Aboulfeda

ABOU’L FÉDA

 

HISTOIRE GENERALE OU ANNALES

(partie 1 - partie 2)

 

Traduction française : Mr. l'ABBE REINAUD

Œuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 


 

ABOU’L FÉDA[1]

 

NOTICE SUR ABOULFÉDA.

Aboulféda (Ismaël), prince de Hamah, né en 1273, deux ans après la mort de St. Louis, à Damas, où l'approche des Tartares avait forcé ses parents de chercher un refuge, appartenait à la branche de la famille des Ayyoubides, dans laquelle la principauté de Hamah était héréditaire.[2] Fidèle aux exemples que ses ancêtres lui avaient laissés, on le voit dès l'âge de douze ans débuter au siège de Markab, dans la carrière des armes. Il se trouve en 1289 au siège de Tripoli, et l'année suivante, il contribue à la prise de Saint-Jean-D’acre. Les colonies chrétiennes d'Orient ainsi anéanties, tous les efforts des sulthans d'Egypte et des chefs de principauté de Syrie, leurs feudataires, se portèrent contre les attaques répétées des Tartares. Aboulféda prit part aux expéditions dirigées contre ces barbares. Rappelé en 1299 à Hamah par Modhaffer son cousin, prince de cette ville, il avait quitté l'armée qui marchait à leur rencontre, et s'était rendu auprès du prince lorsqu'il mourut. Cet événement, qui semblait devoir assurer à Aboulféda la principauté de Hamah, faillit la ravir pour toujours à sa famille. Ses deux frères lui disputèrent cette riche succession, et les démêlés que leurs prétentions firent naître, fournirent au sulthan d'Egypte un prétexte pour incorporer Hamah à ses autres provinces. Cette ville fut alors gouvernée par des émirs envoyés d'Egypte jusqu'en 1310, époque où Aboulféda en obtint le commandement, d'abord comme gouverneur, et deux ans après comme prince de Hamah, Barin et Maarrah. Rétabli enfin dans la paisible possession de l'apanage de ses pères, il partagea son temps entre l'étude et les soins qu'exigeait la conservation de sa principauté dans ces temps difficiles. Il mourut en 1331, à l'âge de cinquante-huit ans.[3] Les nombreux ouvrages d'Aboulféda attestent ses vastes connaissances dans la géographie, l'histoire, les mathématiques, l'astronomie et la jurisprudence musulmane. Nous nous bornerons ici à le juger comme historien. Son abrégé de l'histoire générale (Almokhtasser fy akhbar albaschar) commence à la création du monde, et finit à l'année 1328 de J.-C.[4] Elle est composée de deux parties. Celle qui précède Mohammed n'est qu'une esquisse fort superficielle, et n'a pas été imprimée en entier : dans la seconde, c'est-à-dire celle qui commence à la naissance de l'islamisme, l'auteur donne à son sujet une extension plus considérable, et les détails vont toujours croissant jusqu'à l'époque où se termine l'ouvrage. Il résulte d'un plan aussi bizarre, commun du reste à nos chroniqueurs, et même suivi quelquefois par les auteurs grecs du moyen âge, que les derniers siècles occupent une place hors de proportion avec celle des premiers siècles de l'hégire. Cette histoire est une compilation abrégée des principaux ouvrages historiques publiés antérieurement, et il serait difficile de déterminer ce qui appartient en propre à notre auteur. Toutes les parties n'en sont pas traitées avec le même soin. Vainement y chercherait-on des notions un peu étendues sur les dynasties musulmanes répandues dans l'Afrique et en Espagne : Le peu de mots que l'auteur dit sur les états chrétiens de l'Occident, prouve que la connaissance de ces pays lui était étrangère. Quelquefois aussi, il n'a pas recouru aux sources les plus pures ; du moins peut-on lui reprocher d'être moins exact sur les révolutions qui agitèrent l'Asie mineure pendant la domination des Seldjoukides, qu'Aboulfaradj, qui avait écrit avant lui. Quant à la portion consacrée aux dynasties des mamelucks, l'auteur tait souvent les faits les plus importants, tandis qu'il se complaît dans des détails minutieux ; l'on ne doit pas perdre de vue que sa principauté étant à la merci des princes égyptiens, il ne pouvait sans danger présenter un tableau trop véridique des crimes qui ont souillé l'histoire de ces princes. L'histoire d'Aboulféda passe cependant, et avec raison, pour le monument historique des Arabes le plus imposant qui ait été publié dans notre Europe ; le succès qu'elle y a obtenu n'est pas seulement fondé sur la longue série de siècles qu'elle embrasse : on ne peut refuser à l'auteur le mérite de nous avoir conservé, sur les guerres des anciens khalifes contre les empereurs d'Orient, et sur certaines dynasties, des faits que nous ne connaissons que par lui.

On doit au célèbre Reiske l'édition de l'histoire d'Aboulféda, ainsi que la traduction latine et les notes qui l'accompagnent.[5] Nous avons collationné l'imprimé sur les exemplaires manuscrits de la bibliothèque du Roi, et cette révision du texte nous a fourni plusieurs importantes variantes. La traduction latine nous a paru de temps en temps laisser à désirer pour la clarté et même l'exactitude : si nous avons relevé quelques erreurs, nous en sommés redevables en partie à l'avantage d'avoir sous les yeux les mêmes faits racontés par vingt auteurs différents. Quant aux notes de Reiske, elles se rapportent presque toutes à la philologie, et deviennent à peu près étrangères au plan que nous nous sommes tracé. Nous avons eu soin d'avertir, dans celles que nous lui avons empruntées.

Nota. L'extrait de l'histoire d'Aboulféda commence à l'entrée des premiers croisés dans l'Asie Mineure, et se termine à l'année 1322. C’est un court précis des événements mémorables qui signalèrent la lutte entre les forces musulmanes et les guerriers de l'Occident ; les faits seront pour la plupart développés dans les extraits qui suivront : ce précis conservera néanmoins quelque intérêt aux yeux du lecteur, par la facilité qu'il y trouvera de classer dans son esprit les circonstances des mêmes événements, lorsqu'elles lui seront présentées sans suite et dans un cadre moins étendu.

A l'époque où les chrétiens latins parurent sur cette nouvelle scène, L'empire grec ne conservait que de bien faibles restes de ses belles provinces d'Asie. C'est vers l'an 1074 que Soleyman, fils de Koutoulmisch, avait pénétré en Asie Mineure, par ordre et au nom de Malek Schah, son cousin. A mesure que le général Seldjoukide poussait ses conquêtes, les pays de montagnes et les villes défendues par la nature, profitaient de leur isolement pour secouer le joug de la cour de Constantinople. Ainsi les plaines et les villes opulentes étaient laissées aux courses des barbares, pendant que l'égoïsme et des intérêts contraires paralysaient les forces qui auraient pu seules les en délivrer.

Mais cette nouvelle puissance se trouva à son tour divisée, à la mort de Soleyman (vers l'an 1086). Bientôt différents partis se formèrent ; tout porte à croire que si son fils, l'intrépide Kilidj Arslan, n'eût su, à l'arrivée des croisés, intéresser toutes les volontés à la défense commune, la ruine de cette même puissance aurait été plus rapide que son élévation.

Si nous portons nos regards plus à l'Orient, au centre du vaste empire des Seldjoukides, nous ne voyons que troubles et méfiance parmi les héritiers du nom du grand Malek Schah. A peine venait-il de mourir (en 1091), que la guerre éclate entre deux de ses fils, Barkiarok et Mahmoud, puis entre un troisième nommé Mohammed. L'esprit d'insubordination gagne aussitôt les commandants des armées, et ceux qui avaient reçu de Malek Schah les provinces à titre de fiefs.

Comme s'il n'eût pas suffi de tant d'éléments de discorde, Tanasch, [6] qui jusque-là avait sagement gouverné la plus grande partie de la Syrie, se mit aussi sur les rangs pour occuper la place de son frère. Sa fin malheureuse (en 1095) replongea la Syrie dans le même état d'anarchie qui l'avait désolée sous la domination des khalifes égyptiens : sous ses fils Redhwan, à Alep, et Dekkak, à Damas, les chefs de principautés qui s'étaient élevés à l'époque de la chute de la puissance égyptienne en Syrie, renouvelèrent leurs prétentions réciproques ; bientôt, tout en reconnaissant la suprématie du chef de la maison Seldjoukide, ils firent renaître ces querelles armées qui annoncent toujours l'absence d'une autorité tutélaire. Djenah Eddaulèh, d'abord au service de Redhwan, s'établit dans Emesse, à la faveur des divisions qui régnaient entre lui et son frère ; de son côté, Kerbogâ, ancien général des armées de Malek Schah, s'empara de Mossoul et de Nisibe. Ylghazi et Sokman, fils d'Ortok, en perdant Jérusalem (en 1096), étaient allés chercher fortune en Mésopotamie. Déjà nous voyons un prince de cette famille, bien établi dans Saroudj, jeter les premières racines d'une dynastie qui se conserva longtemps au milieu de révolutions si fréquentes : dans le même temps quelques-uns des chefs de Turcomans et d'Arabes, qui les premiers avaient levé contre Mostanser l'étendard de la révolte, se maintenaient dans Antioche et dans Tripoli.

C'est au milieu de ces déchirements que Mostali-Billah parvint à rétablir son autorité dans plusieurs des villes qui s'en étaient séparées sous son père ; des gouverneurs nommés par lui commandaient dans Tyr, Jérusalem, Saint-Jean-D’acre et Sidon. Mais qu'on n'aille pas s'exagérer la puissance du fils de Mostanser. A l'époque dont nous parlons, la monarchie égyptienne était sur le penchant de sa ruine ; les khalifes étaient enfermés dans leurs palais, et l'autorité devenait, entre les mains des soldats, le prix de l'audace entreprenante et d'une ambition qui ne connaissait pas de frein.


 

ABOULFEDA

HISTOIRE GENERALE

OU ANNALES

EXTRAITS (1092-1322)

 

An 485 de l'hégire (1092-1093 de J. C). Le sulthan Malec-Chah, voulant établir son frère Tutuch dans le gouvernement de la Syrie, donna l'ordre à Ak-Sonkor (gouverneur d'Alep) d'aider ce prince à conquérir toutes les parties de ce pays qui se trouvaient entre les mains du khalife Alide (Fatimide) qui régnait en Egypte. Ak-Sonkor partit avec Tutuch et alla prendre position devant Emesse, ville qui était (tombée) au pouvoir de Khalef Ibn Mola'eb (chef arabe). Tutuch s'étant emparé d'Emesse, fit prisonniers Khalef et les deux fils de ce chef ; puis il alla prendre (la ville d’) Arka et ensuite (celle d') Apamée. — Nizam el-Molc (vizir de Malec-Chah) meurt d'un coup de poignard que lui porta un jeune homme, natif de Deïlem. —Le sultan Malek-Chah, étant sorti de Bagdad pour se livrer à la chasse, rentra avec une maladie dont il mourut. Il était fils d'Alp-Arslan, fils de Dawoud, fils de Micaïl, fils de Seldjouk. Ce fut le plus beau des hommes, tant d'âme que de corps. Son autorité s'étendait depuis les frontières de la Chine jusqu'à l'extrémité de la Syrie et depuis les contrées musulmanes les plus reculées du nord jusqu'au fond du Yémen. Les rois de Roum (les empereurs de Constantinople), lui payaient tribut. Son règne fut un temps de justice, de repos et de sécurité ; ses États jouissaient de la prospérité et de l'abondance. — Turcan Khatoun (la princesse des Turcs), femme de Malec Chah, cacha la mort de son mari, partit pour Ispahan avec les émirs qu'elle avait gagnés en leur distribuant de l'argent, et, arrivée dans cette ville, elle fit prêter aux troupes le serment de fidélité envers son fils Mahmoud. Ce prince n'avait alors que quatre ans et quelques mois. La khotba fut alors prononcée à Bagdad et dans d'autres lieux au nom de Mahmoud. De son côté, Barkiarok (fils aîné de Malec-Chah) rallia à sa cause les troupes nidamiennes (corps de mamlouks formé par le vizir Nizam el-Molc), et fortifia ainsi son parti. Avant alors mis en déroute une armée, que Turcan-Khatoun avait envoyée contre lui et les Nidamiens, il poursuivit les fuyards et les bloqua dans Ispahan.

An 486 de l'hégire (1093-1093 de J. C). Tutuch voulut profiter de la mort de son frère Malec-Chah pour s'emparer du sultanat, et partît de Damas avec une armée. Ak-Sonkor, seigneur d'Alep, se déclara pour lui ; Yaghi-Sian fit célébrer la prière publique dans Antioche au nom de ce prince, et Bouzan, seigneur d'Emesse, en Fit de même. Tutuch, s'étant mis en marche avec Ak-Sonkor, prit d'assaut la ville de Nisibe, s'empara de Mossoul et se rendit dans l’Azerbaïdjan, après avoir soumis le Diar-Bekr. Barkiarok ayant marché contre lui afin de le repousser, Ak-Sonkor déclara qu'il s'était mis aux ordres de Tutuch pour la seule raison qu'aucun des fils de Malec-Chah ne s'était présenté pour occuper le trône ; mais « maintenant, dit-il, que Barkiarok, fils de ce sultan, s'est déclaré souverain, nous ne soutiendrons aucun autre que lui. » Il quitta alors Tutuch et se rendit auprès de Barkiarok. Tutuch, affaibli par cette défection, rentra en Syrie. — Les troupes d'El Mostanccer-Billah, khalife alide qui rejetait en Egypte, occupent la ville de Tyr.

