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Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

AVANT-PROPOS

 

RAPPORT

FAIT AU COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQUES ET SCIENTIFIQUES

PAR M. BERTHELOT

SUR LA COLLECTION DES MANUSCRITS GRECS ALCHIMIQUES

ET SUR L’UTILITÉ DE LEUR PUBLICATION

SUIVI DE L’EXPOSÉ DES CONDITIONS ET DE

L’ORDRE ADOPTÉ DANS CETTE PUBLICATION

 

 

« Il existe dans la plupart des grandes bibliothèques d’Europe une collection de manuscrits grecs, fort importante pour l’histoire des Sciences naturelles, de la Technologie des métaux et de la Céramique, ainsi que pour l’histoire des idées philosophiques aux premiers siècles de l’ère chrétienne : c’est la collection des manuscrits alchimiques, demeurés inédits jusqu’à ce jour. La Bibliothèque Nationale de Paris contient un certain nombre de ces manuscrits, et des plus intéressants. Le plus ancien de tous ceux que l’on connaît, paraît remonter à la fin du xe siècle de notre ère; il existe à Venise. Il est resté deux ans à Paris, entre les mains de M. Berthelot, par suite d’un prêt momentané, fait avec beaucoup de libéralité par le Gouvernement Italien.

« Tous ces manuscrits ont une composition pareille. Ils sont formés par un même ensemble de traités théoriques et pratiques, constituant une sorte de Corpus des auteurs chimiques, antérieurs presque tous au viie siècle de notre ère. Les principaux de ces auteurs paraissent avoir écrit aux iiie et ive siècles, vers les temps de Dioclétien, de Constantin et de Théodose. Le plus important, Zosime, serait contemporain de Clément d’Alexandrie, de Porphyre et de Tertullien; c’est un écrivain congénère des gnostiques et des néo-platoniciens, dont il partage les idées et les imaginations. Le Pseudo-Démocrite, sur lequel M. Berthelot a publié récemment un article étendu dans le Journal des Savants, remonterait vers le commencement de l’ère chrétienne. Enfin les recettes relatives aux teintures des verres et à la composition des alliages se rattachent en partie, d’après certaines indications, à la vieille Égypte.

« Ce Corpus des Alchimistes grecs a été formé vers le viiie ou ixe siècle de notre ère, à Constantinople, par des savants byzantins, de l’ordre de Photius et des compilateurs des 53 séries de Constantin Porphyrogénète, savants qui nous ont transmis sous des formes analogues les restes de la science grecque. Les auteurs qu’il renferme sont cités par les Arabes, notamment dans le Kitab al-Fihrist, comme la source de leurs connaissances en chimie. Ils sont devenus, par cet intermédiaire, l’origine des travaux des savants occidentaux, au moyen âge, et par suite le point de départ initial des découvertes de la Chimie moderne.

« En raison de cette connexion leur publication offre une grande importance. Ils renferment d’ailleurs une multitude de procédés et de recettes techniques, susceptibles de jeter un jour nouveau sur la fabrication des verres, des alliages et des métaux antiques sujet jusqu’ici si obscur et si controversé dans l’histoire des grandes industries. M. Maspero, à qui l’on a donné communication de ces manuscrits, pense qu’ils contiennent de précieux débris des pratiques industrielles et des idées techniques de l’ancienne Égypte, débris dont une publication complète permettra seule de reconnaître tout l’intérêt et de poursuivre la filiation dans les inscriptions des monuments. L’histoire des doctrines et des illusions qui ont régné dans le monde au moment de l’établissement du Christianisme tirera également des lumières nouvelles de cette publication. Bref, elle offre un égal intérêt, au point de vue spécial des débuts des sciences chimiques et industrielles, et au point de vue général des développements de l’esprit humain.

« Si cette publication n’a pas été faite jusqu’à présent, c’est en raison de l’obscurité du sujet, du caractère chimérique d’une partie des questions traitées, telles que celle de la transmutation des métaux; enfin de la difficulté de rencontrer le concours d’un savant versé dans la connaissance de la langue et de la paléographie grecque, avec un savant au courant des théories et des pratiques de la chimie. Un heureux ensemble de circonstances permet de réunir aujourd’hui cette collaboration.

