Eschyle traduit par Alexis Pierron

THÉÂTRE D'ESCHYLE

 

LES PERSES.

Traduction française : ALEXIS PIERRON

 

 

 

 

 

 

LES PERSES.

TRAGÉDIE.

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ARGUMENT.

Il y a dans les Perses un grand appareil de spectacle : des vieillards assemblés qui se consultent sur la conduite des amures d'un vaste empire, remise en leurs mains ; une reine effrayée par un songe; un roi évoqué du fond de son tombeau, et qui reparaît aux yeux de ses sujets prosternés à terre; un autre roi, tout-puissant naguère, et maintenant seul, abandonné de tous, sans flotte, sans armée, sans cortège, le corps exténué, l'esprit troublé par la douleur et le désespoir. Ce n'est là pourtant que l'extérieur, le costume, si Je puis dire, de cette tragédie : tout l'intérêt est vers les rives de cet Hellespont, traversé d'abord avec tant de pompe, et puis avec tant d'ignominie ; il est surtout vers les côtes de Salamine et dans les champs de Platée. C'est dans les admirables récits dont la pièce est pleine, qu'est véritablement l'action, le drame, toute la tragédie. Ces mots, ici, ne sont point une critique. La poésie d'Eschyle, si l'on me passe un terme des rhéteurs, est une perpétuelle hypotypose : c'est un tableau qui vit ; c'est quelquefois une vie si réelle et si saisissante, qu'on a vu de ses yeux ce que l'esprit seul vient de concevoir, et qu'on oserait presque dire : « J'étais là ! » Oui, nous sommes avec le soldat-poète sur cette flotte qui sauva, à Salamine, la Grèce et peut-être le monde.

Les Perses furent représentés sous l'archonte Ménon, dans la quatrième année de la LXXVIe olympiade, l'an 473 avant Jésus-Christ. Eschyle était alors âgé de cinquante-deux ans; il avait déjà composé sans doute un grand nombre d'ouvrages, et remporté plusieurs fois le prix des tragédies nouvelles. Cette fois encore il fut vainqueur. Les quatre pièces qu'il avait présentées au concours étaient, suivant la didascalie grecque, Phinée, les Perses, Glaucus de Pot56 nies et Prométhée. Cette dernière pièce, nommée à cette place, ne peut être qu'un drame satyrique, le Prométhée allumeur du feu.

Welcker pense que les trois tragédies qui précédaient ce Prométhée formaient une trilogie dans toute l'acception du terme. Cette opinion a fait pendant quelque temps fortune en Allemagne, et les raisons dont Welcker l'appuie ont eu l'approbation d'Otfried Müller lui-même. Toute l'argumentation de Welcker repose sur une hypothèse que Müller admet pleinement : c'est que le Glaucus dont il s'agit dans la didascalie grecque n'est point Glaucus de Potnies, mais Glaucus Pontius ou Glaucus marin. Il est certain qu'Eschyle avait composé deux Glaucus; et la grande ressemblance des deux mots πόντιος et ποτνιεύς permet de croire que les copistes de la didascalie ont pu se tromper, écrire un des surnoms pour l'autre, et remplacer ainsi le dieu marin par le tyran de Potnies. Mais cette hypothèse fondamentale exige qu'on regarde comme non avenus les documents qui concernent la pièce intitulée Glaucus marin. Le scholiaste de Théocrite dit qu'il y avait, dans cette pièce, des Silènes et des Pans, autrement pour le français, des satyres. C'était donc un drame satyrique, et non une tragédie. Le principal personnage, Glaucus, était un monstre grotesque, qui n'avait d'humain ou de divin que la face et la barbe, et dont les membres étaient un composé d'algues, de coquillages, d'huîtres et même de pierres. Mais passons. Glaucus marin, puisqu'on le veut, sera une tragédie. Voyons la trilogie. Otfrred Müller, dans son Histoire de la littérature grecque, a résumé et renforcé les idées de Welcker. Or voici le raisonnement, assurément fort subtil, sinon fort plausible, à l'aide duquel Müller entreprend de prouver qu'un lien étroit unissait Phinée aux Perses et les Perses à Glaucus marin.

Ce n'est point la description de la victoire des Grecs qui est le sujet de la tragédie des Perses, mais l'évocation de Darius et son apparition sur le tombeau. La folie de Xerxès a amené l'accomplissement d'antiques oracles, qui annonçaient l'issue funeste de toute lutte entre la Perse et la Grèce; et ces oracles, c'est dans la tragédie de Phinée qu'Eschyle les avait dû faire connaître. Phinée, suivant les mythologues, reçut les Argonautes durant leur voyage à Colchos, et il leur prédit toutes les aventures qui devaient leur arriver. Or on sait que l'idée d'une vieille rivalité entre l'Asie et l'Europe, aboutissant par degrés successifs à des événements de plus en plus considérables, s'était emparée, au temps d'Eschyle, même des imaginations populaires. Il est donc probable qu'Eschyle avait pris cette idée comme la base des prophéties de Phinée, et qu'il avait représenté l'expédition des Argonautes comme le type des conflits plus terribles qui eurent lieu depuis entre les Barbares et les Grecs. Le même dessein se montre pareillement dans la troisième pièce de la trilogie, Glaucus marin. Les fragments qui nous restent de cette tragédie parlent d'un voyage qu'aurait fait le dieu en Sicile et en Italie, à travers la mer Eubéenne et la mer Égée. Dans le récit de ce voyage, 57 Himère est mentionnée comme un des points où le dieu s'arrête. Or c'est dans Himère que les Grecs de Sicile, au temps de la bataille de Salamine, avaient victorieusement repoussé l'invasion des Carthaginois. De sorte qu'Eschyle avait un moyen de mettre cet événement fameux dans une étroite corrélation avec la bataille de Platée. La défaite des Carthaginois à Himère était considérée comme le second grand exploit par lequel la Grèce avait échappé au joug des Barbares; et la scène de la pièce était à Anthédon dans la Béotie, où Glaucus, suivant la tradition, avait exercé le métier de pêcheur. On peut pareillement conjecturer que les prophéties de Phinée, dans la première tragédie, faisaient mention des peuples de race punique, aussi bien que des Perses, à propos des luttes futures entre l'Asie et la Grèce.

Il est difficile, à qui aura lu les Perses sans parti pris, de convenir que le sujet principal de cette tragédie soit l'évocation de Darius, et non point la déroute de l'armée de Xerxès. La scène de l'évocation n'est réellement qu'une machine poétique, et pour amener le récit des événements qui ont suivi la bataille de Salamine, et pour préparer l'arrivée de Xerxès dans un dénuement où le désastre seul de sa flotte n'aurait pas suffi à le réduire. Quant à l'assertion que Phinée, les Perses et Glaucus formaient une trilogie dont les trois parties avaient entre elles une étroite connexion, c'est ce que, pour ma part, je ne saurais admettre, même en concédant que le Glaucus dont il s'agit ait été Glaucus marin et non pas Glaucus de Potnies. Il n'y a pas de tragédie dont on ne puisse rattacher le sujet à une autre pièce quelconque, par des suppositions et des inductions; et Müller, ce me semble, n'a rien prouvé du tout, sinon les ressources et la finesse de son esprit. Il est certain que beaucoup de pièces d'Eschyle formaient trois à trois des groupes du genre de l'Orestie; mais on ne saurait prouver que toutes ses tragédies fussent soumises à cette loi, et que l'introduction de tragédies isolées dans les concours eût été, comme l'assure Müller, une innovation de Sophocle. La prétendue trilogie dont faisaient partie les Perses serait à elle seule une preuve du contraire. C'est ce que ne craint pas d'avouer l'éditeur anglais du livre de Mülier, aussi peu convaincu que moi-même par la démonstration.

59 LES PERSES.

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PERSONNAGES.

CHŒUR de vieillards.

ATOSSA, veuve de Darius et mère de Xerxès.

Un COURRIER.

L'OMBRE DE DARIUS.

XERXÈS, roi de Perse, fils de Darius.

La scène est à Suse, devant le palais des rois de Perse. On voit le tombeau de Darius.

 

 

 Χορός

Τάδε μὲν Περσῶν τῶν οἰχομένων
Ἑλλάδ' ἐς αἶαν πιστὰ καλεῖται,
καὶ τῶν ἀφνεῶν καὶ πολυχρύσων
ἑδράνων φύλακες, κατὰ πρεσβείαν
οὓς αὐτὸς ἄναξ Ξέρξης βασιλεὺς 5
Δαρειογενὴς
εἵλετο χώρας ἐφορεύειν.
ἀμφὶ δὲ νόστῳ τῷ βασιλείῳ
καὶ πολυχρύσου στρατιᾶς ἤδη
κακόμαντις ἄγαν ὀρσολοπεῖται 10
θυμὸς ἔσωθεν.
πᾶσα γὰρ ἰσχὺς Ἀσιατογενὴς
ᾤχωκε, νέον δ' ἄνδρα βαύ̈ζει,
κοὔτε τις ἄγγελος οὔτε τις ἱππεὺς
ἄστυ τὸ Περσῶν ἀφικνεῖται· 15
οἵτε τὸ Σούσων ἠδ' Ἀγβατάνων
καὶ τὸ παλαιὸν Κίσσιον ἕρκος
προλιπόντες ἔβαν, τοὶ μὲν ἐφ' ἵππων.
τοὶ δ' ἐπὶ ναῶν, πεζοί τε βάδην
πολέμου στῖφος παρέχοντες· 20
οἷος Ἀμίστρης ἠδ' Ἀρταφρένης
καὶ Μεγαβάτης ἠδ' Ἀστάσπης,
ταγοὶ Περσῶν,
βασιλῆς βασιλέως ὕποχοι μεγάλου,
σοῦνται, στρατιᾶς πολλῆς ἔφοροι, 25
τοξοδάμαντές τ' ἠδ' ἱπποβάται,
φοβεροὶ μὲν ἰδεῖν, δεινοὶ δὲ μάχην
ψυχῆς εὐτλήμονι δόξῃ·
Ἀρτεμβάρης θ' ἱππιοχάρμης
καὶ Μασίστρης, ὅ τε τοξοδάμας 30
ἐσθλὸς Ἰμαῖος, Φαρανδάκης θ',
ἵππων τ' ἐλατὴρ Σοσθάνης.
ἄλλους δ' ὁ μέγας καὶ πολυθρέμμων
Νεῖλος ἔπεμψεν· Σουσισκάνης,
Πηγασταγὼν Αἰγυπτογενής, 35
ὅ τε τῆς ἱερᾶς Μέμφιδος ἄρχων
μέγας Ἀρσάμης, τάς τ' ὠγυγίους
Θήβας ἐφέπων Ἀριόμαρδος,
καὶ ἑλειοβάται ναῶν ἐρέται
δεινοὶ πλῆθός τ' ἀνάριθμοι. 40
Ἁβροδιαίτων δ' ἕπεται Λυδῶν
ὄχλος, οἵ τ' ἐπίπαν ἠπειρογενὲς
κατέχουσιν ἔθνος, τοὺς Μητρογαθὴς
Ἀρκτεύς τ' ἀγαθός, βασιλῆς δίοποι,
καὶ πολύχρυσοι Σάρδεις ἐπόχους 45
πολλοῖς ἅρμασιν ἐξορμῶσιν,
δίρρυμά τε καὶ τρίρρυμα τέλη,
φοβερὰν ὄψιν προσιδέσθαι.
στεῦται δ' ἱεροῦ Τμώλου πελάται
ζυγὸν ἀμφιβαλεῖν δούλιον Ἑλλάδι, 50
Μάρδων, Θάρυβις, λόγχης ἄκμονες,
καὶ ἀκοντισταὶ Μυσοί· Βαβυλὼν δ'
ἡ πολύχρυσος πάμμικτον ὄχλον
πέμπει σύρδην, ναῶν τ' ἐπόχους
καὶ τοξουλκῷ λήματι πιστούς· 55
τὸ μαχαιροφόρον τ' ἔθνος ἐκ πάσης
Ἀσίας ἕπεται
δειναῖς βασιλέως ὑπὸ πομπαῖς.
τοιόνδ' ἄνθος Περσίδος αἴας
οἴχεται ἀνδρῶν, 60
οὓς πέρι πᾶσα χθὼν Ἀσιῆτις
θρέψασα πόθῳ στένεται μαλερῷ,
τοκέες τ' ἄλοχοί θ' ἡμερολεγδὸν
τείνοντα χρόνον τρομέονται.

LE CHOEUR.

Ceux que vous voyez ici (01) se nomment les Fidèles. Les autres Perses sont partis pour attaquer la terre de Grèce ; nous, nous sommes les gardiens de ces palais remplis d'or, de richesses, et c'est à nous que le maître lui-même, que le roi Xerxès fils de Darius a délégué son autorité (02), et confié le soin de veiller sur son empire. Mais reviendront-ils, ce roi, cette resplendissante armée ? Un funeste pressentiment agite et bouleverse nos cœurs. L'Asie a vu partir toute la génération vigoureuse, et c'est en vain que ses cris gémissants rappellent nos guerriers (03). Nul courrier, nul cavalier n'ar- 60 rive encore, pour rassurer la capitale des Perses. Les peuples de Suse (04), d'Ecbatane (5) les habitants des antiques remparts de Cissia (6) ont quitté leurs pays : cavaliers, matelots, troupes de pied, énorme masse préparée pour les combats (7). Nous avons vu partir Amistrès, Artaphrénès, Mégabatès, Astaspès, ces chefs des Perses, ces rois sujets du grand roi, ces généraux de l'immense expédition ; habiles à lancer la flèche, cavaliers renommés, leur aspect est formidable, leur audace, dans la bataille, irrésistible. Avec eux marchaient Artembarès, si noble sur son coursier, et Masistès, et le brave Imée à l'arc terrible, et Pharandacès, et Sosthanès, celui qui fait voler son char dans la plaine. Le Nil aux flots vastes et fécondants nous a envoyé ses héros (8) : Susicanès, l'Égyptien Pégastagon ; et le chef de la ville sacrée de Memphis, le puissant Arsamès ; et Ariomardus, qui commandait dans l'antique ville de Thèbes ; et ces rameurs habiles qui habitent les marais de l'Égypte, multitude innombrable. Puis sont venus les bataillons de la molle Lydie, et tous les peuples qui couvrent le continent, sujets de Mitrogathès, du vertueux Arctée, deux rois serviteurs du maître. Sardes (9), la ville opulente, a lancé de son sein des milliers de chars, attelages de quatre, attelages de six coursiers, effrayant spectacle pour l'ennemi. Les habitants du sacré Tmolus (10) jurent qu'ils jet- 61 teront sur le cou de la Grèce le joug de l'esclavage : ainsi parlent Mardon, Tharybis, ces guerriers infatigables, et leurs Mysiens (11) aux traits redoutés. L'opulente Babylone envoie une foule impétueuse, soldats de toute arme, matelots, archers fiers de leur adresse. Enfin toute l'Asie s'est armée du glaive et marche à la voix redoutable de son roi. Ainsi est partie la fleur des guerriers de la Perse; et cette terre d'Asie qui les a nourris gémit déchirée d'un cuisant regret. Les pères, les épouses comptent les jours en tremblant.

Πεπέρακεν μὲν ὁ περσέπτολις ἤδη  65
βασίλειος στρατὸς εἰς ἀν-
τίπορον γείτονα χώραν,
λινοδέσμῳ σχεδίᾳ πορθ-
μὸν ἀμείψας
Ἀθαμαντίδος Ἕλλας, 70
πολύγομφον ὅδισμα
ζυγὸν ἀμφιβαλὼν αὐχένι πόντου.

Πολυάνδρου δ' Ἀσίας θούριος ἄρχων
ἐπὶ πᾶσαν χθόνα ποιμα-
νόριον θεῖον ἐλαύνει 75
διχόθεν, πεζονόμον τ' ἔκ
τε θαλάσσας,
ἐχυροῖσι πεποιθὼς
στυφελοῖς ἐφέταις, χρυ-
σογόνου γενεᾶς ἰσόθεος φώς. 80

Κυάνεον δ' ὄμμασι λεύσσων
φονίου δέργμα δράκοντος,
πολύχειρ καὶ πολυναύτας,
Σύριόν θ' ἅρμα διώκων,
ἐπάγει δουρικλύτοις ἀν- 85
δράσι τοξόδαμνον Ἄρη.

Δόκιμος δ' οὔτις ὑποστὰς
μεγάλῳ ῥεύματι φωτῶν
ἐχυροῖς ἕρκεσιν εἴργειν
ἄμαχον κῦμα θαλάσσας· 90
ἀπρόσοιστος γὰρ ὁ Περσᾶν
στρατὸς ἀλκίφρων τε λαός.

Θεόθεν γὰρ κατὰ Μοῖρ'
ἐκράτησεν τὸ παλαι-
όν, ἐπέσκηψε δὲ Πέρσαις 95
πολέμους πυργοδαί̈κτους
διέπειν ἱππιοχάρμας
τε κλόνους
πόλεών τ' ἀναστάσεις.

Ἔμαθον δ' εὐρυπόροι- 100
ο θαλάσσας πολιαι-
νομένας πνεύματι λάβρῳ
ἐσορᾶν πόντιον ἄλσος,
πίσυνοι λεπτοδόμοις πεί-
σμασι λα- 105
οπόροις τε μαχαναῖς.

Χορός

Δολόμητιν δ' ἀπάταν θεοῦ
τίς ἀνὴρ θνατὸς ἀλύξει;
Τίς ὁ κραιπνῷ ποδὶ πήδη-
μα τόδ' εὐπετῶς ἀνᾴσσων; 110

Φιλόφρων γὰρ παρασαίνει
βροτὸν εἰς ἄρκυας Ἄτα,
τόθεν οὐκ ἔστιν ὕπερθέν
νιν ἄνατον ἐξαλύξαι.

La royale armée, dans sa marche destructrice, a déjà touché au continent qui nous fait face ; elle a traversé le détroit de Hellé (12), fille d'Athamas ; des câbles de lin ont lié les navires ; un pont solidement fixé par des clous a livré le passage, et la mer a courbé sa tête sous le joug (13).

Tout cède devant le fougueux maître de la populeuse Asie. Par deux côtés à la fois, par terre, par mer, son immense armée s'élance vers les plaines de la Grèce. Ses généraux sont braves, pleins d'une forte sève ; il se fie en leur courage : fils de cette race qui naquit de la pluie d'or (14), Xerxès est l'égal des dieux.

Ses yeux sont pleins d'un feu sombre ; c'est le regard du dragon sanglant. Des millions de bras, des milliers de vaisseaux se meuvent par sa pensée; et lui, pressant 62 la course de son char syrien, il précipite contre les lances d'un ennemi valeureux les intrépides archers de l'Asie.

Quelle bravoure pourrait soutenir le choc de ce vaste torrent d'hommes ? Quelles barrières assez puissantes arrêteraient les flots de cette mer irrésistible? Oui, l'armée des Perses est une vaillante armée, le peuple des Perses un peuple de braves!

Oui ; mais quel mortel échappera aux perfides trahisons de la Fortune? qui est l'homme au pied agile, qu'un bond heureux mettra hors du piège ? Caressante et flatteuse d'abord, la calamité attire les humains dans ses rets (15) : on y tombe, et nul effort ne peut plus nous dégager (16).

Les dieux, depuis bien longtemps, ont manifesté leurs desseins sur les Perses : elle leur vient des dieux, cette ardeur qui les entraîne à l'assaut des tours, aux mêlées tumultueuses des cavaliers, à la destruction des villes.

Et ils ont appris à contempler sans effroi les vagues de l'immense plaine des mers (17), qui blanchit sous le souffle impétueux des vents ; ils aiment à confier leurs jours à de minces câbles et à ces machines qui transportent des peuples au delà des flots (18).

 Ταῦτά μοι μελαγχίτων 115
φρὴν ἀμύσσεται φόβῳ,
ὀᾶ, Περσικοῦ στρατεύματος
τοῦδε, μὴ πόλις πύθη-
ται κένανδρον μέγ' ἄστυ Σουσίδος,

καὶ τὸ Κισσίων πόλισμ' 120
ἀντίδουπον ᾄσεται,
ὀᾶ, τοῦτ' ἔπος γυναικοπλη-
θὴς ὅμιλος ἀπύων,
 βυσσίνοις δ' ἐν πέπλοις πέσῃ λακίς. 125

Πᾶς γὰρ ἱππηλάτας
καὶ πεδοστιβὴς λεὼς
σμῆνος ὣς ἐκλέλοιπεν μελισ-
σᾶν σὺν ὀρχάμῳ στρατοῦ,
τὸν ἀμφίζευκτον ἐξαμείψας130
ἀμφοτέρας ἅλιον
πρῶνα κοινὸν αἴας.

Λέκτρα δ' ἀνδρῶν πόθῳ
πίμπλαται δακρύμασιν·
Περσίδες δ' ἁβροπενθεῖς ἑκά- 135
στα πόθῳ φιλάνορι
τὸν αἰχμάεντα θοῦρον εὐνα-
τῆρ' ἀποπεμψαμένα
λείπεται μονόζυξ.

Ἀλλ' ἄγε, Πέρσαι, τόδ' ἐνεζόμενοι 140
στέγος ἀρχαῖον,
φροντίδα κεδνὴν καὶ βαθύβουλον
θώμεθα, χρεία δὲ προσήκει,
πῶς ἄρα πράσσει Ξέρξης βασιλεὺς
Δαρειογενής, 145
τὸ πατρωνύμιον γένος ἡμέτερον·
πότερον τόξου ῥῦμα τὸ νικῶν,
ἢ δορικράνου
λόγχης ἰσχὺς κεκράτηκεν.

Ἀλλ' ἥδε θεῶν ἴσον ὀφθαλμοῖς 150
φάος ὁρμᾶται μήτηρ βασιλέως,
βασίλεια δ' ἐμή· προσπίτνω·
καὶ προσφθόγγοις δὲ χρεὼν αὐτὴν
πάντας μύθοισι προσαυδᾶν.

Ὦ βαθυζώνων ἄνασσα Περσίδων ὑπερτάτη, 155
μῆτερ ἡ Ξέρξου γεραιά, χαῖρε, Δαρείου γύναι·
θεοῦ μὲν εὐνάτειρα Περσῶν, θεοῦ δὲ καὶ μήτηρ ἔφυς,
εἴ τι μὴ δαίμων παλαιὸς νῦν μεθέστηκε στρατῷ.

63 A cette idée, un sombre nuage s'étend sur mon âme ; l'aiguillon de la crainte pénètre mon cœur. Ah I malheureuse armée des Perses ! je tremble que notre ville, que Suse, la grande cité, veuve de ses fils, n'entende ce cri retentir.

Je tremble qu'à ce cri ne répondent les murs de Cissia, et que les femmes, foule éplorée, ne déchirent leurs voiles de lin en répétant ces accents funèbres : Malheureuse, malheureuse armée des Perses !