An 487 de l'hégire. (1094-1095 de J. C.). Mort d'El-Moktadi-Bi-Amr, khalife de Bagdad. Son fils El-Mos-tadher-Billah Ahmed reçoit du peuple le serment de fidélité, et Barkiarok, qui venait d’arriver à Bagdad, lui engage aussi sa Foi. Le nouveau khalife était alors âgé de seize ans et deux mois. — Tutuch, étant rentré en Syrie après avoir évacué l'Azerbaïdjan, se mit à lever des groupes et parvint à rassembler une nombreuse armée. Ak-Sonkor, de son côté, fit des levées à Alep et reçut un corps de renforts que Barkiarok venait de lui envoyer sous la conduite de Corbogha. Dans la bataille qui s'ensuivit, une partie des troupes d'Ak-Sonkor passa du côté de Tutuch et le reste s'enfuit en désordre. Ak-Sonkor, qui s'était tenu ferme (sur le champ de bataille), fut fait prisonnier et conduit devant Tutuch. « Qu'auriez-vous fait, lui dit celui-ci, si j'étais tombé en votre pouvoir ? » Ak-Sonkor répondit : « Je vous aurais ôté la vie. » « Eh bien, reprit Tutuch, je vous traiterai comme vous m'auriez traité, » et il le fit mettre à mort. Tutuch, s'étant alors dirigé sur Alep, s'empara de cette ville et ôta la vie à Bouzan, qu'il venait de faire prisonnier. Corbogha, qui était aussi devenu son prisonnier, fut envoyé à Emesse et mis en prison. Tutuch s'empara ensuite de Harran et d'Edesse, envahit et soumit les provinces de la Mésopotamie septentrionale et se rendit maître du Diar-Bekr et de Khélath. Etant passé de là dans l'Azerbaïdjan, il y établit son autorité et alla ensuite prendre possession de Hamadan. Un ambassadeur envoyé par lui auprès d'El-Mostadher obtint de ce khalife que la khotba fût prononcée à Bagdad au nom de son maître. — Barkiarok, surpris (dans son camp) par un détachement de l'armée de Tutuch, s'enfuit à Ispahan, où se trouvait son frère Mahmoud. Quelques généraux au service de Mahmoud, l'ayant arrêté, voulaient lui faire ôter la vie quand, heureusement pour lui, Mahmoud mourut de la petite vérole. Toutes les troupes du prince décédé se réunirent alors autour de Barkiarok. — L'Émir el-Djoyouch Bedr el-Djemali mourut en Egypte, cette année. Toute l'autorité dans l'empire d'El-Mostancer appartenait à lui seul ; rien ne s'y faisait que par son autorisation. Il eut pour successeur son fils El-Afdal. El-Mostancer-Billah mourut aussi dans cette année, après avoir occupé le khalifat d'Egypte pendant soixante ans et quatre mois. Il fut remplacé par son fils. El-Mosta’li-Billah.

An 488 de l'hégire (1095 de J.C). Tutuch se dirigea vers (la ville de) Reï pendant que son frère Barkiarok souffrait d'une maladie. Celui-ci, s'étant remis de son indisposition, partit d'Ispahan avec ses troupes afin de livrer bataille à son rival. Le combat eut lieu dans le voisinage de Reï, et Tutuch, dont l'armée fut mise en déroute, resta ferme (sans reculer) jusqu'à ce qu'il fût tué. Barkiarok se trouva ainsi seul maître du sultanat

Rodouân, fils de Tutuch, revint à Alep aussitôt qu'il eut appris la mort de son père, et se fit proclamer souverain ; Sokmân, fils d'Ortok, s'empara de Saroudj ; Dokak, l'autre fils de Tutuch, s'évada secrètement d'Alep et se rendit à Damas, ville qui lui fut remise par Saoutikin, commandant de la citadelle. Il accueillit, alors très honorablement Toghlikin, mari de sa mère, qui était venu le joindre. Yaghi-Sian, seigneur d'Antioche, se rendit aussi auprès de Dokak.

An 489 de l'hégire (1096 de J. C.). Corbogha ayant été remis en liberté d'après un ordre que Barkiarok venait d'envoyer à Rodouân, rassembla autour de lui une foule d'aventuriers et alla mettre le siège devant Nisibe. Avant pris cette ville, il marcha sur Mossoul et l'obligea à capituler après l'avoir tenue bloquée pendant neuf mois. Il traita les habitants avec beaucoup d'humanité. — Les troupes du khalife égyptien enlèvent Jérusalem à Ilgazi et Sokmân, tous les deux fils d'Ortok.

An 490 de l'hégire (1096-1097 de J. C). Rodouân part d'Alep avec Yaghi-Sian dans le dessein d'enlever la ville de Damas à son frère Dokak. N'ayant pu exécuter son projet, il se dirigea sur Jérusalem et ne fut pas plus heureux, Yaghi Sian le quitta, alors et se rendit auprès de Dokak, à qui il représenta comme une chose très facile la conquête de la ville d'Alep. Dokak suivît ce conseil et marcha à la rencontre de Rodouân ; mais, dans le combat qui s'ensuivit, il eut à subir une défaite.

An 491 de l'hégire (1097-1098 de J. C). Invasion de la Syrie par les Francs : prise d'Antioche et autres lieux. Les Francs s'étaient mis en marche l'année précédente. Avant franchi le canut de Constantinople. Ils pénétrèrent dans les États de Kilidj-Arslan, ibn Soleïman Ibn Koutoulmisch, à savoir : Icone et autres lieux. Dans une bataille livrée à Kilidj Arslan, ils lui firent essuyer une défaite. Se dirigeant ensuite vers le pays de Léon l'Arménien (la petite Arménie), ils débouchèrent du côté d'Antioche. Pendant neuf mois qu'ils tinrent cette ville assiégée, Yaghi-Sian y déploya une grande bravoure. Ils y pénétrèrent enfin de vive force, et Yaghi-Sian en fut si consterné qu'il s'enfuit de la ville pendant la nuit. Au lendemain, quand il eut repris ses esprits, il se mit à gémir sur le sort de sa famille, de ses enfants et des Musulmans. Telles furent ses souffrances qu'il perdit connaissance et tomba par terre. En vain ceux qui l’accompagnaient essayèrent de le remettre à cheval ; il n'avait plus assez de force pour se maintenir en selle. Alors on l’abandonna, le laissant couché sur le sol, et un Arménien, qui était occupé à couper du bois, le trouvant sur le point de rendre le dernier soupir, lui coupa la tête et la porta aux Francs dans Antioche. Yaghi-Sian était Turcoman d'origine et fils de Mohammed Ibn Alp-Arslan. Ce fut dans le mois de djoumada premier (avril-mai 1098) que les Francs se rendirent maîtres d'Antioche. Ils passèrent les Musulmans de la ville au fil de l’épée et mirent au pillage les biens des habitants. Corbogha, seigneur de Mossoul, ayant appris ce que les Francs avaient fait à Antioche, rassembla ses troupes et se porta en avant jusqu'à Merdj Dabek. Auprès de lui se réunirent Dokak, seigneur de Damas, Toghtïkin l'atabek (3), Djenah ed-Daula, seigneur d'Emesse, plusieurs autres émirs et une foule d'Arabes nomades. Djenah ed-Daula avait épousé la mère de Rodouan ; mais, s’étant ensuite séparé de ce prince, il quitta la ville d’Alep et alla s’emparer d’Emesse. Ces chefs marchèrent sur Antioche et y bloquèrent les Francs. Telle fut la consternation de ceux-ci qu’ils demandèrent à Corbogha la permission de se retirer librement, mais leur prière fut repoussée. Corbogha commença alors à user de mauvais procédés envers les princes et les émirs qui étaient venus se joindre à lui ; il agit avec tant de hauteur qu’il finit par les indisposer contre lui. Les Francs, vivement pressés et manquant de vivres, sortirent de la ville, livrèrent bataille aux Musulmans et les mirent en fuite. Un grand nombre des assiégeants fut tué, leur camp fut pillé, leurs armes et leurs approvisionnements servirent à soutenir les forces des Francs. Après la déroute des Musulmans, les Francs se portèrent contre la ville d’El Ma’arra et s’en rendirent maîtres. Les habitants furent passés au fil de l’épée : plus de cent mille hommes y furent tués et le nombre des captifs fut très grand. Les Francs, après être restés quarante jours à El-Ma’arra, se dirigèrent du côté d’Emesse ; mais les habitants de cette ville s’empressèrent de faire la paix avec eux.

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An 491 de l'hégire (1098 de J.-C). Les Francs s'étaient mis en marche dès l'année précédente ; ils passent le détroit de Constantinople et entrent dans les états de Kilidj-Arslan, qui régnait sur Icône, etc. Il se livre quelques combats dans lesquels Kilidj-Arslan est battu. Les Francs traversent ensuite la Cilicie, et arrivent devant Antioche. Ils l'assiègent pendant neuf mois. Le gouverneur Baghi-Syan la défend avec une grande intrépidité ; mais voyant ses efforts sur le point d'échouer, il s'enfuit pendant la nuit. Revenu le lendemain de sa frayeur, il pleure sur le sort de sa famille, de ses enfants, et sur les désastres des musulmans. Absorbé dans sa douleur, il tombe sans connaissance. Ceux qui l'accompagnaient tentent de le remettre sur son cheval. Son extrême faiblesse l'empêchant de s'y tenir, ils le laissent à terre, abandonné à sa destinée. Un bûcheron arménien passe tandis qu'il rendait le dernier soupir, lui coupe la tête et la porte à Antioche.

Les Francs entrent dans Antioche au mois de djoumada premier (avril) ; ils pillent la ville et passent les musulmans au fil de l'épée.

Lorsque Kerbogâ, prince de Mossoul, apprit les succès des Francs devant Antioche, il se rendit avec son armée dans la plaine de Dabek (non loin de la ville de Kenesrin). Dekkal, prince de Damas, Thogdekin, son atabek, [7] et Djenab Eddaulèh, prince d'Emesse, se réunirent à Kerbogâ avec d'autres émirs et généraux. Ils s'avancèrent vers Antioche, et resserrèrent les Francs dans la ville. La terreur qu'ils inspiraient fut telle que les Francs demandèrent à Kerbogâ, comme la plus grande faveur, ta faculté de se retirer ; ce qui leur fut refusé. Kerbogâ, enorgueilli par ses succès, traita les princes confédérés avec beaucoup de hauteur ; et bientôt ceux-ci trouvèrent l'occasion de s'en venger. Les Francs se voyaient réduits aux dernières extrémités : ils étaient en proie à une horrible famine. Poussés par le désespoir, ils sortirent de la ville et attaquèrent les musulmans, qui furent mis en pleine déroute. Le nombre des morts fut considérable. Les Francs pillèrent les tentes des vaincus et s'emparèrent des armes et des approvisionnements dont les musulmans étaient abondamment pourvus. Rien ne s'opposent plus à la marche des Francs, ils allèrent assiéger Maarrah, massacrèrent les habitants du pays, au nombre de plus de cent mille, sans compter ceux qu'ils emmenèrent en esclavage, firent dans la ville un butin considérable, et s'y arrêtèrent pendant quarante jours. Ils marchèrent ensuite sur Emesse, qui demanda la paix.

An 492 (1098-9). Tanasch avait donné Jérusalem en fief à l'émir Ortok, qui la transmit à ses deux fils Ylghazi et Sokmân, sur lesquels les Egyptiens s'en étaient emparés par capitulation en 489 (1096).[8] Les Francs assiégèrent Jérusalem pendant plus de quarante jours, et la prirent un vendredi 21 de chaban (milieu de juillet). Le massacre dura une semaine : plus de 70.000 personnes périrent dans la mosquée Alaksa.[9] Sur le nombre il se trouvait plusieurs imams, des savants et autres personnes consacrées au service de Dieu. Le butin fut immense.

Bagdad reçut par les fuyards la nouvelle de ce désastre : on était alors au mois de ramadhan (août). Les habitants se livrèrent à la douleur et se répandirent dans les mosquées pour implorer la miséricorde divine. Leur trouble était tel qu'ils ne pensèrent plus à observer le jeûne. La discorde s'était mise dans la maison des princes Seldjoukides, ce qui favorisa singulièrement les progrès des Francs. C'est sur ces temps d'infortune que Modhaffer-Abyvardi a composé ces vers :

« Notre sang s'est mêlé à nos larmes. Qui de nous pourra éloigner les malheurs qui nous menacent ?

» Les tristes armes que les pleurs, lorsque la guerre embrase tout avec ses épées étincelantes !

» O musulmans ! bien des combats vous restent à soutenir, dans lesquels vos têtes rouleront dans la poussière avec les sabots de vos chameaux.

» Comment fermer la paupière au milieu de commotions qui réveilleraient l'homme le plus profondément endormi !

» Vos frères, dans la Syrie, n'ont pour se reposer que le dos de leurs infatigables chameaux, ou les entrailles des vautours.

» Les étrangers les couvrent d'opprobre, tandis que vous vous traînez dans la mollesse comme quelqu'un qui n'a pas d'ennemi à redouter.

» Que de sang a été répandu ! Combien de femmes ont été obligées de cacher leur beauté à l'ombre des forteresses !

» Les coups de lance et d'épée exercent de tels ravages que la terreur qu'ils inspirent fait blanchir la tête des enfants.

» Guerres terribles ! Ceux mêmes qui ont fui le théâtre des combats, ne peuvent en éviter les atteintes.

» Les cadis se voient à la merci des infidèles. Leurs cous et leurs crânes ont servi de jouets aux impies.

» Écoutez celui dont la cendre repose dans la reine des cités, [10] à qui la douleur arrache ces paroles : « O enfants de Haschem.[11]

» Mon peuple n'ose se montrer à l'ennemi, tandis que ma religion croule par les fondements.

» Ils s'éloignent du péril, crainte de la mort ; et ils ne voient pas que le déshonneur laisse une trace ineffaçable.

» Les escadrons des Arabes se résigneront-ils à de tels maux ? et les guerriers de la Perse se soumettront-ils à un tel avilissement ?

» Ah ! du moins puisque la religion ne les enflamme plus, que le salut de ce qu'ils ont de plus cher ranime leur courage. » Si la vue seule du péril les jette dans l'abattement, l'espérance d'une riche proie n'est-elle pas pour leurs ennemis un aiguillon qui leur fera tout braver ? »

An 493 (1099-1100). Kemeschtekin, fils de Thaylou, connu sous le nom de fils du docteur (Danischmend en persan), parce que son père avait fait le maître d'école chez les Turcomans, qui désignent ainsi cette profession, s'était élevé par degrés jusqu'à se faire reconnaître prince de Malathia, de Syvas (Sébaste), etc. ; il surprit les Francs presque sous les murs de Malathia, leur livra bataille, et fit leur chef[12] prisonnier.

