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 Marcus Aurelius Olympius Nemesianus

Cynegeticon

Poetae minores. M. Cabaret-Dupaty. Paris : Panckoucke, 1842. (Bibliothèque latine-francaise. 2nde série)

 

Je chante les innombrables genres de chasses ; je dirai les joyeux exercices, les courses rapides, et les combats qui troublent la paix des campagnes. Déjà l'enthousiasme embrase mon sein ; les Muses m'ordonnent de m'élancer dans de vastes plaines ; Apollon montre à son élève des sources nouvelles, et lui découvre un immense horizon ; il m'impose ses lois, il couronne ma tête de lierre, et me conduit dans des lieux qui ne virent les pas d'aucun mortel. Il m'est doux de me promener sur un char d'or et d'obéir à un dieu : ce dieu veut que je parcoure de vertes prairies. Je foule un terrain vierge. Quoique je puisse diriger ma course dans un chemin frayé, viens à mon aide, Calliope ; ne permets pas que je m'égare dans le champ que j'ai choisi, et soutiens mon essor dans cette voie nouvelle. Quel poète n'a pas chanté la désolation de Niobé à la vue du trépas de sa nombreuse famille ? Qui ne connaît Sémélé, et le feu qui, par la ruse de sa rivale, éclaira en même temps ses amours et sa mort ? Qui ignore la miraculeuse naissance du grand Bacchus ? Qui ne sait que Jupiter, daignant se charger du rôle de mère, compléta lui-même les mois de la gestation ? D'autres poètes célèbrent la vulgaire histoire des thyrses dégouttant d'un sang impie, les liens de Dircé, les conditions du roi de Pise, l'ordre barbare de Danaüs, et ses impitoyables filles qui changèrent en pompes funèbres les douces joies de l'hymen. L'attentat de Biblis est aussi connu que l'incestueuse flamme de Myrrha, qui souilla de sa criminelle ardeur le lit de son père, et qui, en allant cacher sa honte dans les déserts de l'Arabie, fut métamorphosée en arbre verdoyant.
D'autres chantent les horribles sifflements de Cadmus changé en dragon, les cent yeux du gardien de la jeune Io, les innombrables travaux d'Hercule ; Térée, surprise de fendre l'air de ses ailes novices après le festin de Philomèle ; Phaéthon, qui approcha si malheureusement son char de la voûte céleste, et la foudre qui lui fit éteindre ses feux dans un fleuve écumant. D'autres, enfin, prennent pour sujet de leurs poèmes, Cycnus et son vieux plumage, et les forêts, qui ne cessent de pleurer la mort de leur frère ; ou bien les malheurs des Pélopides, et la table inondée de sang, et le soleil voilant son front à l'aspect de Mycènes, et les affreuses infortunes de la famille entière de Tantale. Moi, je ne chante ni les dons empoisonnés par la puissance magique de Médée en courroux, ni le feu qui consuma la belle Glaucé, ni le cheveu de Nisus, ni la coupe de la cruelle Circé, ni la tendre Antigone dérobant, la nuit, le corps de son frère. Une foule de grands poètes ont déjà traité ces sujets, et rien n'est plus répandu que ces récits des siècles antiques.
Je parcours les bois, les vertes prairies, les vastes campagnes ; je porte partout mes pas rapides, et, à l'aide d'un chien docile, je cherche à saisir différentes proies. Je me plais à percer le lièvre et le daim timides ; j'aime à prendre dans un piège le loup audacieux et le renard rusé ; j'aime à errer le long des bords ombragés d'un fleuve, à chercher sur ses paisibles rives, dans une forêt de roseaux, l'ichneumon et le chat sauvage, à planter dans le tronc d'un arbre de longs javelots, et à emporter chez moi un hérisson dont le corps épineux se replie sur lui-même. De tels amusements charment mes loisirs ; néanmoins ma nacelle, accoutumée à côtoyer le rivage, et à promener ses rames sur une onde tranquille, abandonne aujourd'hui ses voiles au vent, et, s'éloignant du port fidèle, ose braver les tempêtes de la mer Adriatique.
