Texte grec repris sur le site
Μικρός Απόπλους
Αρχαία Ελληνικά Κείμενα
Traduction française par Leconte de Lisle
Κρέων τάχ᾽
εἰσόμεσθα
μάντεων
ὑπέρτερον. |
TROISIÈME ÉPISODE CRÉON. - Nous le saurons bientôt et plus sûrement que des divinateurs. Ô enfant, ayant appris la sentence irrévocable qui est rendue contre ta fiancée, viens-tu en ennemi de ton père ? Ou, quoi que nous fassions, te sommes-nous chers ? |
Αἵμων πάτερ,
σός εἰμι, καὶ
σύ μοι γνώμας
ἔχων635 |
HÉMON. - Père, je t'appartiens ; tu me diriges par tes sages conseils, et je les suis. Le désir d'aucun mariage ne sera plus puissant sur moi que ta sagesse. |
Κρέων οὕτω
γάρ, ὦ παῖ, χρὴ
διὰ στέρνων
ἔχειν, |
CRÉON. - Certes, ô enfant, il convient que tu aies ceci dans le cœur de mettre la volonté de ton père avant toutes choses. Si les hommes désirent avoir des enfants dans leur demeure, c'est afin qu'ils vengent leur père de ses ennemis et qu'ils honorent ses amis autant que lui-même. Mais celui qui a des enfants inutiles, que dire de lui, sinon qu'il a engendré sa propre injure et ce qui le livre en risée à ses ennemis ? Maintenant, ô enfant, vaincu par la volupté, ne sacrifie pas ta sagesse à une femme. Sache bien qu'il est glacé l'embrassement de la femme perverse qu'on a dans sa demeure pour compagne de son lit. Quelle plus grande misère, en effet, qu'un mauvais ami ? Dédaigne donc cette jeune fille, comme une ennemie, et laisse-la se marier chez Hadès. Après l'avoir saisie, seule entre tous les citoyens, désobéissant à mes ordres, je ne passerai point pour menteur devant la Ville, je la tuerai. Qu'elle implore Zeus, protecteur de la famille ! Si je laisse faire à ceux qui sont de mon sang, que sera-ce pour les étrangers ? Celui qui est équitable dans les choses domestiques se montrera équitable aussi dans la Ville ; mais celui qui viole insolemment les lois et qui pense commander à ses chefs, ne sera point loué par moi. Il faut obéir à celui que la Ville a pris pour maître, dans les choses petites ou grandes, justes ou iniques. Je ne douterai jamais d'un tel homme : il commandera bien et se laissera commander. En quelque lieu qu'il soit placé, dans la tempête du combat, il y restera avec loyauté et soutiendra vaillamment ses compagnons. Il n'est point de mal pire que l'anarchie : elle ruine les villes, elle rend les demeures désertes, elle pousse, dans le combat, les troupes à la fuite ; tandis que l'obéissance fait le salut de tous ceux qui sont disciplinés. Ainsi les règles stables doivent être défendues, et il ne faut en aucune façon céder à une femme. Il vaut mieux, si cela est nécessaire, reculer devant un homme, afin qu'on ne dise pas que nous sommes au-dessous des femmes. |
Χορός ἡμῖν
μέν, εἰ μὴ τῷ
χρόνῳ
κεκλέμμεθα, |
LE CORYPHÉE. - A moins que nous nous abusions à cause de notre vieillesse, il nous semble que tu parles sagement. |
Αἵμων πάτερ,
θεοὶ φύουσιν
ἀνθρώποις
φρένας, |
HÉMON. - Père, les Dieux ont donné aux hommes la raison qui est, pour tous, tant que nous sommes, la richesse la plus précieuse. Pour moi, je ne puis ni penser, ni dire que tu n'as point bien parlé. Cependant, d'autres paroles seraient sages aussi. En effet, je sais naturellement, avant que tu le saches, ce que chacun dit, fait, ou blâme, car ton aspect frappe le peuple de terreur, et il tait ce que tu n'entendrais pas volontiers. Mais il m'est donné d'entendre ce qu'on dit en secret et de savoir combien la Ville plaint la destinée de cette jeune fille, digne des plus grandes louanges pour ce qu'elle a fait, et qui, de toutes les femmes, a le moins mérité de mourir misérablement. Celle qui n'a point voulu que son frère tué dans le combat, et non enseveli, servît de pâture aux chiens mangeurs de chair crue et aux oiseaux carnassiers, n'est-elle pas digne d'un prix d'or ? Telle est la rumeur qui court dans l'ombre. Père, rien ne m'est plus à cœur que ton heureuse destinée. Quelle plus grande gloire y a-t-il pour des enfants que la prospérité d'un père, ou pour un père que celle de ses enfants ? Ne te mets donc pas dans l'esprit qu'il n'y a que tes seules paroles qui soient sages. En effet, quiconque s'imagine que lui seul est sage, et que nul ne le vaut par l'âme et par la langue, est le plus souvent vide quand on l'examine. Il n'est point honteux à un homme, quelque sage qu'il soit, de beaucoup apprendre et de ne point résister outre mesure. Vois comme les arbres, le long des cours d'eau gonflés par les pluies hivernales, se courbent afin de conserver leurs rameaux, tandis que tous ceux qui résistent meurent déracinés. De même le navigateur qui tient résolument tête au vent et ne cède pas, voit sa nef renversée et flotte sur les bancs de rameurs. Apaise-toi donc et change de résolution. Si je puis en juger, bien que je sois jeune, je dis que le mieux pour un homme est de posséder une abondante sagesse, sinon - car la coutume n'est pas qu'il en soit ainsi - il est beau d'en croire de sages conseillers. |