An 494 (1100-1101). Le cadi Abou Mohammed Obeïd allah ben Mansour, surnommé le fils de Solayheh, se trouvait vivement pressé par les Francs dans la ville de Djibleh, qu'il possédait en souveraineté. La crainte de ne pouvoir s'y maintenir l'engagea à écrire à Thogdekin, atabek de Dekkak, prince de Damas ; il lui demandait quelqu'un à qui il pût remettre ta ville, qui était à la veille de succomber sous les efforts de l'ennemi. Thogdekin lui envoya son fils Bouri, qui, une fois maître de Djibleh, exerça la plus horrible tyrannie. Les habitants, aigris par ses violences, implorèrent le secoure d'Abou Ali, fils de Mohammed ben Ammar, prince de Tripoli, à qui ils exposèrent les mauvais traitements auxquels ils étaient en proie. Le prince de Tripoli, qui en fut touché, envoya un corps de troupes pour appuyer leurs prétentions. Bouri fut mis en déroule ; l'armée de Tripoli occupa Djibleh, et envoya sous bonne garde Bouri à Ben Ammar. Bouri fut traité avec toutes sortes d'égards, et renvoyé à son père Thogdekin : quant au cadi, il se retira avec sa famille et sa fortune à Damas, d'où il passa à Bagdad, où il fit généreusement part de ses richesses au sulthan Barkiarok, alors dans la détresse.

Les Francs s'emparèrent de Saroudj en Mésopotamie[13] (sur Balak, fils de Bahram, fils d'Ortok). Les habitants qui échappèrent au fer des vainqueurs, furent réduits à l'esclavage.

Ils se rendirent maîtres d'Arsouf et de Césarée sur la côte.

An 495 (1101-2). Mort de Mostali, khalife d'Egypte, après un règne de sept ans et deux mois ; son fils Al Amer lui succède, âgé d'un peu plus de cinq ans.

Mort de Kerbogâ, prince de Mossoul. Cette ville tombe au pouvoir de Djekermisch, prince du Djézireh-Ben-Omar (qui fait partie de la Mésopotamie).

Le comte de Saint-Gilles forme le siège de Tripoli, alors au pouvoir de Ben Ammar. Comme il n'avait qu'une poignée d'hommes avec lui, il se contenta d'une somme d'argent que les habitants lui payèrent, et se dirigea vers Tortose (Antharthous). La ville fut prise, et les musulmans qui l'habitaient furent passés au fil de l'épée. Il entreprit ensuite le siège du château des Kurdes (situé à quelques lieues d'Emesse, entre cette ville et Tripoli). Djenah Eddaulèh, prince d'Emesse, se mettait en devoir de marcher contre lui avec ses troupes, lorsqu'il fut surpris et poignardé par un ismaélien (un assassin[14]) dans une mosquée. A cette nouvelle, le comte de Saint-Gilles abandonna le siège du château des Kurdes pour se rendre devant Emesse, dont il occupa tout le territoire.

An 497 (1103, novembre). Au mois de safer, les Francs firent une incursion sur le territoire du château de Djabar et sur celui de Rakkah, et emmenèrent les hommes et les bestiaux. Ces deux places appartenaient à Salem, fils de Malek, fils de Bedran-Okaylide, qui les avait obtenues de Malek Schah en échange d'Alep.

Le comte de Saint-Gilles comptant sur l'appui de nouvelles forces qui arrivaient par mer de l'Occident, reprend le siège de Tripoli par mer et par terre ; mais rebuté par des obstacles insurmontables, il tourne ses efforts contre Djobayl, et la prend par capitulation. De là il marche contre Acre. Un corps de Francs était venu de Jérusalem pour le seconder. La ville fut assiégée par terre et par mer. Elle était alors gouvernée au nom du khalife d'Egypte, par Bana-Zahr Eddaulèh, surnommé Aldjoyouschy, parce qu'il avait été dans l'origine esclave de l'émir Aldjoyousch (ou généralissime ; c'est le titre que prenait le premier ministre, sous les khalifes fatimides d'Egypte.) Le siège fut long : les Francs finirent cependant par entrer de force dans la ville, et se montrèrent sans pitié envers les habitants. Bana s'était sauvé à Damas, et de là en Egypte. A cette époque il régnait une grande désunion parmi les princes musulmans. Les volontés étaient divisées, les vues divergentes, et les forces brisées par la discorde.

Les Francs se dirigent sur Harran. Djekermisch, prince de Mossoul, Sokmân, fils d'Ortok, et les Turcomans[15] jurent d'agir de concert et marchent contre les Francs. S'étant concentrés près du Khabour (rivière qui se jette dans l'Euphrate, après avoir baigné une ville du même nom), ils joignent les Francs auprès de la petite rivière du Balykh (qui se décharge dans l'Euphrate, un peu au-dessous de Bakkah), et remportent une pleine victoire. Les Francs prirent la fuite, laissant beaucoup de morts. Le comte d’Édesse (Baudouin du Bourg), fut du nombre des prisonniers.

Dekkak, prince de Damas, ne laisse en mourant que des enfants en bas âge ; Thogdekin est continué dans la régence, et unit par s’arroger toute l'autorité.

An 498 (1104-5). Mort de Sokmân, fils d'Ortok, prince de Hisn-Kaifah et de Maridin ; il meurt en route tandis qu'il se rendait auprès de Thogdekin qui, surpris par la maladie, avait réclamé son secours dans la guerre qu'il avait à soutenir contre les Francs. Sokmân est remplace dans Hisn-Kaifah par Ibrahim, son fils, et par Ylghazi, son frère, dans Maridin.

Bataille entre les Francs d'Antioche et Redhwan, prince d'Alep, auprès de Tyzyn, dans le territoire d'Alep.[16] Les musulmans prennent la fuite, laissant un grand nombre de morts et de prisonniers. Les vainqueurs se rendent maîtres d'Artah.

An 499 (1105-6). Khalaf, fils de Molaeb (de la tribu arabe des Bènou Kelab), prince d'Emesse, fermait les yeux sur les brigandages exercés par ses gens et par ses sujets. Les routes n'étaient plus surveillées, et les gens du pays se voyaient en butte à toutes sortes de vexations. Tanasch, prince de Damas (c'était en 485 (1092), indigné de cette conduite, avait retiré Emesse de ses mains. Khalaf, après bien des aventures, avait fini par se fixer en Egypte. Sur ces entrefaites, celui qui commandait à Apamée au nom de Redhwan, et qui avait une secrète inclination pour le parti des khalifes d'Egypte, fit proposer au khalife de livrer sa ville à l'officier qu'il lui enverrait. Khalaf se présenta et fut accepté pour cette mission ; mais à peine fut-il le maître d'Apamée et de sa citadelle, qu'il secoua le joug du prince égyptien. Il refusa de payer les droits d'usage, et recommença ses brigandages, au point qu'on n'osait plus se hasarder sur les grands chemins. Dans ces circonstances, le cadi de la ville se concerta avec les principaux habitants, et écrivit au prince d'Alep, avec prière d'envoyer des forces suffisantes pour se rendre maître de la ville pendant la nuit, s'engageant du reste à en faciliter les moyens. Quand les troupes d'Alep furent arrivées au lieu convenu, le cadi et ses complices les firent monter, à l'aide de cordes, jusqu'au haut de la citadelle. Maîtres alors d'agir, elles massacrent Khalaf et une partie de ses enfants, mettent le reste en fuite, et prennent possession de la citadelle. Mais bientôt après les Francs viennent assiéger Apamée, prennent la ville et la citadelle, tuent le cadi qui s'en était arrogé la propriété.

Le comte de Saint-Gilles s'empare de Djibleh, puis vient reprendre le siège de Tripoli. Il bâtit tout auprès de la ville un château, qui reçut le nom de Sangyl (Saint-Gilles), avec des maisons tout autour. Dans une sortie, les assiégés mirent le feu à la nouvelle ville. Le comte de Saint Gilles rat surpris sur un toit par les flammes, et tomba avec la charpente. Cet accident lui occasionna une maladie, qui l'emporta au bout de dix jours. Son corps fut porté à Jérusalem, où on lui rendit les derniers devoirs. Cependant le siège dura encore cinq ans. Ben Ammar était en proie à toutes les horreurs d'un siège poussé avec la dernière vigueur ; les approvisionnements étaient devenus très difficiles, la disette était extrême, et les riches gémissaient dans la misère.

An 501 (1107-8). Le prince de Tripoli se rend à Bagdad, ne pouvant plus se maintenir dans la ville depuis les progrès des Francs en Syrie. Il se présenta au sulthan Mohammed, fils de Malek Schah, et au khalife Mostadher, dont il réclamait les secours ; le peu de succès de ses poursuites rengagea à retourner à Damas, auprès de Thogdekin, qui lui céda Zabdani[17] en fief. Quant à la ville de Tripoli, les habitants, pénétrés de l'inutilité des efforts de leur souverain, s'étaient rangés sous la domination des khalifes d'Egypte.

An 503 (1110, 2 juillet). Le 11 du mois de dzoulhidjeh, les Francs entrent dans Tripoli. Cette ville, cernée par mer et par terre, était plus étroitement serrée depuis le 1er de ramadhan (avril). Le khalife d'Egypte, dont le lieutenant commandait dans la ville, avait envoyé une flotte qui ne put entrer à cause des vents contraires. Les Francs prirent Tripoli d'assaut. Les habitants furent tués ou réduits à l'esclavage, et la ville éprouva tous les malheurs de la guerre. Heureusement qu'une partie des habitants s'étaient retirés précédemment à Damas, en vertu d'une convention rédigée avant l'occupation de la ville.[18]

An 504 (1110-1111, octobre). Au mois de rebi second, les Francs s'emparent de Sidon par capitulation.

Le prince d'Antioche marche avec un corps de Francs sur Atareb, dans les environs d'Alep, et la prend d'assaut après un siège assez long. Deux mille habitants[19] furent immolés à la vengeance des vainqueurs ; le reste fut fait prisonnier. Les Francs attaquèrent ensuite Zerdenah, la prirent d'assaut et lui firent subir le même sort. Ensuite ils se rendirent devant Manbedj (l'ancienne Hiérapolis), et enfin devant Bales, petite ville située sur l’Euphrate, et les trouvèrent l'une et l'autre entièrement abandonnées. Là, se termina l'expédition.

Cependant ces succès avaient répandu la terreur dans la Syrie. Pour obtenir la paix, Redhwan se soumit à un tribut de 33.000[20] dinars (écus d'or), ainsi qu'à une contribution en chevaux et en étoffes. Les autres états de la Syrie achetèrent la paix des Francs fort chèrement. Les habitants de Tyr s'obligèrent à un tribut de 7.000 écus d'or. Le fils de Monkad, prince de Schayzar, ville située sur l'Oronte, devait en payer 4.000, et Ali le Kurde, prince de Hamah, 2.000.

Je lis ceci dans Ibn-Khakkan, auteur du Dictionnaire des Hommes illustres, à l'article du khalife Al Amer. En l'année 511 (1118), Baudouin fit une attaque sur l'Egypte et s'avança jusqu'à Faramah, un peu à l'est des ruines de Péluse[21] ; il s'en rendit maître, la livra aux flammes, avec toutes ses mosquées grandes et petites. Une maladie, dont il fut attaqué, l'obligea à reprendre la route de Syrie. Il mourut en chemin avant d'arriver à El Arisch.[22] Ses gens ouvrirent son corps et déposèrent ses entrailles au lieu où l'on voit encore un cippe ou tombeau de pierres : le corps fut transporté à Jérusalem où on l'enterra dans l'église de la Résurrection. C'est du nom de ce prince que le terrain sablonneux situé au milieu du désert sur la route de Syrie, est connu encore aujourd'hui sous le nom de sables de Baudouin.[23] Le peuple regarde ce tas de pierre comme le tombeau de ce prince : mais il renferme seulement ses entrailles.

An 505 (mi-1112). Le sulthan Mohammed[24] envoie contre les Francs une armée sous la conduite de Maudoud, qui se trouvait à la tête de la principauté de Mossoul depuis la mort de Djekermisch ; il devait être secondé par les autres princes du pays. Les confédérés attaquèrent d'abord Edesse ; cette tentative ayant échoué, ils se dirigèrent vers Alep. A leur approche Redhwan fit fermer les portes de la ville, et se refusa à toute entrevue avec les princes confédérés, dont il redoutait les vues ambitieuses. Arrivés à Maarrah, ils se dispersèrent sans avoir rien fait.

An 506 (1112-3). A la nouvelle de la mort de Basile, prince de la petite Arménie, autrement dit le pays de Sys, le prince d'Antioche (Tancrède) se mit en marche pour s'en rendre maître. Il mourut en chemin, et eut Syrodjal (Roger) pour successeur.[25]

An 507 (1113). Coalition entre Maudoud, Tymurk, [26] prince de Sindjar, Thogdekin, etc. A l'approche de Maudoud, Thogdekin va à sa rencontre, et le joint près de Salemyeh, (ville située à deux journées de Hamah sur les limites du désert), d'où il l'emmène à Damas. Cependant les Francs avaient rassemblé toutes leurs forces ; ils avaient à leur tête le roi Baudouin et Josselin, prince de Tell-Bascher, Edesse, etc. Les deux armées en vinrent aux mains non loin de Tibériade, le 13 de moharram (29 juin). Dieu se déclara contre les Francs : ils prirent la fuite et essuyèrent de grandes pertes. Les musulmans rentrèrent victorieux dans Damas.

Redhwan ne laissait à sa mort qu'un fils nommé Alp-Arslan, âgé de seize ans, sous lequel la direction des affaires fut confiée à l'eunuque Loulou. Redhwan ne fut pas regretté ; sa vie criminelle et sa folle confiance dans la secte impie des Bathéniens, qu'il soutint de tout son pouvoir, avaient soulevé l'indignation générale. Aussi quand il ne fut plus, les habitants d'Alep firent main-basse sur tous les Bathéniens qui se trouvaient dans la ville, et pillèrent leurs biens.

An 508 (1114-5). Après que Maudoud fut tombé sous les coups d'un assassin, le sulthan Mohammed accorda la principauté de Mossoul à Aksanker-Borsaki, à la charge de se concerter avec les émirs et les princes des villes voisines pour accabler les Francs. Il s'éleva sur ces entrefaites des querelles années entre Borsaki et Ylghazi. Ce dernier battit son rival ; mais trop faible contre la puissance du sulthan, il se réfugia auprès de Thogdekin. Ils traitèrent l'un et l'autre avec les Francs, qui consentirent à les servir avec zèle. Quelque temps après, Ylghazi retournant dans ses états avec une faible escorte, fut enlevé dans les environs d'Emesse par Kirkhan, fils de Keradja, prince de cette ville, qui le retint longtemps prisonnier : il lui rendit enfin la liberté, après qu'ils se furent juré une éternelle alliance.

