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Grattius Faliscus

Cynegeticon 

 

Poetae minores. M. Cabaret-Dupaty. Paris : Panckoucke, 1842. (Bibliothèque latine-francaise. 2nde série)

 

C'est sous tes auspices, Diane, que je chante un présent des Immortels, l'art qui réjouit le chasseur. Jadis l'homme inconsidéré ne se fiait qu'à la force de son bras, et n'attaquait les animaux sauvages qu'avec ses propres armes ; aussi marchait-il toujours d'erreur en erreur. Plus tard, mieux inspiré, il recourut à un moyen plus facile, en associant la raison à ses travaux. A l'aide de ce flambeau, il vit toute la puissance de ses ressources, la méthode qu'il devait suivre, et apprit à faire dériver les arts les uns des autres. Dès lors la force brutale disparut.
Ce fut une divinité qui imprima aux arts, leur premier essor, et qui les établit sur de solides fondements ; ensuite chacun perfectionna l'art de son choix, et le génie atteignit ses dernières limites. Tandis que l'homme exposait ses jours en faisant la guerre aux bêtes fauves, ce fut toi, Diane, qui daignas le protéger en lui montrant les ressources qu'il cherchait, et par là tu délivras l'univers d'un grand danger. Tu adjoignis à ta puissance les cent divinités des bois et des fontaines, toutes les Naïades, le dieu du Ménale, Faune qui habita le riant Latium, Cybèle qui dompta des lions, et Silvain qui se plaît dans les forêts incultes. Grâce à leur secours, j'ai essayé de défendre notre vie contre les animaux sauvages. Tel est le but de mon poème : mes vers fourniront des armes au chasseur, et leur enseigneront l'art de s'en servir.
Je parlerai d'abord des filets et des toiles, qui exigent beaucoup d'adresse. Avant tout, il faut border vos filets d'une corde solide à quatre bouts, si vous voulez qu'ils résistent longtemps à la fatigue. Cette corde en fera six fois le tour, afin qu'ils puissent contenir les bêtes d'une certaine grosseur. Les filets doivent avoir quarante pas de long, et dix nœuds de haut. Plus grands, ils deviennent dispendieux, et manquent de grâce.
Les marais de Cinyphe, n'en doutez pas, fournissent un lin excellent. Celui qui couvre la vallée de Cumes et les riches plaines de la Toscane est également estimé. Il doit sa qualité aux émanations du Tibre, qui féconde le Latium en promenant ses paisibles eaux sous d'épais ombrages, et va, par une large embouchure, les décharger dans la mer. Au contraire, le lin du pays des Falisques, où je suis né, a quelque chose de mou, et, comme celui de Sétabis, on le destine à d'autres usages. Aux fêtes de Diane, les prêtres d'Égypte sont à peine voilés du lin transparent de Canope, quand ils dansent à grand bruit sous un soleil ardent. La blancheur dans le lin nuit au but qu'on se propose : de loin elle découvre le piège, et effraye l'ennemi.
Le pauvre régisseur des frais jardins d'Alabanda entretient des forêts de lin qui fournissent d'utiles ressources pour la chasse. Leur tissu est si fort, que les filets qui en sont formés arrêteraient un ours de Thessalie caché dans les broussailles. Seulement il faut prendre garde que l'humidité ne les attaque ; c'est l'inconvénient le plus grave. On ne peut se servir de filets humides ; on ne saurait s'y fier. Que l'humidité provienne d'un fleuve qui arrose une étroite vallée, ou d'un marais fangeux, ou d'une pluie soudaine, exposez vos filets au vent du nord pour les sécher, ou à une épaisse fumée pour les assouplir. Aussi défend-on de moissonner le lin avant que les feux de l'été ne l'aient mûri, et que les brillantes Pleïades n'aient paru sur l'horizon. Quand le vent ou la fumée aura pénétré vos filets, ils n'en feront que plus d'usage. La chasse est un art si important, qu'on ne doit s'y livrer qu'après avoir appris à en surmonter toutes les difficultés.
