulmans de K'ayrawân eurent, après la mort de Zoheyr ben K'ays en 67 (27 juillet 686), à subir les pires traitements. Alors 'Abd el-Melik nomma gouverneur d'Ifrîkiyya H'assân ben en-No'mân, qui, à la tête de forces considérables, livra à la Kâhina une bataille où les musulmans, vaincus, subirent de grandes pertes. H'assân alors se retira dans la province de Bark'a et y resta jusqu'en 74 (12 mai 693), où, d'après les ordres d’Abd. el-Melik et avec les troupes que lui envoya le khalife, il marcha de nouveau contre la Kâhina, qu'il vainquit et tua, elle et ses enfants ; après quoi, il retourna à K'ayrawân.

On dit aussi que, sitôt après avoir tué la Kâhina, il se rendit auprès d' 'Abd el-Melik, en laissant pour lieutenant en Ifrîkiyya Aboû Çâlih', celui qui a donné son nom au Fahç (Aboû) Çâlih'.[45]

[P. 427] Nomination de Moûsa ben Noçayr au gouvernement de l'Ifrîkiyya

Cette nomination fut faite en 89 (30 novembre 707), par El-Welîd ben 'Abd el-Melik.[46] Noçayr, qui commandait les gardes de Mo'âwiya, n'accompagna pas celui-ci à Çiffîn et répondit à son maître qui lui demandait pourquoi, malgré les bienfaits dont il lui était redevable, il ne l'avait pas suivi pour combattre 'Ali : « Ma gratitude pour toi ne va pas jusqu'à t'accompagner dans la méconnaissance de Celui à qui je dois plus de reconnaissance qu'à toi, le Dieu tout-puissant ! » Mo'âwiya ne trouva rien à lui répondre.[47] — Moûsa, à son arrivée en Ifrîkiyya, y trouva (Aboû) Çâlih', qu'y avait laissé H'assân, et qu'il déposa, car après le départ de celui-là, les appétits de domination des Berbères s'étaient développés. Il envoya contre un groupe de révoltés, vers les confins de la province, son fils 'Abd Allah, qui les combattit victorieusement et leur fit mille prisonniers[48] ; il le fit ensuite marcher contre l'île de Mayorque, d'où 'Abd Allah revint sain et sauf en rapportant un butin d'une valeur incalculable. Il donna aussi à son fils Merwân[49] le commandement d'une expédition contre d'autres révoltés, dont un nombre à peu près égal furent faits prisonniers ; enfin lui-même se porta dans une autre direction et rapporta un butin tout aussi prodigieux : le quint formait 60,000 prisonniers, nombre le plus considérable qu'on ait jamais ouï dire.

L'Ifrîkiyya se trouvant ensuite en proie à la disette par suite du manque d'eau, il fit publiquement la prière d'usage en pareil cas [P. 428] et adressa au peuple une khotba où le nom d'El-Welid ne figura pas. A l'observation qui lui en fut faite, il répondit que c'était là un lieu où ne devait figurer ou être invoqué que le nom du Dieu tout-puissant. La pluie qui survint fit baisser le prix des vivres.[50]

Il fit ensuite campagne jusqu'à Tanger contre les Berbères encore insoumis, qui s'enfuyaient craintivement devant lui ; il les poursuivit en en tuant un grand nombre jusqu'au Soûs citérieur sans que personne tentât de résistance sérieuse, et alors les Berbères lui demandèrent quartier en offrant de se soumettre. Il nomma gouverneur de Tanger son affranchi, T'ârik' ben Ziyâd, que l'on dit être Çadefite [d'adoption, mais Berbère d'origine] et y laissa avec lui un corps d'armée important formé de Berbères, et en outre des Arabes chargés d'enseigner à ceux-ci le Koran et les pratiques religieuses. Comme ensuite il retournait en Ifrîkiyya, il passa près du château fort de Meddjâna, dont la garnison refusa de se soumettre:, il y laissa Bichr [Bosr] fils d'un tel, qui s'en rendit maître à la suite d'un siège, et cette place fut alors appelée, comme encore de nos jours, Kal'at Bichr.[51] L'Ifrîkiyya ne présenta plus dès lors aucun centre de résistance.[52]

D'après une autre version, la nomination de Moûsa eut lieu en 78 (29 mars 697) et fut le fait d’'Abd el-'Azîz ben Merwân, qui commandait alors en Egypte au nom de son frère 'Abd el-Melik.[53]

(A suivre.)