An 509-1115. Le sulthan envoie une armée nombreuse contre Thogdekin et Ylghazi. Elle passe l'Euphrate à Bakkah, se dirigeant vers Alep. Comme cette ville refusa d'ouvrir ses portes, l'année se rendit devant Hamah, qui reconnaissait les lois de Thogdekin. Elle fut assiégée, prise d'assaut, livrée au pillage pendant trois jours, et remise ensuite à Kirkhan.

Tandis que les troupes musulmanes étaient cantonnées dans Hamah, [27] Ylghazi, Thogdekin et les princes francs, leurs alliés, tels que le prince d'Antioche, celui de Tripoli, etc., étaient tous réunis à Apamée, attendant que les musulmans se fussent dispersés. L'hiver vint sur ces entrefaites ; les Francs se dispersèrent. Thogdekin rentra dans Damas, Ylghazi retourna à Maridin. Les musulmans, qui étaient dans Hamah, allèrent aussitôt s'emparer de Kafarthab, massacrèrent les Francs qui s'y trouvaient et pillèrent la ville. Ensuite ils attaquèrent Maarrah, qui appartenait aux Francs, puis Alep, mais ils furent surpris dans leur marche par le prince d'Antioche, qui les mit en pleine déroute, en tua ou en prit un grand nombre ; tout le reste se dispersa.

Les Francs, sans égard au traité, enlèvent Rafanyeh à Thogdekin. A cette nouvelle, Thogdekin accourt de Damas pour la reprendre, et massacre les Francs qu'il y trouve.

An 511 (1117). Loulou est assassiné, et les habitants d'Alep, de crainte de quelque entreprise des Francs, se livrent à Ylghazi, prince de Maridin ; les Francs surprennent le faubourg de Hamah, et s'en retournent après avoir tué plus de cent personnes.

An 513 (1119). Bataille entre les Francs et Ylghazi dans le territoire d'Alep. Les Francs se retirent, laissant beaucoup de morts et de prisonniers. Le prince d'Antioche resta parmi les morts. Ylghazi, animé par cette victoire, s'empare aussitôt de Zerdenah et d'Atareb. Cette bataille s'était donnée près d'Efryn, au milieu de rebi premier (fin de juin). Les deux vers qui suivent furent composés à cette occasion. Le poète s'adresse à Ylghazi :

« Ordonne ce qu'il te plaira ; ta parole sera remplie ; car tu partages avec le Créateur notre confiance.

« L'Alcoran a triomphé par ton appui, et l'Evangile pleure la mort de ses enfants. »

Josselin fait une incursion dans la province de Damas, dans le dessein de surprendre les Arabes de Rebyeh. A cette époque ils avaient pour chef Morra, fils de Rebyeh. Josselin s'égare dans sa marche ; ses troupes se trouvant tout d'un coup au milieu des Arabes, sont attaquées avec une grande vigueur et prennent la fuite, laissant un très grand nombre de morts et de prisonniers.

An 514 (1120). Ylghazi réunit les Turcomans au reste de ses troupes, et attaque les Francs près de Danyts-Albakl, dans le territoire de Sermyn. Le combat fut chaud. La victoire se déclara en faveur d'Ylghazi.

Josselin surprend différents corps d'Arabes et de Turcomans établis près de Seffyn. Il ramasse un riche butin en argent, bestiaux, etc., et se rend ensuite devant Bezaga, qu'il rase jusqu'aux fondements.

An 515 (1121). Bataille entre Balak et Josselin. Balak triomphe des Francs, dont il fait un grand carnage, et Josselin tombe entre ses mains avec Guillaume son cousin, et un grand nombre de ses plus braves guerriers. Josselin offre en vain de se racheter ; Balak reste sourd à ses propositions, et enferme son prisonnier dans la citadelle de Khortbert.

An 516 (1122). Mort d'Ylghazi ; son fils Timourtasch lui succède dans la principauté de Maridin.

An 517 (1123). Hostilités entre Mostarsched-Billah, khalife de Bagdad, et Dobays, fils de Sadakah, prince de Hillah (sur l'Euphrate). Le khalife marche en personne et attaque son ennemi. Dobays, après une vigoureuse résistance, prend la fuite, ainsi que son armée, et se dirige vers celles des tribus arabes qui étaient connues par leur bravoure. Il engage dans son parti la tribu de Montafek, [28] entre dans Bassora et la livre au pillage. De là Dobays se rend en Syrie et traite avec les Francs, à qui il suggère l'idée de tenter une attaque sur Alep.

Soleyman, fils d'Abd'aldjabber, fils d'Ortok, qui commandait dans Alep, céda aux Francs le château d'Atareb. Ils s'engagèrent à ce prix, à ne pas troubler Soleyman dans la possession d'Alep, qu'il ne pouvait plus défendre contre leurs efforts ; mais Balak, qui venait de s'emparer de Harran, accourut à Alep et l'enleva à Soleyman, son oncle, pour le punir de sa faiblesse vis-à-vis des Francs.

Les Francs entrent dans Khortbert et rendent la liberté à Josselin et à ses compagnons : mais bientôt après Balak vient la reprendre sur les Francs.

An 518. (1124). Les Francs prennent Tyr par capitulation. Cette ville était alors au pouvoir des khalifes d'Egypte depuis l'année 487 (1094). Les musulmans évacuèrent la ville avec ce qu'ils purent emporter.

Balak est tué au siège de la citadelle de Manbedj ; et Alep échoit en partage à Timourtasch, son cousin.

Les Francs assiègent Alep de concert avec Dobays. Déjà ils avaient élevé à l'extérieur de la ville des bâtiments pour se loger ; les habitants, effrayés de ces préparatifs, et sans espoir de secours de la part de Timourtasch, leur nouveau prince, qu'aucun danger ne pouvait tirer de son indifférence et de son goût pour le repos, recoururent à Borsaky. Sur la promesse qu'on lui avait faite de lui livrer la ville, le prince de Mossoul se mit en marche pour Alep. A son approche les Francs se retirèrent, Borsaky occupa la ville avec la citadelle, et l'incorpora au reste de ses états.

An 519 (1125). Borsaky prend Kafarthab sur les Francs. De là il marche sur Azaz, qui appartenait à Josselin. Les Francs se réunissent pour le combattre, le mettent en fuite, après lui avoir tué beaucoup de monde.

An 520 (1126). Les Francs réunissent leurs forces et se dirigent sur Damas ; ils campent dans la campagne de Saffar, auprès du village de Schakhab. Thogdekin se hâte de rassembler ses Turcomans et le reste de ses troupes, et vient à la rencontre des Francs. Il les joint à la fin du mois de dhou’lhidjdjeh (janvier 1127). Au fort de l'action, Thogdekin prend la fuite avec la cavalerie. Tandis que les Francs étaient à sa poursuite, l'infanterie, toute composée de Turcomans, ne sachant où se réfugier, tombe sur les tentes des Francs, tue tout ce qu'elle rencontre, pille les effets et les bagages sans éprouver de résistance. Cependant les Francs, lassés de poursuivre, reviennent sur leurs pas. A la vue du pillage de leur camp, ils se dispersent aussi.

Les Francs assiègent Rafanyeh et s'en rendent les maîtres.

An 521 (1127). Emad eddin Zengui, fils d'un ancien général de Malek Schah, obtint du sulthan Mahmoud la principauté de Mossoul.

An 522 (1128). Après la mort de Borsaki, Massoud son fils, qui gouvernait Alep en son nom, se rendit à Mossoul, laissant pour lieutenant à Alep l'émir nommé Koumaz, ou plutôt Kaimaz, qui fut ensuite remplacé par Kotlog. Celui-ci profita de la mort de Massoud pour se rendre indépendant et libre de tout frein, s'abandonna à ses passions tyranniques. Cependant Soleyman, que nous avons vu ci-devant maître d'Alep, était toujours dans la ville. Les habitants, pour se soustraire au joug de Kotlog, se remirent de nouveau entre ses mains. Pour Kotlog, il se fortifie dans la citadelle. Josselin, attiré par ces interminables querelles, fit acheter aux habitants sa retraite par une forte contribution ; mais ceux-ci, lassés de tous ces troubles, se livrèrent à Emad eddin Zengui, prince de Mossoul.

Mort de Thogdekin, qui de régent de la principauté de Damas en était devenu le prince : son fils Bouri lui succède.

An 523 (1129). Un ismaélien, nommé Bahram, se sauve de Bagdad et arrive à Damas, où il essaie de faire des prosélytes. Il était soutenu par le vizir de Bouri, prince de Damas, qui lui confia le commandement de Panéas. Bahram, enhardi par quelques, succès, s'empara successivement de plusieurs châteaux dans les montagnes des environs. Ayant été tué dans un combat par les habitants de la vallée de Taym, il fut remplacé à Pandas par un autre ismaélien, nommé Ismaël, et à Damas, par un certain Abouloufa. Celui-ci prit un tel empire sur l'esprit du vizir, qu'il était pour ainsi dire le maître dans la ville. Il écrivit aux Francs pour leur proposer la conquête de Damas, en échange de la ville de Tyr. Les Francs devaient se trouver devant Damas un vendredi, jour où les complices d'Abouloufa devaient occuper les portes de la grande mosquée. Ces intrigues parvinrent aux oreilles de Bouri ; il fit venir le vizir chez lui, le tua de sa main, et ordonna de faire main-basse sur tous les ismaéliens qui se trouvaient dans la ville. Les habitants, qui ne respiraient que la vengeance, les égorgèrent au nombre de six mille. Cependant les Francs ne manquèrent pas au rendez-vous. Vainement ils essayèrent d'attaquer la ville ; leurs efforts furent sans succès. Le froid et la rigueur de l'hiver les contraignirent de se retirer en désordre. Bouri sortit à leur poursuite avec ses troupes, et en tua un grand nombre. Quant à l’Ismaélien Bathénien qui commandait dans Panéas, il livra la place aux Francs, et s'établit au sein de leurs états.

Emad eddin Zengui part de Mossoul, avec l'intention apparente d'attaquer les Francs de Syrie. Arrivé en-deçà de l'Euphrate, il écrit à Bouri pour réclamer sa coopération dans cette expédition sacrée. Bouri ordonne à Sounedj son fils, qui le remplaçait à Hamah, d'aller se réunir à Emad eddin. Aussitôt ce dernier oubliant la sainteté des serments, s'empare de sa personne, pille ses effets et le bagage de ses troupes, et l'envoie sous bonne garde à Alep, lui et ses principaux officiers. En même temps Emad eddin se rend en toute hâte à Hamah, et la prend sans coup férir. De là il marche sur Emesse ; mais cette fois sa perfidie n'eut pas tout l'effet qu'il en attendait. Précédemment il s'était emparé par trahison de la personne de Kirkhan, prince de cette ville ; il le traînait partout à sa suite chargé de chaînes. Emad eddin assiégea Emesse pendant quelque temps, et même il contraignit son prisonnier d'essayer d'engager son fils, qui commandait dans la ville, à ouvrir les portes. Cette tentative n'ayant eu aucun succès, Emad eddin perdit tout espoir de soumettre Emesse, et s'en retourna à Mossoul, traînant à sa suite Sounedj et ses officiers. Ils étaient tous chargés de chaînes, et ce fut en vain que Bouri offrit une grande somme d'argent pour la rançon de son fils.

Les Francs s'emparent du château de Kadmous.

An 524 (1130). Emad eddin vient attaquer Atareb. Les musulmans avaient beaucoup à souffrir des courses des Francs qui en étaient les maîtres. La terreur qu'ils inspiraient était si grande, qu'ils partageaient pour ainsi dire avec les habitants d'Alep les revenus de leurs terres dans toute l'étendue de la partie occidentale de la province. Leurs courses se poussaient jusqu'au moulin, qui n'est séparé de la ville que par le chemin, et qui s'appelle, je crois, Oraybeh. Les Francs réunirent leur cavalerie et leur infanterie. A leur approche, Emad eddin interrompit le siège pour marcher à leur rencontre. Le combat fut chaud : Dieu accorda la victoire aux musulmans ; beaucoup de guerriers chrétiens y périrent ; quelques autres restèrent prisonniers. Les musulmans, enflammés par ce brillant succès, se remirent au siège, prirent la ville d'assaut, réduisirent à l'esclavage ceux qui avaient échappé à la mort. Atareb fut entièrement rasée, et elle ne s'est plus relevée de ses ruines.

Le khalife d'Egypte Al-Amer tombe sous les coups des Bathéniens, après un règne de près de trente ans. Hafedh, son cousin, lui succéda.

An 527 (1132-3). Schems elmolouk Ismaël, qui avait succédé à son père Bouri, dans la principauté de Damas, surprend la ville de Panéas, y entre de force, massacre ou fait prisonniers les Francs qui s'y trouvent, et s'empare ensuite de la citadelle par capitulation.

Les Turcomans marchent sur Tripoli. A la nouvelle de leur marche, les Francs sortent de la ville pour venir à leur rencontre. On en vient aux mains ; ils sont battus et se réfugient dans le château de Barin, où ils sont assiégés par les Turcomans. Le comte de Tripoli, vivement pressé, sort avec vingt cavaliers, laissant dans le château des forces suffisantes pour le défendre, et revient bientôt après avec toutes ses forces pour les dégager. Les Turcomans lui livrent un rude combat. Les Francs battent en retraite jusque vers Rafanyeh, et lis Turcomans se retirent aussi.

An 528 (1133-4). Le prince de Damas s'empare de Schakyf, malgré la vigoureuse résistance que lui opposa Dhahhak, fils de Djendal, à cette époque maître de la vallée de Taym. Las Francs, dont cet événement contrariait les desseins, tentèrent une invasion dans la province de Hauran, dont Bosra est la capitale. Le prince de Damas vint les attaquer avec toutes ses forces, puis il se jeta sur leurs états du côté de Tibériade. Les Francs, entièrement abattus par cette diversion, retournèrent chez eux, et s'empressèrent de faire une trêve avec leur ennemi.

Le fils de Danischmend, prince de Malathiah, attaque les Francs de Syrie, et leur tue beaucoup de monde.