« La publication dont il s’agit comprendrait environ quatre à cinq cents pages de textes grecs inédits, avec traduction, collation des manuscrits, notes et commentaires, etc. Mais la publication peut être faite par parties successives, de façon à donner ses fruits sans de trop grands délais et à partager la dépense sur un certain nombre d’années. En effet ces textes peuvent être classés à peu près par moitié, en deux séries: les textes historiques et théoriques, et les textes techniques relatifs à des fabrications spéciales. Chacune de ces deux séries pourrait être partagée en groupes, tels que les traités Démocritains, les œuvres de Zosime, les Commentateurs, les traités sur la fabrication des verres et pierres précieuses artificielles; les traités sur la fabrication des métaux et des alliages, etc.

Il s’agirait dès lors de publier chaque année un demi-volume renfermant 120 à 150 pages de textes grecs, avec traduction, tables, etc., ce qui ferait environ 300 à 350 pages en tout chaque année, 1400 à 1500 pages pour l’ensemble. La publication des figures des appareils, dessinées dans les manuscrits, et qui seraient reproduites par la photogravure avec la perfection et l’exactitude absolue des procédés modernes, augmenterait beaucoup l’intérêt de la publication. Telle que nous le comprenons, ce serait une édition princeps, accompagnée d’un appareil développé de variantes d’après les principaux manuscrits, ainsi que de notes et commentaires appropriés. Dans l’espace de quatre à cinq ans, on pourrait venir à bout de cette œuvre, désirée depuis longtemps par les savants et qui ferait honneur à la nation qui l’exécuterait.

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Ce rapport a été adopté par la section du comité des travaux historiques et scientifiques, chargée spécialement des sciences mathématiques, physiques et météorologiques, dans sa séance du 12 novembre 1884. Le présent rapport a été lu de nouveau devant le comité central, le 17 décembre 1884, et adopté par ce comité, qui a chargé M. Berthelot de présenter le rapport et la proposition de publication au Ministre.

M. Charmes, directeur du Secrétariat, a bien voulu, avec le zèle pour les intérêts de la science qui le distingue, rechercher les ressources nécessaires à l’exécution, transmettre le rapport et faire des propositions définitives au Ministre, qui a ordonné la publication.

Cette publication a lieu dans les conditions suivantes:

M. Ch.-Em. Ruelle, bibliothécaire à la bibliothèque Sainte Geneviève, s’est chargé du texte grec. Il a exécuté d’abord une copie fondamentale, d’après le manuscrit n° 299 de la Bibliothèque de Saint Marc, à Venise, manuscrit de la fin du xe siècle, le plus ancien et le plus autorisé de tous. Pour les parties non contenues dans ce manuscrit, la copie fondamentale a été faite en général, d’après le manuscrit n° 2327 de la Bibliothèque nationale de Paris, manuscrit de la fin du xve siècle, le plus complet et le meilleur, après celui de Saint Marc. La copie fondamentale une fois établie, elle a été collationnée avec les manuscrits principaux de la Bibliothèque nationale, tels que les nos 2325 (xiiie siècle), 2275, 2326, 2329 (xvie-xviie siècle), 2249 et 2447 (xvie siècle), 2250, 2251 et 2252 (xviie siècle), 2419 (xve siècle), et quelques autres: en tout douze manuscrits étudiés d’une manière approfondie. Les variantes principales, résultant de cet ensemble de collations, ont été transcrites en note; travail rendu doublement considérable, par la nécessité de relever toutes les variantes des manuscrits, puis de faire un choix convenable entre ces variantes. Dans certains cas où les variantes ont plus d’importance et d’étendue, on les a données dans le texte même, comme rédaction parallèle. M. Ruelle a joint à ces Variantes un grand nombre de notes philologiques. Il se propose de publier aussi une notice sur les manuscrits et une liste des mots nouveaux rencontrés dans le cours de son travail.

Il y aurait eu quelque avantage à poursuivre ces comparaisons d’une façon complète, en étudiant tous les manuscrits de la même collection qui existent dans les principales bibliothèques de l’Europe, manuscrits sur lesquels M. H. Kopp (Beiträge zur Geschichte der Chemie, 1869, p. 254 à 340) a réuni des renseignements très étendus et très intéressants, tirés de leurs catalogues imprimés. Mais ces manuscrits sont fort nombreux, et disséminés. Leur collation aurait exigé bien des années, et le travail serait devenu ainsi presque inexécutable par sa durée et sa complication. On a dû se limiter aux douze manuscrits ci-dessus; ce qui représente déjà un très grand travail.