Cavaliers, hommes de pied, tout le peuple, comme un essaim d'abeilles, s'est précipité sur les pas du chef; prolongement commun de l'un et de l'autre continent au sein des mers, le pont leur a livré le passage.

Cependant l'époux est absent, et le lit nuptial se baigne de larmes. Les femmes de la Perse vivent en proie à la douleur. Abandonnées, solitaires, toutes elles poursuivent de passionnés regrets le compagnon de leur couche, entraîné par l'aveugle amour des combats.

Pour nous, Perses qui allons siéger dans ce palais antique, redoublons de sagesse, de prudence dans nos conseils : tel est notre devoir. Aussi bien nous ignorons le sort du roi Xerxès, le fils de Darius, le descendant de celui qui donna son nom à notre race (19). Est-ce la flèche rapide du Perse qui a vaincu ? la lance acérée du Grec est-elle triomphante ?

64 Mais voilà qu'une lumière apparaît, aussi brillante que l'œil des dieux ; c'est la mère du roi, c'est ma reine : je tombe à ses pieds. Que toutes nos voix s'élèvent ; offrons-lui les hommages qui lui sont dus. (Atossa entre montée sur un char, et dans tout l'appareil de la royauté.)

Ο puissante souveraine des femmes perses à la large ceinture ; salut, vénérable mère de Xerxès (20) veuve de Darius, toi qui partageas la couche du dieu des Perses, toi qui mis au monde un dieu ! puisse notre antique Fortune n'avoir point abandonné l'armée de ton fils !

  Ἄτοσσα

Ταῦτα δὴ λιποῦσ' ἱκάνω χρυσεοστόλμους δόμους
καὶ τὸ Δαρείου τε κἀμὸν κοινὸν εὐνατήριον. 160
Κἀμὲ καρδίαν ἀμύσσει φροντίς· ἐς δ' ὑμᾶς ἐρῶ
μῦθον οὐδαμῶς ἐμαυτῆς οὖσ' ἀδείμαντος, φίλοι,
μὴ μέγας πλοῦτος κονίσας οὖδας ἀντρέψῃ ποδὶ
ὄλβον, ὃν Δαρεῖος ἦρεν οὐκ ἄνευ θεῶν τινος.
Ταῦτά μοι διπλῆ μέριμνα φραστός ἐστιν ἐν φρεσίν,165
μήτε χρημάτων ἀνάνδρων πλῆθος ἐν τιμῇ σέβειν
μήτ' ἀχρημάτοισι λάμπειν φῶς ὅσον σθένος πάρα.
Ἔστι γὰρ πλοῦτός γ' ἀμεμφής, ἀμφὶ δ' ὀφθαλμῷ φόβος·
ὄμμα γὰρ δόμων νομίζω δεσπότου παρουσίαν.
Πρὸς τάδ' ὡς οὕτως ἐχόντων τῶνδε, σύμβουλοι λόγου 170
τοῦδέ μοι γένεσθε, Πέρσαι, γηραλέα πιστώματα·
πάντα γὰρ τὰ κέδν' ἐν ὑμῖν ἐστί μοι βουλεύματα.

Χορός

Εὖ τόδ' ἴσθι, γῆς ἄνασσα τῆσδε, μή σε δὶς φράσαι
μήτ' ἔπος μήτ' ἔργον ὧν ἂν δύναμις ἡγεῖσθαι θέλῃ·
εὐμενεῖς γὰρ ὄντας ἡμᾶς τῶνδε συμβούλους καλεῖς 175 .

ATOSSA.

Voilà le souci qui m'amène; oui, c'est pour cela que j'ai quitté ma splendide demeure et ce lit où je reposai près de Darius. Et moi aussi l'inquiétude pénètre mon cœur de ses traits. Je l'avouerai, je suis loin d'être sans crainte. Oui, mes amis, je tremble que la redoutable Fortune (21) ne s'enfuie loin de nous, soulevant la poussière du sol, et renversant de son pied cet édifice de prospérité qu'a élevé Darius non sans l'assistance de quelque dieu. Donc mon cœur est en proie à une double inquiétude : les plus grands trésors, sans défenseurs, ne gardent point leur prestige (22) ; et, sans trésors, la puissance, quelle qu'elle soit, ne resplendit jamais de tout son éclat. Nos richesses n'ont pas souffert ; mais je crains pour l'œil de ce corps (23). Car l'œil d'une maison, c'est la présence du maître. Vous voyez mon trouble : 65 dans cette incertitude, Perses, fidèles vieillards, j'ai besoin de prendre votre avis ; C'est de vous seuls que j'attends des conseils salutaires.

LE CHOEUR.

Sache-le bien, reine de ce pays, faut-il parler? faut-il agir? Si j'ai le pouvoir, un seul mot suffira ; car ceux dont tu invoques les conseils sont à toi de toute leur âme.

  Ἄτοσσα

Πολλοῖς μὲν αἰεὶ νυκτέροις ὀνείρασιν
ξύνειμ', ἀφ' οὗπερ παῖς ἐμὸς στείλας στρατὸν
Ἰαόνων γῆν οἴχεται πέρσαι θέλων·
ἀλλ' οὔτι πω τοιόνδ' ἐναργὲς εἰδόμην
ὡς τῆς πάροιθεν εὐφρόνης· λέξω δέ σοι.180
Ἐδοξάτην μοι δύο γυναῖκ' εὐείμονε,
ἡ μὲν πέπλοισι Περσικοῖς ἠσκημένη,
ἡ δ' αὖτε Δωρικοῖσιν, εἰς ὄψιν μολεῖν,
μεγέθει τε τῶν νῦν ἐκπρεπεστάτα πολύ,
κάλλει τ' ἀμώμω, καὶ κασιγνήτα γένους 185
ταὐτοῦ· πάτραν δ' ἔναιον ἡ μὲν Ἑλλάδα
κλήρῳ λαχοῦσα γαῖαν, ἡ δὲ βάρβαρον.
Τούτω στάσιν τιν', ὡς ἐγὼ 'δόκουν ὁρᾶν,
τεύχειν ἐν ἀλλήλαισι· παῖς δ' ἐμὸς μαθὼν
κατεῖχε κἀπράυνεν, ἅρμασιν δ' ὕπο190
ζεύγνυσιν αὐτὼ καὶ λέπαδν' ἐπ' αὐχένων
τίθησι. Χἠ μὲν τῇδ' ἐπυργοῦτο στολῇ
ἐν ἡνίαισί τ' εἶχεν εὔαρκτον στόμα,
ἡ δ' ἐσφάδαζε, καὶ χεροῖν ἔντη δίφρου
διασπαράσσει καὶ ξυναρπάζει βίᾳ 195
ἄνευ χαλινῶν καὶ ζυγὸν θραύει μέσον.
Πίπτει δ' ἐμὸς παῖς, καὶ πατὴρ παρίσταται
Δαρεῖος οἰκτείρων σφε· τὸν δ' ὅπως ὁρᾷ
Ξέρξης, πέπλους ῥήγνυσιν ἀμφὶ σώματι.

Καὶ ταῦτα μὲν δὴ νυκτὸς εἰσιδεῖν λέγω. 200
Ἐπεὶ δ' ἀνέστην καὶ χεροῖν καλλιρρόου
ἔψαυσα πηγῆς, σὺν θυηπόλῳ χερὶ
βωμὸν προσέστην, ἀποτρόποισι δαίμοσιν
θέλουσα θῦσαι πέλανον, ὧν τέλη τάδε.
Ὁρῶ δὲ φεύγοντ' αἰετὸν πρὸς ἐσχάραν205
Φοίβου· φόβῳ δ' ἄφθογγος ἐστάθην, φίλοι·
μεθύστερον δὲ κίρκον εἰσορῶ δρόμῳ
πτεροῖς ἐφορμαίνοντα καὶ χηλαῖς κάρα
τίλλονθ'· ὁ δ' οὐδὲν ἄλλο γ' ἢ πτήξας δέμας
παρεῖχε. Ταῦτ' ἔμοιγε δείματ' εἰσιδεῖν, 210
ὑμῖν δ' ἀκούειν. Εὖ γὰρ ἴστε, παῖς ἐμὸς
πράξας μὲν εὖ θαυμαστὸς ἂν γένοιτ' ἀνήρ,
κακῶς δὲ πράξας, οὐχ ὑπεύθυνος πόλει,
σωθεὶς δ' ὁμοίως τῆσδε κοιρανεῖ χθονός.

ATOSSA.

Mille songes pendant les nuits viennent sans cesse m'assaillir, depuis que mon fils a rassemblé son armée, depuis qu'il est parti, brûlant de dévaster la terre d'Ionie. Mais nul encore ne m'a aussi vivement frappée que le songe de la dernière nuit. Écoute. Il m'a semblé voir deux femmes apparaître devant moi, magnifiquement vêtues : l'une était parée de l'habit des Perses, l'autre du costume dorien; leur taille avait plus de majesté que celle des femmes d'aujourd'hui; leur beauté était sans tache ; c'étaient deux filles de la même race, c'étaient deux sœurs (24). A chacune d'elles le sort avait fixé sa patrie : l'une habitait la terre de Grèce, l'autre la terre des Barbares (25). Un débat, à ce qu'il me paraissait, s'éleva entre elles. Mon fils s'en aperçoit ; il les arrête, il les apaise; puis l'une et l'autre il les attelle à son char, le cou captif sous les mêmes courroies. Et l'une s'enorgueillissait de son harnais, et sa bouche ne résistait pas au frein. 66 L'autre, au contraire, se cabre ; de ses deux mains elle disloque les pièces du char; elle s'élance, entraînant ces débris : elle a jeté son frein et brisé son joug. Mon fils tombe ; Darius son père accourt, le console ; mais Xerxès, à cette apparition, déchire ses vêtements sur son corps.

Voilà le récit de ma vision nocturne. A mon lever, je baignai mes mains dans une source pure ; préparée pour le sacrifice, je m'approchai de l'autel. J'allais présenter l'offrande aux dieux qui protègent contre les sinistres présages. Tout à coup un aigle vient se réfugier au foyer du Soleil (26). Saisie d'effroi, je demeurai sans voix, mes amis. Bientôt, d'un vol rapide, un épervier s'abat sur l'aigle à mes yeux; de ses serres, il lui déchire la tête, et l'aigle épouvanté lui abandonne son corps sans résistance. — Ce que j'ai vu m'a effrayée; mon récit vous remplit de crainte ; car vous le savez assez, vainqueur mon fils deviendrait le plus glorieux des héros. Vaincu, toutefois, il n'a nul compte à rendre à ses sujets; et, s'il vit, il régnera comme auparavant sur cet empire.

  Χορός

Οὔ σε βουλόμεσθα, μῆτερ, οὔτ' ἄγαν φοβεῖν λόγοις 215
οὔτε θαρσύνειν. Θεοὺς δὲ προστροπαῖς ἱκνουμένη,
εἴ τι φλαῦρον εἶδες, αἰτοῦ τῶνδ' ἀποτροπὴν τελεῖν,
τὰ δ' ἀγάθ' ἐκτελῆ γενέσθαι σοί τε καὶ τέκνοις σέθεν
καὶ πόλει φίλοις τε πᾶσι. Δεύτερον δὲ χρὴ χοὰς
Γῇ τε καὶ φθιτοῖς χέασθαι· πρευμενῶς δ' αἰτοῦ τάδε, 220
σὸν πόσιν Δαρεῖον, ὅνπερ φὴς ἰδεῖν κατ' εὐφρόνην,
ἐσθλά σοι πέμπειν τέκνῳ τε γῆς ἔνερθεν ἐς φάος,
τἄμπαλιν δὲ τῶνδε γαίᾳ κάτοχα μαυροῦσθαι σκότῳ.
Ταῦτα θυμόμαντις ὤν σοι πρευμενῶς παρῄνεσα.
Εὖ δὲ πανταχῇ τελεῖν σοι τῶνδε κρίνομεν πέρι. 225

Ἄτοσσα

Ἀλλὰ μὴν εὔνους γ' ὁ πρῶτος τῶνδ' ἐνυπνίων κριτὴς
παιδὶ καὶ δόμοις ἐμοῖσι τήνδ' ἐκύρωσας φάτιν.
Ἐκτελοῖτο δὴ τὰ χρηστά· ταῦτα δ', ὡς ἐφίεσαι,
πάντα θήσομεν θεοῖσι τοῖς τ' ἔνερθε γῆς φίλοις,
εὖτ' ἂν εἰς οἴκους μόλωμεν. Κεῖνα δ' ἐκμαθεῖν θέλω, 230
ὦ φίλοι, ποῦ τὰς Ἀθήνας φασὶν ἱδρῦσθαι χθονός.

LE CHOEUR.

Nos discours, ô mère, ne veulent t'inspirer ni trop d'effroi, ni une excessive confiance. Va présenter aux dieux tes prières : si le présage est sinistre, demande-leur d'en détourner l'effet ; demande-leur pour toi, pour ton fils (27), pour l'empire, pour tous tes amis, de l'accomplir s'il est heureux. Verse ensuite des libations à la 67 terre et aux morts. Conjure avec l'élan du cœur Darius ton époux, qui cette nuit t'a, dis-tu, visitée, d'envoyer à la lumière, du sein des ténèbres souterraines, à toi et à ton fils, de favorables augures, de retenir dans l'ombre de la nuit infernale les présages de malheur. Tel est mon avis sincère ; la raison est le devin qui te le donne (28) : suis-le; et ce songe, j'en ai la confiance, n'aura pour toi que d'heureux effets.

ATOSSA.

Tu m'as le premier interprété l'apparition nocturne, et tes conseils témoignent tout ton amour et pour mon fils et pour ma famille. Puisse l'événement n'avoir rien que de favorable! J'accomplis ton ordre, je rentre au palais ; je vais offrir des sacrifices aux dieux, aux mânes qui nous sont chers. Mais pourtant il y a une chose que je voudrais connaître. Où dit-on, mes amis, qu'Athènes est située ?

  Χορός

Τῆλε πρὸς δυσμαῖς ἄνακτος Ἡλίου φθινασμάτων.

Ἄτοσσα

Ἀλλὰ μὴν ἵμειρ' ἐμὸς παῖς τήνδε θηρᾶσαι πόλιν;

Χορός

Πᾶσα γὰρ γένοιτ' ἂν Ἑλλὰς βασιλέως ὑπήκοος.

Ἄτοσσα

Ὧδέ τις πάρεστιν αὐτοῖς ἀνδροπλήθεια στρατοῦ; 235

Χορός

Καὶ στρατὸς τοιοῦτος, ἔρξας πολλὰ δὴ Μήδους κακά.

Ἄτοσσα

Καὶ τί πρὸς τούτοισιν ἄλλο; πλοῦτος ἐξαρκὴς δόμοις;

Χορός

Ἀργύρου πηγή τις αὐτοῖς ἐστι, θησαυρὸς χθονός.

Ἄτοσσα

Πότερα γὰρ τοξουλκὸς αἰχμὴ διὰ χεροῖν αὐτοῖς πρέπει;

Χορός

Οὐδαμῶς· ἔγχη σταδαῖα καὶ φεράσπιδες σαγαί. 240

Ἄτοσσα

Τίς δὲ ποιμάνωρ ἔπεστι κἀπιδεσπόζει στρατῷ;

Χορός

Οὔτινος δοῦλοι κέκληνται φωτὸς οὐδ' ὑπήκοοι.

Ἄτοσσα

Πῶς ἂν οὖν μένοιεν ἄνδρας πολεμίους ἐπήλυδας;

Χορός

Ὥστε Δαρείου πολύν τε καὶ καλὸν φθεῖραι στρατόν.

Ἄτοσσα

Δεινά τοι λέγεις ἰόντων τοῖς τεκοῦσι φροντίσαι. 245

Χορός

Ἀλλ' ἐμοὶ δοκεῖν τάχ' εἴσῃ πάντα νημερτῆ λόγον.
τοῦδε γὰρ δράμημα φωτὸς Περσικὸν πρέπει μαθεῖν,
καὶ φέρει σαφές τι πρᾶγος ἐσθλὸν ἢ κακὸν κλύειν.

LE CHOEUR.

Bien loin vers le couchant, vers les lieux où disparaît le Soleil, notre puissant maître.

ATOSSA.

Et pourtant mon fils brûlait du désir de s'emparer de cette ville.

LE CHOEUR.

C'est qu'alors la Grèce entière fût devenue sujette du roi.

ATOSSA.

Ainsi donc les Athéniens ont une innombrable armée?

LE CHOEUR.

Ils ont du moins une armée qui a pu déjà faire mille maux aux Mèdes.

68 ATOSSA.

Et, avec cette armée, ont-ils chez eux des richesses suffisantes?

LE CHOEUR.

Ils ont une source d'argent (29), trésor que leur fournit la terre.

ATOSSA.

Les armes qui brillent dans leurs mains, sont-ce l'arc et les flèches ?

LE CHOEUR.

Non. Ils combattent de près avec la lance, et se couvrent du bouclier (30) .

ATOSSA.

Quel monarque les conduit et gouverne leur armée?

LE CHOEUR.

Nul mortel ne les a pour esclaves ni pour sujets.

ATOSSA.

Comment pourraient-ils donc soutenir l'attaque de leurs ennemis?

LE CHOEUR.

Comme ils ont fait jadis en détruisant cette immense, cette belle armée de Darius.

ATOSSA.

Funeste pensée pour les pères de ceux qui sont partis !

LE CHOEUR.

Mais tu vas, je crois, être bientôt éclaircie de tout ce que tu veux savoir. Un homme accourt à grands pas; je reconnais un courrier perse : nous aurons de sa bouche une nouvelle sûre, ou de la victoire, ou de notre malheur.

 Ἄγγελος

Ὦ γῆς ἁπάσης Ἀσιάδος πολίσματα,
ὦ Περσὶς αἶα καὶ πολὺς πλούτου λιμήν, 250
ὡς ἐν μιᾷ πληγῇ κατέφθαρται πολὺς
ὄλβος, τὸ Περσῶν δ' ἄνθος οἴχεται πεσόν.
Ὤμοι, κακὸν μὲν πρῶτον ἀγγέλλειν κακά·
ὅμως δ' ἀνάγκη πᾶν ἀναπτύξαι πάθος,
Πέρσαι· στρατὸς γὰρ πᾶς ὄλωλε βαρβάρων. 255

Χορός

Ἄνι' ἄνια κακὰ
νεόκοτα καὶ δάι'·. αἰαῖ,
διαίνεσθε, Πέρσαι,
τόδ' ἄχος κλύοντες.

Ἄγγελος

Ὡς πάντα γ' ἔστ' ἐκεῖνα διαπεπραγμένα· 260
αὐτὸς δ' ἀέλπτως νόστιμον βλέπω φάος.

Χορός

Ἦ μακροβίοτος
ὅδε γέ τις αἰὼν ἐφάνθη
γεραιοῖς, ἀκούειν
τόδε πῆμ' ἄελπτον. 265

Ἄγγελος

Καὶ μὴν παρών γε κοὐ λόγους ἄλλων κλύων,
Πέρσαι, φράσαιμ' ἂν οἷ' ἐπορσύνθη κακά.

Χορός

Ὀτοτοτοῖ, μάταν
τὰ πολλὰ βέλεα παμμιγῆ
γᾶς ἀπ' Ἀσίδος ἦλθε δᾴ- 270
αν ἐφ' Ἑλλάδα χώραν.

Ἄγγελος

Πλήθουσι νεκρῶν δυσπότμως ἐφθαρμένων
Σαλαμῖνος ἀκταὶ πᾶς τε πρόσχωρος τόπος.

Χορός

Ὀτοτοτοῖ, φίλων
ἁλίδονα μέλεα πολυβαφῆ 275
κατθανόντα λέγεις φέρε-
σθαι πλάγκτ' ἐν διπλάκεσσιν.

Ἄγγελος

Οὐδὲν γὰρ ἤρκει τόξα, πᾶς δ' ἀπώλλυτο
στρατὸς δαμασθεὶς ναί̈οισιν ἐμβολαῖς

Χορός

Ἴυζ' ἄποτμον Πέρσαις 280
δυσαιανῆ βοὰν
δᾴοις, ὡς πάντα παγκάκως
ἔφθισαν· αἰαῖ στρατοῦ φθαρέντος.

Ἄγγελος

Ὦ πλεῖστον ἔχθος ὄνομα Σαλαμῖνος κλύειν.
Φεῦ, τῶν Ἀθηνῶν ὡς στένω μεμνημένος. 285

Χορός

Στυγναί γ' Ἀθᾶναι δᾴοις·
μεμνῆσθαί τοι πάρα
ὡς πολλὰς Περσίδων μάταν
ἔκτισαν εὔνιδας ἠδ' ἀνάνδρους.

69 LE COURRIER.

Ô villes qui couvrez toute la terre d'Asie! ô Perse! ô vaste palais, séjour de l'opulence ! comme un seul coup a flétri tant de prospérités ! La fleur des Perses est tombée, elle a péri! ô douleur! ô triste sort d'être chargé d'apporter le fatal message ! Pourtant, il faut parler, il faut, ô Perses ! vous dérouler toute notre infortune. L'armée des Barbares a péri tout entière.

LE CHOEUR.

O revers! revers terrible,inouï, épouvantable! Hélas! hélas ! affreuse nouvelle ! Perses, fondez en larmes.

LE COURRIER.

Oui, c'en est fait de l'armée, moi-même c'est contre tout espoir que je vois luire l'instant du retour.

LE CHOEUR.

Vieillesse ennemie n'avons-nous tant vécu, misérables vieillards, que pour apprendre cette catastrophe inattendue !

LE COURRIER.

J'y étais! aussi n'est-ce point de la bouche d'un autre, ô Perses! que je tiens le récit des maux qui nous ont frappés. Ce que je dirai, je l'ai vu.

LE CHOEUR.

Malheur ! malheur ! C'est donc en vain que, des plaines de l'Asie, tant de peuples confondant leurs armes se sont précipités sur ce funeste pays de Grèce (31) !

LE COURRIER.
Les cadavres des infortunés qui ont péri sont amoncelés sur les rivages de Salamine (32) et dans tous les lieux d'alentour.

70 LE CHOEUR.

Malheur! malheur! Ainsi les corps de nos proches, plongés dans les ondes, roulent, sans vie, ballottés par la vague au milieu des flottants débris de nos vaisseaux (33)!

LE COURRIER.

Nos arcs nous ont mal servis; l'armée tout entière est détruite! Au choc impétueux de leurs navires, nous avons fléchi.

LE CHOEUR.

Infortunés, poussons le cri de la détresse, le cri lugubre; car les dieux nous ont frappés d'un complet désastre (34). Hélas! hélas! notre armée a péri!

LE COURRIER.

