ANACRÉON
(sa vie)
TRADUIT PAR M. ERNEST FALCONNET.
ODES
I
SUR
SA LYRE
Θέλω λέγειν Ἀτρείδας,
θέλω δὲ Κάδμον ἄιδειν,
ὁ βάρβιτος δὲ χορδαῖς
ἔρωτα μοῦνον ἠχεῖ.
ἤμειψα νεῦρα πρώην
καὶ τὴν λύρην ἅπασαν·
κἀγὼ μὲν ἦιδον ἄθλους
Ἡρακλέους, λύρη δέ
ἔρωτας ἀντεφώνει.
χαίροιτε λοιπὸν ἡμῖν,
ἥρωες· ἡ λύρη γάρ
μόνους ἔρωτας ἄιδει.
Je
veux chanter les Atrides, je veux aussi chanter Cadmus ; mais les cordes de ma
lyre ne résonnent que pour l'amour. Je les ai d'abord changées, puis j'ai fait
choix d'une autre lyre, et je célébrai les luttes d'Hercule ; mais ma lyre me
répondait par un chant d'amour. Adieu donc, héros ! Adieu pour jamais ! Ma
lyre ne peut chanter que les amours.
II
SUR
LES FEMMES
La
nature a donné aux taureaux des cornes, aux coursiers de durs sabots, aux lièvres
la légèreté, aux lions un gouffre armé de dents, aux poissons les nageoires,
aux oiseaux les ailes, aux hommes la prudence. Il ne restait rien pour les
femmes. Que leur donna-t-elle donc ? La beauté, qui leur sert à la fois de
glaive et de bouclier : celle qui est belle triomphe du fer et du feu.
III
SUR
L'AMOUR
Au
milieu de la nuit, aux heures où l'Ourse tourne près de la main du Bouvier, où
tous les mortels dorment appesantis par le sommeil, l'Amour arrive, et, frappant
à ma porte, ébranle le verrou : "Qui frappe ainsi ? m'écriai-je. Qui
vient rompre mes songes pleins de charmes ? - Ouvre, me répond l'Amour, ne
crains rien, je suis petit ; je suis mouillé par l'orage, la lune a disparu et
je me suis égaré dans la nuit." Entendant ces mots, j'en eus pitié ;
j'allume ma lampe, j'ouvre et je vois un jeune enfant portant des ailes, un arc
et un carquois ; je l'approche de mon foyer, je réchauffe ses petits doigts
dans ma main, de l'autre j'essuie ses cheveux inondés de la pluie. Dès qu'il
est ranimé : "Allons, dit-il, essayons mon arc ; voyons si l'humidité ne
l'aurait point gâté." Il le tend et me perce le cœur comme le
ferait une abeille, puis il saute en riant avec malice : "Mon hôte,
dit-il, réjouis-toi, mon arc se porte bien, mais ton cœur est malade."
IV
SUR
LUI-MÊME
Etendu
sur les tendres myrtes et sur les feuilles de lotos, je veux boire à longs
traits ; l'Amour, rattachant à son cou d'albâtre les plis flottants de sa
robe, me verse le nectar de Bacchus. Pareille a la roue d'un char, la vie précipite
sa course, et dans la tombe il ne reste de nous qu'un peu de poussière.
A quoi bon garder ces parfums pour une pierre insensible ? A quoi bon répandre
des dons précieux sur la terre ? Pendant que je vis encore, inondez-moi de
douces odeurs, couronnez mon front de roses, appelez mon amie. Avant d'aller me
mêler aux danses des morts, Amour, je veux chasser les soucis.
V
SUR
LA ROSE
Unissons
à Bacchus la rose d'Amour. Le front couronné de la rose des Amours, buvons
avec un délicieux sourire. La rose est la plus belle des fleurs ; la rose est
l'objet de tous les soins du printemps ; les roses sont la volupté des dieux mêmes.
Le fils de Cythérée enlace des roses dans ses beaux cheveux quand il danse
avec les Grâces. Couronnez-moi, et la lyre en main, ô Bacchus ! je danserai
autour de tes autels couverts de roses avec une jeune vierge au sein d'ivoire.
VI
ÉROTIQUE
Le
front couronné de roses, buvons avec une douce gaieté ! Une jeune fille aux
pieds délicats, portant un thyrse, qui frémit, enlacé dans le lierre, danse
au son du luth ; près d'elle, un jeune homme à la belle chevelure, à
l'haleine parfumée, marie aux accords de la lyre les chants d'une voix mélodieuse.
L'Amour aux cheveux dorés, le riant Bacchus et la belle Cythérée viennent se
réjouir au banquet du dieu qui charme la vieillesse.
VII
SUR
L'AMOUR
L'Amour
me frappe rudement avec une branche d'hyacinthe et m'ordonne de le suivre. A
travers les torrents rapides, à travers les bois et les précipices, je courais
haletant de sueur ; mon âme errait sur les bords de mes lèvres : j'allais
mourir. Mais l'Amour, agitant sur mon front ses ailes délicates, me dit :
"Toi, tu ne peux aimer."
VIII
SONGE
Pendant
la nuit, je dormais sur des tapis de pourpre, et Bacchus égayait mon sommeil.
Il me semblait m'élancer d'une course rapide sur la pointe des pieds et folâtrer
avec de jeunes filles ; mais des adolescents plus frais que Bacchus, me voyant
au milieu de ces belles, me poursuivaient par de cruelles railleries. Je voulais
alors leur faire de douces caresses, mais ils m'échappèrent tous avec le
sommeil. Resté seul, pauvre malheureux, je cherchais inutilement à m'endormir
de nouveau.
IX
SUR
UNE COLOMBE
"Aimable
colombe, d'où viens-tu ? D'où naissent les suaves parfums que tu exhales en
traversant les airs ? Qui es-tu ? Quel soin t'occupe donc en cet instant ?
