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Claudien

 

PANÉGYRIQUE SUR LE QUATRIÈME

CONSULAT D'HONORIUS.

 

 

 


 

PANÉGYRIQUE SUR LE QUATRIÈME CONSULAT D'HONORIUS.

Une fois encore l'année se pare des auspices du prince, et, devenue plus fière, elle jouit de la splendeur de cette cour qui lui est si connue. Impatients de rester attachés à la porte d'un sujet, les faisceaux applaudissent au consul qui les rappelle au palais. Voyez les arbitres des combats et les organes des lois adopter la parure patricienne, et les légions, quittant leur couleur pour la robe des Gabiens, suivre, au lieu des drapeaux sanglants de Mars, les paisibles drapeaux de Romulus. L'aigle fait place au licteur, le soldat sourit, revêtu de la toge, et l'arène des combats devient le sanctuaire des lois. Bellone même, entourée d'un cercle de sénateurs, Bellone revêt déjà la trabée, et, déposant le bouclier et le casque, ne dédaigne pas de s'atteler au char sacré des consuls. Et toi, dieu des batailles, ne rougis pas de porter d'une main pacifique la hache couronnée de laurier, et d'échanger pour la toge latine la cuirasse étincelante, tandis que ton char de fer repose immobile, et que tes coursiers bondissent dans les prés de l'Éridan. Ils ont de justes droits à nos hommages, et Mars depuis longtemps les connaît, les descendants de Trajan, les enfants de l'Ibérie, à qui l'univers doit tant de monarques. Non, une source vulgaire n'a pas produit un si beau sang : c'est l'Océan qui en baigna le berceau. Ils devaient naître du père commun des êtres, les maîtres futurs de la terre et des mers. C'est là que ton aïeul naquit, ton aïeul que l'Afrique, après ses brillants triomphes dans les froides régions, couronna encore des lauriers de Massylie ; lui qui assit son camp sur les glaces de la Calédonie, supporta, le casque en tête, les chaleurs de la Libye, et devint la terreur du Maure, le conquérant de la Bretagne, le dévastateur des états où règnent et l'Auster et Borée. Que peuvent contre lui l'inclémence du ciel, la rigueur du climat, les écueils d'une mer inconnue ? Le sang du Saxon terrassé arrosa les Orcades ; le sang du Picte fuma sur les rivages de Thulé, et les pleurs de l'Hibernie coulèrent sur les restes glacés de l'Écossais. Que peut la chaleur contre son courage ? Il parcourut les déserts de l'Éthiopie, enveloppa l'Atlas de légions inconnues, but l'eau vierge du Triton, vit la couche empreinte des poisons de la Gorgone ; et les vergers des Hespérides, que la fable enrichit de ses trésors, n'offrirent à ses yeux qu'une verdure sans beauté. On le vit livrer aux flammes le palais de Juba, abattre sous le fer la rage du Maure, et rendre à la poussière l'antique demeure de Bocchus. Mais combien ton père, par ses exploits, effaça ton aïeul. L'Océan fut soumis à ses lois, et les bornes du ciel devinrent celles de son empire. Les plages qui s'étendent du Tigre aux colonnes d'Hercule, du Nil au Tanaïs, il les conquit et les couvrit d'innombrables trophées. Sa royauté ne fut pas un don de la naissance ni l'ouvrage de l'ambition : c'est à son mérite qu'il dut d'être choisi. La pourpre suppliante s'offrit d'elle-même à lui, et, seul, il ne régna que pour céder à des prières. Les Barbares, arrachés à leurs repaires, [3,50] inondaient le Rhodope, et l'Ourse, désormais abandonnée, vomissait contre nous ses essaims vagabonds : des deux rives du Danube s'élançaient des bataillons armés. Déjà la Mysie entière gémissait sous les chariots du Gète, déjà mille hordes farouches couvraient les champs de la Thrace ; tout craignait, tout attendait ou recevait le coup fatal. Ton père résista seul à tant de