Ô Salamine! nom fatal et détesté! Athènes! Athènes! que ton souvenir me coûte de pleurs !

LE CHOEUR.

Athènes est pour l'ennemi un objet d'effroi. On dira longtemps à combien de femmes de la Perse Athènes a ravi leurs fils, leurs époux : malheur sans consolation (35) !

 Ἄτοσσα

Σιγῶ πάλαι δύστηνος ἐκπεπληγμένη 290
κακοῖς· ὑπερβάλλει γὰρ ἥδε συμφορὰ
τὸ μήτε λέξαι μήτ' ἐρωτῆσαι πάθη.
Ὅμως δ' ἀνάγκη πημονὰς βροτοῖς φέρειν
θεῶν διδόντων· πᾶν δ' ἀναπτύξας πάθος
λέξον καταστάς, κεἰ στένεις κακοῖς ὅμως.  295
Τίς οὐ τέθνηκε, τίνα δὲ καὶ πενθήσομεν
τῶν ἀρχελείων, ὅστ' ἐπὶ σκηπτουχίᾳ
ταχθεὶς ἄνανδρον τάξιν ἠρήμου θανών;

Ἄγγελος

Ξέρξης μὲν αὐτὸς ζῇ τε καὶ βλέπει φάος.

Ἄτοσσα

Ἐμοῖς μὲν εἶπας δώμασιν φάος μέγα 300
καὶ λευκὸν ἦμαρ νυκτὸς ἐκ μελαγχίμου.

Ἄγγελος

Ἀρτεμβάρης δὲ μυρίας ἵππου βραβεὺς
στύφλους παρ' ἀκτὰς θείνεται Σιληνιῶν.
Χὠ χιλίαρχος Δαδάκης πληγῇ δορὸς
πήδημα κοῦφον ἐκ νεὼς ἀφήλατο· 305
Τενάγων τ' ἀριστεὺς Βακτρίων ἰθαιγενὴς
θαλασσόπληκτον νῆσον Αἴαντος πολεῖ.
Λίλαιος, Ἀρσάμης τε κἈργήστης τρίτος,
οἵδ' ἀμφὶ νῆσον τὴν πελειοθρέμμονα
δινούμενοι 'κύρισσον ἰσχυρὰν χθόνα· 310
πηγαῖς τε Νείλου γειτονῶν Αἰγυπτίου
Ἀρκτεύς, Ἀδεύης, καὶ φερεσσάκης τρίτος
Φαρνοῦχος, οἵδε ναὸς ἐκ μιᾶς πέσον.
Χρυσεὺς Μάταλλος μυριόνταρχος θανών,
ἵππου μελαίνης ἡγεμὼν τρισμυρίας, 315
πυρρὰν ζαπληθῆ δάσκιον γενειάδα
ἔτεγγ', ἀμείβων χρῶτα πορφυρέᾳ βαφῇ.
Καὶ Μᾶγος Ἄραβος, Ἀρτάβης τε Βάκτριος,
σκληρᾶς μέτοικος γῆς, ἐκεῖ κατέφθιτο.
Ἄμιστρις Ἀμφιστρεύς τε πολύπονον δόρυ 320
νωμῶν, ὅ τ' ἐσθλὸς Ἀριόμαρδος Σάρδεσι
πένθος παρασχών, Σεισάμης θ' ὁ Μύσιος,
Θάρυβίς τε πεντήκοντα πεντάκις νεῶν
ταγός, γένος Λυρναῖος, εὐειδὴς ἀνήρ,
κεῖται θανὼν δείλαιος οὐ μάλ' εὐτυχῶς· 325
Συέννεσίς τε πρῶτος εἰς εὐψυχίαν,
Κιλίκων ἄπαρχος, εἷς ἀνὴρ πλεῖστον πόνον
ἐχθροῖς παρασχών εὐκλεῶς ἀπώλετο.
Τοσόνδε ταγῶν νῦν ὑπεμνήσθην πέρι.
Πολλῶν παρόντων δ' ὀλίγ' ἀπαγγέλλω κακά. 330

Ἄτοσσα

Αἰαῖ, κακῶν ὕψιστα δὴ κλύω τάδε,
αἴσχη τε Πέρσαις καὶ λιγέα κωκύματα.
Ἀτὰρ φράσον μοι τοῦτ' ἀναστρέψας πάλιν·
πόσον δὲ πλῆθος ἦν νεῶν Ἑλληνίδων,
ὥστ' ἀξιῶσαι Περσικῷ στρατεύματι 335
μάχην συνάψαι ναί̈οισιν ἐμβολαῖς;

Ἄγγελος

Πλήθους μὲν ἂν σάφ' ἴσθ' ἕκατι βάρβαρον
ναυσὶν κρατῆσαι. Καὶ γὰρ Ἕλλησιν μὲν ἦν
ὁ πᾶς ἀριθμὸς ἐς τριακάδας δέκα
ναῶν, δεκὰς δ' ἦν τῶνδε χωρὶς ἔκκριτος· 340
Ξέρξῃ δέ, καὶ γὰρ οἶδα, χιλιὰς μὲν ἦν
ὧν ἦγε πλῆθος, αἱ δ' ὑπέρκοποι τάχει
ἑκατὸν δὶς ἦσαν ἑπτά θ'· ὧδ' ἔχει λόγος.
Μή σοι δοκοῦμεν τῇδε λειφθῆναι μάχῃ;
ἀλλ' ὧδε δαίμων τις κατέφθειρε στρατόν, 345
τάλαντα βρίσας οὐκ ἰσορρόπῳ τύχῃ.
Θεοὶ πόλιν σῴζουσι Παλλάδος θεᾶς.

Ἄτοσσα

Ἔτ' ἆρ' Ἀθηνῶν ἔστ' ἀπόρθητος πόλις;

Ἄγγελος

Ἀνδρῶν γὰρ ὄντων ἕρκος ἐστὶν ἀσφαλές.

Ἄτοσσα

Ἀρχὴ δὲ ναυσὶ συμβολῆς τίς ἦν, φράσον· 350
τίνες κατῆρξαν, πότερον Ἕλληνες, μάχης,
ἢ παῖς ἐμός, πλήθει καταυχήσας νεῶν;

ATOSSA.

Je suis longtemps restée sans voix, interdite, accablée par l'affreuse nouvelle. Ce malheur est si grand, que je 71 n'ai pas le courage de parler, de demander le récit de nos infortunes. Cependant, quand ce sont les dieux qui infligent la souffrance, force est bien aux mortels de la subir, (Au courrier.) Déroule à nos yeux toute la catastrophe; remets tes esprits; parle, quelques sanglots qui t'oppressent au sentiment de nos maux. Qui a survécu? qui devons-nous pleurer d'entre les chefs de peuples, d'entre ceux qui portaient le sceptre du commandement, et dont la place est restée vide par la mort  (36)?

LE COURRIER.

D'abord, quant à Xerxès, il vit et voit la lumière.

ATOSSA.

Ah! cette parole, c'est pour ma maison une clarté brillante; c'est le jour éclatant après une sombre nuit.

LE COURRIER.

Mais Artembarès, le chef de dix mille cavaliers, a été tué sur les rochers escarpés de Silénie (37). Dadacès, qui commandait mille hommes, frappé d'un coup de lance, est tombé précipité de son bord. Ténagon, le plus brave des guerriers nés dans la Bactriane, est resté sur cette île d'Ajax (38) tant battue des vagues. Lilée, Arsamès, Argestès, abattus tous les trois sur le rivage de l'île où pullulent les colombes (39), se sont brisé la tête contre les rochers. Arctée, le fils de la contrée voisine des sources du Nil; avec lui, Adévès; un troisième, Pheresséyès, Pharnuque enfin, sont tombés du même vaisseau. Celui qui commandait à dix mille cavaliers, Matallus de Chryse (40) est mort; sa barbe rousse, épaisse, au poil hérissé, dé- 72 gouttait de son sang; son corps s*est teint de la couleur de la pourpre (41). Le mage Arabus, Artamès le Bactrien, ce chef de trente mille cavaliers aux coursiers noirs (42) ne sortiront plus de l'âpre contrée (43); ils y ont péri, et comme eux Amestris, Amphistrée, celui dont la main agitait une lance infatigable, le valeureux Ariomardus, qui sera regretté dans Sardes, Sisame le Mysien. Tharybis, qui conduisait deux cent cinquante vaisseaux, Tharybis de Lyrnée (44) ce beau guerrier, est gisant sur la terre : l'infortuné a misérablement péri. Syennésis, le plus intrépide des chefs, le commandant des Cilices, est mort avec gloire : son trépas a coûté cher aux ennemis. Voilà les chefs dont je me rappelle les noms; mais ce n'est là que la moindre partie de nos pertes.

ATOSSA.

Hélas! hélas! Irréparables désastres! Quelle honte pour les Perses! Quelles lamentations vont retentir! Mais reviens à ton récit. Combien les Grecs avaient-ils de vaisseaux, dis-moi, pour oser engager le combat avec la flotte des Perses !

LE COURRIER.

Quant au nombre des vaisseaux, sois sûre que les Barbares l'emportaient de beaucoup. Les Grecs avaient au plus trois cents navires; encore dix de ces navires 73 formaient-ils une réserve. Xerxès, j'en suis garant, conduisait mille vaisseaux, sans compter ses fins voiliers au nombre de deux cent sept. Voilà la vérité (45). Notre flotte, comme tu vois, était loin d'être inférieure en forces. Mais un dieu a mis le poids de nos destins et des leurs sur une balance inégalé, et c'est ainsi que notre armée a dû périr.

ATOSSA.

Les dieux ont voulu sauver la ville delà déesse Pallas.

LE COURRIER.

Athènes est une ville inexpugnable. Athènes contient des hommes ; et c'est là le rempart invincible.

ATOSSA.

Mais comment, dis-moi, le combat s'est-il engagé? Sont-ce les Grecs qui ont commencé l'attaque? est-ce mon fils, trop plein de confiance dans la multitude de ses navires?

 Ἄγγελος

Ἦρξεν μέν, ὦ δέσποινα, τοῦ παντὸς κακοῦ
φανεὶς ἀλάστωρ ἢ κακὸς δαίμων ποθέν.
Ἀνὴρ γὰρ Ἕλλην ἐξ Ἀθηναίων στρατοῦ 355
ἐλθὼν ἔλεξε παιδὶ σῷ Ξέρξῃ τάδε,
ὡς εἰ μελαίνης νυκτὸς ἵξεται κνέφας,
Ἕλληνες οὐ μενοῖεν, ἀλλὰ σέλμασιν
ναῶν ἐπανθορόντες ἄλλος ἄλλοσε
δρασμῷ κρυφαίῳ βίοτον ἐκσωσοίατο. 360
Ὁ δ' εὐθὺς ὡς ἤκουσεν, οὐ ξυνεὶς δόλον
Ἕλληνος ἀνδρὸς οὐδὲ τὸν θεῶν φθόνον,
πᾶσιν προφωνεῖ τόνδε ναυάρχοις λόγον,
εὖτ' ἂν φλέγων ἀκτῖσιν ἥλιος χθόνα
λήξῃ, κνέφας δὲ τέμενος αἰθέρος λάβῃ, 365
τάξαι νεῶν στῖφος μὲν ἐν στοίχοις τρισὶν
ἔκπλους φυλάσσειν καὶ πόρους ἁλιρρόθους,
ἄλλας δὲ κύκλῳ νῆσον Αἴαντος πέριξ·
ὡς εἰ μόρον φευξοίαθ' Ἕλληνες κακόν,
ναυσὶν κρυφαίως δρασμὸν εὑρόντες τινά, 370
πᾶσιν στέρεσθαι κρατὸς ἦν προκείμενον.
Τοσαῦτ' ἔλεξε κάρθ' ὑπ' εὐθύμου φρενός·
οὐ γὰρ τὸ μέλλον ἐκ θεῶν ἠπίστατο.
Οἱ δ' οὐκ ἀκόσμως, ἀλλὰ πειθάρχῳ φρενὶ
δεῖπνόν τ' ἐπορσύνοντο, ναυβάτης τ' ἀνὴρ 375
τροποῦτο κώπην σκαλμὸν ἀμφ' εὐήρετμον.
Ἐπεὶ δὲ φέγγος ἡλίου κατέφθιτο
καὶ νὺξ ἐπῄει, πᾶς ἀνὴρ κώπης ἄναξ
ἐς ναῦν ἐχώρει πᾶς θ' ὅπλων ἐπιστάτης·
τάξις δὲ τάξιν παρεκάλει νεὼς μακρᾶς· 380
πλέουσι δ' ὡς ἕκαστος ἦν τεταγμένος,
καὶ πάννυχοι δὴ διάπλοον καθίστασαν
ναῶν ἄνακτες πάντα ναυτικὸν λεών.
Καὶ νὺξ ἐχώρει, κοὐ μάλ' Ἑλλήνων στρατὸς
κρυφαῖον ἔκπλουν οὐδαμῇ καθίστατο· 385
ἐπεί γε μέντοι λευκόπωλος ἡμέρα
πᾶσαν κατέσχε γαῖαν εὐφεγγὴς ἰδεῖν,
πρῶτον μὲν ἠχῇ κέλαδος Ἑλλήνων πάρα
μολπηδὸν ηὐφήμησεν, ὄρθιον δ' ἅμα
ἀντηλάλαξε νησιώτιδος πέτρας 390
ἠχώ· φόβος δὲ πᾶσι βαρβάροις παρῆν
γνώμης ἀποσφαλεῖσιν· οὐ γὰρ ὡς φυγῇ
παιᾶν' ἐφύμνουν σεμνὸν Ἕλληνες τότε,
ἀλλ' ἐς μάχην ὁρμῶντες εὐψύχῳ θράσει·
σάλπιγξ δ' ἀϋτῇ πάντ' ἐκεῖν' ἐπέφλεγεν. 395
Εὐθὺς δὲ κώπης ῥοθιάδος ξυνεμβολῇ
ἔπαισαν ἅλμην βρύχιον ἐκ κελεύματος,
θοῶς δὲ πάντες ἦσαν ἐκφανεῖς ἰδεῖν.
Τὸ δεξιὸν μὲν πρῶτον εὐτάκτως κέρας
ἡγεῖτο κόσμῳ, δεύτερον δ' ὁ πᾶς στόλος 400
ἐπεξεχώρει, καὶ παρῆν ὁμοῦ κλύειν
πολλὴν βοήν, ὦ παῖδες Ἑλλήνων ἴτε,
ἐλευθεροῦτε πατρίδ', ἐλευθεροῦτε δὲ
παῖδας, γυναῖκας, θεῶν τέ πατρῴων ἕδη,
θήκας τε προγόνων· νῦν ὑπὲρ πάντων ἀγών. 405
Καὶ μὴν παρ' ἡμῶν Περσίδος γλώσσης ῥόθος
ὑπηντίαζε, κοὐκέτ' ἦν μέλλειν ἀκμή.
Εὐθὺς δὲ ναῦς ἐν νηὶ χαλκήρη στόλον
ἔπαισεν· ἦρξε δ' ἐμβολῆς Ἑλληνικὴ
ναῦς, κἀποθραύει πάντα Φοινίσσης νεὼς 410
κόρυμβ', ἐπ' ἄλλην δ' ἄλλος ηὔθυνεν δόρυ.
Τὰ πρῶτα μέν νυν ῥεῦμα Περσικοῦ στρατοῦ
ἀντεῖχεν· ὡς δὲ πλῆθος ἐν στενῷ νεῶν
ἤθροιστ' ἀρωγὴ δ' οὔτις ἀλλήλοις παρῆν,
αὐτοὶ δ' ὑφ' αὑτῶν ἐμβόλοις χαλκοστόμοις 415
παίοντ', ἔθραυον πάντα κωπήρη στόλον,
Ἑλληνικαί τε νῆες οὐκ ἀφρασμόνως
κύκλῳ πέριξ ἔθεινον, ὑπτιοῦτο δὲ
σκάφη νεῶν, θάλασσα δ' οὐκέτ' ἦν ἰδεῖν,
ναυαγίων πλήθουσα καὶ φόνου βροτῶν. 420
Ἀκταὶ δὲ νεκρῶν χοιράδες τ' ἐπλήθυον,
φυγῇ δ' ἀκόσμῳ πᾶσα ναῦς ἠρέσσετο,
ὅσαιπερ ἦσαν βαρβάρου στρατεύματος.
Τοὶ δ' ὥστε θύννους ἤ τιν' ἰχθύων βόλον
ἀγαῖσι κωπῶν θραύμασίν τ' ἐρειπίων 425
ἔπαιον, ἐρράχιζον· οἰμωγὴ δ' ὁμοῦ
κωκύμασιν κατεῖχε πελαγίαν ἅλα,
ἕως κελαινῆς νυκτὸς ὄμμ' ἀφείλετο.
Κακῶν δὲ πλῆθος, οὐδ' ἂν εἰ δέκ' ἤματα
στοιχηγοροίην, οὐκ ἂν ἐκπλήσαιμί σοι. 430
Εὖ γὰρ τόδ' ἴσθι, μηδάμ' ἡμέρᾳ μιᾷ
πλῆθος τοσουτάριθμον ἀνθρώπων θανεῖν.

LE COURRIER.

Reine, un dieu déployant ses vengeances, quelque fatal génie fondant sur nous, voilà quelle a été la cause première du désastre. Un soldat grec de l'armée athénienne était venu dire à ton fils Xerxès qu'à l'instant où les noires ombres de la nuit seraient descendues, les Grecs abandonneraient la position; que, pour sauver leur vie, ils allaient se rembarquer en hâte et se disperser dans les ténèbres (46). A cette nouvelle, Xerxès, qui ne se méfiait ni de la ruse du Grec ni de la jalousie des dieux, ordonne à tous les commandants de la flotte qu'à l'instant où la terre cesserait d'être éclairée par les rayons du 74 soleil, et où les ombres de la nuit rempliraient les espaces célestes, ils disposent sur trois rangs leurs innombrables navires ; qu'ils ferment tous les passages, tous les détroits; que d'autres vaisseaux enfin investissent l'île d'Ajax. « Si les Grecs évitent leur fatal destin, si leur flotte trouve le moyen d'échapper furtivement, vous serez tous décapités. » Tels furent les ordres qu'il donna dans sa confiance; car il ne savait pas ce que lui réservaient les dieux. Les troupes se préparent sans confusion, sans négligence ; elles prennent le repas du soir ; les matelots attachent par la courroie leurs rames aux bancs, toutes prêtes pour la manœuvre. Quand la lumière du soleil a disparu, quand la nuit est survenue, rameurs, soldats, chacun regagne son navire. Les rangs de la flotte guerrière se suivent dans l'ordre prescrit. Tous les vaisseaux se rendent à leur poste, et, durant toute la nuit, les pilotes tiennent les équipages en haleine. Cependant la nuit se passait, et nulle part l'armée des Grecs ne tentait de s'échapper à la faveur des ténèbres. Bientôt le jour aux blancs coursiers répandit sur le monde sa resplendissante lumière : à cet instant, une clameur immense, modulée comme un cantique sacré, s'élève dans les rangs des Grecs, et l'écho des rochers de l'île répond à ces cris par l'accent de sa voix éclatante. Trompés dans leur espoir, les Barbares sont saisis d'effroi; car il n'était point l'annonce de la fuite, cet hymne saint que chantaient les Grecs : pleins d'une audace intrépide, ils se précipitaient au combat. Le son de la trompette enflammait tout ce mouvement. Le signal est donné ; soudain les rames retentissantes frappent d'un battement cadencé l'onde salée qui frémit : bientôt leur flotte apparaît tout entière à nos yeux. L'aile droite marchait la première en bel ordre; le reste de la flotte suivait, et ces mots retentissaient au loin : « Allez, ô fils de la Grèce, délivrez la patrie, délivrez .vos enfants, vos femmes, et les temples des dieux de vos 75 pères, et les tombeaux de vos aïeux. Un seul combat va décider de tous vos biens. » A ce cri nous répondons, de notre côté, par le cri de guerre des Perses. La bataille allait s'engager. Déjà les proues d'airain se heurtent contre les proues : un vaisseau grec a commencé le choc; il fracasse les agrès d'un vaisseau phénicien. Ennemi contre ennemi les deux flottes s'élancent. Au premier effort, le torrent de l'armée des Perses ne recula pas. Mais bientôt, entassés dans un espace resserré, nos innombrables navires s'embarrassent les uns aux autres, s'entrechoquent mutuellement de leurs becs d'airain : des rangs de rames entiers sont fracassés. Cependant la flotte grecque, par une manœuvre habile, forme cercle alentour, et porte de toutes parts ses coups. Nos vaisseaux sont culbutés; la mer disparaît sous un amas de débris flottants et de morts; les rivages, les écueils se couvrent de cadavres. Tous les navires de la flotte des Barbares ramaient pour fuir en désordre : comme des thons, comme des poissons qu'on vient de prendre au filet, à coups de tronçons de rames, de débris de madriers, on écrase les Perses, on les met en lambeaux. La mer résonne au loin de gémissements, de voix lamentables (47). Enfin la nuit montra sa sombre face, et nous déroba au vainqueur. Je ne détaille point : à énumérer toutes nos pertes, dix jours entiers ne suffiraient pas. Sache seulement que jamais, en un seul jour, il n'a péri une telle multitude d'hommes.

  Ἄτοσσα

Αἰαῖ, κακῶν δὴ πέλαγος ἔρρωγεν μέγα
Πέρσαις τε καὶ πρόπαντι βαρβάρων γένει.

Ἄγγελος

Εὖ νυν τόδ' ἴσθι, μηδέπω μεσοῦν κακόν· 435
τοιάδ' ἐπ' αὐτοῖς ἦλθε συμφορὰ πάθους
ὡς τοῖσδε καὶ δὶς ἀντισηκῶσαι ῥοπῇ.

Ἄτοσσα

Καὶ τίς γένοιτ' ἂν τῆσδ' ἔτ' ἐχθίων τύχη;
λέξον τίν' αὖ φὴς τήνδε συμφορὰν στρατῷ
ἐλθεῖν κακῶν ῥέπουσαν ἐς τὰ μάσσονα. 440

Ἄγγελος

Περσῶν ὅσοιπερ ἦσαν ἀκμαῖοι φύσιν,
ψυχήν τ' ἄριστοι κεὐγένειαν ἐκπρεπεῖς,
αὐτῷ τ' ἄνακτι πίστιν ἐν πρώτοις ἀεί,
τεθνᾶσιν αἰσχρῶς δυσκλεεστάτῳ μόρῳ.