Χορός ἄναξ,
σέ τ᾽ εἰκός,
εἴ τι καίριον
λέγει, |
LE CORYPHÉE. - Roi, s'il a bien parlé, il est juste que tu te laisses instruire, et toi par ton père, car vos paroles sont bonnes à tous deux. |
Κρέων οἱ
τηλικοίδε
καὶ
διδαξόμεσθα
δὴ |
CRÉON. - Apprendrons-nous la sagesse, à notre âge, d'un homme si jeune |
Αἵμων μηδὲν
τὸ μὴ
δίκαιον· εἰ
δ᾽ ἐγὼ νέος, |
HÉMON. - N'écoute rien qui ne soit juste. Si je suis jeune, il convient que tu considères mes actions, non mon âge. |
Κρέων ἔργον γάρ ἐστι τοὺς ἀκοσμοῦντας σέβειν;730 |
CRÉON. - Faut-il donc honorer ceux qui n'obéissent point aux lois ? |
Αἵμων οὐδ᾽ ἂν κελεύσαιμ᾽, εὐσεβεῖν εἰς τοὺς κακούς. |
HÉMON. - Certes, je ne serai jamais cause que tu honores les mauvais. |
Κρέων οὐχ ἥδε γὰρ τοιᾷδ᾽ ἐπείληπται νόσῳ; |
CRÉON. - Celle-ci n'a-t-elle pas été atteinte par ce mal ? |
Αἵμων οὔ φησι Θήβης τῆσδ᾽ ὁμόπτολις λεώς. |
HÉMON. - Le peuple de Thèbes est unanime à le nier. |
Κρέων πόλις γὰρ ἡμῖν ἁμὲ χρὴ τάσσειν ἐρεῖ; |
CRÉON. - Ainsi la Ville me prescrirait ce que je dois vouloir ? |
Αἵμων ὁρᾷς τόδ᾽ ὡς εἴρηκας ὡς ἄγαν νέος;735 |
HÉMON. - Ne vois-tu pas que tes paroles sont celles d'un homme encore trop jeune ? |
Κρέων ἄλλῳ γὰρ ἢ ᾽μοὶ χρή με τῆσδ᾽ ἄρχειν χθονός; |
CRÉON. - Cette terre est-elle soumise à la puissance d'un autre, et non à la mienne ? |
Αἵμων πόλις γὰρ οὐκ ἔσθ᾽ ἥτις ἀνδρός ἐσθ᾽ ἑνός. |
HÉMON. - Il n'est point de ville qui soit à un seul homme. |
Κρέων οὐ τοῦ κρατοῦντος ἡ πόλις νομίζεται; |
CRÉON. - La Ville n'est-elle pas censée appartenir à qui la commande ? |
Αἵμων καλῶς γ᾽ ἐρήμης ἂν σὺ γῆς ἄρχοις μόνος. |
HÉMON. - Certes, tu régnerais fort bien seul dans une terre déserte. |
Κρέων ὅδ᾽, ὡς ἔοικε, τῇ γυναικὶ συμμαχεῖ.740 |
CRÉON. - Il combat, semble-t-il, pour cette femme. |
Αἵμων εἴπερ γυνὴ σύ. σοῦ γὰρ οὖν προκήδομαι. |
HÉMON. - Si tu es femme, car je prends souci de toi. |
Κρέων ὦ παγκάκιστε, διὰ δίκης ἰὼν πατρί; |
CRÉON. - Ô le pire de tous les hommes, est-ce en plaidant contre ton père ? |
Αἵμων οὐ γὰρ δίκαιά σ᾽ ἐξαμαρτάνονθ᾽ ὁρῶ. |
HÉMON. - Je te vois en effet faillir contre la justice. |
Κρέων ἁμαρτάνω γὰρ τὰς ἐμὰς ἀρχὰς σέβων; |
CRÉON. - Je faillis donc, en respectant ma propre puissance ? |
Αἵμων οὐ γὰρ σέβεις τιμάς γε τὰς θεῶν πατῶν.745 |
HÉMON. - Tu ne la respectes pas en foulant aux pieds les droits des Dieux. |
Κρέων ὦ μιαρὸν ἦθος καὶ γυναικὸς ὕστερον. |
CRÉON. - Ô cœur impie et dompté par une femme ! |
Αἵμων οὔ τἂν ἕλοις ἥσσω γε τῶν αἰσχρῶν ἐμέ. |
HÉMON. - Tu ne m'accuseras jamais d'être dompté par de honteuses pensées. |
Κρέων ὁ γοῦν λόγος σοι πᾶς ὑπὲρ κείνης ὅδε. |
CRÉON. - Cependant toutes tes paroles sont pour elle. |
Αἵμων καὶ σοῦ γε κἀμοῦ, καὶ θεῶν τῶν νερτέρων. |
HÉMON. - Pour toi, pour moi, et pour les Dieux souterrains. |
Κρέων ταύτην ποτ᾽ οὐκ ἔσθ᾽ ὡς ἔτι ζῶσαν γαμεῖς.750 |
CRÉON. - Jamais tu ne l'épouseras vivante.
|
Αἵμων ἣ δ᾽ οὖν θανεῖται καὶ θανοῦσ᾽ ὀλεῖ τινα. |
HÉMON. - Elle mourra donc, et sa mort tuera quelqu'un. |
Κρέων ἦ κἀπαπειλῶν ὧδ᾽ ἐπεξέρχει θρασύς; |
CRÉON. - Es-tu audacieux au point de me menacer ? |
Αἵμων τίς δ᾽ ἔστ᾽ ἀπειλὴ πρὸς κενὰς γνώμας λέγειν; |
HÉMON. - Blâmer des choses insensées, est-ce menacer ? |
Κρέων κλαίων φρενώσεις, ὢν φρενῶν αὐτὸς κενός. |
CRÉON. - Tu ne m'instruiras pas sans peine, étant toi-même insensé. |
Αἵμων εἰ μὴ πατὴρ ἦσθ᾽, εἶπον ἄν σ᾽ οὐκ εὖ φρονεῖν.755 |
HÉMON. - Si tu n'étais mon père, je dirais que tu délires. |
Κρέων γυναικὸς ὢν δούλευμα μὴ κώτιλλέ με. |
CRÉON. - Esclave d'une femme, épargne-moi ton bavardage. |
Αἵμων βούλει λέγειν τι καὶ λέγων μηδὲν κλύειν; |
HÉMON. - Veux-tu toujours parler et ne rien écouter ? |
Κρέων ἄληθες;
ἀλλ᾽ οὐ
τόνδ᾽
Ὄλυμπον, ἴσθ᾽
ὅτι, |
CRÉON. - Est-ce ainsi ? J'atteste l'Olympe que voilà, sache-le bien : tu ne te réjouiras pas de m'avoir insulté. Amenez ici celle que je hais, afin qu'elle meure aussitôt devant son fiancé, à ses côtés, sous ses yeux ! |
Αἵμων οὐ
δῆτ᾽ ἔμοιγε,
τοῦτο μὴ
δόξῃς ποτέ, |
HÉMON.