désastres ; et, l'incendie une fois éteint, rendit le laboureur à ses guérets, et sauva les cités des gouffres de la mort. Il n'allait plus rester une ombre du nom romain, quand, pour soutenir l'état prêt à crouler et raffermir le vaisseau battu par la tempête, apparut Théodose qui, d'une main sûre, déroba la patrie au naufrage. Ainsi, dans le désordre de la nature, un char, égaré au milieu des airs, emportait Phaéton : le soleil déchaînait ses feux, et dévorait de ses rayons rapprochés la terre et les ondes ; soudain Phébus accourt, et, du ton accoutumé, gourmande ses coursiers rebelles. À peine ont-ils reconnu la voix de leur maître que le ciel, sous un guide plus sûr, recouvre son harmonie : le char reprend son cours, et la chaleur sa bénignité. Ainsi fut sauvé l'Orient, remis aux mains de Théodose ; mais l'Occident, qui refusa ses soins, fut deux fois la conquête de son courage, deux fois le prix de ses dangers. Deux tyrans, par des crimes divers, ont fondu sur les plaines du Couchant. La Bretagne a vomi l'un de son sein ; l'autre, un Germain exilé l'a choisi pour esclave. Tous deux, coupables d'un crime, ont trempé leurs mains dans le sang d'un maître innocent. La nouveauté inspire l'audace au premier : l'exemple commande au second la prudence. Maxime est plus prompt à former des projets, Eugène à chercher sa sûreté. Celui-là disperse, celui-ci concentre ses forces. Le Breton s'écarte au loin, le Germain ne quitte pas ses retranchements. Leur vie est différente, mais leur mort est pareille : ils n'ont pu, l'un ni l'autre, échapper à l'opprobre, ni mourir dans la mêlée. Dépouillés de leur masque, privés de la pourpre et rendus à leur condition première, ils présentent leurs mains aux fers, leurs têtes aux glaives levés pour les frapper. O honte ! ils osent demander le pardon et la vie, eux qui, naguère, d'un coup d'œil, faisaient mouvoir de nombreuses armées, qui tenaient l'univers incertain dans son obéissance ; ils tombent non en ennemis sous les coups d'un vainqueur, mais en coupables sous les coups d'un juge. Tyrans, Théodose les frappa de son glaive ; criminels, il les condamne par ses arrêts. Leurs conseillers ont déjà cessé d'être : l'un s'est précipité d'un vaisseau dans les ondes ; l'autre a terminé sa vie par le fer. Ils trouvent, celui-ci sur les Alpes, celui-là dans la mer, un tombeau. La mort de leurs assassins est une consolation que donne un vengeur à deux frères égorgés. Une pareille victime calme leurs mânes augustes. Voilà l'offrande portée sur le tombeau des deux jeunes princes ; le sang des bourreaux apaise leurs ombres royales. Ce double triomphe prouva à la fois la justice de la cause et l'intérêt des dieux. Apprenez, [3,100] races futures, qu'il n'est pas d'obstacle pour le juste, de sûreté pour le coupable. Théodose avait parcouru sans qu'on le reconnût de longs espaces, devancé la renommée, et, s'annonçant lui-même, immolé d'un coup inattendu les coupables, et franchi comme une plaine des montagnes fortifiées. Entassez roc sur roc ; élevez des tours ; protégez-vous par des torrents profonds et de vastes forêts ; placez le Gargan sur la tête des Alpes, l'Apennin sur les neiges des Pyrénées ; entassez l'Haemus sur le Caucase, le Pélion sur l'Ossa : vous ne ferez pas un mur qui mette le crime à l'abri : il arrivera, le ministre de la vengeance : la cause la plus juste saura tout aplanir. Cependant Théodose, se souvenant qu'il est citoyen, n'a pas fait sentir sa fureur aux troupes fugitives ; loin d'insulter à leur défaite, il ouvrait l'oreille aux prières, et son cœur à la clémence. Sobre de châtiments, il ne porta pas la colère dans la paix ; et le