Aboulfeda

ABOU’L FÉDA

 

HISTOIRE GENERALE OU ANNALES

(partie 1 - partie 2)

 

Traduction française : Mr. l'ABBE REINAUD

Œuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 


 

ABOU’L FÉDA

 


 

ABOULFEDA

HISTOIRE GENERALE

OU ANNALES

EXTRAITS (1092-1322)

 

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An 575 (1177). Saladin part du Caire pour se rendre en Palestine, et arrive devant Ascalon le 24 de djoumada premier (novembre). Pendant que ses troupes étaient dispersées dans le pays pour rançonner les habitants et étendre le dégât, les Francs le surprirent presque seul ; il fit une résistance opiniâtre. Un des fils de son neveu Teky-eddin Omar à peine parvenu à l'adolescence, et dont la beauté faisait l'admiration générale, chargea par ordre de son père, et fit preuve d'une grande bravoure : mais dans une seconde charge, il périt glorieusement pour la défense de la religion. Bientôt la déroute fut complète. Les Francs avancèrent jusqu'auprès du sulthan, et le contraignirent à la retraite. Elle se fit par le désert. Le sulthan et tous ceux qui avaient échappé au carnage furent pendant toute la marche en proie aux horreurs de la faim et de la soif ; le manque d'eau fit périr la plupart des bêtes de somme ; tous les corps qui avaient été détachés pour rançonner la contrée tombèrent au pouvoir de l'ennemi. Le sulthan arriva enfin au Caire le 14 de djoumada second (décembre).

L'auteur du Kamel Altavarykh[53] dit avoir vu une lettre écrite de la main de Saladin à son frère Touran schah, son lieutenant à Damas, dans laquelle il lui faisait le tableau de cette journée. Elle commençait par ces mots :

« Je pensais à toi, tandis que les impitoyables javelots s'abreuvaient de mon sang. ».

Il y disait que plus d'une fois la mort s'était présentée à ses yeux et que s'il voyait encore le jour, il en était redevable à Dieu, dont les secrets sont impénétrables ; car, ajoutait-il, quel est l'être qui se conserve à la vie, à moins d'une expresse volonté du ciel !

Cependant les Francs, dont cette victoire avait relevé le courage, cherchent à profiter de la retraite de Saladin en Egypte, et se jettent sur Hamah, dans l'espoir de s'en rendre facilement maîtres. La Syrie avait dans ce moment pour toute défense Touran schah et le peu de monde qu'il avait auprès de lui. Touran schah pensait uniquement à ses plaisirs, et ne demandait que le repos. Par surcroît de malheur, Schehâb eddin, oncle de Saladin et gouverneur de la ville, était tombé malade dès le commencement du siège. Les Francs redoublaient d'efforts, et multipliaient leurs attaques. Déjà ils avaient en leur pouvoir les ouvrages les plus avancés, la ville allait succomber sous leurs armes lorsque les habitants sortirent au-devant d'eux et les chassèrent loin des murs. Quatre jours s'écoulèrent dans cet état. Les Francs perdant tout espoir, se rendirent devant Harem.

Harem appartenait à Kemeschtekin, que nous avons vu dans Alep à la tête des affaires. Malek Saleh, mécontent du service de Kemeschtekin, le fit arrêter, et l'envoya sous les murs de Harem pour en faire ouvrir les portes à un corps de troupes qui devait en prendre possession en son nom : mais les habitants refusèrent obstinément de se rendre, malgré les instances de Kemeschtekin lui-même. En vain les émirs de Malek Saleh lui firent souffrir, à la vue des habitants, les tourments les plus horribles : les habitants restèrent inébranlables ; et la mort de Kemeschtekin au milieu des souffrances, ne fit que les animer davantage. Les Francs arrivèrent sur ces entrefaites devant Harem. Ils l'assiégèrent pendant quatre mois ; Malek Saleh fut contraint d'acheter leur retraite par une forte somme d'argent : mais déjà les habitants étaient entièrement épuisés ; Malek Saleh envoya une nouvelle armée, et les portes lui furent ouvertes sans difficulté.

An 575 (1179-80). Saladin s'empare du château bâti par les Francs au passage d'Ahsan près de Panéas, dans le lieu appelé le Gué de Jacob.

An 577 (1181-2). Renaud de Châtillon, [54] seigneur de Carac, se dispose à marcher sur la ville du prophète (Médine), ne visant à rien moins qu'à s'emparer de cette noble contrée. A cette nouvelle, Ezz eddin Ferok schah, qui remplaçait son oncle Saladin dans Damas, se dirige sur Carac avec toutes ses forces, pille tout le pays et tient l'ennemi en échec. Renaud est contraint de renvoyer une partie de ses forces et de renoncer à son dessein.

Malek Saleh meurt la même année, âgé seulement de dix-neuf ans. Le fils de Nour eddin s'était toujours fait remarquer par des mœurs pures et un grand amour pour la religion. Le médecin lui ordonnant le vin pendant sa maladie, le jeune prince aima mieux mourir que de manquer au précepte de sa religion. Emad eddin Zengui, son cousin, prince de Sindjar, obtint de le remplacer à Alep, moyennant la cession qu'il fit de sa principauté à son frère Ezz eddin Massoud, prince de Mossoul.

An 578 (1182). Saladin se rend d'Egypte en Syrie, marquant par d'horribles dégâts son passage à travers les états des Francs. Pendant que les chrétiens réunissaient leurs forces pour l'arrêter dans sa marche, Ferok schah prit sans peine la ville de Schakyf, et ravagea tout le pays environnant.

Saladin quitte Damas dans le mois de rebi premier (juillet) ; il place son camp près de Tibériade, d'où il étend ses courses dans les provinces chrétiennes du côté de Panéas, Beyssan, Djynyn et du pays de Gaur (c'est le pays qui est arrosé par les eaux du Jourdain, entre le lac de Tibériade et la Mer Morte). De retour à Damas avec un butin considérable, il alla assiéger Béryte, et ne retourna à Damas qu'après avoir dévasté toute la contrée.

Saladin pénétra ensuite dans les provinces de la Mésopotamie, où il étendit rapidement ses conquêtes. Pendant cette expédition, le prince de Carac arma une flotte sur le golfe Elanitique. Il en fit deux divisions ; l'une bloqua, Ela ; l'autre, qui se dirigeait vers Aydab, [55] fit plusieurs descentes sur la côte, et surprit les musulmans dans des régions où le nom des Francs était resté jusque-là entièrement inconnu. Cependant Malek Adel, qui gouvernait l'Egypte en l'absence de son frère, équipa promptement une flotte sur la côte d'Aydab, et en, remit la conduite au chambellan Hossam eddin Loulou, chef des forces navales, en Egypte, homme brave et heureux à la guerre, Loulou, se mettant incontinent en mer, commença son expédition par les Francs qui assiégeaient Ela, et qui furent tous tués ou faits prisonniers. Ensuite il marcha contre la seconde division qui cherchait à pénétrer dans la Hedjaz, avec le dessein de soumettre la Mekke et Médine. Loulou, atteignit enfin les chrétiens près de Rabog, sur la côte[56] ; on en vint aussitôt ans mains, et Dieu accorda la victoire aux musulmans. La plupart des Francs y périrent ; le reste tomba au pouvoir du vainqueur. Une partie fut envoyée, pour y être immolée, à Mina, (vallée située dans, les environs de La Mekke, où les pèlerins s'acquittent de leurs sacrifices), et les autres furent conduits en Egypte, où pas un n'échappa à la mort.

An 579 (1183). Emad eddin Zengui cède Alep à Saladin en échange de Sindjar, Nisibe et quelques autres places de la Mésopotamie, dont, le sulthan s'était emparé l'année précédente, Saladin, dont l'ambition semblait s'irriter par les conquêtes, fit tout de suite proposer à Sarkhok, qui commandait dans Harem, de lui en remettre la propriété, Sarkhok s'y refusa ; il essaya même d'introduire les Francs dans Harem ; heureusement la garnison de la citadelle prévint son dessein, elle s'empara de la personne de Sarkhok, et livra la ville au sulthan.

Le sulthan s'occupa d'abord de mettre ordre à l'administration d'Alep : avant de se rendre à Damas, il voulait établir à Alep Malek Dhaher Gazi, son fils, pour gouverneur. Il entra sur les terres des Francs, passa le Jourdain le 9 de djoumada second (fin de septembre), attaqua Beyssan et la livra aux flammes, étendit ses courses dans toute la contrée, puisse rendit devant Carac, d'où il envoya dire à Malek Adel de venir le joindre, nommant pour gouverner l'Egypte à sa place Teki-eddin Omar son neveu. Ils assiégèrent ensemble Carac jusqu'au milieu de chaban (commencement de décembre). Le sulthan retourna ensuite à Damas, laissant le gouvernement d'Alep à son frère.

An 580 (1184). Saladin quitta Damas au mois de rebi second (juin), et se rendit devant Carac. Il ordonna en même temps aux troupes qui avaient leurs quartiers en Egypte de venir le joindre devant cette ville. Les faubourgs ne purent tenir longtemps contre ses forces réunies. Restait encore la citadelle séparée des faubourgs par un fossé que le sulthan tenta plusieurs fois de combler : ses efforts échouèrent par la résistance qu'opposèrent les assiégés. Cependant les Francs marchaient en toute hâte au secours de Carac. Saladin interrompit le siège pour marcher à leur rencontre ; il les trouva dans des lieux inexpugnables ; tandis qu'il les tenait en échec, un autre corps de Francs entra dans Carac. Saladin, contraint par là à renoncer à son dessein, se dirigea vers Naplouse, brûla cette ville, et en dévasta le territoire. Arrivé à Sebasthya, lieu sanctifié par le tombeau de Saint Zacharie, il mit en liberté les musulmans qui y étaient retenus prisonniers. Il se rendit de là à Djynyu, d'où il revint à Damas.

An 582 (1186). Le prince de Carac enlève, ayant l'expiration de la trêve, une grande caravane de musulmans : Saladin envoya réclamer leur liberté sans pouvoir l'obtenir. Il fut si indigné de ce manque de foi, qu'il jura de tuer le prince Franc de sa main, si Dieu le mettait en son pouvoir.

An 583 (1187). Le sulthan, après avoir réuni toutes ses troupes, se dirigea avec une division vers Carac, et tint en échec le prince de cette ville, pour l'empêcher de se jeter sar les pèlerins. Malek Afdhal son fils, avec le reste de l'armée, ravagea le territoire d'Acre et les pays environnants. Le sulthan protégea le passage des pèlerins, et vint ensuite mettre le siège devant Tibériade, qui fut prise d'assaut. Quant à la citadelle, elle résista avec opiniâtreté. Tibériade appartenait au comte de Tripoli, qui, quelque temps auparavant, avait fait sa paix avec Saladin, et s'était mis sous sa protection. Ce furent les menaces et les représentations des prêtres et du patriarche de Jérusalem qui le forcèrent à se réunir aux autres princes chrétiens contre le sulthan.

Bataille de Hattin ou de Tibériade. Les musulmans s'emparent de Jérusalem et de presque toute la Palestine.

Après la prise de Tibériade, tous les princes francs réunirent leurs forces, infanterie et cavalerie, et marchèrent contre Saladin. Celui-ci se mit aussitôt en mouvement ; c'était le samedi 25 de rebi second (4 juillet). Les deux armées en vinrent aux mains, et combattirent avec une grande bravoure. Au fort de l'action, le comte de Tripoli se jeta sur le corps qui lui était opposé. Teki-eddin, prince de Hamah, qui commandait ce corps, fit ouvrir les rangs ; le comte traversa les rangs ennemis, et se sauva en toute hâte à Tripoli, où il mourut peu de temps après de chagrin. La victoire se déclara pour les musulmans ; les chrétiens, entourés de toutes parts, furent tous tués ou faits prisonniers. Parmi les captifs on comptait le roi de Jérusalem, le prince Renaud, seigneur de Carac, le seigneur de Djebayl, le fils de Honfroy, le grand-maître du Temple, et un certain nombre d'Hospitaliers. Les Francs, depuis leur arrivée en Syrie, n'avaient pas éprouvé de défaite aussi désastreuse.

Après le combat, Saladin s’assit dans sa tente ; il se fit amener le roi et le fit asseoir à ses côtés, comme la chaleur du jour était extrême, il lui présenta de l'eau de neige pour adoucir la soif qui le dévorait. Le roi ayant bu, en présenta à Renaud. « Ce n'est pas moi, s'écria aussitôt Saladin, qui ai dit à ce misérable de boire ; je ne suis pas lié envers lui. » En disant ces mots, il se tourne vers Renaud, lui reproche d'un air terrible la violation des traités, et la tentative qu'il avait faite sur les deux villes saintes ; puis il lève le bras et lui coupe la tête. A ce spectacle le roi tremblait de tous ses membres, mais le sulthan se hâta de le rassurer.

Saladin revient devant Tibériade, et fait capituler la citadelle. De là il marche sur Acre, l'assiège, et y entre par capitulation. Dans ce même temps Malek Adel, d'après un plan combiné avec son frère, attaquait le château, de Yaha et l'emportait d'assaut. Saladin ne rencontrant plus nulle part de résistance, partagea ses troupes en plusieurs détachements, qui occupèrent Nazareth, Césarée, Hayfah, Seforyeh, Maaltsa, Fouleh, et tout le territoire d'Acre. Les malheureux habitants de cette contrée éprouvèrent toutes les horreurs du pillage et de la captivité. Un autre détachement de musulmans marcha sur Naplouse, et entra sans combat dans la citadelle de cette ville.

Après la prise d'Yaha, Malek Adel se rendit devant Japha et la prit de force. De son côté, le sulthan s'empara de Tebnin par capitulation, et occupa ensuite Sidon, que son prince avait abandonnée. Il y entra le 22 de djoumada premier (22 août). Béryte ouvrit ses portes le 27, huit jours après l'arrivée de l’ennemi devant ses murailles. Sur ces entrefaites, le seigneur de Djobayl, qui était toujours prisonnier, proposa Djobayl pour sa rançon ; ce qui fut accepté. Il était célèbre par sa bravoure ; et par la guerre acharnée qu'il fît aux musulmans dans la suite, il les fît repentir de lui avoir rendu la liberté.

Cependant le marquis Conrad arrivait par mer devant Acre, sans savoir que les musulmans en étaient les maîtres. Le calme l’ayant surpris tout-à-coup à l'entrée du port, il amusa quelque temps Afdhal, qui commandait dans la ville, par des propositions que celui-ci avait la simplicité d'écouter : le temps étant enfin redevenu favorable, il mit à la voile pour Tyr, où il eut fart de se faire une grande autorité au milieu de ce concours de chrétiens qui affluaient de toutes parts dans la ville. Une des mesures de Saladin qui lui devinrent le plus funestes, et fut, indépendamment de l'arrivée du marquis, la faculté qu'il laissa aux habitants des villes conquises de se retirer à Tyr. Cette mesure ne servit qu'à augmenter le nombre de ses ennemis, et à relever le courage des Francs.

Saladin marche sur Ascalon, et y entre par capitulation à la fin de djoumada second (5 septembre), après un siège de quatorze jours. Il partage ensuite son armée en petites divisions qui vont s'emparer de Ramlah, Daroum, Gaza, Bethléem, Bet djebrail, Nadhroun, etc. Le sulthan se décida enfin à attaquer Jérusalem, malgré le nombre prodigieux de chrétiens qui la défendaient. Quand les mineurs furent sous les murs, et que l'assaut allait être livré, les habitants demandèrent à capituler. Saladin rejeta leur demande, en disant qu'il voulait entrer par l'épée comme les Francs y étaient entrés eux-mêmes ; mais au retour des envoyés, sur les représentations qu'ils lui firent du grand nombre des chrétiens, et des chances que pouvait leur donner le désespoir, il se rendit à leurs instances, y mettant cependant pour condition que tous ceux qui se trouvaient dans la ville paieraient une contribution par tête, un homme dix écus d'or, une femme cinq, les enfants deux ; et que ceux qui ne paieraient pas cette somme resteraient prisonniers. Cette condition fut acceptée, et la ville ouvrit ses portes le vendredi 27 de redjeb (commencement d'octobre), jour mémorable où les étendards musulmans flottèrent sur les remparts de Jérusalem. Les gens du sulthan s'étaient placés aux portes pour percevoir le tribut convenu ; mais ils mirent si peu de fidélité dans leur commission, que le trésor n'en retira qu'une somme légère.