- Non, certes, pas devant moi ! Non, ne crois point ceci. Elle ne mourra
jamais devant moi, et jamais aussi tu ne me reverras de tes yeux, afin
que tu puisses délirer au milieu de tes amis qui y consentent. |
Χορός ἁνήρ,
ἄναξ, βέβηκεν
ἐξ ὀργῆς
ταχύς· |
LE CORYPHÉE. - Cet homme s'en va plein de colère, ô Roi ! Dans un tel esprit, une ardente et cruelle douleur est chose redoutable. |
Κρέων δράτω·
φρονείτω
μεῖζον ἢ κατ᾽
ἄνδρ᾽ ἰών· |
CRÉON. - Qu'il s'en aille, et qu'il fasse ou médite de faire au-delà de ce que peut un homme : il n'affranchira point ces jeunes filles de leur destinée. |
Χορός ἄμφω γὰρ αὐτὼ καὶ κατακτεῖναι νοεῖς;770 |
LE CORYPHÉE. - Tu les destines donc toutes deux à la mort ? |
Κρέων οὐ τήν γε μὴ θιγοῦσαν· εὖ γὰρ οὖν λέγεις. |
CRÉON. - Non celle qui n'a point touché le cadavre. Tu m'as bien averti. |
Χορός μόρῳ δὲ ποίῳ καί σφε βουλεύει κτανεῖν; |
LE CORYPHÉE. - Par quel supplice as-tu décidé que l'autre périrait ? |
Κρέων ἄγων
ἔρημος ἔνθ᾽
ἂν ᾖ βροτῶν
στίβος |
CRÉON.
- Je l'emmènerai en un lieu non foulé par les hommes je l'enfermerai
vivante dans un antre de pierres, avec aussi peu de nourriture qu'il en
faut à l'expiation afin que la Ville ne soit point souillée de sa mort.
Là, par ses prières, elle obtiendra peut-être d'Hadès le seul des Dieux
qu'elle honore, de ne point mourir ; et alors elle apprendra enfin
combien la tâche est vaine d'honorer le Hadès. |
Χορός Ἔρως
ἀνίκατε
μάχαν, Ἔρως,
ὃς ἐν κτήμασι
πίπτεις, |
CHANT DU CHŒUR
Strophe I. |
Ἀντιγόνη ὁρᾶτ᾽
ἔμ᾽, ὦ γᾶς
πατρίας
πολῖται, τὰν
νεάταν ὁδὸν |
QUATRIÈME ÉPISODE ANTIGONE.
|
Χορός οὐκοῦν
κλεινὴ καὶ
ἔπαινον
ἔχουσ᾽ |
LE CORYPHÉE. - Ainsi, illustre et louée, tu vas dans les retraites des Morts, non consumée par les flétrissures des maladies, non livrée comme un butin de guerre ; mais, seule entre les mortels, libre et vivante, tu descends chez Hadès. |
Ἀντιγόνη ἤκουσα
δὴ
λυγρότατον
ὀλέσθαι τὰν
Φρυγίαν
ξέναν |
ANTIGONE.
Antistrophe II. |
Χορός ἀλλὰ
θεός τοι καὶ
θεογεννής, |
LE CORYPHÉE. - Mais celle-ci était Déesse et issue d'une race divine, et nous sommes mortels et issus d'une race mortelle ; mais il est glorieux, pour qui va mourir, de subir une destinée semblable à celle des Dieux. |
Ἀντιγόνη οἴμοι
γελῶμαι. τί με,
πρὸς θεῶν
πατρῴων.
|
ANTIGONE.
Strophe II. |
Χορός προβᾶσ᾽
ἐπ᾽ ἔσχατον
θράσους |
LE CORYPHÉE. En ton extrême audace, tu as heurté le siége élevé de Dicé, ô ma fille ! Tu expies quelque crime paternel. |
Ἀντιγόνη ἔψαυσας
ἀλγεινοτάτας
ἐμοὶ
μερίμνας, |
ANTIGONE.
Antistrophe III. |
Χορός σέβειν
μὲν εὐσέβειά
τις, |
LE CORYPHÉE. C'est une piété que d'honorer les morts ; mais il n'est jamais permis de ne point obéir à qui tient la puissance. C'est ton esprit inflexible qui t'a perdue. |
Ἀντιγόνη ἄκλαυτος,
ἄφιλος,
ἀνυμέναιος
ταλαίφρων
ἄγομαι |
ANTIGONE.