 


 

[1] On trouvera sur Ibn el-Athîr une notice détaillée, rédigée par M. de Slane, dans le t. I des Historiens arabes des Croisades, p. 752 ; cf. Ibn Khallikân, II, 288 ; Amari, Biblioteca arabo-sicula, trad. I, p. xr.vin. Le manuscrit n° 1543 du fonds arabe de Paris renferme, au f° 50, une notice qui n'est autre que celle, légèrement écourtée, d'Ibn Khallikân, et qui par suite ne nous apprend rien de neuf.

[2] La même chose est rapportée, avec plus de détails, par Bckri Description de l'Afrique septentrionale traduite par Mac Guckin de Slane, p. 11 (tirage à part du Journal asiatique, 1859). Aboû' l-Meh'âsin place la prise de Bark'a en l'an 21.

[3] Bekri et Edrisi écrivent Cabra par un çâd. Il s'agit ici de l'ancienne Sabrata, à douze lieues ouest de Tripoli, et non de la localité du même nom près de Kayrawân (Hist. des Berbères, par Ibn Khaldoun, trad. de Slane, table géographique, I, p. cii ; Fournel, Les Berbers, I, p. 22 ; cf. Tidjani, Journ. asiatique, 1852, II, 107).

[4] Ce nom paraît être mis ici pour un autre, ou bien il faut supposer que notre chroniqueur, oubliant que plus haut il a placé la soumission de Bark'a antérieurement à la conquête de Tripoli, a rapporté ensuite un récit provenant d'une autre source.

[5] Ici, comme plus haut, on pourrait lire « racheter » en corrigeant le texte imprimé. Le texte arabe de Bekri porte « vendre ». Comparez aussi l’Histoire des Berbères (I, 302).

[6] « Quand on part d'Alexandrie pour se diriger vers l'Egypte, on rencontre d'abord le pays de Merâk' iya, puis celui de Loûbiyya ». (Merâçid, III, p. 20 et 70 ; l'orthographe de ces deux noms y est indiquée). Il s'agit de la Libye et de la Marmarique.

[7] L'ancienne Leptis Magna (Bekri, 26 et 199 ; Edrisi, éd. Dozy et de Goeje, 154).

[8] C'est-à-dire les populations indigènes. On retrouve ces détails dans Ibn 'Abd el-H'akem (Hist. des Berb., I, 301).

[9] D'autres le disent frère utérin de ce khalife.

[10] La réponse manque, et je l'ai vainement cherchée dans nombre de chroniques.

[11] Sous le nom d'Ifrîkiyya on sait que les Arabes désignent la portion de l'Afrique septentrionale correspondant à peu près à la province de Constantine et à la Tunisie actuelles.

[12] Une note de l'Hist. des Berbères (I, 305) montre l'absurdité de ces chiffres, que l'on retrouve aussi dans le Nodjoûm (I, 89).

[13] El-Adjem ou Ledjem, ou château de la Kâhina, est situé entre Sfax et Mehdiyya (Bekri, 52 et 76 ; Journ. as., 1852, II, 117, etc.).

[14] Kobâ est un village près de Médine et fournit de l'eau à cette ville. Un autre récit ajoute que la princesse, quand elle comprit la menace qui lui était faite, se jeta du chameau qui la portait et se tua (Hist. des Berb., I, 306).

[15] Un peu plus bas, la mort d'Aboû Dho'ayb est rappelée. Ce poète, qui s'appelait Khowaylid ben Khâlid ben Moh'riz, est l'objet d'une notice du Kitâb el-Aghâni (VI, 58). Le poème qu'il fit à l'occasion de la mort de ses cinq fils, enlevés en un an par la peste, lui valut d'être regardé comme le premier des poètes Hodheylites. Il prit part à la campagne contre l'Ifrîkiyya avec 'Abd Allah ben Sa'd, qui l'envoya avec 'Abd-Allâh ben ez-Zobeyr porter au khalife 'Othmân la nouvelle des succès dont ils pouvaient se glorifier ; mais il ne put accomplir cette mission, car la mort le frappa en Egypte. —Ce même ouvrage met dans la bouche même d’Abd Allah ben ez-Zobeyr le récit des circonstances, un peu différentes de ce que dit notre auteur, dans lesquelles il tua Djerdjîr de sa main ; ce récit figure en note à la p. 318 du t. I de l’Hist. des Berbères.