An 530 (1135). Les troupes d'Emad eddin, qui gardaient Alep et Hamah, font une excursion dans les états des Francs du côté de Laodicée. Ils étaient conduits par Aswar, lieutenant d'Emad eddin dans Alep. Ils parcourent tout le pays sans rencontrer de résistance, et s'en retournent, emmenant en esclaves de l'un et de l'autre sexe, en prisonniers et en bêtes de somme, de quoi remplir toute la Syrie.

An 531 (1136). Le 20 de schowal (10 juillet), Emad eddin entreprend le siège de la forteresse de Barin. Cette entreprise met en mouvement tous les Francs, princes et sujets. Ils marchent pour dégager Barin. A leur approche, Emad eddin quitte les travaux du siège, et leur livre une sanglante bataille, dans laquelle ils sont vaincus. Dans le désordre, plusieurs de leurs princes trouvent un refuge dans le château. Emad eddin recommence aussitôt le siège. Les Francs, étroitement resserrés, demandent bientôt à capituler, et obtiennent la faculté de se retirer, moyennant la cession du château, et d'une somme de 50.000 écus d'or. Pendant les travaux de ce siège, Emad eddin avait pris possession de Maarrah et de Kafarthab, qui appartenaient également aux Francs. Les habitants de Maarrah demandèrent à rentrer en possession de leurs propriétés, dont ils avaient été dépouillés lors de l'entrée des Francs.[29] Comme les rôles du cadastre avaient disparu, on consulta les registres d'Alep, dont Maarrah dépendait dans l'origine, et les titres des véritables propriétaires furent constatés, à l’aide des rôles des impôts levés sur chaque propriété.

An 532 (1138). L'empereur des Grecs était en marche depuis l'année précédente pour son expédition de Syrie. Il avait eu d'abord à combattre les Arméniens, les Francs d'Antioche et des pays par lesquels il devait passer. Il atteignit enfin la Syrie, et commença aussitôt le siège de Bezaa, située à six parasanges d'Alep. Bezaa capitula le 25 de redjeb (mars). L'empereur, oubliant bientôt le traité, massacra une partie des habitants, en fit une autre partie prisonnière, et réduisit les litres à l'esclavage. Le cadi de la ville et quatre cents personnes environ furent contraints d'embrasser le christianisme. L'empereur s'arrêta dix jours dans Bezaa, puis il marcha contre Alep avec les Francs qui l'accompagnant, et campa sur le Cowaïk. L'attaque fut poussée et soutenue avec une vigueur égale. Les Grecs, ayant perdu un patrice d'un rang fort élevé, abandonnèrent le siège. Après trois jours de repos, ils se rendirent devant Atareb, qu'ils prirent, et où ils déposèrent les prisonniers et le butin faits dans Bezaa. L'empereur y laissa une garnison, et se porta avec toutes ses forces devant Schayzar. L'émir Aswar se jeta aussitôt sur Atareb, passa tous les Grecs au fil de l'épée, et rendit la liberté aux malheureux habitants de Bezaa. Cependant l'empereur attaquait Schayzar avec des efforts incroyables. Dix-huit machines jouaient contre la ville. Le prince qui y commandait envoya demander du secours à Emad eddin. Celui-ci se mit aussitôt en marche, et alla camper sur l'Oronte, entre Hamah et Schayzar. Chaque jour il venait se présenter avec ses troupes à la vue des assiégeants. Dans le même temps, des pelotons de cavalerie enlevaient, par ses ordres, tout ce qui se présentait devant eux. Le siège fut continué pendant vingt-quatre jours. L'empereur se décida enfin à se lever, et se retira tout honteux de l'échec qu'éprouvaient ses armes. Emad eddin se mit à sa poursuite, et enleva une partie de l'arrière-garde. C'est à cette occasion, que les poètes célébrèrent, à l'envi, la gloire d'Emad eddin.

An 539 (1144-5). Ce prince s'empare d'Edesse, après un siège de vingt-huit jours. Dans le même temps, Saroudj et les autres villes conquises par les Francs au-delà de l'Euphrate, lui ouvrent leurs portes. Il ne restait plus aux Francs qu'Albyret ; Emad eddin la tenait étroitement serrée, lorsque la mort de son lieutenant, dans Mossoul, l'obligea à se rendre précipitamment dans cette ville, de crainte de quelque désordre. Cependant les Francs, qui ne doutaient pas du prompt retour d'Emad eddin, persuadés d'ailleurs qu'ils ne pourraient lui résister, s'adressèrent à Nedjm eddin, prince de Maridin, et lui livrèrent Albyret, qui rentra par-là sous les lois de l'islamisme.

Une flotte part des ports de Sicile, fait une descente en Afrique ; elle s'empare de la ville de Borsak. Les hommes sont massacrés, et les femmes emmenées en captivité.

An 541 (1146). La flotte (de Roger, roi de Sicile) attaque la ville de Tripoli, d'Afrique, au mois de Moharram (juin). Trois jours après l'arrivée des chrétiens devant cette ville, il s'éleva un grand tumulte parmi les habitants ; tout d'un coup les remparts se dégarnirent, et la discorde partagea la ville en deux factions : l'une voulait remettre le commandement à un prince molattamide ; la seconde préférait les Arabes mathrouhides. Les Francs profitèrent du désordre pour escalader les remparts, et firent d'abord main-basse sur les habitants ; mais, la première fureur passée, ils cherchèrent à rassurer ceux qui s'étaient cachés ou enfuis, et tout rentra dans l'ordre.

Emad eddin Zengui est assassiné au siège du château de Djabar, de la main de quelques-uns de ses mamelouks, qui, après avoir commis le crime, trouvèrent leur salut dans les remparts de la place. Emad eddin était âgé de soixante ans (lunaires). Sa valeur et sa sagesse lui avaient soumis la ville de Mossoul et toute la Syrie ; Damas seule avait résisté à ses armes. Son fils Nour eddin le remplaça à Alep, et son autre fils Sayf eddin-Gazi, dans Mossoul et les villes voisines.

An 543 (1148). Le 2 de safer (22 juin). Les Francs se rendent maîtres de Mahadyah, dans l'Afrique, [30] sur Hassan, le dernier des princes de la dynastie des Zéyrydes. Cette ville était, depuis six ans, en proie à la plus horrible famine. Une partie de ses habitants avait cherché un asile dans les contrées voisines, et jusqu'en Sicile ; ceux qui étaient restés avaient fini par se dévorer les uns les autres. Roger, prince de Sicile, crut l'occasion favorable pour s'emparer de Mahadyah ; il équipa une flotte de deux cent cinquante voiles, et en confia le commandement à un officier nommé George. La flotte relâcha dans l'île de Kousserah (l'île de Pantalarea), d'où elle mit à la voile pour la côte d'Afrique. Dès qu'elle fut aperçue, Hassan tint conseil avec les principaux de la ville, sur le parti à prendre ; tous reconnurent l'impossibilité de faire la moindre résistance, faute des objets nécessaires à la vie. Hassan, n'écoutant plus alors que son désespoir, se sauva avec tout ce qu'il put emporter, et erra longtemps dans-les vastes provinces de l'Afrique ; les principaux habitants firent de même. Cependant la flotte avait jeté l'ancre devant la ville ; le vent l'empêchait d'aborder. Sur la fin de la journée, le vent ayant changé, les guerriers chrétiens abordèrent sans opposition, et prirent possession de la ville, sans rencontrer d'obstacle ; car ceux qui avaient les moyens de se sauver avaient déjà tous pris la fuite. George trouva le palais d’Hassan dans le même état où il avait été laissé ; on n'avait emporté que les objets d'un transport facile. Les eunuques étaient à leurs postes, le trésor était plein des objets les plus précieux, enfin tout concourait à rendre complet le succès des chrétiens. George n'oublia pas, au milieu de ses succès, l'état malheureux des habitants que la faim avait chassés dans les contrées voisines ; il fit courir après eux, et, par ses bons traitements, il sut les soustraire à la mort et les rendre à leur patrie.

Dans la même année, l'empereur d'Allemagne arrive en-Syrie avec une nombreuse armée, et forme le siège de Damas. Cette ville était alors au pouvoir de Modjyr eddin Abek, fils de Bouri, qui avait remis le timon des affaires à Moy’n eddin-Anir, ancien mamelouk de son aïeul Thogdekin. Les Francs commencèrent l'attaque le 6 de rebi premier (fin de juillet) ; l'empereur était campé sur la Place verte. Anir se troubla à la vue du péril ; il implora les secours de Sayf eddin-Gazi, qui marcha aussitôt vers la Syrie, de concert avec son frère Nour eddin, l'un et l'autre à la tête de leurs troupes. Ils s'avancèrent jusqu'à Emesse,[31] d'où leurs efforts ne furent pas inutiles. Les Francs se trouvèrent alors dans un grand embarras ; car, d'autre part, Anir était parvenu à engager les chrétiens de Syrie à séparer leur cause de celle des Allemands, moyennant la cession de Panéas, à laquelle il s'était obligé. Les chrétiens firent peur à l'empereur, et le menacèrent même de se joindre aux musulmans. L'empereur se vit contraint d'évacuer la Syrie, et s'en retourna dans ses États. Anir fut fidèle à sa parole, et remit Panéas aux chrétiens. Cependant les nombreuses attaques livrées à la ville de Damas furent fatales à plusieurs guerriers, entre autres à Nour Eddaulèh Schahinschah, frère utérin de Saladin.[32]

Nour eddin attaque les Francs dans le territoire du Yagra, qui fait partie du canton d’Omk (dans la province d'Alep). Les Francs se retirent en désordre, laissant beaucoup de morts et de prisonniers. Le prince de Mossoul entra en partage du butin et des prisonniers.

An 544 (1149) Nour eddin entreprend le siège du château de Harem.[33] A cette nouvelle, le prince d'Antioche (Raymond) réunit toutes ses forces, et vient attaquer Nour eddin. Il est tué, et ses troupes prennent la fuite, laissant beaucoup de morts et de prisonniers. Son fils Bohémond lui succède, encore en bas âge. La mère du jeune prince (Constance), qui devait lui conserver sa principauté, se remaria, et cette alliance valut à son second mari (Renaud de Châtillon), l'autorité et le titre de prince.[34] Mais celui-ci n'en jouit pas longtemps ; il fut fait prisonnier dans une nouvelle attaque livrée par Nour eddin, et Bohémond recouvra par-là l'exercice de la puissance.

An 545 (1150). Nour eddin s'empare d’Apamée sur les Francs, et la fournit abondamment d'armes et de provisions. Vainement les Francs avaient paru vouloir lui faire abandonner le siège ; la ville était déjà prise, qu'ils se trouvaient encore en marche ; et il n'en fallut pas davantage pour les faire retourner sur leurs pas.

An 546 (1151). Josselin était célèbre, entre tous les seigneurs Francs ; sa générosité était égalée par son courage. Sur la nouvelle que Nour eddin se disposait à venir l'attaquer, il réunit tout son monde, et marcha au-devant de l'ennemi. Un combat s'engagea. L'armée de Nour eddin fut mise en déroute ; l'écuyer et les propres armes du prince restèrent au pouvoir du vainqueur. Josselin envoya les armes à Massoud, fils de Kilidj Arslan, souverain d'Iconium, avec ces mots : « Voilà les armes du mari de votre fille ; sous peu je vous enverrai quelque chose de mieux. » Cette bravade piqua très vivement Nour eddin ; devenu insensible à tous les plaisirs, il n'eut plus de repos qu'il ne se fût vengé ; il mit les Turcomans dans ses intérêts, et leur fit les plus belles promesses, s'ils lui amenaient Josselin mort ou vif. En effet, ils enlevèrent ce dernier un jour qu'il était à la chasse. Néanmoins ils allaient rendre la liberté au prisonnier, grâces aux présents qu'il sut leur prodiguer à propos, lorsque quelques-uns d’entre eux firent savoir au lieutenant de Nour eddin, à Alep, la prise qu'ils venaient de faire. Celui-ci se hâta d'envoyer un détachement, qui s'assura de la personne de Josselin, et le mit entre les mains de Nour eddin. Ce coup de main valait une victoire, et les effets s'en firent ressentir dans toute la chrétienté. Nour eddin pénétra dans les domaines de Josselin, et se rendit maître de ses villes et châteaux, tels que Tell Bascher, Ayntab, Dalouk, Azaz, Tell Khaled, Koures, Ravendan, la tour d'Alressas, Bareh, KaferSoud, Kafarlata, Marasch, Nehr Aldjouz, etc. Tout cela fut l'affaire de très peu de temps. Au reste, il n'oubliait pas, à la prise de chaque place, de la munir d'une garnison et des approvisionnements nécessaires.

An 547 (1152). Pendant que Nour eddin était devant Dalouk, les Francs avaient réuni leurs forces pour le contraindre de se retirer. A leur approche, Nour eddin quitta le siège, et il s'engagea une action des plus terribles. Les Francs prirent honteusement la fuite, laissant beaucoup de prisonniers. Le vainqueur retourna devant Dalouk, qui ouvrit ses portes.

An 548 (1153). Les Francs prennent Ascalon sur les khalifes d'Egypte. Les ministres[35] des khalifes avaient toujours mis leurs soins à fournir cette ville de tout ce qui était nécessaire à sa défense ; mais, après la mort d'Adel, fils de Sallar, qui remplissait les fonctions de premier ministre, la discorde se mit dans les conseils des princes de l'Egypte. Les Francs profitèrent de la confusion générale ; ils assiégèrent Ascalon, et s'en rendirent les maîtres.

Quelques navires partis des ports de la Sicile pillent la ville de Tennis (située au milieu du lac de Menzaleh).

An 549 (1154). Le khalife d'Egypte, Dhafer Billah, est assassiné, avec ses deux frères, par Abbas, son vizir, qui voulait laver dans le sang du khalife l'affront qu'il lui faisait dans la personne de Nasr, son fils. Deux jours après, Abbas fit proclamer le fils du khalife, à peine âgé de cinq ans, qui prit le nom de Faiez Bi-Nasr-Allah ; il profita en même temps du trouble que cet événement avait occasionné, pour s'approprier une partie des richesses du palais. Cette révolution avait été vue de mauvais œil par les troupes et les nègres du palais ; ils appelèrent au Caire Thelay, fils de Rezyk, qui gouvernait la province de Minieh (au sud du Fayoum). Thelay s'empara sans peine du gouvernement. Quant à Abbas, il prit la fuite avec Nasr, son fils, et d'immenses richesses, se dirigeant vers la Syrie ; en route, il fut pris par les Francs. Ceux-ci le massacrèrent, prirent ses richesses, et gardèrent son fils prisonnier. Cependant Thelay avait été proclamé vizir au Caire, sous le titre de Malek Saleh. Aussitôt il réclama l'extradition du fils d'Abbas, l'obtint à prix d'argent, et l'immola à sa sûreté.[36] Délivré ainsi de tout compétiteur, il ne garda plus de ménagement à l'égard des personnages les plus importants de l'Etat.