Voyez-vous ce que l'antiquité raconte des demi-dieux ? Ils osèrent, à l'aide de leurs fières montagnes, escalader le ciel, et attenter à l'honneur des divinités. Mais que leur châtiment fut terrible, quand ils se hasardèrent à poursuivre les bêtes sauvages sans le secours de l'art dont j'enseigne les lois ! Abîmée dans sa douleur, Vénus pleure encore, et pleurera longtemps Adonis. Ancée mourut les armes à la main, malgré sa taille, sa vigueur et sa double hache. D'un autre côté, le héros de Tyrinthe, qui civilisa Je monde, ce héros qui, marchant partout où se trouvaient des lauriers à cueillir, fit retentir la terre, l'Océan et les sombres royaumes du bruit de ses exploits, dut à la chasse le commencement de sa renommée et de sa gloire. Considérez donc quels avantages peuvent résulter de mes leçons pour triompher des bêtes sauvages.
Il y a des chasseurs qui se servent d'un appareil fort utile et peu dispendieux, composé de plumes fétides du vautour, et de plumes éclatantes du cygne. Celles-ci épouvantent les bêtes par leur blancheur éblouissante, celles-là les éloignent par l'odeur infecte d'oiseau de carnage. Leur mélange produit un puissant effet: mais ces diverses plumes ne doivent pas être pressées, afin qu'elles puissent se mouvoir librement ; trop entassées, vous auriez beau compter sur elles, elles tromperaient votre vive attente et mettraient eu défaut votre peu de pratique.
Cet épouvantait agit spécialement sur les cerfs. Quelquefois on teint les plumes de vermillon d'Afrique, et l'on suspend à des fourches l'appareil éclatant ; il est rare qu'une bête sauvage surmonte la crainte qu'il lui inspire. On peut également se servir de nœuds coulants. On les fait de préférence avec un nerf de biche, et l'on déguise le piège sous l'image d'une bête fauve. Il y a même des chasseurs qui fixent des crocs dans des pièces de bois. Combien de fois n'arrive-t-il pas qu'au moyen de cette embûche perfide, un passant profite du travail d'autrui !
Heureux celui dont le génie a découvert de si grandes choses ! Est-ce un dieu ou un mortel doué d'un esprit divin, dont le regard perçant plongea dans des ténèbres profondes, et éclaira de ses rayons le vulgaire ignorant ? Apprends-le-moi, tu le peux, Diane ; instruis un prêtre des Muses. On croit que ce fut Dercyle, vieillard d'Arcadie, ancien habitant du riche Ménale et de la fertile Amyclée, qui tendit le premier des filets dans un vallon solitaire. Jamais mortel ne fut plus juste, et ne montra plus de respect pour les dieux. Aussi la déesse des bois daigna-t-elle former son enfance, et le proclamer inventeur de ce grand ouvrage, en lui ordonnant de propager son art et sa gloire dans tout l'univers.
C'est lui qui, le premier, arma les épieux d'une pointe solide, et qui les entoura d'anneaux propres à modérer la violence du coup porté par le chasseur. Dans la suite, il leur adapta de longues broches et une double fourche. D'autres hérissèrent tous les anneaux de dards, afin que cette masse de fer pût aussi blesser les animaux sauvages.
Ne vous laissez pas aller aux séduisants caprices de la nouveauté : l'excès en tout est nuisible ; mais la mode changeante nous domine, et l'on s'empresse d'abandonner les leçons de l'expérience. Parlerai-je des gigantesques sarisses des Macédoniens, de leurs piques immenses garnies de petites dents aiguës ou de ce fer démesuré dont le léger Lucanien charge sa lance dépouillée d'écorce ? Un bon épieu doit avoir une mesure raisonnable.
Quant aux javelots, examinez-en le poids. Trop légers, ils ne porteraient pas assez avant ; trop lourds, ils resteraient en deçà. Diane elle-même n'a pas donné à ses compagnes d'autres armes qu'un arc et un carquois. Ne renoncez donc pas aux traits de cette déesse ; les flèches rapides ont souvent produit de grands effets.
Apprenez d'abord à choisir un bon javelot. La Thrace nourrit dans ses vallées, que l'Hèbre arrose, un grand nombre de cornouillers. Sur les rives de ce fleuve croît le myrte touffu, consacré à Venus, l'if, le pin, le genêt d'Altinum, et particulièrement le lotos sauvage, ce bel arbre d'Arabie, dont l'aspect a quelque chose d'inculte, et dont les rameaux distillent un délicieux encens. Grâce aux Nymphes des bois et à son heureuse nature, il ne doit qu'à lui seul son utilité et son agrément ; tandis que les branches tortues des arbres de nos forêts ne se façonnent qu'à force de travail. Jamais ils n'allongent leurs flèches dans les airs : nos genêts-mêmes ne montent pas droit.
