ALLER à LA TABLE DES MATIERES D'HOMERE Homère Odyssée
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Livre I
use,
chante ce héros, illustre par sa prudence, qui longtemps erra sur la terre après
avoir détruit la ville sacrée de Troie (01), qui
parcourut de populeuses cités, s'instruisit de leurs mœurs, et fut, sur les
mers, en proie aux plus vives souffrances pour sauver ses jours et ramener ses
compagnons dans leur patrie. Mais, malgré tous ses efforts, il ne put les y
conduire, et ils périrent victimes de leur imprudence : les insensés osèrent se
nourrir des troupeaux consacrés au céleste soleil, et ce dieu leur enleva la
journée du retour ! Déesse, fille de Jupiter, raconte-nous quelques-unes de ces
aventures (02). [22] Neptune s'était rendu chez les Éthiopiens, habitants des terres lointaines (chez les Éthiopiens, qui, placés aux extrémités du monde, sont séparés en deux nations : l'une, tournée vers l'Occident, et l'autre, vers l'Orient) ; là, parmi les hécatombes de taureaux et de béliers, il assistait joyeux à leurs festins ; les autres divinités étaient rassemblées sur les sommets de l'Olympe, dans les palais de Jupiter. Le père des hommes et des dieux, le premier de tous, fait entendre sa voix : il songeait à la destinée du bel Égisthe (03), que venait d'immoler le fils d'Agamemnon, l'illustre Oreste ; plein de ce souvenir, il adresse ces paroles aux immortels :
[102]
Elle part en s'élançant des sommets de l'Olympe et s'arrête au milieu de la
population d'Ithaque, devant le vestibule d'Ulysse, sur le seuil de la cour. La
déesse, sous les traits de l'étranger Mentes, roi des Taphiens, tient entre ses
mains sa lance redoutable ; elle trouve les fiers prétendants se livrant au jeu
de dés, couchés sur des peaux de bœufs qu'ils avaient immolés eux-mêmes ; des
hérauts et des serviteurs actifs s'empressaient, les uns de mêler le vin et
l'eau dans les cratères (08), les autres de
nettoyer les tables avec des éponges douées et poreuses, de les mettre en place
et de diviser les viandes par morceaux. Le premier qui aperçoit au loin la
déesse est Télémaque, semblable à un dieu ; assis parmi les prétendants à la
main de sa mère, son cœur est dévoré de chagrins : il médite dans son esprit
que, si son valeureux père était de retour, il chasserait de son palais cette
foule de prétendants, ressaisirait son honneur et gouvernerait à son gré ses
riches domaines. Toutes ces pensées l'agitaient lorsqu'il aperçoit Minerve. Il
va droit au vestibule, et s'indigne au fond de l'âme qu'un étranger soit resté
si longtemps à la porte ; il se tient près de la déesse, lui prend la main
droite, reçoit la lance d'airain et lui adresse ces rapides paroles : [144] Les fiers prétendants s'avancent et s'asseyent en ordre sur des sièges et sur des trônes (09) ; des hérauts répandent une eau pure sur leurs mains ; des suivantes leur offrent le pain dans des corbeilles, et les convives s'emparent des mets qu'on leur a servis et préparés. Des jeunes gens couronnent les cratères d'un breuvage, et les distribuent en commençant par la droite. Dès qu'ils ont apaisé la faim et la soif, les prétendants ne songent plus qu'à se livrer aux plaisirs du chant et de la danse, ornements obligés des festins. Un héraut remet une superbe lyre entre les mains de Phémius, qui chante malgré lui au milieu des convives : par ses accords il prélude avec grâce et fait entendre des chants harmonieux. Alors Télémaque adresse la parole à Minerve, en se penchant vers la tête de la déesse pour que les assistants ne puissent l'entendre :
[158]
« Cher étranger, t'offenseras-tu de mes discours ? Voilà cependant l'unique soin
de ces hommes : la lyre et le chant ! Cela leur est facile, à eux qui dévorent
impunément les biens d'un héros dont les ossements blanchis se corrompent sans
doute par les feux du ciel sur quelque continent, ou sont peut-être roulés par
les vagues au fond de la mer ! S'ils le voyaient revenir à Ithaque, comme ils