Nour eddin enlève Damas à Modjyr eddin Abek. Depuis qu'ils étaient entrés dans Ascalon, les Francs avaient pris une grande prépondérance dans les affaires de la Syrie. Ils ne voulaient pas souffrir d'esclaves chrétiens dans Damas ; tous ceux qui désiraient sortir de la ville ou retourner chez eux, que leurs maîtres y consentissent ou non, étaient aussitôt mis par eux en liberté. Il était à craindre que les Francs ne finissent par occuper Damas. Nour eddin s'assura d'abord secrètement des habitants ; puis il vint se présenter devant la ville. On lui ouvrit la porte orientale, et il entra sans coup férir. Modjyr eddin s'était renfermé dans la citadelle, qu'il livra sur la promesse de recevoir en indemnité Emesse et d'autres domaines ; mais, à son arrivée à Emesse, au lieu de lui donner cette ville, on lui proposa Balès, et Modjyr eddin se retira, plein d'indignation, à Bagdad, où il fixa son séjour.

Cette année, on l'année suivante, Nour eddin s'empare de Tell Bascher sur les Francs.[37]

An 551 (1156.) Les provinces d'Afrique prennent les armes, et secouent le joug des Francs, dont il se fait un massacre général. En même temps Abd'almoumen (prince de la dynastie des Almohadides), s'empare d'Hippone (Bouneh) ; et, à l'exception de Mahadyah et de Sousseh, les Francs perdent toutes les conquêtes qu'ils y avaient faites.

An 552 (1157). Plusieurs tremblements de terre se font sentir en Syrie, et y répandent la désolation. Hamah, Schayzar, Emesse, le château des Kurdes, Tripoli, Antioche et les places voisines eurent leurs remparts renversés, d'autres leurs citadelles. Nour eddin s'empressa de réparer celles de ses places qui avaient été endommagées, et fit faire des courses sur les terres des Francs, afin d'occuper ceux-ci sur leurs propres domaines. Un grand nombre d'hommes avaient péri sous les décombres de leurs maisons. On se fera une idée de ces calamités, par le fait suivant : Un maître d'école de Hamah se trouvait absent au moment du désastre qui fit périr tous ses écoliers ; quand la secousse fut passée, aucun des parents ne se présenta pour s'informer du sort de ces jeunes infortunés.

An 554 (1159). Au commencement de l'année, Abd'almoumen enlève aux Francs Mahadyah et le reste de la province d'Afrique, douze ans après l'entrée des Francs dans cette ville. Lé vainqueur mit tous ses soins à rétablir l'ordre dans le pays, et y céda des terres considérables à Hassan, ancien prince de la contrée.

An 555 (1160). Mort du khalife d'Egypte, à l'âge de douze ans, après un règne d'un peu plus de six ans. On s'occupa aussitôt de lui donner un successeur. Le vizir se rendit au palais, où on lui présenta un prince de la famille du khalife, d'un âge avancé ; mais sur un mot qu'un de ses amis lui dit à l'oreille, savoir, que son prédécesseur avait été plus fin, lui qui s'était donné un khalife qui avait à peine cinq ans, le vizir demanda un autre prince ; et c'est alors qu'il fit choix d’Adhed-Lidin-Allah, qui venait d'atteindre l'âge de puberté. Adhed était petit-fils du khalife Hafedh, par l'émir Youssouf, son père. Il fut donc reconnu solennellement, et le vizir le maria aussitôt avec sa fille, à laquelle il faisait une dot qui surpassait en richesse tout ce qu'on avait vu jusque-là.

An 556 (1161). Le vizir est assassiné par les intrigues de la tante du khalife, à l'instant où il entrait dans le palais. Il eut, avant de mourir, le temps de faire périr cette femme que le khalife lui avait abandonnée sans hésiter ; il obtint encore de transmettre le vizirat à son fils Rezyk, qui prit le titre de Malek Adel.

An 557 (1161). Nour ed-din entreprend le siège de Harem, et se retire sans avoir rien fait.

An 558 (1163). Nour ed-din est surpris par les Francs, dans la plaine située sous les remparts du château des Kurdes, où il était campé avec son armée. Déjà les Francs avançaient sur lui avec leurs croix, lorsqu'il monta précipitamment sur un cheval encore dans ses liens. Heureusement qu'un Kurde mit pied à terre pour le débarrasser. Ce fidèle serviteur fut tué, et Nour eddin s'acquitta envers sa famille, par le don de plusieurs terres considérables. Nour eddin, en se retirant, avait donné rendez-vous à ses troupes auprès du lac d'Emesse. Tous ceux qui échappèrent aux coups de l'ennemi s'y réunirent.

An 559 (1164). Nour ed-din envoie Assad eddin Schyrkouh, avec une armée, en Egypte.[38] Schaver, qui, après avoir été supplanté par Dhargam dans le vizirat, était venu implorer l'assistance de Nour eddin, suivait l'armée, dans l'espoir d'être rétabli ; il s'était obligé, à ce prix, de payer à Nour eddin le tiers des revenus de l'Egypte, la solde de l'armée prélevée. Dhargam fut vaincu à la première affaire, et fut tué près du tombeau de Seydeh Nefysseh[39] (dans les faubourgs du Caire) ; Schaver se remit paisiblement en possession de la dignité de vizir. Cette révolution eut lieu dans le mois de djoumada premier (avril). Deux mois s'écoulèrent à peine, que déjà Schaver avait oublié tous ses engagements. Schyrkouh voyant qu'il ne remplissait aucune de ses promesses, prit possession de la province de Scharkyeh et de Belbeys, sa capitale. Schaver, qui était loin de prévoir ce nouvel embarras, recourut aussitôt aux Francs, qui consentirent à venir le délivrer des troupes de Syrie. Les Francs, de concert avec les troupes égyptiennes, assiégèrent dans Belbeys le général de Nour eddin. Ils l'y tenaient enfermé, depuis trois mois, lorsqu’une diversion opérée par Nour eddin, et la prise de Harem, les obligèrent à proposer un accommodement à Schyrkouh. Ce général évacua la ville et la province, et arriva sans accident, avec ses troupes, en Syrie.

Nour eddin était entré dans Harem, au mois de ramadhan (août) ; cette ville s'était rendue à la suite d'un combat terminé à l'avantage des musulmans. Les Francs y perdirent beaucoup de monde ; sans compter un grand nombre de prisonniers, parmi lesquels le prince d'Antioche et le comte de Tripoli ; Nour eddin y fit de plus un butin très considérable.

Trois mois après, Nour eddin prend Panéas sur les Francs, qui en étaient en possession depuis l'année 543 (1148).

An 561 (1165-6). Nour eddin enlève aux Francs le château de Monaytarah en Syrie.

An 562 (1166). Schyrkouh retourna en Egypte avec une année florissante, appuyée de deux mille hommes de cavalerie, et s'empara de Djyzeh (sur le Nil, en face du Caire). Aussitôt Schaver s'adressa aux Francs, qui, arrivant avec toutes leurs forces, poursuivirent Schyrkouh jusque dans la Haute-Egypte. Ils l'y joignirent près de la ville d'Abwan : un combat s'engagea ; les Francs et les Egyptiens furent défaits complètement. Schyrkouh occupa le territoire de Djyzeh, et en épuisa les ressources ; de là, il marcha sur Alexandrie, qui ouvrit ses portes, et y laissa son neveu Saladin pour la gouverner. Tandis qu'il s'enfonçait de nouveau dans la Haute-Egypte, les Francs et les Egyptiens assiégèrent Saladin pendant trois mois. Schyrkouh fut contraint de renoncer à ses projets, et de retourner à Alexandrie. Sur ces entrefaites, on entra en pourparlers, et la paix fut conclue. Schyrkouh s'obligeait à évacuer Alexandrie et l'Egypte, moyennant une somme d'argent. Quant aux Francs, une des clauses du traité les autorisait à avoir un commissaire au Caire, ainsi que la garde des portes de la ville ; ils devaient, en outre, recevoir tous les ans cent mille écus d'or sur les revenus de l'Egypte. Les troupes de Syrie évacuèrent Alexandrie, au milieu de schowal (commencement d'août 1167).

Nour eddin enlève aux Francs Safyta et Arymah.

An 564 (1168-9). Les Francs s'étaient rendus formidables en Egypte. Le gouvernement égyptien était tombé dans une extrême faiblesse, ce qui favorisa leurs progrès. Au commencement du mois de safer (novembre), les Francs étaient entrés de force dans Belbeys, avec l'espoir de se rendre maîtres de toute l'Egypte ; ils livrèrent la ville au pillage, et marchèrent, le 10, sur le Caire. Schaver se prépara à s'y défendre ; quant à Misr (le vieux Caire), craignant de ne pouvoir empêcher les Francs de s'y établir, il la fit évacuer par les habitants, qui furent reçus dans le Caire, et Misr fut abandonné aux flammes. L'incendie dura cinquante-quatre jours.[40] Au milieu de ces calamités, le khalife Adhed implora le secours de Nour eddin ; pour mieux intéresser sa pitié, il lui envoya des cheveux de ses femmes. En attendant l'effet de ces démarches, Schaver fit une tentative auprès des Francs ; il leur proposa un million d'écus d'or, dont cent mille comptant, et le reste successivement, à mesure qu'il aurait réuni quelque portion de cette somme. Les Francs acceptèrent ces conditions, et se retirèrent dans leur pays.

Cependant Nour eddin n'épargnait ni soins, ni dépenses, pour l'armement des troupes qu'il allait diriger sur l'Egypte ; outre les premières dépenses, il donna cent mille écus d'or à Schyrkouh, sans compter les étoffes, les bêtes de somme, les armes, etc. Plusieurs émirs accompagnaient son lieutenant, entre autres, Saladin, fils de son frère Ayoub. Nour eddin avait exigé que le jeune Saladin fît partie de l'expédition, quoiqu'elle dût avoir pour résultat le renversement de sa famille. Saladin, au contraire, y allait avec répugnance, quoiqu'il dût y trouver la source de sa fortune et de sa puissance : tant il est vrai qu'on repousse quelquefois ce qui doit vous élever en puissance, et qu'on recherche ce qui doit vous ruiner.[41] Les Francs, sans attendre l'arrivée de Schyrkouh, évacuèrent l'Egypte, et ce pays en fut délivré. Quant à Schyrkouh, il arriva au Caire le 4 de rebi second (4 janvier 1169). Le khalife lui accorda une audience, à la suite de laquelle il fut comblé de présents. En même temps, des mesures furent prises pour que les troupes de Syrie ne manquassent de rien. Cependant Schaver ne se mettait pas en peine de remplir, envers Nour eddin, ses engagements, qui étaient de déterminer le montant des revenus de l'Egypte, et de lui en remettre le tiers. Tous les jours il se présentait devant Schyrkouh, et n'était avare ni de promesses, ni d'espérances ; mais Satan ne leur promettait que pour les, mieux tromper.[42] Sa perfidie lui suggéra l'idée d'appeler à un festin Schyrkouh et ses émirs, dans l'espoir de s'emparer, par ce moyen, de leurs personnes. A la vérité, son fils Kamel le dissuada de ce projet ; mais ses mauvais desseins avaient commencé à percer, et les officiers syriens résolurent de s'en délivrer tout-à-fait. Saladin, Ezz eddin Djerdyk, etc., s'ouvrirent là-dessus à Schyrkouh, qui refusa de se prêter à leur dessein. Pendant ces menées, Schaver venait chez Schyrkouh, comme de coutume. Un jour que le lieutenant de Nour eddin était allé visiter, par dévotion, le tombeau de Schafey, [43] Schaver se présenta à sa tente. Saladin et Djerdyk l'instruisirent de l'absence de Schyrkouh, et s'offrirent pour l'accompagner jusqu'au lieu où il se trouvait dans ce moment. Mais, tout d'un coup, pendant qu'ils faisaient route ensemble, Saladin et sa suite se jettent sur Schaver, le renversant de cheval, et le garrottent, avec d'autant plus de facilité que tous ses gens avaient pris la fuite. Ceci se passa le 7 du mois. Schyrkouh, à son retour, n'osa pas désavouer ses officiers ; mais pour le khalife, il n'eut rien de plus pressé que de demander la tête de Schaver : elle lui fut envoyée sur-le-champ. En même temps, Schyrkouh se présenta au khalife, qui lui conféra la dignité de vizir. Le général en reçut sur l'heure les marques distinctives, avec le titre de malek mansour (général victorieux), et le commandement suprême des troupes. Schyrkouh s'en revêtit, et alla occuper le palais affecté au vizirat. Le diplôme qui fut expédié dans cette circonstance avait été rédigé par Fadhel[44] ; il commençait ainsi : Au nom de Dieu, etc., le serviteur et ami de Dieu A hou. Mohammed, l'imam Adhed-Lidin-Allah, prince des croyants, au seigneur illustre Malek Mansour, sulthan des armées, ami des imams, [45] défenseur du peuple fidèle (ommet), Assad eddin Abou'lharts Schyrkouh Adhedjy, [46] puisse le ciel en faire le soutien de la religion, et le conserver longtemps, pour le bien du khalife ! puisse-t-il perpétuer sa fortune et exalter ses commandements ! salut : Louons Dieu de l’avoir si heureusement suscité, ce Dieu unique, que nous supplions de verser ses plus abondantes faveurs sur Mohammed et sur sa vénérable lignée, les imams de la race de Mahdi.[47] Puis venaient d'autres détails analogues au même sujet, et que nous passons, pour abréger. Adhed écrivit, de sa propre main, sur un pli du diplôme, ces paroles : « C’est une faveur dont, jusqu'ici, aucun vizir n'avait été honoré. Accepte avec confiance le glorieux fardeau par lequel le prince des croyants veut récompenser ton mérite ; prends hardiment la dignité qu'il te confère, et traîne la queue de ta robe dans la gloire ; car l'honneur s'en perpétuera jusqu'à la dernière génération. »

Après la mort de Schaver, on avait vu entrer son fils Kamel dans le palais, sans qu'on sût depuis ce qu'il était devenu. Schyrkouh pouvait donc enfin se livrer au repos ; son autorité semblait à l'épreuve des accidents de la fortune. Mais lorsqu'ils jouissaient à leur gré du fruit de nos bienfaits, nous les avons appelés à nous, au moment qu'ils y pensaient le moins.[48] La mort enleva Schyrkouh à ses projets, après deux mois et cinq jours de vizirat (ce fut à la suite d'une indigestion, suivant le compilateur des Deux Jardins). Ses principaux officiers employèrent mille intrigues pour obtenir de le remplacer ; mais le khalife, sans égard pour leurs prétentions, fit tenir Saladin au palais, et lui conféra la dignité de vizir, avec le glorieux titre de malek nasser (général protecteur).

