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QUINTUS DE SMYRNE,

 

POSTHOMERICA

CHANT II.

chant I - chant III

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

GUERRE

DE TROIE,

DEPUIS LA MORT D'HECTOR

JUSQU'A

LA RUINE DE CETTE VILLE,

 

Poème en quatorze Chants,

par

Quintus de Smyrne,

 

faisant suite à l'Iliade,

et traduit pour la première fois

du Grec en Français,

par

R. TOURLET,

Médecin, et Membre de la Société

Académique des Sciences, séante au Louvre.

………..Non ego te meis
Chartus inornatum sil bo,
Tot ve tuos patiar labores
Impune, Quinti, carpere lividas
Obliviones…...……………….

Horat. Carm. Lib. IV. ad Lol. Od. X.

 

TOME PREMIER.

A PARIS,

Chez LESGUILLIEZ, frères, Imprimeurs, rue de la Harpe, N°. 151.

An IX —1800.


 

QUINTUS DE SMYRNE

 

ARGUMENT DU CHANT II.

Les Grecs félicitent Achille de la victoire du jour précédent ; Thymète dans l'assemblée des Troyens, ne sait s'il faut résister à l'ennemi ou s'enfuir de Troie. Priam rassure le peuple, en promettant les secours de Memnon et de l'Ethiopie. Polydamas, pour mettre fin à la guerre, propose de rendre Hélène à Ménélas. Arrivée de Memnon. Les Troyens conduits par Memnon vont à l'ennemi & de leur côté les Grecs ont Achille à leur tête. Horrible carnage que font les deux héros; ils en viennent aux mains et se blessent l'un et l’autre. Deux génies, l'un sinistre, se joint à Memnon; l'autre propice, accompagne Achille qui tue enfin son rival. Déroute des Troyens. Affliction de l'Aurore; les zéphirs, par son ordre, emportent le corps de Memnon; les gouttes du sang de ce guerrier sont recueillies par les immortels qui en forment un fleuve, dont les eaux se rougissent tous les ans au jour de la mort de Memnon. Les Ethiopiens portés sur un nuage, suivent leur roi jusqu'au lieu où les zéphirs le déposent. L'aurore y vient pour le pleurer. Les Ethiopiens inhument leur roi, et sont changés en oiseaux qui combattent tous les ans sur le tombeau de celui qu'ils avaient pour chef avant leur métamorphose. L'Aurore à la persuasion des Heures remonte au Ciel avec les Pléiades qui la devancent.

CHANT II.

Le Soleil de sa brillante lumière, dorait le sommet des montagnes. Les Grecs se livrant sous leurs tentes aux douces impressions de la joie, faisaient hommage de leur victoire à l'invincible fils de Pélée ; mais les Troyens accablés de tristesse, se tenaient renfermés dans la ville, et veillaient avec inquiétude à la garde des tours : à chaque moment ils craignaient d'y être forcés par l'impétueux Achille, d'être immolés à sa fureur, et de voir leurs maisons ravagées par les flammes.

Alors le vieillard Thymète fit entendre ces mots aux peuples consternés :

« Amis, quel bras puissant vous soutiendra désormais dans les combats? Hector n'est plus, Hector l'unique, appui de ses concitoyens, n'a pu se soustraire aux rigueurs du sort; nous l'avons vu tomber sous les coups d'Achille, dont la force est rivale de celle des Dieux; l'héroïne que nous regardions comme une déesse descendue du Ciel, la belliqueuse Penthésilée, l'effroi des autres Grecs, vient d'être la victime de cet implacable ennemi; quelle est donc notre ressource? Nous obstinerons-nous à repousser les assauts des Argiens, où fuirons-nous loin d'une ville qui va devenir leur proie? Pour moi, je cesse de croire que nous puissions jamais triompher de nos rivaux, tant qu'ils seront commandés par le redoutable fils de Pelée ».

« O Thymète, répondit le roi Priam, ô Troyens, et vous fidèles alliés de mon peuple, quoi! la frayeur vous ferait abandonner la ville? Evitez, s'il le faut, de mesurer, dans un combat, vos forces avec celles de l'ennemi, mais du moins défendez les remparts jusqu'à l'arrivée du roi Memnon. Il vient à la tête des noires et immenses peuplades que nourrit l'Ethiopie. Depuis longtemps j'ai envoyé pour implorer son secours, il me l'a promis; et au moment où je parle, il est peu éloigné de nos contrées. Suspendez-donc une résolution que la crainte seule vous inspirerait; eh! quand nous serions privés du secours de ce héros, ne vaudrait-il pas mieux nous dévouer généreusement à la mort, que de traîner sous un autre Ciel les restes d'une vie languissante, que notre fuite couvrirait d'une honte ineffaçable ».