Commencez donc par retrancher le funeste luxe des scions : on étouffe les forêts en épargnant leur feuillage. Lorsqu'un arbre vigoureux aura élancé ses longues branches et ses rameaux aigus vers les cieux, arrachez ses jeunes pousses, enlevez tous ses bourgeons. De ses plaies découlera la sève qui produisait un vicieux feuillage, et ses veines desséchées se durciront. Puis coupez en toute assurance les branches de cinq pieds, lorsque l'automne suspend ses pluies tempérées, et nous donne ses dernières feuilles et ses derniers fruits.
Mais pourquoi m'étendre aussi longtemps sur la partie la moins importante de mon ouvrage ? La plus essentielle, la première de toutes dans la vénerie, c'est le choix des chiens, soit qu'avec les seules ressources de la nature on s'acharne à la poursuite d'ennemis indomptés, soit qu'on leur fasse la guerre avec toutes les ruses de l'art.
Il y a des chiens de mille contrées diverses, et chacun garde le caractère du pays où il est né. Chez les Mèdes, ils manquent d'intelligence, mais ils ne respirent que les combats. Sous ce dernier rapport, ils ont acquis chez les Celtes un haut degré de gloire. Chez les Gélons, au contraire, ils ne veulent point combattre, et détestent la guerre ; mais ils sont pleins de sagacité. Chez les Perses, ils unissent l'intelligence à l'esprit guerrier.
Quelques chasseurs aiment les chiens colériques et hargneux du pays des Sères ; d'autres préfèrent ceux de Lycaonie, qui sont à la fois dociles et très propres aux combats. Ceux d'Hyrcanie joignent à l'ardeur belliqueuse de ces derniers la propriété de s'accoupler dans leurs forêts avec les bêtes sauvages : l'amour les réunit et les soumet à ses douces lois. Alors dans les tranquilles étables se promène en sûreté un farouche adultère, et une lice ose recevoir les caresses d'un tigre qui anoblit sa portée. Mais les petits, emportés par un aveugle instinct, s'exercent à la chasse jusque dans le bercail, et s'engraissent du sang des brebis. Élevez-les néanmoins, malgré les ravages qu'ils feront dans vos étables ; ce sont de rudes athlètes qui vous dédommageront en terrassant les animaux sauvages.
Le chien d'Ombrie fuit devant l'ennemi qu'il a découvert. Que n'a-t-il autant d'intrépidité et d'ardeur à la guerre que de fidélité et de finesse d'odorat ! Franchissez le détroit des Morins, où bouillonne une mer orageuse, et pénétrez jusque chez les Bretons. Quels fruits ne retirerez-vous pas de vos dépenses et de vos soins ! Ne vous attachez ni à l'apparence ni à la couleur qui vous tromperaient ; c'est par là seulement que pêchent les chiens de Bretagne. Mais, dans une oeuvre difficile, quand il faudra montrer du cœur et s'exposer au danger avec un courage aveugle, votre admiration les mettra au-dessus des superbes Molosses.
Les habitants de l'Athamanie, d'Azore, de Phères et de l'Acarnanie, opposent leurs chiens à ceux de la Molossie : les premiers, à cause de leur adresse ; les autres, à cause de leurs brusques assauts. Les Acarnaniens s'avancent sourdement aux combats : il en est de même de leurs chiens, qui tombent sans bruit sur leurs ennemis. Au contraire ceux d'Étolie lancent en aboyant un sanglier qu'ils n'ont pas encore aperçu, et rendent par là un perfide service aux chasseurs, en effrayant la bête par leurs cris, ou en la poursuivant avec trop de fureur. Néanmoins on ne saurait les dédaigner pour la chasse : ils sont si lestes et si habiles à flairer la piste, qu'ils ne reculent devant aucune fatigue pour la découvrir.
Accouplez donc ces races diverses. Quelquefois une lice d'Ombrie tempère la fougue aveugle des chiens gaulois ; l'Hyrcanie communique son feu au pays des Gélons, et le Molosse corrige les aboiements vicieux de la chienne d'Étolie. Prenez la fleur des qualités de chacun, et vous la retrouverez dans leurs rejetons.