[16] Le même détail est rapporté dans des termes presque identiques, par l’Aghâni (VI, 59). Il est probablement fait ici allusion aux faveurs scandaleuses dont 'Othmân combla sa famille et les siens et qui aboutirent à l’insurrection où il périt, D'après Wâk'idi (ap. Nodjoûm, I, 89), le patrice versa 2.520.000 dinars, dont 'Othmân, dans l'espace de vingt-quatre heures, fit don à la famille d'ElH'akam, selon les uns, ou, selon d'autres, à la famille de Merwân, Cf. Fournel, Les Berbers, I, 20 et 113.

[17] Ce personnage est cité par Nawawi, p. 563 ; cf. Berbères, 1,210 et 324 ; et Beladhori p. 227. L'orthographe de son nom est fixée par Ibn el-Athîr, et on lit aussi Sekoûni dans Tidjâni (Journ. as., 1852, II, 105).

[18] 'Abd el-Hakem écrit Koûniya (Berbères, I, 307, cf. 325 et 330). Sur cette localité, voir Fournel, Les Berbers, I, 153.

[19] Djeloûlâ est à une journée de Kayrawân (Edrisi, p. 140 ; Bekri, 78 ; Berbères, I, 307). Bekri raconte la conquête de cette ville par Ibn H'odeydj.

[20] Allusion au développement des doctrines kharédjites ; voir Berbères, 1, 216.

[21] Peut-être faut-il lire «... Nâfi' ben el-Hârith, » comme plus haut, p. 357. Mais le Bayân (t. II, 5) écrit aussi a H'açin ».

[22] Voir ce qui a été dit plus haut.

[23] Il n'est parlé de cette seconde expédition ni par Ibn 'Abd el-Hakam ni par Noweyri ; mais le Nodjoûm (I, 89) la mentionne aussi. Fournel n'y fait aucune allusion. On sait du reste que les traditions relatives à ces premiers temps sont assez confuses.

[24] Le Nodjoûm (I, 90) place la mort de Ma'bed en 33, lors de la seconde expédition d'Ibn Sa'd.

[25] Cette suite de renseignements n'est d'accord ni avec ce que nous savons par d'autres sources, ni avec ce qui suit. Cependant le Nodjoûm (I, 140) rapporte aussi la conquête que fit 'Ok'ba en 43 d'une partie du Soudan ainsi que de Waddân; il mentionne une expédition faite en 45 par Mo'âwiya ben H'odeydj contre l’Ifrîkiyya (I, 146).

[26] Ce nom se retrouve dans Noweyri (ap. Berbères, I, 332); Bekri parle d'un 'Ayn Erbân (p. 129 et 324).

[27] Je n'ai pas retrouvé ce nom ailleurs ; Noweyri, dont le récit est fort semblable au nôtre, ne le cite pas. Le manuscrit 1.494 de Paris écrit ce mot avec l'article, mais le yâ est dépourvu de points.

[28] Ibn 'Abd el-H'akam place le lieu de cette aventure sur la route du Fezzân à Tripoli (H. des Berb., I, 310 et 334, cf. Fournel, I, 157 et 175).

[29] Tehoûda est décrite par Bekri (p. 171) et par le Bayân (I, 15).

[30] Ce nom se présente encore sous les formes de Lehzem et Lemzem (Bayân, I, 16 et 30; Bekri, p. 22 et 174 ; Berbères, I, 334 ; Fournel, I, 174).— Sur les événements dont il est parlé dans ce chapitre, cf. Berbères, I, 334; Bayân, I, 15.

[31] Aboû Mih'djan fut un des compagnons de Mahomet ; une courte notice de sa vie est donnée dans le Journ. as., 1841, I, p. 129. Les circonstances où il composa ces vers sont racontées dans Ibn el-Athîr (n, 368) et Mas'oûdi (iv, 213) ; cf. Hamâsa, p. 493 ; Berbères, I, 336.