Ἄτοσσα

Οἲ 'γὼ τάλαινα συμφορᾶς κακῆς, φίλοι.445
ποίῳ μόρῳ δὲ τούσδε φὴς ὀλωλέναι;

Ἄγγελος

Νῆσός τις ἔστι πρόσθε Σαλαμῖνος τόπων,
βαιά, δύσορμος ναυσίν, ἣν ὁ φιλόχορος
Πὰν ἐμβατεύει, ποντίας ἀκτῆς ἔπι.
Ἐνταῦθα πέμπει τούσδ', ὅπως, ὅταν νεῶν 450
φθαρέντες ἐχθροὶ νῆσον ἐκσῳζοίατο,
κτείνοιεν εὐχείρωτον Ἑλλήνων στρατόν,
φίλους δ' ὑπεκσῴζοιεν ἐναλίων πόρων,
κακῶς τὸ μέλλον ἱστορῶν. Ὡς γὰρ θεὸς
ναῶν ἔδωκε κῦδος Ἕλλησιν μάχης, 455
αὐθημερὸν φράξαντες εὐχάλκοις δέμας
ὅπλοισι ναῶν ἐξέθρῳσκον· ἀμφὶ δὲ
κυκλοῦντο πᾶσαν νῆσον, ὥστ' ἀμηχανεῖν
ὅποι τράποιντο. Πολλὰ μὲν γὰρ ἐκ χερῶν
πέτροισιν ἠράσσοντο, τοξικῆς τ' ἄπο 460
θώμιγγος ἰοὶ προσπίτνοντές ὤλλυσαν·
τέλος δ' ἐφορμηθέντες ἐξ ἑνὸς ῥόθου
παίουσι, κρεοκοποῦσι δυστήνων μέλη,
ἕως ἁπάντων ἐξαπέφθειραν βίον.
Ξέρξης δ' ἀνῴμωξεν κακῶν ὁρῶν βάθος· 465
ἕδραν γὰρ εἶχε παντὸς εὐαγῆ στρατοῦ,
ὑψηλὸν ὄχθον ἄγχι πελαγίας ἁλός·
ῥήξας δὲ πέπλους κἀνακωκύσας λιγύ,
πεζῷ παραγγείλας ἄφαρ στρατεύματι,
ἵησ' ἀκόσμῳ ξὺν φυγῇ. Τοιάνδε σοι 470
πρὸς τῇ πάροιθε συμφορὰν πάρα στένειν.

ATOSSA.

Hélas! hélas! une immense mer d'infortunes vient d'engloutir les Perses et toute la race des Barbares.

LE COURRIER.

Ce que je t'ai dit, sache-le bien, n'est encore que la 77 plus petite part de nos maux; car une autre calamité a frappé les Perses, deux fois plus pesante au moins que toutes ces calamités.

ATOSSA.

Et quelle infortune pouvait être plus cruelle ? Explique-toi : une calamité a frappé, dis-tu, notre armée, une calamité qui dépasse tous nos maux?

LE COURRIER.

Cette jeunesse de Perse, si brillante par son courage, si distinguée par sa noblesse, par sa fidélité au roi, elle a honteusement (48) péri d'une humiliante mort.

ATOSSA.

Qu'entends-je, amis ! Quel coup affreux pour moi! Quelle est donc cette mort dont tu dis qu'ils ont péri?

LE COURRIER.

Une île (49) est en face de Salamine, une île petite, d'accès difficile aux vaisseaux, et ou le dieu Pan, sur la rive des mers, mène souvent ses chœurs (50). C'est-là que Xerxès envoie ces guerriers. Quand la flotte des ennemis serait en déroute, ils devaient faire main-basse sur tous les Grecs qui se réfugieraient dans l'île, et recueillir ceux des leurs qu'y jetterait la mer. Xerxès lisait mal dans l'avenir. Le ciel donna la victoire à la flotte des Grecs. Ce jour-là même, les vainqueurs, le corps protégé de leurs solides armures d'airain, débarquent dans l'île, la cernent tout entière : les Perses ne savent plus par où fuir; la main des Grecs les écrase sous une grêle de pierres ; ils tombent percés par les flèches des archers ennemis. Enfin les assaillants s'élancent tous ensemble 77 d'un même bond : ils frappent, ils hachent, et tous les malheureux Perses sont égorgés jusqu'au dernier. Xerxès sanglote à l'aspect de cet abîme d'infortunes? car il s'était assis en un lieu d'où l'armée tout entière se découvrait à sa vue : c'était une colline élevée, non loin du rivage de la mer (51). Il déchire ses vêtements, il pousse des cris de détresse; il donne aussitôt (52) à son armée de terre l'ordre de la retraite. Il part; mais c'est une fuite, une déroute. Telle est la calamité sur laquelle il te reste encore à gémir.

  Ἄτοσσα

Ὦ στυγνὲ δαῖμον, ὡς ἄρ' ἔψευσας φρενῶν
Πέρσας· πικρὰν δὲ παῖς ἐμὸς τιμωρίαν
κλεινῶν Ἀθηνῶν ηὗρε, κοὐκ ἀπήρκεσαν
οὓς πρόσθε Μαραθὼν βαρβάρων ἀπώλεσεν· 475
ὧν ἀντίποινα παῖς ἐμὸς πράξειν δοκῶν
τοσόνδε πλῆθος πημάτων ἐπέσπασεν.
Σὺ δ' εἰπέ, ναῶν αἳ πεφεύγασιν μόρον,
ποῦ τάσδ' ἔλειπες· οἶσθα σημῆναι τορῶς;

Ἄγγελος

Ναῶν γε ταγοὶ τῶν λελειμμένων σύδην 480
κατ' οὖρον οὐκ εὔκοσμον αἴρονται φυγήν·
στρατὸς δ' ὁ λοιπὸς ἔν τε Βοιωτῶν χθονὶ
διώλλυθ', οἱ μὲν ἀμφὶ κρηναῖον γάνος
δίψῃ πονοῦντες, οἱ δ' ὑπ' ἄσθματος κενοὶ
διεκπερῶμεν ἔς τε Φωκέων χθόνα 485
καὶ Δωρίδ' αἶαν, Μηλιᾶ τε κόλπον, οὗ
Σπερχειὸς ἄρδει πεδίον εὐμενεῖ ποτῷ·
κἀντεῦθεν ἡμᾶς γῆς Ἀχαιίδος πέδον
καὶ Θεσσαλῶν πόλεις ὑπεσπανισμένους
βορᾶς ἐδέξαντ'· ἔνθα δὴ πλεῖστοι 'θάνον 490
δίψῃ τε λιμῷ τ'· ἀμφότερα γὰρ ἦν τάδε.
Μαγνητικὴν δὲ γαῖαν ἔς τε Μακεδόνων
χώραν ἀφικόμεσθ', ἐπ' Ἀξίου πόρον,
Βόλβης θ' ἕλειον δόνακα, Πάγγαιόν τ' ὄρος,
Ἠδωνίδ' αἶαν· νυκτὶ δ' ἐν ταύτῃ θεὸς 495
χειμῶν' ἄωρον ὦρσε, πήγνυσιν δὲ πᾶν
ῥέεθρον ἁγνοῦ Στρυμόνος. Θεοὺς δέ τις
τὸ πρὶν νομίζων οὐδαμοῦ τότ' ηὔχετο
λιταῖσι, γαῖαν οὐρανόν τε προσκυνῶν.
Ἐπεὶ δὲ πολλὰ θεοκλυτῶν ἐπαύσατο 500
στρατός, περᾷ κρυσταλλοπῆγα διὰ πόρον·
χὤστις μὲν ἡμῶν πρὶν σκεδασθῆναι θεοῦ
ἀκτῖνας ὡρμήθη, σεσωσμένος κυρεῖ.
Φλέγων γὰρ αὐγαῖς λαμπρὸς ἡλίου κύκλος
μέσον πόρον διῆκε, θερμαίνων φλογί. 505
Πῖπτον δ' ἐπ' ἀλλήλοισιν· ηὐτύχει δέ τοι
ὅστις τάχιστα πνεῦμ' ἀπέρρηξεν βίου.
Ὅσοι δὲ λοιποὶ κἄτυχον σωτηρίας,
Θρῄκην περάσαντες μόγις πολλῷ πόνῳ,
ἥκουσιν ἐκφυγόντες, οὐ πολλοί τινες, 510
ἐφ' ἑστιοῦχον γαῖαν· ὡς στένειν πόλιν
Περσῶν, ποθοῦσαν φιλτάτην ἥβην χθονός.
Ταῦτ' ἔστ' ἀληθῆ· πολλὰ δ' ἐκλείπω λέγων
κακῶν ἃ Πέρσαις ἐγκατέσκηψεν θεός.

ATOSSA.

Ô Fortune ennemie! que tu as bien trompé l'espoir des Perses! Voilà donc le châtiment terrible que mon fils a infligé à cette illustre Athènes! Ce n'était donc point assez de tant de Barbares jadis tombés à Marathon! Il fallait que mon fils essayât de venger leur mort, qu'il attirât sur lui cet amas d'infortunes ! — Mais toi, dis-moi, les guerriers de la flotte (53) échappés au désastre, où les as-tu laissés? Ne peux-tu rien m'apprendre sur eux?

LE COURRIER.

Les chefs des navires qui restaient encore ont fui au gré du vent, tumultueusement, en désordre. Quant à l'armée de terre, une partie a péri dans la Béotie, consumée par la soif, aspirant en vain après l'eau des fontaines. Nous, l'autre partie, fuyant à perte d'haleine, nous traversons le pays des Phocéens et la Doride, et, non loin du golfe Maliaque (54), ces plaines que le Sper- 78 chius (55) arrose de ses flots bienfaisants. De là nous entrons dans les champs de l'Achaïe (56), dans les villes des Thessaliens, Les vivres nous manquaient : la plupart y périrent victimes d'un double fléau, la soif et la faim. Nous gagnons ensuite la Magnésie (57), la Macédoine, les rives de l'Axius (58), et les roseaux du lac de Bolbé (59), et le mont Pangée (60), et la terre des Édons (61). Là, par un bienfait de la divinité, un froid inattendu glaça d'un bord à l'autre, pendant la nuit, les flots sacrés du Strymon (62). A ce bonheur, tel qui auparavant niait qu'il y eût des dieux au monde, se prosterna, pria la terre et le ciel. Quand l'armée eut uni ses longues actions de grâces aux dieux, elle traversa le fleuve sur la route de glace. Tous ceux d'entre nous qui l'avaient franchi avant que le dieu du jour lançât ses rayons ont la vie sauve. Mais bientôt le disque lumineux du soleil pénétra de sa flamme étincelante le sein du fleuve; la glace se rompit, les soldats s'engloutirent les uns sur les autres : heureux qui était d'abord suffoqué! Les survivants, ceux qui avaient échappé à la mort, souffrirent dans la Thrace de grandes fatigues et de nouveaux périls ; enfin, réduits à un petit nombre, ils sont rentrés dans les foyers paternels (63). La 79 Perse va pleurer la fleur de son peuple perdue pour elle à jamais. — Voilà la vérité. Mais je passe sous silence la foule des incidents malheureux du désastre dont le ciel a accablé les Perses.

 

  Χορός

Ὦ δυσπόνητε δαῖμον, ὡς ἄγαν βαρὺς 515
ποδοῖν ἐνήλου παντὶ Περσικῷ γένει.

Ἄτοσσα

Οἲ 'γὼ τάλαινα διαπεπραγμένου στρατοῦ·
ὦ νυκτὸς ὄψις ἐμφανὴς ἐνυπνίων,
ὡς κάρτα μοι σαφῶς ἐδήλωσας κακά.
Ὑμεῖς δὲ φαύλως αὔτ' ἄγαν ἐκρίνατε. 520
Ὅμως δ', ἐπειδὴ τῇδ' ἐκύρωσεν φάτις
ὑμῶν, θεοῖς μὲν πρῶτον εὔξασθαι θέλω·
ἔπειτα Γῇ τε καὶ φθιτοῖς δωρήματα
ἥξω λαβοῦσα πέλανον ἐξ οἴκων ἐμῶν,
ἐπίσταμαι μὲν ὡς ἐπ' ἐξειργασμένοις, 525
ἀλλ' ἐς τὸ λοιπὸν εἴ τι δὴ λῷον πέλοι.
Ὑμᾶς δὲ χρὴ 'πὶ τοῖσδε τοῖς πεπραγμένοις
πιστοῖσι πιστὰ ξυμφέρειν βουλεύματα·
καὶ παῖδ', ἐάν περ δεῦρ' ἐμοῦ πρόσθεν μόλῃ,
παρηγορεῖτε, καὶ προπέμπετ' ἐς δόμους, 530
μὴ καί τι πρὸς κακοῖσι προσθῆται κακόν.

Χορός

Ὦ Ζεῦ βασιλεῦ, νῦν <γὰρ> Περσῶν
τῶν μεγαλαύχων καὶ πολυάνδρων
στρατιὰν ὀλέσας
ἄστυ τὸ Σούσων ἠδ' Ἀγβατάνων 535
πένθει δνοφερῷ κατέκρυψας·
πολλαὶ δ' ἀταλαῖς χερσὶ καλύπτρας
κατερεικόμεναι
διαμυδαλέοις δάκρυσι κόλπους
τέγγουσ', ἄλγους μετέχουσαι .540
Αἱ δ' ἁβρόγοοι Περσίδες ἀνδρῶν
ποθέουσαι ἰδεῖν ἀρτιζυγίαν,
λέκτρων εὐνὰς ἁβροχίτωνας,
χλιδανῆς ἥβης τέρψιν, ἀφεῖσαι,
πενθοῦσι γόοις ἀκορεστοτάτοις. 545
Κἀγὼ δὲ μόρον τῶν οἰχομένων
αἴρω δοκίμως πολυπενθῆ.

Νῦν γὰρ δὴ πρόπασα μὲν στένει γαῖ'
Ἀσιὰς ἐκκενουμένα.
Ξέρξης μὲν ἄγαγεν, ποποῖ, 550
Ξέρξης δ' ἀπώλεσεν, τοτοῖ,
Ξέρξης δὲ πάντ' ἐπέσπε δυσφρόνως
βαρίδεσσι ποντίαις.
Τίπτε Δαρεῖος μὲν οὕ-
τω τότ' ἀβλαβὴς ἐπῆν 555
τόξαρχος πολιήταις,
Σουσίδαις φίλος ἄκτωρ;

Πεζούς τε γὰρ καὶ θαλασσίους
λινόπτεροι κυανώπιδες
νᾶες μὲν ἄγαγον, ποποῖ, 560
νᾶες δ' ἀπώλεσαν, τοτοῖ,
νᾶες πανωλέθροισιν ἐμβολαῖς,
αἵ τ' Ἰαόνων χέρες.
Τυτθὰ δ' ἐκφυγεῖν ἄνακτ'
αὐτὸν εἰσακούομεν 565
Θρῄκης ἂμ πεδιήρεις
δυσχίμους τε κελεύθους.

Τοὶ δ' ἄρα πρωτόμοιροι, φεῦ,
λειφθέντες πρὸς ἀνάγκας, ἠέ,
ἀκτὰς ἀμφὶ Κυχρείας, ὀᾶ, 570
<σύρονται>· στένε καὶ δακνά-
ζου, βαρὺ δ' ἀμβόασον
οὐράνι' ἄχη, ὀᾶ·
τεῖνε δὲ δυσβάυκτον
βοᾶτιν τάλαιναν αὐδάν. 575

LE CHOEUR.

Ô funeste Destin! as-tu bien assez foulé la race des Perses, tout entière écrasée sous tes pieds?

ATOSSA.

Ah ! malheureuse que je suis! notre armée est anéantie! Ô nocturne apparition d'un songe, que tu m'annonçais clairement ces malheurs! — (Au choeur) Mais vous, que vous avez été de trompeurs interprètes ! Cependant je vais suivre votre conseil. Je veux d'abord adresser des prières aux dieux du ciel ; puis je ferai des offrandes à la Terre et aux Mânes : je cours au palais chercher le gâteau sacré. Tout est perdu, je le sais; mais j'implorerai un plus favorable avenir. Et vous, c'est dans ces tristes conjonctures que des amis attendent de vous le dévouement de l'amitié. Consolez mon fils, s'il arrive avant mon retour; accompagnez-le au palais : gardez qu'à tant de malheurs il n'ajoute son désespoir. (Elle sort)

LE CHOEUR.

Ô roi Jupiter! tu viens donc de la détruire, cette armée des Perses, cette armée superbe, innombrable ! tu as plongé dans les ténèbres du deuil les cités de Suse et d'Ecbatane. Combien de mères, de leurs faibles mains, déchirent leurs voiles et baignent leur sein d'abondantes larmes ! Et les femmes perses qui espéraient revoir les époux naguère associés à leur joug! elles se livrent tout entières aux tendres regrets. La couche aux molles draperies leur rappelle les doux embrassements, ces jouissances de la jeunesse perdues pour elles, et qu'elles pleurent en proie à une douleur inconsolable. Et moi-même, le destin lamentable de ceux qui ne sont plus me pénètre d'une sincère pitié.

80 Tout entière aujourd'hui gémit l'Asie dépeuplée. Xerxès a emmené les peuples, hélas I Xerxès les a perdus, hélas ! Xerxès, sur de frêles navires, a tout livré, l'imprudent! à la merci des mers. Ah! pourquoi jadis Darius ne régna-t-il pas toujours invaincu, lui, le monarque guerrier, le chef adoré dans Suse  (64) !

Soldats de terre, matelots, des navires aux ailes rapides, à la proue noire, ont tout emmené, hélas! des navires ont tout perdu, hélas! oui, des navires : à l'abordage, tout a péri! A peine le roi lui-même a pu, dit-on, échapper aux mains des Ioniens, en fuyant, par des routes glacées, à travers les campagnes de la Thrace.

Et eux, morts dès les premiers pas! ô ciel! sous la main de la nécessité ! grands dieux ! près des rivages de Cychrée (65) pleurons! Gémissons, livrons nos âmes à la douleur? remplissons l'air de lugubres accents de deuil ; pleurons! Élevons nos tristes voix, nos clameurs lamentables !

 

 Γναπτόμενοι δὲ δίνᾳ, φεῦ,
σκύλλονται πρὸς ἀναύδων, ἠέ,
παίδων τᾶς ἀμιάντου, ὀᾶ.
Πενθεῖ δ' ἄνδρα δόμος στερη-
θείς τοκέες τ' ἄπαιδες 580
δαιμόνι' ἄχη, ὀᾶ,
δυρόμενοι γέροντες
τὸ πᾶν δὴ κλύουσιν ἄλγος.

Τοὶ δ' ἀνὰ γᾶν Ἀσίαν δὴν
οὐκέτι περσονομοῦνται, 585
οὐδ' ἔτι δασμοφοροῦσιν
δεσποσύνοισιν ἀνάγκαις,
οὐδ' ἐς γᾶν προπίτνοντες
ἅζονται· βασιλεία
γὰρ διόλωλεν ἰσχύς. 590

Οὐδ' ἔτι γλῶσσα βροτοῖσιν
ἐν φυλακαῖς· λέλυται γὰρ
λαὸς ἐλεύθερα βάζειν,
ὡς ἐλύθη ζυγὸν ἀλκᾶς.
Αἱμαχθεῖσα δ' ἄρουραν 595
Αἴαντος περικλύστα
νᾶσος ἔχει τὰ Περσᾶν.

Ballottés par la mer furieuse, ô ciel ! déchirés, grands dieux! par les muets enfants de l'onde salée, pleurons ! La maison déplore le maître qu'elle a perdu. Les pères n'ont plus de fils! vieillards désespérés, l'immense catastrophe, hélas! change tout pour eux en douleur.

Les peuples de la terre d'Asie n'obéiront plus longtemps au Perse; ils ne payeront plus longtemps le tribut imposé par un vainqueur; ils ne se prosterneront plus à terre devant la majesté souveraine : la puissance du roi a péri.

La langue des hommes n'est plus emprisonnée. Le 81 joug de la force a été brisé : dès cet instant le peuple déchaîné exhale librement sa pensée. Une terre ensanglantée, cette île d'Ajax battue par les flots, a enseveli les fortunes de la Perse.

 Ἄτοσσα

φίλοι, κακῶν μὲν ὅστις ἔμπειρος κυρεῖ,
ἐπίσταται βροτοῖσιν ὡς ὅταν κλύδων
κακῶν ἐπέλθῃ πάντα δειμαίνειν φιλεῖ· 600
ὅταν δ' ὁ δαίμων εὐροῇ, πεποιθέναι
τὸν αὐτὸν αἰεὶ δαίμον' οὐριεῖν τύχην.
ἐμοὶ γὰρ ἤδη πάντα μὲν φόβου πλέα
ἐν ὄμμασιν τἀνταῖα φαίνεται θεῶν,
βοᾷ δ' ἐν ὠσὶ κέλαδος οὐ παιώνιος ·605
τοία κακῶν ἔκπληξις ἐκφοβεῖ φρένας.
τοιγὰρ κέλευθον τήνδ' ἄνευ τ' ὀχημάτων
χλιδῆς τε τῆς πάροιθεν ἐκ δόμων πάλιν
ἔστειλα, παιδὸς πατρὶ πρευμενεῖς χοὰς
φέρουσ', ἅπερ νεκροῖσι μειλικτήρια, 610
βοός τ' ἀφ' ἁγνῆς λευκὸν εὔποτον γάλα,
τῆς τ' ἀνθεμουργοῦ στάγμα, παμφαὲς μέλι,
λιβάσιν ὑδρηλαῖς παρθένου πηγῆς μέτα,
ἀκήρατόν τε μητρὸς ἀγρίας ἄπο
ποτὸν παλαιᾶς ἀμπέλου γάνος τόδε· 615
τῆς τ' αἰὲν ἐν φύλλοισι θαλλούσης βίον
ξανθῆς ἐλαίας καρπὸς εὐώδης πάρα,
ἄνθη τε πλεκτά, παμφόρου γαίας τέκνα,
ἀλλ', ὦ φίλοι, χοαῖσι ταῖσδε νερτέρων
ὕμνους ἐπευφημεῖτε, τόν τε δαίμονα 620
Δαρεῖον ἀνακαλεῖσθε, γαπότους δ' ἐγὼ
τιμὰς προπέμψω τάσδε νερτέροις θεοῖς.

ATOSSA.

Amis, l'expérience du malheur nous l'apprend (66) : quand l'homme est assailli par la vague de l'infortune, tout lui devient un objet de crainte ; mais si le sort le favorise, il croit que le vent de la prospérité soufflera toujours. Tout aujourd'hui m'épouvante, tout montre à mes regards des dieux contraires; un cri tumultueux retentit dans mes oreilles, et ce n'est pas le cri de la victoire : funeste effet de ma consternation au récit de nos désastres! Je reviens de mon palais en ces lieux; mais je n'ai plus ce char, cette pompe de tout à l'heure. J'apporte au père de mon fils ces offrandes propitiatoires qui apaisent les mânes : le lait blanc et doux d'une génisse consacrée; et le miel doré, distillé par l'ouvrière qui suce les fleurs; et l'onde puisée à une source vierge; et ce breuvage sans mélange, produit d'une agreste mère, joyeux enfant de la vigne antique; et le fruit odorant de l'arbre qui jamais, dans sa vie, ne dépouille son feuillage, la blonde olive; et des guirlandes de fleurs, filles de la terre féconde. Vous, ô mes amis, accompagnez ces offrandes des hymnes qu'on adresse aux mânes des morts; évoquez l'ombre divine de Darius : moi, je vais épancher ces libations que boira la terre, et qui pénétreront chez les dieux des enfers.