-Anacréon m'a envoyé vers un enfant, vers Bathylle, qui règne aujourd'hui en
tyran sur tous les cœurs. Cythérée m'a vendue au poète pour une petite
chanson. Messagère fidèle, je sers ses amours, et maintenant, quelles douces
lettres je porte de sa part ! Il dit qu'il va bientôt me rendre la liberté ;
mais dût-il me la donner, moi je veux rester esclave auprès de lui, car quel
plaisir aurais-je à voler dans les montagnes, sur les plaines, à me reposer
sur les arbres, à manger quelques graines sauvages ! A présent je me nourris
du pain que j'enlève aux mains d'Anacréon lui-même ; il me donne à boire du
vin qu'il a goûté ; puis je danse, et de mes ailes j'ombrage mon maître. Je
me couche et je m'endors sur sa lyre. Tu sais tout ; adieu, voyageur ! Tu m'as
fait jaser plus qu'une corneille."
X
SUR
UN AMOUR EN CIRE
Un
jeune homme vendait un amour en cire ; je m'approche : "Combien veux-tu,
lui dis-je, me vendre cet ouvrage de ta main ?" Il me répond en langage
dorique : "Prends-le pour ce que tu voudras, car, je vais te
l'avouer, je ne suis pas un ouvrier en cire, mais je ne veux pas habiter avec
l'Amour, cet hôte, insatiable.
- Donne-moi donc, donne-le-moi, pour une drachme, ce charmant compagnon de lit.
Et toi, Amour, embrase-moi bien vite, sinon je te ferai fondre dans la
flamme."
XI
SUR
LUI-MÊME
Λέγουσιν αἱ γυναῖκες·
‘Ἀνάκρεον, γέρων εἶ·
λαβὼν ἔσοπτρον ἄθρει
κόμας μὲν οὐκέτ' οὔσας,
ψιλὸν δέ σευ μέτωπον.’
ἐγὼ δὲ τὰς κόμας μέν,
εἴτ' εἰσὶν εἴτ' ἀπῆλθον,
οὐκ οἶδα· τοῦτο δ' οἶδα,
ὡς τῶι γέροντι μᾶλλον
πρέπει τὸ τερπνὰ παίζειν,
ὅσωι πέλας τὰ Μοίρης.
Les
femmes disent : "Anacréon, tu es vieux ; prends un miroir et regarde : tu
n'as plus de cheveux, ton front est chauve."
Pour moi, si mes cheveux me restent encore ou sont tombés, je l'ignore ; ce que
je sais bien, c'est qu'il sied d'autant mieux à un vieillard de jouer avec les
amours et les ris qu'il est plus près de la tombe.
XII
SUR
UNE HIRONDELLE
Quelle
punition veux-tu que je t'inflige, babillarde hirondelle ? Veux-tu que je te
coupe tes ailes rapides ? Ou bien faut-il, comme le fit Térée, que je
t'arrache la langue ? Pourquoi ton babil matinal m'a-t-il enlevé mon doux songe
et Bathylle ?
XIII
SUR
LUI-MÊME
On
dit qu'Atys, mugissant sur les montagnes, appelait la belle Cybèle avec
des accents pleins de délire ; d'autres, après avoir bu sur les bords de
Claras l'onde prophétique de Phébus, dont le front est couronné de lauriers,
sont saisis d'une rage frénétique. Moi aussi, enivré de Bacchus, enivré de
parfums et de ma belle maîtresse, je veux avoir mes fureurs.
XIV
SUR
L'AMOUR
Je
veux, je veux aimer. Amour me donnait ce conseil ; mais moi insensé, je ne sus
pas le suivre. Soudain ce dieu, saisissant son arc et son carquois doré, me
provoque au combat ; moi, comme autrefois Achille, armé d'une cuirasse, d'une
lance et d'un bouclier, je défie l'Amour. Il me lance un dard, je l'évite.
Lorsque ses flèches sont épuisées, le petit dieu irrité se lance lui-même
comme un trait ; il pénètre au milieu de mon cœur et m'ôte toutes mes
forces. A quoi me sert un bouclier ? A quoi me sert de combattre au dehors quand
le combat est au-dedans ?
XV
VIVRE
SANS INQUIÉTUDE
Οὔ μοι μέλει τὰ Γύγεω
τοῦ Σαρδίων ἄνακτος,
οὐδ' εἷλέ πώ με ζῆλος,
οὐδὲ φθονῶ τυράννοις.
ἐμοὶ μέλει μύροισιν
καταβρέχειν ὑπήνην,
ἐμοὶ μέλει ῥόδοισιν
καταστέφειν κάρηνα·
τὸ σήμερον μέλει μοι,
τὸ δ' αὔριον τίς οἶδεν;
ὡς οὖν ἔτ' εὔδι' ἔστιν,
καὶ πῖνε καὶ κύβευε
καὶ σπένδε τῶι Λυαίωι,
μὴ νοῦσος ἤν τις ἔλθηι
λέγηι σε μηδὲ πίνειν.
Je
ne me soucie point de Gygès, roi de Sardes. L'ambition ne me tourmente pas et
les tyrans ne me font pas envie. Tout mon soin c'est de verser des parfums sur
ma barbe, c'est de placer une couronne de roses sur mon front ; tout mon soin
c'est de jouir du présent. Eh ! Qui connaît le lendemain ? Pendant que l'heure
t'est propice, bois, joue aux dés, offre des libations à Bacchus, de peur
qu'une maladie ne vienne te dire : "Il ne faut plus boire !"
XVI
SUR
LUI-MÊME
Tu
chantes les guerres de Thèbes, un autre chante les combats des Phrygiens, mais
moi je chante mes défaites. Ce n'est ni cavalerie, ni infanterie, ni vaisseaux
qui m'ont vaincu ; mais une armée d'une espèce nouvelle m'a percé de ses
traits qui partaient des yeux.