[32] Ce nom est orthographié de même dans le Nodjoûm (I, 177) ; il figure sous la forme diminutive Oweys dans Ibn 'Abd el-Hakam {Berbères, I, 288).

[33] Le texte porte djeych, de même que dans le Nodjoûm (I, 177). Sur H'anech ben 'Abd Allah Çan'âni, voir Bekri, p. 48 et 81 ; Ibn el-Athîr, V, 41 ; Dozy, H. des Mus. d'Espagne, II, 209, etc.

[34] Le texte orthographie Memch ; le Merâcid épelle ce nom, que l'on retrouve ailleurs sous sa forme correcte (Berbères, I, 337 ; Bekri, 325).

[35] L'alinéa qui suit se trouve dans la Biblioteca arabo-sicula d'Amari (trad. I, 355).

[36] Ces événements sont racontés de la même manière dans le Bayân (I, 17) et dans les Berbères (I, 338).

[37] Il s'agit de l'homme énergique et remarquable qui se fit proclamer khalife à la Mekke et périt en 73 de l'hégire; voir le mémoire d'E. Quatremère, Journ. as., 1832, I, 289.

[38] D'autres disent en 69 ou en 78 {Berbères, I, 339).

[39] Ce commencement de chapitre figure dans la Biblioteca (I, 355).

[40] Çat'foûra ou Sat'foûra est la région maritime au nord de Tunis (Edrisi, p. 133 ; Fournel, I, p. 212).

[41] Sur la Kâhina, voir notamment le Bayân, I, 20 ; Fournel, I, 215 ; Hist. des Berbères, I, 213 et 340 ; m, 192 ; Tidjâni, ap. Joum. as., 1852, II, 118 ; Bekri, etc.

[42] Forteresse située à l'extrémité N.-E. de l’Aurès et dont le nom-revient fréquemment dans le récit des combats qui se sont livrés dans cette région (Bekri, 121 et 322 ; Edrisi, 121, etc.).

[43] A quatre lieues N.-E. de Bâghâya (H. des Berb., table géogr.).

[44] Sur la conquête de Tunis, que fit H'assân vers cette époque, voir Bekri, p. 91.

[45] On retrouvera plus loin (t. VIII, p. 317 du texte) ce nom sous la forme correcte Fah'ç Aboû Çâlih, de môme que dans le Bayân (I, 88 et 238). Cette localité est « encore connue de nos jours et proche de Zaghwân », à ce que nous apprend Ibn Aboû Dinar Kayrawâni (texte p. 55 ; les traducteurs ont, selon leur habitude, défiguré ce nom en Fahç Aboû Tâlib).

[46] On assigne encore d'autres dates à cette nomination (Berbères, I, 343 ; Ibn Khallikân, III, 475).

[47] On retrouve la même anecdote dans l'article biographique consacré à Moûsa ben Noçayr par Ibn Khallikân (III, 475).

[48] Ce chiffre serait autrement admissible que celui de cent mille, auquel d'autres auteurs (l.l.), font monter le nombre des prisonniers pour chacun des trois chefs, Moûsa et ses fils, soit en tout trois cent mille. Mais il semble bien que c'est une faute du texte, car, tout de suite après, notre chroniqueur parle d'un quint de soixante mille têtes ! Comparez le Bayân, I, p. 25.

[49] Le texte lit « Haroun », mais c'est une faute certaine; voir d'ailleurs les auteurs cités.

[50] Ce fait est rappelé plus loin ; on le retrouve dans Ibn Khallikân, III, p. 476 de la trad. anglaise.

[51] Il faut lire K'al'at Bosr, qui est le nom du fort de Meddjâna (Jaqubi, Descriptio Maghribi, p. 75); mais il existe aussi un K'al'at Bichr, à deux journées de Gonstantine et à quatre de Bougie (Edrisi,p. 106; Bekri, p. 34 n. ; Fqurnel, I, 239).

[52] Sur les conquêtes de Moûsa, il faut aussi voir le récit du Bayân (I, 26 ; Berbères, I, 344).

[53] Voir p. 379.