Préférez-vous une chasse légère ; aimez-vous à lancer le daim timide, et à suivre les traces compliquées du lièvre, procurez-vous des chiens de rochers (c'est leur nom), les rapides Sicambres et les Celtes irrégulièrement tachetés. Plus prompts que la pensée et que la flèche, dès qu'ils aperçoivent le gibier, ils le saisissent ; mais ils ne savent pas le découvrir. Telle est la réputation bien établie des chiens de rochers. S'ils pouvaient contenir leurs transports, ils surprendraient leur proie en silence, et obtiendraient ainsi la célébrité que les Métagons se sont acquise dans nos bois. Mais ils se laissent emporter à une funeste ardeur. Toutefois leur race n'est moins célèbre que leur patrie : Sparte et la Crète leur envoient leurs élèves.
Ce fut Hagnon de Béotie qui, le premier, mit une laisse à ton noble cou, Glympicus, et te conduisit dans les forêts ; Hagnon, fils d'Astyle, Hagnon, dont ma reconnaissance ne cessera d'attester le génie et de chanter les louanges. Il vit le moyen le plus prompt de fixer les flottantes incertitudes de l'art à son berceau. Loin de s'entourer d'une foule nombreuse et d'un immense appareil, pour s'aider et s'enhardir dans son dessein, il ne prit qu'un chien métagon. L'animal parcourait, au lever de l'aurore, les pâturages, les fontaines, les retraites ordinaires des bêtes sauvages, et il en recueillait les fumées toutes fraîches. Si les traces l'égaraient par leur nombre, il s'en écartait en décrivant un plus grand cercle. Puis il s'attachait à la piste qu'il avait infailliblement reconnue, avec autant d'ardeur que les chevaux d'un noble quadrige de Thessalie fendent la plaine de Corinthe, enflammés par la gloire de leurs aïeux et l'enivrant espoir de remporter une première couronne. Mais son guide réprimait sa fougue impétueuse, de peur que la proie ne lui échappât, effrayée par ses cris, ou qu'il ne l'abandonnât pour un mince gibier, ou qu'en suivant la trace d'un butin plus facile, il ne perdît le fruit de son premier élan.
Avez-vous heureusement découvert la piste et la retraite d'un animal sauvage, le chien vous indiquera par ses mouvements la présence de l'ennemi qui se cache ; il manifestera sa joie en agitant légèrement sa queue ; il dévorera la trace en creusant la terre avec ses pattes, et, la tête haute, il aspirera l'air avec force. Se défiant néanmoins d'un premier indice, il invitera le chasseur à parcourir les broussailles où se cache la bête, et à observer les entrées et les issues. S'il est trompé dans son attente (ce qui arrive rarement), il suivra la piste qui mène à une heureuse sortie, et décrira un nouveau cercle pour retrouver les premières traces. Quand la victoire aura couronné ses efforts, vous récompenserez la sagacité de ce fidèle compagnon en lui donnant une part du butin : ce salaire soutiendra son ardeur.
Voilà le grand bienfait, voilà le trophée éclatant, illustre Hagnon, que tu dois à la faveur des dieux. Aussi, tant que dureront mes vers, tant que les forêts conserveront leurs charmes, tant que l'homme aura recours aux armes de Diane, ton nom sera immortel. C'est toi qui nous as donné le chien-loup, ce produit demi-sauvage, dont rien n'égale l'intrépidité, la finesse de l'odorat ni les qualités guerrières. Il attaque le lion (c'est un fait notoire), il le combat avec adresse, et le terrasse avec ses courts jarrets. Car il est de petite taille, et je n'ose dire jusqu'où va sa laideur : il ressemble au renard. Son ardeur ne connaît point de bornes. Mais c'est la seule race que vous puissiez dresser à un si haut emploi ; toute autre vous ferait défaut au besoin, et vous rendrait victime de votre imprudence.