Bientôt, magnanimes enfants de Carus, j'essayerai sur un ton plus élevé de chanter vos triomphes, l'Orient et l'Occident soumis à votre pouvoir, deux frères réunissant sous leur sceptre glorieux les peuples qui boivent les eaux du Rhin, du Tigre, de la Saône et du Nil, dont les sources sont si éloignées. Je raconterai d'abord tes heureux exploits dans le septentrion, Carin, toi qui l'emportes presque sur ton noble père. Je dirai aussi comment ton frère, vengeant l'injure faite à la majesté de notre empire, s'empara de la Perse et de l'antique forteresse de Babylone. Je parlerai de la fuite honteuse des Parthes, de leurs carquois fermés, de leurs arcs détendus, et de l'inutilité de leurs flèches. Ma muse vous consacrera ses vers, bienfaisantes divinités de la terre, lorsque j'aurai eu le bonheur de contempler vos traits sacrés. Déjà mon imagination avide et impatiente jouit d'avance de la félicité qu'elle attend ; déjà il me semble voir vos augustes fronts, Rome, l'illustre sénat, nos intrépides généraux, et la marche de notre armée remplie d'enthousiasme et de dévouement. Je vois briller au loin la pourpre de nos étendards ; un doux zéphyr en agite les terribles dragons.
Ô toi qui parcours les paisibles forêts, gloire de Latone, Phébé, parais sous ses atours accoutumés. Arme ta main d'un arc, suspends à tes épaules ton brillant carquois rempli d'inévitables traits ; attache à tes pieds rapides des cothurnes de pourpre ; revêts ta robe chamarrée d'or et à plis froncés ; ceins ton baudrier enrichi de pierres précieuses, et retiens avec une bandelette les tresses de ta chevelure. Parais, entourée des gracieuses Naïades, des jeunes et fraîches Dryades, de toutes les Nymphes des eaux, et fais retentir les échos des montagnes. Ô déesse, conduis ton poète dans les bois solitaires : je te suis ; découvre-moi les retraites des bêtes sauvages. Accompagnez-moi, vous tous qui, épris de la chasse, détestez la chicane ; vous qui fuyez les agitations du commerce, le bruit des villes, le fracas des armes, et vous que la passion du gain n'entraîne point sur l'abîme des flots.
Dès l'ouverture du printemps, lorsque Janus, père de l'année, commence sa révolution périodique de douze mois, consacrez tous vos soins à votre meute. Choisissez une chienne de noble race, de Laconie ou d'Épire, qui parte et revienne à votre voix, qui ait les jambes hautes et fermes, une large poitrine, de fortes côtes arrondies avec grâce, le ventre mince, et grêle, les reins amples et vigoureux, les cuisses bien arquées, les oreilles souples et pendantes. Donnez-lui un mâle aussi grand, aussi beau, dans la fleur et la force de l'âge, tandis que son sang est riche et abondant ; car les funestes maladies et l'impuissante vieillesse accourent d'un pas rapide : un chien sans vigueur ne produirait que de faibles rejetons.
L'accouplement admet quelques différences d'âge. Pour obtenir des produits parfaits, prenez un mâle de quarante mois, et une femelle de deux ans : cette règle est la meilleure à suivre.
Mais ne vous bornez pas à entretenir la race de Laconie ou d'Épire. La Bretagne, séparée de notre continent, nous envoie des chiens rapides et ardents à la chasse. On n'estime pas moins ceux de Pannonie et d'Espagne. Ceux qui viennent des brûlantes côtes d'Afrique ont également leur prix. Lorsque Phébé aura deux fois rempli son croissant, la lice ouvrira ses entrailles fécondes, et se dégagera de son fardeau. Alors vous entendrez partout les cris de sa nombreuse portée. Mais, malgré vos légitimes désirs, négligez ces premiers fruits, et n'élevez pas tous ceux qui viendront après ; car si vous voulez nourrir trop de petits, vous les verrez, maigres et chétifs avortons, se disputer sans cesse les mamelles desséchées de leur mère, et la réduire à l'épuisement à force de fatigue.
Craignez-vous de tuer ou d'écarter par hasard le plus vigoureux de la troupe, essayez leurs forces tandis que leur marche est encore incertaine, et que leurs yeux sont fermés à la lumière. Voici ce que nous enseigne l'expérience ; on peut hardiment s'y conformer. Pesez chaque petit pour apprécier sa vigueur ; le poids vous fera connaître ceux qui seront légers à la course. Tracez ensuite un grand cercle de feu qui contienne aisément la portée, et qui vous permette d'occuper le centre sans péril. Portez-y indistinctement tous les jeunes chiens. La mère dirigera votre choix en arrachant les plus beaux à ce danger terrible. Car lorsqu'elle voit ses petits environnés de flammes, elle franchit d'un bond la barrière embrasée en les emportant à sa gueule les uns après les autres pour les déposer dans sa demeure. L'instinct lui fait toujours préférer les plus généreux.