  Χορός

Βασίλεια γύναι, πρέσβος Πέρσαις,
σύ τε πέμπε χοὰς θαλάμους ὑπὸ γῆς,
ἡμεῖς θ' ὕμνοις αἰτησόμεθα625
φθιμένων πομποὺς
εὔφρονας εἶναι κατὰ γαίας.
Ἀλλά, χθόνιοι δαίμονες ἁγνοί,
Γῆ τε καὶ Ἑρμῆ, βασιλεῦ τ' ἐνέρων,
πέμψατ' ἔνερθεν ψυχὴν ἐς φῶς·630
εἰ γάρ τι κακῶν ἄκος οἶδε πλέον,
μόνος ἂν θνητῶν πέρας εἴποι.

Ἦ ῥ' ἀίει μου μακαρίτας
ἰσοδαίμων βασιλεὺς
βάρβαρ' ἀσαφηνῆ 635
ἱέντος τὰ παναίολ' αἰ-
ανῆ δύσθροα βάγματ', ἢ
παντάλαν' ἄχη διαβοάσω;
νέρθεν ἆρα κλύει μου;

Ἀλλὰ σύ μοι Γᾶ τε καὶ ἄλλοι 640
χθονίων ἁγεμόνες
δαίμονα μεγαυχῆ
ἰόντ' αἰνέσατ' ἐκ δόμων,
Περσᾶν Σουσιγενῆ θεόν·
πέμπετε δ' ἄνω οἷον οὔπω 645
Περσὶς αἶ' ἐκάλυψεν.

Ἦ φίλος ἁνήρ, φίλος ὄχθος·
φίλα γὰρ κέκευθεν ἤθη.
Ἀιδωνεὺς δ' ἀναπομ-
πὸς ἀνείης, Ἀιδωνεύς, 650
θεῖον ἀνάκτορα Δαριᾶνα. Ἠέ.

Οὐδὲ γὰρ ἄνδρας ποτ' ἀπώλλυ
πολεμοφθόροισιν ἄταις,
θεομήστωρ δ' ἐκικλή-
σκετο Πέρσαις, θεομήστωρ δ' 655
ἔσκεν,ἐπεὶ στρατὸν εὖ ποδούχει. Ἠέ.

Βαλήν, ἀρχαῖος βαλήν,
ἴθι, ἱκοῦ·
ἔλθ' ἐπ' ἄκρον κόρυμβον ὄχθου,
κροκόβαπτον ποδὸς εὔμαριν ἀείρων, 660
βασιλείου τιάρας
φάλαρον πιφαύσκων.
Βάσκε πάτερ ἄκακε Δαριάν, οἶ.

Ὅπως αἰανῆ κλύῃς
νέα τ' ἄχη, 665
δέσποτα δεσπότου φάνηθι.
Στυγία γάρ τις ἐπ' ἀχλὺς πεπόταται·
νεολαία γὰρ ἤδη
κατὰ πᾶσ' ὄλωλεν. 670
Βάσκε πάτερ ἄκακε Δαριάν, οἶ.

Αἰαῖ αἰαῖ·
ὦ πολύκλαυτε φίλοισι θανών,
τί τάδε δυνάτα δυνάτα 675
περὶ τᾷ σᾷ δίδυμα διαγόεν ἁμάρτια;
πᾶσαι γᾷ τᾷδ'
ἐξέφθινται τρίσκαλμοι
νᾶες ἄναες ἄναες.  680

82 LE CHOEUR.

Reine, l'objet de la vénération des Perses, fais couler les libations jusque dans le sein de la terre, tandis que nous, par nos chants, nous invoquerons la faveur des dieux souterrains, gardiens des morts. — Ô vous, divinités sacrées des enfers, Terre, et toi Mercure, et toi prince des Mânes! du fond de vos demeures, envoyez à la lumière du jour l'âme de Darius. Si nous avons des maux encore à souffrir, Darius en connaît sans doute le remède, et lui seul au monde peut nous en apprendre le terme.

Entend-il ma voix, l'être divin, le roi maintenant égal aux dieux? entend-il le cri déchirant qui de ma bouche barbare s'échappe sur tous les tons de la douleur et de la plainte? Oui, je viens lui raconter d'irréparables désastres : au fond des enfers entend-il ma voix?

Et toi, Terre, et vous tous, dieux du royaume des ombres, accordez à ces mânes glorieux, à ce dieu des Perses, à ce dieu que Suse a vu naître, accordez-lui de quitter vos demeures; envoyez à la lumière un héros tel que jamais n'en ensevelit la terre de Perse.

Oui, ce guerrier nous fut cher; oui, il nous est cher, ce tombeau, car il renferme l'homme que nous avons chéri. Ô Plutonl laisse remonter vers nous, laisse, ô Pluton! échapper Darius. Darius ! quel roi, grands dieux I

Jamais, dans les guerres meurtrières, il ne perdit ses soldats. Les Perses l'appelaient le mortel aux conseils inspirés; et ils étaient inspirés, ses conseils, car ses armes furent toujours triomphantes (67).

Ô roi, ô notre antique monarque! viens, sors du tombeau, parais sur le bord avancé de ce monument; que ton pied se lève, chaussé du brodequin de pourpre ; 83 que la tiare royale montre à nos yeux ses splendides ornements. Viens, ô notre père, généreux Darius ! viens, hélas !
Viens apprendre nos récents malheurs, des malheurs inouïs. Maître des maîtres (68) parais ! Les ténèbres du Styx nous ont enveloppés, car la jeunesse de Perse a péri tout entière. Viens, ô notre père ! viens, généreux Darius.

Hélas I hélas ! hélas ! ô toi dont la mort nous a coûté tant de larmes ! comment, ô Darius ! comment cela s'est-il pu ? Une seconde fois, ton empire, oui, ce vaste empire a subi l'affront de la défaite 1 Ils ont péri, ces vaisseaux à trois rangs de rames! Oh, nos vaisseaux! tristes débris, hélas ! tristes débris (69) !

  Εἴδωλον Δαρείου

Ὦ πιστὰ πιστῶν ἥλικές θ' ἥβης ἐμῆς
Πέρσαι γεραιοί, τίνα πόλις πονεῖ πόνον;
στένει, κέκοπται, καὶ χαράσσεται πέδον.
Λεύσσων δ' ἄκοιτιν τὴν ἐμὴν τάφου πέλας
ταρβῶ, χοὰς δὲ πρευμενὴς ἐδεξάμην. 685
Ὑμεῖς δὲ θρηνεῖτ' ἐγγὺς ἑστῶτες τάφου
καὶ ψυχαγωγοῖς ὀρθιάζοντες γόοις
οἰκτρῶς καλεῖσθέ μ'· ἐστὶ δ' οὐκ εὐέξοδον,
ἄλλως τε πάντως χοἰ κατὰ χθονὸς θεοὶ
λαβεῖν ἀμείνους εἰσὶν ἢ μεθιέναι. 690
Ὅμως δ' ἐκείνοις ἐνδυναστεύσας ἐγὼ
ἥκω. Τάχυνε δ' ὡς ἄμεμπτος ὦ χρόνου.
τί ἐστι Πέρσαις νεοχμὸν ἐμβριθὲς κακόν·

Χορός

Σέβομαι μὲν προσιδέσθαι,
σέβομαι δ' ἀντία λέξαι 695
σέθεν ἀρχαίῳ περὶ τάρβει.

Δαρεῖος

Ἀλλ' ἐπεὶ κάτωθεν ἦλθον σοῖς γόοις πεπεισμένος,
μή τι μακιστῆρα μῦθον, ἀλλὰ σύντομον λέγων
εἰπὲ καὶ πέραινε πάντα, τὴν ἐμὴν αἰδῶ μεθείς.

Χορός

Δίεμαι μὲν χαρίσασθαι, 700
δίεμαι δ' ἀντία φάσθαι,
λέξας δύσλεκτα φίλοισιν.

L'OMBRE DE DARIUS.

Ô fidèles entre les fidèles, ô compagnons de ma jeunesse, de quel malheur, vieillards perses, Suse est-elle affligée ? La terre a été frappée, elle a gémi, elle s'est entr'ouverte. Vois mon épouse qui s'incline vers mon tombeau, aspect qui me trouble ; et l'on m'a offert les 84 libations propitiatoires. Vous-mêmes, debout près de ce monument, vous poussez de lugubres plaintes; vous pleurez, et vos évocations lamentables sont venues chercher mon âme jusqu'au fond des enfers. On n'en sort pas sans effort : surtout les dieux souterrains savent mieux saisir que laisser aller leur proie. Cependant ils ont cédé à mon impérieuse prière. Me voici donc; mais hâte-toi (70). Je ne veux pas qu'on m'accuse de dépasser le temps prescrit. — Quel est donc le nouveau revers qui accable les Perses?

LE CHOEUR.

Je n'ose t'envisager, je n'ose t'entretenir : mon antique respect pour toi me trouble.

L'OMBRE DE DARIUS.

Mais je sors des enfers ; j'ai écouté tes plaintes: ainsi, point d'inutiles discours. Abrège, je t'en prie ; quitte un vain respect, va droit au but.

LE CHOEUR.

Je crains de t'obéir, je crains de te parler : ce récit est pénible pour la bouche d'un ami.

  Δαρεῖος

Ἀλλ' ἐπεὶ δέος παλαιὸν σοὶ φρενῶν ἀνθίσταται,
τῶν ἐμῶν λέκτρων γεραιὰ ξύννομ' εὐγενὲς γύναι,
κλαυμάτων λήξασα τῶνδε καὶ γόων σαφές τί μοι 705
λέξον· ἀνθρώπεια δ' ἄν τοι πήματ' ἂν τύχοι βροτοῖς.
Πολλὰ μὲν γὰρ ἐκ θαλάσσης, πολλὰ δ' ἐκ χέρσου κακὰ
γίγνεται θνητοῖς, ὁ μάσσων βίοτος ἢν ταθῇ, πρόσω.

Ἄτοσσα

Ὦ βροτῶν πάντων ὑπερσχὼν ὄλβον εὐτυχεῖ πότμῳ
ὡς ἕως τ' ἔλευσσες αὐγὰς ἡλίου ζηλωτὸς ὢν710
βίοτον εὐαίωνα Πέρσαις ὡς θεὸς διήγαγες,

Δαρεῖος

Τίνι τρόπῳ; λοιμοῦ τις ἦλθε σκηπτὸς ἢ στάσις πόλει; 715

Ἄτοσσα

Οὐδαμῶς· ἀλλ' ἀμφ' Ἀθήνας πᾶς κατέφθαρται στρατός.

Δαρεῖος

Τίς δ' ἐμῶν ἐκεῖσε παίδων ἐστρατηλάτει; φράσον.

Ἄτοσσα

Θούριος Ξέρξης, κενώσας πᾶσαν ἠπείρου πλάκα.

Δαρεῖος

Πεζὸς ἢ ναύτης δὲ πεῖραν τήνδ' ἐμώρανεν τάλας;

Ἄτοσσα

Ἀμφότερα· διπλοῦν μέτωπον ἦν δυοῖν στρατευμάτοιν. 720

Δαρεῖος

Πῶς δὲ καὶ στρατὸς τοσόσδε πεζὸς ἤνυσεν περᾶν;

Ἄτοσσα

Μηχαναῖς ἔζευξεν Ἕλλης πορθμόν, ὥστ' ἔχειν πόρον.

Δαρεῖος

Καὶ τόδ' ἐξέπραξεν, ὥστε Βόσπορον κλῇσαι μέγαν·

Ἄτοσσα

Ὧδ' ἔχει· γνώμης δέ πού τις δαιμόνων ξυνήψατο.

Δαρεῖος

Φεῦ, μέγας τις ἦλθε δαίμων, ὥστε μὴ φρονεῖν καλῶς. 725

Ἄτοσσα

Ὡς ἰδεῖν τέλος πάρεστιν οἷον ἤνυσεν κακόν.

Δαρεῖος

Καὶ τί δὴ πράξασιν αὐτοῖς ὧδ' ἐπιστενάζετε;

Ἄτοσσα

Ναυτικὸς στρατὸς κακωθεὶς πεζὸν ὤλεσε στρατόν.

Δαρεῖος

Ὧδε παμπήδην δὲ λαὸς πᾶς κατέφθαρται δορί;

Ἄτοσσα

Πρὸς τάδ' ὡς Σούσων μὲν ἄστυ πᾶν κενανδρίαν στένει. 730

Δαρεῖος

Ὦ πόποι κεδνῆς ἀρωγῆς κἀπικουρίας στρατοῦ.

Ἄτοσσα

Βακτρίων δ' ἔρρει πανώλης δῆμος, οὐδέ τις γέρων.

Δαρεῖος

Ὦ μέλεος, οἵαν ἄρ' ἥβην ξυμμάχων ἀπώλεσεν.

Ἄτοσσα

Μονάδα δὲ Ξέρξην ἔρημόν φασιν οὐ πολλῶν μέτα

Δαρεῖος

Πῶς τε δὴ καὶ ποῖ τελευτᾶν; ἔστι τις σωτηρία;735

Ἄτοσσα

Ἄσμενον μολεῖν γέφυραν γαῖν δυοῖν ζευκτηρίαν.

Δαρεῖος

Καὶ πρὸς ἤπειρον σεσῶσθαι τήνδε, τοῦτ' ἐτήτυμον;

Ἄτοσσα

Ναί· λόγος κρατεῖ σαφηνὴς τοῦτό γ', οὐδ' ἔνι στάσις.
Νῦν τέ σε ζηλῶ θανόντα, πρὶν κακῶν ἰδεῖν βάθος.
Πάντα γάρ, Δαρεῖ' ἀκούσῃ μῦθον ἐν βραχεῖ χρόνῳ. 740
Διαπεπόρθηται τὰ Περσῶν πράγμαθ', ὡς εἰπεῖν ἔπος.

L'OMBRE DE DARIUS.

Puisque ce vieux respect enchaîne, vos sens, (A Atossa.) c'est à toi, jadis la compagne de ma couche, ô ma noble épouse, de suspendre un instant tes pleurs et tes sanglots. Parle, ne déguise rien: l'infortune est le lot naturel des humains. Bien des malheurs s'élancent de la mer, bien d'autres de la terre, fondant sur le mortel qui prolonge un peu loin sa vie.

ATOSSA.

Ô toi dont la prospérité d'aucun mortel n'égala jamais le fortuné destin ! tant que tu as joui de l'éclat du 85 soleil, ton bonheur a fait l'admiration des Perses; tu as vécu pareil aux dieux, heureux surtout, je le sens aujourd'hui, heureux d'être mort avant d'avoir vu cet abîme de maux. Ce récit, Darius, il ne faut qu'un instant pour le faire ; un mot suffira : la puissance des Perses est détruite.

L'OMBRE DE DARIUS.

Et comment cela? Est-ce le fléau de la peste, est-ce la guerre intestine qui a désolé le royaume ?

ATOSSA.

Non ; mais notre armée tout entière a été anéantie non loin d'Athènes.

L'OMBRE DE DARIUS.

Et quel est, réponds-moi, celui de mes fils qui commandait l'expédition ?

ATOSSA.

L'impétueux Xerxès. Il a dépeuplé tout le continent de l'Asie.

L'OMBRE DE DARIUS.

Est-ce par terre, est-ce avec une flotte, que l'infortuné a tenté cette folle entreprise ?

ATOSSA.

Avec une flotte, et aussi par terre : l'expédition était double, elle présentait deux fronts.

L'OMBRE DE DARIUS.

Et comment une innombrable armée de terre est-elle parvenue à traverser la mer ?

ATOSSA.

Xerxès a-joint par un pont de vaisseaux les deux bords du détroit de Hellé, et l'armée a trouvé son passage.

L'OMBRE DE DARIUS.

Quoi! Xerxès a osé fermer ainsi le vaste Bosphore (71) ?

ATOSSA.

Il l'a osé. Un dieu sans doute aida à l'accomplissement de ce dessein.

L'OMBRE DE DARIUS.

Oui, un dieu puissant, hélas! qui l'a frappé de vertige.

ATOSSA.

C'est maintenant que nous sentons quels malheurs son aide a causés.

L'OMBRE DE DARIUS.

Et quel est donc enfin ce désastre qui vous fait verser tant de pleurs?

ATOSSA.

L'armée navale défaite, l'armée de terre a dû périr.

L'OMBRE DE DARIUS.

Ainsi donc le fer a détruit tout ce peuple immense?

ATOSSA.

Oui ; et Suse, veuve de ses guerriers, retentit de gémissements.

L'OMBRE DE DARIUS.

Grands dieux ! une telle armée! secours inutile ! vain appui !

ATOSSA.

Le peuple des Bactriens a péri tout entier, pourtant un peuple de braves (72).

88 L'OMBRE DE DARIUS.

Ô malheureux! quels vigoureux et vaillants alliés tu as perdus !

ATOSSA.

On dit que Xerxès, abandonné de tous ses soldats et presque sans suite...

L'OMBRE DE DARIUS.

Parvint (73)... où? comment ?... A-t-il sauvé sa vie?

ATOSSA.

Fut trop heureux d'atteindre le pont qui joignait les deux continents.

L'OMBRE DE DARIUS.

Enfin a-t-il regagné l'Asie ? est-on sûr qu'il ait la vie sauve ?

ATOSSA.

Oui, la nouvelle est certaine, et aucun doute n'est possible sur ce point.

  Δαρεῖος

Φεῦ, ταχεῖά γ' ἦλθε χρησμῶν πρᾶξις, ἐς δὲ παῖδ' ἐμὸν
Ζεὺς ἀπέσκηψεν τελευτὴν θεσφάτων· ἐγὼ δέ που 740
διὰ μακροῦ χρόνου τάδ' ηὔχουν ἐκτελευτήσειν θεούς·
ἀλλ' ὅταν σπεύδῃ τις αὐτός, χὠ θεὸς συνάπτεται.
Νῦν κακῶν ἔοικε πηγὴ πᾶσιν ηὑρῆσθαι φίλοις.
Παῖς δ' ἐμὸς τάδ' οὐ κατειδὼς ἤνυσεν νέῳ θράσει·
ὅστις Ἑλλήσποντον ἱρὸν δοῦλον ὣς δεσμώμασιν 745
ἤλπισε σχήσειν ῥέοντα, Βόσπορον ῥόον θεοῦ·
καὶ πόρον μετερρύθμιζε, καὶ πέδαις σφυρηλάτοις
περιβαλὼν πολλὴν κέλευθον ἤνυσεν πολλῷ στρατῷ,
θνητὸς ὢν θεῶν τε πάντων ᾤετ', οὐκ εὐβουλίᾳ,
καὶ Ποσειδῶνος κρατήσειν. Πῶς τάδ' οὐ νόσος φρενῶν 750
εἶχε παῖδ' ἐμόν; δέδοικα μὴ πολὺς πλούτου πόνος
οὑμὸς ἀνθρώποις γένηται τοῦ φθάσαντος ἁρπαγή.

Ἄτοσσα

Ταῦτά τοι κακοῖς ὁμιλῶν ἀνδράσιν διδάσκεται
θούριος Ξέρξης· λέγουσι δ' ὡς σὺ μὲν μέγαν τέκνοις
πλοῦτον ἐκτήσω ξὺν αἰχμῇ, τὸν δ' ἀνανδρίας ὕπο 755
ἔνδον αἰχμάζειν, πατρῷον δ' ὄλβον οὐδὲν αὐξάνειν.
Τοιάδ' ἐξ ἀνδρῶν ὀνείδη πολλάκις κλύων κακῶν
τήνδ' ἐβούλευσεν κέλευθον καὶ στράτευμ' ἐφ' Ἑλλάδα.

Δαρεῖος

Τοιγάρ σφιν ἔργον ἐστὶν ἐξειργασμένον
μέγιστον, ἀείμνηστον, οἷον οὐδέπω760
τόδ' ἄστυ Σούσων ἐξεκείνωσεν πεσόν,
ἐξ οὗτε τιμὴν Ζεὺς ἄναξ τήνδ' ὤπασεν,
ἕν' ἄνδρ' ἁπάσης Ἀσίδος μηλοτρόφου
ταγεῖν, ἔχοντα σκῆπτρον εὐθυντήριον.
Μῆδος γὰρ ἦν ὁ πρῶτος ἡγεμὼν στρατοῦ· 765
ἄλλος δ' ἐκείνου παῖς τόδ' ἔργον ἤνυσεν·
φρένες γὰρ αὐτοῦ θυμὸν ᾠακοστρόφουν.
Τρίτος δ' ἀπ' αὐτοῦ Κῦρος, εὐδαίμων ἀνήρ,
ἄρξας ἔθηκε πᾶσιν εἰρήνην φίλοις·
Λυδῶν δὲ λαὸν καὶ Φρυγῶν ἐκτήσατο, 770
Ἰωνίαν τε πᾶσαν ἤλασεν βίᾳ.
Θεὸς γὰρ οὐκ ἤχθηρεν, ὡς εὔφρων ἔφυ.
Κύρου δὲ παῖς τέταρτος ηὔθυνε στρατόν.
Πέμπτος δὲ Μάρδος ἦρξεν, αἰσχύνη πάτρᾳ
θρόνοισί τ' ἀρχαίοισι· τὸν δὲ σὺν δόλῳ 775
Ἀρταφρένης ἔκτεινεν ἐσθλὸς ἐν δόμοις,
ξὺν ἀνδράσιν φίλοισιν, οἷς τόδ' ἦν χρέος.
Ἕκτος δὲ Μάραφις, ἕβδομος δ' Ἀρταφρένης.
Κἀγὼ πάλου τ' ἔκυρσα τοῦπερ ἤθελον,
κἀπεστράτευσα πολλὰ σὺν πολλῷ στρατῷ· 780
ἀλλ' οὐ κακὸν τοσόνδε προσέβαλον πόλει.
Ξέρξης δ' ἐμὸς παῖς ὢν νέος νέα φρονεῖ,
κοὐ μνημονεύει τὰς ἐμὰς ἐπιστολάς·
εὖ γὰρ σαφῶς τόδ' ἴστ', ἐμοὶ ξυνήλικες,
ἅπαντες ἡμεῖς, οἳ κράτη τάδ' ἔσχομεν, 785
οὐκ ἂν φανεῖμεν πήματ' ἔρξαντες τόσα.