Ayez soin d'assortir les couples : mesurez la vigueur des rejetons aux qualités des pères. Pour connaître le prix d'un chien métagon, examinez ceux qui, dans leur jeunesse, ont donné un aussi formidable produit. Avant tout, n'accouplez que les races dont l'ardeur vous est connue ; ensuite choisissez des espèces qui se conviennent, et dont l'extérieur ne provoque aucun refus. Tête haute, oreilles droites, grande gueule, dents menaçantes, souffle ardent, ventre ferme et serré, queue courte, flancs allongés, cou suffisamment velu pour braver le froid, épaules vigoureuses, poitrine élevée, qui permette de prendre et de soutenir de vastes élans ; tels sont les attributs physiques d'un bon chien de chasse. Négligez ceux qui ont de larges pattes ; ils sont mous au travail. Pour ce genre d'exercices je préfère des jambes sèches et de solides jarrets.
C'en est fait de tous vos soins, si, à l'époque de l'accouplement, la femelle, renfermée dans un secret asile, ne s'accommode point d'un chien de noble race, ou si elle renonce au mérite de la constance. Les premières étreintes enivrent de plaisir : la nature elle-même donne ce fougueux délire à l'amour. Si la lice écarte les autres mâles, et n'est point adultère, épargnez-lui les fatigues, laissez-la en repos ; elle a bien assez de sa charge. Ensuite, pour qu'une portée trop avide ne l'épuise point, distinguez soigneusement ses petits. En cela ils vous aideront eux-mêmes. Voyez-vous celui-ci qui peut à peine se soutenir ; un jour il vous fera honneur. Sa pétulance l'élève déjà au-dessus de ses égaux: il veut régner sous le sein de sa mère. il occupe à lui seul toutes les places ; et tant qu'une douce température exerce son heureuse influence, il ne souffre personne sur son dos ; mais quand le vent du soir ramène la froidure, son despotisme cesse, et il permet à la troupe vulgaire de le couvrir. Ne manquez pas de peser dans vos mains tous ses frères ; le plus léger l'emportera sur tous. Ces indices, vous pouvez m'en croire, ne m'ont jamais trompé.
D'autres soins vous appellent. Prodiguez les caresses et les bons traitements à la mère : elle les a mérités. Les attentions que vous aurez pour elle seront reportées sur ses petits. Elle aura longtemps besoin de secours. Enfin, lorsque, fatiguée de nourrir, elle abandonnera ses fonctions ne vous occupez plus que de ses petits. Donnez-leur simplement une pâtée de lait et de farine ; point de mets recherchés et dispendieux qui excitent leur gourmandise. Rien de plus funeste qu'un tel régime.
Et, en effet, n'est-ce pas ainsi que s'altèrent les sentiments dans l'homme ? La raison se lève et s'oppose à l'entrée des vices. Le luxe a perdu les rois d'Égypte. Esclaves de la volupté, ils buvaient le vieux Maréotis dans des coupes de pierres précieuses, et recueillaient tous les parfums du Gange. Lydie, c'est le luxe qui t'a fait tomber au pouvoir de Cyrus : tu étais riche ; tes fleuves roulaient un limon d'or. Et toi, Grec, pour donner une dernière leçon au monde, combien de fois et jusqu'à quel point, par une voie aussi follement criminelle, en réunissant les arts qui alimentent la mollesse, n'as-tu pas démenti ton ancienne splendeur ! Chez les Romains, au contraire, quelle fut la simplicité, la frugalité des Camille ! Quel faste étalais-tu, Serranus, après tes nombreux triomphes ! C'est en pratiquant ce régime sévère, c'est en conservant les antiques vertus, que ces héros ont donné à Rome le sceptre du monde ; c'est par là qu'ils se sont élevés jusqu'au ciel, et qu'ils ont mérité les honneurs divins.
Ces grands exemples doivent vous apprendre quelle prudence et quelle sagesse exigent les petites choses. Il ne faut aux jeunes chiens qu'un maître pour les dresser. C'est lui qui règle leur nourriture, leur travail, leurs châtiments ; c'est lui qui leur enseigne à saisir les bêtes sauvages. Ce n'est pas un vil métier. Confiez cet empire à un jeune homme bien né qui joigne le talent à la bravoure. S'il n'entend rien à l'attaque, s'il ne sait pas fondre à propos sur la bête, et secourir ses chiens qui plient, ils fuiront, ou payeront chèrement leur victoire.
Veillez donc à tout. Paraissez avec une armure complète : l'armure soutient le courage. Qu'une forte chaussure garnisse le bas de vos jambes ; portez une carnassière en peau de veau ou de bête fauve ; couvrez vos épaules d'une courte casaque, et votre tête d'un bonnet de fouine blanche ; que le couteau de Tolède pende à votre côté ; qu'un grand épieu retentisse sous votre main avec un horrible fracas, et ouvre partout un chemin avec son fer recourbé. Tel doit être votre appareil de chasse.