XVII
SUR
UNE COUPE D'ARGENT
O
Vulcain ! Cisèle-moi cet argent. Ne me fais pas une armure complète ; qu'ai-je
à faire des combats? Mais une large coupe, aussi profonde qu'il le sera
possible. Ne grave sur ses contours ni les Astres, ni le Chariot, ni le triste
Orion ; que me font les Pléiades et le Bouvier ? Mais représente une vigne
verdoyante et des raisins qui réjouissent, et les Ménades qui vendangent.
Qu'on y voie un pressoir écumeux et l'Amour et Bathylle avec le riant Bacchus
foulant un doux nectar !
XVIII
MÊME
SUJET
Artiste
ingénieux, grave-moi une coupe gracieuse, peins-moi la Saison qui nous apporte
les roses pleines de délices ; sur l'argent assoupli, représente un joyeux
festin. Ne grave ni sacrifice étranger ni scènes tragiques ; montre-nous plutôt
le fils de Jupiter, le riant Bacchus, et Cypris, prêtresse des amours,
encourageant l'hyménée ; grave sur cette coupe les Amours désarmés et les Grâces
souriant à l'ombre d'une vigne, riche de feuilles et de raisins ; ajoute encore
de beaux enfants auprès desquels folâtre le blond Phébus.
XIX
IL
FAUT BOIRE
La
terre noire boit l'onde, l'arbre boit la terre, la mer boit les airs, le soleil
boit la mer et la lune boit le soleil : ainsi pourquoi donc combattre mes désirs
quand je veux boire à mon tour ?
XX
A
UNE JEUNE FILLE
La
fille de Tantale fut jadis transformée en rocher sur les bords de Phrygie, la
fille de Pandion changée en hirondelle. Pour moi, que ne suis-je un miroir pour
que toujours tu me regardes ? Que ne suis-je une tunique afin que toujours tu me
portes ? Je voudrais devenir une eau limpide pour baigner ton beau corps ? Je
voudrais devenir essence, ô ma maîtresse ! afin de te parfumer ! Que je
sois la bandelette de ta gorge, la perle, ornement de ton cou ou seulement ta
chaussure pour être au moins pressé par tes pieds délicats.
XXI
SUR
LUI-MÊME
Donnez,
donnez, ô femmes ! Que je boive à longs traits la liqueur de Bacchus ! C'est
en vain que je bois, je gémis sous la chaleur. Donnez-moi de ces fleurs
nouvelles, mon front embrasé brûle les couronnes qu'il porte. Mais, ô mon cœur
! comment éteindre le feu des amours ?
XXII
à
BATHYLLE
Sous
cet ombrage frais, Bathylle, repose-toi. Le bel arbre ! Il agite délicieusement
sur ses rameaux sa chevelure délicate ; la voix persuasive d'une source limpide
nous invite auprès de lui : qui donc pourrait passer sans s'arrêter sous ce
charmant asile ?
XXIII
SUR
L'AMOUR DE L'OR
Si
l'or pouvait prolonger la vie des mortels, avec quel soin je garderais le mien !
Et quand la mort viendrait, elle en prendrait quelque peu et s'en irait.
Mais s'il n'est pas en la puissance de l'homme d'acheter la vie, pourquoi gémir
en vain ? Pourquoi soupirer ? S'il faut mourir, à quoi l'or me sert-il ? Oh !
J'aime bien mieux boire, et, quand j'ai bu le doux nectar, me réunir à mes
amis et sur une couche moelleuse sacrifier à Vénus.
XXIV
SUR
LUI-MÊME
Je
suis né mortel et pour parcourir le chemin de la vie : je sais bien la course
que j'ai faite, mais j'ignore celle qui me reste encore à faire. Fuyez donc,
fuyez donc, tristes soucis ; qu'il n'y ait rien de commun entre vous et moi.
Avant d'arriver au terme fatal, je veux jouer, rire et danser avec le joyeux
Bacchus.
XXV
SUR
LUI-MÊME
Quand
je bois du vin, les chagrins s'endorment. A quoi bon les gémissements ? A quoi
bon les peines et les inquiétudes ? Il faut mourir, même quand je ne le
voudrais pas. Pourquoi donc errer dans la vie ? Buvons, buvons le nectar du
joyeux Bacchus ! Quand nous buvons, les chagrins s'endorment.
XXVI
SUR LUI-MÊME
Dés
que Bacchus m'apparaît, mes chagrins s'endorment, je crois posséder tous les
trésors de Crésus, et je fais entendre des sons plus aimables. Etendu sur ma
couche mollement, couronné de lierre, il n'est rien que je ne foule aux pieds.
Combattez, moi je bois. Donne-moi ma coupe, jeune enfant ; j'aime bien mieux
tomber ivre que mort.
XXVII
SUR
BACCHUS
Quand
ce fils de Jupiter, ce riant Bacchus qui délivre les soucis, vient s'emparer de
mon âme, sa douce liqueur m'enseigne à danser.
XXVIII
à
UNE JEUNE FILLE
Allons,
peintre habile, toi qui règnes à Rhodes sur un art fameux, peins ma maîtresse
absente, peins-la comme je vais te le dire. Peins d'abord des cheveux fins et
noirs, et, si la cire le permet, qu'ils exhalent de doux parfums ; sur le côté
des joues arrondies, peins des boucles flottantes, et sous une chevelure d'ébène,
peins le haut d'un front d'ivoire ; aie soin de ne pas confondre et de ne pas séparer
les sourcils : fais-les expirer insensiblement à leurs extrémités ; montre
avec vérité ses yeux de flamme, azurés comme ceux de Minerve, humides comme
ceux de Vénus ; peins son nez et ses joues en mêlant des roses avec du lait ;
peins des lèvres où repose la persuasion et qui appellent le baiser ; sous un
menton délicat, autour d'une gorge d'albâtre, que toutes les Grâces viennent
folâtrer : revêts-la de pourpre et ne laisse voir qu'un peu d'attraits, indice
d'un beau corps. Arrête, arrête, je la vois ! O portrait ! tu vas parler.