Χορός

Τί οὖν, ἄναξ Δαρεῖε, ποῖ καταστρέφεις
λόγων τελευτήν; πῶς ἂν ἐκ τούτων ἔτι
πράσσοιμεν ὡς ἄριστα Περσικὸς λεώς;

Δαρεῖος

Εἰ μὴ στρατεύοισθ' ἐς τὸν Ἑλλήνων τόπον,790
μηδ' εἰ στράτευμα πλεῖον τὸ Μηδικόν.
Αὐτὴ γὰρ ἡ γῆ ξύμμαχος κείνοις πέλει.

Χορός

Πῶς τοῦτ' ἔλεξας, τίνι τρόπῳ δὲ συμμαχεῖ;

Δαρεῖος

Κτείνουσα λιμῷ τοὺς ὑπερπόλλους ἄγαν.

Χορός

Ἀλλ' εὐσταλῆ τοι λεκτὸν ἀροῦμεν στόλον.795

Δαρεῖος

Ἀλλ' οὐδ' ὁ μείνας νῦν ἐν Ἑλλάδος τόποις
στρατὸς κυρήσει νοστίμου σωτηρίας.

Χορός

Πῶς εἶπας; οὐ γὰρ πᾶν στράτευμα βαρβάρων
περᾷ τὸν Ἕλλης πορθμὸν Εὐρώπης ἄπο;

L'OMBRE DE DARIUS.

Oh ! que l'événement a peu tardé à vérifier les oracles (74)? C'est sur mon fils que Jupiter accomplit les 88 menaces divines. J'espérais que les dieux différeraient longtemps leur vengeance; mais, quand un homme court à sa perte, les dieux l'aident à s'y précipiter. La source des maux, ô mes amis, vient de s'ouvrir sur vous : vous le devez à la jeunesse, à l'imprévoyante audace de mon fils. Essayer d'enchaîner comme une esclave la mer sacrée de Hellé ! d'arrêter le courant du Bosphore, que fait couler la volonté d'un dieu ! changer l'usage des flots, en les captivant par des entraves forgées au marteau (75), et ouvrir à une immense armée un chemin immense! mortel enfin, croire qu'il l'emporterait sur tous les dieux, sur Neptune I quelle folie, quel délire aveuglait mon fils! Ah! je tremble pour les trésors que j'amassai jadis par tant de travaux (76) Ils seront la proie du premier qui les voudra conquérir.

ATOSSA.

Cette démence, l'impétueux Xerxès la doit aux hommes détestables dont il aimait à prendre les leçons. Ses conseillers lui disaient que tu avais acquis par tes armes de grandes richesses à tes enfants ; que lui, sans courage, il bornait ses exploits à végéter dans son palais, et qu'il n'ajoutait rien aux trésors de son père. Sans cesse répétés, les reproches de ces hommes pervers ont porté leurs fruits, et Xerxès a résolu cette expédition contre la Grèce.

L'OMBRE DE DARIUS.

Et voilà l'œuvre de ces flatteurs! Fatal désastre, 89 affront qui ne s'effacera pas ! jamais un tel coup n'avait ainsi dévasté Suse, depuis que le grand Jupiter a voulu, honneur sans égal ! qu'un seul homme, le sceptre des rois en main, commandât à tous les peuples de la féconde Asie. Le premier qui régna sur l'Asie était un Mède (77) ; un autre Mède (78) son fils, acheva l'œuvre de l'empire, car toujours la sagesse fut le pilote de ses desseins. Le troisième roi, son successeur, fut Cyrus, mortel fortuné, qui donna la paix à tous ses sujets. Il acquit la Lydie et la Phrygie ; il subjugua l'Ionie entière, toujours favorisé par les dieux, parce qu'il était plein de raison. Le fils de Cyrus (79) fut le quatrième chef de l'Asie. Après lui régna Mardis (80), l'opprobre de notre patrie et de ce trône antique. Mais le courageux Artaphrénès, à l'aide de ses amis conjurés, surprit Mardis et le tua dans son palais. Le sixième fut Maraphis ; puis le septième, Artaphrénès lui-même (81). Enfin moi aussi j'obtins du sort le titre que j'ambitionnais: je régnai. Souvent j'ai conduit à la guerre d'innombrables armées ; mais jamais, sous mon règne, l'empire n'a subi un tel échec. Xerxès mon fils est jeune; ses pensées sont d'un jeune homme; il ne se 90 rappelle plus mes recommandations. Oui, mes vieux compagnons, il n'est que trop vrai, mes prédécesseurs et moi tous ensemble nous n'avons pas causé une somme de maux comparable au désastre d'aujourd'hui.

LE CHOEUR.

Ô Darius! ô notre maître ! que faut-il faire? Gomment, après cette catastrophe, nous le peuple perse retrouverons-nous des jours heureux ?

L'OMBRE DE DARIUS.

Si vous ne portez jamais la guerre dans le pays des Grecs, votre armée fût-elle encore plus nombreuse que l'armée de Xerxès ; car la terre elle-même combat pour eux.

LE CHOEUR.

Que dis-tu ? combat pour eux, et comment ?

L'OMBRE DE DARIUS.

Elle tue, par la famine, des ennemis dont le nombre serait irrésistible (82).

LE CHOEUR.

Pourtant, si une flotte bien équipée, si une armée d'élite (83) marchait contre eux.

L'OMBRE DE DARIUS.

Non ; pour l'armée même qui est restée en Grèce (84) il n'y aura ni salut ni retour.

LE CHOEUR.

Quoi donc, toute l'armée des Barbares n'a-t-elle pas quitté l'Europe et traversé le détroit de Hellé ?

  Δαρεῖος

Παῦροι γε πολλῶν, εἴ τι πιστεῦσαι θεῶν 800
χρὴ θεσφάτοισιν, ἐς τὰ νῦν πεπραγμένα
βλέψαντα· συμβαίνει γὰρ οὐ τὰ μέν, τὰ δ' οὔ.
Κεἴπερ τάδ' ἐστί, πλῆθος ἔκκριτον στρατοῦ
λείπει κεναῖσιν ἐλπίσιν πεπεισμένος.
Μίμνουσι δ' ἔνθα πεδίον Ἀσωπὸς ῥοαῖς 805
ἄρδει, φίλον πίασμα Βοιωτῶν χθονί·
οὗ σφιν κακῶν ὕψιστ' ἐπαμμένει παθεῖν,
ὕβρεως ἄποινα κἀθέων φρονημάτων·
οἳ γῆν μολόντες Ἑλλάδ' οὐ θεῶν βρέτη
ᾐδοῦντο συλᾶν οὐδὲ πιμπράναι νεώς· 810
βωμοὶ δ' ἄιστοι, δαιμόνων θ' ἱδρύματα
πρόρριζα φύρδην ἐξανέστραπται βάθρων.
Τοιγὰρ κακῶς δράσαντες οὐκ ἐλάσσονα
πάσχουσι, τὰ δὲ μέλλουσι, κοὐδέπω κακῶν
κρηνὶς ἀπέσβηκ' ἀλλ' ἔτ' ἐκπιδύεται. 815
Τόσος γὰρ ἔσται πέλανος αἱματοσφαγὴς
πρὸς γῇ Πλαταιῶν Δωρίδος λόγχης ὕπο·
θῖνες νεκρῶν δὲ καὶ τριτοσπόρῳ γονῇ
ἄφωνα σημανοῦσιν ὄμμασιν βροτῶν
ὡς οὐχ ὑπέρφευ θνητὸν ὄντα χρὴ φρονεῖν. 820
Ὕβρις γὰρ ἐξανθοῦσ' ἐκάρπωσεν στάχυν
ἄτης, ὅθεν πάγκλαυτον ἐξαμᾷ θέρος.
Τοιαῦθ' ὁρῶντες τῶνδε τἀπιτίμια
μέμνησθ' Ἀθηνῶν Ἑλλάδος τε, μηδέ τις
ὑπερφρονήσας τὸν παρόντα δαίμονα 825
ἄλλων ἐρασθεὶς ὄλβον ἐκχέῃ μέγαν.
Ζεύς τοι κολαστὴς τῶν ὑπερκόμπων ἄγαν
φρονημάτων ἔπεστιν, εὔθυνος βαρύς.
Πρὸς ταῦτ' ἐκεῖνον, σωφρονεῖν κεχρημένον,
πινύσκετ' εὐλόγοισι νουθετήμασιν, 830
λῆξαι θεοβλαβοῦνθ' ὑπερκόμπῳ θράσει.
Σὺ δ', ὦ γεραιὰ μῆτερ ἡ Ξέρξου φίλη,
ἐλθοῦσ' ἐς οἴκους κόσμον ὅστις εὐπρεπὴς
λαβοῦσ' ὑπαντίαζε παιδί. Πάντα γὰρ
κακῶν ὑπ' ἄλγους λακίδες ἀμφὶ σώματι 835
στημορραγοῦσι ποικίλων ἐσθημάτων.
Ἀλλ' αὐτὸν εὐφρόνως σὺ πράυνον λόγοις·
μόνης γάρ, οἶδα, σοῦ κλύων ἀνέξεται.
Ἐγὼ δ' ἄπειμι γῆς ὑπὸ ζόφον κάτω.
Ὑμεῖς δέ, πρέσβεις, χαίρετ', ἐν κακοῖς ὅμως 840
ψυχῇ διδόντες ἡδονὴν καθ' ἡμέραν,
ὡς τοῖς θανοῦσι πλοῦτος οὐδὲν ὠφελεῖ.

91 L'OMBRE DE DARIUS.

De tant de soldats, un petit nombre seulement doit échapper à la mort, s'il en faut croire les oracles des dieux (85); et les événements d'aujourd'hui ne permettent point le doute, car un oracle ne s'accomplit jamais à demi. Malgré la leçon, mon fils, encore infatué d'une vaine espérance, a laissé dans la Grèce une armée d'élite. Elle campe dans les plaines qu'arrosent les flots de l'Asopus, le fécond nourricier de la terre de Béotie. Là, les Perses sont réservés aux dernières infortunes, digne prix de leur insolence et de leurs sacrilèges desseins. Ils n'ont pas craint, dans cette Grèce envahie, de dépouiller les images des dieux, d'incendier les temples. Les autels sont détruits; les statues ont été arrachées de leurs socles et brisées en morceaux. Déjà ces crimes ont reçu leur salaire; mais tout n'est pas fini : l'abîme du malheur n'est pas desséché jusqu'au fond, non, certes; la source jaillit encore. Des flots de sang couleront sous la lance dorienne et se figeront dans les champs de Platée. Des amas de cadavres, jusqu'à la troisième génération, parleront, dans leur muet langage, aux yeux des hommes : « Mortels, il ne faut pas que vos pensées s'élèvent au-dessus de la condition mortelle. Laissez germer l'insolence, ce qui pousse, c'est l'épi du crime; on moissonne une moisson de douleurs. »  — Vous voyez, amis, le châtiment de la Perse : souvenez-vous donc d'Athènes et de la Grèce. Que nul, désormais, ne méprise sa fortune présente, et n'aille, par sa convoitise môme, ruiner sa propre opulence. Jupiter, l'inflexible vengeur, ne laisse jamais impunis les desseins d'un orgueil effréné. Vous donc, qui possédez la sagesse (86), vous dont les avis 92 peuvent rappeler mon fils à la raison, inspirez à Xerxès le respect des dieux; qu'il cesse de les braver par sa présomptueuse audace. — Et toi, vénérable et tendre mère de Xerxès, retourne au palais; choisis pour ton fils les splendides vêtements qui lui conviennent, et va au-devant de ses pas; car tous ces habits magnifiques qui couvraient son corps, dans l'excès de sa douleur il les a déchirés en lambeaux. C'est à toi, par tes discours, d'adoucir sa peine ; seules tes consolations, je le sais, peuvent lui faire supporter son infortune (87). Pour moi, je retourne au fond des ténèbres souterraines. Adieu, vieillards, adieu ; quelques maux qui vous accablent, livrez chaque jour votre âme à la joie : la richesse ne sert de rien aux morts (88).

 Χορός

Ἦ πολλὰ καὶ παρόντα καὶ μέλλοντ' ἔτι
ἤλγησ' ἀκούσας βαρβάροισι πήματα.

Ἄτοσσα

Ὦ δαῖμον, ὥς με πόλλ' ἐσέρχεται κακὰ845
ἄλγη, μάλιστα δ' ἥδε συμφορὰ δάκνει,
ἀτιμίαν γε παιδὸς ἀμφὶ σώματι
ἐσθημάτων κλύουσαν, ἥ νιν ἀμπέχει.
Ἀλλ' εἶμι, καὶ λαβοῦσα κόσμον ἐκ δόμων
ὑπαντιάζειν παιδί μου πειράσομαι. 850
Οὐ γὰρ τὰ φίλτατ' ἐν κακοῖς προδώσομεν.

Χορός

Ὦ πόποι ἦ μεγάλας ἀγαθᾶς τε πο-
λισσονόμου βιοτᾶς ἐπεκύρσαμεν,
εὖθ' ὁ γηραιὸς
πανταρκὴς ἀκάκας 855
ἄμαχος βασιλεὺς
ἰσόθεος Δαρεῖος ἆρχε χώρας.

Πρῶτα μὲν εὐδοκίμους στρατιὰς ἀπε-
φαινόμεθ', ἠδὲ νομίσματα πύργινα
πάντ' ἐπηύθυνε, 860
νόστοι δ' ἐκ πολέμων
ἀπόνους ἀπαθεῖς
<ἀνέρας> εὖ πράσσοντας ἆγον οἴκους.

Ὅσσας δ' εἷλε πόλεις πόρον
οὐ διαβὰς Ἅλυος ποταμοῖο, 865
οὐδ' ἀφ' ἑστίας συθείς,
οἷαι Στρυμονίου πελά-
γους Ἀχελωίδες εἰσὶ πάροικοι
Θρῃκίων ἐπαύλων,  870

λίμνας τ' ἔκτοθεν αἳ κατὰ
χέρσον ἐληλαμέναι πέρι πύργον
τοῦδ' ἄνακτος ἄιον,
Ἕλλας τ' ἀμφὶ πόρον πλατὺν 875
εὐχόμεναι, μυχία τε Προποντίς,
καὶ στόμωμα Πόντου·

νᾶσοί θ' αἳ κατὰ πρῶν'
ἅλιον περίκλυστοι 880
τᾷδε γᾷ προσήμεναι
οἵα Λέσβος ἐλαι-
όφυτός τε Σάμος, Χίος
ἠδὲ Πάρος, Νάξος, Μύκο-
νος, Τήνῳ τε συνάπτουσ' 885
Ἀνδρος ἀγχιγείτων,

καὶ τὰς ἀγχιάλους
ἐκράτυνε μεσάκτους,
Λῆμνον, Ἰκάρου θ' ἕδος, 890
καὶ Ῥόδον ἠδὲ Κνίδον
Κυπρίας τε πόλεις, Πάφον,
ἠδὲ Σόλους, Σαλαμῖνά τε,
τᾶς νῦν ματρόπολις τῶνδ' 895
αἰτία στεναγμῶν.

Καὶ τὰς εὐκτεάνους κατὰ
κλῆρον Ἰαόνιον πολυάνδρους
Ἑλλάνων ἐκράτει σφετέραις φρεσίν. 900
Ἀκάματον δὲ παρῆν σθένος
ἀνδρῶν τευχηστήρων
παμμίκτων τ' ἐπικούρων.
Νῦν δ' οὐκ ἀμφιλόγως
θεότρεπτα τάδ' αὖ 905
φέρομεν πολέμοισι
δμαθέντες μεγάλως
πλαγαῖσι ποντίαισιν.

LE CHOEUR.

Ces malheurs qui accablent les Barbares, ces autres malheurs qui doivent encore nous frapper, remplissent mon âme de douleur.

ATOSSA.

Ô Fortune ! que j'endure de souffrances! Surtout une humiliation est sensible à mon cœur : mon fils le corps couvert de vêtements en lambeaux ! Je cours au palais ; je veux réparer le désordre de mon fils : tâchons de 93 prévenir son arrivée. N'abandonnons point, au jour du malheur, un objet si cher.

LE CHOEUR.

Ô dieux ! que notre empire (89) fut puissant et heureux, alors que le monarque auguste, suffisant à tout, irréprochable, invincible, semblable aux dieux; alors que Darius commandait!

La gloire de nos armées brillait d'un vif éclat ; la justice et les lois réglaient nos conquêtes. Après le combat, invaincus, triomphants, un retour heureux nous ramenait dans nos foyers.

Combien il a pris de villes, sans traverser même le fleuve Halys (90), sans sortir de son palais! Ainsi succombèrent les villes maritimes (91) de la Thrace, le long des bords du golfe Strymonien.

Ainsi succombèrent celles qui, loin de la mer, dressaient leurs tours sur le continent. Tout se soumit aux lois de Darius, et les cités des deux bords du détroit de Hellé, et les côtes sinueuses de la Propontide, et la bouche du Pont (92).

De même encore les îles voisines du prolongement de l'Asie au sein des mers (93) : Lesbos, Samos fertile en oliviers, Chios, Paros, Naxos„ Mycone, et les deux îles enchaînées l'une à l'autre, Ténos et Andros.

De même encore ces îles plus avancées dans les mers, Lemnos et la terre d'Icare, Rhodes et Cnide, enfin les 94 cités de l'île de Cypre : Paphos, et Soli  (94), et cette Salamine (95) dont la métropole aujourd'hui fait couler nos pleurs.

Les villes opulentes et populeuses des Grecs d'Ionie furent domptées par la prudence de Darius. Des soldats bien équipés, des auxiliaires qu'avaient fournis toutes les nations du monde, formaient une armée invincible. Les dieux ont tout changé. C'est par leur volonté, sans nul doute, que nous avons essuyé cette terrible défaite, vaincus dans la bataille livrée sur les mers.

   Ξέρξης

Ἰώ,
δύστηνος ἐγὼ στυγερᾶς μοίρας
τῆσδε κυρήσας ἀτεκμαρτοτάτης, 910
ὡς ὠμοφρόνως δαίμων ἐνέβη
Περσῶν γενεᾷ· τί πάθω τλήμων;
λέλυται γὰρ ἐμοὶ γυίων ῥώμη
τήνδ' ἡλικίαν ἐσιδόντ' ἀστῶν.
Εἴθ' ὄφελεν, Ζεῦ, κἀμὲ μετ' ἀνδρῶν 915
τῶν οἰχομένων
θανάτου κατὰ μοῖρα καλύψαι.

Χορός

Ὀτοτοῖ, βασιλεῦ, στρατιᾶς ἀγαθῆς
καὶ περσονόμου τιμῆς μεγάλης,
κόσμου τ' ἀνδρῶν, 920
οὓς νῦν δαίμων ἐπέκειρεν.
Γᾶ δ' αἰάζει τὰν ἐγγαίαν
ἥβαν Ξέρξᾳ κταμέναν Ἅιδου
σάκτορι Περσᾶν. ᾉδοβάται γὰρ
πολλοὶ φῶτες, χώρας ἄνθος, 925
τοξοδάμαντες, πάνυ ταρφύς τις
μυριὰς ἀνδρῶν, ἐξέφθινται.
αἰαῖ αἰαῖ κεδνᾶς ἀλκᾶς.
Ἀσία δὲ χθών, βασιλεῦ γαίας,
αἰνῶς αἰνῶς 930
ἐπὶ γόνυ κέκλιται.

Ξέρξης

Ὅδ' ἐγώ, οἰοῖ, αἰακτὸς
μέλεος γέννᾳ γᾷ τε πατρῴᾳ
κακὸν ἄρ' ἐγενόμαν.

Χορός

Πρόσφθογγόν σοι νόστου τὰν 935
κακοφάτιδα βοάν,
κακομέλετον ἰὰν
Μαριανδυνοῦ θρηνητῆρος
πέμψω πέμψω,
πολύδακρυν ἰαχάν. 940

Ξέρξης

Ἵετ' αἰανῆ καὶ πάνδυρτον
δύσθροον αὐδάν. δαίμων γὰρ ὅδ' αὖ
μετάτροπος ἐπ' ἐμοί.

Χορός

Ἥσω τοι τὰν πάνδυρτον,
σὰ πάθη τε σέβων 945
ἁλίτυπά τε βάρη,
πόλεως γέννας πενθητῆρος·
<κλάγξω> κλάγξω
δὲ γόον ἀρίδακρυν.

Ξέρξης

Ἰάνων γὰρ ἀπηύρα, 950
Ἰάνων ναύφρακτος
Ἄρης ἑτεραλκὴς
νυχίαν πλάκα κερσάμενος
δυσδαίμονά τ' ἀκτάν.

Χορός

Οἰοιοῖ βόα καὶ πάντ' ἐκπεύθου. 955
Ποῦ δὲ φίλων ἄλλος ὄχλος,
ποῦ δέ σοι παραστάται,
οἷος ἦν Φαρανδάκης,
Σούσας, Πελάγων, καὶ Δοτάμας, ἠδ' Ἀ-
γδαβάτας, Ψάμμις, Σουσισκάνης τ' 960
Ἀγβάτανα λιπών;

Ξέρξης

Ὀλοοὺς ἀπέλειπον
Τυρίας ἐκ ναὸς
ἔρροντας ἐπ' ἀκταῖς
Σαλαμινιάσι στυφελοῦ 965
θείνοντας ἐπ' ἀκτᾶς.

Χορός

Οἰοιοῖ, <βόα>· ποῦ σοι Φαρνοῦχος
Ἀριόμαρδός τ' ἀγαθός,
ποῦ δὲ Σευάλκης ἄναξ,
 ἢ Λίλαιος εὐπάτωρ 970
Μέμφις, Θάρυβις, καὶ Μασίστρας,
Ἀρτεμβάρης τ' ἠδ' Ὑσταίχμας;
τάδε σ' ἐπανερόμαν.

Ξέρξης

Ἰὼ ἰώ μοί μοι
τὰς ὠγυγίους κατιδόντες 975
στυγνὰς Ἀθάνας πάντες ἑνὶ πιτύλῳ,
ἐὴ ἐή, τλάμονες ἀσπαίρουσι χέρσῳ.

Χορός

Ἦ καὶ τὸν Περσᾶν αὐτοῦ
τὸν σὸν πιστὸν πάντ' ὀφθαλμὸν
μυρία μυρία πεμπαστὰν 980
Βατανώχου παῖδ' Ἄλπιστον
γαπ ιν τεχτ·
Τοῦ Σησάμα τοῦ Μεγαβάτα,
Πάρθον τε μέγαν τ' Οἰβάρην
ἔλιπες ἔλιπες;
ὢ ὢ <ὢ> δᾴων. 985
Πέρσαις ἀγαυοῖς κακὰ πρόκακα λέγεις.