Occupons-nous maintenant des blessures que les chiens reçoivent en combattant, de leurs diverses maladies, et des causes qui les ont amenées. Leur guérison vous regarde. La Mort plane sur eux ; son insatiable avidité dévore tout, et le bruit de ses sombres ailes épouvante l'univers. A un grand mal vous pouvez appliquer un grand remède, et la Fortune viendra au secours de votre art. Ne négligez donc pas un moyen de vous rendre cette divinité favorable.
Ce moyen est à votre portée. Quelque large que soit la plaie, lors même que des chairs pendantes dégoutterait un sang noir, prenez l'urine de la bête qui a porté le coup, baignez-en le fond de la blessure jusqu'à ce que l'âcreté de cette liqueur resserre les vaisseaux et vous fermerez ainsi tout accès à la mort. Puis, après avoir lavé la plaie, vous en rapprocherez les lèvres, et vous les coudrez avec un fil délié. Mais si la plaie offre peu d'étendue, il faut l'élargir pour en souder le fond. Il est facile de remédier à un mal récent ; quelquefois, pour l'adoucir, il suffit d'y passer légèrement la main, ou de l'entourer d'un noir enduit de poix. Lorsque, après avoir mis la plaie à découvert, on s'aperçoit que la lésion est peu profonde, on laisse l'animal se guérir lui-même avec sa puissante salive.
Le cas est plus grave et d'une cure plus difficile, lorsque le principe morbide a envahi tout le corps, et que le mal ne se révèle qu'à son dernier période. La gangrène, devenue contagieuse, se répand alors parmi la meute, et tous les chiens périssent sous ce fléau commun. Nul moyen, nul espoir d'échapper à ses cruels ravages. Soit que Proserpine ait tiré la Mort de la nuit des Enfers, et chargé les Furies du soin de sa vengeance ; soit que cette exhalaison funeste descende du ciel ; soit que l'air ait été empoisonné de vapeurs infectes, ou que la terre détruise elle-même ses productions, éloignez vos chiens de la source du mal ; qu'ils franchissent de profondes vallées et de larges fleuves : c'est le moyen de les soustraire d'abord au trépas ; ensuite les médicaments que j'ai indiqués agiront sans obstacle, et les préceptes de l'art reprendront leur pouvoir.
Mais les maladies n'ont pas toutes le même caractère ni la même violence ; je vais parler de leurs variétés et des moyens les plus prompts de les guérir.
La rage est terrible chez les jeunes chiens. Si vous tardez à y porter remède, elle devient incurable, et les emporte. Il faut donc la prévenir et l'étouffer dans son principe. Elle s'attache aux racines de la langue sous le nom de vermisseau. C'est un ennemi redoutable et cruel.
Lorsque, pour étancher son éternelle soif, il a desséché les vaisseaux en y allumant une fièvre brûlante, il s'enfuit, et abandonne sa place de prédilection. Ce déplacement produit sur les chiens l'effet d'un puissant aiguillon qui les met en fureur. Retranchez donc avec le fer, quand ils sont jeunes, le principe et la cause du mal : la guérison ne se fera pas attendre. Dès que le tubercule sera formé, vous y répandrez un sel pur, et vous le frotterez légèrement d'huile. Avant que la nuit couvre la terre de son ombre, l'animal aura oublié sa blessure, et viendra vous caresser à table en vous demandant à manger.
Parlerai-je de la vieille sorcellerie et des amulettes d'un siècle grossier ? Ce n'est pas une vaine frayeur qui fit imaginer ces spécifiques : les peuples n'y auraient pas ajouté foi si longtemps. On a vu des charlatans conseiller d'attacher au cou des chiens malades des poils de chat sauvage, des colliers formés de coquillages sacrés, des escarboucles, du corail de Malte et des herbes magiques. Grâce à la puissance de ces charmes, on triomphait de toute influence maligne, et l'on recouvrait ta faveur des dieux.