souhaiteraient tous d'être légers à la course plutôt que chargés d'or et de
vêtements ! Mais maintenant il a péri victime d'un destin funeste ; pour nous il
n'y a plus d'espoir, lors même qu'un habitant de cette terre m'annoncerait qu'il
doit revenir ; car le jour du retour est à jamais perdu pour moi ! Cependant,
parle avec franchise : qui es-tu ? Quelle est ta nation ? Quelle est la ville
qui t'a donné le jour ? Quels sont tes parents ? Dis-moi sur quels navires tu es
arrivé, et quels sont les nautoniers qui t'ont conduit à Ithaque, et quelle est
leur patrie ? Ce n'est pas à pied que tu es venu sur ces bords ? Dis-moi donc
toutes ces choses avec franchise, afin que je les sache bien. Viens-tu ici pour
la première fois, ou étranger, es-tu connu de mon père ? Car de nombreux
voyageurs sont venus dans nos demeures, et toujours Ulysse les a reçus avec
bienveillance. »
On dit que ce héros ne se rend plus à la ville, mais que, livré à la douleur, il vit solitaire dans ses champs avec une vieille suivante qui lui prépare ses aliments et ses breuvages lorsqu'il a parcouru lentement, les membres brisés de fatigue, ses vignes fécondes. [194] J'aborde aujourd'hui en cette île, parce qu'on m'a dit que ton père était au milieu des siens ; mais les dieux l'égarent encore dans sa route. Non, le divin Ulysse n'a point quitté la terre : il est retenu, vivant, dans une île lointaine au milieu de la mer ; des hommes cruels le tiennent peut-être captif, et des barbares l'arrêtent malgré ses désirs. Cependant je vais te prédire ce que les immortels ont placé dans mon âme, et je pense que ces choses s'accompliront, quoique je ne sois ni un prophète ni un savant augure : Ulysse ne sera pas longtemps éloigné de sa chère patrie, fût-il même retenu par des fers ; il trouvera toujours les moyens de revenir en ces lieux, car il est très habile. Mais à ton tour dis-moi si tu es vraiment le fils d'Ulysse ; certes, par ta tête et par tes beaux yeux tu es en tout semblable à ce héros. Nous nous sommes souvent trouvés ensemble avant qu'il s'embarquât pour Troie sur de creux navires, avec les plus nobles d'entre les Argiens : depuis ce temps Ulysse et moi nous ne nous sommes point vus. » [213] Le prudent Télémaque lui dit :
« Étranger, je te répondrai sans détour : ma mère m'a dit que j'étais le fils
d'Ulysse, mais moi je l'ignore ; car nul ne sait quel est son père (11).
Ah ! que n'ai-je reçu le jour d'un homme fortuné que la vieillesse atteint au
milieu de ses richesses ! Mais, c'est, dit-on, au plus malheureux des mortels
que je dois la vie : voilà ce que tu m'as demandé. » Télémaque réplique à ces paroles : « Étranger, puisque tu m'interroges en paraissant prendre part à notre situation, apprends que cette demeure aurait ton jours été opulente et considérée si Ulysse fût resté parmi nous ; mais les dieux, méditant des maux cruels, en décidèrent autrement : animés à le poursuivre, ils voulurent qu'entre tous les hommes il terminât ses jours par une mort ignorée. Je pleurerais moins sa perte s'il eût succombé avec ses compagnons parmi le peuple des Troyens, ou dans les bras de ses amis, après avoir terminé la guerre. Maintenant tous les Grecs lui eussent élevé une tombe, et c'eût été pour son fils un grand honneur dans l'avenir : mais les Harpies (13) l'ont enlevé sans gloire. Il est mort sans qu'on l'ait vu, sans qu'on ait entendu sa voix, ne me laissant que la douleur et le deuil. Ce n'est pas pour lui seul que je pleure, car les dieux m'ont aussi réservé d'autres maux. Tous les chefs puissants qui règnent sur les îles de Dulichium, de Samé, de la verte Zacynthe, et tous ceux qui gouvernent l'âpre Ithaque, aspirent à la main de ma mère et ravagent mon palais. Elle n'ose refuser cette odieuse union, et cependant elle ne peut se résoudre à l'accomplir. Tous les prétendants dévorent mon héritage en festins, et bientôt ils me perdront moi-même. » [252] Minerve-Pallas, émue de