Ainsi parla le fils de Laomédon. Le sage Polydamas, bien loin d'applaudir à ses desseins, essaya de les combattre par ces réflexions :

« Puisque Memnon va faire tous ses efforts pour détourner les malheurs qui nous menacent, je désire qu'on l'attende; mais nous défendra-t-il contre l'armée des Achéens aguerris; et s'il tombe avec ses compagnons, sous les coups du destin, sa mort n'entraînera-t-elle pas notre perte et celle de nos alliés ? Il n'est donc à propos ni de fuir dans des climats étrangers, ni de nous obstiner à défendre nos murailles jusqu'à ce que nos ennemis les aient teintes de notre sang. Je vois un parti plus certain; essayons de satisfaire les Grecs : qu'ils reprennent Hélène avec tous les trésors qu'elle apporta de Lacédémone ; offrons même d'autres richesses à leur avidité. Il ne nous reste que ce moyen de prévenir la ruine entière de nos fortunes et l'embrasement de notre ville. Citoyens, rendez-vous à ma voix, et croyez que nul autre ne vous donnera de meilleurs conseils. Plût aux Dieux qu'Hector eût voulu m'écouter lorsque je m'efforçai de le retenir dans nos murs »!

Les Troyens en secret goûtaient cet avis; mais pénétrés de respect pour leur roi, et craignant de déplaire à Hélène, quoiqu'elle fût la première cause de leurs maux, ils gardèrent un profond silence. Pâris le rompt tout-à-coup, il ose se répandre en injures contre Polydamas : « Homme faible, lui dit-il, toujours agité par la frayeur, que tes discours expriment bien les sentiments d'un lâche! toi qui te vantes de nous guider par de salutaires conseils, tu nous proposes le plus pernicieux de tous. Caché dans tes foyers demeure, je le veux, loin des combats, d'autres me suivront à la victoire, et par des efforts dignes de leur courage, mettront fin à cette guerre désastreuse. C'est par des exploits héroïques que les hommes doivent prétendre à la gloire, et tu n'as que la timidité qui fait le partage des femmes et des enfants. Va, je ne compterai jamais sur toi, tu n'es propre qu'à décourager, nos jeunes guerriers ».

Le fils d'Anténor ne put laisser sans réplique ces paroles outrageantes, il n'appartient qu'au méchant dont l'âme est flétrie, de dissimuler lâchement, ou de flatter en public celui qu'il est prêt à déchirer en secret; mais Polydamas ne craignit pas de faire hautement au fils du roi ces justes reproches : « O toi le plus pervers des mortels, c'est de ta coupable audace qu'est née cette guerre trop malheureuse ; veux-tu donc en prolonger la durée jusqu'à ce que tes concitoyens soient égorgés et ensevelis sous les ruines de Troie? Ah! loin d'imiter ton féroce emportement, je préfère un parti qui nous dérobe, avec nos familles au sort accablant dont nous sommes menacés ».

Ce discours imposa silence à Pâris; il sentit dans quel abîme il avait plongé sa patrie, et quel surcroit de maux il lui préparait encore ; mais brûlant d'un feu que rien ne pouvait éteindre, il aimait mieux renoncer à la vie que d'être séparé de cette Hélène pour qui les sujets de Priam s'exposaient à la vengeance des Grecs et d'Achille.

Enfin Memnon paraissant à la tête de ses nombreux Ethiopiens, rend la confiance aux Troyens abattus. Tel le nautonnier fatigué de lutter contre la tempête, sent renaître son espoir et ses forces, lorsqu'un nuage épais ne dérobe plus à ses regards l'étoile qui doit le guider ; ainsi les Troyens et leur roi semblent de nouveau respirer à la vue de Memnon ; ils croient que des troupes aguerries, commandées par un chef puissant, vont bientôt réduire en cendres toute la flotte ennemie.

Au milieu d’un festin dont les délices furent augmentés par les charmes de la conversation, Priam combla de présents et d’honneurs l’illustre fils de l’Aurore; il lui nomma les Troyens qui s’étaient le plus distingués dans les combats, et fit un récit touchant de ses propres malheurs. Memnon vanta l’auguste origine de ceux qui lui avaient donné le jour: c’était Tithon et la divine Aurore. Il raconta comment celle-ci avait accordé à son époux une vie qui devait s’étendre à tous les siècles; il parla de l’immensité des plaines liquides où règne Thétis, des extrémités du monde et des lieux où le Soleil sort du sein d’Amphytrite. Il décrivit tous les pays qui se trouvent depuis l’Océan jusqu’à Troie, il n’oublia aucune des nations qui habitaient ces contrées; il dit comment il avait taillé en pièces la formidable armée des Solymiens, qui s’étaient opposés à son passage.

Le vieillard l’écoutait avec tous les signes d’une âme satisfaite, et pour exciter d’avantage sa valeur guerrière: « Jeune prince, lui dit-il, en le flattant de la main, puisque les Dieux ont conduit votre armée dans l’enceinte de nos murs, puisqu’ils veulent que je vous reçoive aujourd’hui dans mon palais: puissent les Grecs immolés par votre bras payer de leur sang les maux qu’ils nous ont faits! goûtez maintenant les doux présents de Bacchus, demain les armes vous ouvriront la carrière de la gloire, et la mort sur vos pas moissonnera les ennemis de mon peuple. Parmi les héros de la terre, il n’en est point de pins semblables que vous aux immortels ».