La gale hideuse s'empare aussi des chiens. Les démangeaisons qu'excite en eux cette maladie horrible, les force à se déchirer eux-mêmes, et les conduit lentement à la mort. Dès que le mal se déclare, il faut, pour l'étouffer, recourir à un moyen cruel. Sacrifiez l'animal qui en a le premier ressenti les atteintes, afin de préserver la meute d'une contagion funeste. Si la maladie est bénigne, et n'étend pas soudainement ses ravages, voici la méthode que l'art nous enseigne pour en prévenir les suites.
Faites fondre ensemble sur le feu du bitume et de la poix avec du vin et du marc d'huile ; appliquez ce liniment sur les corps infirmes ; baignez-les ensuite. Le mal perdra de sa violence et de son intensité. Mais ne bornez pas là vos soins: garantissez aussi les malades des pluies et des rigoureux autans ; en conséquence faites-les reposer, pendant les jours de chaleur, dans de molles allées, à l'abri du vent, aux rayons ardents du soleil, afin qu'ils se dégagent de toute humeur impure, et que la vertu du médicament s'insinue plus aisément dans leurs veines. On peut encore plonger les jeunes chiens dans les flots écumants ; Apollon approuve ce remède et en seconde les effets. Ô que de biens procurerait aux hommes une sage expérience, s'ils s'appliquaient à vaincre leur paresse, et à recueillir par leur activité les fruits salutaires du travail !
Il y a dans un rocher de Sicile une grande caverne, percée de routes sinueuses ; elle est consacrée à Vulcain. Sa haute cime est couronnée de sombres forêts et de lits de torrents desséchés par le feu. Au-dessous s'étend un lac d'huile limpide. J'y ai vu souvent arriver des meutes de chiens minés par une maladie horrible, et leurs maîtres consumés par un mal plus affreux encore. "Auguste divinité de ce lieu, Vulcain, nous t'invoquons dans notre malheur. Protége-nous ; accorde-nous tes secours tout-puissants ; et si nous n'avons commis aucune faute qui ait pu nous attirer un tel châtiment, prends pitié de tant de souffrances, et permets-nous de toucher à ta source sacrée." Tous répètent trois fois cette prière ; trois fois ils jettent de l'encens sur le feu, et dressent un autel avec des rameaux fertiles.
Alors se passe un phénomène qui n'a pas lien dans les autres cavernes. Le flanc de la montagne s'entrouvre et l'on voit le dieu porté sur l'aile des vents, au milieu d'un torrent de flammes. Ensuite paraît son ministre agitant un rameau d'une main tremblante "Loin d'ici, profanes, s'écrie-t-il, je vous l'ordonne. Fuyez le dieu, fuyez ses autels, vous dont le bras s'est souillé d'un crime, ou qui l'avez médité dans vos cœurs." Ces paroles glacent de trouble et d'effroi. Si l'on a violé la justice envers un malheureux suppliant, si l'on a osé vendre ses frères, assassiner un fidèle ami, ou insulter ses Pénates, et qu'on vienne étaler en ce lien l'audace qui accompagne de tels forfaits, on apprend le châtiment terrible que le dieu vengeur réserve au coupable en s'attachant à ses pas. Mais si l'on approche de lui avec respect et avec un cœur pur, il voltige légèrement autour de l'autel, et après avoir dévoré les offrandes, il quitte son sanctuaire, et rentre dans la caverne où il se tient caché. On peut alors profiter de ses dons et de ses secours.
Le mal a-t-il dévoré les fibres, hâtez-vous de baigner les malades dans le lac sacré ; frottez-les d'huile, et vous chasserez le fléau. Vulcain opère cette guérison ; mais la nature du lieu y contribue aussi. Quelque terrible, quelque funeste que soit la maladie, il peut la maîtriser et en dompter la violence.
Si le remède appliqué trop tard manque son effet, prévenez l'invasion par un autre moyen efficace : un mal soudain exige un prompt remède. Fendez les narines du chien, coupez les muscles des épaules, et tirez du sang de ses deux oreilles. C'est le siège de l'humeur impure, c'est la source de ce fléau dévorant. Ensuite, hâtez-vous de réparer l'épuisement du malade en lui faisant prendre du marc d'huile dans du vieux Massique.
Le vin dissipe les soucis rongeurs ; le vin adoucira l'âcreté du mal.
Parlerai-je de la toux des chiens, de leur triste et dangereux assoupissement, et de l'incurable goutte qui contracte leurs membres ? Ils sont en proie à mille fléaux qui se jouent des remèdes les plus puissants.