XXIX
SUR
LE JEUNE BATHYLLE
Peins-moi
mon cher Bathylle comme je vais te le décrire. Que ses cheveux brillants soient
noirs à l'intérieur, dorés vers les extrémités : sans liens et sans ordre,
que leurs boucles flottent librement ; que son sourcil plus brun qu'un serpent
se dessine sur un front jeune et frais comme la rosée ; que son œil soit fier
et tendre à fa fois, ayant quelque chose de Mars, quelque chose de la belle
Cythérée, et vous laissant suspendu entre la crainte et l'espérance ; donne
à ses joues de rose le velouté de la pêche et répands sur elles, autant que
tu le peux, l'incarnat de la pudeur ; pour la lèvre, je ne sais comment tu
pourras la rendre délicate et pleine de persuasion ; enfin que la cire soit éloquente
dans son silence.
Voilà son visage. Que son cou d'ivoire soit blanc comme celui d'Adonis ! Qu'il
ait la poitrine et les mains de Mercure, les cuisses de Pollux et le ventre de
Bacchus ; au-dessus de sa cuisse délicate, de sa cuisse brûlante, peins-nous
sa naïve puberté appelant déjà la reine de Paphos.
Mais ton art jaloux nous dissimule le contour de son dos ; cependant il est
parfait ! Que te dire de ses pieds ? Prends donc le prix que tu voudras, et de
cet Apollon fais Bathylle ; si jamais tu vas à Samos, de Bathylle tu feras
Apollon.
XXX
SUR
L'AMOUR
Un
jour les Muses ayant enchaîné l'Amour avec des liens de fleurs le livrèrent
à la Beauté. Cythérée le cherche, apportant une rançon pour délivrer
l'aimable captif : il aurait sa liberté qu'il ne s'en irait pas ; il reste, car
il a appris à aimer sa servitude.
XXXI
SUR
SON DÉLIRE
Au
nom des dieux, permets-moi de boire, de boire à pleins bords : je veux, je veux
un doux délire. Ils furent en délire après le meurtre de leur mère, Alcméon
et Oreste aux pieds d'albâtre. Moi qui n'ai tué personne, m'enivrant d'un vin
généreux, je veux, je veux un doux délire. Il était en délire, Hercule,
quand il eut enlevé le terrible carquois et l'arc d'Iphytus ; il était en délire
Ajax, qui heurtait l'épée d'Hector sur son bouclier. Moi, ma coupe en main, la
tête couronnée de fleurs, sans arc et sans
épée, je veux, je veux un doux délire.
XXXII
SUR
LE NOMBRE DE SES AMOURS
Si
tu peux compter toutes les feuilles des arbres et tous les flots soulevés sur
la mer, je te fais le seul historien de mes amours. D'abord dans Athènes, mets
vingt amours, ajoute quinze encore; à Corinthe, comptes-en une foule : les
femmes sont si belles dans cette ville d'Achaïe ! Comptes-en deux mille pour
Lesbos, l'Ionie, Rhodes et la Carie: "Quoi, diras-tu, toujours
!" Je ne t'ai encore parlé ni de la délicieuse Canope ni de la Crète,
île charmante où l'amour parcourt les cités en célébrant ses mystères. Hé
quoi ! irai-je encore te raconter tous les amours de mon cœur au-delà de Gadès,
de la Bactriane, et de l'Inde !
XXXIII
SUR
L'HIRONDELLE
Aimable
hirondelle, toi qui chaque année au printemps viens faire ton nid sur nos
bords, tu disparais en hiver et tu t'enfuis vers le Nil ou vers Memphis.
Pour moi, toute l'année, l'amour niche dans mon cœur ; un nouveau-né se revêt
déjà de plumes, un autre est dans l’œuf, un troisième a brisé sa coquille
à moitié : on entend le gazouillement perpétuel de la jeune couvée qui ouvre
le bec. Les plus grands donnent la becquée aux plus jeunes. A peine élevés,
ils font une nouvelle couvée à leur tour. Que faire ? Je ne puis, hélas !
suffire à tant d'amours!
XXXIV
à
UNE JEUNE FILLE
Ne
me fuis pas, ô jeune fille ! en voyant ma blanche chevelure ; parce que tu es
la fleur vivante de beauté, ne dédaigne pas ma flamme : vois comme la
blancheur des lis se marie bien à des roses enlacées en couronnes.
XXXV
SUR
EUROPE
Enfant,
ce taureau me semble représenter Jupiter : il porte sur son dos une femme de
Sidon, et de ses pieds il fend les flots écumeux de la mer. Quel autre taureau,
échappant aux yeux vigilants du pâtre, franchirait ainsi l'immensité des
ondes si ce n'est Jupiter lui-même.
XXXVI
IL FAUT JOUIR DE LA VIE
Pourquoi
m'apprendre les lois et les sophismes des rhéteurs ? A quoi me servent de
pareils discours ? Certes, il vaut bien mieux m'apprendre à boire la douce
liqueur de Bacchus, à jouer avec la belle Cypris. Déjà ma tête se couronne
de cheveux blancs. Enfant, apporte-moi de l'eau et du vin écumant : il plonge
mon âme dans l'oubli des peines. Bientôt après tu me couvriras d'un linceul :
les morts n'ont plus de désirs.
XXXVII
SUR
LE PRINTEMPS
Vois
comme le printemps fleurit, comme les Grâces sèment les roses ! Vois comme les
flots de la mer sourient calmes et unis ! Vois comme le plongeon sillonne l'onde
! Vois comme la grue fend les airs ! Le soleil nous darde tous ses rayons, les
nuages passent et répandent leurs ombres tremblantes, la terre se couvre de
fruits et montre l'olivier naissant, la vigne se couronne de ses bourgeons : à
travers les feuilles, à travers les épais rameaux se montre le fruit
impatient.
