FRASCATOR
JÉR. FRACASTOR.
ALCON
ou
TRAITEMENT A SUIVRE POUR LA GUÉRISON DES CHIENS DE CHASSE.
FATIGUÉ du continuel exercice de la chasse, Alcon, pour se dérober aux
ennuis d'un long jour d'été, goûtait la fraîcheur sous les verts ombrages
des bois de Corvinus dont la cime s'élève jusqu'aux cieux, et là ce bon
vieillard donna, dit-on, les conseils suivants au jeune Acaste.
Mon fils, je n'ai plus ni la vigueur ni le feu de l'âge ; je ne puis plus
gravir les montagnes, courir dans les vastes champs, porter le carquois, lancer
le javelot, et entourer les bois d'une meute nombreuse. Il est temps que tu me
remplaces. Ta jeunesse et ta force te permettent de précipiter tes pas à
travers les poudreuses campagnes, de supporter le froid et le chaud, de conduire
de légers Molosses, et d'emporter des forêts à ta demeure une superbe proie.
Je t'abandonne mon arc, mon carquois et mes flèches. Mais que ta confiance en
ton carquois ne te fasse point négliger les soins que ta meute réclame : c'est
par elle que tu pourras devancer le cerf rapide, le sanglier énorme, et vaincre
le terrible lion. N'oublie donc jamais les avis que je vais te donner.
D'abord, si tu veux être toujours environné d'une meute ardente et sûre de sa
proie, dédaigne les races abâtardies : choisis les chiens qui se sont livrés
constamment dans les vastes forêts à de pénibles travaux, et qui ont lutté
contre les bêtes féroces. Attache la plus grande importance à la beauté des
espèces ; car les chiens n'ont pas tous le même caractère ni la même ardeur
: autant de pays, autant de races diverses.
La chasse aux animaux féroces et les dangers auxquels elle expose, exigent des
chiens de Sparte ou d'Épire ; on peut y joindre ceux de Libye et de Bretagne,
qui sont pleins de feu, les redoutables Pannoniens, les Celtes belliqueux, les
superbes Sères et les intrépides Hyrcaniens. Si tu te plais à poursuivre dans
des sentiers détournés les levrauts, les légers chevreuils et les cerfs
timides, borne-toi aux agiles Péoniens et aux rapides Sicambres. Si tu aimes
mieux découvrir à la piste les sombres retraites et les repaires cachés des
bêtes sauvages, les Perses et les Saxo-Gélons s'acquitteront parfaitement de
cet emploi.
Parmi toutes les races, fais choix d'une lice dont le corps ne soit ni grêle,
ni hérissé de poils épais ; qu'elle ait la tête haute, les yeux vifs, un
front développé, la gueule bien fendue, les oreilles droites, l'épine souple,
la croupe charnue et partagée avec grâce, la queue recourbée, les épaules,
la poitrine et le ventre larges, les flancs minces, les jambes nerveuses et bien
musclées. Ses pattes ne doivent imprimer sur la terre qu'une petite trace.
Donne-lui un mâle de la même espèce ; lorsqu'au printemps l'amour enflamme
tous les êtres, les oiseaux et les quadrupèdes. Tu ne leur permettras
qu'après cinq jours de se livrer à leur mutuelle ardeur. Ils n'en auront que
plus d'énergie et de feu pour la reproduction, et tu obtiendras des rejetons
plus grands et plus vigoureux.
Dès que ce petit peuple sera venu à la lumière, tu choisiras les plus lourds,
ou bien tu les renfermeras tous dans un cercle de paille enflammée. A la vue du
péril, la mère se hâtera d'emporter les plus beaux et les meilleurs pour la
chasse, laissant les plus faibles se débattre au milieu des flammes.
Avant que l'âge ait développé toutes leurs forces, accoutume-les à courir au
sommet d'une colline, et à en descendre par une pente facile. Ensuite,
exerce-les à poursuivre dans un petit champ un levraut ou un chevreuil
invalide, et à obéir à ta voix. Leur vigueur croîtra promptement avec les
années. Bientôt tu les lanceras en toute assurance dans les épaisses forêts,
sur les hautes montagnes, dans les repaires des bêtes sauvages. Tu pourras
même, si tu dédaignes la chasse au chevreuil ou au cerf, les mettre aux prises
avec le sanglier ou le lion. Dans ce cas, il faudra diminuer leur nourriture et
les exercer beaucoup à la course. Puis, en rentrant au logis, ils devront
s'habituer à la chaîne. Quand l'occasion exigera que tu les mettes en
liberté, ils n'en auront que plus d'élan , et leur course ne sera plus
ralentie par la masse de leur corps.
Jusqu'ici nous avons conduit les jeunes chiens dans les vastes forêts ;
occupons-nous maintenant du traitement de leurs maladies. Lorsqu'une fièvre
secrète, leur ôtant le sommeil, minera leurs forces et les privera de toute
énergie, tu leur perceras les oreilles d'un coup de lancette, afin de donner
issue au mauvais sang ; ensuite tu feras chauffer de l'huile et du vin rosé, et
trois fois par jour tu introduiras ce mélange dans leur gosier au moyen d'une
corne.
La fatigue de la chasse les a-t-elle plongés dans une profonde langueur,
donne-leur une potion composée de sel d'oseille, de vin de Sicile, de beurre et
de poivre en poudre ; ils se jetteront avec avidité sur ce remède infaillible.