Une croix dorée qui dominait le faîte de la chapelle de la Sakhrah, [57] attirait tous les regards. Les musulmans l'arrachèrent de force, ce qui excita un bruit extraordinaire : c'étaient des acclamations et des cris de joie de la part des musulmans, des cris de douleur et de rage de la part des chrétiens. Ceux-ci avaient pratiqué des greniers et un lieu d'aisance à l'Occident de la mosquée Alaksa. On les fit disparaître, et la mosquée fut rendue à sa première destination. On y plaça la chaire en bois à laquelle Nour eddin avait longtemps travaillé de ses mains, dans l'attente d'un si grand événement. (Cette chaire de bois était ornée d'ivoire et de bois d'ébène.)

Saladin ne quitta pas les environs de Jérusalem jusqu'au 25 de chaban (commencement de novembre) ; il y fit construire des monastères et des collèges ; et quand il eut réglé tout ce qui tenait à l'administration de la ville, il se rendit à Acre, et de là à Tyr. Le marquis qui commandait dans cette ville l'avait fortifiée d'un fossé, et se trouvait parfaitement secondé par ses guerriers. Le 9 de ramadhan (milieu de novembre), le sulthan campa sous les murs de la ville, et commença aussitôt les travaux du siège. Il comptait sur une flotte de dix voiles qui arrivait d'Egypte pour resserrer Tyr du côté de la mer ; malheureusement elle fut surprise par celle des Francs : cinq navires furent pris avec leurs équipages ; quelques musulmans seulement purent se sauver à la nage. Le siège fut continué quelque temps. Saladin se décida enfin à le lever, à la fin de schowal (commencement de janvier), il se mit en marche pour Acre et licencia son armée. Chacun s'en, retourna dans ses foyers. Quant au sulthan, il s'arrêta avec sa garde à Acre, d'où il envoya prendre Hounayn par capitulation.

An 584 (1188). Le sulthan passe l'hiver à Acre. Il se rend ensuite devant Kaukab, et charge l'émir Kaimaz du siège de cette place. Pour lui il entre dans Damas au mois de rebi premier (mai), au milieu des acclamations générales du peuple. Des ordres furent envoyés aux troupes dans toutes les provinces. Le sulthan ne s'arrêta que quelques jours à Damas, et se dirigea directement vers le lac de Kédès, à l'ouest d'Emesse, où devaient se réunir les troupes qui arrivaient en grande hâte de leurs cantonnements. Le premier arrivé fut Emad eddin Zengui, fils de Maudoud, prince de Sindjar et de Nisibe. Quand Saladin eût réuni toutes ses forces, il alla camper au pied du château des Kurdes, d'où il envoya faire des courses sur les terres des Francs. Il en partit le 6 de djoumada premier (commencement de juillet) pour se rendre à Tortose, qu'il trouva abandonnée ; ensuite à Marakyeh, également abandonnée : quant à la forteresse de Markab qui appartenait aux Hospitaliers, elle était trop bien défendue pour espérer d'y entrer. Saladin se détourna du côté de Djibleh, et entra le 6 dans la place, sans, rencontrer d'obstacle. La garde en fut confiée à l'émir Sabek' eddin Otsman, prince de Schayzar. Saladin arriva le 24 devant Laodicée ; cette ville était défendue par deux forts qui, des les premières attaques, demandèrent à capituler. Le sulthan en remit le commandement à son neveu Teki eddin Omar, qui en répara les fortifications et en éleva de nouvelles. Teki eddin entendait fort bien l'art de fortifier les places, témoin la citadelle de Hamah, dont il dirigea lui-même la construction.

Saladin partit le 29 pour Sehyoun qu'il serra étroitement ; les habitants demandèrent à capituler, et l'obtinrent aux mêmes conditions que les habitants de Jérusalem. Les troupes du sulthan se partagèrent ensuite en plusieurs corps et se répandirent dans les montagnes, où elles s'emparèrent du château de Palatanos, abandonné de sa garnison, et des châteaux de Ayd et de Djemaheryn. Le sulthan quitta Sehyoun le 3 de djoumada second, et arriva devant le château de Bekas, que sa garnison avait abandonné dans l'espoir de se défendre plus sûrement dans celui de Schogr. Le sulthan attaqua Schogr avec vigueur, et, malgré la forte position de la place, força la garnison de capituler : c'est le 6 qu'il y entra ; il envoya incontinent son fils Malek Dhaher-Gazi, prince d'Alep, assiéger Sermynyeh. Cette ville fut prise ; les habitants n'obtinrent d'y rester qu'à la condition d'un tribut, et la citadelle fut détruite de fond en comble. Il est bon d'observer que dans cette place, comme dans les autres nommées précédemment, il se trouvait un grand nombre de prisonniers musulmans qui, outre la liberté, reçurent des vêtements et les aliments nécessaires.

Saladin s’étant rendu sous les murs de Botzayeh, l'attaqua par trois endroits différents, et ne donna pas de relâche à la place qu'elle ne fût en son pouvoir. C’est le 27 qu'elle fut prise d'assaut. Ceux des habitants qui avaient échappé à la mort restèrent prisonniers, ou furent réduits en servitude. Tous ces détails sont empruntés d'un témoin oculaire : c'est l’auteur du Kamel qui dit avoir pris une part active à toute cette brillante campagne, dans l'espoir que Dieu lui en ferait un mérite. Saladin se rendit ensuite au pont de fer situé sur l'Oronte, non loin d'Antioche, et s'y arrêta quelques jours pour donner aux troupes qui étaient en retard, le temps d'arriver. Puis il se rendit devant Derbessak, et commença l'attaque le 8 de redjeb (fin d'août). Cette ville capitula le 19 ; il ne fut permis aux habitants de se retirer qu'avec les habits qu'ils avaient sur eux. De là le sulthan marcha sur Bagras, qui capitula aux mêmes conditions. Ces succès jetèrent la terreur dans l'esprit de Bohémond, prince d'Antioche. Il envoya demander un armistice et la paix, et s'engagea à rendre la liberté à tous les prisonniers musulmans qui étaient dans ses états. Cette condition fut acceptée, et on convint d'une trêve de huit mois. Bohémond était à cette époque le plus puissant seigneur franc de la Syrie ; la ville de Tripoli s'était mise sous sa protection après la mort de Raymond, et le fils de Bohémond y commandait dans ce moment au nom de son père.

Ces expéditions et ces négociations terminées, Saladin alla à Alep et de là à Damas. Comme on était déjà au 3 de chaban (fin de septembre), il avait donné congé à Emad eddin et aux troupes des provinces orientales. Saladin en quittant Alep, se détourna du chemin pour visiter le pieux Scheik Abou Zakaria, qui, par des actes qui tenaient du prodige, était devenu l'objet de la vénération générale. Le sulthan était accompagné de l'émir Kassem Abou Foleytah, prince de Médine. Cet émir, dont le regard était pour Saladin une source de bénédiction et la société un gage de bonheur, avait été témoin de tous ses succès, et exerçait un grand empire sur son esprit.

Saladin était arrivé à Damas dans le mois de ramadhan (novembre). Comme on lui demandait un congé général pour les troupes qui avaient besoin de repos, il répondit : « La vie est courte, encore n'en connaît-on pas même le terme. »

Saladin, en se dirigeant vers le nord de la Syrie, avait laissé une partie de l'armée à Malek Adel, le chargeant du siège de Carac et des places voisines. Carac s'était rendu à la première sommation, ainsi que Schaubek et les places des pays environnants.

Cependant Saladin quitta Damas vers le milieu de ramadhan, et attaqua Sefed, qui ouvrit ses portes. Il se rendit ensuite devant Kaukab, qui avait résisté jusqu'à ce jour aux efforts de Kaimaz. Le sulthan renouvela les attaques et fit capituler la ville vers le milieu de dhou’lka’deh (premiers jours de janvier 1189). Les habitants de toutes ces places avaient été dirigés sur Tyr ; mais la suite fit voir combien cette mesure était imprudente. Le sulthan vint ensuite à Jérusalem célébrer la fête des sacrifices, et de là se rendit à Acre, où il resta, jusqu'à la fin de l'année.

An 585 (1189). Saladin vient camper dans la plaine d'Oyoun. Le seigneur de Schakyf-Arnoun (Renaud de Sidon) vient l'y trouver, et s'engage à lui ouvrir les portes de Schakyf, passé un terme qu'il détermina. Mais Renaud ne voulait en cela qu'amuser le sulthan ; car, trois jours avant l'expiration du délai, Saladin l'ayant fait venir pour régler les détails de l'occupation de la ville, il prétendit que les habitants refusaient de se rendre. Saladin s'empara de sa personne, et l'envoya à Damas, où il fut enfermé.

Siège de St.-Jean-d'Acre ou Ptolémaïs.

Les habitants de toutes les villes chrétiennes qui venaient de tomber au pouvoir du sulthan avaient été dirigés sur Tyr. La ville se remplissait tous les jours, d'autant plus qu'une foule de guerriers affluaient de l'Occident. En effet, les chrétiens, éclairés par tant de désastres, avaient envoyé dans les pays d'outre-mer des hommes propres à émouvoir la commisération de leurs frères. Ces députés promenaient partout une image de Jésus-Christ, dont le corps ruisselait de sang, sous les coups d'un Arabe, qu'ils disaient être Mohammed. Voyez, disaient-ils, en pleurant, comme cet arabe frappe le Sauveur. A ce spectacle, les femmes sortaient de leurs maisons, les hommes t'armaient pour aller le venger. C'est ainsi qu'il s'embarqua une foule innombrable. De Tyr, cette multitude de guerriers marcha sur Acre, et l'attaque commença dès le milieu de redjeb (août).

Acre[58] fut étroitement serrée du côté de terre ; les Francs en occupèrent toutes les avenues ; de manière qu'il ne fut plus possible d'y pénétrer. Cependant le sulthan s'était avancé auprès de la ville, non loin de l'emplacement qu'occupait l'ennemi. Au commencement de chaban (septembre), une action s'engagea, qui dura jusqu'à la nuit. Le lendemain matin, Teki-eddin, prince de Hamab, chargea avec l'aile droite le corps franc qui lui était opposé, lui enleva ses positions, et s'avança jusque sous les murs de la ville. Les communications ainsi rétablies avec la garnison, il fut libre aux musulmans d'entrer et de sortir ; ce qui permit au sulthan d'introduire dans Acre un corps de troupes, commandé par Aboulhaydja. Des attaques partielles ne discontinuèrent pas du matin au soir, jusqu'au 20. Ce jour-là il s'engagea une action terrible. Les Francs s'étaient concentrés ; ils attaquèrent d'abord le centre, parvinrent à l'enfoncer, et arrivèrent, sans cesser de tuer, jusqu'à la tente de Saladin. Le sulthan se rejeta aussitôt sur les ailes, et parvint à réunir quelques troupes autour de lui. Pendant que son aile droite combattait l'ennemi avec avantage, il se précipita sur le corps qui avait d'abord culbuté son centre, en même temps le reste de l'armée fit volte-face, et les Francs enveloppés, furent exterminés ; dix mille d'entre eux perdirent la vie. Pendant ce temps-là, ceux des musulmans qui avaient fui au commencement de l'action, couraient, les uns jusqu'à Tibériade, les autres jusqu'à Damas. Mais bientôt ce même succès eut des suites funestes. Les cadavres qui couvraient le pays répandirent une horrible infection ; le sulthan tomba lui-même malade. En proie à de violentes coliques, il se rendit aux prières de ses émirs, quitta Acre le 14 de ramadhan (octobre), et se retira à Kharoubah. Sa retraite permit aux Francs de pousser avec une nouvelle vigueur le siège d'Acre, et de se répandre dans toute la contrée. Sur ces entrefaites arriva la flotte d'Egypte, commandée par Loulou, dont on connaissait le caractère entreprenant. Loulou s'ouvrit nu passage dans le port, emmenant avec lui un navire franc dont il s'était emparé, et rendit le courage aux assiégés. Ceux-ci étaient d'ailleurs rassurés par la jonction de Malet-Adel avec son frère, à qui il amenait des munitions de guerre et les troupes d'Egypte.

An 586 (1190). Saladin quitta Kharoubah, dans le dessein de venir arrêter les progrès des Francs…[59] Déjà ceux-ci avaient élevé, à peu de distance des murs de la ville, irais tours, hautes de soixante coudées ; c'était avec du bois qu'ils avaient fait venir des îles voisines. Les tours avaient plusieurs étages ; elles étaient garnies d'armes et de guerriers, et semblaient être à l'épreuve du feu, grâce aux peaux de bœufs, couvertes d'une argile délayée dans du vinaigre, qui en enveloppaient la surface. Mais les musulmans trompèrent la vigilance de ceux qui les défendaient ; ils mirent le feu à la première, la brûlèrent avec tout ce qu'elle renfermait, et firent successivement de même pour tes deus autres. Ce succès mit à l'aise les musulmans, qui commençaient déjà à désespérer du succès de leurs efforts. A la vérité il leur arrivait tous les jours de nouvelles troupes, de côtés différents ; mais comme on apprit, vers le même temps, la marche de l'empereur d'Allemagne (Frédéric Ier.), qui venait de traverser le canal de Constantinople, avec cent mille guerriers, les esprits étaient consternés, et tous paraissaient renoncer à l'espoir de conserver la Syrie. Heureusement Dieu envoya aux Allemands la famine et l’épidémie, qui en firent périr en route ta meilleure partie. Peu de temps après, l’empereur se noya dans une rivière de la petite Arménie, où il voulait se baigner ; sa mort mit la division dans l’armée ; une partie qui reconnaissait le fils aîné de Frédéric (Henri VI), rebroussa chemin pour retourner en Occident. L'autre partie suivit son second fils (Frédéric de Souabe) en Syrie ; mais ce jeune prince, quand il parut devant les murs d'Acre, n'avait pas plus de mille hommes avec lui. On ne put en cela méconnaître la main de Dieu, qui se déclarait pour les musulmans. Cependant des attaques partielles entre Saladin et les Francs ne discontinuèrent pas jusqu'au 20 de djoumada second (20 juillet). Ces derniers sortant enfin de leurs retranchements, infanterie el cavalerie, chassent devant eux Malek Adel et les troupes d'Egypte. Les musulmans reprennent bientôt courage, les chargent avec vigueur, en font un grand carnage, et les contraignent de rentrer dans leurs quartiers. Sans doute cette affaire eût été décisive, si des douleurs d'entrailles n'avaient en ce moment retenu Saladin dans sa tente. Mais quand c'est la volonté de Dieu, quel moyen d'en arrêter le cours !

Au fort de l'hiver, lorsque les vents soufflaient avec le plus de violence, les Francs renvoyèrent à Tyr les navires qui bloquaient le port d'Acre, crainte de quelque tempête. Cette circonstance laissa au sulthan les communications libres avec la ville ; aussi se hâta-t-il d'y introduire par mer des troupes fraîches, pour relever celles qui, jusque-là, avaient eu à soutenir les efforts des chrétiens. Mais comme il n'entra pas dans la ville, la moitié du monde qui en sortait, cette mesure ne fut d'aucun secours pour les assiégés.

An 587 (1191). Acre était entièrement cernée du côté de terre. Les chrétiens s'étaient de plus entourés d'un forge fossé, pour ôter à Saladin tout moyen de venir les inquiéter ; car, tout en pressant vivement la ville, ils étaient eux-mêmes étroitement resserrés par l'armée du sulthan ; leur ardeur croissait en raison du découragement de la garnison de la place, et de l'inutilité des efforts que faisait Saladin pour les contraindre à se retirer. Enfin, tout espoir étant perdu, la ville députa auprès des Francs l'émir Sayf’ eddin-Aly, pour demander à capituler, offrant en retour une somme d'argent elles prisonniers chrétiens qui étaient au pouvoir du sulthan. Ces conditions furent acceptées ; et le vendredi 17 de djoumada second (10 août), vers l'heure de midi, on vit les étendards de la croix flotter sur les murs de la ville. Les Francs prirent possession de tout ce qu'ils y trouvèrent, et enfermèrent les musulmans dans certains quartiers de la ville, comme garants des promesses que le sulthan avait faites de payer la somme convenue, et de livrer les prisonniers ainsi que le bois de la vraie croix. Un député s'étant présenté, de leur part, au sulthan pour lui demander l'exécution du traité, ce prince donna tout ce qui se trouvait en ce moment dans ses mains. Il désirait qu'en attendant on mît en liberté les Musulmans qui se trouvaient dans Acre ; mais les Francs, qui se jouaient des traités, refusèrent une si juste demande. Les prisonniers restèrent dans le même état ; bientôt même une grande partie de ces malheureux furent égorgés, et le reste gardé en lieu de sûreté.