XXXVIII
SUR
LUI-MÊME
Je
suis vieux, il est vrai, mais je bois plus que les jeunes gens ; et si je veux
danser, une outre devient mon sceptre, je n'ai besoin d'aucun appui. Que celui
qui veut combattre se présente et combatte. Apporte ma coupe, jeune enfant, et
que le miel tempère le doux vin. Je suis vieux, il est vrai, mais en dansant au
milieu de vous, j'imiterai encore Silène.
XXXIX
SUR
UN BANQUET
Quand
je bois du vin, la joie descend dans mon cœur et je me mets à célébrer les
Muses.
Quand je bois du vin, je chasse loin de moi les inquiétudes ; les pensées désolantes
s'envolent sur les ailes des vents qui tourmentent les mers.
Quand je bois du vin, le joyeux Bacchus me balance dans les airs parfumés après
m'avoir enivré de sa douce liqueur.
Quand je bois du vin, je tresse des couronnes de fleurs, je les pose sur ma tête
et je chante le calme de la vie.
Quand je bois du vin, j'inonde mon corps des parfums d'une essence odorante, je
presse dans mes bras une jeune fille et je chante Cypris.
Quand je bois du vin, je noie mon esprit dans les coupes profondes, et je folâtre
joyeusement avec un essaim de jeunes vierges.
Quand je bois du vin, c'est un gain véritable, le seul que je puisse emporter
avec moi, car mourir est notre lot commun
XL
SUR L'AMOUR
Ἔρως ποτ' ἐν ῥόδοισι
κοιμωμένην μέλιτταν
οὐκ εἶδεν, ἀλλ' ἐτρώθη.
τὸν δάκτυλον παταχθείς
τᾶς χειρὸς ὠλόλυξε,
δραμὼν δὲ καὶ πετασθείς
πρὸς τὴν καλὴν Κυθήρην
‘ὄλωλα, μῆτερ,’ εἶπεν,
‘ὄλωλα κἀποθνήσκω·
ὄφις μ' ἔτυψε μικρός
πτερωτός, ὃν καλοῦσιν
μέλιτταν οἱ γεωργοί.’
ἃ δ' εἶπεν· ‘εἰ τὸ κέντρον
πονεῖς τὸ τᾶς μελίττας,
πόσον δοκεῖς πονοῦσιν,
Ἔρως, ὅσους σὺ βάλλεις;’
Un
jour Cupidon n'aperçut pas une abeille endormie dans des roses ; il fut piqué.
Blessé au petit doigt de la main, il sanglote, il court, il vole vers la belle
Cythérée : "Je suis perdu, ma mère, je suis perdu ; je me meurs : un
petit serpent ailé m'a piqué ; les laboureurs le nomment abeille." Vénus
lui répondit : "Si l'aiguillon d'une mouche à miel te fait souffrir, ô
mon fils ! combien penses-tu que doivent souffrir ceux que tu atteins de tes
coups."
XLI
SUR UN BANQUET
Soyons
joyeux, buvons du vin, chantons Bacchus, Bacchus, l'inventeur des danses,
Bacchus l'ami des chansons, Bacchus, le compagnon de l'amour, Bacchus, l'amant
de Cythérée, lui qui nous donna la joie, lui qui enfanta les Grâces, lui qui
charme la tristesse, lui qui endort tous les chagrins. Enfants, apportez-nous un
doux mélange de nectar et de miel, et la triste douleur fuira sur l'aile des
vents dans les mers orageuses. Prenons cette coupe et chassons les chagrins. Que
te servira-t-il de gémir sur tes soucis ? Tu ne peux connaître l'avenir ; la
vie des mortels est incertaine. Hé bien ! Je veux être ivre, je veux danser,
je veux être couvert de parfums et jouer avec de belles femmes. Qu'ils
s'abreuvent de chagrins ceux qui veulent s'en abreuver ; mais nous, soyons
joyeux, buvons du vin, chantons Bacchus.
XLII
ÉROTIQUE
J'aime
les danses de Bacchus, ami des jeux ; j'aime à jouer de la lyre avec un jeune
et beau convive ; j'aime mieux encore, le front couronné d'hyacinthes, folâtrer
avec de jeunes vierges. Je ne connais pas l'envie mordante ; je fuis les traits
acérés d'une langue ironique ; je hais les combats que le vin engendre au
milieu des festins nombreux. Avec de jeunes vierges semblables à la fleur
nouvellement épanouie, conduisant les chœurs au son de ma lyre, je porte légèrement
le poids de la vie.
XLIII
SUR
LA CIGALE
Μακαρίζομέν σε, τέττιξ,
ὅτε δενδρέων ἐπ' ἄκρων
ὀλίγην δρόσον πεπωκώς
βασιλεὺς ὅπως ἀείδεις.
σὰ γάρ ἐστι κεῖνα πάντα,
ὁπόσα βλέπεις ἐν ἀγροῖς
†κοπόσα† φέρουσιν ὗλαι.
σὺ δὲ φείδεαι γεωργῶν,
ἀπὸ μηδενός τι βλάπτων·
σὺ δὲ τίμιος βροτοῖσιν,
θέρεος γλυκὺς προφήτης.
φιλέουσι μέν σε Μοῦσαι,
φιλέει δὲ Φοῖβος αὐτός,
λιγυρὴν δ' ἔδωκεν οἴμην·
τὸ δὲ γῆρας οὔ σε τείρει.
σοφέ, γηγενής, φίλυμνε,
ἀπαθής, ἀναιμόσαρκε·
σχεδὸν εἶ θεοῖς ὅμοιος.