A ces mots, il salue son hôte et lui présente une large coupe d’or massif. Vulcain l'avait offerte au souverain des Dieux, lorsqu'il épousa la beauté divine que l'heureuse Chypre vit naître sur ses bords. Jupiter en enrichit Dardanus sorti de son sang, qui l'a fit passer à son fils Ericthon. Tros, issu de ce dernier, l'a transmis avec tous ses trésors à son fils Ilus ; enfin Laomédon l'hérita de ce roi, son père, et Priam qui l'avait reçue de Laomédon, la destinait à Paris, si les Dieux n'en eussent autrement ordonné.

Memnon prend en main ce vase précieux, et content d'en admirer la beauté : « Ce n'est point, dit-il, au milieu d'un repas qu'il convient de vanter son courage et de promettre de grands exploits. Bornons-nous à la jouissance tranquille des plaisirs du moment, demain vous jugerez de ma bravoure. C'est dans les champs de Mars que le guerrier doit montrer ce qu'il vaut; le calme présent et les ombres nous invitent au sommeil; que cette nuit ne soit point marquée par nos excès. Aux approches d'un combat, tout chef prudent doit s'interdire et les veilles et le vin ».

Priam, charmé de la sagesse du jeune héros, lui répond en ces termes : « Fixez à votre gré la durée du repas, je ne dois point contrarier vos désirs : la même loi qui défend de retenir à table un convive malgré lui, ne veut pas qu'on le presse de s'en éloigner lorsqu'il y demeure ». Aussitôt Memnon sort de la salle du festin, et suivi des autres guerriers, il va goûter pour la dernière fois les douceurs du sommeil.

Cependant les immortels rassemblés dans le palais du maître de la foudre, savouraient le nectar et l'ambroisie. Le père des Dieux, à qui tout est présent, traçait d'avance les horreurs du combat: « Sachez, leur dit-il, que demain la mort de ses mains cruelles abattra des milliers de Grecs et de Troyens ; vous verrez les soldats massacrés, étendus avec les chevaux, sur la poussière, et les chars renversés sur les mourants. Pendant cet affreux carnage, qu'aucun de vous ne vienne embrasser mes genoux; qu'aucun ne me sollicite en faveur des héros qui doivent périr dans la mêlée; les destins sont immuables, il n'est pas en mon pouvoir de les fléchir ».

L'événement n'était point ignoré des Dieux; mais par ces paroles, Jupiter leur défendait de prendre part à l'action, ou de venir aux pieds de son trône implorer inutilement sa puissance en faveur d'un fils chéri ou d'un guerrier protégé. A cet arrêt du souverain de l'Olympe, les Dieux saisis de respect restent dans un morne silence, et se retirent dans leurs demeures où le doux sommeil ferme leurs paupières.

Déjà l'aube a blanchi l'Orient, et la première clarté du jour qui rappelle au travail le diligent moissonneur, a frappé la cime des montagnes. Le fils de l'Aurore quitte la couche où Morphée vient de lui prodiguer ses pavots. Tout bouillant d'ardeur il voudrait hâter le moment du combat; mais l'Aurore ne remonte qu'à regret sur son trône dans les voûtes Ethérées.

Les Troyens se hâtent de se revêtir de leurs armes. On voit avec les Ethiopiens divers peuples alliés qui ont uni leurs forces à celle du fils de Laomédon. Tous se rassemblent devant les murs de la ville. Tels des nuages épais se pressent et s'accumulent dans les espaces de l'air, lorsque le fils de Saturne appelle les noires tempêtes : telles encore se répandent comme la grêle ou la pluie, ces nuées de sauterelles qui portent la désolation dans les campagnes; ainsi les troupes nombreuses de Priam couvrent les champs Phrygiens, la terre retentit sous leurs pieds agités, et d'épais tourbillons de poussière s'élèvent jusqu'aux cieux.

Les Grecs surpris de voir l'ennemi prêt à les attaquer, courent aux armes ; mais toute leur confiance était dans l'invincible fils de Pélée. Assis sur son char et pressant ses coursiers agiles, il s'avance au milieu des siens avec la fierté de ces Titans, qui jadis ébranlèrent le trône même de Jupiter. L'éclat de son armure éblouit tous les yeux. Tel sorti des extrémités de l'Océan, Phébus enflamme les airs, embellit le séjour des humains, et donne à la nature entière une face riante et nouvelle : tel l'illustre fils de Pélée se montre à la tête des Grecs animés par sa présence. Au milieu des Troyens, Memnon ne semble pas moins formidable que le dieu Mars lorsqu'il veut assouvir sa rage sanguinaire. Autour de ce chef intrépide se rangent tous les peuples disposés à marcher sur ses pas.

Déjà s'ébranlent les phalanges serrées des deux partis. On distingue surtout les noirs Ethiopiens. Le choc commence avec un bruit épouvantable; on croit entendre les mugissements de la mer en courroux, lorsque des vents orageux et contraires soulèvent de toutes parts les flots irrités ; le fer étincelant, rencontre partout des victimes. Le tumulte et les cris de la douleur, portent dans tous les rangs le désordre et l'effroi.