Non pleurée, sans amis et vierge,
je fais mon dernier chemin. Je ne regarderai plus l'œil sacré de
Hèlios, ô malheureuse ! Aucun ami ne gémira, ne pleurera sur ma
destinée. |
Κρέων ἆρ᾽
ἴστ᾽, ἀοιδὰς
καὶ γόους πρὸ
τοῦ θανεῖν |
CRÉON - Ne savez-vous pas que, si les chants et les plaintes pouvaient servir à ceux qui vont mourir, personne n'en finirait ? Ne l'emmènerez-vous point promptement ? Enfermez-la, comme je l'ai ordonné, et laissez-la seule, abandonnée, dans le sépulcre couvert, afin qu'elle y meure, si elle veut, ou qu'elle y vive ensevelie. Nous serons ainsi purs de toute souillure venant d'elle, et elle ne pourra plus habiter sur la terre. |
Ἀντιγόνη ὦ
τύμβος, ὦ
νυμφεῖον, ὦ
κατασκαφὴς |
ANTIGONE. - Ô sépulcre! ô lit nuptial! ô demeure creusée que je ne quitterai plus, où je rejoins les miens, que Perséphassa a reçus, innombrables, parmi les morts ! La dernière d'entre eux, et, certes, par une fin bien plus misérable, je m'en vais avant d'avoir vécu ma part légitime de la vie. Mais, en partant, je garde la très-grande espérance d'être la bien venue pour mon père, et pour toi, Mère, et pour toi, tête fraternelle ! Car, morts, je vous ai lavés de mes mains, et ornés, et je vous ai porté les libations funéraires. Et maintenant, Polyneikès, parce que j'ai enseveli ton cadavre, je reçois cette récompense. Mais je t'ai honoré, approuvée par les sages. Jamais, si j'eusse enfanté des fils, jamais, si mon époux eût pourri mort, je n'eusse fait ceci contre la loi de la cité. Et pourquoi parlé-je ainsi ? C'est que, mon époux étant mort, j'en aurais eu un autre ; ayant perdu un enfant, j'en aurais conçu d'un autre homme ; mais de mon père et de ma mère enfermés chez Aides jamais aucun autre frère ne peut me naître. Et, cependant, c'est pour cela, c'est parce que je t'ai honorée au-dessus de tout, ô tête fraternelle, que j'ai mal fait selon Créon, et que je lui semble très coupable. Et il me fait saisir et emmener violemment, vierge, sans hyménée, n'ayant eu ma part ni du mariage, ni de l'enfantement. Sans amis et misérable, je suis descendue, vivante, dans l'ensevelissement des morts. Quelle justice des Dieux ai-je violée ? Mais à quoi me sert, malheureuse, de regarder encore vers les Dieux ? Lequel appeler à l'aide, si je suis nommée impie pour avoir agi avec piété ? Si les Dieux approuvent ceci, j'avouerai l'équité de mon châtiment ; mais, si ces hommes sont iniques, je souhaite qu'ils ne souffrent pas plus de maux que ceux qu'ils m'infligent injustement. |
Χορός ἔτι
τῶν αὐτῶν
ἀνέμων αὑταὶ |
LE CORYPHÉE. - Les agitations de son âme sont toujours les mêmes. |
Κρέων τοιγὰρ
τούτων
τοῖσιν
ἄγουσιν |
CRÉON. - C'est pourquoi ceux qui l'emmènent si lentement s'en repentiront.. |
Ἀντιγόνη οἴμοι,
θανάτου
τοῦτ᾽
ἐγγυτάτω |
ANTIGONE. - Hélas ! ma mort est très proche de cette parole. |
Χορός θαρσεῖν
οὐδὲν
παραμυθοῦμαι935 |
CRÉON. - Je ne te recommanderai pas de te rassurer, comme si cette parole devait être vaine. |
Ἀντιγόνη ὦ γῆς
Θήβης ἄστυ
πατρῷον |
ANTIGONE. - Ô Ville paternelle de la terre thébaine ! Ô Dieux de mes aïeux ! Je suis emmenée sans plus de retard. Voyez, ô chefs de Thèbe, de quels maux m'accablent les hommes, parce que j'ai honoré la piété ! (On l'emmène.) |
Χορός ἔτλα
καὶ Δανάας
οὐράνιον φῶς |
CHANT DU CHŒUR
Strophe I. |
|
|
Τειρεσίας Θήβης
ἄνακτες,
ἥκομεν
κοινὴν ὁδὸν |
CINQUIÈME ÉPISODE (Entre Tirésias, guidé par un petit garçon.) TIRÉSIAS. - Princes de Thèbe, nous sommes venus ensemble, voyant par les yeux d'un seul, car il faut que les aveugles soient conduits pour marcher. |
Κρέων τί δ᾽ ἔστιν, ὦ γεραιὲ Τειρεσία, νέον; |
CRÉON. - Qu'y a-t-il de nouveau, ô vieillard Teirésias ? |
Τειρεσίας ἐγὼ διδάξω, καὶ σὺ τῷ μάντει πιθοῦ. |
TIRÉSIAS. - Certes, je te l'apprendrai ; mais obéis au divinateur. |
Κρέων οὔκουν πάρος γε σῆς ἀπεστάτουν φρενός. |
CRÉON. - Je n'ai point encore repoussé tes conseils.. |
Τειρεσίας τοιγὰρ δι᾽ ὀρθῆς τήνδ᾽ ἐναυκλήρεις πόλιν. |
TIRÉSIAS. - C'est pourquoi tu as heureusement gouverné cette ville.