Heureuse
cigale, sur la cime des arbres tu bois un peu de rosée et tu chantes comme la
reine de la lyre. Toutes les belles choses que tu regardes dans les champs sont
à toi, tout ce que produisent les saisons t'appartient. Tu es aimée du
laboureur, car tu ne fais de mal à personne ; tu es honorée des mortels, agréable
messagère de l'été ; tu es chère aux Muses ; tu es chère à Apollon lui-même
: il t'a donné une voix harmonieuse ; la vieillesse ne t'accable point. Sage
enfant de la terre, amante des chants joyeux, exempte de maux, n'ayant ni chair
ni sang, tu es semblable aux dieux.
XLIV
SONGE
J'avais
un songe. Je croyais courir, mes épaules portaient des ailes ; l'Amour, ses
beaux pieds chargés de plomb, me poursuit et m'atteint. Que veut dire un songe
pareil ? Je pense qu'enchaîné par beaucoup d'amour, si j'ai pu échapper aux
autres, celui-ci me retient pour toujours.
XLV
SUR LES TRAITS DE L'AMOUR
L'époux
de Cythérée, dans les antres de Lemnos, forgeait avec l'acier les traits de
l'Amour. Cypris trempait leur pointe dans la douceur du miel, mais Cupidon y mêlait
de l'amertume. Mars, au retour des combats, secouant sa lame pesante, parlait
avec mépris des traits de l'Amour : "Celui-ci est pesant, dit Cupidon, éprouve,
tu verras." Mars saisit le trait, Cypris sourit et le dieu des
combats en gémissant s'écrie: "II est lourd, reprends ce trait. -
Garde-le" dit l'Amour.
XLVI
SUR L'AMOUR
Il
est dur de ne pas aimer, il est dur aussi d'aimer ; mais il est bien plus dur
encore d'aimer sans être heureux. En amour, la naissance est méprisée, la
raison et la sagesse sont dédaignées : l'argent seul est estimé. Périsse, périsse
le premier qui aima ce vil métal : à cause de lui plus de frères, à cause de
lui plus de parents ! Il engendre les guerres et les meurtres, et ce qu'il y a
de pire, c'est que les amants périssent faute d'argent.
XLVII
SUR UN VIEILLARD
J'aime
un vieillard joyeux, j'aime un jeune homme qui danse. Un vieillard lorsqu'il
danse, vieux par ses cheveux blancs, est encore jeune par le cœur.
XLVIII
SUR
BACCHUS
Le
dieu qui rend le jeune homme actif aux travaux, intrépide aux amours et
gracieux à la danse, ce dieu revient et apporte aux mortels un philtre
enchanteur, un breuvage qui chasse les inquiétudes. Le raisin fils de la
treille, mûr déjà, mais pendant encore au sarment, a Bacchus pour sentinelle
: dès qu'il sera coupé, il dissipera toutes les maladies, rendra le corps
robuste et donnera l'enjouement à l'esprit jusqu'à ce que brille le nouvel
automne.
XLVIX
SUR
UN DISQUE REPRÉSENTANT VÉNUS
Qui
donc osa graver la mer ? Quel art habile déroula sur ce disque les flots
arrondis de l'onde azurée ? Quel est celui dont l'esprit inspiré des dieux a
représenté sur le dos de l'humide élément la blanche et douce Cypris, reine
des Immortels. Il nous l'a montrée nue : les flots servent seuls de voile aux
appas qu'il faut cacher ; elle erre sur l'eau comme l'algue blanchissante que
balance une onde paisible.
Le corps soutenu par la mer, elle sépare devant elle les vagues frémissantes
et fend pour la première fois les flots répandus autour de son sein de roses,
au-dessous de son cou délicat. Au milieu des sillons d'azur, comme un lis enlacé
aux violettes, Cypris brille sur le calme de la mer. L'argent représente des
dauphins en chœur et portant l'Amour et le Désir qui se jouent des finesses
des hommes. La troupe des poissons, en cercle sur les flots, caresse la reine de
Paphos partout où elle nage en souriant.
L
SUR LE VIN
De
jeunes hommes avec de jeunes filles portent sur les épaules, dans des
corbeilles, le noir raisin et le jettent sur le pressoir. Les hommes seuls
foulent les grappes, font jaillir le vin de sa prison, chantent à pleine voix
le dieu de la treille, en des hymnes consacrés au pressoir, et admirent la
nouvelle liqueur de Bacchus qui frémit dans sa tonne. A peine un vieillard en
a-t-il goûté qu'il danse d'un pied mal affermi en agitant ses blancs cheveux.
L'aimable vendangeur se glisse d'un pas furtif auprès de la jeune fille accablée
de sommeil, dont le beau corps mollement étendu repose à l'ombre du feuillage
; il la sollicite par des caresses prématurées de se rendre traîtresse à
l'hymen. Elle ne croit point à ses discours, et il la force contre sa volonté
: car Bacchus dans son ivresse joue librement avec le jeune homme.
LI
SUR
LA ROSE
Je
chante la rose nouvelle au retour du printemps qu'elle couronne. Mon amie,
soutiens mes accents. La rose est le souffle pur des dieux, la rose est la joie
des mortels, l'ornement des Grâces, la fleur chérie de Vénus dans la saison délicieuse
des amours ; la rose est agréable aux Muses, elle fournit de charmantes allégories
; il est doux d'avancer en tremblant la main dans un sentier épineux pour
cueillir la rose ; il est doux en l'effeuillant de l'échauffer et de frapper
cette fleur d'amour dans des mains délicates et gracieuses.
