NOTICE SUR LUPERCUS SERVASTUS JUNIOR.
UNE élégie ou plutôt une satire sur la Cupidité, une ode sur le Temps, et
une douzaine de vers sur les Avantages de la vie privée, voilà tout ce que
nous possédons de Sulpicius Lupercus Servastus. Quelques passages de sa pièce
sur la Cupidité ont fait présumer que ce poète était un maître d'éloquence
chez lequel les jeunes Romains allaient s'exercer aux déclamations du barreau,
et qu'il vécut dans les dernières années de l'empire d'Occident, lorsque les
lettres avaient déjà ressenti les funestes atteintes de la barbarie. Ce triste
état des lettres est l'objet des plaintes de Lupercus. Il s'emporte contre
l'insatiable passion des richesses, pour nous montrer qu'à son époque le
dépérissement de l'éloquence était dû principalement à cette soif de l'or,
et que si la littérature avait entièrement perdu son prix, c'est qu'elle
trouvait bien peu de partisans qui pussent en rétribuer les leçons. Aussi
devons-nous être moins surpris qu'il termine sa pièce par la hideuse peinture
d'un rhéteur affamé, qui joint un langage ridicule à un extérieur
misérable. Les beaux-arts ne font plus l'ornement et la gloire d'un siècle,
lorsque les artistes provoquent eux-mêmes le mépris du public.
Les trois strophes que Lupercus nous a laissées sur le Temps, semblent être
les anneaux détachés d'une longue chaîne, ou plutôt une ébauche d'atelier
de peinture qui annonce l'étude et l'imitation des bons modèles. Le style en
est ferme et pur ; mais les idées que comportait un pareil sujet sont à peine
effleurées. Le poète n'a pas saisi l'analogie qui existe entre le Temps
personnifié et la Mort. Il aurait pu nous montrer cet inexorable vieillard
secouant sur l'univers ses ailes immenses, chassant devant lui les jours, les
mois, les années, frappant indistinctement toutes les générations, promenant
ses ravages sur les plus solides monuments, brisant les temples, renversant les
palais, faisant mourir, comme le dit Bossuet, les villes, et les empires, et
expirant lui-même à la fin des siècles aux portes de l'Éternité :
Sur les mondes détruits le Temps dort immobile.
(GILBERT.)
La dernière pièce de Lupercus est l'expression vraie de la sécurité d'une
âme qui, longtemps agitée par les secousses et les tourmentes d'une vie
orageuse, se plaît à regarder derrière elle les tempêtes auxquelles elle a
échappé, et à contempler ce port, tranquille où elle aspirait de tous ses vœux.
Quand
l'Océan s'irrite agité par l'orage,
Il est doux, sans péril, d'observer du rivage
Les efforts douloureux des tremblants matelots
Luttant contre la mort sur le gouffre des flots ;
Et, quoiqu'à la pitié leur destin nous invite,
On jouit en secret des malheurs qu'on évite.
(LUCRÈCE, traduit par M. de Pongerville.)
Ce sentiment naturel a été exprimé par tous les grands poètes. L'éloge
qu'ils ont fait de la vie champêtre n'était pour eux que l'éloge du repos.
At secura quies, et
nescia fallere vita.
VIRGILIUS, Georg. lib. II, v. 466)
« C'est le repos, dit Horace, que demande aux dieux le navigateur surpris au
milieu de la mer Égée, lorsque d'épais nuages lui dérobent la lune, et que
les astres, ses guides fidèles, ne brillent plus à ses yeux. Le repos ! le
repos ! C'est le vœu du Thrace qu'enivrent le combats, et celui du Mède paré
d'un superbe carquois. »
Pour mieux nous peindre la douce félicité que lui procure un repos acheté
sans doute par une vie de sacrifices et de travail, puisqu'elle fut tout
entière consacrée aux honorables mais périlleuses fonctions d'instituteur de
la jeunesse, Lupercus a procédé par les contrastes. Il ne pouvait employer une
tournure et une manière plus énergiques pour reproduire un sentiment souvent
exprimé, et que l'originalité de la forme pouvait seule rajeunir.
C. - D.