Ξέρξης

<Ἰὼ ἰὼ> δῆτα
ἴυγγ' ἀγαθῶν ἑτάρων μοι ὑπομιμνήσκεις
<κινεῖς> ἄλαστα στυγνὰ πρόκακα λέγων. 990
βοᾷ βοᾷ <μοι> μελέων ἔντοσθεν ἦτορ.

Χορός

Καὶ μὴν ἄλλους γε ποθοῦμεν,
Μάρδων ἀνδρῶν μυριοταγὸν
Ξάνθιν ἄρειόν τ' Ἀγχάρην,
Δίαιξίν τ' ἠδ' Ἀρσάκην 995
ἱππιάνακτας,
Κηγδαδάταν καὶ Λυθίμναν
Τόλμον τ' αἰχμᾶς ἀκόρεστον.
 

Ἔταφον ἔταφον,
οὐκ ἀμφὶ σκηναῖς 1000
τροχηλάτοισιν ὄπιθεν δ'· ἑπομένους.

Ξέρξης

Βεβᾶσι γὰρ τοίπερ ἀγρέται στρατοῦ.

Χορός

Βεβᾶσιν, οἴ, νώνυμοι.

Ξέρξης

Ἰὴ ἰή, ἰὼ ἰώ.

Χορός

Ἰὼ ἰώ, δαίμονες, 1005
ἔθεθ' ἄελπτον κακὸν
διαπρέπον, οἷον δέδορκεν Ἄτα.

Ξέρξης

Πεπλήγμεθ' οἵᾳ δι' αἰῶνος τύχᾳ·

Χορός

Πεπλήγμεθ'· εὔδηλα γάρ·

Ξέρξης

Νέᾳ νέᾳ δύᾳ δύᾳ. 1010

Χορός

Κύρσαντες οὐκ εὐτυχῶς 1012
Ἰάνων ναυβατᾶν. 1011
δυσπόλεμον δὴ γένος τὸ Περσᾶν. 1013

Ξέρξης

Πῶς δ' οὔ; Στρατὸν μὲν τοσοῦ-
τον τάλας πέπληγμαι. 1015

Χορός

Τί δ' οὔκ; ὄλωλεν μεγάλως τὰ Περσᾶν.

XERXÈS (96).

Hélas ! infortuné que je suis ! quel désastre affreux et imprévu ! Que le sort insulte cruellement à la race des Perses! Malheureux! que devenir? Mes genoux fléchissent sous moi, à l'aspect de ces vieillards. 0 Jupiter! pourquoi n'ai-je pas été, moi aussi, plongé dans la mort, avec ces guerriers qui ne sont plus I

LE CHOEUR.

Je pleure, ô roi, je pleure cette magnifique armée, et la noble gloire de l'empire des Perses, et la bravoure de ces guerriers que vient de moissonner le Destin.

La Perse gémit sur ces jeunes héros qu'elle avait vus naître. Xerxès les a tués, Xerxès en a gorgé les enfers. Que de soldats sont descendus aux enfers (97) la fleur de 95 l'Asie, les archers au coup fatal ; que de milliers de milliers d'hommes ont péri ! Hélas ! hélas ! pleurons cette ; noble armée (98). Quel coup ! quel coup terrible ! la contrée reine, celle qui commandait à l'Asie (99), est abattue sur ses genoux.

XERXÈS.

Et c'est moi que voici, dieux ! dieux ! c'est moi qui l'ai frappée ! moi, misérable objet de pitié, moi le fléau de ma race et du pays de mes pères.

LE CHOEUR.

Ainsi les acclamations dont j'accompagnerai ton retour; ce sont des cris funestes, des chants lugubres, des gémissements lamentables comme l'hymne douloureux . du pleureur mariandynien (100) !

XERXÈS.

Ah ! laissez-les échapper, ces voix lamentables, ces pleurs, ces sanglots ; car voilà que la Fortune a changé et s'est tournée contre moi.

LE CHŒUR.

Oui, je le laisserai échapper, cet hymne douloureux ; je chanterai les malheurs dont-le peuple a été frappé. La 96 Perse pleure ses enfants : ils ont péri sous la main de l'ennemi ; la mer leur a été fatale. Oui, je pousserai des cris, des sanglots; je verserai des larmes! Pour les Ioniens Mars a combattu contre nous : c'est lui qui nous a tout ravi ; c'est lui qui conduisait les vaisseaux ioniens ; c'est lui qui a couvert de nos débris une mer funeste, un rivage malheureux  (101).

XERXÈS.

Hélas ! hélas ! pleure, pousse des cris ; questionne-moi, tu sauras tout.

LE CHOEUR.

Où sont tes amis si nombreux d'autrefois? où sont ceux qui combattaient à tes côtés, oui, Pharandacès, Susas, Pélagon, Datâmes, Agdabatès (102), Psammis, et ce Susicanès (103) qui, pour te suivre, avait quitté Ecbatane?

XERXÈS.

Ils ont péri. Précipités de leur vaisseau tyrien, pous- 97 sés par les vagues vers la plage de Salamine, je les ai laissés sur l'âpre rivage.

LE CHOEUR.

Hélas ! hélas ! Et qu'as-tu fait de Pharnuque et du vaillant Ariomardus ? Où sont et le roi Sévacès et le noble Lilée? Où sont, ah ! réponds-moi, Memphis, Tharybis, Masistrès, Artembarès, Hystechmas ?

XERXÈS.

Grands dieux ! grand dieux ! Sur les bords qui font face à cette antique, à cette odieuse Athènes, abattus d'un seul coup, hélas! hélas! infortunés! ils sont tombés tous expirants.

LE CHOEUR.

Et celui qui était pour toi comme un œil vigilant et fidèle ; celui qui comptait pour toi myriade par myriade les soldats perses (104) Alpiste, le fils de Batanochus, fils de Sisamès fils de Mygabatès, n'est il plus? As-tu laissé Parthus et le grand Œbarès ?

XERXÈS.

Oh ! les ennemis! les ennemis (105)!

LE CHOEUR.

Généreux Perses, vos maux dépassent bien loin tous les maux !

XERXÈS.

Ah ! tu ravives mes douleurs par le souvenir de tant de vaillants amis ! tu me rappelles un malheur immense, affreux, dont la pensée me déchire. Du fond 98 de ma poitrine un cri s'échappe, un cri part de mon cœur.

LE CHOEUR.

Et tant d'autres encore dont le sort nous intéresse : Xanthis, qui commandait à dix mille soldats mardes ; le brave Ancharès, Diexis et Αrsamès,les chefs de la cavalerie? et Gadathès, et Lyothimne, et Tolmas, insatiable de combats?

XERXÈS.

Ils ont été ensevelis ! ils ont été ensevelis (106) ! Non pas portés sur des chars couverts de pavillons ! non pas suivis d'un cortège ! On les a jetés, ces chefs de l'armée, hélas! on les a jetés sans honneurs!

LE CHOEUR.

Grands dieux! grands dieux! hélas! hélas! Infortunés! quel coup vous a frappés ! Malheur imprévu, spectacle digne de la divinité des vengeances !

XERXÈS.

Le Destin nous a frappés! ce sont là les coups du Destin.

LE CHŒUR.

Le Destin nous a frappés, il n'est pas trop vrai. Infortune inouïe! infortune inouïe! nos efforts ont échoué contre les matelots ioniens ; oui, la race des Perses a succombé dans la bataille !

99 XERXÈS.

Quoi ! je vis encore (107), et cette immense armée a péri ! Malheureux !

LE CHOEUR.

Non , non, elle n'a pu périr tout entière, cette puissance des Perses.

Ξέρξης

Ὁρᾷς τὸ λοιπὸν τόδε τᾶς ἐμᾶς στολᾶς;

Χορός

Ὁρῶ ὁρῶ.

Ξέρξης

Τόνδε τ' ὀιστοδέγμονα 1020

Χορός

Τί τόδε λέγεις σεσωσμένον;

Ξέρξης

Θησαυρὸν βελέεσσιν;

Χορός

Βαιά γ' ὡς ἀπὸ πολλῶν.

Ξέρξης

Ἐσπανίσμεθ' ἀρωγῶν.

Χορός

Ἰάνων λαὸς οὐ φυγαίχμας. 1025

Ξέρξης

Ἀγανόρειος· κατεῖ-
δον δὲ πῆμ' ἄελπτον.

Χορός

Τραπέντα ναύφρακτον ἐρεῖς ὅμιλον;

Ξέρξης

Πέπλον δ' ἐπέρρηξ' ἐπὶ συμφορᾷ κακοῦ. 1030

Χορός

Παπαῖ παπαῖ.

Ξέρξης

Καὶ πλέον ἢ παπαῖ μὲν οὖν.

Χορός

Δίδυμα γάρ ἐστι καὶ τριπλᾶ

Ξέρξης

Λυπρά, χάρματα δ' ἐχθροῖς.

Χορός

Καὶ σθένος γ' ἐκολούσθη 1035

Ξέρξης

Γυμνός εἰμι προπομπῶν.

Χορός

Φίλων ἄταισι ποντίαισιν·

Ξέρξης

Δίαινε δίαινε πῆμα· πρὸς δόμους δ' ἴθι.

Χορός

Αἰαῖ αἰαῖ, δύα δύα.

Ξέρξης

Βόα νυν ἀντίδουπά μοι. 1040

Χορός

Δόσιν κακὰν κακῶν κακοῖς.

Ξέρξης

Ἴυζε μέλος ὁμοῦ τιθείς.

Χορός

Ὀτοτοτοτοῖ.
βαρεῖά γ' ἅδε συμφορά.
οἲ μάλα καὶ τόδ' ἀλγῶ. 1045

Ξέρξης

Ἔρεσσ' ἔρεσσε καὶ στέναζ' ἐμὴν χάριν.

Χορός

Διαίνομαι γοεδνὸς ὤν.

Ξέρξης

Βόα νυν ἀντίδουπά μοι.

Χορός

Μέλειν πάρεστι, δέσποτα.

Ξέρξης

Ἐπορθίαζέ νυν γόοις. 1050

Χορός

Ὀτοτοτοτοῖ.
μέλαινα δ' ἀμμεμείξεται,
οἴ, στονόεσσα πλαγά.

Ξέρξης

Καὶ στέρν' ἄρασσε κἀπιβόα τὸ Μύσιον.

Χορός

Ἄνι' ἄνια. 1055

Ξέρξης

Καί μοι γενείου πέρθε λευκήρη τρίχα.

Χορός

Ἄπριγδ' ἄπριγδα μάλα γοεδνά.

Ξέρξης

Ἀύτει δ' ὀξύ.

Χορός

Καὶ τάδ' ἔρξω.

Ξέρξης

Πέπλον δ' ἔρεικε κολπίαν ἀκμῇ χερῶν. 1060

Χορός

Ἄνι' ἄνια.

Ξέρξης

Καὶ ψάλλ' ἔθειραν καὶ κατοίκτισαι στρατόν.

Χορός

Ἄπριγδ' ἄπριγδα μάλα γοεδνά.

Ξέρξης

Διαίνου δ' ὄσσε.

Χορός

Τέγγομαί τοι. 1065

Ξέρξης

Βόα νυν ἀντίδουπά μοι.

Χορός

Οἰοῖ οἰοῖ.

Ξέρξης

Αἰακτὸς ἐς δόμους κίε.

Χορός

Ἰὼ ἰώ, Περσὶς αἶα δύσβατος. 1070

Ξέρξης

Ἰωὰ δὴ κατ' ἄστυ.

Χορός

Ἰωὰ δῆτα, ναὶ ναί.

Ξέρξης

Γοᾶσθ' ἁβροβάται.

Χορός

Ἰὼ ἰώ, Περσὶς αἶα δύσβατος.

Ξέρξης

Ἰὴ ἰὴ τρισκάλμοισιν,
ἰὴ ἰή, βάρισιν ὀλόμενοι. 1075

Χορός

Πέμψω τοί σε δυσθρόοις γόοις.

XERXÈS.

Tu vois ce qui me reste de mon appareil militaire (108).

LE CHOEUR.

Je vois, je vois.

XERXÈS.

Ce carquois...

LE CHOEUR.

Tu as sauvé, dis-tu ?...

XERXÈS.

Ce carquois qui renferme mes flèches.

LE CHOEUR.

Triste reste de tant de trésors !

XERXÈS.

Nous avons perdu nos défenseurs.

100 LE CHOEUR.

Le peuple d'Ionie ne fuit donc pas dans le combat (109) ?

XERXÈS.

Un peuple de braves ! Je ne m'attendais pas à ce désastre.

LE CHOEUR.

Ainsi notre flotte a fui en déroute? ,

XERXÈS.

A ce malheur qui nous frappait, j'ai déchiré mes vêtements.

LE CHOEUR.

Hélas! hélas! hélas! hélas!

XERXÈS.

Hélas? — lamentation trop faible encore (110)!

LE CHOEUR.

Oui, car nos malheurs dépassent tous les malheurs.

XERXÈS.

Malheurs à jamais déplorables ! malheurs qui font la joie de nos ennemis !

LE CHOEUR.

La vigueur de la Perse est énervée.

XERXÈS.

Je reviens sans suite, sans escorte.

LE CHOEUR.

Tes amis ont péri dans lés mers.

XERXÈS.

Pleure, pleure ma souffrance ! rentre à ton foyer.

LE CHOEUR.

Grands dieux ! grands dieux ! infortune ! infortune !

101 XERXÈS.

Réponds à mes cris par tes cris.

LE CHOEUR.

Pour des misérables, triste consolation de leur misère (111) !

XERXÈS.

A mon chant lugubre joins tes funèbres accents.

LE CHOEUR.

Hélas! hélas! hélas!

XERXÈS.

Accablant revers !

LE CHOEUR.

Revers qui brise mon cœur.

XERXÈS.

Frappe, frappe ton sein ; gémis sur ma souffrance.

LE CHOEUR.

Je pleure, je sanglote.

XERXÈS.

Réponds à mes cris par tes cris.

LE CHŒUR.

J'obéis, tu le vois, ô mon maître!

XERXÈS.

Fais éclater tes sanglots.

LE CHŒUR.

Hélas! hélas! hélas! Oui, je veux gémir encore, je veux meurtrir encore mon sein.

XERXÈS.

Frapppe ta poitrine ; chante l'hymne mysien (112).

LE CHŒUR.

Ο douleur ! ô douleur !

102 XERXÈS.

Dévaste, dévaste cette barbe blanche et touffue.

LE CHOEUR.

A pleine main, à pleine main (113)! — Ô lamentable, lamentable revers !

XERXES.

Pousse des cris aigus.

LE CHOEUR.

Je t'obéis encore.

XERXÈS.

Déchire d'une main violente les vêtements qui t'enveloppent de leurs plis.

LE CHOEUR.

Ô douleur ! ô douleur I

XERXÈS.

Arrache tes cheveux en gémissant, car notre armée n'est plus.

LE CHOEUR.

A pleine main, à pleine main ! — Ô lamentable, lamentable revers !

XERXÈS.

Baigne tes yeux de larmes.

LE CHOEUR.

Mes larmes ruissellent.

XERXÈS.

Réponds à mes cris par tes cris.

LE CHOEUR.

Hélas! hélas! hélas !

XERXÈS.

Retourne en gémissant à ton foyer.

LE CHOEUR.

O Perse! Perse! pousse un cri de douleur (114).

XERXÈS.

Oui, que le cri de douleur remplisse la ville !

LE CHŒUR.

Poussons des sanglots ! des sanglots, des sanglots encore !

XERXÈS.

Avancez lentement ; poussez vos cris de douleur.

LE CHŒUR.

. O Perse ! Perse ! pousse un cri de douleur.

XERXÈS.

Hélas! hélas! notre flotte, hélas! hélas! nos vaisseaux ont péri.

LE CHŒUR.

Je t'accompagnerai avec de tristes lamentations !

 

NOTES

 

(01) Le texte dit τάδε, littéralement : ces choses-ci, ce que voici. Rien n'est plus fréquent, chez les poètes dramatiques, que l'emploi de ὅδε,
ἀνήρ ὅδε, celui-ci, cet homme-ci, au lieu de έγώ, moi. Le neutre est infiniment plus rare; mais pourtant cet exemple n'est pas unique.

(02)  Κατὰ πρεσβείαν. Scholies ; κατὰ τιμὴν αἱρεθέντες.

(03) Je lis, avec Heimsœth, κενεόν an lieu de νέον. Meinecke et Weil écrivent ἐνεόν, même sens.

(04)  Suse était la capitale de l'empire des Perses.

(5) Ecbatane était la capitale de la Médie.

(6)  Ville de la Susiane, que d'autres auteurs confondent avec Suse elle-même. C'était probablement un faubourg de la capitale.

(7) Dans l'énumération qui suit, Eschyle est loin de s'accorder avec Hérodote. Il omet les noms de beaucoup de peuples et de chefs cités par l'historien; en revanche, il nomme plusieurs personnages inconnus d'ailleurs, et qui, suivant le scholiaste lui-même, n'ont jamais existé que dans sa tragédie.

(8)  L'Egypte, depuis la conquête de Cambyse, était une province de l'empire des Perses.

(9) Sardes était la capitale de la Lydie.

(10) Montagne de la Lydie, où le Pactole prend sa source.

(11) Les Mysiens, suivant Hérodote, se servaient de javelots qui n'étaient que des bâtons pointus, dont le bout avait été durci au feu. La Mysie était dans l'Asie Mineure, au nord de la Lydie.

(12) L'Hellespont, aujourd'hui canal des Dardanelles, qui unit la mer Égée à la Propontide et sépare l'Europe de l'Asie. C'est là que s'était noyée, suivant la fable, Hellé, fille d'Athamas, roi de Thèbes, en voulant fuir avec son frère la tyrannie de leur belle-mère Ino.

(13) Le pont de bateaux sur lequel Xerxès fit passer l'Hellespont à son armée est trop connu pour qu'il soit besoin d'en parler ici.

(14)  Le texte dit χρυσόγονου γενεᾶς. Les rois de Perse faisaient remonter leur dynastie jusqu'à Persée, fils de Danaé et de la pluie d'or.

(15) Je lis, avec Hermann, Dindorf et Weil, εἰς ἄρκυας Ἄτα, au lieu de εἰς ἀρκύστατα.

(16) Quelques modernes pensent que ces réflexions sur la Fortune (vers 93-100) devraient être transportées plus loin', après ce qui est dit de l'ardeur téméraire des Perses (vers 101-113). Au lieu d'être une épode, ce serait une strophe et une antistrophe de quatre vers chacune. Weil adopte cette disposition.

(17) Eschyle dit πόντιον ἄλσος. Or, ἄλσος est un bois, ou tout au moins une broussaille, un fourré. C'est un exemple entre mille des hardiesses intraduisibles dont fourmille son style. Du reste, en entendant, comme Schütz, ἄλσος dans le sens de pré, on ôte à l'expression ce qu'elle a d'étrange, et elle a son analogue dans toutes les langues. Eschyle, dans un autre passage, Suppliantes, vers 868, se sert du mot ἄλσος comme ici : ἁλίρρυτον ἄλσος.

(18) Ceci s'applique aux provinces du littoral, et non à la Perse proprement dite.

(19) Persée. J'ai tâché de conserver dans la traduction de cette phrase l'idée de parenté qui est évidemment contenue dans les mots τὸ πατρωνύμιον γένος ἁμέτερον, et que le scholiaste a si bien marquée dans sa seconde explication : ὁ ἐκ προγόνων ἰθαλενής. Wellauer s'en réfère au scholiaste sur le sens de ce passage, et il a raison. Ahrens, sans corriger le texte comme l'avaient fait d'autres éditeurs, l'entend autrement que le scholiaste. Après avoir traduit littéralement, « nostrum a patribus nominatum genus, » ce qui est un peu moins clair que le grec, il ajoute, pour glose : id est, unus noster dominas prœter quem nemo a patribus hunc honorem accepit ; nobilissimus igitur. J'ai admiré comment des mots nostrum, etc., Ahrens tirait tout cela, mais sans éprouver le désir de corriger ma version.

(20) Atossa, à l'époque de l'expédition de Xerxès, devait être fort âgée, et méritait certainement l'épithète de γεραιά, que les vieillards ajoutent à son titre de mère de Xerxès. Fille de Cyrus, elle avait été successivement l'épouse de son frère Cambyse, du mage Smer-dis, et enfin de Darius, duquel elle eut deux fils, Xerxès et Artabazanès.

(21) Je lis, avec Weil, δαίμων au lieu de πλοῦτος. Atossa répète le mot dont s'est servi le chœur dans l'expression de ses craintes.

(22) Je lis, avec Hartung et Heimsœth, μένειν au lieu de σέβειν.

(23)   Je lis ὀφθαλμῷ au lieu de ὀφθαλμοῖς, correction de Heimsceth adoptée par Weil.

(24) Il est remarquable que, malgré íes. haines nationales et malgré l'opposition en apparence radicale des noms de Grec et de Barbare, ridée d'une commune origine ait néanmoins persisté, et qu'Eschyle ait si nettement exprimé, dans sa fiction poétique, ce que la comparaison de la langue de Zoroastre avec celle d'Homère a mis récemment à l'abri de toute contestation.

(25) On peut voir par ce trait et quelques autres du même genre combien Eschyle tenait peu à ce que nous appelons aujourd'hui la couleur locale. Il met dans la bouche des Perses eux-mêmes le nom que les Grecs donnaient aux étrangers.

(26) Le soleil, sous le nom de Mithra, était le principal dieu des Perses. On sait que les Parsis, leurs-descendants, adorent encore le feu. Du reste, conformément λ la judicieuse remarque de Stanley, je me suis bien gardé de traduire le mot Φοίβῳ du texte par Phébus ou Apollon ; car il s'agissait ici, non point d'un dieu anthropomorphique, mais du soleil de la nature adoré comme un dieu.

(27) Τέκνῳ au lieu de τέκνοις, correction de Heimsœth adoptée par Weil. En effet, ici comme un peu plus bas, il ne s'agit que de Xerxès. Cette correction s'autorise d'un manuscrit, où elle est même accompagnée de la glose τῷ Ξέρξῃ.

(28) Θυμόμαντις ὤv, littéralement. «Je t'ai donné ce conseil, étant devin par mon cœur, par ma prudence, par ma raison.» Hésychius explique ainsi le mot θυμόμαντις, conformément à l'étymologie, et en opposition avec θεόμαντις, devin par l'inspiration divine.

(29) Les mines de Thoricum et de Laurium en Attique.

(30)  On verra plus bas qu'il y avait des archers dans l'armée grecque ; mais ils y étaient en petit nombre, et n'étaient pas des Athéniens. Les Crétois étaient aussi célèbres, comme archers, que les peuples d'Asie, dont l'arc et les flèches étaient presque l'arme unique.

(31) Δᾴαν, (δαίαν) Ἑλλάδα χώραν, vulgo δῖαν.