Les principaux émirs refusèrent d'abord de reconnaître son autorité, et il fallut bien des négociations et des prières pour les ramener à la soumission ; le seul Aïn Eddaulèh, persistant dans son esprit d'opposition, fut renvoyé en Syrie, auprès de Nour eddin.

C'était malgré lui que Saladin avait suivi son onde dans la dernière expédition. « Mon oncle, disait-il lui-même, m'ordonna un jour de me préparer à partir, et cela en présence de Nour eddin, qui parlait dans le même sens ; et moi de dire : Me donnât-on le royaume d'Egypte, je refuserais de m'y rendre, tant ce que j'avais souffert au siège d’Alexandrie était encore présent à ma mémoire. Mais mon oncle insista avec plus de force auprès de Nour eddin, qui, sans égard pour mes répugnances, me signifia qu'il fallait absolument partir. En vain me récriai-je sur l'état de gène où je me trouvais alors, on me compta l'argent qui m'était nécessaire, et je partis comme un homme qu'on mène à la mort. »

Cependant Saladin n'eut pas de peine à faire reconnaître partout son autorité ; il ne l’exerçait, du reste, que comme lieutenant de Nour eddin. (Dans ses lettres à ce prince, Saladin se disait son esclave ou mameluck.)

Saladin demanda la permission de faire venir auprès de lui son père et toute sa famille, ce qui lui fut accordé. Ils reçurent tous des dotations considérables en Egypte.[49] L'influence de Saladin allait toujours croissant, à mesure que le khalife perdait de la considération et des égards dus à sa personne. A peine Saladin fut-il chargé de la direction des affaires, qu'il s'interdit sévèrement le vin et tous les amusements frivoles ; tous ses soins se portèrent sur les devoirs qui lui étaient imposés, et il ne démentit pas, jusqu'à sa mort, la sage résolution qu'il venait de prendre.

Les nègres du palais essayèrent de se soulever, et furent exterminés. Saladin profita de cet événement pour s'arroger l'inspection du palais du khalife ; il en confia la garde à Boha eddin Karacousch, eunuque blanc ; en sorte qu'il ne s'y fit plus rien que par son ordre.

An 565 (1169-70). Les Francs entreprennent le siège de Damiette. Saladin, qui s'attendait à être attaqué de ce côté, l'avait munie d'hommes, d'armes, et de tout ce qui pouvait garantir cette place. Les Francs se trouvaient, depuis cinquante jours, devant cette ville, lorsqu'une puissante diversion faite par Nour eddin en Syrie, les obligea à rentrer dans leurs propres limites. C'est une chose inouïe, disait Saladin, que la libéralité d'Adhed : pendant le siège, j'ai reçu de sa générosité un million d'écus d'or d'Egypte ; sans compter les habits, etc.

Nour eddin tente sans succès une attaque sur Carac (Petra Deserti), et se retire.

Un tremblement de terre jette la désolation dans la Syrie. Nour eddin mit tous ses soins à en réparer les ravages. Les Francs, qui en avaient aussi éprouvé les effets, se hâtèrent, crainte d'une attaque, de réparer les ruines de leurs châteaux ; de manière que les hostilités furent pour le moment de part et d'autre oubliées.

An 566 (1170-1). Saladin fait une invasion dans les terres des Francs, du côté d'Ascalon et de Ramlah, puis retourne en Egypte ; il revient ensuite assiéger Ela, sur le bras oriental de la Mer Rouge ; il y fait transporter des barques, serre la ville par mer et par terre, et la prend dans les premiers jours de rebi second (décembre). Ela fut livrée au pillage. L'expédition terminée, Saladin reprit le chemin de l'Egypte.

An 567 (1171). Le second vendredi de moharram (8 septembre), on supprimée la prière du jour, dans les mosquées d'Egypte, le nom du khalife Adhed ; [50] elles ne retentissent plus que du nom du khalife de Bagdad. Cette grande innovation fut provoquée par Nour eddin. Lorsque ce prince vit l'autorité de son lieutenant bien affermie, étant d'ailleurs rassuré par la surveillance sévère qu'on exerçait sur le palais d'Adhed, il écrivit à Saladin de lever le masque, et de faire proclamer dans les chaires le nom des khalifes abbassides. Saladin, qui redoutait quelque émeute populaire, fit des difficultés ; mais pressé par de nouvelles instances, il remplit ses désirs, et tout se passa sans le moindre tumulte. Adhed était, dans ce moment, retenu dans son palais par la maladie ; il mourut le 10 de moharram (13 septembre) sans avoir rien su de cette mesure, qui consommait pour toujours la ruine de sa famille.

Après sa mort il y eut agence publique, et, Saladin reçut les compliments de condoléance, il n'oublia pas de prendre possession du palais et des richesses qui y étaient renfermées : elles étaient immenses en bijoux, en livres et en meubles précieux.[51] Les gens d'Adhed, furent relégués dans un coin du palais, et mis sous une surveillance sévère ; les esclaves de l'un et de l'autre sexe l'évacuèrent entièrement ; les uns furent vendus, d'autres, affranchis, et le reste, distribué entre, différents maîtres.

Ainsi finit, la dynastie des Fatimides, après avoir régné sous quatorze khalifes, pendant deux cent soixante douze ans (près de deux cent soixante et une années solaires), c'est-à-dire, depuis l'an 296 (août 909), que Mahdi fut proclamé à Sedjelmasseh (dans l'Afrique occidentale). Admirez les vicissitudes de ce monde ; il ne donne que pour retirer, et ses douceurs sont toujours mêlées d'amertume. La gloire de ce monde périssable se ternit tôt ou tard, ou plutôt elle n'est jamais entièrement pure.

Quand la nouvelle des événements d'Egypte arriva à Bagdad, le peuple s'y livra, pendant plusieurs jours, à de bruyantes, démonstration ; de joie. Le khalife envoya des khilates (pelisses) à Nour eddin, à Saladin et aux khatibs (prédicateurs), et l’on déploya les étendards noirs (couleur des abbassides, par opposition à la couleur blanche des khalifes d'Egypte).

Mais bientôt une méfiance réciproque s'élève dans l'esprit de Nour eddin et de Saladin. Ce dernier avait déjà commencé les travaux du siège de Schaubek (Mont-Béat), qui appartenait au ! Francs ; il y renonce, de peur que, cette place conquise, Nour eddin ne pût sans obstacle se rendre maître de l'Egypte.[52] Ce motif n'échappa pas à Nour eddin ; mais il dissimula son dépit. Saladin, à son retour en Egypte, réunit ses parents et ses principaux officiers, el leur demanda leur avis dans le cas où, comme on te disait, Nour eddin prétendrait lui disputer la possession de l'Egypte. Taky-eddin Omar, son neveu, s'écria qu'on marcherait à sa rencontre pour repousser la force par la force. Cela se passait en présence du père de Saladin. Ayoub eut l'air de se fâcher, et dit : « Eh ! bien, moi qui suis votre père, du moment où j'apercevrais Nour eddin, je mettrais pied à terre, et je baiserais devant lui la poussière. » Puis s'adressant à son fils : « Fais répondre à Nour eddin que si un homme venait de sa part pour te mener à lui, la corde au cou, tu courrais pour t'y rendre. » La chose en resta là ; mais lorsque Ayoub se trouva seul avec son fils, il lui dit : « Si Nour eddin faisait mine de nous ravir notre conquête, je serais le premier à lui disputer le passage ; mais gardons-nous de laisser voir de pareilles dispositions, car il ferait trêve à toutes ses entreprises pour venir à nous, et qui sait ce qui nous arriverait ? tandis qu'en affectant une grande soumission, nous gagnons du temps de manière a pouvoir espérer quelque expédient qui nous tirera d'embarras. » Saladin céda aux conseils de son père.

An 568 (1172-3). Saladin s'étant rendu sous les murs de Carac pour en former le siège, Nour eddin partit de Damas avec toutes ses forces pour joindre, comme il avait été convenu, ses efforts à ceux de son lieutenant : mais à peine fut-il arrivé à Rakyra, non loin de Carac, que Saladin, qui ne pouvait penser sans frayeur à une entrevue avec ce prince, se hâta de regagner l'Egypte, laissant des présents pour Nour eddin : il motivait son départ sur l'état inquiétant de son père, et le danger de perdre l'Egypte avec lui. Nour eddin parut se contenter de l'excuse, quoiqu'il vît bien clairement les vues secrètes de Saladin. Au reste celui-ci n'eut pas même la consolation de ravoir son père. Il était mort, laissant la réputation d'un homme sage et de mœurs irréprochables.

An 569 (1173). Cependant Saladin et sa famille n'étaient rien moins que rassurés contre les vues hostiles de Nour eddin ; la crainte de ne pouvoir repousser ses efforts leur inspira l'idée de nouvelles conquêtes, qui leur offriraient un asile au besoin. Dès l'année précédente, Schems Eddaulèh Touran schah, frère de Saladin, était entré en Nubie. Le pays n'ayant pas répondu à ses vues, il passa cette année dans le Yémen avec des forces considérables. Cette partie de l'Arabie était alors sous les lois d’Abd'alnabi, qui essaya vainement de s'y maintenir. Il fut battu ; Zébid, sa capitale, fut prise, il tomba lui-même au pouvoir du vainqueur. Touran schah poussa ses conquêtes jusqu'à Aden, et bientôt son autorité fut reconnue dans tout le Yémen.

Il se trama contre la vie de Saladin un complot qui avait pour but le rétablissement de la dynastie des Fatimides en Egypte. Les conjurés, tous hommes du premier rang, furent mis en croix.

Saladin, dans toutes ses conquêtes en Arabie comme en Egypte, abandonnait à Nour eddin tous les droits de la souveraineté, sans pouvoir, par ces marques de déférence, calmer l'esprit alarmé de ce prince. Nour eddin se disposait enfin à réaliser son projet de marcher sur l'Egypte, lorsque la mort vint le surprendre à Damas, à l'âge de 57 ans, après avoir rempli le monde de sa réputation de justice et de vertu. Son amour pour la retraite et les pratiques de dévotion était admirable, son zèle pour la prière si ardent qu'il y consacrait même une partie de la nuit. Ses connaissances dans la jurisprudence étaient étendues, et son règne fut illustré par les nombreux collèges qu'il fonda pour en propager la science.

Nour eddin ne laissait qu'un fils âgé de onze ans, qui lui succéda sous le nom de Malek Saleh Ismaël. L'armée lui jura fidélité, et Saladin lui continua les mêmes marques de soumission qu'à son père Nour eddin.

An 570 (1175). La discorde ne tarda pas à se mettre parmi Les principaux émirs du faible Malek Saleh ; celle des deux factions qui avait succombé, cherchant à s'appuyer de la puissance de Saladin, l'invita à venir dans Damas. Saladin se dirige aussitôt avec sept cents cavaliers sur cette ville, et rencontre les troupes de la garnison qui venaient au-devant de loi. On lui ouvre les portes de Damas et de la citadelle, on lui livre les trésors laissés par Nour eddin. Il en fait sa propriété, laisse son frère Saïf-el-Islam pour le remplacer dans la ville, et va s'emparer d'Emesse. Pendant qu'une partie de ses troupes en resserrait la citadelle, il prend possession de Hamah, s'annonçant partout comme le lieutenant de Malek Saleh, et n'ayant, disait-il, d'autre dessein que de lui conserver ses conquêtes. En effet ces deux places appartenaient à un émir, vassal de Malek Saleh, que les habitants avaient chassé de leurs murs, à cause de son gouvernement tyrannique : mais Saladin oubliant bientôt ses protestations de fidélité, assiégea Malek Saleh lui-même dans Alep sa capitale. Les habitants prirent les armes, et le repoussèrent avec une grande vigueur. En même temps Kemeschtekin, qui dirigeait les affaires auprès du jeune prince, et qui était en grande partie l’auteur de ces divisions funestes, s'adressa à Senan, prince des Ismaéliens, qui, moyennant une grande somme d'argent, consentit à lui envoyer quelques-uns de ses affidés avec le dessein avoué d'assassiner Saladin. Ces sectaires se trompèrent de victimes. Saladin n'en continua pas moins à presser étroitement Alep, jusqu'au commencement de redjeb (commencement de février), qu'il tourna ses efforts contre les Francs qui avaient attaqué Emesse. Ceux-ci se retirèrent à son approche ; la citadelle d'Emesse ouvrit enfin ses portes ; Saladin s'empara ensuite sans obstacle de la ville de Baalbek. Cependant ces pertes multipliées avaient jeté la terreur dans l'esprit du fils de Nour eddin. Trop faible pour se défendre lui-même, il implora le secours de son cousin Saïf eddin Gazi, prince de Mossoul, qui lui envoya ses frère Ezz eddin avec une puissante armée. Pendant qu'Ezz eddin opérait sa jonction avec les troupes d'Alep, le prince de Mossoul assiégeait Emad eddin Zengui son frère aîné, prince de Sindjar, qui refusait de prendre part à la guerre que venait d'allumer Saladin, Lorsque les troupes d'Alep et de Mossoul se trouvèrent en face du fils d'Ayoub, il demanda à traiter ; il offrit de rendre Hamah et Emesse, sans retenir de ses conquêtes d'autre ville que Damas, qu'il demandait à gouverner à titre de lieutenant de Malek Saleh. Malheureusement les confédérés, par impatience de se battre, furent sourds à toutes ses propositions. Les deux armées en vinrent aux mains sous les murs de Hamah. Saladin y remporta un avantage décisif, et poursuivit les vaincus jusqu'à Alep, dont il forma aussitôt le siège. C'est alors que Saladin secoua tout reste de dépendance envers le fils de Nour eddin ; celui-ci fut contraint de demander la paix, et ne l'obtint que par le sacrifice de toutes les places précédemment tombées au pouvoir du fils d’Ayoub.

suite

 


 

[1] La notice sur l’auteur provient de Reinaud, Extraits des Historiens arabes, 1822. Ces Extraits reflètent essentiellement les Croisades.