Comme la rose est chère aux poètes dans les repas et sur les autels de Bacchus
! Hélas! que deviendrions-nous sans les roses ! L'Aurore a des doigts de roses,
les Nymphes ont des bras de roses, Vénus a le teint des roses, selon le langage
des poètes ; la rose est précieuse dans les maladies, elle embaume les tombes,
elle sait braver le temps : la vieillesse conserve encore les plus suaves
parfums de sa jeunesse. Racontons sa naissance. Quand la mer engendra de son écume
la belle Vénus, glissant sur l'onde azurée ; quand Jupiter fit sortir de son
cerveau l'altière Pallas, amante des horreurs des combats, la Terre enfanta la
rose, fleur admirable qui s'épanouit en mille couleurs. La foule des déités
heureuses, présente à sa naissance, versa sur elle une goutte de nectar. Alors
on vit s'entrouvrir sur la branche épineuse la rose superbe, fleur immortelle
consacrée à Bacchus.
LIII
SUR
LUI-MÊME
Quand
je vois un cercle de jeunes gens, ma jeunesse me revient, et soudain, quoique
vieillard, je vole me mêler aux chœurs de la danse. Attends-moi, Cybèle,
donne-moi des fleurs, que je me couronne. Loin d'ici la blanche vieillesse ! Je
redeviens jeune ; je veux danser avec des jeunes gens. Qu'on m'apporte la
liqueur de Bacchus, amant de l'Automne : on verra la vigueur d'un
vieillard qui sait parler, qui sait boire et qui sait délirer avec les Grâces.
LIV
SUR LES AMANTS
Les
chevaux portent sur la croupe l'empreinte d'un fer brillant ; le Parthe se
reconnaît à sa tiare ; moi je reconnais de suite ceux qui aiment : ils portent
dans le fond de leur âme un cachet de triste inquiétude.
LIV
SUR LUI-MÊME
Πολιοὶ μὲν ἡμὶν ἤδη
κρόταφοι κάρη τε λευκόν,
χαρίεσσα δ' οὐκέτ' ἥβη
πάρα, γηραλέοι δ' ὀδόντες,
γλυκεροῦ δ' οὐκέτι πολλὸς
βιότου χρόνος λέλειπται·
διὰ ταῦτ' ἀνασταλύζω
θαμὰ Τάρταρον δεδοικώς·
Ἀίδεω γάρ ἐστι δεινὸς
μυχός, ἀργαλῆ δ' ἐς αὐτὸν
κάτοδος· καὶ γὰρ ἑτοῖμον
καταβάντι μὴ ἀναβῆναι.
Déjà
mon front est dépouillé, ma tête blanchit, l'aimable jeunesse s'est enfuie
loin de moi ; mes dents même ont vieilli. Il ne me reste plus longtemps à
jouir des douceurs de la vie. Pour moi qui redoute le Tartare, cette pensée me
tire souvent des soupirs : l'aspect de ce séjour est affreux, la pente qui y
conduit est horrible. Tous les mortels y descendent : nul n'en connaît le
retour.
LV
SUR
LUI-MÊME
Ἄγε δὴ φέρ' ἡμὶν ὦ παῖ
κελέβην, ὅκως ἄμυστιν
προπίω, τὰ μὲν δέκ' ἐγχέας
ὕδατος, τὰ πέντε δ' οἴνου
κυάθους ὡς ἂν †ὑβριστιῶς†
ἀνὰ δηὖτε βασσαρήσω.
Ἄγε δηὖτε μηκέτ' οὕτω
πατάγωι τε κἀλαλητῶι
Σκυθικὴν πόσιν παρ' οἴνωι
μελετῶμεν, ἀλλὰ καλοῖς
ὑποπίνοντες ἐν ὕμνοις.
Allons,
enfant, apporte-moi une large coupe, que je boive à longs traits. Mélange cinq
mesures de vin vieux avec dix mesures d'eau afin que nul excès ne vienne
troubler les joies de Bacchus...
Allons, verse du vin ; mais point de cris, point de tumulte ; gardons-nous
d'imiter l'ivresse brutale des Scythes : buvons, buvons au milieu des chants les
plus aimables.
LVI
SUR
L'AMOUR
Je
chante l'Amour, ce gracieux enfant ! Son front est paré de mille fleurs ; c'est
lui qui est le vainqueur des dieux, c'est lui qui dompte les mortels.
LVII
SUR
LE PRINTEMPS
Qu'il
est doux de s'égarer sur des gazons émaillés que le zéphyr caresse de sa délicieuse
et suave haleine, d'admirer les richesses de Bacchus, et sous l'ombre heureuse
des pampres d'étreindre en ses bras une jeune fille respirant Vénus tout entière.
LVIII
SUR LUI-MÊME
Donnez-moi
la lyre d'Homère sans la corde des combats. Apportez les coupes des festins ;
apportez-moi des oeillets, je les mêlerai. Après avoir bu, je danserai
gaiement dans ma sainte fureur, je chanterai sur ma lyre le pétulant Bacchus.
LIX
SUR UN TABLEAU
Allons,
peintre distingué, écoute les accents de ma Muse lyrique : peins les villes
s'abandonnant les premières aux ris et à la gaieté ; peins les Bacchantes folâtres
qui aiment les jeux et les flûtes aux doubles sons ; et si la cire le permet,
peins-nous les lois des amants.
LX
SUR UNE JEUNE FILLE
Πῶλε Θρηικίη, τί δή με
λοξὸν ὄμμασι βλέπουσα
νηλέως φεύγεις, δοκεῖς δέ
μ' οὐδὲν εἰδέναι σοφόν;
ἴσθι τοι, καλῶς μὲν ἄν τοι
τὸν χαλινὸν ἐμβάλοιμι,
ἡνίας δ' ἔχων στρέφοιμί
σ' ἀμφὶ τέρματα δρόμου·
νῦν δὲ λειμῶνάς τε βόσκεαι
κοῦφά τε σκιρτῶσα παίζεις,
δεξιὸν γὰρ ἱπποπείρην
οὐκ ἔχεις ἐπεμβάτην.