Comme les éclats de la foudre, mêlés au bruit des torrents grossis par la pluie, semblent ébranler et la terre et les cieux ; ainsi résonnent les vastes plaines sous les pas des guerriers, en même temps que l'air est frappé de leurs cris. Achille renverse Thalius et Menthès, également distingués par leur valeur ; il précipite mille autres avec eux, dans le noir séjour des ombres, aussi subitement qu'un vent impétueux (01) renfermé dans le sein de la terre, la soulève tout-à-coup, et engloutit tout ce qui couvre sa surface.

D'un autre côté Memnon semblable à ces fléaux destructeurs qui menacent la vie des infortunés mortels, se jette sur les Grecs, et laisse parmi eux des traces sanglantes de sa fureur. Il blesse d'un javelot dans la poitrine, le vaillant Phéron, et perce d'un autre le brave Ereuthus. Ces deux guerriers conduits par Nestor, étaient venus de Thrium, leur patrie, sur les bords de l'Alphée.

Il tourne aussitôt ses armes contre Nestor lui-même. Pour arrêter la colère du vainqueur, Antiloque (02) dirige contre lui sa longue pique; mais le coup esquivé par Memnon, terrasse à côté de lui Pyrraside, l'un de ses plus fidèles Ethiopiens ; irrité de cette perte, et non moins impétueux que le lion qui attaque un sanglier exercé à se défendre contre les chasseurs ou contre les hôtes féroces des bois, le fils de l'aurore se jette sur Antiloque. Celui-ci le voyant approcher, lance contre lui une pierre énorme, que l'épaisseur du casque de son ennemi rend inutile. Memnon frappé n'en devient que plus furieux ; il se jette une seconde fois sur Antiloque, et lui perce le sein d'un dard aigu, qui pénètre jusqu'au cœur, où les plus légères atteintes sont toujours suivies d'une prompte mort.

La chute d'Antiloque consterne tous les Grecs. Nestor, en le perdant, est saisi de la plus vive douleur, et la fermeté de son âme le soutient à peine. Quel spectacle pour un père, de voir égorger sous ses yeux un fils tendrement chéri! Il appelle auprès de lui son autre fils. « Viens, Thrasymède, tu connais le meurtrier d'Antiloque, viens-le combattre, sauvons les dépouilles de ton frère, ou périssons autour de lui. Si la frayeur en ce moment pouvait te retenir, tu ne serais pas mon sang, tu ne serais pas le sang de Périclymène qui osa se mesurer avec Hercule. Réunissons nos efforts : les bras les plus faibles, armés par la nécessité, deviennent puissants et redoutables ».

A la voix tremblante de son père, Thrasymède s'enflamme. Phérée, non moins touché du malheur d'Antiloque, s'offre à venger sa mort. Tous deux fondent sur Memnon, qui les repousse avec vigueur. Tel l'ours ou le sanglier, pressé par les chasseurs, exerce contre eux toute sa rage ; tel le prince intrépide déploie contre ses deux agresseurs, tout ce qu'il a de force et de bravoure, et l'aurore détourne avec soin les coups qu'on lui porte. Cependant les traits lancés par les deux guerriers, ne furent pas tous inutiles. Phérée perça Polymnius, fils de Mégés, et Thrasymède vengea la mort de son frère par celle du Troyen Laomédon mais comptant sur sa supériorité, le fils de l'aurore au mépris de ses deux adversaires, ose en leur présence détacher les armes du corps d'Antiloque. Ceux-ci craignent de l'approcher, et restent immobiles, ainsi que deux loups qui poursuivent un cerf, s'arrêtent au seul aspect du lion.

En vain Nestor gémissant de leur faiblesse, implore-t-il le secours d'autres guerriers ; ses cris ne sont plus écoutés: Du haut de son char, il essaye de combattre lui-même. Son désespoir lui donnait un courage au-dessus de ses forces, et il aurait perdu la vie, si Memnon n'eût respecté en lui le contemporain de son père. « O Nestor! lui crie-t-il; ton âge me défend de répondre à tes attaques ; que n'as-tu encore ta première bravoure, je triompherais d'un ennemi digne de moi; mais fuis maintenant ces lieux où tu as vu périr ton fils, ne me force pas à te frapper du même coup. Tu flétrirais ta gloire en attaquant témérairement un guerrier plus puissant que toi ».

« Vains discours, répliqua Nestor, un père est-il téméraire, quand il combat pour venger la mort d'un fils, et pour arracher ses dépouilles des mains de son meurtrier ? Que ne puis-je rappeler la Vigueur de mes premiers ans! tu me vantes tes forces et ta jeunesse ! Ah ! si l’âge ne m'avait point glacé, tu ne me provoquerais pas impunément, et tes amis ne te féliciteraient pas longtemps de ta puissance. Tu me méprises aujourd'hui que tu me vois courbé sous le poids de mes nombreuses années. Semblable au lion décrépit, dont la gueule n'est plus armée de dents terribles, et dont l'ardeur est tellement amortie, qu'un seul dogue ose le poursuivre et le chasser de la bergerie. Ne méconnais pas au moins les avantages précieux que me donne la vieillesse, et qui m'élèvent bien au-dessus des autres hommes » ?