|
Κρέων ἔχω πεπονθὼς μαρτυρεῖν ὀνήσιμα.995 |
CRÉON. - Je puis attester que tu m'es venu en aide. |
Τειρεσίας φρόνει βεβὼς αὖ νῦν ἐπὶ ξυροῦ τύχης. |
TIRÉSIAS. - Sache que tu es de nouveau exposé à d'autres malheurs. |
Κρέων τί δ᾽ ἔστιν; ὡς ἐγὼ τὸ σὸν φρίσσω στόμα. |
CRÉON. - Qu'est-ce ? Tes paroles me frappent de crainte. |
Τειρεσίας γνώσει,
τέχνης
σημεῖα τῆς
ἐμῆς κλύων. |
TIRÉSIAS. - Tu le sauras, ayant appris les indices révélés par ma science. Tandis que j'étais assis dans l'antique lieu augural où se réunissent toutes les divinations, j'ai entendu un bruit strident d'oiseaux qui criaient d'une façon sinistre et sauvage. Et ils se déchiraient l'un l'autre de leurs ongles meurtriers. Le battement de leurs ailes me le révéla. C'est pourquoi, épouvanté, je consultai les victimes sur les autels allumés. Mais Héphaistos ne s'unissait point à elles, et la graisse fondue des cuisses, absorbée par la cendre, fumait et pétillait, et le foie éclatait et se dissipait, et les os des cuisses gisaient nus et humides de leur gaine de graisse. Telle est la divination malheureuse de ce sacrifice vain, et que j'ai sue de cet enfant, car il est mon conducteur, comme je suis celui des autres. C'est à cause de ta résolution que la Ville subit ces maux. En effet, tous les autels et tous les foyers sont pleins des morceaux arrachés par les chiens et les oiseaux carnassiers du cadavre du misérable fils d'Oedipe. De sorte que les Dieux se refusent aux prières sacrées et à la flamme des cuisses brûlées, et que les oiseaux, rassasiés du sang gras d'un cadavre humain, ne font plus entendre aucun cri augural. Donc, fils, songe à ceci. Il arrive à tous de faillir ; mais celui qui a failli, n'est ni privé de sens, ni malheureux, si, étant tombé dans l'erreur, il s'en guérit au lieu d'y persister. L'opiniâtreté est une preuve d'ineptie. Pardonne à un mort, ne frappe pas un cadavre. Quelle vaillance y a-t-il à tuer un mort ? Je te conseille par bienveillance pour toi. Il est très-doux d'écouter un bon conseiller, quand il enseigne ce qui est utile. |
Κρέων ὦ
πρέσβυ,
πάντες ὥστε
τοξόται
σκοποῦ |
CRÉON - Ô vieillards, tous comme des archers dans le but, vous envoyez vos flèches contre moi. Je n'ai point été épargné par les divinateurs ; j'ai été trahi et vendu depuis longtemps par mes proches. Faites des gains, acquérez l'ambre jaune des Sardes et l'or indien, à votre gré ; mais vous ne mettrez pas celui-ci dans le tombeau. Quand même les aigles de Zeus porteraient jusqu'à son thrône les lambeaux de cette pâture, je ne permettrai pas de l'ensevelir, car je ne crains pas cette souillure, sachant que les forces d'aucun mortel ne suffisent pour qu'il puisse souiller les Dieux. Ô vieillard Tirésias, les plus habiles des hommes tombent d'une chute honteuse, quand, par le désir du gain, ils prononcent avec emphase des paroles honteuses. |
Τειρεσίας φεῦ. |
TIRÉSIAS. - Hélas ! qui sait, quel homme songe... |
Κρέων τί χρῆμα; ποῖον τοῦτο πάγκοινον λέγεις; |
CRÉON - Qu'est-ce ? Que dis-tu par ces paroles banales ? |
Τειρεσίας ὅσῳ κράτιστον κτημάτων εὐβουλία;1050 |
TIRÉSIAS - Combien la prudence est au-dessus de toutes les richesses ! |
Κρέων ὅσῳπερ, οἶμαι, μὴ φρονεῖν πλείστη βλάβη. |
CRÉON. - Autant, je pense, que la démence est le plus grand des malheurs. |
Τειρεσίας ταύτης σὺ μέντοι τῆς νόσου πλήρης ἔφυς. |
TIRÉSIAS - Ce malheur est pourtant le tien. |
Κρέων οὐ βούλομαι τὸν μάντιν ἀντειπεῖν κακῶς. |
CRÉON
- Je ne veux pas rendre ses injures à un divinateur. |
Τειρεσίας καὶ μὴν λέγεις, ψευδῆ με θεσπίζειν λέγων. |
TIRÉSIAS. - C'est ce que tu fais en disant que mes divinations sont fausses. |
Κρέων τὸ μαντικὸν γὰρ πᾶν φιλάργυρον γένος.1055 |
CRÉON. - Toute la race des divinateurs, en effet, est l'amie de l'argent. |
Τειρεσίας τὸ δ᾽ ἐκ τυράννων αἰσχροκέρδειαν φιλεῖ. |
TIRÉSIAS. - Et la race des tyrans aime les gains honteux. |
Κρέων ἆρ᾽ οἶσθα ταγοὺς ὄντας ἃν λέγῃς λέγων; |
CRÉON. - Sais-tu bien que tu parles à ton maître ? |
Τειρεσίας οἶδ᾽· ἐξ ἐμοῦ γὰρ τήνδ᾽ ἔχεις σώσας πόλιν. |
TIRÉSIAS. - Certes, je le sais, car c'est par mon aide que tu as sauvé cette ville. |
Κρέων σοφὸς σὺ μάντις, ἀλλὰ τἀδικεῖν φιλῶν. |
CRÉON - Tu es un divinateur habile, mais aimant les mauvaises ruses. |
Τειρεσίας ὄρσεις με τἀκίνητα διὰ φρενῶν φράσαι.1060 |
TIRÉSIAS. - Tu me contrains de révéler les secrets cachés dans mon esprit. |
Κρέων κίνει, μόνον δὲ μὴ ᾽πὶ κέρδεσιν λέγων. |
CRÉON. - Parle, mais ne dis rien par le désir du gain. |
Τειρεσίας οὕτω γὰρ ἤδη καὶ δοκῶ τὸ σὸν μέρος. |
TIRÉSIAS. - Je ne pense pas avoir parlé ainsi en ce qui te concernait. |
Κρέων ὡς μὴ ᾽μπολήσων ἴσθι τὴν ἐμὴν φρένα. |
CRÉON. - Sache que tu ne me feras point changer de pensée. |
Τειρεσίας ἀλλ᾽
εὖ γέ τοι
κάτισθι μὴ
πολλοὺς ἔτι |
TIRÉSIAS.