Jeune
et belle cavale de Thrace, pourquoi ce regard inquiet, pourquoi cette fuite précipitée
: tu me crois donc sans adresse et sans force ? Apprends que je puis te courber
sous le frein, et, tenant la bride, te lancer en vainqueur dans la poussière de
l'arène. Maintenant tu folâtres dans les pâturages où ta légèreté joue et
bondit, car jusqu'ici aucun habile écuyer n'a su te dompter.
FRAGMENTS.
I
SUR
L'AMOUR
O
souverain, ô tyran des cœurs ! La belle Vénus et les Nymphes aux tendres
regards courent légèrement avec toi sur le sommet des montagnes : Amour, écoute
favorablement mes prières; daigne me secourir; engage ma jeune maîtresse à
couronner mes désirs ardents.
II
ÉPITHALAME
Vénus,
reine des déesses ; Amour, puissant vainqueur ; Hymen, source de vie, c'est
vous que je célèbre dans mes vers. C'est vous que je chante, Amour, Hymen et Vénus.
Regarde, jeune homme, regarde ta maîtresse ; lève-toi, Stratocle, favori de Vénus,
Stratocle, mari de Myrille, admire ta jeune épouse ; sa fraîcheur, ses grâces
et ses charmes la font briller entre toutes les femmes. La rose est la reine des
fleurs : Myrille est une rose au milieu de ses compagnes. Jouis de ses chastes
embrassements jusqu'à ce que le soleil éclaire les lieux les plus sombres.
Puisses-tu bientôt voir croître dans ta maison un fils qui te ressemble !
ÉPIGRAMMES
I
SUR
TIMOCRATE
καρτερὸς ἐν πολέμοις Τιμόκριτος οὗ τόδε σᾶμα
῎Αρης δ' οὐκ ἀγαθῶν φείδεται ἀλλὰ κακῶν
Timocrate,
vaillant au milieu des combats, repose dans ce tombeau. Mars n'épargne point
les braves : les lâches seuls sont à l'abri de ses coups.
II
SUR
AGATHON
Toute
la ville d'Abdère a poussé des cris de douleur en voyant sur le bûcher le
belliqueux Agathon, mort en défendant ses murs. Mars avide de sang n'a jamais
immolé au milieu des cruels combats un jeune guerrier aussi fameux.
III
SUR
CLEONORIDE
Le
désir de revoir votre chère patrie, ô Cléonoride ! vous a conduit au trépas.
Vous avez osé vous exposer pendant l'hiver à la fureur des vents orageux :
cette saison perfide vous a été funeste. Les flots irrités vous ont englouti
dans la fleur de votre brillante jeunesse.
IV
SUR
UN TABLEAU DE BACCHANTES
Celle
qui tient un thyrse, c'est Éliconias ; Xanthippe est à ses côtés ; Glaucé
marche ensuite. Elles reviennent des montagnes, portant à Bacchus du lierre,
des grappes de raisin et un chevreau gras.
V
SUR
LA GÉNISSE DE MYRON
Berger,
fais paître plus loin ton troupeau, car avec tes génisses tu pourrais par
erreur emmener celle de Myron, comme si elle respirait véritablement.
VI
SUR
LE MEME SUJET
Cette
génisse n'a point été jetée en moule : la vieillesse l'a changée en bronze.
Myron prétendait faussement, que c'était un ouvrage de sa main.
VII
ÉPITAPHE
D'ANACRÉON
Par
Julien.
J'ai
souvent chanté dans mes vers et je le répéterai du fond de mon tombeau:
"Amis, buvez avant que la mort vous réduise en poussière."
FRAGMENTS.
Puissé-je mourir, c'est le seul remède aux maux que j'endure.
ἐγὼ δ' οὔτ' ἂν 'Αμαλθίης
βουλοίμην κέρας οὔτ' ἔτεα
πεντήκοντὰ τε κἀκατὸν
Ταρτησσοῦ βασιλεῦσαι
Moi je ne désire ni la corne d'Amalthée ni de régner cent cinquante ans à Tartessus.
Déjà commence le mois consacré à Neptune : les nuages roulent de noirs torrents d'eau, les tempêtes furieuses se détachent avec des bruits effrayants.
ἠρίστησα μὲν ἰτρίου λεπτοῦ μικρὸν ἀποκλάς
οἴνου δ' ἐξέπιον κάδον νῦν δ' ᾶβρῶς ἐρόεσσαν
ψάλλω πηκτίδα τῇ φίλῃ κωμάζων παιδὶ ᾶβρῆι
J'ai mangé un peu, j'ai bu de la liqueur de Bacchus ; je touche maintenant les cordes voluptueuses de ma lyre, je célèbre les charmes et les attraits de ma maîtresse.
ἐρέω τε δηὗτε κοὐκ ἐρέω
καὶ μαίνομαι κοὐ
μαίνομαι
J'aime et je n'aime point, je suis fou et je suis sage.
Je
veux rire et folâtrer avec toi : ton caractère est aimable et ton humeur
charmante.
Lorsque je t'écoutais attentivement, bien décidé à fuir l'Amour, ce dieu
s'est rendu maître de mon cœur
Jeune beauté, dont les cheveux flottants sont couverts d'un voile tissu d'or,
daigne écouter un vieillard.
Je hais et je déteste ceux qui parlent d'un ton élevé, emphatique : savoir
garder le silence, voilà la plus belle qualité.
Φέρ'
ὕδωρ φέρ' οἶνον
ὦ παῖ φέρε <δ'>
ἀνθεμόεντας
ἡμὶν
στεφάνους
ἔνεικον, ὡς δὴ
πρὸς Ἔρωτα
πυκταλίζω.
Apporte de l'eau, apporte du vin ; donne-moi des couronnes de fleurs fraîchement écloses. Je ne veux pas combattre plus longtemps contre l'Amour.
L'Amour me donne des ailes légères : je m'élève jusques aux cieux ; mais
l'objet de mon ardeur est insensible à mes feux.
FIN D'ANACRÉON