Nestor en achevant ces paroles, se retire avec la douleur de laisser Antiloque étendu parmi les morts. Ses membres affaiblis par une longue carrière, ne secondaient plus son courage. Sa retraite forcée, entraîne celle de Thrasymède, de Phérée, et des autres chefs qui ne purent résister au redoutable Memnon. Tel se déchaîne un torrent grossi par les pluies subites que versent des nuées chargées de la foudre; ses eaux précipitées du haut des montagnes, ravagent les champs fertiles, et font retentir les collines, du bruit des flots bouillonnants. Tel sur les champs Phrygiens et sur les rives de l'Hellespont, le fils de l'Aurore porte avec lui la terreur et le carnage ; il inonde les plaines du sang ennemi. Les valeureux Ethiopiens secondent sa fureur. Dans un moment le champ de bataille est couvert d'une multitude de cadavres. Memnon se croit le fléau des Grecs, et l'appui des Troyens; il n'est que le jouet d'un destin perfide que lui prépare, au milieu de ses succès, une fin déplorable.

Ceux des Ethiopiens qui se signalèrent davantage, furent Alcyonée, Nychius, le vaillant Asiade, le brave Ménéclès, Alexippe, Cladon, et plusieurs autres chefs. Enflés de la victoire qui semble se déclarer pour leur roi, ils combattent avec une ardeur nouvelle: Cependant le terrible fils de Pélée tue Ménéclès qui avait pénétré dans l'armée des Grecs. Irrité de cette perte, Memnon égorge une foule d'ennemis, de même que le chasseur, secondé par ses chiens, fond à coups d'épieu sur les faons légers, que ses compagnons ont poussés vers les toiles tendues dans les déniés des montagnes ; ainsi le fils de l'Aurore, soutenu par ses compagnons fidèles, enveloppe les Grecs et les taille en pièces; saisis d'effroi, ils prennent la fuite à son aspect. Tels des troupeaux de brebis et de génisses, s'épouvantent et se dispersent à la chute subite des quartiers d'un roc escarpé, qui, détachés par la foudre, tombent avec fracas, et se brisent en roulant, jusques dans les vallées profondes ; tels les Argiens effrayés reculent devant le redoutable Memnon.

En ce moment, accablé de la perte de son cher Antiloque, Nestor s'approche du fils de Pelée. « Tu vois, lui dit-il, un père malheureux qui vient d'être témoin de la mort de son fils. Memnon, son meurtrier, emporte ses armes, et va livrer son corps aux plus vils animaux. Hâte toi de venir à son secours ; il est beau de servir un ami, même après qu'il a cessé de vivre ».

Ces paroles font sur le fils de Pélée l'impression la plus vive; il abandonne aussitôt la poursuite des Troyens qu'il avait déjà vaincus, et les phalanges qu'il était prêt à attaquer. La vue du corps d'Antiloque et des autres Grecs renversés, le transporte de colère. Memnon le voyant venir vers lui, arrache un terme d'une grosseur prodigieuse et le lance contre son bouclier. Achille qui avait laissé ses coursiers hors du champ de bataille, loin de reculer, court sur son adversaire et le frappe d'un long trait à l'épaule droite : cette blessure rend Memnon plus furieux; armé d'une forte javeline, il perce au bras le vaillant Cacide, le sang jaillit aussitôt, et le fils de l'Aurore croyant toucher au moment de son triomphe : « Expire sous mes coups, s'écrie-t-il, ô toi l'ennemi des Troyens, toi qui te glorifies d'être le plus vaillant des héros et d'avoir pour mère la première des Néréides. Ma naissance est plus divine que la tienne : fils de l'immortelle Aurore, qui confia aux Hespérides le soin de mon enfance, puis-je redouter celui qui reconnaît pour mère la fille des eaux? Quoi ! l'oiseuse Thétis, confondue dans les abîmes de l'Océan, avec le peuple muet des ondes, est-elle à comparer aux divinités célestes, à l'Aurore, qui réjouit de sa lumière et les dieux et les hommes; à l'Aurore, qui préside aux travaux des mortels, et en hâte le succès par ses bienfaits ».

« O insensé, répondit Achille, viens tu chercher sous mes coups le trépas que les destins te préparent? comment oses-tu me disputer l'avantage de la naissance et de la bravoure? ne suis-je pas issu du grand Jupiter? son sang auguste ne coula-t-il pas dans les veines de Nérée, père de toutes les déesses de la mer, que révèrent les habitants même du Ciel? et quelle gloire n'environne pas Thétis? elle retira dans ses demeures Bacchus poursuivi par Lycurgue, le plus injuste des princes ; elle offrit un asile au dieu industrieux précipité de l'Olympe, elle délivra de ses chaînes le Dieu même du tonnerre. C'est à ces titres que ma mère est honorée des immortels qui approchent le trône de Jupiter. Vas, tu ne douteras plus de son pouvoir quand j'aurai plongé dans tes flancs la lance que je tiens d'elle. Cette lance a déjà immolé le meurtrier de mon fidèle Patrocle, je veux qu'elle me venge de la perte du fils de Nestor; il fut mon ami, trouverait-il en moi un défenseur timide? Mais à quoi tend cet inutile langage? ne vantons ni la noblesse de notre origine, ni nos premiers exploits; il faut que sur le champ d'honneur la force et la bravoure décident entre nous la victoire ».