De l’an 485 à l’an 491 de l’hégire, le texte du début provient du Recueil des Historiens des Croisades, Historiens Orientaux, tome I, traduction de MacGuckin de Slane.

A partir de l’an 491 de l’hégire, les extraits proviennent de Reinaud, Extraits des Historiens arabes, 1822 ; le texte couvre la période 1098-1322 mais est moins complet que le précédent, soit par le choix du traducteur soit à cause du contenu du manuscrit utilisé.

L’an 491 de l’hégire a été laissé dans une traduction des deux versions afin de donner une idée de la difficulté de mettre en forme l’orthographe de la langue arabe.

[2] Il était fils d'Ali, fils de Mahmoud, fils de Mohammed, fils d'Omar, fils de Schahinschah, frère de Saladin.

[3] C'est à tort que l'auteur de l'article d'Aboulféda, inséré dans la Biographie universelle, tom. i, p. 91 et suiv., suppose qu'il fut choisi en 1299 par son cousin pour gouverner la principauté en son absence. Modhaffer n'avait pas fait partie de l'expédition contre les Tartares.

[4] Les deux manuscrits de la bibliothèque du Roi finissent à l'année 1310. L'un des deux a été corrigé de la propre main d'Aboulféda; mais les additions qui sont de sa main se bornent le plus souvent à ces mots : Que Dieu maudisse les Francs, répétés toutes les fois que leur nom revient. Ce manuscrit est d'ailleurs parsemé de lacunes qui n'ont été remplies qu'après coup.

[5] L'édition a paru à Copenhague, de 1789 à 1794, en 5 vol. in-4º, sous le titre de Abulfedœ Annales muslemici, avec quelques améliorations du savant M. Adler, qui en a dirigé l'impression.

[6] Ce nom a été défiguré en ceux de Toutousch, Tatasch, Tatnasch et Tebs, selon que les manuscrits ont varié dans la position des points diacritiques.

[7] Ce nom est composé de deux mots turcs qui signifient père du prince ; ces gouverneurs des princes finirent par s'arroger l'autorité souveraine dans la Mésopotamie, la Syrie, etc. Le célèbre Nizam-al-Molk, premier ministre de Malek Schah, est le premier qui ait été honoré de ce titre. Encore aujourd'hui en Turquie, le sulthan, en parlant au grand vizir, l'appelle mon gouverneur (lâlam), du mot lâlâ, gouverneur ou précepteur.

[8] Voyez sur les fréquentes révolutions qui ont bouleversé cette ville, quatre Mémoires de l'abbé Guénée, insérés dans le Recueil des mémoires de l'académie des inscriptions, tom. L, mémoires qui ont été réimprimés à la suite des dernières éditions de ses excellentes Lettres de quelques Juifs ; dans le troisième, qui traite de l'état de Jérusalem à l'époque dont nous parlons ici, l'ordre des événements est interverti ; l'abbé Guénée avance d'un siècle l'établissement d'Ortok dans Jérusalem.

[9] Par le mot mesdjid, mosquée, l'auteur entend sans doute ici l'enceinte entière qui renferme, outre le corps principal de la mosquée bâti par Omar, un parvis, des coupoles, etc.; ce qui ôte toute invraisemblance à l'assertion de notre auteur, du moins dans ce qui tient aux localités. Le savant M. de Hammer observe avec raison que le mot mesdjid, pris dans toute son extension, répond à l’iéron des Grecs, tandis que le temple proprement dit représente leur naos. (Voy. le plan de la mosquée et de ses dépendances dans les Mines de l’Orient, tom. II, p. 100. Vienne, 1811. On trouve un plan plus détaillé et la coupe de tout l'édifice, dans l'atlas qui accompagne le voyage publié sous le litre de Voyages d'Aly-Bey. Paris, 1814.)

[10] Mohammed, enterré à Médine.

[11] Haschem était le bisaïeul de Mohammed et d'Aly, et la souche commune de la race des Abbassides et des Fatimides.

[12] L'arabe porte roi. Les Orientaux donnent en général à ce mot un sens beaucoup plus étendu que nous. Ils accordent ce titre aux chefs d'une principauté, etc.

[13] Dans le Dyar-Djézireh : ce mot qui désigne proprement uns des portions de la Mésopotamie, s'applique ici à la Mésopotamie en général, puisque notre auteur, dans sa géographie, place Saroudj dans le Dyar-Moduar, qui en forma une autre division.

[14] Les sectes des Ismaéliens, des Bathéniens, des Assassins (Haschyschych), des Druzes, etc., ne doivent pus être confondues ensemble, quoiqu'ayant une origine commune. Mais comme les historiens arabes du temps emploient presque indifféremment ces dénominations l'une pour l'autre, il suffira de faire observer une fois pour toutes qu'ils entendent par-là, en général, des sectaires qui avaient secoué le joug de la doctrine écrite de l'islamisme, et qui, en donnant un sens allégorique à tous les préceptes de religion, prétendaient légitimer les actes les plus condamnables.

[15] Les Turcomans, originaires des pays situés au-delà de l'Oxus, pénétrèrent dans l'Asie occidentale vers l’an 434 (1042 de J.-C), à la suite du mouvement des tribus commandées par les enfants de Seldjouk. D'abord uniquement occupés de courses et de pillages, ils finirent par s'établir dans la Syrie, où ils vivaient avec leurs troupeaux, sous des lentes. L'apathie des anciens habitants et les attaques continuelles des Francs rendirent souvent leur appui nécessaire ; ils formaient toujours la meilleure partie des armées musulmanes de cette époque, sous le nom de Gozzes, de Turcomans, etc. (Voy. Deguignes, liv. x, p. 186, 190, 311, et les Mém. géog. et hist. sur l'Egypte, par M. Quatremère, tom. II, p. 412 et suiv.)

[16] L'imprimé porte Schayzar.

[17] Petite ville située à 18 milles de Baalbek, sur les bords du Bardy.

[18] Voy. pour plus de détails, ci-dessous, Extrait de Nowaïri.

[19] L'imprimé ne porte que mille.

[20] L'imprimé porte 30.000.

[21] Voy. sur les mines de ces deux villes, un Mémoire de M. le général Andréosay, dans les Mémoires sur l'Egypte, tom. 2, p. 202 et suiv.

[22] On peut comparer ce récit à ceux de Guillaume de Tyr et d'Albert d'Aix.

[23] Ce lieu est indiqué dans la carte d'Egypte, qui est en tête du premier vol. de l'ouvrage sur l'Egypte (Etat moderne).

[24] Après la mort de Barkiarok, Mohammed, son frère, réunit sous son pouvoir l'ancien empire de Malek Schah ; dès lors les princes musulmans de la Syrie et de la Mésopotamie étaient devenus ses vassaux.

[25] Selon Albert d'Aix et Foucher de Chartres, Tancrède mourut de maladie à Antioche.

[26] L'imprimé porte Tamirtk.

[27] L'imprimé porte Emesse.

[28] Puissante tribu arabe établie dans les environs de Bassora, qui a eu plus d'une fois à souffrir de son voisinage.

[29] Voy. l’an 491.

[30] Reiske observe que les auteurs latins du temps désignent cette ville tous le nom d’Africa, ou la ville d'Afrique.

[31] Ce passage, qui n'a pas été bien rendu par Reiske, sera plus amplement développé dans l'extrait de l'histoire d'Alep.

[32] Il était l'aîné de Saladin ; son fils Malek Modhaffer Omar obtint dans la suite la principauté de Hamah, qui passa par droit d'héritage jusque notre auteur. (Voy. la Notice d'Aboulféda.)

[33] Situé entre Antioche et Alep. Reiske a observé que les auteurs latins écrivent Harenc.

[34] Ce mot, dont quelques traducteurs ont fait celui de Barnes, et ceux de baron et de comte, coumes et cond, reviennent fréquemment dans les historiens arabes du temps : ils sont devenus dans leurs écrits les titres appellatifs des plus puissants seigneurs chrétiens de la Palestine. Le premier désigne spécialement les princes d'Antioche et Renaud de Châtillon, seigneur de Carac. Le titre de coumes ou comte a été réservé au comte de Tripoli : quant au reste des feudataires du royaume de Jérusalem, ils ont dû se contenter de celui de saheb, qui équivaut à notre mot de maître ou de seigneur. Le mot prince, en passant dans la langue arabe, a subi les modifications que réclamait le génie de cette langue. Indépendamment de l'articulation de notre p, qui lui est étrangère, les Orientaux, pour faire sentir dans la prononciation les deux consonnes d'une même syllabe, sont obligés de recourir à une voyelle. Si donc le mot étranger qu'ils veulent introduire dans leur langue commence par deux consonnes, ils placent une voyelle qui équivaut à notre e muet, soit avant, soit après la première de ces consonnes; l'usage là-dessus est loin d'être uniforme. De là, dans les historiens arabes, le glorieux nom des Français est représenté par le mot feransis ou efransis. Platon a vu son nom défiguré sous le mot barbare de felatoun ou de eflatoun, et le titre de prince, qui sonne si bien dans notre langue, a été métamorphosé en berens ou ebrens.

[35] On sait qu'à cette époque les princes égyptiens étaient confinés dans leur palais; les affaires, ou plutôt les révolutions sans cesse renaissantes, s'opéraient sans eux, et ils n'avaient plus conservé de la souveraine puissance, que l'usage de consacrer, par un diplôme, l'usurpation du plus hardi de leurs officiers.

[36] Le fils d'Abbas est celui que les historiens occidentaux disent avoir embrassé le christianisme, et sur lequel ils ont donné de fort longs détails.

[37] Reiske observe, d'après Guillaume de Tyr, que cette plaça devait appartenir aux Grecs, puisque les Francs avaient abandonné à ceux-ci toutes les places occupées par Josselin, après que ce dernier eut perdu la liberté.

[38] Les événements qui vont suivre seront retracés plus au long dans les extraits suivants.

[39] Cette femme descendait d'Ali, gendre de Mohammed. Elle mourut l'an 208 (813), et on éleva un tombeau magnifique en sa mémoire.

[40] Misr ne fut pas entièrement consumé. Il en est fait souvent mention, postérieurement à ce désastre, comme d'une ville qui comptait parmi les plus considérables cités de l'Egypte.

[41] Paroles de l’Alcoran.

[42] Paroles de l’Alcoran.

[43] Fondateur de l'une des quatre sectes orthodoxes musulmanes. Son tombeau se trouvait dans le cimetière public, connu sous le nom de Kerafah, situé au sud-est des murs de la ville du Caire.

[44] C'est sans doute le cadi Fadhel, dont Saladin fit dans la suite son secrétaire d’état. Une partie de sa correspondance politique nous a été conservée par le compilateur des Deux Jardins.

[45] Les descendants directs d'Ali, qui réunissaient en leur pelotonne l'autorité spirituelle et temporelle.

[46] Schyrkouh se reconnaissait par-là comme créature d’Adhed, à l'instar des mamelouks, qui prenaient le nom de leur maître. Ainsi les mamelouks de Saladin (Malek Nasser) seront désignés sous le titre de Nasserydes ; ceux de Schyrkouh (Assad eddin), sous celui d'Assadydes ; ceux de Malek Saleh Negm eddin, sous celui de Salehydes, etc.

[47] Obeïd Allah Mahdi, fondateur de la dynastie des khalifes fatimides, mort en 322 (934) prétendait descendre d'Ali, gendre de Mohammed, par Israël, fils de Djafar, le 6e des douze imams. (Voy. notre auteur, tom. II, p. 308-321.) C'est ce même Ismail dont le nom servit de point de ralliement à plusieurs sectes de fanatiques, connues sous le nom d’Ismaéliens, d’Assassins, etc.

[48] Paroles de l’Alcoran.

[49] Saladin distribua des terres à sa famille et à ses officiers. Ce fut le plus souvent aux dépens des chrétiens, et sur les terres des couvents dotés généreusement par les khalifes fatimides.

[50] C'est à la prière du vendredi que le prédicateur fait des vœux pour le souverain. On sait que le droit d'y être nommé et celui de battre monnaie constituaient dans l'origine la suprême puissance; mais d'abord à Bagdad, et plus tard en Egypte, sous les derniers fatimides, l'autorité des khalifes était devenue toute spirituelle.

[51] La bibliothèque du palais contenait, selon Merai, deux millions de manuscrits, dont cent mille autographes : Saladin se réserva une partie des livres, et fit vendre le reste. Reiske a cru reconnaître dans la bibliothèque de Leyde, des débris de celle de ce prince. (Voy. sur cette bibliothèque des détails curieux dans les Mém. sur l'Egypte, par M. Quatremère, tom. II, p. 383 et suiv.

[52] Carac (Petra deserti) et Schaubek (Mont regalis) étaient devenues, par leur position, la clef de la route de Syrie en Egypte. Depuis que les Francs s'étaient établis dans la Palestine, les musulmans ne pouvaient plus communiquer d'un pays à l'autre qu'en se dirigeant à l’est du Jourdain, pour de là tourner la Mer Morte, et franchir les tables qui s'étendent au nord de la Mer Rouge. Or, Carac et Schaubek, par leur position à l'est et au sud de la Mer Morte, pouvaient à tout instant intercepter les musulmans qui voulaient traverser le pays. Les caravanes des pèlerins de l'Asie Mineure et de la Syrie s'exposaient également à être enlevées sans combat : Nour eddin crut donc qu'il était de sa politique de soumettre ces deux places. Saladin ne mettait pas le même intérêt à les enlever aux Francs, parce qu'elles pouvaient offrir un obstacle aux entreprises de Nour eddin contre lui, soit en retardant la marche de ce dernier sur l'Egypte, soit en lui laissant les moyens de faire une alliance avec les chrétiens contre le sulthan de Syrie. On verra par la suite l'extrême importance que les chrétiens et les musulmans mirent tour-à-tour à conserver et à reprendre Schaubek et Carac. Cette observation n'a pas échappé aux écrivains latins.