Les Francs s'occupèrent d'abord de rétablir leur autorité dans Acre. Au commencement de Schaban (fin d'août), ils se mirent en mouvement, se dirigeant vers Césarée, toujours suivis et observés par l'armée musulmane. De Césarée, ils se rendirent à Arsouf ; là, il s'engagea un combat dans lequel les chrétiens chassèrent les musulmans de leurs positions, pénétrèrent jusqu'aux bagages, et tuèrent une partie des valets de l'armée. Les Francs marchèrent ensuite sur Japha, et la trouvèrent abandonnée. Ces pertes successives faisant craindre au sulthan le même sort pour Ascalon, il se décida à s'y rendre lui-même, la fît évacuer, puis ordonna de la raser entièrement. Aussitôt les mineurs s'attachèrent aux remparts de la ville ; et bientôt elle n'offrit plus qu'un monceau de ruines. Le sulthan animait les travailleurs par sa présence. Enfin le 2 de ramadhan (fin de septembre), quand il ne resta plus rien à détruire, il se rendit à Hamlah, dont il fit raser le château. C'est à cette même époque que Lidda vit son église abattue. Le sulthan, appelé à Jérusalem pour quelques mesures d'ordre, se trouva dès le 8 de retour dans son camp de Nathron. Il se fit sur ces entrefaites quelques ouvertures de paix entre Saladin et les Francs. Un parlait de marier Malek Adel son frère avec la sœur du roi d'Angleterre, et de lui donner Jérusalem en propriété avec Acre, qui aurait servi de dot à sa femme. Les prêtres y mirent obstacle par leurs prétentions ; ils voulurent que Malek Adel embrassât le christianisme, et la chose n'eut aucun résultat.

Le 3 de doulkaadah (3 décembre), les Francs se dirigent de Japha vers Ramlah. Il ne se passait pas de jours sans quelques combats entre les deux armées. Les embarras se multipliaient, et l'hiver vint encore ajouter aux difficultés de ta guerre. Pour ces motifs, et à cause du découragement général, le sulthan licencia ses troupes, et le 24 se rendit lui-même à Jérusalem, où il s'établit avec sa suite pour prendre quelque repos. Désirant cependant mettre à profit son séjour dans cette ville, il se mit à en réparer les fortifications, et à en ajouter de nouvelles. Les soldats charriaient les pierres ; le prince lui-même se trouvait à cheval au milieu d'eux pour les animer par son exemple. L'ardeur était grande ; car en un seul jour les ouvriers avaient assez de pierres pour travailler pendant plusieurs jours.

An 588 (janvier 1192). Au commencement de l'année, tandis que le sulthan se trouvait encore à Jérusalem, les Francs se mettent à relever les murs d'Ascalon.

Le marquis Conrad qui commandait dans Tyr, est assassiné par des Bathéniens qui s'étaient travestis en moines pour s'introduire plus aisément dans la ville.

Une des causes premières de la paix, ce fut une maladie du roi d'Angleterre et l'ennui d'une guerre si longue. Ce prince s'adressa à Malek Adel pour faire parvenir à son frère des propositions de paix ; elles furent d'abord rejetées ; mais sur les représentations des émirs qui soupiraient après le repos, qui d'ailleurs étaient au bout de leurs ressources, le sulthan accéda à ces propositions. Le traité fut conclu un samedi 18 de schaban (fin d'août), et juré le mercredi 22. Le roi d'Angleterre refusa de jurer, prétendant que les rois ne font pas de serment. Le sulthan n'insista pas davantage, et l'on se contenta de lui prendre la main en signe d'engagement : Biais le comte Henri (de Champagne), neveu du roi et son lieutenant en Palestine, fit le serment, ainsi que les principaux seigneurs francs. Le fils d'Humfroy et Balyan (d’Ybelin) furent choisis, avec plusieurs officiers, pour aller recevoir la parole du suit ban. Quant à Malek Adel et aux deux princes Afdhal et Dhaher, ils firent le serment, ainsi que Malek Mansour, prince de Hanjah, Schyrkouh, prince d'Emesse, Bahram schah, prince de Baalbek, les princes de Tell-Bascher et de Schayzar, les émirs et les officiel les plus marquants. La paix se faisait par mer et par terre pour trois ans et trois, mois, à partir du mois d'Eloul, c'est-à dire, le 21 de chaban (septembre). Par ce traité, les Francs restaient en possession de Japha, Césarée, Arsouf, Hayfa, Acre et leurs territoires. Une autre clause portait qu'Ascalon serait entièrement rasée. Le sulthan obtint de foire comprendre dans le traité le pays des Ismaéliens ; les Francs obtinrent la même faveur pour le prince d'Antioche et de Tripoli. Lidda et Ramlah devaient rester par moitié entre les chrétiens et les musulmans. Telles furent les bases du traité.

Le 4 de ramadan (milieu de septembre), le sulthan se rendit à Jérusalem pour s'assurer par lui-même de l'état de la ville. C'est en cette occasion qu'y ordonna d'en fortifier les murailles, et qu'il augmenta la dotation du collège qu'il venait d'y fonder. Bans les temps qui précédèrent l'islamisme, la maison où l'on avait établi le collège portait le nom de Sainte-Anne, parce que, à en croire la tradition, la mère de Marie y avait reçu la sépulture. Au moment où les musulmans entrèrent dans la ville, cet édifice fut consacré à l'instruction publique. Les Francs, il est vrai, en arrivant en Palestine en 492 l'avaient rendue au culte : mais Saladin en fit de nouveau un collège, dont il donna la direction, ainsi que, des biens qui y étaient affectés, à Boha eddin.[60]

Saladin, en exécution du traité, envoya cent mineurs achever de détruire Ascalon, et réussit par-là à déloger les Francs qui s'y étaient établis. Il se disposait à cette époque à faire un pèlerinage à la Mekke ; son intention était de prendre l’Ihram à partir de Jérusalem même.[61] Déjà il avait écrit à ce sujet à son frère Sayf’ elislam, prince de le Yémen ; mais il renonça à ce dessein sur les remontrances des émirs, qui lui représentèrent avec beaucoup de force le peu de compte qu'il fallait faire du traité de paix, et tout ce qu'on avait à craindre de la perfidie des Francs. Le 5 de schowal (milieu d'octobre), il partit de Jérusalem pour se rendre à Naplouse, de là à Beyssan, puis à Kaukab, où il passa la nuit dans la citadelle ; enfin à Tibériade. C'est là qu'il eut une entrevue avec l'émir Karacousch, qui venait de recouvrer la liberté, après être resté entre les mains des Francs tout te temps qui s'était écoulé depuis leur entrée dans Acre. Karacousch accompagna le sulthan jusqu'à Damas, et se rendit de là en Egypte. Quant au sulthan, il entra, un samedi 21 (commencement de novembre), dans Béryte, où Bohémond, prince d'Antioche, vint lui faire sa cour. Le sulthan lui fit un accueil distingué, et le quitta le lendemain : il arriva enfin à Damas un mercredi 25. Les habitants, qui depuis quatre ans étaient privés de sa présence, le reçurent avec de grandes démonstrations de joie. Ce prince donna congé aux troupes, et s'appliqua à faire fleurir la justice et les bienfaits de la paix au milieu de ses peuples.

Mort de Saladin.

An 589 (1193). Au commencement de l'année, Saladin se trouvait dans l'état le plus prospère à Damas : il fit avec Malek Adel une absence de quinze jours pour jouir du plaisir de la chasse. A leur retour dans la ville, son frère le quitta pour se rendre dans sa principauté de Carac, sans savoir qu'il le quittait pour toujours. Le vendredi 15 de safar (21 février), le sulthan monta à cheval pour aller à la rencontre des pèlerins qui arrivaient d'Arabie. Son usage était, quand il montait à cheval, d'avoir sur lui une espèce de cuirasse de cuir ou de lin. Ce jour-là il l'oublia.

Cependant une foule considérable s'était portée sur le même point, soit pour voir arriver les pèlerins, soit à cause de la présence du sulthan. Le prince, en les voyant venir, versa des larmes d'attendrissement, se reprochant de n'avoir pu partager leur bonheur. Après la cérémonie, Saladin rentra dans la citadelle. Le samedi 16, il se sentit un engourdissement extraordinaire. La nuit suivante, il eut un accès de fièvre bilieuse, et la maladie prit un caractère plus grave. Le quatrième jour il fut saigné ; et dès-lors son état ne cessa d'empirer. Le neuvième, il fut saisi d'un tremblement général accompagné de délire, de sorte qu'il ne fut pas possible de lui faire prendre aucun remède. Cependant la nouvelle de la maladie du sulthan avait mis toute la ville en rumeur : la douleur et ta consternation étaient peintes sur tous les visages ; les marchands cachaient leurs marchandises, et l’on chercherait vainement à peindre l'état où tout se trouvait alors.

Le douzième jour, c'est-à-dire la nuit qui précéda le 27, le sulthan se trouva à l’extrémité. L'imam de la mosquée de la Kellasseh monta à la citadelle pour passer la nuit auprès de lui, et ne le quitta pas jusqu'à ses derniers moments. Saladin expira le lendemain mercredi après la prière du matin. Il fut lavé par le khatyb de Damas. Le même jour on procéda à la levée du corps ; il fut placé dans une bière couverte, et l'on s'assura si les étoffes qui devaient servir à l'ensevelir provenaient d'un argent légitimement acquis. Le même jour, après les prières d'usage, il fut enterré dans la citadelle, au lieu même où il était mort. Son fils Malek Afdhal reçut les compliments d'usage, et n'oublia rien pour tranquilliser les esprits. « Tous les cœurs, dit Boha' eddin, étaient absorbés dans la douleur ; tous les yeux étaient mouillés de larmes, et l'affliction fut si générale, qu'on oublia de piller la ville.[62] » Malek Afdhal fit construire plus tard à son intention un tourbeh (mausolée[63] auprès de la grande mosquée, sur l'emplacement d’une maison qui avait appartenu à un homme de bien. Trois ans après (592), il y fit transférer le corps de son père, marchant lui-même à pied à la tête du convoi, depuis la maison où il avait rendu l'âme jusqu'au lieu préparé pour cette destitution. Les prières finies, le corps fut mis en terre, et Malek Afdhal se relira dans le palais, où il reçut pendant trois jours les compliments de condoléance. Sitt'alseham, sœur de Saladin, distribua en cette occasion des sommes considérables aux pauvres.

Saladin était né à Tegrit sur le Tigre, et mourut âgé de 57 ans (lunaires), après avoir régné vingt-quatre ans sur l'Egypte, et environ dix-neuf ans en Syrie. Saladin, en mourant, ne laissa dans son trésor que quarante-sept pièces d'argent[64] (trente francs environ). C'était là tout ce qui lui restait des revenus de l'Egypte, du Yémen, de la Syrie, et d'une partie de la Mésopotamie : dans un tel prince, c'est nécessairement une preuve d'un excès de libéralité, puisqu'il ne laissait d'ailleurs ni maison, ni rien en propre.

Jamais Saladin ne différa d'un instant de s'acquitter de la prière ; jamais il ne s'en acquitta qu'en compagnie. Quand il formait une entreprise, il s'en remettait à la Providence, sans voir dans certain jour plus de vertu que dans un autre.

Ses mœurs étaient douces ; il supportait facilement la contradiction, et montrait beaucoup d'indulgence pour les fautes de ceux qui le servaient. Si quelque propos blessait son amour propre, il n'en faisait rien connaître, et n'en faisait pas plus mauvais visage à celui qui l'avait tenu. Un jour qu'il était assis chez lui, un de ses mameluks jeta violemment sa bottine à la tête de son camarade. La bottine, au lieu d'aller le frapper, vint tomber tout auprès du sulthan ; peu s'en fallut qu'il n'en fût atteint. Eh bien ! ce bon prince détourna la tête, comme pour ne pas s'en apercevoir. Sa conversation était réservée ; son exemple inspirait la même retenue aux autres, et personne en sa présence n'aurait osé déchirer l'honneur du prochain.

Avec Saladin, dit Emad eddin son secrétaire, moururent les grands hommes, avec lui disparurent les gens de mérite ; les bienfaits passèrent de mode, les méchants se trouvèrent à l'aise ; toute idée de bonheur s'effaça, la terre se couvrit de ténèbres, le siècle eut à pleurer son Phénix, et l'islamisme perdit son soutien.

Saladin laissait dix-sept fils et une fille. Malek Afdhal, l'aîné de ses fils, gouvernait la principauté de Damas du vivant de ton père, et s'y maintint après sa mort. Ses autres provinces, qu'il avait partagées à ses enfants et aux membres de sa famille, leur furent également conservées, à condition toutefois de reconnaître la suprématie de Malek Afdhal. Malek Aziz conserva l'Egypte, et Malek Dhaher Alep. Malek Adel, frère de Saladin, eut en partage Carac, Schaubek, et une partie de la Mésopotamie. Hamah, Salamyeh, Maarrah, Manbedj et la forteresse de Nedjm, restèrent entre les mains de Malek Mansour, fils de Teki Eddin Omar. Baalbek échut en partage à Bahramschah, fils de Ferukh schah, neveu de Saladin. Emesse, Rahabeh et Palmyre devinrent l'apanage de Schyrkouh, petit-fils de l'émir du même nom, qui s'était illustré par la conquête de l'Egypte. Bosra fut abandonnée à Khedher, fils de Saladin. Les châteaux et les places qui restaient encore, furent cédés à des émirs et à des généraux.

Cependant Malek Afdhal ne larda pas, par ses imprudences, à s'aliéner le cœur des-émirs de son père. Pousses à bout, ils se retirèrent en Egypte, et suggérèrent à Malik Aziz la pensée de s'y rendre tout-à-fait indépendant.

An 590 (1194). La guerre éclata entre les deux frères. Déjà Malek Aziz était arrivé avec une armée sous les murs de Damas, lorsque les autres princes de la famille de Saladin vinrent interposer leur médiation et rétablirent la paix.

An 591 (1195). Malek Aziz marcha une seconde fois sur Damas ; mais bientôt abandonné d'une partie de ses troupes, il fut contraint de regagner précipitamment l'Egypte. Aussitôt Malek. Afdhal et Malek Adel marchèrent de concert à sa poursuite. Arrivés sous les murs de Belbeys, le sulthan de Damas proposait d'accabler un corps de troupes égyptiennes qui s'étaient enfermées dans la ville, ou bien de marcher droit sur la capitale, pour subjuguer tout le pays d'un seul coup. Son oncle tâchait de modérer son ardeur, en lui faisant accroire que cette proie ne pouvait plus lui échapper. Pendant ce temps, il écrivait secrètement à Malek Aziz, pour l'engager à recourir, dans cette circonstance, à la médiation du cadi Fadhel, qui vivait alors dans la retraite, dégoûte des affaires par l'indigne conduite des fils de Saladin. Fadhel vint à bout d'assoupir ces querelles, Malek Adel s'arrêta en Egypte pour y rétablir l'ordre, et Afdhal s'en retourna à Damas.

An 592 (1196). Comme le désordre allait toujours croissant en Syrie, le prince égyptien et son oncle crurent l'occasion favorable pour s'en rendre les maîtres. Malik-Adel devait se réserver le royaume de Damas, à condition d'en faire hommage à son neveu, comme véritable et unique héritier de Saladin. Tout étant ainsi convenu, ils marchèrent avec leurs troupes sur Damas, et s'en emparèrent sans peine, grâces à leurs intelligences avec une partie des officiers qui devaient la défendre. Malek Afdhal reçut en compensation la ville de Sarkhod, et Kheder, qui s'était enfermé dans les murs de Damas pour soutenir son frère, fut dépouillé de sa principauté de Bosra.

An 594 (1198). Un grand nombre de guerriers francs arrivent en Syrie ; [65] les chrétiens, se voyant en force, vont s'emparer du château de Béryte. Malek Adel se dispose à les attaquer, et vient camper à Tell-Adjoul, dans le voisinage de Gaza. Dès qu'il eut été joint par les secours qui venaient d'Egypte, de Jérusalem, de Naplouse, etc., il se dirigea vers Japha, y entra de force, et passa la garnison au fil de l'épée. Cependant les Francs venaient d'attaquer Tebnyn (c'est le château que les chroniques latines appellent Thoron). Aussitôt Malek Adel envoya réclamer l'appui du sulthan d'Egypte. Ce prince arriva précipitamment avec tout le reste de ses troupes, et opéra sa jonction avec son oncle devant Tebnyn. Les assiégeants, abattus par l'arrivée de ces nouvelles forces, se retirèrent précipitamment dans la ville de Tyr. Malek Aziz, rassuré par cette retraite, reprit le chemin de l'Egypte, laissant à son oncle la meilleure partie de ses troupes et ses pleins pouvoirs pour traiter de la guerre et de la paix. Le grand Sanker, qui commandait dans Jérusalem, étant mort sur ces entrefaites, le sulthan d'Egypte lui donna pour successeur Sarem ed-din-Kothlok, ancien mamelouk de son cousin Ferokh schah. Au retour de Malek Aziz en Egypte, les poètes célébrèrent la gloire qu'il venait d'acquérir. Voici deux vers faits en cette occasion :

« La victoire et le butin sont attachés à tes pas : c'est là l'escorte d'un général plein de gloire.