- Sache bien à ton tour qu'il n'y aura pas beaucoup de révolutions
des rapides roues du Soleil, avant que tu n'aies payé les morts par la
mort de quelqu'un de ton propre sang, pour avoir envoyé sous terre une
âme encore vivante, pour l'avoir ignominieusement enfermée vivante dans
le tombeau, et parce que tu retiens ici, loin des Dieux souterrains, un
cadavre non enseveli et non honoré. Et ceci n'appartient ni à toi, ni
aux Dieux Uraniens, et tu agis ainsi par violence. C'est pourquoi les
Erinnyes vengeresses de l'Hadès et des Dieux te dressent des embûches,
afin que tu subisses les mêmes maux. Vois si je parle ainsi corrompu par
l'argent. Avant peu de temps les lamentations des hommes et des femmes
éclateront dans tes demeures. Tel qu'un archer, je t'envoie sûrement ces
flèches de colère au cœur, car tu m'irrites, et tu n'éviteras pas leur
blessure cuisante. Toi, enfant, ramène-moi dans ma demeure, afin qu'il
répande la fureur de son âme contre de plus jeunes, et qu'il apprenne à
parler plus modérément, et qu'il nourrisse une pensée meilleure que
celle qu'il a maintenant. |
Χορός ἁνήρ,
ἄναξ, βέβηκε
δεινὰ
θεσπίσας· |
LE CORYPHÉE. - Ô Roi, cet homme s'en va, ayant prédit de terribles choses ; Et nous savons, depuis que nos cheveux noirs sont devenus blancs, qu'il n'a jamais rien prophétisé de faux à cette ville. |
Κρέων ἔγνωκα
καὐτὸς καὶ
ταράσσομαι
φρένας.1095 |
CRÉON. - Je le sais moi-même, et je suis troublé dans mon esprit, car il est dur de céder ; mais il y a péril à résister. |
Χορός εὐβουλίας δεῖ, παῖ Μενοικέως, λαβεῖν. |
LE CORYPHÉE. - Il s'agit d'être prudent, Créon, fils de Ménécée! |
Κρέων τί δῆτα χρὴ δρᾶν; φράζε. πείσομαι δ᾽ ἐγώ. |
CRÉON. - Que faut-il faire ? Parle ; j'obéirai. |
Χορός ἐλθὼν
κόρην μὲν ἐκ
κατώρυχος
στέγης1100 |
LE CORYPHÉE. - Va retirer la jeune fille de l'antre souterrain, et construis un tombeau à celui qui gît délaissé. |
Κρέων καὶ ταῦτ᾽ ἐπαινεῖς καὶ δοκεῖς παρεικαθεῖν; |
CRÉON. - Tu me conseilles ceci et tu penses que je dois le faire ? |
Χορός ὅσον
γ᾽, ἄναξ,
τάχιστα·
συντέμνουσι
γὰρ |
LE CORYPHÉE. - Certes, Ô Roi, et très-promptement. Les châtiments des Dieux ont des pieds rapides et atteignent en peu de temps ceux qui font le mal.
|
Κρέων οἴμοι·
μόλις μέν,
καρδίας δ᾽
ἐξίσταμαι1105 |
CRÉON. - Hélas ! je renonce avec peine à ma première pensée, mais j'y renonce. Il est vain de lutter contre la nécessité. |
Χορός δρᾶ νυν τάδ᾽ ἐλθὼν μηδ᾽ ἐπ᾽ ἄλλοισιν τρέπε. |
LE CORYPHÉE. - Va donc ! Agis toi-même, et ne remets ce soin à aucun autre. |
Κρέων ὧδ᾽ ὡς
ἔχω
στείχοιμ᾽
ἄν· ἴτ᾽ ἴτ᾽
ὀπάονες, |
CRÉON. - J'irai aussitôt. Allez, allez, serviteurs, tous, tant que vous êtes, présents et absents, avec des haches en mains, vers ce lieu élevé. Pour moi, puisque je m'y suis résolu, de même que je l'ai liée, je la délivrerai moi-même. Je crains, en effet, que le mieux ne soit de vivre en respectant les lois établies. |
Χορός πολυώνυμε,
Καδμείας
νύμφας
ἄγαλμα1115 |
CHANT DU CHŒUR
Strophe I. |
Ἄγγελος Κάδμου
πάροικοι καὶ
δόμων
Ἀμφίονος,1155 |
DERNIER ÉPISODE (Entre un messager.) LE MESSAGER. - Habitants des demeures de Cadmos et d'Amphion, la vie est toujours telle, que je ne puis ni la louer, ni l'accuser. En effet, la fortune élève et renverse toujours l'homme heureux et l'homme malheureux, et aucun divinateur ne peut révéler jamais avec certitude la destinée future des mortels. Créon, selon moi, était digne d'envie parce qu'il avait sauvé de ses ennemis cette terre Cadméienne. Ayant ici la puissance suprême, il régnait heureusement et florissait par une noble race ; mais voici que tout s'est évanoui. En effet, quand un homme a perdu le bonheur, je pense qu'il est moins un vivant qu'un cadavre animé. Autant que tu le voudras, jouis de tes richesses dans ta demeure et de l'orgueil de la tyrannie ; cependant, si tu ne possèdes pas la joie, je n'achèterais pas tout cela, comparé au bonheur, pour l'ombre d'une fumée. |
Χορός τί δ᾽ αὖ τόδ᾽ ἄχθος βασιλέων ἥκεις φέρων; |
LE CORYPHÉE. - Quelle nouvelle calamité des rois viens-tu nous annoncer ? |
Ἄγγελος τεθνᾶσιν. οἱ δὲ ζῶντες αἴτιοι θανεῖν. |
LE MESSAGER. - Ils sont morts, et les vivants ont été cause de leur mort. |
Χορός καὶ τίς φονεύει; τίς δ᾽ ὁ κείμενος; λέγε. |
LE CORYPHÉE. - Qui a tué ? qui est tué ? Parle. |
Ἄγγελος Αἵμων ὄλωλεν· αὐτόχειρ δ᾽ αἱμάσσεται.1175 |
LE MESSAGER. - Hémon est mort : il a été tué de sa main. |
Χορός πότερα πατρῴας ἢ πρὸς οἰκείας χερός; |
LE CORYPHÉE. - De la main de son père ou de sa propre main ?