A ces mots ils s'arment d'une longue épée, Memnon fait briller la sienne, les deux guerriers s'élancent l'un sur l'autre, et se portent raille coups qu'ils parent de leurs boucliers, chef-d’œuvre de l'art de Vulcain. Ils combattent de si près qu'on voit s'entremêler les aigrettes flottantes de leurs casques. Jupiter favorisant également ces deux chefs, les rend infatigables, et plus semblables à des dieux qu'à des hommes. La Discorde sourit de leur animosité : ils cherchent au fer tranchant un passage tantôt entre le casque et le bouclier, tantôt entre la cuirasse et les cuissards; le bruit de leurs âmes mêlé aux cris des Troyens, des Ethiopiens et des Grecs éclate dans les airs. La poudre élevée par les mouvements précipités des combattants, répand au loin, l'obscurité. De même que d'épaisses ténèbres, favorables au loup ravisseur enveloppent la terre, tandis que des pluies orageuses forment des torrents et creusent des ravins; ainsi des tourbillons de poussière dérobent aux deux armées la lumière du Soleil, et des milliers de soldats périssent dans cet affreux désordre.

Bientôt quelqu'un des Dieux rendant à l'air sa clarté, les nations rivales, dont les parques cruelles excitent la haine, combattent arec un nouvel acharnement. Mars assouvit sa rage meurtrière; la mort insatiable saisit partout sa proie; la plaine regorge de sang, et la terre est jonchée de cadavres depuis les rives du Xanthe jusqu'à celles du Simoïs, depuis le pied du mont Ida jusqu'aux bords de l'Hellespont.

Cependant les efforts des deux chefs fameux rendaient la victoire incertaine, et les dieux de l'Olympe fixant sur eux des regards satisfaits, admiraient la bravoure du fils de Pélée ou celle du fils de l'Aurore et de Thiton. Les voûtes célestes et les rivages de la mer retentissaient du choc des armes des deux héros, et les champs Phrygiens s'ébranlaient sous leurs pieds ; dans les palais de Thétis, toutes les Néréides tremblaient pour les jours d'Achille; du haut de son char radieux, l'Aurore envisageait avec effroi le danger qui menaçait la vie de Memnon : les craintes de cette déesse alarmaient les filles du Soleil, placées par Jupiter dans l'orbe admirable que cet astre immortel doit parcourir pour marquer les jours et les ans, la naissance et la destruction des êtres, le temps et l'éternelle révolution des siècles.

Parmi les autres immortels, la division était sur le point d'éclater; mais elle fut promptement apaisée par la puissance de celui qui commande, à la foudre. Deux génies sont envoyés par son ordre : l'un noir et sinistre s'attache à Memnon, l'autre propice et bon se repose sur le fils de Pélée; les Dieux attentifs remplissent tout l'Olympe de leurs voix : les uns témoignent leur allégresse, et les autres frémissent de dépit.

Non moins furieux que ces géants, jadis révoltés contre le Ciel, les deux rivaux également acharnés au combat n'aperçoivent point les Génies qui sont à leurs côtés, soit qu'ils se servent de l'épée, soit qu'ils se lancent des pierres d'une grosseur énorme, ils demeurent non moins inébranlables que la cime d'un roc élevé qui brave les tempêtes. Leur courage paraît digne du sang de Jupiter, dont ils se glorifient d'être sortis ; Bellone prend plaisir à prolonger la durée de cette lutte sanglante, et à balancer longtemps entre les partis opposés, l'espérance de la victoire.

Chacune de ces armées soutenue par son chef tente un dernier effort. Les guerriers se fatiguent, la pointe de leurs lances s'émoussent sur leurs boucliers; tous les soldats sont couverts de blessures; la sueur et le sang ruissèlent de leurs membres épuisés ; et le champ de bataille est rempli de corps morts : ainsi le Ciel se charge de nuages, lorsque le retour du Soleil au signe du Capricorne, annonce aux navigateurs la saison des tempêtes. Les chevaux vivement poussés foulent de leurs pieds, et les morts et les mourants, en aussi grand nombre qu'on voit sous les arbres à la fin de l'automne les feuilles flétries par le souffle glacé d'Aquilon.