» C'est à toi que Joseph a confié sa chemise ; le sang qui en découle en atteste suffisamment l'origine.[66] »

Cependant Malek Adel, en temporisant à propos, mit les Francs dans la nécessité de demander la paix. Elle fut convenue pour trois ans, après quoi Malek Adel retourna à Damas.

An 595 (1198-9). Mort de Malek Aziz, au mois de Moharram (fin de novembre), à l'âge de vingt-sept ans. Comme Malek Mansour Mohammed, son fils, était en bas âge, les principaux émirs appelèrent Malek Afdhal en Egypte, pour gouverner, en son nom, en qualité d'atabek. Afdhal accourut en Egypte, et prit possession de la régence. Dans ce temps-là Malek Adel était occupé au siège de Maridin. Afdhal, croyant l'occasion favorable pour rentrer en possession de Damas, marcha en grande hâte sur cette ville, en ayant soin d'avance de se concerter avec son frère Dhaher, qui commandait dans Alep. A cette nouvelle, Malek Adel laissa le soin de continuer le siège à Malek Kamel, son fils, et s'avança vers Damas avec tant de célérité, qu'il y précéda de deux jours l'arrivée des princes confédérés.

An 596 (1199). Damas était serrée de très près par les deux frères ; tout annonçait sa prise prochaine, lorsque la discorde força les deux princes à se retirer. Afdhal reprit le chemin d'Egypte ; comme on était alors au commencement de l'hiver, une partie de son armée se débanda pour revenir au printemps. Malek Adel étant arrivé sur ces entrefaites, n'eut pas de peine à battre les troupes qui étaient restées. Le vainqueur marcha aussitôt sur le Caire, et força son neveu à lui en ouvrir les, portes, sous la fausse promesse de lui donner en échange Samosate, Mayyafarikîn, etc. Afdhal revint tout confus à Sarkhod ; son oncle s'empara des affaires, d'abord comme atabek du jeune Malek Mansour, et bientôt comme véritable souverain de l'Egypte. Dans le même temps, Malek Dhaher lui envoyait prêter hommage pour sa principauté d'Alep, avec promesse de tenir cinq cents hommes de ses meilleures troupes toujours prêts pour son service. (Ainsi furent réunies entre les mains de Malek Adel toutes les provinces de l'empire fondé par Saladin).

An 599 (1203). Malek Mansour, prince de Hamah, s'enferme dans Barin, afin d'observer les mouvements des Francs.

Comme ceux-ci venaient pour l'y assiéger, Bahram schah, prince de Baalbek, et Schyrkouh, prince d'Emesse, furent chargés par Malek Adel de voler à sa défense. Eu effet, les Francs marchaient sur Barin avec toutes les forces qu'ils avaient dans Tripoli, le château des Kurdes et leurs autres places. Une action s'engagea ; ils furent mis en déroute, laissant un grand nombre de leurs guerriers prisonniers.

Le 21 de Ramadhan (commencement de juin), dix-huit jours après cette brillante journée, les hospitaliers de Markab et du château des Kurdes, joints à d'autres corps francs du pays, livrèrent un second combat au prince de Hamah, qui était toujours à Barin. Les musulmans obtinrent une victoire complète, et tuèrent ou prirent un grand nombre de chrétiens.

An 600 (1203-4). Paix entre Malek Mansour et les Francs.

Le fils de. Léon (ou Lifou), prince de la Petite-Arménie, marche sur Antioche ; mais sur la nouvelle que Malek Dhaher, prince d'Alep, s'était déjà avancé jusqu'à Harem, pour venir à sa rencontre, il revient sur ses pas.

Les Francs ayant fait mine de tenter une attaque sur Jérusalem, Malek Adel partit de Damas pour réunir ses troupes, et vint se placer près du Mont-Thabor, en face des positions occupées par les Francs, où il les tint en échec jusqu'à la fin de l’année.

Une flotte chrétienne s'empare de Fouah (en Egypte, sur la branche du Nil qui passe à Rosette), et livre, pendant cinq jours, cette ville au pillage.

Un tremblement de terre fait de grands ravages en Egypte, en Syrie, en Mésopotamie, dans l'Asie mineure, en Chypre, dans l'Irak et jusqu'en Sicile ; les remparts de Tyr s'écroulent au milieu des secousses.

An 601 (1204-5). En vertu d'un traité conclu entre Malek Adel et les Francs, ceux-ci rentrent en possession de Japha, ainsi que de Lidda et de Ramlah, occupés auparavant l'une et l'autre, moitié par les chrétiens, et moitié par les musulmans. Après la conclusion du traité, Malek Adel donne congé à ses troupes, et se rend en Egypte.

Les Francs se jettent ensuite sur le territoire de Hamah, et poussent leurs courses jusqu'au village de Rakytha ; ils répandent la désolation dans la contrée, et s'en retournent avec un grand nombre de prisonniers ; mats bientôt la paix fut conclue avec cette ville, et tout rentra dans le calme.

An 603 (1206-7). Malek-Adel, en se rendant d'Egypte à Damas, fit mine d'attaquer Acre. Les habitants, pour conserver la paix, livrèrent tous les prisonniers musulmans qui étaient dans la ville. Arrivé à Damas, le sulthan en partit près du lac de Kedès, dans les environs d’Emesse, où ses troupes avaient ordre de se réunir. Dès que le mois de Ramadhan (fin d’avril) fut expiré, il alla attaquer le château des Kurdes puis s'empara de la tour d'Anaz, où il trouva de l'argent, des armes et cinq cents chrétiens ; enfin il entreprit le siège de Tripoli, fit jouer ses machines contre les murailles, détruisit les aqueducs qui conduisaient l'eau dans la ville, mit tout le pays à fou et à sang, après quoi il retourna au lac de Kedès.

An 604 (1207). Ce prince s'y trouvait encore, lorsque le comte de Tripoli conclut une trêve avec lui.

An 609 (1212). Malek-Adel fait construire une forteresse sur le Mont-Thabor ; les soldats et les ouvriers, réunis de différents côtés, y travaillèrent jusqu'à ce que l'ouvrage fût conduit à son entière perfection.[67]

An 613 (1216). Mort de Malek Dhaher, prince d'Alep, à l'âge de quarante-quatre ans. Il laissait deux fils, dont l'un, Malek Aziz ; lui succédait, à peine âgé de deux ans ; le second, Malek Saleh, avait déjà atteint sa douzième année.

An 614 (1217-8). Les Francs partent en foule de l'Occident, et viennent par mer à Acre. A cette nouvelle, Malek Adel se met en marche de l'Egypte, et vient prendre position à Naplouse. Aussitôt les Francs marchent à sa rencontre, et le contraignent, par la supériorité de leurs forces, à se retirer devant eux, jusque sur la colline d'Afyk. Les Francs eurent alors le champ libre, et répandirent la désolation dans tous les pays musulmans, jusqu'à Nowa, dans le Souad, qui fait partie du territoire de Damas ; tout le pays compris entre Beyssan et Naplouse fut mis à feu et à sang ; ils tuèrent ou prirent une incroyable quantité de musulmans ; après quoi, ils revinrent sous les murs d'Acre. Ce fut surtout pendant le jeûne du mois de ramadhan (novembre et décembre), que leurs attaques furent plus vives. Malek Adel vint ensuite camper dans la plaine de Saffar ; les Francs en profitèrent pour attaquer la forteresse qu'il venait de construire sur le Mont-Thabor ; puis ils y renoncèrent, et se trouvaient de retour à Acre avant la fin de l'année.

An 615 (1218-9). Au commencement de l'année, Malek Adel était campé dans la plaine de Saffar, et les Francs étaient réunis sous les murs d'Acre. Les chrétiens passèrent ensuite en Egypte, dans l'intention d'assiéger Damiette. Malek Kamel, qui gouvernait l'Egypte en l'absence de son père, accourut à la défense de cette ville, et tint quatre mois les Francs en échec. Pendant ce temps-là, Malek Adel envoyait successivement à son fils les troupes de Syrie qui étaient disponibles. Quand Malek Kamel vit réunies auprès de lui des troupes suffisantes, il prit l'offensive, dans l'espoir de chasser les Francs du pays.

Malek Adel quitte ensuite la plaine de Saffar, et vient camper à Alekyn, non loin de la colline d'Afyk ; c'est là qu'il fut surpris par la mort à l'âge de soixante-quinze ans (lunaires), Ce prince avait des mœurs douces, et vit toutes ses entreprises couronnées du succès ; son règne fut surtout remarquable par un bonheur domestique, jusque-là inconnu dans les fastes de la royauté ; car, pour ne pas compter les filles, il laissait seize fils, dont plusieurs déjà illustrés par des victoires, ou éprouvés dans l'administration des provinces. Comme aucun d'eux ne se trouvait alors auprès de leur père, Malek Moadham accourut de Naplouse, transporta son corps à Damas, avec les mêmes précautions que s'il eût été encore en vie, et s'empara des ressources et des trésors amassés sous son règne. C'est après son arrivée à Damas que Malek Moadham se fit prêter serment par les habitants de la ville, qui n'apprirent qu'alors la mort de Malek Adel. Quand cette nouvelle arriva en Egypte, Malek Kamel, qui était virement pressé par les Francs, en fut tout-à-fait consterné ; les troupes se mutinèrent, elle tumulte qui s'ensuivit le mit dans la nécessité d'abandonner ses positions. Un certain émir, nommé Emad eddin Ahmed, qui commandait un corps considérable de Kurdes, était alors dans l'armée ; enhardi par l'insubordination d'une partie des troupes, il conçut le dessein de renverser Malek Kamel. Cette révolution ne pouvait s'opérer qu'à l'aide de la confusion générale. Le désordre fut bientôt à son comble ; si bien que ce prince pensait déjà à renoncer au trône et à se retirer en Yémen ; heureusement que Malek Moadham, en apprenant cette nouvelle, accourut auprès de son frère, chassa du camp le chef de la révolte, et parvint à faire renaître le calme dans les esprits. Mais les Francs, pendant ce temps-là, avaient redoublé d'efforts contre Damiette, et cette ville se trouvait affaiblie, à la suite des troubles qui venaient d'avoir lieu.

An 616 (1219-20). Au commencement de l'année les Francs étaient encore sous les murs de Damiette, la serrant toujours de plus près. Le sulthan d'Egypte, sans les perdre un moment de vue, écrivait lettres sur lettres à ses frères pour réclamer leur secours.

Malek-Moadham, qui commandait en Syrie, voyant les Francs si acharnés, craignit qu'après la prise de Damiette ils ne vinssent attaquer Jérusalem, dont Saladin avait fait une place forte, et qu'il ne lui fût pas possible de les empêcher d'y entrer. Il envoya donc des détachements de carriers et de mineurs pour abattre les murs de cette ville, et forcer une partie des habitants à l'évacuer.

Les Francs ne laissèrent pas de relâche à Damiette jusqu'à ce qu'elle fût prise le 10 de ramadhan (novembre). Les habitants furent massacrés ou faits prisonniers, et la grande mosquée convertie en église. Ce succès releva les espérances des Francs, qui se crurent déjà les maîtres de l'Egypte. Quant au sulthan, il prit position au point de séparation des deux branches du Nil, dont l'une a son embouchure à Damiette, et l'autre à Aschmoun Thenah ; son armée s'y logea, et donna ainsi naissance à la ville de Mansourah.

Jamais année ne fut plus désastreuse pour l'islamisme. Tandis que Damiette tombait sous les coups des Francs et voyait ses habitants victimes de la rage des vainqueurs, les Tartares, sous la conduite de Gengis-Khan, commençaient leurs sanglantes expéditions contre les états musulmans de l'Asie.

An 617 (1220-1). Le prince de Damas se jette sur les terres des Francs en Syrie. Il s'empare de Césarée, la rase, et va ensuite attaquer Atlit.[68]

An 618 (1221). Après la prise de Damiette, les Francs crurent marcher à la conquête de toute l'Egypte. Ils étaient partis en conséquence de cette ville se dirigeant sur le Caire. Arrivés en force de Mansourah, on se battit de part et d'autre avec acharnement, tant sur terre que sur le fleuve. Le sulthan n'avait cessé de solliciter des secours auprès de ses frères et des princes de sa famille. Le prince de Damas se concerta avec son autre frère Malek Aschraf, prince de Harran, et avec Malek Nasser qui venait de succéder à Malek Mansour son père, dans la principauté de Humab. Bahram schah, prince de Baalbek, et Schyrkouh, prince d'Emesse, réunirent aussi leurs forces, et tous arrivèrent ensemble au camp musulman de Mansourah. Le sulthan vint à la rencontre de ses frères, et prodigua les égards et les honneurs aux princes qui s'étaient joints à eux. L'arrivée de ces forces releva l'espoir des musulmans et jeta l'abattement dans le cœur des chrétiens. Les efforts redoublèrent dès ce moment. Cependant le sulthan, de concert avec ses frères, ne cessait de réitérer ses propositions aux Francs. Il leur abandonnait Jérusalem, Ascalon, Tibériade, Laodicée, Djibleh, et toutes les autres places ; que Saladin avait soumises à l'islamisme, à l'exception de Schaubek et de Carac. Il demandait en retour que les Francs consentissent à rendre Damiette et à évacuer le pays. Les Francs furent intraitables ; ils exigeaient une somme de 300.000 écus d'or, en indemnité pour la reconstruction des remparts de Jérusalem qui avaient été récemment abattus. Ils voulaient d'ailleurs se faire céder les deux places de Carac et de Schaubek. On était encore occupé de ces négociations, lorsqu'un corps musulman passa secrètement sur le terrain situé entre Mansourah et Damiette, près du canal de Mehalleh, et fit une saignée au fleuve. Le Nil était alors au plus haut point de la crue, sans que les Francs sussent rien de ses débordements annuels ; l'eau s'épancha aussitôt par la saignée et inonda la contrée qui séparait Damiette du camp des chrétiens. Leurs communications avec cette ville se trouvèrent interceptées ; les approvisionnements ne purent plus leur parvenir, et bientôt ils se trouvèrent en proie à la plus horrible famine. Il fallut demander la paix en suppliant, et, pour l'obtenir, sacrifier Damiette et renoncer aux offres avantageuses que le sulthan avait d'abord proposées. Les Francs avaient avec eux des seigneurs fort puissants, au nombre de plus de vingt. Dans le conseil du sulthan, ceux qui inclinaient à la guerre, proposèrent de se les faire livrer, et de mettre ensuite pour prix de leur délivrance, la reddition de toutes les places que les chrétiens possédaient encore en Syrie, telles que Acre et autres ; mais l'avis contraire prévalut, à cause de la longueur de cette guerre qui se continuait depuis plus de trois ans et à cause de l'épuisement général. La demande des Francs fut donc accueillie. Ceux-ci ayant réclamé des otages ; le sulthan leur remit son fils Malek Saleh, alors âgé de 15 ans. Les Francs, de leur côté, envoyèrent le commandant d'Acre et d'autres seigneurs, ainsi que le légat du pape qui réside dans Rome-la-Grande. Ceci se passait le 7 de redjeb (fin d'août). Le sulthan admit les otages chrétiens en sa présence, les reçut en cérémonie, et sut donner beaucoup d'éclat à cette solennité par le concours de ses frères et des officiers de sa maison. Damiette fut remise le 19, avec toutes les fortifications nouvelles que les Francs y avaient élevées, et les poètes eurent là un beau champ pour célébrer les hauts faits du sulthan. Quelques jours après le sulthan fît en grande pompe son entrée dans la ville, accompagné de ses frères et de sa maison. Il donna ensuite congé à ses alliés, et se mit en marche pour le Caire.

An 623 (1226). Le prince de Damas fait alliance avec Gelal’ eddin, sulthan des Kharismiens, qui faisait alors la guerre dans la Géorgie et dans l'Arménie.

An 624 (1227). Quand le sulthan d'Egypte fut instruit des intelligences de son frère avec le sulthan des Kharismiens, il craignit de succomber sous des forces aussi formidables. Afin de déjouer les projets de son frère, il écrivit à l'empereur Frédéric, chef des Francs, pour l'engager de venir à Acre. Ce prince se laissa facilement persuader, d'après l'engagement du sulthan, de lui céder Jérusalem. Malek Moadham mourut peu de temps après à l'âge de quarante-neuf ans. Son fils Malek Nasser Saladin Daoud lui succéda dans la principauté de Damas.