compassion, s'écrie : « Hélas ! combien tu dois gémir sur l'absence d'Ulysse, de ce héros qui, de son bras, frapperait ces prétendants effrontés ! Si maintenant il paraissait, s'arrêtant sous les portiques de son palais, avec son casque, son bouclier et ses deux javelots, tel, enfin, qu'il était, quand, pour la première fois. Je le vis buvant et se réjouissant dans notre demeure, alors qu'il arrivait d'Ephyre, ayant vu Ilus, fils de Mermeris. Ulysse, sur un navire rapide, était allé chez ce roi lui demander un poison mortel pour imprégner ses flèches ; Ilus refusa, craignant d'offenser les dieux éternels, et ce fut mon père qui le lui donna, tant il chérissait ce héros. Tel qu'Ulysse était alors, que ne paraît-il au milieu des prétendants ! Pour eux tous quelle mort prompte et quelles unions amères ! Mais j'ignore si les dieux qui tiennent nos destinées sur leurs genoux (14) voudront que ce héros revienne ou non pour se venger dans son palais. Maintenant, je t'engage à songer aux moyens de chasser les prétendants de cette demeure. Prête-moi une oreille attentive et recueille avec soin mes paroles : demain, convoque en assemblée les plus illustres des Achéens ; adresse leur à tous des discours en prenant à témoins les dieux, puis, ordonne aux prétendants de retourner dans leurs domaines. Si ta mère désire contracter un nouvel hyménée, qu'elle se rende auprès de son père qui est tout-puissant : ses parents concluront son mariage et lui feront de magnifiques présents, dignes d'une fille aussi tendrement aimée. Je te donnerai encore un prudent conseil, mais sois docile à ma voix : arme un vaisseau garni de vingt rameurs, choisis-le avec soin et cours t'informer de ton père absent depuis si longtemps. Peut-être seras-tu instruit de ces choses par quelque mortel, ou entendras-tu la puissante renommée, cette voix de Jupiter qui retentit en tous lieux aux oreilles des hommes. [284] D'abord, rends-toi à Pylos et interroge l'illustre Nestor ; puis tu iras à Sparte, auprès du blond Ménélas, de celui qui arriva le dernier de tous les Grecs à la cuirasse d'airain. Si tu apprends que ton père respire encore et qu'il se prépare au retour, attends-le, malgré tes peines, durant une année entière ; si au contraire tu entends dire qu'il a péri et qu'il n'existe plus, tu reviendras dans ta chère patrie, tu érigeras un tombeau à Ulysse, tu célébreras en son honneur de pompeuses funérailles, et tu donneras un époux à ta mère. Dès que tu auras rempli ces devoirs, songe au fond de ton âme par quels moyens tu pourras exterminer dans ton palais, soit ouvertement, soit par ruse, tous les prétendants. Il ne faut point te livrer à des jeux puérils, puisque tu n'es plus un enfant. N'as-tu pas appris quelle renommée s'est acquise parmi les hommes l'illustre Oreste en immolant l'infâme et parricide Égisthe qui tua le célèbre père de ce héros ? Ami (je te vois grand et beau), sois donc fort aussi pour que la postérité parle de toi avec gloire. Mais il est temps que je retourne vers mon rapide navire, près de mes compagnons qui sans doute s'impatientent de mon absence. Quant à toi, retiens bien mes paroles et mets à profit mes conseils. » [306] Le prudent Télémaque lui répond aussitôt : « Étranger, tu m'as adressé du fond de l'âme des paroles amies comme le fait un père à son fils : aussi je ne les oublierai jamais. Mais, quoique tu sois pressé de partir, demeure encore en ces lieux pour goûter les douceurs du bain et te réjouir le cœur ; puis tu emporteras sur ton navire un don précieux et magnifique, qui te comblera de joie et sera pour toi un gage de mon souvenir comme ceux qu'offrent aux étrangers les hôtes bienveillants. » [314] Minerve, la déesse aux yeux d'azur, lui dit : « Ne me retiens pas plus longtemps, car je désire continuer ma route. Quant au présent que m'offre ton cœur, tu me le donneras lorsque je serai de retour, pour que je puisse l'emporter dans ma demeure ; alors j'accepterai ce