Cependant les éditeurs, dans le désir de n’omettre aucune œuvre importante, ont cru utile de faire procéder à un examen spécial, non seulement des catalogues imprimés des diverses Bibliothèques d’Europe, mais aussi de certains manuscrits qui avaient été signalés comme susceptibles de contenir des traités antérieurs au viie siècle, manquant dans les deux manuscrits fondamentaux pris comme base de notre travail, celui de Saint Marc — et le n° 2327 de Paris. Tels sont les manuscrits du Vatican, de Leide et de l’Escurial.

M. André Berthelot, maître de conférences à l’École des Hautes-Études, a été sur les lieux étudier les manuscrits du Vatican et de Leide, et il en a comparé la composition avec celle des manuscrits fondamentaux. Il a aussi examiné les manuscrits des Bibliothèques allemandes, notamment ceux de Gotha, de Munich, de Weimar, de Leipzig et divers autres. Les résultats de son étude ont été publiés en partie dans les Archives des Missions scientifiques (3e série, t. XIII, p. 819 à 854); ils seront signalés dans l’Introduction. Sauf un court fragment de l’auteur alchimique qui a pris le nom de Justinien, ils n’ont pas fourni de morceau inconnu; mais ils ont été fort utiles par l’étude des figures de ces manuscrits, qui ont jeté une lumière nouvelle sur les transformations successives des appareils alchimiques dans le cours des siècles.

Le manuscrit principal de l’Escurial a été l’objet d’un examen spécial par M. de Loynes, secrétaire de l’ambassade française à Madrid, principalement au point de vue de l’existence soupçonnée de traités propres à ce manuscrit. Mais ces traités n’existent point en réalité, comme il sera dit en détail dans l’Introduction; ce manuscrit étant une copie, probablement directe, de celui de Venise.

Les manuscrits pris comme base de notre publication renferment donc tout ce qu’il y a d’essentiel et d’antique, c’est-à-dire d’antérieur au viiie siècle de notre ère, dans la collection; plusieurs traités qu’il a paru utile d’y comprendre sont même de date plus récente, mais connexes avec les précédents. Quant au long détail des variantes des manuscrits que nous n’avons pas dépouillés, c’est un travail considérable, qu’il conviendra de faire ultérieurement en prenant pour base la publication actuelle: nous avons dit plus haut que nous n’avions pas cru possible de l’entreprendre, dans la crainte de compromettre notre entreprise en lui donnant une étendue démesurée. Voici déjà trois ans écoulés depuis ses débuts et nous n’avons réussi à terminer que l’impression de la 1ère Livraison. Mais la seconde, texte et traduction, est tout entière aux mains de l’imprimeur, et les textes de la troisième livraison sont presque entièrement copiés à l’heure présente: nous sommes donc en mesure de la conduire jusqu’au bout, sans interruption, et cela dans un délai qui ne dépassera pas désormais deux années.

Il est utile de prévenir le lecteur que pour la publication de ces textes nous nous sommes attachés d’abord aux écrits inédits; mais nous avons cru devoir ajourner jusqu’à nouvel ordre une nouvelle mise au jour de certains traités déjà imprimés, tels que: l’ouvrage du commentateur Stephanus, auteur du viie siècle, précédemment imprimé par Ideler, d’après une copie de Dietz, faite sur un manuscrit de Munich, dérivé lui-même de celui de Venise (dans l’ouvrage intitulé Physici et medici grœci minores, t. II, p. 199 à 253, 1842); et les Poètes alchimiques, imprimés par le même éditeur (t. II, p. 328 à 352). Quoique ces impressions laissent à désirer sous divers rapports et qu’elles ne renferment pas de variantes, nous avons pensé qu’elles suffiraient pour le moment aux personnes qui s’intéressent à ce genre d’études. Quant nous atteindrons le terme de notre travail, nous nous réservons de revenir sur ces divers traités et même d’en entreprendre une édition plus complète, site temps le permet et si les crédits consacrés à la présente publication ne sont pas épuisés.

Nos manuscrits contiennent encore un petit traité des poids et mesures, sous le nom de Cléopâtre, traité que nous avons également jugé superflu de reproduire, parce qu’il a été déjà plusieurs fois imprimé depuis le temps d’Henri Estienne; il a en outre été commenté et rapproché des textes analogues par les savants qui se sont occupés de la Métrologie des anciens, notamment dans l’ouvrage classique de Hultsch.