An 625 (1228). Le sulthan d'Egypte jugeant l'occasion favorable, envoya demander à ce jeune prince la forteresse de Schaubek. Sur son refus, il se rendit lui-même à Tell-Adjoul, d'où il envoya occuper Jérusalem, Naplouse, et autres places appartenant à son neveu. Dans cette circonstance celui-ci eut recours à son oncle Malek Aschraf. L'oncle accourut en effet de la Mésopotamie ; mais avec des vues bien différentes : car, en vertu d'un accord qu'il avait fait secrètement avec le sulthan, il devait se mettre lui-même en possession de la principauté de Damas, jusqu'à la colline d'Afyk ; le pays qui était en deçà de ce lieu (la partie méridionale de la Syrie), devait être cédée au sulthan, et Malek Nasser Daoud devait recevoir en indemnité Harran, Édesse, et les autres places occupées par Aschraf en Mésopotamie. Il fut aussi réglé que la principauté de Hamah serait retirée des mains de Malek Nasser, et donnée à son frère Malek Modhaffer.

L'empereur arrivait sur ces entrefaites à Acre avec ses troupes. Pour presser son départ, le sulthan lui avait envoyé l'émir Fakhr eddin (celui que nous verrons à la tête de l'armée musulmane au moment de la descente de St. Louis en Egypte). C’était dans l'espoir d'opposer l'empereur à Malek Moadham ; mais comme celui-ci venait de mourir, sa démarche tourna contre lui : car l'empereur en débarquant à Acre se dirigea incontinent sur Tyr, et bien que cette ville fût occupée également par les chrétiens et les musulmans, et qu'en vertu des traités elle dût rester démantelée, il en fit sa propriété, et ordonna d'en relever les murailles. Le reste de l'année se passa en ambassades réciproques entre les deux princes. Le titre d'empereur équivaut, chez les Francs, à ce que nous appelons le chef des émirs : car il faut bien se garder de croire que ce fût le nom du prince Franc. Il s'appelait Frédéric. Ses états comprenaient la Sicile, ainsi que la Lombardie et la Pouille. « Je connais ce pays, dit le cadi Djémal eddin, [69] je l'ai parcouru en partie lors de ma mission auprès du souverain de cette contrée, sous Bibars Bendocdar. L'empereur s'était fait remarquer entre ton les princes Francs par ses belles qualités et un goût prononcé pour la philosophie, la dialectique et la médecine. Son inclination le portait vers l'islamisme, parce qu'il avait passé sa jeunesse en Sicile, où les habitants sont pour la plupart musulmans. »

An 626 (1228-9). Malek Kamel et Aschraf, son frère, pensèrent enfin à réaliser le plan qu'ils avaient précédemment concerté. Tandis qu'Aschraf assiégeait Malek Nasser dans Damas, le sulthan était occupé de satisfaire aux demandes de l'empereur. Celui-ci faisait le difficile, il fallut lui abandonner Jérusalem, à condition pourtant qu'il n'en relèverait point les murailles, et qu'on n'apporterait aucun obstacle au libre exercice du culte musulman dans la chapelle de la Sakhrah, et dans le reste de la mosquée Alaksa. Dans les hameaux des environs l'autorité devait rester concentrée entre les mains des musulmans. Enfin les chrétiens ne pouvaient pas dépasser les villages qui mènent d'Acre à Jérusalem. Telles furent les conditions du traité qui fut juré de part et d'autre. C'est au mois de rebi second (commencement de mars) que l'empereur prit possession de Jérusalem. Quand Malek Nasser apprit les bases du traité, il n'oublia rien pour en dévoiler la honte aux yeux des musulmans ; il y était d'autant plus porté qu'elle devait rejaillir tout entière sur son oncle, qui le tenait, dans ce moment, enfermé dans Damas. Il y avait alors dans la ville un prédicateur éloquent qui était l'idole de la multitude ; le prince le fit venir et lui montra la gloire qu'il allait acquérir si, en présence du peuple assemblé, il célébrait les précieux avantages qui relèvent le rang de la ville sainte, et déplorait la tache imprimée sur le nom musulman par l'abandon de Jérusalem aux chrétiens. Cet homme n'oublia rien pour se surpasser. Il débita d'un ton pathétique une pièce d'éloquence, où l'on remarquait ce vers d'un poète :

« Ces salles qui naguère retentissaient des paroles du prophète, sont maintenant désertes ; ce lieu, séjour chéri des vérités révélées, gît maintenant sous ses ruines. »

Ce discours fit un grand effet. Les assistants fondaient en larmes sans pouvoir modérer leur douleur. Mais comme Malek Kamel était enfin libre de toute inquiétude du côté de l'empereur, il vint en personne sous les murs de Damas, et força les habitants à en ouvrir les portes.

An 627 (1229-30). Les Francs du château des Kurdes tentent une attaque sur Hamah. Le nouveau prince de cette Ville, Malek Modhaffer, vient à leur rencontre, les joint au village d'Afyoun entre Hamah et Barin, et les met dans une déroute complète. Modhaffer rentre triomphant dans Hamah.

An 634 (1237). Mort de Malek Aziz, prince d'Alep, à l'âge de vingt-trois ans. Son fils Malek Nasser Youssouf lui succède, à peine âge de sept ans.

Les troupes d'Alep marchent contre Bagras, sous la conduite de Malek Moadham Touran schah, fils de Saladin. Cette place que Saladin avait détruite de fond en comble, avait été entièrement rebâtie par les Templiers. Les musulmans étaient sur le point de s'en rendre maîtres, lorsqu'à la suite d'un arrangement conclu avec le prince d'Antioche, ils durent se retirer. Tandis qu'ils retournaient à Alep, ils surprirent un corps de guerriers Francs qui avait jeté la terreur dans le faubourg de Derbesak, compris à cette époque dans le territoire d'Alep. Les musulmans en firent un grand carnage, firent beaucoup de prisonniers, et obligèrent le reste à prendre la fuite. Ils rapportèrent, comme trophée de cette brillante journée, les têtes de ceux qui avaient été tués dans le combat.

Malek Saleh qui gouvernait, au nom de Malek Kamel son père, les villes de Hisn-Kaifah, de Harran, d'Amide, et autres villes de la Mésopotamie, prend à son service les bandes de Kharismiens qui avaient fait la guerre sous Gelad’ eddin Mankberni. Ces barbares, après le meurtre de ce conquérant (en 629), s'étaient d'abord livrés à Kaikobad, prince Seldjoukide de l'Asie Mineure. Sous son fils Kaikhosrou, un de leurs principaux chefs ayant été mis en prison, ils s'enfuirent de l'Asie Mineure en dévastant tout ce qui se trouvait sur leur passage, et vinrent offrir leurs services à Malek Saleh, qui les accepta avec l'agrément de son père.

An 635 (1237-8). Mort de Malek Aschraf, prince de Damas, sans enfant mâle, à l'âge de soixante ans (lunaires). Malek Saleh Ismaël, son frère, lui succède conformément à ses dernières volontés. Aussitôt il cherche à liguer tous les princes voisins contre le sulthan, son frère, qu'on soupçonnait de vouloir réunir toute la Syrie à ses autres états. En effet, à peine celui-ci avait-il appris la mort d'Aschraf, qu'il s'était mis en marche pour se rendre maître de Damas. La ville ouvrit ses portes, et Malek Saleh reçut en échange Baalbek et la Cœlé-Syrie. Le sulthan voulait ensuite se venger du prince d'Emesse qui était entré dans la ligue, lorsqu'il mourut, âgé d'environ soixante ans. C'était un prince magnifique et fort respecté. Il maintint un ordre pariait dans ses états, lui-même il dirigeait les affaires, et lorsqu'il eut perdu son vizir, il refusa de le remplacer. Le Caire reçut par ses soins de grands embellissements. Il avait du goût pour les lettres ; il aimait à converser avec les savants, et prenait part à leurs discussions sur des points de grammaire ou de jurisprudence. Pour tout dire en un mot, les lettres eurent sous son règne beaucoup de chalande.

Après sa mort, les émirs prêtèrent serment de fidélité à Malek Adel, que Malek Kamel son père avait laissé pour le remplacer en Egypte, et nommèrent Malek Djowad Jonas pour gouverner la Syrie au nom de leur nouveau prince.

Les. Kharismiens quittent le service de Malek Saleh pour se livrer plus librement au pillage ; mais ce-prince se voyant menacé dans Sindjar par les troupes de Mossoul, abandonne aux Kharismiens Harran et Edesse, afin de les ramener dans ses intérêts.

An 636 (1238-9). Malek Saleh, fils de Malek Kamel, se fait céder la principauté de Damas, donnant en échange à Malek Djowad les places qu'il possédait en Mésopotamie. Des que Malek Saleh se fut bien établi en Syrie, il pratiqua des intelligences en Egypte, dans l'espoir d'y supplanter Malek-Adel, sans être aucunement arrêté par les démarches du khalife, qui n'oubliait rien pour réconcilier les deux frères.

An 637 (1239). Tandis que Malek Saleh était à Naplouse, sur la route d'Egypte, Malek Saleh Ismaël son oncle, et Schyrkoun, prince d’Emesse, lui enlevaient la ville de Damas. A cette nouvelle ses troupes l'abandonnèrent. A peine la journée s'était écoulée, qu'il se vit presque seul, ne sachant où diriger ses pas. Malek Nasser son oncle, prince de Carac, revenait alors d'Egypte. Il vint le prendre à Naplouse, et renferma à Carac dans un lieu de sûreté. Immédiatement après il se rendit à Jérusalem, où les chrétiens, après la mort de Malek Kamel, avaient élevé une forteresse. Il prit et rasa cette forteresse, ainsi que la tour de David, qui jusque-là était restée intacte.

Quelques mois après, Malek Saleh recouvra la liberté, et se rendit avec son oncle à la chapelle de la Sakhrah à Jérusalem ; là ils convinrent avec serment que lorsque Malek Saleh se serait emparé de l'Egypte, il abandonnerait à son oncle la Syrie et les villes de la Mésopotamie : mais quand Malek Saleh fut maître de l'Egypte, il se dispensa de remplir son serment, prétendant qu'il ne l'avait pas fait de plein gré. Cependant Malek Adel, à la nouvelle de l'approche de son frère, fut saisi d'une frayeur extrême. Il s'avança avec son armée jusqu'à Belbeys, comptant sur une puissante diversion en Syrie : tout d'un coup quelques mamelouks cernèrent sa tente, s'emparèrent de sa personne, et écrivirent à son frère de venir prendre possession du trône. Cette nouvelle causa à Malek Saleh une joie sans pareille. Il dirigea aussitôt sa marche vers le Caire, au milieu d'un immense concours de peuple et au bruit des acclamations générales. Le prince de Carac, qui ne l'avait pas quitté d'un jour, s'attendait à être investi de la principauté de Damas, ainsi qu'il avait été convenu. Pour s'en débarrasser, Malek-Saleh fit semblant de le faire arrêter, et aussitôt celui-ci reprit le chemin de Carac.

An 638 (1240-1). Dès que Malek Saleh Negm’ eddin[70] se fut affermi en Egypte, il fit arrêter les mamelouks et les émirs qui avaient commencé la révolution. En même temps il créa un nouveau corps de mamelouks attachés à sa personne.

Les Kharismiens, profitant de l'éloignement de Malek Saleh mettent une partie de la Mésopotamie à feu et à sang, puis viennent du côté d'Alep. Les troupes de cette ville sortent à leur rencontre, et sont entièrement défaites. Après le combat, les Kharismiens massacrèrent une partie de leurs prisonniers pour effrayer les autres, et se faire payer une plus forte rançon de ceux à qui ils laissaient la vie. En même temps ils dévastèrent les pays environnants. Alep se remplissait de fuyards ; la désolation était à son comble. Quand ces barbares ne virent plus de mal à faire, ils rentrèrent dans leurs cantonnements de Harran.

Ils revinrent peu de temps après en Syrie, et ravagèrent tout le pays de Tell-Ataz, Sermyn, Maarrah, etc. Les troupes d'Alep, qui brûlaient de venger leur défaite, se réunirent à celles de Damas et d'Emesse pour se mettre à la poursuite-des barbares. Les Kharismiens reprirent aussitôt le chemin de Harran, dévastant tout ce qui se trouvait sur leur passage. La principauté de Hamah trouva seule grâce à leurs yeux, parce que le chef de cette principauté était un chaud partisan du nouveau sulthan d'Egypte. Cependant l'armée de Syrie ne donnait pas de relâche aux Kharismiens, et dans l'action qui s'engagea près d'Edesse, elle remporta une victoire complète, à la suite de laquelle elle s'empara de Harran. Tandis que de leur côté les troupes de Mossoul enlevaient Nisibe et Dara aux Kharismiens, les confédérés s'emparèrent de Rakkah, d'Edesse, etc., et vinrent ensuite assiéger Malek Moadham Touran schah, fils de Malek Saleh, dans la ville d'Amide, qui ouvrit ses portes. Il ne resta plus à Moadham que Hisn-Kaifah et Haytam, où de prince se trouvait encore à la mort de son père (en 648).

Malek Djowad, après son expulsion de ses possessions de Mésopotamie, fit demander au sulthan, la faculté de se retirer en Egypte. Sur son refus, il se jeta dans Acre entre les mains des Francs, qui le reçurent pour son argent, et le livrèrent ensuite pour de l'argent à Malek Saleh Ismaël, prince de Damas, qui le fit étrangler.

Malek Saleh Ismaël, craignant quelque entreprise de la part du sulthan, cherche son appui dans les forces des Francs ; ceux-ci consentent à le défendre moyennant la cession qu'il leur fait des places de Sefed et de Schakif (Arnoun).

An 641 (1243-4). Malek Saleh Ismaël, prince de Damas, jet le prince de Carac, se liguent ensemble contre le sulthan d'Egypte. Ils engagent les Francs à entrer dans la ligue, en leur faisant la cession de Tibériade et d'Ascalon, ainsi que de Jérusalem et des lieux de pèlerinage. « Je passais dans ce moment à Jérusalem pour me rendre en Egypte, dit le cadi Djémal eddin ; je vis des prêtres qui tenaient des coupes de vin sur la sakhrah pour l'offrir à leur Dieu.[71] » Les Francs se mirent aussitôt en devoir de relever les fortifications de Tibériade et d'Ascalon.

An 642 (1244). Sur l'invitation du sulthan d'Egypte, les Kharismiens s'avancent jusque sous les murs de Gaza, en dirigeant leur marche à travers les frontières de la principauté de Damas. Le sulthan espérait s'en faire un appui contre les princes que Malek-Saleh Ismaël avait ligués contre lui ; et c'est dans ce dessein qu'il faisait partir ses troupes pour se réunir à ces barbares. De son côté, Malek Mansour Ibrahim, qui avait succédé à Schyrkouh son père dans la principauté d'Emesse, se mit en mouvement avec ses troupes et celles de Damas. Il vint d'abord à Acre pour animer les Francs à combattre, leur promettant une portion de l'Egypte après la victoire. Les Francs s'ébranlèrent, cavalerie et infanterie. Les troupes de Carac arrivèrent aussi, et le combat s'engagea sous les murs de Gaza. Les troupes de Damas et d'Emesse furent mises en déroute ; les Francs prirent aussi la fuite ; les uns et les autres furent poursuivis l'épée dans les reins par les Egyptiens et les Kharismiens. Le sulthan, profitant de l'enthousiasme de ses soldats, s'empara de Gaza, de Jérusalem et de toute la côte, et envoya au Caire les prisonniers et les têtes des morts. Pendant qu'on s'y livrait à la joie, le sulthan faisait venir d'Egypte les troupes qui y étaient encore, et les réunissant à celles qui venaient de vaincre, il les envoya assiéger Malek Saleh Ismaël et le prince d'Emesse dans la ville de Damas.

An 643 (1245). Le prince de Damas envoie prier le khalife d'interposer sa médiation entre lui et le sulthan. Le khalife rejette sa prière. Bientôt après la ville ouvre ses portes, et le prince en abandonne la propriété, se réservant seulement Baalbek, Bosra, etc.

Les Kharismiens s'attendaient, après la prise de Damas, qu'on leur céderait tout ce qui serait à leur bienséance. Trompés dans leurs espérances, ils quittèrent le service du sulthan, se donnèrent au prince qu'ils venaient de dépouiller ; et, de concert avec le prince de Carac, ils assiégèrent Damas une seconde fois.