Au milieu de cet affreux carnage, les deux héros enfants des Dieux s'attaquent avec une ardeur nouvelle; mais la balance entre les mains de la Discorde, cessant d'être égale, Memnon est blessé par Achille d'un coup d'épée qui lui traverse la poitrine et en fait jaillir en abondance un sang noir et fumant. Aussitôt la vie, ce doux présent des Dieux, fuit loin de lui. Il tombe, le bruit de son armure éclate dans les airs, et là plaine frémit à sa chute. Ceux qui l'entourent sont frappés de terreur, les Myrmidons s'emparent dé ses dépouilles, une partie de son armée se disperse, Achille comme un tourbillon impétueux fond sur les Troyens fugitifs.

Alors la fille de l'Air s'enveloppe de voiles sombres, et laisse la terre dans d'épaisses ténèbres. Les vents dociles à la voix de leur mère se précipitent d'un vol rapide vers les champs de Troie, où ils environnent le corps de Memnon pour l'enlever avec eux dans les espaces célestes. Là, ils gémissent sur le sort déplorable de leur frère, et la voûte des cieux est frappée de leurs accents lamentables.

Les immortels voulant consacrer à la vénération de la postérité la plus reculée, toutes les gouttes du sang que Memnon avait répandu, les recueillirent avec soin, et en formèrent un fleuve qui porte aujourd'hui le nom de Paphlagonien parmi les peuples qui habitent les vallées de l'Ida. Quand le cercle des ans ramène le jour fatal de la mort du héros, le fleuve, roulant des eaux teintes de sang, exhale des vapeurs fétides, assez semblables à l'odeur infecte que répand un ulcère invétéré.

Pendant que les Zéphyrs soutiennent le fils de l'Aurore à une moyenne distance de la terre, les Éthiopiens ne demeurent pas séparés de leur chef. La déesse secondant le désir qui les animé, leur communique dès ce moment cette vitesse incomparable qu'ils eurent depuis sous une nouvelle forme, pour voler dans les airs. Tels de fidèles animaux accompagnent avec des hurlements plaintifs, le corps déchiré de leur maître, qu'emportent les chasseurs affligés, au retour d'une chasse malheureuse, où le lion et le sanglier ont exercé leur rage meurtrière ; tels les Éthiopiens, portés sur un nuage, et devenus aussi légers que les vents qui enlèvent leur roi, le suivent avec tous les signes d'une douleur profonde, laissant les Grecs et les Troyens, également étonnés de les avoir, vus disparaître.

Les Zéphyrs déposèrent le corps de Memnon sur les rivages enchantés, où l'Esépe roule ses eaux profondes. Tout auprès du fleuve était un bosquet délicieux et chéri des Nymphes, où à l'ombre de mille arbustes, elles érigèrent un monument superbe à là gloire du héros. Plusieurs autres déesses partagèrent les regrets et la tristesse de la fille de l'Air.

Dès que le flambeau du jour fut éteint, l'Aurore descendit, accompagnée des douze filles du Ciel, dont les cheveux bouclés relevaient la beauté. C'est à ces déesses qu'est confié le soin des routes célestes, marquées sur notre hémisphère ; elles savent prescrire des bornes au jour et à la nuit. Elles veillent aux portes du palais de Jupiter, et reçoivent ses ordres pour régler les saisons, pour faire succéder aux noirs frimas, les premières douceurs du printemps; aux charmes d'un été riant, les riches présents de l'automne. Les Pléiades quittèrent aussi la brillante région des airs; et, réunies autour du fils de l'Aurore, elles mêlèrent leurs larmes à celles des autres divinités. Les coteaux voisins, et les rives du fleuve, répétèrent leurs lugubres accents.

Au milieu de ces Déesses, la fille de l'Air, penchée sur le corps de Memnon, prononça ces paroles d'une voix entrecoupée de mille sanglots : « Je perds avec toi, ô mon fils, tout le bonheur de ma vie ; puisqu'un destin jaloux te ravit à ma tendresse, je ne veux plus que mes doux rayons frappent les yeux des immortels, j'irai cacher mon désespoir dans les sombres demeures où ton âme s'est retirée. Je punirai par mon absence le maître de la foudre, et le inonde qu'il gouverne, rentrera dans les ténèbres du chaos. Ne devais-je pas être préférée à la déesse des mers ; ne suis-je pas même égale à Jupiter, moi dont les regards bienfaisants animent toute la nature ? Non, le fils de Saturne ne jouira plus de ma lumière, je descendrai dans les abîmes souterrains; qu'il fasse sortir Thétis du sein des eaux, qu'il la place dans l'Olympe, et quelle éclaire les Dieux et les hommes ; pour moi je ne remonterai plus au Ciel, j'aurais horreur, ô mon fils, de briller aux yeux de ton meurtrier ».

Elle dit, et des torrents de larmes inondant son visage radieux, baignent le corps de Memnon. La nuit elle-même sensible aux malheurs qui affligeaient l'Aurore, couvre de ses plus épaisses ténèbres et la terre et les plaines célestes. Les sujets de Priam, désespérés de la mort du roi des Ethiopiens et de l'absence de ses troupes, rentrèrent dans leur ville. La joie des Grecs victorieux, était mêlée de tristesse. Campés dans la plaine, ils voyaient le champ de bataille couvert de leurs plus braves guerriers, et parmi ceux-ci le malheureux Antiloque ; mais d'un autre côté ils applaudirent au succès du fils de Pélée, et donnèrent de magnifiques éloges à sa bravoure.