En général, nous n’avons pas cru devoir comprendre dans notre publication les écrits grecs alchimiques postérieurs aux Arabes, à l’exception de certains traités techniques, transcrits dans les manuscrits que nous imprimons et connexes avec des ouvrages plus anciens. Il existe cependant un certain nombre d’auteurs alchimiques grecs plus récents que cette date dans les manuscrits des bibliothèques, tels que : une lettre sur la Chrysopée par Michel Psellus, polygraphe byzantin du xie siècle, mise en guise de préface en tête de certains manuscrits (voir mes Origines de l’Alchimie, p. 240); un ouvrage de Nicéphore Blemmidès, du xiiie siècle (transcrit entre autres dans le n° 2329 de la Bibliothèque nationale); plusieurs traités et opuscules relevés par M. André Berthelot dans la Bibliothèque du Vatican (Archives des Missions scientifiques, 3e série, t. XIII, p. 819 à 854); et divers autres contenus dans le précieux manuscrit grec in-folio, astrologique, magique et alchimique (xve siècle) qui porte le n° 2419 à la Bibliothèque nationale de Paris. L’ouvrage alchimique le plus considérable que ce dernier renferme est un traité méthodique, inscrit sous le nom de Theoctonicos, et qui est le même que l’Alchimie latine attribuée à Albert le Grand. L’existence de cet ouvrage dans les deux langues grecque et latine, avec des variantes considérables d’ailleurs, soulève des problèmes historiques très curieux: on les discutera dans l’Introduction, d’après une étude approfondie des deux textes. En tous cas, cet ouvrage grec de Theoctonicos est postérieur aux Arabes: il est tout au plus de la fin du xiiie siècle; il appartient donc à une période beaucoup plus moderne que les nôtres; le texte latin correspondant a été publié à diverses reprises, dans le Theatrum Chemicum et à la fin des œuvres d’Albert le Grand. Le manuscrit 2419 nous a fourni en outre divers renseignements essentiels relatifs à l’histoire des notations alchimiques, à la liste planétaire des métaux et de leurs dérivés, aux rapports entre les parties de l’homme et les signes du Zodiaque, aux cercles de Pétosiris pour prévoir l’issue des maladies, cercles dont les analogues se retrouvent dans les Papyrus de Leide, dans le manuscrit 2327, etc.

Le texte grec étant ainsi arrêté et défini, M. Ruelle en a fait une traduction littérale, sans se préoccuper des obscurités ou des passages en apparence incompréhensibles. M. Berthelot a repris cet essai de traduction; avec l’aide de ses connaissances techniques, il a cherché à en tirer un sens régulier, en se conformant au texte grec, dont il a été ainsi conduit à faire à son tour une révision spéciale. Il réclame toute l’indulgence du lecteur pour cette tentative d’interprétation, dans une matière rendue triplement difficile : par les obscurités du sujet, des notations et du langage technique, les explications des praticiens laissant toujours beaucoup de choses sous-entendues; par le symbolisme mystique et le vague intentionnel des auteurs, sans parler de leurs erreurs scientifiques; enfin par les fautes matérielles des copistes, qui souvent ne comprenaient rien aux signes et aux textes qu’ils transcrivaient. La langue même de cet ordre de traités était très incorrecte dès le début, comme le montrent les papyrus alchimiques de Leide, publiés par M. Leemans et dont M. Berthelot donne une traduction complète avec commentaires dans l’INTRODUCTION. En somme, on ne :saurait envisager notre traduction des alchimistes grecs que comme un premier essai, qui sera assurément perfectionné par suite des études ultérieures, auxquelles il n’a d’autres prétentions et d’autre mérite que de fournir leur premier fondement.

Les conditions de notre publication étant ainsi définies, exposons l’ordre que nous avons adopté. Elle se compose de trois parties, savoir:

Une INTRODUCTION, due à M. Berthelot;

Un TEXTE GREC, avec variantes et notes philologiques, établi par M. Ruelle;

Et une TRADUCTION, due à la collaboration des deux savants, avec notes et commentaires de M. Berthelot.

Parlons d’abord du TEXTE GREC.