Eh bien donc, ô mon âme ! Puisqu'on ne peut avoir une entière confiance dans les ressources humaines, c'est du haut des cieux qu'il faut faire descendre le secours ; c'est par des prières et par des sacrifices que nous obtiendrons la protection des dieux. Voilà pourquoi nous dressons des autels au milieu des bois sacrés, nous offrons religieusement à Diane des flambeaux taillés en épis dans ses forêts profondes, et nous ornons les chiens de guirlandes ; voilà pourquoi nous déposons nos armes de chasse sur les fleurs qui tapissent le centre du bois sacré, où elles restent durant le temps des sacrifices et des jours de fête. Ensuite, précédés d'un tonneau et de gâteaux fumants dans de vertes corbeilles, nous conduisons un chevreau, dont le front laisse entrevoir les cornes naissantes, et nous portons à la main une branche chargée de fruits. Puis, suivant l'ordre de la cérémonie lustrale, tous les chasseurs reçoivent l'aspersion, et font des vœux pour le succès de l'année. Après cet hommage, ô Diane ! tu accueilles favorablement ceux qui t'implorent pour triompher des bêtes sauvages, ou pour affranchir leur meute des atteintes d'un fléau destructeur ; tu leur accordes ta grande protection et tes puissants secours.
Il me reste à déterminer les caractères qui distinguent les chevaux propres à la chasse. Tous n'ont pas le courage qu'elle exige : leurs défauts sont cachés. Il y a des chevaux qui ne sont timides qu'en apparence ; d'autres paraissent braves, et sont lâches en réalité. Voyez ces nobles coursiers de Thessalie et ces superbes alezans, l'orgueil de Mycènes. Ils sont fiers, et leurs jambes s'élèvent avec grâce : nul ne parcourt la lice olympique avec plus de gloire ; et pourtant, gardez-vous de les employer à la chasse ; leur courage de parade mollirait dans une rude attaque contre les bêtes sauvages. Il en est de même des chevaux ardents qu'admirent les plaines de Syène. Ceux des Parthes, au milieu de leurs tendres prairies, n'ont rien perdu de leur mérite ; mais ceux des rochers de Taburne, de l'affreux Gargan, et des Alpes Liguriennes useraient toute la corne de leurs pieds avant d'arriver au terme de la chasse. Néanmoins ils sont intrépides, et peuvent se façonner à l'art que j'enseigne.
La nature présente d'autres contrastes. Les chevaux de Galice s'élancent hardiment sur les pics des Pyrénées ; cependant je n'oserais hasarder une lutte dangereuse sur un cheval espagnol. Ceux de Murcibe ont la bouche si dure, qu'à peine ils obéissent au frein ; au contraire, avec une simple baguette, vous dirigez ceux des Nasamons. Les Numides envoient à Pise des coursiers dont la vigueur égale l'audace ; ils peuvent cent fois parcourir l'arène avec la même ardeur. Leur entretien coûte peu : tous les produits d'un sol aride leur conviennent, et un filet d'eau suffit pour étancher leur soif. Ceux de la Thrace n'exigent pas plus de frais ; ils pourraient, en se jouant, comme ceux de Sicile, se transporter sur les âpres sommets de l'Etna. Leur cou robuste et leur croupe arrondie mettent le comble à leur perfection. C'est à cause d'eux que les Grecs ont chanté le mont Acragas ; ce sont eux qui ont forcé les bêtes sauvages à déserter les cimes escarpées du Nébrode. Quelle célébrité n'a pas acquise dans les fastes de la chasse cette montagne où l'on élève de si généreux coursiers! Qui oserait leur comparer les cavales de l'Épire, auxquelles l'Achaïe accorde une palme peu méritée ? Les bai-bruns du mont Céraune, et la noble race de Cirrha qui t'est consacrée, Apollon, pourraient à peine aborder les difficultés de l'art dont je trace les lois.
Les chevaux les meilleurs à la chasse ne brillent point par la couleur. Les noirs ont d'excellents jarrets ; on estime également les bais et les gris-cendrés : mais, grâce à la protection des dieux, on ne peut rien comparer aux cavales de l'Italie. Nous nous sommes enrichis de tous les tributs de la terre, et notre bouillante jeunesse fait la gloire de nos plaines. ......