|
Ἄγγελος αὐτὸς πρὸς αὑτοῦ, πατρὶ μηνίσας φόνου. |
LE MESSAGER. - De sa propre main, étant irrité contre son père à cause du meurtre d'Antigone. |
Χορός ὦ μάντι, τοὔπος ὡς ἄρ᾽ ὀρθὸν ἤνυσας. |
LE CORYPHÉE. - Ô Divinateur, combien ta prédiction était certaine ! |
Ἄγγελος ὡς ὧδ᾽ ἐχόντων τἄλλα βουλεύειν πάρα. |
LE MESSAGER. - La chose étant ainsi, il faut songer au reste.. |
Χορός καὶ
μὴν ὁρῶ
τάλαιναν
Εὐρυδίκην
ὁμοῦ1180 |
LE CORYPHÉE. - Mais je vois la malheureuse Eurydice, l'épouse de Créon. Est-elle sortie de la demeure par hasard ou ayant appris le malheur de son fils ? |
Εὐρυδίκη ὦ
πάντες ἀστοί,
τῶν λόγων
ἐπῃσθόμην |
EURYDICE
- Ô vous tous, citoyens, j'ai entendu ce que vous disiez au moment où je
sortais afin d'aller supplier la Déesse Pallas. Le verrou retiré,
j'enlevais la barre de la porte, quand le bruit d'un malheur domestique
a frappé mes oreilles. Épouvantée, je suis tombée à la renverse entre
les bras des servantes, et le cœur m'a manqué. Redites-moi ces paroles,
quelles qu'elles soient. Je les entendrai, ayant déjà subi assez de maux
pour cela. |
Ἄγγελος ἐγώ, φίλη
δέσποινα, καὶ
παρὼν ἐρῶ |
LE MESSAGER. - Certes, chère Maîtresse, je dirai ce dont j'ai été témoin et je ne cacherai rien de la vérité. Pourquoi, en effet, te flatterais-je par mes paroles, si je dois être convaincu d'avoir menti ? La meilleure chose est la vérité. J'ai suivi ton époux jusqu'à la hauteur où gisait encore le misérable cadavre de Polynice déchiré par les chiens. Là, ayant prié la Déesse des carrefours et Plutoôn de ne point s'irriter, nous l'avons lavé d'ablutions pieuses, et nous avons brûlé ses restes à l'aide d'un amas de rameaux récemment coupés ; et nous lui avons élevé un tertre funèbre avec la terre natale. Puis, de là nous sommes allés vers l'antre creux de la jeune vierge, cette chambre nuptiale d'Hadès. Un de nous entend de loin un cri perçant sortir de cette tombe privée d'honneurs funèbres, et, accourant, il l'annonce au maître Créon. Tandis que celui-ci approche, le bruit du gémissement se répand confusément autour de lui, et, en soupirant, il dit d'une voix lamentable : - Ô malheureux que je suis ! l'ai-je donc pressenti ? Ce chemin ne me mène-t-il pas au plus grand malheur que j'aie encore subi ? La voix de mon fils a effleuré mon oreille. Allez promptement, serviteurs, et, parvenus au tombeau, ayant arraché la pierre qui le ferme, pénétrez dans l'antre, afin que je sache si j'ai entendu la voix de Hémon, ou si je suis trompé par les Dieux. - Nous faisons ce que le maître effrayé a ordonné et nous voyons la jeune fille pendue, ayant noué à son cou une corde faite de son linceul. Et lui tenait la vierge embrassée par le milieu du corps, pleurant la mort de sa fiancée envoyée dans l'Hadès, et l'action de son père, et ses noces lamentables. Dès que Créon l'aperçoit, avec un profond soupir, il va jusqu'à lui, et, plein de sanglots, il l'appelle : - Ô malheureux ! Qu'as-tu fait ? Quelle a été ta pensée ? Comment t'es-tu perdu ? Je t' en supplie, sors, mon fils ! - Mais l'enfant, le regardant avec des yeux sombres, et comme ayant horreur de le voir, ne répond rien et tire l'épée à deux tranchants ; mais la fuite dérobe le père au coup. Alors le malheureux, furieux contre lui-même, se jette sur l'épée et se perce de la pointe au milieu des côtes. Et de ses bras languissants, encore maître de sa pensée, il embrasse la vierge, et, haletant, il expire en faisant jaillir un sang pourpré sur les pâles joues de la jeune fille. Ainsi il est couché mort auprès de sa fiancée morte, ayant accompli, le malheureux, ses noces fatales dans la demeure d'Hadès, enseignant aux hommes par son exemple que l'imprudence est le plus grand des maux. |
Χορός τί
τοῦτ᾽ ἂν
εἰκάσειας; ἡ
γυνὴ πάλιν |
LE CORYPHÉE. - Que pressens-tu de ceci ? La femme a disparu avant d'avoir prononcé une parole, soit bonne, soit mauvaise. |
Ἄγγελος καὐτὸς
τεθάμβηκ᾽·
ἐλπίσιν δὲ
βόσκομαι |
LE MESSAGER. - J'en suis étonné comme toi-même. Cependant je me flatte de l'espoir qu'ayant appris la mort de son fils, elle n'a pas voulu se lamenter par la Ville, mais que, retirée dans sa demeure, elle va en avertir ses servantes, afin qu'elles pleurent ce malheur domestique. Car elle ne manque pas de sagesse au point de faillir en quelque chose. |
Χορός οὐκ
οἶδ᾽· ἐμοὶ δ᾽
οὖν ἥ τ᾽ ἄγαν
σιγὴ βαρὺ |
LE CORYPHÉE. - Je ne sais ; mais il me semble qu'un trop grand silence annonce d'aussi cruels malheurs que des cris répétés et sans frein. |
Ἄγγελος ἀλλ᾽
εἰσόμεσθα, μή
τι καὶ
κατάσχετον |
LE MESSAGER. - Nous saurons bientôt, entrés dans la demeure, ce qu'elle cache dans son cœur irrité ; car, tu dis bien : un trop grand silence est effrayant en effet. |
Χορός καὶ
μὴν ὅδ᾽ ἄναξ
αὐτὸς ἐφήκει |
LE CORYPHÉE. - Voici venir le Roi lui-même, portant dans ses bras, s'il m'est permis de le dire, un gage éclatant du malheur qui lui est infligé, non par un autre, mais par sa propre faute |
Κρέων ἰὼ |
CRÉON.