L'Aurore s'entourant de sombres nuages, poussait de continuels soupirs ; elle voulait fuir loin des lieux où naît le soleil, et le séjour de l'Olympe lui paraissait odieux. Auprès d'elle gémissaient ses coursiers rapides ; mais indignés du repos, ils frappaient d'un pied rebelle, la terre qui n'avait plus pour eux les charmes de la clarté. Tout à coup Jupiter fait entendre avec des éclats épouvantables, la voix de son tonnerre ; la terre est ébranlée ; la fille de l'Air tremble et pâlit, et les Ethiopiens achèvent à la hâte d'inhumer leur roi ; mais tandis qu'ils pleurent sur sa tombe, l'Aurore les change en oiseaux, qu'elle confie au vague des airs.

Ce sont ces mêmes oiseaux que tous les peuples nomment aujourd'hui Memnonides (03) ; ils vont encore chaque année rendre hommage à leur prince ; ils lui marquent leurs regrets en couvrant de sable le monument où il repose, et en combattant entre eux, jusqu'à ce qu'ils l'aient arrosé de leur sang.

Ainsi Memnon jouit d'un bonheur tranquille dans les paisibles demeures de Pluton, ou dans les champs heureux de l'Elysée, et son immortelle mère contemple d'un œil satisfait la gloire de son fils; mais les Ethiopiens, même après leur métamorphose, semblent avoir conservé leur inquiétude ; par un instinct que leur imprime la fille de l'Air; ils se déchirent mutuellement de leurs becs et de leurs ongles, jusqu'à ce qu'ils expirent sur le tombeau de leur roi.

Enfin l'Aurore se laisse fléchir par le cortège des Heures, déesses peu semblables entre elles, et malgré sa tristesse profonde, entraînée par la douce persuasion qui coulait de leurs lèvres, elle remonte au milieu d'elles et reprend dans les Cieux sa course accoutumée ; elle redoutait l'implacable courroux du souverain des Dieux, dont la puissance, sans bornes, a produit tout ce qui vit sur la terre ou dans le vaste Océan et tout ce qui existe dans ces régions immenses, où brillent les astres enflammés.

Les Pléiades avaient précédés le retour de l'Aurore ; celle-ci rallumant ses feux, ouvre les portes de l'Orient, et fait renaitre le jour.

 


 

NOTES DU CHANT II.

(01) Un vent impétueux. La plupart des anciens, comme Aristote, Théophraste, Callisthène, etc., attribuaient les secousses de la terre à des vents souterrains, ou courants d'air, qui ne pouvaient trouver d'issues qu'en forçant les obstacles qu'opposait la surface de la terre. Voici comment Sénèque développe cette doctrine, qui paraît avoir été aussi celle de notre poète.

Spiritus intrat terrant per occulta foramina quemadmodùm ubique itae et sub mari deinde cvm est obstructus ille trames..... Hue illuc fertur... terram labefactat.. Ideo frequentissime mari opposita vrexantur, et inde Neptuno haec assignata est movendi potentia. Quisquis primas litteras Graecas didicit, scit illum apud Homerum, Ἐννοσιγαίον vocari.

Sénec. Natural. Quasit. Cap. 23.

(02) Antiloque. Il est important de remarquer ici qu’Homère au chant 8 de son Iliade, v. 80 et suivants, fait attaquer Nestor par Pâris et non par Memnon. C'est Diomède qui marche au secours du vieillard. Antiloque ne paraît point et ne meurt pas en défendant son père. On le voit même (Iliad. chant 23.) remporter le prix de la course à cheval aux jeux funèbres célébrés en mémoire de Patrocle.

Le récit de Pindare est tout différent : il dit dans la sixième de ses odes pythiques, que Memnon poursuivait Nestor, la lance à la main, que le vieillard eût été percé si son fils Antiloque ne l'eût couvert de son corps, et n'eût ainsi péri sous les coups de l'Ethiopien, victime et modèle de la piété filiale..... Chabanon, traducteur de cette partie des œuvres de Pindare, s'étonne que ce poète, dans son récit, diffère si essentiellement d'Homère (pag. 22, note sur la sixième ode Pythique).

Mais il est naturel, ce me semble, de supposer deux actions distinctes : la première est celle dont parle Homère à l'endroit cité; la seconde sera placée après la mort d'Hector où finit le récit du chantre d'Achille. Pindare a donc suivi, quant au fonds, le récit de la seconde action par le poète de Smyrne, continuateur d'Homère, et quant aux circonstances, à la manière des autres poètes, il les a accommodées à son sujet.

(03) Bella gerunt, rostris que et aduncis unguibus iras

Exercent, alasque adversa que pectora lassant.

Ab illo Memnonides dictae : cum sol duodena peregit

Signa, parentali moriturae marte rebellant.

Ovide, Métamorph. Lib. XIII. Fab. 16. Voyez aussi Pline, Lib. X. Cap. 26.

 

 

Fin du second Chant.