An 644 (1246). Cette ville était en proie à toutes les horreurs du siège et de la famine lorsque les troupes du sulthan, de concert avec celles d'Alep et d'Emesse, se mirent en marche pour la secourir. Les Kharismiens abandonnèrent le siège, pour aller à leur rencontre ; le combat s'étant engagé, ils prirent honteusement la fuite, et se dispersèrent çà et là. Plusieurs détachements furent exterminés avec leurs chefs. Une partie alla se fondre dans les bandes des Tartares, et les autres se répandirent en Syrie, où ils se mirent au service des princes du pays. Ainsi finit la cause funeste de tant de maux.

Ce succès inspira au sulthan une joie immodérée : il envoya aussitôt l'émir Fakr eddin avec une armée pour dépouiller le prince de Carac. En effet l'émir s'empara successivement de la plupart des places appartenant à ce prince.

An 645 (1247). Ensuite il vint assiéger les villes de Tibériade et d'Ascalon, dont les Francs avaient relevé les citadelles, et s'en empara après un siège de courte durée.

An 646 (1248). Les troupes d'Alep enlèvent Emesse à Malek Aschraf, qui avait succédé depuis deux ans à son père Malek Mansour Ibrahim. A cette nouvelle, le sulthan accourt en toute hâte d'Egypte. Déjà il était attaqué de la maladie dont il mourut : c'était une tumeur au jarret, laquelle ayant dégénéré en ulcère, l'obligea à se retirer à Damas. Pendant ce temps ses troupes assiégeaient avec vigueur la ville d'Emesse, sans être arrêtées par le froid ni l'intempérie de la saison. Déjà on commençait à parler de l'expédition des Francs contre Damiette. La maladie du sulthan prenait un caractère toujours plus grave. Ces raisons, jointes aux démarches du khalife, firent abandonner au sulthan ses desseins sur Emesse, quoiqu'elle ne pût pas faire une résistance bien longue, et il se fit transporter en toute hâte en litière dans ses provinces d'Egypte.

Descente de St. Louis en Egypte.

An 647 (1249). Le roi de France (Reyd'efrens) est l'un des princes les plus puissants entre les Francs ; car la France nourrit un peuple qui s'est rendu célèbre entre toutes les nations de Francs. Ce roi était accompagné d'environ cinquante mille guerriers. Il venait de passer l'hiver dans l'île de Chypre, en attendant de pouvoir aborder en Egypte.

Bien n'avait été oublié pour la défense de Damiette. Les machines, les provisions de bouche, tout s'y trouvait en abondance. Les Arabes de la tribu des Bènou-Kenaneh, dont la valeur était depuis longtemps éprouvée, devaient en défendre les murailles. En même temps l'émir Fakhr eddin, fils du scheik des scheiks, avec une grande partie de l'armée, s'était placé en avant de Damiette pour recevoir les Francs au moment de la descente. Cependant à peine ceux-ci eurent atteint le rivage, que l'émir leur abandonna la rive occidentale du fleuve. Les Francs s'y établirent le 22 de safar (juin). Aussitôt les Bènou-Kenaneh, saisis de terreur, évacuèrent Damiette ; les habitants s'enfuirent aussi. Les Francs voyant les portes ouvertes, y entrèrent sans coup férir, et s'emparèrent des approvisionnements et des armes. C'était une perte irréparable. Le sulthan, transporté de fureur, fit pendre tous les Bènou-Kenaneh jusqu'au dernier, et se retira le mardi 24 sur Mansourah, où il plaça son camp. Son état ne cessait d'empirer ; son ulcère avait engendré la phtisie, et l'on commença à désespérer de sa vie.

La prise de Carac apporta une distraction momentanée à ses maux. Pendant que le prince de cette ville s'était rendu auprès du prince d'Alep pour l'intéresser à sa cause, la division se mit en son absence parmi ses enfants, et la ville fut livrée au sulthan. La joie de Malek Saleh ne fut pas de longue durée ; il expira le lundi 14 de chaban (novembre), à l'âge de quarante ans : c'était un prince d'un génie élevé, d'un maintien grave et qui savait en imposer. Il parlait peu, et tout le monda tremblait devant lui. Jamais prince avant lui n'avait réuni autant de mamelouks turcs autour de sa personne. (Il fit bâtir pour eux une caserne dans l'île de Raoudba, en face du Caire ; le Nil, auquel les Arabes donnent le nom de mer ou Bahr, entoure l'île de tout côté. C'est de là que ces mamelouks ont été appelés Baharides.)

Malek Saleh en mourant ne désigna pas son successeur : mais comme il ne lui restait qu'un seul fils, lequel se trouvait encore à Hisn-Kaifah, Schedjer’ eddor, esclave favorite du sulthan, se concerta avec l'émir Fakr eddin et l'eunuque Djémal eddin Mohsen pour conserver le trône à ce jeune prince. La peur qu'ils avaient des Francs leur fit taire la mort de Malek Saleh. Schedjer' eddor convoqua les émirs et leur dit : Le sulthan vous ordonne de lui jurer fidélité, et après lui à son fils Malek Moadham Touran schah. Il confie la dignité d'atabek (le commandement des troupes) à l'émir Fakhr eddin. Elle écrivit dans le même sens à Hossam' eddin, fils d'Abou-Ali, qui remplaçait le sulthan dans la ville du Caire. Dès le milieu du mois, les émirs, les milices, tous les personnages marquants du Caire et du vieux Caire avaient juré sans hésiter. Les lettres et les décrets étaient expédiés avec l'élamet (ou paraphe) de Malek Saleh. Un esclave était parvenu à contrefaire l'élamet, sans que personne en eût le moindre soupçon. Mais quand on sut que Fakr eddin avait expédié un courrier à Moadham pour hâter son départ, le bruit de la mort du sulthan commença à se répandre, bien que les chefs de l'armée et de l'administration fissent semblant de l'ignorer.

Cependant les Francs s'avançaient du côté de Mansourah : au commencement de ramadhan (décembre), il s'engagea une action très chaude, dans laquelle grand nombre de chefs musulmans perdirent la vie. Les Francs s'arrêtèrent un moment à Scharmesah, puis ils se remirent en marche. Enfin le mardi matin, 5 du mois de doulkaadah (février 1250), pendant que Fakr eddin était au bain, ils surprirent les musulmans dans Mansourah. L'émir montant bien vite à cheval, se jeta au milieu des Francs et fut tué sur-le-champ, mourant glorieusement pour la religion, après avoir pendant sa vie joui des faveurs de la fortune. Dans cette fâcheuse circonstance, l'armée, secondée par les Turcs baharides, chargea les Francs avec vigueur, et les obligea à prendre la fuite sans leur laisser le temps de se rallier de nouveau. Quant à Moadham, il était arrivé à Damas au mois de ramadhan (décembre) ; il attendit, pour se remettre en route, la fête de la fin du jeûne, et n'arriva à Mansourah que le jeudi 24 de doulkaadah. La guerre se ralluma avec fureur sur le Nil et sur terre ; enfin la flotte musulmane surprit la flotte chrétienne, et s'empara de trente-deux navires, dont neuf galéasses. Ce succès, ruina les affaires des Francs ; ils envoyèrent proposer de rendre Damiette, si on voulait leur abandonner Jérusalem et une partie de la Palestine. Leurs propositions furent rejetées.

An 648 (1250). Les Francs s'étant obstinés à garder leurs positions en face de Mansourah, finirent par épuiser leurs ressources sans pouvoir rien recevoir de Damiette. Les musulmans interceptèrent leurs communications avec cette ville, ce qui mit les chrétiens dans l'impossibilité de tenir plus longtemps. Le mercredi 3 de moharram (7 avril), les Francs s'ébranlèrent, se dirigeant sur Damiette, et ayant l'ennemi derrière eux. Les musulmans les atteignirent le lendemain matin, les enfoncèrent et en firent un horrible carnage : trente mille hommes, à ce qu'on dit, furent tués dans cette journée, et bien peu parvinrent à s'échapper. Le roi de France et ses principaux officiers s'étaient réfugiés dans l'endroit le plus, proche (Minieh Abou Abd'allah), Sur la demande du soi, l'eunuque Mohsen les reçut à composition : puis on s'empara de leurs personnes pour les ramener à Mansourah. Le roi fut chargé de chaînes et logé dans la maison de Fakhr eddin, fils de Lokman, secrétaire d'état, et l'eunuque Sabyh fut commis à sa garde. Quand le sulthan fut instruit de la destruction de l'armée chrétienne, il s'avança avec l'armée jusqu'à Farescour, où il fit construire une tour en bois.

Le lundi, dernier jour de moharram, le sulthan est tué par ses troupes. Son imprudente conduite à l'égard des mamelouks et des émirs de son père, et son exclusive confiance dans les courtisans qu'il avait amené de Mésopotamie, lui avaient aliéné tous les cœurs. A peine fut-il arrivé à Farescour, que les Baharides conspirèrent sa perte et se jetèrent sur lui l'épée à la main. Bibars, qui fut sulthan dans la suite, lui porta le premier coup. Le prince s'enfuit dans la tour de bois. On y met le feu. Chassé par les flammes, il court vers le Nil dans l'espoir d'y trouver un bateau. Les flèches, qui volaient de toutes parts, l'empêchent de fuir : il se jette dans l'eau, et aussitôt un coup l'atteint et l'achève. Il régnait à peine depuis deux mois.

Les émirs se réunirent ensuite, et consentirent à reconnaître pour reine Schedjer' eddor. Le commandement suprême des troupes fut remis à Ezz eddin Aybek le Turcoman. Dès que le calme commença à renaître, on reprit les négociations avec le roi de France, à qui on demandait Damiette pour sa rançon. Le roi ordonna à ceux qui commandaient en son nom dans la ville, d'en ouvrir les portes, et le 3 de safar (7 mai) l'étendard musulman fut arboré sur les remparts de Damiette. Le roi de France fut mis en liberté ; le lendemain matin, il s'embarqua avec ceux des prisonniers à qui on avait rendu la liberté, et mit à la voile pour Acre.

La nouvelle des glorieux résultats de cette campagne vola de bouche en bouche, et bientôt remplit l'univers. C'est en faisant allusion au sort humiliant où se vit réduit le roi de France, qu'un poète a dit :

« Quand tu verras ce Français, dis-lui ces paroles d'un ami sincère :

» Tu venais en Egypte ; tu en convoitais les richesses ; tu croyais que ses forces se réduiraient en fumée.

» Vois maintenant ton armée ; vois comme ton imprudente conduite l'a précipitée dans le sein du tombeau. Cinquante mille hommes ! et pas un qui ne soit tué, prisonnier ou criblé de blessures !

» Et s'il était tenté de venir verger sa défaite, si quelque motif le ramenait en ces lieux,

» Dis-lui qu'on lui réserve la maison du fils de Lokman, qu'il y trouvera encore et ses chaînes et l'eunuque Sabyh. »

Les troupes se remirent en marche pour le Caire, et les émirs écrivirent aux autorités de Damas pour justifier les événements qui venaient d'avoir lieu. Les émirs de Syrie, bien, loin d'adhérer à ce qui s'était fait, invitèrent Malek Nasser Youssouf, prince d'Alep, à venir prendre possession de Damas.

Les émirs d'Egypte reconnurent bientôt l'impossibilité de rétablir l'ordre sous le gouvernement d'une femme, et conférèrent à Aybek le titre de sulthan avec l'exercice de l'autorité souveraine. Voyant enfin l'insuffisance de ces moyens, ils se décidèrent à prendre leur souverain dans la famille de Saladin. Le choix tomba sur un enfant, Moussa, petit-fils de Malek Kamel, qui prit en cette occasion le titre de Malek Aschraf. Toutefois Aybek conserva le commandement des troupes avec le titre d'atabek. D'un autre côté les troupes de Gaza, de concert avec celles de Damas, prêtaient serment de fidélité à Malek Moguyts, petit-fils de Malek Kamel, qui, à la faveur de ces troubles, s'était emparé de Schaubek et de Carac. C'est alors que les émirs égyptiens, pour tarir la source de tant de troubles, déclarèrent soumettre leur pays à la volonté du khalife.

Les émirs se décident d'un commun accord à détruire les remparts de Damiette, à cause des maux que cette ville avait occasionnés aux musulmans à deux différentes reprises. Ils bâtirent une nouvelle ville non loin de l'ancienne, et dans l'intérieur des terres, et l'appelèrent Menschyeh ou Ville-Neuve.[72]

Cependant Malek Nasser était parvenu à lier à ses intérêts tous les princes de Syrie de la famille de Saladin ; à l'aide de cette alliance, il réunit une armée formidable, qui se mit aussitôt en marche pour l'Egypte, et rencontra l'armée égyptienne à Abbasseb. Celle-ci ayant commencé à plier, les troupes de Syrie poursuivirent les Egyptiens avec trop d'ardeur : Malek-Nasser se trouva presque abandonné ; il prit la fuite, et ses troupes se dispersèrent au milieu du désordre. Pendant ce temps, les fuyards de l'armée égyptienne étaient arrivés au Caire et jusque dans la Haute-Egypte. Au vieux Caire, on crut la cause des émirs perdue, et l'on proclama un moment Malek Nasser sulthan du pays.

An 651 (1253). En vertu d'un traité de paix conclu entre Malek Nasser et le gouvernement des mamelouks, ceux-ci devaient étendre leur autorité jusqu'au Jourdain, et abandonner au prince d'Alep ce qui est au-delà de ce fleuve.

An 653 (1255). En vertu d'un nouvel arrangement, Malek Nasser rentre en possession de toute la Syrie jusqu'à Elarysch, et s'oblige à reconnaître l'autorité d'Aybek sur toute l'Egypte. Celui-ci épousa ensuite Schedjer' eddor, s'il ne l'avait pas déjà fait l'année précédente.

An 655 (1257). Aybek est étouffé dans le bain par les intrigues de Schedjer' eddor. Les émirs vengent sa mort dans le sang de cette femme et de ceux qui avaient trempé dans le complot, et donnent pour successeur à Aybek son fils Malek-Mansour.

An 656 (1258). Les Tartares, sous la conduite de Houlagou, s'emparent de Bagdad, et y détruisent la dynastie des khalifes abbassides.

La peste fait de si grands ravages en Syrie, et surtout à Damas, qu'on manque d'hommes pour enterrer les morts.

An 657 (1259). Saif eddin Kothouz s'empare du gouvernement de l'Egypte et prend le titre de sulthan. Cette année, et l'année suivante, les Tartares pénétrèrent en Syrie, sous la conduite de Samoud, fils de Houlagou. Ils s'avancèrent vers Alep. D'abord repoussés avec perte, ils reprirent l'avantage et arrivèrent pêle-mêle avec les musulmans sous les murs de la ville. Grand nombre de personnes furent étouffées aux portes ; les Tartares se dirigèrent ensuite vers Azaz et la prirent par capitulation.

An 658 (1260). Houlagou passe lui-même l'Euphrate et envoie au gouvernement d'Alep un député avec ces mots : « Vous ne pouvez pas tenir devant les Mogols : nous n'en voulons d'ailleurs qu'à Malek Nasser et à ses troupes, et nous allons marcher contre lui. En attendant, recevez deux commissaires de notre part ; l'un dans la ville, et l'autre dans la citadelle. Si l'ennemi est battu, le pays devient notre propriété, et c'est autant de musulmans de sauvés. Si le combat tourne à notre désavantage, vous chasserez les commissaires, vous les égorgerez, comme bon vous semblera. » Le commandant fit dire que l'épée répondrait pour lui. Stupéfait de la réponse, l'envoyé ne put se défendre de verser quelques larmes sur les malheurs qui allaient tomber sur la tête d'Alep. En effet les Tartares s'avancèrent incontinent, et entrèrent de force dans la ville. Le carnage continua du dimanche au vendredi. Il n'y eut de sauvés que ceux qui atteignirent la synagogue des juifs et certaines maisons que les vainqueurs avaient promis de respecter. Ainsi furent sauvés, à ce qu'on dit, plus de cinquante mille âmes.

Hamah envoya aussitôt remettre ses clefs à Houlagou, et lui demanda un commissaire, faveur qui lui fut accordée.

Cependant Malek Nasser et le prince de Hamah se sauvaient avec leurs troupes en Egypte. Une partie des troupes fut surprise dans Naplouse par les Tartares et passés au fil de l'épée.

Ces barbares occupèrent ensuite Damas et toute la Syrie jusqu'à Gaza.

Houlagou fit démanteler Alep et Damas, et retourna dans l'Orient, laissant en Syrie des forces nombreuses. La même année, l'armée d'Egypte, commandée par Kothouz, remporte à Aïn-Djalout une victoire complète sur les Tartares. Leur chef Kelboga est tué, et cet échec les oblige à évacuer la Syrie. Aussitôt les habitants de Damas tirèrent vengeance des insultes des chrétiens de la ville. Ceux-ci en étaient venus à ce point d'insolence de parcourir avec leurs crécelles les quartiers de la ville, et de répandre du vin dans la grande mosquée. Les musulmans se jetèrent dans les maisons des chrétiens, pillèrent leurs biens, et rasèrent une église fort vaste dédiée à Marie (la sainte Vierge), que les chrétiens avaient pris plaisir à orner.