Nous avons partagé les nombreux morceaux qui le constituent dans les manuscrits en six parties distinctes, savoir:

Une Première partie, sous le titre d’Indications générales, contient les morceaux d’un caractère général, tels que: la Dédicace antique, le Lexique, les nomenclatures de l’Œuf philosophique, les articles sur le Serpent, sur l’Instrument d’Hermès pour prévoir l’issue des maladies, sur la liste planétaire des métaux et de leurs dérivés, sur les noms des Faiseurs d’or et des Villes où l’on fabriquait l’or, les Serments, les mœurs des philosophes, l’assemblée des philosophes, la fabrication de l’asèm et du cinabre, les procédés de diplosis, et enfin le Labyrinthe de Salomon; soit en tout vingt morceaux, que nous avons recueillis dans les diverses parties des manuscrits, où ils sont disséminés.

La Seconde partie comprend les Traités Démocritains, c’est-à-dire le Pseudo-Démocrite, contemporain des auteurs anonymes du Papyrus alchimique de Leide, représenté par deux ouvrages, savoir: Physica et Mystica, et un livre dédié à Leucippe; puis le traité philosophique de Synésius (fin du ive siècle); enfin le long et curieux écrit d’Olympiodore (commencement du ve siècle). Ce sont les œuvres les plus intéressantes, au point de vue historique et philosophique.

Ces deux parties constituent la première livraison du texte grec, celle que nous donnons aujourd’hui au public.

La seconde livraison, complètement préparée et livrée à l’impression, renferme aussi deux parties. Ce sont:

La Troisième partie, la plus longue de toutes, laquelle embrasse les œuvres ou plutôt les fragments attribués à Zosime, fragments recueillis et parfois développés par des commentateurs plus récents, de diverses époques, quelques-uns postérieurs au viie siècle. Les œuvres de Zosime, telles que nous pouvons en entrevoir la composition d’après ces fragments, offraient déjà le caractère d’une compilation étendue, faite vers le iiie siècle de notre ère avec les écrits de Démocrite et ceux de divers écrivains perdus, tels que: Cléopâtre, auteur de traités sur la distillation, dont les figures ont été en partie conservées dans les manuscrits et seront reproduites dans l’Introduction; Marie la Juive, auteur d’ouvrages sur les appareils de digestion et les fourneaux, dont les figures ont été aussi conservées en partie et seront également reproduites; Pamménès, Pébéchius, Ostanès, Pétésis, Pausiris, Africanus, les apocryphes Sophé (Chéops), Chymès, Hermès et Agathodémon, etc. Toute une littérature alchimique, aujourd’hui perdue, a précédé Zosime qui l’avait résumée. Ses œuvres ont servi à leur tour de base à des compilations plus récentes, qui se sont confondues avec le texte primitif. Au lieu de chercher à démêler immédiatement une semblable complication, il a paru préférable de donner ces œuvres, telles qu’elles existent dans les manuscrits, en nous bornant à en réunir les morceaux parfois dispersés, et au risque d’y intercaler des ouvrages plus récents. Nous avons pensé qu’il convenait d’abord de mettre aux mains des érudits les textes, avant d’en discuter la formation.

La Quatrième partie, comprise aussi dans notre seconde livraison, contient tous les ouvrages anciens qui portent un nom d’auteur, que cette attribution soit apocryphe ou non. Tels sont les Écrits de Pélage, d’Ostanès, de Jean l’Archiprêtre, d’Agathodémon, de Comarius, et le traité technologique inscrit sous le nom de Moïse, lequel renferme des morceaux de diverses dates, quelques-uns contemporains des Papyrus alchimiques de Leide.

La 3e livraison enfin, dès à présent arrêtée quant à son plan et quant à la plus grande partie de ses textes, sera formée des deux dernières parties, qui sont:

La Cinquième partie, essentiellement technologique, comprenant le livre de l’Alchimie métallique, un traité d’Orfèvrerie beaucoup plus moderne, le travail des quatre éléments, la technurgie de Salmanas, la coloration des verres et émeraudes, la trempe du fer et du bronze, la fabrication du verre, de la bière, etc., etc. Ces traités ou articles, presque tous anonymes, portent le caractère d’ouvrages pratiques, remaniés successivement dans le cours des siècles; à côté de certaines recettes remontant, ce semble, jusqu’à la vieille Égypte, ils renferment parfois des procédés contemporains de la dernière copie du manuscrit qui nous les a transmis.

La Sixième partie sera consacrée aux commentateurs, tels que le philosophe Anonyme et le philosophe Chrétien, auteurs dont les écrits se confondent souvent avec la rédaction actuelle de ceux de Zosime, transcrits dans la 3e partie. C’est là que nous donnerons la réimpression de Stephanus et celle des poètes, si les ressources de notre publication le permettent.

