VALERIUS CATON
IMPRÉCATIONS.
NOTICE SUR VALERIUS CATON.
RAVI d'avoir recouvré le modeste héritage de ses pères, Virgile, sous le
nom du berger Tityre, avait pu s'écrier, dans l'enthousiasme de sa
reconnaissance :
O Meliboee ! deus nobis haec
otia fecit.
Il n'en fut pas de même de Valerius Caton, son contemporain : il avait
éprouvé le sort de Mélibée. Dépouillé de son patrimoine dans la première
guerre civile de Sylla, il composa des Imprécations, DIRAE, où il exhala toute
sa douleur. « Je n'ai plus rien à perdre, dit-il dans son poème, plein d'une
amère indignation. Exilé, condamné sans avoir été entendu, réduit à la
misère, j'ai abandonné mes biens pour payer à un soldat le prix d'une guerre
désastreuse. O malheureuses terres, que m'a enlevées le crime des préteurs !
» Cette virulente diatribe s'adresse à Battarus, à un ami fidèle et
dévoué, qui partageait ses transports, et dont le zèle avait même poussé
plus loin que lui les invectives contre ses oppresseurs, ainsi que le prouve ce
lugubre refrain :
Tristius hoc, memini,
revocasti, Battare, carmen.
Le petit poème de Valerius Caton se divise en deux parties bien distinctes.
L'une, qui comprend les quatre-vingt-dix premiers vers, est une affreuse
imprécation contre ses domaines devenus la proie des soldats ; l'autre est une
touchante élégie consacrée à Lydia, sa bien-aimée, objet de ses tendres et
douloureux regrets. Quelque confusion règne dans la première partie ; on y
remarque avec peine des redites prolongées et un ton déclamatoire qui ne
semble point partir d'un cœur que sa misère touche. Il faut même avouer que
ses vœux hyperboliques, dépourvus de toute raison, rappellent involontairement
les stances où Malherbe, traduisant Tansillo, décrit ainsi la douleur de saint
Pierre, pour donner de l'intérêt à son repentir :
C'est alors que ses cris en
tonnerres éclatent :
Ses soupirs se font vents, qui les chênes combattent ;
Et ses pleurs , qui tantôt descendaient mollement,
Ressemblent un torrent qui, du haut des montagnes,
Ravageant et noyant les voisines campagnes,
Veut que tout l'univers ne soit qu'un élément.
Mais un emportement prolongé n'est pas dans la nature. Après s'être, pour
ainsi dire, débordée, l'âme demande à se recueillir. A des invectives
délirantes succède un mouvement plus doux. On sent le besoin de s'attendrir ;
on aime à laisser couler ses larmes. C'est le moment de la mélancolie qui
vient verser son baume sur les plaies du cœur. Alors, comme Didon mourante, on
s'entoure de délicieux souvenirs, on pense à tout ce qu'on a aimé, à tout ce
qu'on aime encore, et qu'on ne reverra plus. Ainsi Valerius Caton, après nous
avoir péniblement affectés par ses tristes plaintes, visite en imagination les
champs et les bois qu'il a perdus. Il fait à Lydia ses tendres adieux ; Lydia
qu'il n'oubliera jamais ; Lydia, dont la grâce aimable et touchante inspire de
l'amour même aux prairies et aux fleurs qu'elle foule d'un pas léger. Il
invoque les astres comme des témoins de sa douleur ; et, pour se consoler, il
cherche à se faire illusion sur l'innocence de sa vie. Mais cette idée ne peut
tenir contre la violence de ses regrets : il retombe dans un abattement mortel ;
il veut écrire encore .... la plume échappe de ses mains.
L'estime et la considération dont Valerius Caton jouit comme grammairien et
comme poète est attestée par ces paroles de Suétone : « Il enseigna, dit-il,
le peuple et la noblesse ; ses préceptes furent extrêmement goûtés,
particulièrement ses leçons de poésie. On le nomma la Sirène latine :
Cato grammaticus, latina
Siren,
Qui solus legit ac facit poetas. "
Catulle l'honora de son amitié, Ovide le met au nombre des poètes les plus
hardis. Au rapport de Suétone, outre ses Imprécations, il avait
composé deux autres poèmes intitulés, Lydia, Diana, et un autre ouvrage,
probablement en prose, Indignatio, dans lequel il racontait son malheur.
II vécut jusqu'à un âge fort avancé, dans un état voisin de la misère,
après avoir abandonné sa maison de Tusculum à ses créanciers.