Sur la fin de l'année, Kothouz revenait en Egypte, après avoir rétabli les princes de Syrie dans leurs états respectifs, lorsqu'il fut assassiné à Kossair, située à une journée de Salehyeh. Bibars Bendocdar commit ce meurtre de concert avec quelques complices ; il avait profité du moment où le sulthan se trouvait éloigné de ses troupes. Lorsque les conjurés furent de retour dans le camp, le chef des émirs demanda qui avait tué le sulthan : « C'est moi, dit Bibars. — En ce cas, reprit l'autre, l'autorité t'appartient. » Ainsi fut proclamé Bibars Bendocdar, sous le titre de Malek Dhaher.

An 659 (1261). Sept îles, dans les environs d'Acre, sont englouties dans la mer avec ceux qui les habitaient. Les habitants d'Acre prirent le deuil à cette occasion, et implorèrent par leurs larmes la miséricorde divine pour leurs péchés, aux quels ils attribuaient ce désastre.

Bibars envoie Djémal eddin, fils de Salem,[73] en ambassade auprès de Manfred (Mainfroi), roi de Sicile. Nous allons laisser parler Djémal eddin lui-même : « Le père du prince auquel je fus envoyé, dit-il, s'appelait Frédéric ; il est connu par ses relations d'amitié avec Malek Saleh. Son fils Conrad lui avait succédé en Sicile et dans ses états d'Italie. Conrad eut pour successeur Manfred son frère ; c'est à celui-ci que je fus adressé.[74] Manfred m'accueillit avec bonté et me permit de rester auprès de lui dans la Pouille.[75] Il me faisait souvent l'honneur de m'admettra en sa présence, et j'eus occasion de reconnaître en lui beaucoup de mérite et un goût naturel pour les sciences intellectuelles. Il possédait parfaitement les dix traités d'Euclide ; c'est même à sa prière que je composai le traité de logique que j'intitulai l'Impérial. Non loin de la ville que j'habitais, se trouvait la ville de Luceria (Nocera de Pagani dans la Capitanate) ; elle était entièrement peuplée de musulmans, que Frédéric avait fait venir de Sicile).[76] On y fêtait le vendredi, et l'islamisme s'y montrait à découvert. La plupart des officiers de Manfred étaient musulmans ; son camp retentissait des cris des muezzins (qui appellent le peuple musulman à la prière), et notre religion pouvait y être publiquement professée. La ville que j'habitais était à cinq journées seulement de la ville de Rome. A l'époque où je quittai le pays, le roi de France et le pape, qui est le khalife des chrétiens, s'étaient ligués pour perdre Manfred. Le pape l'avait excommunié, à cause de son exclusive confiance dans les musulmans.[77] Un motif semblable avait précédemment fait excommunier Frédéric et Conrad. Voici un fait que je tiens de la bouche même de Manfred : Quand Frédéric perdit l’empereur son père (Henri VI), il était encore fort jeune ; grand nombre de princes francs se mirent sur les rangs pour lui disputer la couronne impériale, et chacun se flatta d'avoir le pape pour soi. Frédéric crût devoir user de supercherie. Il vit ses rivaux l’un après l'autre, et dit à chacun d'eux : « Je sais, pour moi, que je ne suis pas propre à cette dignité ; j'y renonce entièrement. Quand nous serons réunis auprès du pape, ouvre l’avis de laisser la décision de cette affaire au fils de l’empereur défunt. Les autres faisant de même, le pape me laissera maître du choix, et soit persuadé que je ne penserai à personne qu'à toi ; car vraiment je te veux du bien. » Frédéric en usa ainsi envers tous les prétendants, et cela d'un ton si persuasif, que tous s'y trompèrent. Le jour fixé étant arrivé, ils se réunirent à Rome auprès du pape. Après leur avoir demandé leur avis, le pape fit déposer la couronne au milieu de l’assemblée. Tous s'écrièrent qu'ils s'en remettaient entièrement à Frédéric. Celui-ci se levant aussitôt, dit d'un ton assuré : « C'est moi qui suis fils d'empereur ; la couronne et la dignité impériales m'appartiennent de droit ; et d'ailleurs j'ai pour moi vos suffrages. » En disant ces mots, il mit la couronne sur sa tête ; les princes dissimulèrent leur dépit, et Frédéric sortit la couronne sur la tête. Il trouva à la porte un détachement de cavaliers allemands, armés de toutes pièces et d'une bravoure éprouvée. Ainsi escorté, il arriva en Allemagne, pays originaire de sa famille. Le pape et le roi de France, ajoute Djémal eddin, attaquèrent Manfred avec toutes leurs forces, mirent son armée en déroute, et s'emparèrent de sa personne. Le pape le fit immoler à sa vengeance, et le frère du roi de France occupa ses états. Cette révolution eut lieu en l'an 663 (1264).[78]

An 661 (1263-3). Bibars arrive d'Egypte en Syrie, et vient placer son camp au Mont-Thabor. De là il envoie un détachement de ses troupes renverser l'église de Nazareth, qui est le lieu le plus révéré des chrétiens pour avoir donné naissance à leur religion. Ces troupes font ensuite une excursion sur le territoire d'Acre et les lieux environnants, et retournent chargées de butin. Bibars marche alors en personne, avec un corps d'élite, pour tenter une nouvelle attaque sur Acre, et vient à bout d'abattre une des tours qui en défendaient les approches. Cette expédition était postérieure à la première, ainsi qu'à la destruction de l'église de Nazareth.

An 663 (1265). Bibars part d'Egypte avec ses redoutables armées, et le 9 de djoumada premier (fin de février) commence le siège de Césarée : l'attaque est poussée avec vigueur et la ville est prise en quelques jours, c'est-à-dire, vers le milieu du mois. Bibars ordonne de la détruire, et le mois suivant va attaquer et prendre la ville d'Arsouf.

Mort de Houlagou, petit-fils de Gengis-Khan. Son fils Abiga hérite de ses états de Perse et de la Mésopotamie.

An 664 (1266). Le sulthan arrive en Syrie avec ses redoutables armées, et fait marcher un corps détache vers la côte de Tripoli. Pendant que ce corps occupait Kolayah, Haleb et Arka, le sulthan attaque Sefed, la presse de toutes parts, fait jouer ses machines de guerre. Malek Mansour, prince de Hamah, Tient le joindre pendant le siège. Les musulmans ne donnaient pas de relâche aux assiégés, et s'exposaient hardiment au danger ; aussi plusieurs payèrent de leur sang la prise de la place. Elle se rendit par capitulation le 19 de chaban (juin) ; les habitants furent ensuite tous passés au fil de l'épée.

Après la prise de Sefed, Bibars se rendit à Damas, d'où il envoya un corps considérable de troupes dans le pays de Sys (la petite Arménie) : ce corps était commandé par le prince de Hamah. Le pays de Sys à cette époque était au pouvoir de Haytom, fils de Constantin. A la nouvelle de la marche des musulmans, Haytom garnit tes défilés de la Cilicie de machines et de guerriers. En même temps ses deux fils se mirent en marche avec l'armée, pour venir à la rencontre de l'ennemi. Vains efforts, l'armée fut mise en déroute ; tout fut tué ou pris : l'un des fils de Haytom y périt ; le second, qui s'appelait Lyfoun, resta parmi les prisonniers. Les vainqueurs se répandirent aussitôt dans toute la contrée, s'emparèrent du château d'Amedyn, en massacrèrent les habitants, et enfin se disposèrent à retourner en Syrie, emportant avec eux un immense butin. A la nouvelle des succès de ses troupes, Bibars se rendit à Hamah, et s'avança jusqu'à Apamée à la rencontre de ses soldats victorieux. Arrivé à Kara, entre Damas et Emesse, il ordonna le pillage de la ville et le massacre des hommes en c'tat de porter les armes. Grand nombre de personnes y reçurent la mort, tout cela parce que les habitants de Kara, qui étaient chrétiens, enlevaient secrètement les voyageurs musulmans pour les vendre aux Francs. Quant aux enfants des chrétiens, ils furent emmenés en Egypte, et élevés avec les mamelouks turcs. Les uns devinrent émirs dans la suite ; les autres servirent comme simples soldats.

An 666 (février 1268). Au commencement de djoumada second, le sulthan arrive en Syrie, et enlève Japha aux chrétiens. Trois mois après il va attaquer Antioche, donne un assaut général, et prend cette ville de force. Les habitants sont massacrés, les enfants emmenés en captivité, la ville abandonnée au pillage. Antioche et Tripoli appartenaient au prince Bohémond, qui se trouvait en ce moment dans cette dernière ville.

Quelques jours après, le sulthan prend possession de Bagras, sans rencontrer de résistance. En apprenant la prise d'Antioche, les habitants avaient pris la fuite, et la citadelle était restée sans défenseurs. Le sulthan plaça dans Bagras une garnison avec les approvisionnements nécessaires. Ainsi tomba cette ville sous les lois de l'islamisme. On a vu que Saladin, en y entrant, l'avait entièrement rasée ; mais plus tard les Francs en avaient relevé les fortifications.

La paix est conclue entre Bibars et le prince du pays de Sys. Bibars consentit à rendre la liberté à Lyfoun, à condition que Haytom lui céderait Behesna, Derbessak, Merzeban, Raaban, etc., qu'il interposerait sa médiation auprès d'Abaga pour obtenir la liberté de Sauker Alaschker, qui avait été pris dans Alep par l'armée de Houlagou. Abaga se rendit aux prières du prince Haytom ; les places, Behesna exceptée, furent fidèlement remues, et Lyfoun fut renvoyé à son père.

An 668 (1269-70). Le sulthan attaque Acre, vient à Damas, et puis à Hamah.

An 669 (mars 1271). Bibars arrive en Syrie, et le 9 de chaban commence le siège, du château des Kurdes. Il redouble d'efforts contre la place, et la prend le 24 par capitulation. Il se rend ensuite devant la forteresse d'Akkar, l'attaque le 17 de ramadhan (avril), la serre étroitement et la force à capituler à la fin du mois. Un poète lui dit pour le féliciter :

« O dominateur du monde, bonne nouvelle ! te voilà au comble de tes vœux.

Akkar vaut bien Acre et même au-delà. »

De Damas le sulthan alla attaquer la forteresse de Korain.[79] Il s'en empara, la rasa, puis retourna en Egypte.

Bibars équipa dans cette même année une flotte de dix vaisseaux pour opérer une descente dans l'île de Chypre. La flotte vint se briser près du port de Limisso, et les équipages forent kits prisonniers. Le sulthan se bâta d'en équiper une nouvelle qui était le double de la première.

An 676. Bibars meurt dans le milieu de l'année 1277. Voici en quels termes quelques auteurs racontent sa mort : « On venait de voir une éclipse totale de lune. Aussitôt il se fît une rumeur générale qui annonçait la mort de quelque grand personnage. Bibars se crut menacé. Pour détourner l'effet de ce phénomène, il choisit pour victime un des princes de la famille de Saladin. Il l'attira auprès de lui, et lui fit boire un breuvage empoisonné qui l'emporta au bout d'un moment. Le sulthan en avait aussi goûté par mégarde ; il se sentit, bientôt une fièvre brûlante, dont il mourut. Malek-Saïd-Barkah, son fils, fut reconnu pour son successeur.

An 678 (1279). Malek-Saïd est contraint d'abdiquer par les émirs, et se retire à Carac, où il meurt quelque temps après. Kelaouti est nommé régent de l'empire. Quelques mots après il prend le titre de sulthan, et ajoute à son nom le titre de Malek Mansour, général invincible. Avec lui on vit régner la justice, les lois reprirent leur empire, et l'état fut sagement administré.

Dans le même temps Sanker-al-Aschker, qui gouvernait la Syrie, secoue le joug en gouvernement d'Egypte, et se rend indépendant.

An 679 (1280). Sanker est battu par l’armée Egyptienne, et se sauve du côté de l'Euphrate pour intéresser à sa cause le khan des Tartares.

Les chrétiens, enhardis par les succès-des Tartares, s'étaient livrés à quelques excès. Cette année Sayf’ eddin Bal-ban, qui commandait pour le sulthan dans le château des Kurdes, résolut d'en tirer vengeance sur la forteresse de Markab. Son entreprise échoua complètement ; les Francs mirent en fuite les musulmans, en tuèrent et en prirent un grand nombre.

An 680 (1281). Abaga s'avance en Syrie avec toutes ses forces : puis changeant de desseins, il se relire à Ràbabah, et laisse le commandement de l'armée tartare à son frère Mankou-Timour. Tandis qu'elle marchait sur Emesse, Kalâoûn réunit l'armée musulmane et dirigea sa marche du même côté. Les querelles s'étaient assoupies au moment du danger. Sanker-al-Aschker et le prince de Hamah arrivèrent avec leurs troupes pour défendre la cause de l'islamisme, et les musulmans se rangèrent dans l'ordre suivant : Le prince de Hamah était à la droite, protégé par les troupes de Damas ; Sanker commandait la gauche. Les guerriers arabes s'étaient placés à la droite, et les Turcomans à la gauche. A l'égard du centre, il était commandé par l'émir Tharanthai. L'action s'engagea dans les environs de la ville d'Emesse. Dieu favorisa le centre et la droite. Les Tartares, qui leur étaient opposés, furent enfoncés et poursuivis l'épée dans les reins. Quant à la gauche musulmane, elle prit honteusement la fuite. Ceux qui formaient l'aile droite des Tartares (elle était composée en grande partie de chrétiens, arméniens et géorgiens) poursuivirent les fuyards jusqu'aux portes d'Emesse, tuant tout ce qui s'offrait sous leurs coups : mais à leur retour voyant la déroute du reste de l'armée, ils prirent aussi la fuite. L'armée des Tartares était évaluée à 80.000 hommes, entre lesquels 50.000 Mogols seulement ; le reste était une réunion d'Arméniens, de Géorgiens, de Persans et d'autres nations. Toutes les villes musulmanes célébrèrent avec transport cette glorieuse victoire.

An 684 (1285). Dans les premiers jours de rebi premier (mai), Kalâoûn s'avance avec les troupes d'Egypte et de Syrie vers la forteresse de Markab. Cette place, où s'étaient établis les Hospitaliers (ils en avaient fait le chef-lieu de l'ordre après la prise de Jérusalem par Saladin), était située sur un lieu élevé et tellement forte, qu'aucun des sulthans précédents n'avait osé l'attaquer. Quand les postes eurent été distribués aux troupes, on ouvrit la brèche, et nombre de machines grandes et petites jouèrent à la fois. L'humble serviteur de Dieu, auteur de cet abrégé historique, se trouvait à ce siège, âgé de douze ans seulement. C'est la première scène guerrière dont je fus témoin : j'étais sous la conduite de mon père Malek Afdhal-Aly. Quand la brèche fut assez large, la garnison demanda à capituler. Le sulthan y consentit avec d'autant plus de facilité, qu'il désirait vivement conserver cette place ; car si les musulmans y fussent entrés de force, et que les fortifications eussent été entamées, il aurait été impossible de les rebâtir de nouveau. Le sulthan accorda donc la capitulation, mais sous la condition que les habitants sortiraient sans armes, et seulement avec ce qu'ils pourraient emporter. Les musulmans occupèrent Markab à la huitième heure du vendredi 19 du mois, jour mémorable où leur étendard flotta sur les murs de la ville. Ainsi furent lavées tant d'insultes qu'on avait à venger sur les Hospitaliers ; ainsi disparut le signe des ténèbres en présence du signe de lumière. Le sulthan commença par confiner les habitants dans un lieu de sûreté ; puis il prit diverses mesures pour rétablir l'ordre dans la place. Quand il eut tout réglé, il descendit sur la côte, et campa dans les champs près d'un lieu nommé la Tour de Kerfys. Il vint ensuite camper au pied du château des Kurdes ; puis se porta vers le lac d'Emesse.

An 686 (1287). Laodicée est attaquée par Hossam eddin Tharanthai. La place était défendue par une tour environnée de tous côtés par les eaux de la mer. L'émir se fit un chemin dans l'eau au moyen d'une jetée en pierre, s'empara de la tour, et la rasa.