Le texte grec est publié avec une pagination indépendante il est dû au travail consciencieux de M. Ch.-Em. Ruelle, qui a collationné les manuscrits mis à notre disposition et reproduit les variantes principales, en notes développées au bas des pages. Son travail personnel était plus étendu et plus complet; mais il a dû en restreindre l’impression aux limites actuelles, se réservant de donner ailleurs, s’il y a lieu, le surplus. Voilà ce qui est relatif au texte.

Quelques mots maintenant sur la TRADUCTION. Le volume actuel la contient, imprimée dans un fascicule séparé, avec pagination spéciale. Au bas des pages se trouvent également des notes, constituant un commentaire perpétuel, technique, historique et philosophique. Elle est nécessairement partagée en six parties et trois livraisons, comme le texte grec correspondant. Cette traduction est donnée aussi clairement que possible, toutes les fois que l’on a cru réussir à comprendre la vraie signification des procédés. Pour le reste, on s’est tenu au plus près du sens littéral, laissant aux lecteurs le soin de pénétrer plus avant dans l’interprétation de ces textes difficiles, et au besoin de rectifier, à l’aide du grec, les erreurs qui auraient pu être commises.

Texte et traduction sont précédés par une INTRODUCTION, formant dans la livraison actuelle près de 300 pages, que M. Berthelot a jugé utile de rédiger pour l’intelligence du texte: elle constitue une sorte d’introduction générale à la métallurgie et à la chimie des anciens. Elle est formée par huit chapitres ou mémoires, séparés et indépendants les uns des autres, savoir:

1° Une étude sur les Papyrus grecs de Leide, avec traduction complète du papyrus X spécialement alchimique, et explication des recettes qui y sont contenues. C’est le plus vieux texte authentique de cet ordre qui soit connu. Il a été écrit au iiie siècle de notre ère; mais une partie des procédés techniques qu’il renferme remontent beaucoup plus haut, ce genre de procédés se transmettant d’âge en âge. M. Berthelot a montré comment les recettes d’alliage destinées à l’orfèvrerie que ce texte expose ont été le point de départ pratique des travaux et des tentatives des alchimistes. Le Pseudo-Démocrite et le Pseudo-Moïse notamment s’y rattachent très directement.

2° Une étude sur les relations entre les métaux et les planètes, relations originaires de Babylone; elles président à toute la notation alchimique et jouent un rôle capital dans l’histoire des croyances et des superstitions humaines.

3° Une notice sur la sphère de Démocrite et sur les médecins astrologues, avec deux figures des cercles de Pétosiris, en photogravures, tirées du manuscrit 2419 de Paris.

4° La reproduction, d’après des photogravures, des listes des signes et notations alchimiques, contenues dans le manuscrit de Saint Marc et dans le manuscrit 2327 de Paris. Cette reproduction comprend huit planches, avec traduction et commentaire; on y a joint un petit lexique alphabétique, pour servir de point de repère.

La reproduction des figures d’appareils et autres, au nombre de 35, contenues dans le manuscrit de Saint Marc, et dans le manuscrit 2327 de Paris; reproduction faite pour la plupart en photogravure, et qui dès lors doit être regardée comme aussi voisine que possible des manuscrits. On a donné l’explication des opérations accomplies à l’aide de ces appareils, ainsi qu’une comparaison des dessins des mêmes appareils, faits à des époques éloignées les unes des autres de plusieurs siècles. Cette comparaison constitue une véritable histoire des manipulations des alchimistes, ainsi que des changements qui s’y sont introduits pendant le cours du moyen âge.

6° Divers renseignements et notices sur quelques manuscrits alchimiques et sur leur filiation. On y trouvera l’étude d’une vieille liste d’ouvrages, placée en tête du manuscrit de Saint Marc; une discussion sur divers traités perdus depuis; l’indication des lacunes que ce manuscrit offre dans son état présent; sa comparaison avec les manuscrits 2325 et 2327 de Paris; l’examen comparatif des manuscrits de l’Escurial, du Vatican, de Leide, etc.; certaines hypothèses sur l’origine et la filiation de nos manuscrits actuels; une étude spéciale du manuscrit 2419 de la Bibliothèque Nationale de Paris et sur l’Alchimie de Theoctonicos; enfin quelques indications sur un manuscrit arabe d’Ostanès, existant à la Bibliothèque Nationale de Paris.