Ont-ils, en étanchant leur soif à une source impure, avalé par malheur une
sangsue, imprègne-les d'une fumigation de punaises, et fais-leur prendre une
décoction d'huile et de miel.
Un mal affreux, le clou, embrase-t-il leur palais, compose un liniment de
sésame sauvage, de vinaigre, de papier brûlé et de sel ammoniac, et
frottes-en la partie enflammée.
Une humeur âcre et brûlante dégoutte-t-elle de leurs yeux, tu feras avec du
vin une décoction de myrte sacré, de raisin sauvage et de roses ; tu en
baigneras doucement leurs yeux malades, et tu les frotteras ensuite avec de
l'huile et du blanc d'œuf.
Ressentent-ils des douleurs aux cuisses, plonge à plusieurs reprises la pierre Lémiule,
appelée Médite, dans de l'urine fraîche, du vin doux et du vinaigre, et
frictionne avec une plume leurs membres souffrants.
S'ils viennent à se rompre une veine, fais brûler deux souris et une toile
d'araignée ; tu arrêteras l'hémorragie avec leurs cendres : quelquefois même
tu pourras cautériser la plaie avec un fer brûlant.
Pour les délivrer d'une obstruction de l'urètre, tu leur donneras du pain
trempé dans du lait de chèvre. Mais si, au lieu d'épancher aisément leur
urine, ils arrosent la terre d'un sang noir, tu feras bouillir à petit feu du
lait, du suc de coriandre, du poivre et de l'huile d'olive, et tu leur feras
prendre peu à peu cet émollient à l'aide d'une corne.
Pour arrêter la chute de leurs ongles occasionnée par de trop longues courses,
mâche de la graine de cumin, et applique à leurs pattes ce liniment imprégné
de salive ; tu verras bientôt leurs ongles repousser.
Si tes chiens sont dévorés par le taons immonde, fais pétiller dans le feu de
la rue sauvage, et expose-les à sa fumée salutaire ; ensuite frotte la plaie
avec du vinaigre fort.
Leurs oreilles sont également exposées à l'importune attaque des mouches, au
point que le haut de leurs têtes paraît tout mutilé. Tu préviendras cet
accident en frottant leurs oreilles avec le brou des noix.
Les chiens en se battant se font souvent des morsures profondes. Pour les
guérir, tu n'as qu'à, broyer des os de cerf calcinés, en former un liniment
avec de l'huile d'olive, et l'appliquer sur la plaie ; tu peux encore y joindre
de la limaille de fer.
Lorsqu'un chien est mordu par un serpent venimeux, il sait trouver lui-même une
herbe salutaire, et se guérir sans le secours du médecin. Mais si la morsure
vient d'un animal enragé, il faut appliquer sur la blessure un emplâtre de
poix, de rue et de vinaigre.
Quand la gale hideuse dévore les chiens et leur fait sentir ses démangeaisons
brûlantes, prépare une décoction de céruse, de fraise de veau, de résine,
de beurre frais et de feuilles vertes de lentisque, et frottes-en leurs membres
malades.
On ne saurait user de trop de précaution et d'adresse, lorsqu'un chien enragé
se jette sur tout le monde, même sur son maître, et fait des blessures
incurables. Il faut d'abord l'attacher à une forte chaîne, puis broyer avec
une pierre de la racine d'églantier, l'humecter d'eau de fontaine, et filtrer
cette boisson. On dit qu'elle est un spécifique propre à calmer les sens de
l'animal et à le ramener à son état naturel. Quelques-uns triturent ensemble
de la vieille graisse et des figues sauvages ; d'autres ajoutent: des feuilles
de lierre, et font, bouillir le tout jusqu'à ce qu'un seul des trois
ingrédients surnage ; ensuite ils présentent, le matin, avec ces feuilles la
potion tiède à la bête enragée.
Mais le remède le plus efficace est de retrancher à l'instant même, au moyen
du fer, le principe du mal. A la racine de la langue, à l'entrée de la gorge,
siège un ver meurtrier, de couleur d'or. Il darde son aiguillon dans la gueule
des chiens, et leur cause des transports furieux. Si tu peux le couper avec le
fer, tu les délivreras d'un mal horrible, et la rage disparaîtra.
J'achèverai mes leçons une autre fois. Maintenant l'heure t'avertit d'emporter
chez toi le fruit de ta chasse ; Corydale a cessé de faire entendre son
chalumeau aigu, et déjà la lune répand son obscure clarté.
VERS ATTENANT A L'ÉPÎTRE QUE CE POÈTE AVAIT ENVOYÉE A GESTIDIUS AVEC QUELQUES BEC-FIGUES.
POUR prendre les bec-figues, un oiseleur rusé se rend dans une campagne couverte de mûriers sauvages. Là, caché sous une touffe de bruyères, il imite leur cri avec une adresse si perfide, que bientôt un crédule essaim vient se suspendre à ses roseaux gluants. Il emporte une énorme quantité de ces petits oiseaux, et les dispose en file sur une table, de manière que les plus gras occupent les premiers rangs, et font ainsi passer la maigreur des autres. A l'aspect de leur graisse brillante, la vue est charmée et prévenue en faveur de toute la bande.
ÉPITAPHE DE Q. MARIUS OPTATUS.
HÉLAS ! quel habile chasseur repose dans ce tombeau ! Passionné pour son art, il perçait les poissons avec ses flèches, et excellait à manier le roseau gluant.