don superbe, et, en récompense, tu en obtiendras un digne de toi. » [319] En achevant ces mots. Minerve aux regards étincelants, s'éloigne et s'envole comme un oiseau qui se perd dans les nues. Elle remplit le cœur de Télémaque de courage et d'audace, et le souvenir d'Ulysse s'y réveille avec une force nouvelle. Frappé d'étonnement, il s'abandonne à ses peines en reconnaissant dans son hôte une divinité de l'Olympe. Soudain ce héros s'avance avec la majesté d'un dieu, et s'arrête auprès des prétendants. [325] Au milieu d'eux préludait un illustre chanteur, et tous assis l'écoutaient en silence : il chantait les malheurs des Achéens et le triste retour que leur avait imposé loin d'Ilion Minerve-Pallas. [328] Retiré dans un appartement supérieur (15), la sage Pénélope, fille d'Icare, recueille en son âme ces chants sacrés ; puis elle descend l'escalier élevé de son palais, non pas seule, mais accompagnée de deux suivantes. Quand cette noble femme est arrivée près des prétendants, elle se tient sur le seuil de la porte, et un voile léger couvre son visage : deux suivantes, d'une conduite irréprochable, se tiennent à ses côtés. Alors, les yeux baignés de larmes, elle adresse ces paroles au chantre divin : [337] « Phémius, vous connaissez beaucoup d'autres récits qui charment les mortels, tels que les exploits des héros et des dieux que célèbrent les poètes. Chantez donc une de ces actions mémorables tandis que les hommes boivent le vin en silence ; mais cessez ce chant lugubre qui m'afflige et porte le désespoir au fond de mon cœur brisé par la douleur la plus grande. Oui, je regrette une telle âme (16) en songeant à mon époux, dont la gloire a retenti dans toute la Grèce depuis Hellas jusqu'au milieu d'Argos (17). » [345] Le prudent Télémaque reprend aussitôt en ces termes : « Ma mère, pourquoi refuser à ce poète harmonieux de nous charmer selon les inspirations de son esprit ? Ce ne sont pas les poètes qui causent nos infortunes, mais Jupiter, qui distribue comme il lui plaît ses dons aux ingénieux mortels (18). Ne reproche pas à Phémius de célébrer les malheurs des Achéens : les chants qu'on admire davantage sont toujours les plus nouveaux. Il faut avoir assez d'empire sur ton cœur pour l'écouter, ô ma mère ! car Ulysse n'est point le seul qui, dans la ville de Troie, ait perdu à jamais le jour du retour : bien d'autres héros sont, comme lui, descendus dans la tombe ! Retourne donc dans tes appartements ; reprends tes travaux accoutumés, la toile et le fuseau, et commande à tes femmes de hâter leur ouvrage. Le soin de parler appartient aux hommes, et surtout à moi qui règne dans ce palais. » [360] Pénélope, frappée d'admiration, se retire en réfléchissant aux sages paroles de son fils ; elle se dirige vers les appartements supérieurs du palais, accompagnée de ses suivantes, et là elle pleure Ulysse, son époux bien aimé, jusqu'au moment où Minerve répand un doux sommeil sur ses paupières. [365] Pendant ce temps les prétendants s'agitent dans les salles obscurcies par les ombres du soir, et tous désirent partager la couche de Pénélope. Alors Télémaque leur adresse ces paroles : [368] « Prétendants de ma mère, hommes remplis d'audace, livrons nous au plaisir du festin et que le tumulte cesse. Il est honorable d'entendre un tel chanteur qui, par sa voix, est égal aux dieux. Demain au point du jour nous nous réunirons tous en assemblée, afin que je vous donne publiquement l'ordre d'abandonner ce palais. Établissez ailleurs le lieu de vos plaisirs, consumez vos richesses et traitez-vous tour à tour dans vos propres demeures. Mais, s'il vous semble meilleur et plus profitable d'enlever impunément les richesses d'un seul homme, continuez ; moi, j'invoquerai les dieux éternels, pour que Jupiter vous châtie selon vos crimes : puissiez-vous alors périr en ces lieux ! » [381] A ces mots, tous compriment leurs lèvres avec dépit et s'étonnent du langage audacieux de Télémaque.