7° Une note relative à quelques minéraux et métaux provenant de l’antique Chaldée, et tirés des Collections du Musée du Louvre: minéraux et métaux que M. Berthelot a soumis à ses analyses.

8° Des notices de minéralogie, de métallurgie et diverses, destinées à servir de commentaires aux expressions chimiques et minéralogiques employés par les alchimistes. Ce commentaire a été établi d’après Théophraste, Dioscoride, Pline et les écrivains anciens, et complété à l’aide du Speculum majus de Vincent de Beauvais, des auteurs contenus dans la Bibliotheca Chemica de Manget, le Theatrum chemicum, la Bibliothèque des Philosophes alchimiques publiée chez Cailleau, à Paris (1754), joints aux articles du Lexicon Alchemiœ Rulandi, ouvrages qui nous font connaître les interprétations du moyen âge. On a tiré également parti des dictionnaires de du Cange (Glossarium mediae et infimœ Grœcitatis), d’Henri Estienne (Thesaurus, édition Didot), et de ceux du grec moderne.

Si la place le permet, on présentera à la fin de la présente collection un résumé des procédés et méthodes chimiques qui y sont signalés; enfin on terminera par des Tables analytiques et un Index général.

Peut-être ne sera-t-il pas superflu d’ajouter que les commentaires et explications de la publication actuelle doivent être complétés par l’ouvrage de M. Berthelot, intitulé les Origines de l’Alchimie, ouvrage composé en grande partie d’après une première lecture de nos manuscrits, et dans lequel les faits historiques et les théories philosophiques se trouvent exposés avec des développements plus considérables.

 

Paris, 25 Octobre 1887.


 

NOTE PRÉLIMINAIRE

SUR LES ABREVIATIONS, LES SIGLES DES MANUSCRITS, ETC.

 

 

Les variantes et autres remarques paléographiques sont indiquées par les abréviations usuelles des mots latins addit (add.), omittit (om.), correxit (corr.), fortasse legendum (f. l.), fortasse melius (f. mel.), forfasse delendum (f. del.). — Corr. conj. désigne une correction conjecturale.

Folio est abrégé f.; recto, r.; verso, v.; page, p.

Le ms. 299 de St Marc, à Venise (xie s.), a pour sigle M; — les mss. de Paris 2327 (de l’an 1478), A;— 2325 (xiiie s.), B; — 2275 (de l’an 1465), C; — 2326 (xvie s.), D; —, 2329 (xvi-xviie s.), E;— 2249 (xvie s.), K; — 2250, 2251, 2252 (xviie s.), L ou La, Lb, Lc; — 2419 (de l’an 1460), R; — 1022 du supplément grec (xviie s.), S; —le ms. de la Laurentienne, à Florence, lxxxvi, 16 (de l’an 1492), Laur.

Conformément à l’usage adopté généralement aujourd’hui, les mots placés entre crochets droits [ ] sont ceux dont on propose la suppression; les mots placés entre crochets obliques < >, ceux que l’on propose de suppléer.

Le sigle d’un ms. est suivi de l’abréviation mg. (par ex.: M mg.) lorsque les mots qui suivent sont placés en marge de ce ms.

On a négligé le plus, souvent les variantes qui portent: 1° sur le n final éphelkystique suivi d’une consonne (par ex.: ἔστιν τὸ φάρμακον), d’un usage presque constant dans M; 2° sur la confusion de voyelles causée par l’iotacisme (βῆκος pour βίκος) 3° sur la ponctuation. On n’a reproduit, d’ailleurs, dans les notes, que les variantes qui paraissaient contribuer à l’amélioration du texte. Les autres variantes, qui ont été recueillies, pourront figurer dans une publication à part.

Le texte imprimé est toujours, sauf indication spéciale, conforme à celui du manuscrit sur lequel la transcription a été faite.

Lorsque le texte grec n’a pas de titre, on y supplée par la suscription d’un titre en français.

Les renvois d’un morceau à un autre sont effectués au moyen de divisions conventionnelles en Parties, Sections ou Morceaux et Paragraphes. (Ex.: Cp. I, iii, 5: Comparez Ire partie, iiie morceau, § 5).

Les notes philologiques suivies des initiales M. B. sont de M. Marcellin Berthelot. Les initiales C. E. R. signifient Ch.-Émile Ruelle.