Strophe I. |
Χορός οἴμ᾽ ὡς ἔοικας ὀψὲ τὴν δίκην ἰδεῖν.1270 |
LE CORYPHÉE. - Hélas ! que tu as connu tard la justice ! |
|
|
Κρέων οἴμοι, |
CRÉON.
Hélas ! je l'ai connue,
malheureux ! Alors un Dieu furieux contre moi m'a frappé sur la tête et
m'a inspiré de funestes desseins, renversant du pied mes joies. Hélas !
hélas ! ô travaux misérables des hommes ! |
Ἐξάγγελος ὦ
δέσποθ᾽, ὡς
ἔχων τε καὶ
κεκτημένος, |
LE MESSAGER DU PALAIS. - Ô Maître, tu as rencontré et tu possèdes tous les maux, portant les uns dans tes bras et devant bientôt contempler les autres dans ta demeure. |
Κρέων τί δ᾽ ἔστιν αὖ κάκιον ἐκ κακῶν ἔτι; |
CRÉON. - Qu'y a-t-il encore ? |
Ἐξάγγελος γυνὴ
τέθνηκε,
τοῦδε
παμμήτωρ
νεκροῦ, |
LE MESSAGER DU PALAIS. - Ta malheureuse femme vient de se frapper mortellement, prouvant ainsi qu'elle était bien la mère de ce mort. |
Κρέων ἰώ. |
CRÉON. Ô seuil de l'inexorable Hadès, pourquoi me perds-tu ? Ô messager d'un lamentable malheur, quelle parole as-tu dite ? Hélas ! hélas ! Tu as achevé un homme déjà mort. Que dis-tu ? Hélas ! quelle calamité nouvelle m'annonces-tu ? La mort sanglante de ma femme après celle-ci ! |
Χορός ὁρᾶν πάρεστιν· οὐ γὰρ ἐν μυχοῖς ἔτι. |
LE CORYPHÉE. - Tu peux regarder. Elle n'est plus dans ta demeure. |
Κρέων οἴμοι, |
CRÉON. Hélas ! malheureux ! Je vois cette nouvelle misère. Laquelle me reste-t-il à subir désormais ? Ô malheureux que je suis, j'ai dans mes bras mon fils mort, et je vois d'un autre côté celle-ci morte ! Hélas ! hélas ! malheureuse mère ! Hélas ! mon fils ! |
Ἐξάγγελος ἡ
δ᾽ ὀξυθήκτῳ
βωμία περὶ
ξίφει |
LE MESSAGER DU PALAIS. - Ayant embrassé l'autel, elle s'est frappée et elle a fermé ses paupières chargées d'ombre, après avoir pleuré l'illustre destinée de Mégareus et celle de Haimôn ; et, enfin, elle a jeté des imprécations contre toi qui as tué son enfant. |
Κρέων αἰαῖ
αἰαῖ, |
CRÉON.
Strophe II. |
Ἐξάγγελος ὡς
αἰτίαν γε
τῶνδε
κἀκείνων
ἔχων |
LE MESSAGER DU PALAIS. - Cette morte t'a accusé de ces deux morts. |
Κρέων ποίῳ δὲ κἀπελύσατ᾽ ἐν φοναῖς τρόπῳ; |
CRÉON. - De quelle façon a-t-elle cessé de vivre ? |
Ἐξάγγελος παίσας
ὑφ᾽ ἧπαρ
αὐτόχειρ
αὑτήν, ὅπως1315 |
LE MESSAGER DU PALAIS. - De sa propre main elle s'est frappée de l'épée sous le foie, des qu'elle a su la destinée lamentable de son fils. |
Κρέων ὤμοι
μοι, τάδ᾽ οὐκ
ἐπ᾽ ἄλλον
βροτῶν |
CRÉON.
Strophe III. |
Χορός κέρδη
παραινεῖς, εἴ
τι κέρδος ἐν
κακοῖς. |
LE CORYPHÉE. - Tu as raison, s'il est rien de bon dans le malheur. Le mal présent est le meilleur qui cesse le premier. |
Κρέων ἴτω
ἴτω, |
CRÉON.
Antistrophe II. |
Χορός μέλλοντα
ταῦτα. τῶν
προκειμένων
τι χρὴ μέλειν |
LE CORYPHÉE. - Les choses sont futures. Il convient de s'occuper des choses présentes. C'est à ceux que l'avenir concerne de s'en inquiéter. |
Κρέων ἀλλ᾽ ὧν ἐρῶ, τοιαῦτα συγκατηυξάμην. |
CRÉON. - Mais aussi n'ai-je demandé par mes prières que ce que je désire. |
Χορός μή
νυν προσεύχου
μηδέν· ὡς
πεπρωμένης |
LE CORYPHÉE.
- Ne désire rien maintenant. Les mortels ne peuvent échapper à un
malheur fatidique. |
Κρέων ἄγοιτ᾽
ἂν μάταιον
ἄνδρ᾽
ἐκποδών, |
CRÉON.
Antistrophe III. |
Χορός πολλῷ
τὸ φρονεῖν
εὐδαιμονίας |
LE CORYPHÉE. - La meilleure part du bonheur est la sagesse. Il faut toujours révérer les droits des Daimones. Les paroles superbes attirent aux orgueilleux de terribles maux qui leur enseignent tardivement la sagesse. |