[383] Antinoüs, descendant d'Eupithée, dit au fils de Pénélope : « Télémaque, ce sont les dieux, sans doute, qui t'ont appris à nous traiter avec tant de hauteur, et à nous parler avec une telle assurance. Puisse le fils de Saturne ne jamais t'établir roi dans l'île d'Ithaque, malgré les droits que tu tiens de ton père !» [388] Le prudent Télémaque réplique aussitôt : « Antinoüs, t'irriteras-tu de ce que je vais te dire ? Si telle est la volonté de Jupiter, j'accepterai le sceptre. Penses-tu qu'entre les hommes ce soit un don si funeste ? Non, ce n'est point un malheur d'être roi ; car tout à coup les palais d'un roi se remplissent de richesses, et lui-même est comblé d'honneurs. Certes, dans l'île d'Ithaque il existe un grand nombre de chefs achéens, de jeunes gens et de vieillards, dont l'un peut obtenir la puissance suprême puisque le divin Ulysse n'existe plus. Mais dans mes palais je serai roi et je gouvernerai les esclaves que mon noble père a conquis pour moi. » [399] Eurymaque, fils de Polybe, rompt tout à coup le silence par ces paroles : « Télémaque, les destinées reposent sur les genoux des dieux, et nous ignorons quel est celui d'entre les Achéens qui régnera dans Ithaque. Quant à toi, garde tes biens et gouverne dans ton palais. Il n'est pas un seul homme qui, malgré toi et par violence, veuille te dépouiller de tes richesses tant qu' Ithaque aura des habitants. Mais, parle, toi, le meilleur de tous ; car je veux te questionner sur l'étranger que tu viens de recevoir. D'où vient cet homme ? De quel pays s'honore-t-il d'avoir reçu le jour ? Quels sont ses parents, sa patrie ? T'annonce-t-il le retour de ton père ou arrive-t-il en ces lieux pour réclamer le paiement d'une dette ancienne ? Comme il s'est subitement échappé sans attendre que nous l'ayons reconnu ! Ses traits n'annoncent cependant pas un homme méprisable. » [412] Télémaque lui répond en disant : « Eurymaque, il ne m'est plus possible de compter sur le retour de mon père, et même si quelqu'un venait m'en apporter la nouvelle, je n'y croirais point. Maintenant, je n'attache aucune valeur aux prédictions que recueille ma mère en appelant des devins dans ce palais. Cet étranger est un hôte paternel qui réside à Taphos ; il s'honore d'être Mentes, fils du sage Anchiale, et il règne sur les Taphiens, peuples qui, sans cesse, parcourent les mers. » [420] Ainsi parle Télémaque, quoique dans son esprit il ait reconnu l'immortelle déesse. Les prétendants continuent à goûter les délices du chant et de la danse jusqu'à l'arrivée des ténèbres : la nuit sombre les surprend qu'ils sont encore à se réjouir. Alors chacun d'eux se dirige dans son palais pour se livrer au sommeil. Télémaque se retire aussi vers ses appartements construits dans une cour magnifique, et qui dominent de toutes parts sur une plaine immense. C'est là qu'absorbé par une foule de projets, il va chercher le repos. Auprès de Télémaque une vertueuse femme porte des flambeaux éclatants : c'est Euryclée, fille d'Ops, descendant de Pisenor. Jadis, lorsqu'elle était au printemps de son âge, Laërte l'acheta et donna vingt taureaux pour l'obtenir ; mais il l'honora toujours dans son palais comme une chaste femme, et il n'osa jamais partager sa couche tant il redoutait le courroux de son épouse : c'est elle qui porte en ce moment les flambeaux étincelants. Euryclée aimait Télémaque plus que toutes les autres suivantes du palais, parce qu'elle avait élevé ce jeune prince dès sa plus tendre enfance. [436] Elle ouvre les portes de la riche demeure ; Télémaque s'assied sur son lit, quitte sa molle tunique et la remet entre les mains de cette vénérable femme, qui la plie avec soin et la suspend à une cheville près du lit ; puis elle se hâte de sortir des appartements, en tirant la porte par un anneau d'argent et en lâchant le loquet au moyen d'une courroie. Là, durant la nuit entière, Télémaque, recouvert de la fine toison des agneaux, réfléchit au voyage que lui conseille Minerve.
(01) Bitaube et Dugas-Montbel n'ont
pas suivi exactement le texte grec en traduisant Τροίης ἱέρον προλίεθρον (la
ville sacrée de Troie), le premier par : les remparts sacrés de Troie;
et le second par : les remparts sacrés d'Ilion. Homère ne parle point de
remparts. mais d’une ville, comme le dit le mot προλίεθρον (ville,
cité), qui a été rendu par urbem dans les traductions latines de
Clarke (Homeri Odyssea graece et latine) et de Dübner (Collection
Firmin Didot).
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