An 688 (1289). Au mois de moharram (février), Kalâoûn arrive d'Egypte en Syrie ; il rassemble toutes ses forces, puis vient mettre le siège devant Tripoli. La plus grande partie de la ville était entourée par la mer : elle n'était accessible par terre que du côté d'Orient, sur un espace très resserré. Le sulthan avait fait venir plusieurs machines de toutes grandeurs. Il poussa le siège avec une vigueur extrême jusqu'au mardi 4 de rebi second (fin d'avril). La ville étant prise d'assaut, les habitants coururent sur le port ; quelques-uns seulement parvinrent à s'embarquer ; les hommes furent massacrés, et les enfants réduits en esclavage. Le butin fut immense. Je me trouvais au siège de Tripoli avec mon père et avec mon cousin Malek Modhaffer, prince de Hamah. Quand les soldats se furent rassasiés de sang et de pillage, le sulthan fit détruire la ville jusqu'aux fondements. Près de Tripoli, dans la mer, était une île où se trouvait une église dite de Saint-Thomas. Le port la séparait de la ville. Au moment de notre entrée dans ses murs, grand nombre d'habitants, hommes et femmes, se réfugièrent dans l'île et dans l'église. Aussitôt les musulmans se précipitèrent à cheval dans l'eau, passèrent à la nage dans l'île, tuèrent les hommes, et s'approprièrent les femmes, les enfants et les richesses qu'ils y trouvèrent. Dès que le tumulte de la victoire se fut apaisé, j'allai en bateau dans cette île : elle était jonchée de cadavres qui y avaient répandu l'infection. Après l'entière destruction de Tripoli, le sulthan reprit le chemin de l'Egypte, et permit au prince de Hamah de retourner dans sa principauté. Les Francs étaient entrés dans Tripoli en 503, et l'avaient occupée pendant cent quatre-vingt cinq ans environ.

An 689 (1390). Kalâoûn partait du Caire pour venir assiéger Acre lorsqu'il mourut. La maladie le surprit dans sa tente non loin des murs du Caire ; c'est là qu'il rendit le dernier soupir. C'était un prince plein de douceur. Sa bonté égalait son courage ; et l'on n'eut pas à gémir sous son règne de ces cruelles exécutions qui avaient ensanglanté les règnes précédents.

An 690 (1291). Malek Aschraf, qui venait de succéder à Kalâoûn son père, donne rendez-vous à toutes ses troupes sous les murs d'Acre. Mon père, et le prince mon cousin, firent route ensemble jusqu'au château des Kurdes. Là on nous remit une énorme machine nommée mansouri, qui était d'un poids capable de charger cent chariots : j'eus pour ma part la conduite d'un chariot ; j'avais alors dix hommes sous mes ordres. Nous nous mîmes donc en marche : c'était à la fin de l'hiver. A partir du château des Kurdes jusqu'à Damas, la pluie et.la neige ne nous quittèrent pas un moment ; le froid nous incommoda beaucoup, sans parler de l'embarras des chariots que les vaches avaient peine à traîner. Une partie même périt en chemin, et grâces à ces contretemps, nous mîmes un mois à faire cette route, qu'on peut facilement faire à cheval en huit jours, le sulthan avait ordonné d'amener des places de guerre voisines le plus de machines qu'on pourrait, et bientôt on en vit arriver de différentes grandeurs devant Acre, plus qu'il ne s'en était jamais vu.

Dans les premiers jours de djoumada premier (premiers jours de mai), les armées de l'islamisme se trouvèrent réunies devant Acre. L'attaque commença sur-le-champ. Les assiégés ne prenaient pas la peine de fermer les portes de la ville ; ils les laissaient la plupart du temps ouvertes, tant leur ardeur était grande pour se mesurer avec nous. Les troupes de Hamah étaient, comme à l'ordinaire, placées à l'extrême droite. Dans cette position, nous avions la ville en face et la mer à notre droite. Près de nous étaient postées des barques munies de mantelets, revêtus de peaux de buffle, d'où on nous lançait des javelots et des traits d'arbalètes. Il fallait nous défendre à la fois contre les attaques de la garnison, et à droite contre les attaques qui venaient du côté de la mer. Les chrétiens avaient construit un navire qui portait une machine : ils s'approchèrent de nous, de manière à nous incommoder jusque dans nos tentes. En vain nous cherchions un moyen de nous en garantir, lorsqu'une nuit il s'éleva un vent terrible qui enleva le navire et l'ensevelit dans les flots : la machine fut mise en pièces et hors d'état de servir, et les Francs n'essayèrent pas même d'en construire une nouvelle. Une nuit ils firent une sortie, forcèrent les postes les crus avancés, et arrivèrent jusqu'aux tentes, en coupant avec leurs sabres les cordes qui les soutenaient. Un de leurs cavaliers s'étant trop avancé, se trouva pris dans la fosse d'aisance d'un émir, et y perdit la vie. Cependant les musulmans parvinrent à se rallier, reprirent l'avantage, et repoussèrent les chrétiens dans leurs murs. Les guerriers de Hamah se firent surtout remarquer par le nombre de chrétiens qu'ils tuèrent. Des que le jour parut, le prince de Hamah, mon cousin, fit suspendre quelques-unes des têtes au cou des chevaux pris par nos gens pour donner ce spectacle au sulthan. Acre fut pressée encore plus virement. Enfin Dieu nous en ouvrit les portes le vendredi 17 de djoumada second (mai). Les habitants voyant les musulmans entrer l'épée à la main dans la ville, se sauvèrent en foule dans les vaisseaux. En dedans de la ville étaient plusieurs tours fortifiées comme des citadelles. Un grand nombre de Francs s'y étaient retirés, dans l'intention d'y faire une vigoureuse résistance. On commença par piller la ville qui renfermait d'immenses richesses, puis le sulthan ordonna à ceux qui se défendaient dans leurs tours de descendre : tous se soumirent à cet ordre, et furent ensuite massacrés sous les murs de la place. Le sulthan ordonna de détruire la ville et la rasa jusqu'au sol. Ce qui paraîtra fort singulier, c'est que sous Saladin les Francs étaient entrés dans Acre un vendredi à midi, le 17 de djoumada second ; ils avaient également massacré les musulmans de la ville. Dieu avait décrété, en cet instant même, qu’Acre serait prise cette année, le même jour et à la même heure.

La prise d'Acre répandit la terreur parmi les Francs de la Palestine : ils abandonnèrent Sidon et Béryte, qui furent immédiatement occupées par les musulmans. Les habitants de Tyr prirent aussi la fuite. Le sulthan en fit prendre possession, ainsi que d'Atelyeh et de Tortose, et les fit entièrement détruire. Ainsi toutes les villes de Syrie rentrèrent sous les lois de l'islamisme, avantage qu'on n'avait osé ni espérer ni même concevoir : ainsi fut lavée la souillure imprimée par la présence de ces meutes Francs, qui naguère menaçaient l'Egypte, Damas et toute la Syrie. C'est à Dieu que nous sommes redevables de ce bienfait : soyons-en reconnaissants, et rendons-lui de solennelles actions de grâces.

An 697 (1298). Les troupes d'Egypte et de Syrie pénètrent dans la petite Arménie, et occupent une grande partie du pays. Comme cette invasion avait excité les plaintes du peuple, Dondyn (Constant, fils de Lyfoun) profile de cette circonstance pour renverser son frère Sanbath et prendre sa place ; il se hâte en même temps de demander la paix aux troupes de l'islamisme, et ne l'obtient qu'en soumettant sa principauté à la puissance du sulthan d'Egypte, et en cédant tout le pays qui est en deçà de la rivière Djyhann (Pyrame), du côté du sud : cette contrée ne rentra sous la domination du prince de la petite Arménie que deux ans après, à la faveur de l'entrée des Tartares en Syrie.

An 699 (1299-1300). Kazan, petit-fils d'Abaga, passe l’Euphrate et pénètre en Syrie avec une nombreuse armée, composée de Mogols, de Géorgiens, d'apostats musulmans, etc. L'armée musulmane se mit aussitôt en marche, et le combat s'engagea dans une vallée située à l'est d'Emesse ; les musulmans, complètement défaits, furent poursuivis avec vigueur jusque sur les frontières d'Egypte : les Tartares s'emparèrent de Damas, et se répandirent dans toute la Syrie, y compris Carac, Jérusalem et Gaza.

Après cette victoire Kazan repassa l'Euphrate, laissant un corps de troupes mogoles en Syrie. L'émir Kapdjak, qui avait déserté la cause de l'islamisme, devait en avoir le commandement ; mais dès que Kazan eut quitté la Syrie, Kapdjak chercha à se raccommoder avec le sulthan d'Egypte, et vint se réunir a l'armée égyptienne. Cette désertion déconcerta les projets des Mogols, et les obligea à se sauver au-delà de l'Euphrate, ce qui fit retomber la Syrie entre les mains de l'islamisme.

An 702 (1302-3). Un parti considérable de Francs s'était fortifié dans l'île d'Aradus (Arouad), située près de la côte en face de Tortose. A l'abri de leurs remparts, ils s'avançaient jusque sur la côte voisine, et interceptaient les musulmans qui traversaient le pays. Désirant mettre un terme à leurs brigandages, Sayf’ eddin Assandemor, qui gouvernait la Syrie, sollicita une flotte du gouvernement égyptien. La flotte arriva devant l'île au mois de Moharram (août ou septembre), et s'en empara à la suite d'un sanglant combat. Les Francs furent tous tués on faits prisonniers ; leurs murailles furent rasées, et leurs richesses devinrent la proie des guerriers égyptiens.

Après plusieurs tentatives infructueuses les Tartares reviennent en Syrie avec toutes leurs forces, sous la conduite de Kothlou-Schab, lieutenant de Kazan ; au bruit de leur marche, les troupes musulmanes se replièrent, attendant, pour combattre, l'arrivée de Malek Nasser, sulthan d'Egypte. Le combat s'étant engagé, la droite de l'armée musulmane fut repoussée avec perte, mais le centre et la gauche obtinrent un plein, succès, et firent un grand carnage des ennemis.

An 705 (1305). Kara-Sanker, gouverneur de la province d'Alep, envoie un corps de troupes contre le prince de ta petite Arménie ; les musulmans étaient laissés à la conduite d'un mamlouk de Sanker, homme inepte et adonné au vin : Kaschtimour, c'était son nom, s'avança sans précaution dans le pays ennemi. L'Arménie était alors sous les lois de Haytom, frère de Dondyn ; ce prince avait auprès de lui un corps de Mogols et de guerriers Francs (chevaliers) ; fort de ces secours et de ses soldats arméniens, il surprit Kaschtimour près d'Ayas. Les musulmans ne purent résister à ces forces réunies, et lâchèrent le pied ; presque tous furent tués ou faits prisonniers : quelques-uns seulement trouvèrent leur salut dans les montagnes, et le petit nombre de ceux qui rentrèrent dans Alep arrivèrent à pied et entièrement dépouillés.

An 708 (1308). Les Hospitaliers s'emparent de l'île de Rhodes sur l'empereur de Constantinople. Cette conquête donna aux Hospitaliers la facilité de gêner la navigation de la Méditerranée ; aussi les relations entre l'Occident et les états musulmans devinrent dès lors plus difficiles.

Les Francs s'étaient emparés en 680 (1281) de l'île de Gerbe (ou Zerby). Cette île est située à une journée de Kabe, n'ayant que quelques marais entre elle et le continent. Cette année, Abouhafs-Omar, prince de Tunis, envoya une flotte et des troupes de débarquement pour l'arracher aux chrétiens. Ceux-ci reçurent à temps des secours de Sicile, et l'arrivée de la flotte chrétienne força les musulmans à revenir à Tunis.

An 722 (1321). J'allai cette année en Egypte pour faire ma cour au sulthan. Je fis avec lui une excursion jusqu'aux pyramides ; c'est là que j'eus l'occasion de voir le député du roi de Barcelone en Espagne. Le sulthan reçut ses présents avec bonté, et lui donna le double en retour. Après avoir congédié le député, le sulthan fit un voyage dans la Haute-Egypte, où je l'accompagnai jusqu'à Dendera.

 

 


 

[53] Ibn Alatyr.

[54] Les auteurs orientaux, lorsqu'ils veulent désigner Renaud de Châtillon, seigneur de Carac, ou Renaud de Sidon, s'accordent tout à écrire Arnalt, mot qui représente le Rainaldus des auteurs latins du temps.

[55] Ville située sur la côte occidentale de la Mer Rouge, un peu au-dessous du Tropique du Cancer. A cette époque, Aydab était très florissante, a cause du passage fréquent des pèlerins et du commerce de l'Inde et de la Mer-Rouge qui était concentrée dans ses murs.

[56] Ville située entre Médine et la Mekke, au-dessous du 22e degré de latitude.

[57] Chapelle octogone et couronnée d'un dôme; elle se trouva dans l’enceinte de la mosquée Alaksa.

[58] Cette ville était bâtie sur le bord de la mer, décrivant par son enceinte un arc dont la mer formait la corde.

[59] Le texte est tronqué, tant dan» le manuscrit que dans l'imprimé. Makrizi fixe le départ de Saladin au 19 de rebi premier (26 avril).

[60] Auteur de l'Histoire de Saladin, publiée par Schultens, en arabe et en latin

[61] L'Ihram est un voile qui consiste en deux pièces de toile et de laine, que le pèlerin met sur lui lorsqu'il est parvenu à une certaine distance de la Mekke ; mais il lui est permis, c'est mime un acte méritoire pour un musulman, de s'en revêtir avant d'y arrivée. C'est ce motif qui engageait paladin à prendre l’ihram à Jérusalem. Voy. le Tableau de l'empire ottoman, par Mouradjea d'Ohsson, Code religieux, tom. III, passim.)

[62] Ce passage appartient à Boha eddin, qui resta auprès de la personne de Saladin, jusqu'à ses derniers moments. (Voyez la vie de ce prince).

[63] Voy. Mouradjea d'Ohsson, Tableau de l'empire ottoman.

[64] M. le duc de Blacas a, dans sa belle collection de médailles coufiques, quelques médailles d'argent marquées au coin de Saladin.

[65] Ceci correspond à la quatrième croisade sous Henri VI.

[66] Le poète fait allusion à la robe ensanglantée du patriarche Joseph, jouant ainsi sar le nom de Joseph que portait Saladin, et sur les succès obtenus sur les chrétiens par son fils. Le sang que Malek-Aziz venait de répandre annonçait, dans la pensée du poète, au véritable fils de Saladin.

[67] Reiske fait observer que Sanuti place cet événement à l’année 1214 sans doute parce qu'on y travaillait encore à cette époque. Sanuti ajoute que cette forteresse se trouvait à neuf lieues d'Acre, et que le sulthan espérait incommoder de là les habitants de cette ville.

[68] Le château d'Allit est nommé par Jacques de Vitry le camp du fils de Dieu, et par le continuateur de Guillaume de Tyr, Chastel des pèlerins.

[69] Voyez ci-dessous à l'année 659.

[70] Le mot Negm eddin lignifie l’étoile de la religion ; c'est sous ce surnom que les historiens chrétiens ont plus ordinairement désigné Malek Saleh.

[71] Vraisemblablement ils y célébraient la messe.

[72] Voy. le plan de cette seconde Damiette, dans le Voyage d0 flït&uhr, ton». I, p. 52.

[73] Voy. sur Djémal eddin la notice qui est en tête de l'extrait suivant. Les détails que nous rapportons ici ont été renvoyés par Aboulféda à l'an 1397, année de la mort de Djémal eddin. Aussi avaient-ils échappé à D. Berthereau, qui avait terminé ses lectures à l'année 1390 inclusivement. Nous pensons que ces détails sont ici placés plus convenablement sous l'année à laquelle ils appartiennent.

[74] C'est à la même époque que Bibars envoya à Mainfroi une girafe et des prisonniers tartares avec leurs chevaux, qui étaient de race mogole.

[75] On sait qu'à cette époque on comprenait sous cette dénomination presque tout le royaume de Naples.

[76] Les auteurs du moyen âge ne s'accordent pas sur l'année de leur translation dans cette ville. Muratori, dans ses annales, en fait mention à l'année 1324.

[77] Dans ces temps où l'Italie était déchirée par des querelles, moitié politiques, moitié religieuses, Mainfroi n'avait que peu de foi en ses sujets chrétiens. Le pape ayant mis pour première condition à ses bonnes grâces, l'entière expulsion des Sarrasins d'Italie, Mainfroi s'y refusa. Il fit plus, il favorisa de tout son pouvoir l'établissement des musulmans d'Afrique dans ses états d’Italie.

[78] C'est une erreur ; Mainfroi fut tué le 26 février 1266, non par ordre du pape, mais les armes à la main et dans la chaleur du combat. Tous les détails qui précèdent paraissent peu dignes de foi.

[79] D'après un passage de Makrizi, elle devait se trouver auprès d'Acre, et non en Egypte, comme l'a cru Reiske.