Quand le printemps sera venu, nourrissez-les, ainsi que leur mère, d'un savoureux laitage ; car c'est la saison du lait. Alors toutes les bergeries présentent des vases remplis de cette blanche liqueur. De temps en temps mêlez-y de la farine ; cette substance plus solide fortifiera leurs corps et développera leur vigueur. Mais lorsque le char brûlant du Soleil aura atteint le haut des cieux, et qu'il sera entré dans le long signe du paresseux Cancer, éclaircissez leur pâtée, ou plutôt reprenez le laitage pur, afin que leur masse ne déforme pas leurs membres ; car c'est alors que leurs articulations commencent à se dénouer, que leurs jambes sont faibles, que leur marche est chancelante, et que leurs gueules s'arment de dents éblouissantes de blancheur.
Ne les tenez pas enfermés ou à la chaîne pour vous délivrer de leurs importunités. Il serait imprudent de les empêcher de courir ; car, une fois sevrés, ils aiment souvent à mordre des solives, à ronger les portes, et à prendre toutes sortes d'exercices ; ils se plaisent à émousser leurs nouvelles dents contre les arbres, et à enfoncer leurs jeunes griffes dans des pièces de bois. A l'âge de huit mois, si vous les voyez en bon état et fermes sur leurs jambes, vous pourrez leur redonner une pâtée de pain et de lait avec quelques fruits nourrissants. C'est alors qu'il faut les accoutumer à avoir la chaîne au cou, à marcher ensemble en laisse, et à rester enfermés.
Quand la lune aura vingt fois renouvelé son croissant, exercez vos jeunes chiens à de petites courses dans une étroite vallée ou dans un champ clos. Lâchez-y un lièvre qui n'ait ni leur force ni leur agilité, et qui se traîne avec peine, afin qu'ils saisissent aisément cette proie. Faites-leur prendre plus d'une fois cet exercice modéré, et, jusqu'à ce qu'ils puissent devancer les lièvres les plus vigoureux, rompez-les par degrés à la chasse, et passionnez-les pour cet art qui exige une longue expérience. Apprenez-leur aussi à distinguer la voix qui les appelle, ou qui leur ordonne de poursuivre leur course. Qu'ils sachent également tuer leur proie, sans la déchirer, quand ils l'ont prise. N'oubliez pas .de renouveler sans cesse votre meute agile, et d'étendre à leur tour les mêmes soins sur les jeunes chiens ; car ils sont sujets à la gale hideuse et à d'horribles maladies qui les frappent indistinctement. N'épargnez pas vos peines, et, chaque année, complétez leur troupe avec des remplaçants. Il sera bon de faire un mélange d'huile d'olive et de vinaigre, d'en frotter les petits ainsi que leurs mères, de les exposer à un soleil tempéré, et de débarrasser leurs oreilles des teignes avec une lame ardente.
La rage est pour les chiens un fléau mortel. Qu'elle naisse de la corruption de l'air, lorsque le soleil ne répand plus que de faibles rayons à travers un voile de sinistres vapeurs, et montre un front pâle à l'univers épouvanté ; ou plutôt lorsque, entré dans le signe du Lion, il vomit un déluge de flammes ; qu'elle provienne du dessèchement des ruisseaux ; que ce soit la terre ou le ciel qui envoie ces exhalaisons funestes, peu importe : ce mal affreux se glisse dans leurs entrailles et embrase leurs veines de ses feux dévorants ; il s'insinue dans leurs fibres, s'élance dans leur gueule brûlante sous la forme d'une écume venimeuse, et les pousse à faire des morsures cruelles.
Pour les guérir, voici les potions et les remèdes qu'il faut employer. Prenez de la castorée fétide, et amollissez-la en la broyant avec un caillou ; mêlez-y de l'ivoire pulvérisé ou concassé, et triturez longtemps ce mélange pour l'épaissir ; ajoutez-y par degrés quelques gouttes de lait, afin de pouvoir ; au moyen d'une corne, faire avaler ce médicament aux malades, et de les délivrer de leurs funestes accès en leur rendant leur douceur ordinaire.
Les chiens de Toscane ne sont pas dépourvus de mérite. Malgré la longueur de leurs poils et la petitesse de leur taille, qui ne ressemble en rien à celle des chiens agiles, ils vous procurent d'agréables proies ; car ils savent saisir la piste jusque dans les prairies parfumées de fleurs, et découvrir le gîte secret des lièvres. Je ferai bientôt connaître leur caractère, leurs mœurs, et la finesse de leur odorat ; présentement j'ai à m'occuper de tout l'attirail de la chasse et à parler de ce qui regarde les chevaux.