(32) C'est dans le détroit qui sépare l'Ile de Salamine de l'Âttique, que s'était donnée la bataille navale où Xerxès fut vaincu, et dont le courrier fera plus bas le récit.

(33) Πλαγτοῖς ἐν διπλάκεσσι. Hermann entend διπλάκεσσι des larges vêtements des Perses : « Videtur Aeschylus πλαγκτοὺς δίπλακας; amplas Persarum vestes dicere, quae in mari nantibus mortuis late expansae huc illuc ferebantur. » Ch. Prince propose de lire πλακίδεσσι, au lieu de διπλάκεσσι. De cette façon, le sens donné par le contexte est d'accord avec le mot, et l'on n'est point forcé d'admettre l'image un peu étrange des caftans, car le δίπλαξ d'Homère n'est pas autre chose qu'un caftan.

(34) Je lis,avec Hermann, Weil et d'autres, θεοί devant ἔθεσαν ou θέσαν.

(35) Μάταν. J'avais à tort négligé de traduire ce mot, dont Abresch diminue trop l'importance. Si Xerxès avait été vainqueur, la mort de ses soldats eût eu pour compensation, aux yeux de ses sujets, les glorieux et utiles résultats de la victoire.

(36)  Weil : ἄνανδρον τάξιν ἠμήρου, locum suum vacuum reliquit.

(37) On appelait ainsi une partie de la côte de l'Ile de Salamine.

(38) Ajax, le fils de Télamon, avait été roi de Salamine.

(39) C'est encore Salamine. Suivant Hermann, c'est plutôt un des îlots voisins.

(40) C'est la ville célèbre dans l'Iliade, la patrie de Chrysès et de Chryséis.

(41) J'ai suivi l'interprétation de Schûtz, qui rend χρῶτα par cutis colorem. Ahrens entend ce mot seulement de la couleur que le sang donne à la barbe, si toutefois je comprends bien l'économie de sa phrase: «barbam, colorem purpurea tinctura sanguinis mutans, madefecit. »

(42) Weil ; «Qui versus post 306 (314) legebatur, hic inserui. Illic ἵππου ἡγεμὼν τρισμυρίας post μυριόνταρχος; ferri non poterat. » En effet, le même homme ne. peut pas être à la fois chef de dix mille et chef de trente mille soldats. Avec le texte vulgaire, on est forcé de ne tenir aucun compte du sens propre de μυριόνταρχος, et de traduire par le terme vague de chef ou de général.

(43) Salamine, qui n'est guère qu'un rocher.

(44) Ou Lyrnesse, dans la Troade.

(45)  Plutarque, dans la Vie de Thémistocle, cite les vers relatifs au nombre des vaisseaux de Xerxès, comme le plus sûr témoignage qu'il puisse invoquer, celui d'un témoin oculaire.

(46) Thémistocle, qui avait imaginé ce stratagème, dépêcha à Xerxès un certain Sicinus, qui lui était tout dévoué, et auquel il avait confié l'éducation de ses enfants. Il paraît même que ce Sicinus était né on Perse et n'était devenu soldat grec que par la fortune de la guerre.

(47) Κωκύμασιν. Hermann et Weil lisent, παυχήμασιν : de clameurs triomphantes. Ce serait alors une antithèse entre les cris des vaincus et ceux des vainqueurs, comme aux vers de l'Iliade, iv, 450-451, οὐ οἱμωγή est en regard de εὐχωλή, et ὀλλύντων de ὀλλυμένων.

(48) Αἰσχρῶς; est la leçon des manuscrits. La Vulgate οἰκτῶς n'est qu'une correction de Turnèbe.

(49)  Cette île est Psyttalie, entre l'île de Salamine et le continent.

(50) « Ce dieu, dit le scholiaste, séjourne habituellement dans des lieux déserts. » Or Strabon nous représente Psyttalie comme déserte
et couverte de rochers.

(51) Xerxès s'était posté sur le mont Égialée, situé en face de Sala-mine, et il était assis sur un trône d'argent, qui fut depuis consacré dans le Parthénon par les Grecs vainqueurs.

(52) Ἄφαρ. En réalité, Xerxès ne décampa qu'au bout de plusieurs jours. Eschyle s'exprime en poëte.

(53) Je lis, comme Weil, οἵ, correction de M. Charles Thurot, et, au vers suivant, le masculin de même, au lieu du féminin. Dans la réponse du courrier, il s'agit des hommes, et non des vaisseaux.

(54) C'est un enfoncement de la mer Egée, près des Thermopyles et vis-à-vis l'extrémité de l'Ile d'Eubée.

(55)  Le Sperchius, rivière de la Thessalie méridionale, se jette dans le golfe Maliaque.

(56) Plusieurs contrées portaient ce nom : celle-ci est l'Achaïe Phthiotide, province de la Thessalie.

(57) La Magnésie est aussi une contrée thessatienne.

(58) L'Axius est une rivière de la Macédoine.

(59). Ce lac communiquait avec la mer, près de la ville de Bromiscus.

(60) Le mont Pangée est en Thrace.

(61) L'Édonie, alors province de Thrace, fut annexée depuis à la Macédoine.

(62) Le Strymon est un fleuve de Thrace.

(63)  On peut suivre sur la carte la marche des Perses, et ce n'est plus ici cette géographie presque fantastique que nous avons vue dans le Prométhée. C'est qu'ici Eschyle parlait de la Grèce, de pays  à lui connus, et à travers lesquels lui-même il avait poursuivi les Perses.

(64)  Le prétexte de l'expédition de Xerxès, c'était l'échec essuyé par l'armée des Perses à Marathon. Il est même certain, quoique Eschyle n'en parle pas, que Darius lui-même avait tout préparé pour une expédition nouvelle que la mort l'empêcha d'entreprendre, et que Xerxès ne fit qu'accomplir ce que son père avait projeté.

(65)  Cychrée était un surnom donné à Salamine, en mémoire de Cychréas, un de ses anciens héros.

(66) Ahrens, reprenant une vieille leçon abandonnée, change le mot ἔμπειρος en ἔμπορος, qui signifie marchand. Wellauer a trop bien montré l'absurdité de cette leçon pour que j'aie été tenté de l'admettre. Ahrens, afin de la rendre supportable, a traduit ὅστις ἔμπορος πυρεῖ par quicumque navem dirigit; mais il n'est pas aisé do voir, même en y mettant de la bonne volonté, comment ce latin a pu sortir de ces mots grecs.

(67) Le chœur oublie un instant, dans son patriotisme, la défaite de Marathon.

(68)  Δέσποτα δεσποτᾶν, vulgo δέσποτα δεσπότου. La correction est de Dindorf. Elle a un vrai caractère de certitude, car elle donne, au lieu d'une expression peu intelligible, la formule même de l'étiquette orientale.

(69) Ce passage est un des plus corrompus qu'il y ait dans Eschyle. Le texte vulgaire est inintelligible, et rien ne diffère plus que la manière dont Schütz, Blomfield, Wellauer, etc., proposent de lire cette épode. J'ai admis le δυνατά δυνατά de Blomfield, à la place de δυνατά δυνατά. Pour le reste, j'ai tâché de deviner, dans les mots δίδυμα ou διδύμᾳ, ἁαμαρτία ou ἁμαρτίᾳ, etc., quelque chose de la pensée du poète, sinon sa pensée tout entière. Ahrens, après tant d'autres, a refait ce texte, et en tire le sens suivant, si l'on peut dire que ce qui suit ait un sens : « Qua in re, ο rex, rex, circa tuam, circa hanc tuam totam terram commissa duplicia delicta ad exitum transigas? » Voici le dernier mot de la critique moderne : « Toutes les tentatives de restauration de l'épode 674-681 ont été impuissantes, et le seront vraisemblablement jusqu'à la découverte de nouveaux manuscrits.» Charles Prince, Etudes critiques et exégétiques sur les Perses d'Eschyle, p. 107. Ce livre a paru en 1868.

(70) Τάχυνε, leçon des manuscrits, rétablie par les derniers éditeurs. Les textes ordinaires donnent τάχυνα, je me suis hâté, expression qui ne concorde pas aussi bien avec la suite.

(71) Il n'y a point ici, à coup sûr, d'erreur géographique. Personne en Grèce n'était capable de confondre l'Helelspont avec le Bosphore de Thrace. Eschyle donne poétiquement le nom de Bosphore au détroit de Hellé, comme il eût pu le donner à tout autre détroit. Mais j'ai été surpris que les nouveaux éditeurs du Thésaurus de Henri Estienne n'aient pas relevé cetfe particularité remarquable. Un peu plus loin, Eschyle, vers 745-746, après avoir dit Ἑλλήσποντον, dit Βόσπορον tout aussitôt.

(72) Οὐδέ τις γέρων. Hermann : neque ille imbellis. La correction de Dindorf, οὐ δή au lieu de οὐδέ, est inutile. Une correction plus vraisemblable est celle de πανώλης; en παναλκής, suggérée à Heimsœth par l'explication d'un scholiaste : ὁ ἀνδρεῖος καὶ πολεμικός. Ces mots n'ont aucun rapport avec πανώλης, qu'ils sont censés traduire. On aurait alors une tautologie poétique : peuple de vaillants, et point du tout d'hommes sans vigueur. Mais on ne peut guère approuver Heimsœth changeant οàyδέ τις en εài μή τις. Weil a refait le vers en entier, mais de tête.

(73) J'ai entendu, comme Schûtz, τελευτᾷν dans le sens de finire.  Darius est impatient de savoir où la fuite de Xerxès est venue aboutir. Ahrens traduit ce mot par occidisse (périr) ; mais il est obligé de mettre entre les deux interrogations une alternative qui n'est point dans les termes d'Eschyle, et d'écrire : an est salutis spes ? quœ ? tandis que le texte dit seulement : ἔστι τίς σωτηρία ; quœnam salus est? ou plutôt : ἔστι τις σωτηρία; estne aliqua salus?

(74) Ces oracles, dont il est ici question pour la première fois, nous sont connus par Hérodote. C'étaient des prédictions attribuées à Baccis, à Musée et à d'autres, et qu'avait publiées, en les altérant dit-on, Onomacritus, le compagnon d'Hippias à la cour dé Perse. On y trouva, après l'événement, bien entendu, des traits qui s'appliquaient au pont de Xerxès sur la mer, à l'incendie des temples de la Grèce et à l'invasion de l'Europe par une armée barbare. Comme ces poésies étaient connues de tous en Grèce, Eschyle a pu sans inconvénient se contenter d'une simple allusion, qui n'avait rien d'obscur pour les spectateurs. J'ai dû combattre, pour cette rai-eon, les conséquences exagérées que Welcker et plusieurs autres ont prétendu tirer de la mention de ces oracles, où ils trouvent la preuve que les Perses étaient la seconde pièce d'une véritable trilogie. Voyez l'argument en tête de la pièce.

(75) Πέδαις σφυρήλατοις. Cette expression poétique désigne les ancres de fer qui retenaient en place les navires du pont.

(76)  Πόνος, leçon des manuscrits rétablie par Hermann, au lieu de la vulgate πόρος.

(77)  C'est Darius le Mède, autrement dit Αstyage, aïeul de Cyrus.

(78) Il s'agit de Cyaxare, père de Cyrus.

(79) Cambyse.

(80) Ou Smerdis, ce mage qui se fit passer pour le frère de Cambyse, et qui usurpa la royauté après la mort de celui-ci, l'an 522 avant Jésus-Christ.

(81) Schütz croit interpolée la mention de ces deux rois ; Bothe et Blomfield retranchent le vers, et presque tous les éditeurs le mettent entre crochets. Mais Wellauer pense qu'il faut le maintenir, malgré le silence des historiens sur les deux rois. En effet, Eschyle n'est pas toujours d'accord avec eux dans le cours de la pièce ; et qui sait d'ailleurs si, comme le pense un savant cité par Schülz, Eschyle n'a pas tiré cette indication des sources les plus authentiques de l'histoire de la Perse? Stanley avait déjà expliqué le fait à peu près de même. Darius, selon lui, ne serait parvenu à l'empire qu'après s'être défait de plusieurs de ceux avec qui il avait conspiré contre Smerdis, et qui avaient passé sur le trône avant lui.

(82) Hermann a rétabli la plus ancienne leçon : ὑπερπόλλους ἄγαν, vulgo ὑπερκόλλους ἄγαν.

(83)  . Il n'y a qu'un substantif dans le texte ; mais le mot στόλος signifie à la fois flotte et armée.

(84. Sous les ordres de Mardonius. Elle fut détruite à la bataille de Platée, où combattit encore Eschyle. Ici, comme le remarque Schütz, et dans ce qui va suivre, Darius parle sous une inspiration divine ; car tout à l'heure il ignorait même l'expédition de Xerxès.

(85)  Les oracles auxquels il a été fait allusion plus haut.

(86). La leçon des manuscrits, σωφρονεῖν λεχρημένοι, est expliquée de trois façons dans les scholies. J'ai préféré la plus simple des trois.
Hermann traduit : Quorum interest illum sapere. Plusieurs éditeurs changent le texte. Ceux qui écrivent κεχρημένον ne s'accordent pas sur le sens, les uns le rapportant à Xerxès, les autres en faisant un neutre pris absolument.

(87)  Ahrens traduit:solam enim te, probe scis, audire sustinebit. Il joint ainsi étroitement les deux mots κλύων ἀνέξεται. Mais comme Schütz le dit de la traduction de Stanley, qui ressemblait à celle d'Ahrens, si Darius savait que Xerxès n'écouterait qu'Atossa, il était ridicule à lui de recommander aux vieillards de ramener Xerxès à des sentiments plus modestes. Ici il y a deux rôles: la mère qui consolera, puis les vieillards qui donneront de bons avis.

(88) Weil note ici que le langage prêté par Eschyle à Darius rappelle la. façon dont, les Orientaux, dans leurs épitaphes, aimaient à faire parler les morts. Tout le monde connaît l'épitaphe de Sardanapale.

(89) J'avais d'abord traduit autrement, et, en apparence, plus littéralement, les mots πολισσόνομου βιοτᾶς. Je suis revenu à l'interprétation de Schütz. Il en fait le synonyme de πολιτείας. Je crois, en effet, que les mots d'Eschyle ne signifient que cela. C'est aussi, à peu près, le sens donné par lescholiaste : καλλίστης ὑπαρχούσης πολιτικῆς.

(90)  Fleuve de l'Asie Mineure.

(91) Ἀχελωίδες est une expression poétique; car, comme le dit le scholiaste, Ἀχελῷον πᾶν ὕδωρ λέγουσι: toute comrend le nom d'Achélous.

(92) Cette bouche est le Bosphore de Thrace.

(93) Périphrase poétique, pour dire l'Asie Mineure.

(94)  Ville ainsi nommée de Solon, par les conseils duquel un roi da pays l'avait bâtie.

(95) Ville fondée par le Salaminien Teucer, frère d'Ajax et fils de Télamon.

(96) Xerxès n'entre point en scène dans le misérable accoutrement qu'on suppose. Atossa a dû faire ce que Darius lui avait recommandé. Hermann : «Non enim squalidum et lacerum producere Aeschyleum est. Ideo monuerat Darius Atossam ut filio dignum ornatum ferens obviam iret : quod factum esse extra scenam apparet. Aliter ista de veste Xerxis lacerata inepte dicta essent. »

(97). Je lis ᾁδοβάται avec Wellauer, d'après une conjecture de Passow. J'avais lu d'abord Ἀγβατάνων avec Schütz. Mais la leçon de Wellauer a l'avantage de donner un sens très-énergique, très-juste, et de se rapprocher davantage de l'ἀγδαβάται des manuscrits et des anciennes éditions. Ahrens a retenu ἀγδαβάται, qu'il rend par conferto agmine, sans nul doute d'après l'étymologie présumée ἄγδην, et βαίνω, car personne ne sait réellement ce que peut signifier ἀγδαβάται.

(98)  Hermann a restitué au chœur ces paroles, que l'on met ordinairement dans la bouche de Xerxès ; et tous les éditeurs récents font de même. Les raisons de Hermann sont tirées d'une étude approfondie et de ce qui précède et de ce qui suit ces paroles. Cependant il exagère quand il dit que l'expression ὅδ' ἐγών, qui commence le vrai dialogue de Xerxès avec le chœur, serait inepte si Xerxès avait déjà répondu au chœur. En effet, αἰαῖ αἰαῖ κεδνᾶς ἀλκᾶς, dans la bouche de Xerxès, ne pouvait être considéré que comme une interruption involontaire, et non comme un initium colloquii.

(99) La Perse. Je n'hésite point à admettre l'excellente correction proposée par Weil : Ἀσίας δὲ χθὼν. βασίλεί' γαίας, au lieu de Ἀσία δὲ χθών, βασιλεῦ, γαίας, espèce de logomachie que nous ne pouvions pas même traduire d'une façon exacte.

(100) Les chants de deuil des Mariandyniens, peuple de la Bithynie, sont célèbres dans l'antiquité.

(101) Plusieurs éditeurs mettent ce qui précède dans la bouche de Xerxès, à partir de ces mots : « Pour les Ioniens... » Le sens de la phrase n'a rien qui s'oppose à ce qu'on la lui prête. Quant à attribuer la phrase suivante au chœur, comme font Wellauer et Ahrens, toutes les raisons de métrique imaginables ne sauraient y forcer. Hermann lève, il est vrai, la difficulté en supposant au verbe έκπεύθου une signification passive : sots interrogé, laisse-nous te demander. Mais Ahrens le traduit par sciscitare (questionne), ce qui est absurde dans la bouche du chœur. Heimsœth et Weil ont bien senti que le chœur ne pouvait dire : oἱoῖ βόα καὶ πάντ' ἐκπεύθου. Ils suppriment βόα, comme fausse écriture de βοή, glose de l'exclamation, et ils changent ἐκπεύθου, l'un en ἐκπυθοίμαν, je voudrais apprendre, et l'autre en ἐκπεύθου, tu as détruit» De celte façon, le chœur dirait du moins des choses sensées. Mais il vaut mieux, je crois, s'en tenir à la distribution ordinaire du dialogue.

(102) Ici le mot Ἀγδαβάτας est certainement un nom propre; et l'on n'a pas, comme plus haut pour ἀγδαβάται, à chercher s'il peut se traduire et s'il ne faut pas y substituer autre chose. Weil écrit:Ἀγβάτας.

(103) C'est le même nom, mais non pas le même personnage, que le Susicanès dont il a été question au commencement de la pièce, et qui venait des bords du Nil. Weil écrit Ψαμμισκάνης, par la fusion des deux noms qui se suivent.

(104) Pour faire le dénombrement de l'armée, on avait commencé par compter dix mille hommes, et on avait mesuré exactement le terrain qu'ils occupaient, disposés en bataille. Ce terrain servit ensuite pour compter successivement toutes les autres myriades, chacune d'un seul coup.

(105) Quelques éditeurs attribuent ces paroles au chœur. Ὤ est une exclamation de douleur, et non point le signe du vocatif  ὦ. La plupart des éditeurs la donnent triple, ὤ ὤ ὤ, ou au moins double, comme Wellauer, qui écrit, ὤ ὤ δαίων.

(106) Schütz, d'après Valckenaër, donne ἔταφεν, ἔταφεν, forme éolienne pour ἐτάφησαν. La leçon ἔταφον, ἔταφον elle-même ne peut s'entendre que dans un sens analogue. Ainsi Ahrens, qui la conserve, traduit : sepeliebant, sepeliebant eos, et il blâme avec raison, dans sa Préface, le miror, mïror, par lequel Hermann prétendait rendre ces doux mots. Il est certain qu'une expression d'étonnement serait ici fort singulièrement placée, quand même ou mettrait ces paroles et les suivantes dans la bouche du chœur, comme l'ont fait plusieurs éditeurs récents. Cependant Weil rend cette interprétation plausible en écrivant ἑπόμενους au lieu de ἑπόμενοι. Le chœur alors s'étonnerait de ne point les voir faire cortège à Xerxès monté sur son char. Mais Xerxès est-il sur un char?

(107) J'ai lu · πῶς δ' οὐ... ; avec une réticence. Le sens, si l'on n'admet pas ma supposition, sera : « Comment non ? mon immense armée, etc. » Cela m'a paru plat et battologique. Mais je laisse au lecteur à choisir.

(108) Hermann suppose qu'au moment où Xerxès entre en scène, un des personnages qui l'accompagnaient, un serviteur, un satellite, porte dans ses mains les habits avec lesquels le roi était arrivé près de sa mère. Weil pense que cette idée fausse tenait à une interprétation erronée du mot στολάς, qui signifie ici tout autre chose que costume d'apparat. C'est presque un synonyme de στρατιάς. Weil l'entend même absolument ainsi : « Se ipsum, vel, si mavis, hos paucos comites, superesse dicit de tot millibus quibus stipatus profectus erat. » Hermann n'a point de note explicative sur ce vers ; mais il entendait évidemment que Xerxès montre les vêtements en lambeaux dont l'a dépouillé Atossa. Le contexte semble prouver qu'il s'agit du carquois uniquement.

(109). Ahrens écrit, ainsi que Schütz et avant lui de Pauw, cette phrase sans interrogation. Elle devient alors une simple remarque du chœur; et le mot de Xerxès, ἀγανόριος ou ἀγανόρειος;, qui est évidemment la réponse à une question, se trouve assez singulièrement amené. J'ai suivi l'ancienne ponctuation, conservée du reste par plusieurs éditeurs modernes, entre autres Wellauer.

(110) Littéralement : «C'est plus qu'hélas! qu'il faut dire. »

(111) Le texte est intraduisible, à cause de la triple répétition du même mot : δόσιν κακὰν κακῶν κακοῖς. C'est ici un exemple remarquable de l'amour des Grecs pour les allitérations. On en trouve d'analogues chez tous leurs auteurs, mais surtout chez les poètes dramatiques.

(112) Les Mysiens, comme les Mariandyniens, étaient renommés pour leurs chants lugubres.

(113)  Ahrens traduit l'expression ἄπριγδ' ἄπριγδα par sine fine mata, mala. J'ignore comment il a pu arriver à faire signifier pareille chose à un mot qui n'est évidemment qu'une forme poétique de l'adverbe ἀρπίξ, trop connu pour que j'aie besoin de rappeler en quel sens il s'emploie.

(114) Je lis δυσβαῦύκτος, avec les anciens éditeurs, mot que Wellauer interprète fort bien, pour un autre vers des Perses, en parlant d'un cri. Mais, dans ce passage-ci, Wellauer a préféré δύσβατος, qui est difficile à comprendre, et qu'il traduit, un peu arbitrairement je crois : cum infortunio calcatus. Ahrens, qui a admis δύσβατος, rend ainsi le passage : Heu! heu! tellus Persida calamîtosa ingressu; mais il a négligé d'expliquer ce que ces mots latins voulaient dire.