Demandez à la Grèce des chevaux d'élite. La Cappadoce vous fournira une noble race qui compte une foule de glorieux triomphes. Ils ont la taille haute, le dos large et uni, de vastes flancs, le ventre court, les oreilles mobiles, la tête élevée et fière, les yeux vifs et brillants ; leur cou se replie légèrement en arrière ; le feu semble sortir de leurs narines fumantes ; leurs pieds, impatients du repos, creusent souvent la terre ; trop d'ardeur les fatigue.
Par delà les âpres sommets de Calpé s'étend aussi une vaste contrée, féconde en excellents chevaux. Ils peuvent soutenir une longue course dans les prairies, et leur beauté ne le cède en rien à celle des chevaux grecs. Des flots épais d'une brûlante vapeur s'échappent de leurs naseaux terribles ; leurs yeux lancent des éclairs ; leur hennissement retentit au loin : ils ne peuvent supporter le frein ; leurs oreilles s'agitent ; leurs jambes frémissent.
Procurez-vous encore des chevaux de Mauritanie qui aient conservé toute la pureté de leur sang, ces coursiers infatigables que les Mazaces basanés nourrissent dans leurs déserts. Ne reculez pas devant leurs grosses têtes et leur ventre difforme. Ennemis du frein, ils aiment à balancer sur leurs épaules leur flottante crinière ; mais, souples et dociles, ils obéissent au plus léger coup de baguette qui frappe légèrement leur cou folâtre. Ils s'élancent et s'arrêtent à ce signal. Que dis-je ? La vivacité de leur course dans de vastes campagnes augmente même leurs forces, et l'émulation leur fait devancer leurs rivaux. Ainsi, quand les enfants d'Éole se déchaînent sur la plaine liquide, Borée, échappé de son antre de Thrace, y établit son empire, épouvante les vagues de ses horribles sifflements, et fait taire tous les vents sur l'onde turbulente ; la mer écume, bouillonne, gronde, tandis que sa tête altière s'élève au-dessus des flots toutes les Néréides admirent son impétueux élan. Les chevaux de Mauritanie acquièrent tard le talent de soutenir ainsi leur course ; niais ils conservent après de longs services cette vigueur de la jeunesse, et les qualités précieuses qu'ils ont fait briller dans la maturité de l'âge, ne s'usent qu'avec leurs corps.
Donnez leur au printemps un tendre fourrage, et saignez-les pour dégager leur mauvais sang et leurs humeurs vicieuses. Bientôt de nouveaux sucs répareront leurs forces, et donneront de l'embonpoint à leurs membres agiles ; bientôt un sang plus pur coulera dans leurs veines ; ils voudront fournir de longues courses et dévorer des plaines immenses. Ensuite, quand les ardeurs de l'été auront durci les tiges verdoyantes, desséché les sucs laiteux du chaume, et hérissé le blé d'épis, donnez-leur de l'orge et de la paille légère. Séparez avec soin les immondices du bon grain, et formez-leur une fraîche litière. Ils seront sensibles à cette attention ; ils reposeront avec plus de plaisir, et les sucs nourriciers se répandront plus aisément dans leurs corps. Ce soin regarde vos palefreniers et vos joyeux piqueurs.
Qu'ils apprennent à faire les filets de chasse, les rets et les longues toiles ; qu'ils sachent espacer les nœuds et les mailles à égales distances, et employer le meilleur lin. Qu'ils fassent avec les plumes de différents oiseaux des épouvantails qui puissent entourer de grands bois et envelopper les proies fugitives. Ces appareils effrayent comme la foudre les ours, les sangliers énormes, les cerfs timides, les renards, les loups courageux, et les empêchent de franchir la redoutable barrière. Ne manquez jamais d'imprégner les plumes de rouge et de blanc, et d'alterner les couleurs tout le long de la corde qui les retient. Une foule de volatiles vous fourniront des plumes pour ces menaçants appareils, les grands oiseaux d'Afrique, les grues, les vieux cygnes, les oies au plumage éclatant, et tous les palmipèdes qui habitent les rivières, les étangs et les marécages. Prenez ces plumes d'un rouge vif que leur prodigue la nature ; c'est dans ces lieux que vous trouverez une foule d'oiseaux dont le riche plumage étale la pourpre, l'or et toutes les fleurs du printemps.
Ces préparatifs achevés, commencez, à l'entrée du pluvieux hiver, à lancer votre meute impétueuse dans les prairies, et poussez vos chevaux à travers les vastes plaines. Le temps propice pour la chasse est le matin, lorsque le sol humide conserve la trace fraîche des animaux qui ont erré pendant la nuit.