terme des combats fut celui des vengeances. Le vaincu fut heureux de l'avoir pour vainqueur, et ceux qu'il avait terrassés durent aux chaînes qu'ils portèrent leur fortune et sa protection. Prodigue de trésors et d'honneurs, c'était son penchant et sa jouissance de rendre leur sort moins cruel. De là cet amour, de là ce dévouement du soldat invincible ; de là encore cette fidélité qu'hériteront ses enfants ! Heureux d'une si noble origine, tu naquis, et avec toi naquit ta grandeur : jamais tu ne sentis la disgrâce d'une condition privée. Les autres, le palais les reçut ; seul, c'est dans le palais que tu vins au jour ; seul tu grandis dans la pourpre de ton père ; et tes membres, que ne profana jamais le vêtement des sujets, furent recueillis sur un royal tissu. L'Espagne, dont les fleuves roulent de l'or, vit naître ton père ; le Bosphore s'applaudit de ta naissance. Aux portes du couchant naquirent tes aïeux ; l'Aurore te servit de nourrice. Rejeton illustre, tu es un sujet de disputes ; deux mondes te réclament pour citoyen. C'est de Bacchus et d'Alcide que Thèbes tire se gloire ; c'est à la naissance de Latone que Délos cessa de flotter, et la Crète se vante des premiers pas que forma le maître de la foudre. Mais elle efface Délos, elle surpasse les sommets du Dicté, la contrée qui nous a donné un dieu dans Honorius. Ces rivages étroits n'ont pu lui suffire ; une couche rocailleuse, sur les roches inhospitalières du Cinthe, n'a pas blessé ses membres. C'est appuyée sur l'or, couverte de diamants, étendue sur la pourpre, que Flaculle devint mère, et le palais, au jour de sa délivrance, retentit de religieux accords. Que de signes précurseurs de ton avenir ! Que ne promirent pas alors les chants et le vol des oiseaux ! Dans quel délire s'égarèrent les devins ! Pour toi, Jupiter reprit une voix, et, muet depuis longtemps, Delphes rompit le silence. Les mages chantèrent dans la Perse ; les augures, dans l'Étrurie, pressentirent tes destinées ; la vue des astres glaça l'habitant de Babylone ; l'étonnement saisit les vieillards de la Chaldée ; et, dans sa grotte, taillée dans les rochers de Cumes, tonna une fois encore la voix de la Sibylle. Sans doute le prêtre de Cybèle ne promena pas autour de ton berceau ses cymbales retentissantes ; [3,150] mais, à tes côtés, parut une armée éclatante. Environné des enseignes, enfant divin, tu vis les casques s'incliner en la présence, et tu répondis aux clairons par un vagissement guerrier : le même jour, tu reçus la naissance et l'empire. C'est du berceau que tu montas sur le char des consuls, et ton nom prononcé depuis un jour marqua les fastes. On te fit don de l'année qui te vit naître : ta mère enveloppa ton enfance dans les plis de la trabée, et dirigea tes premiers pas vers la chaise curule. Tu croissais, objet de leurs hommages, sur le sein, dans les bras sacrés des déesses. Diane souvent suspendait à tes épaules, comme ornement de ton enfance, les arcs du Ménale et le carquois des chasseurs. Souvent tu te jouais sur le bouclier de Minerve, et, parcourant sans danger la redoutable égide, tu flattais d'une main intrépide les serpents caressants. Souvent encore, aux yeux enchantés de son époux, la reine, devançant de ses vœux l'avenir, plaçait avant le temps le diadème sur ton front, puis te présentait, porté dans ses bras d'albâtre, aux baisers de ton illustre père. Bientôt les degrés sont franchis : de prince de la jeunesse devenu César, tu marches l'égal de ton frère. Jamais le langage des dieux ne fut plus certain ; jamais mortel n'obtint du ciel de plus favorables présages. Un noir orage avait enveloppé la céleste voûte, et l'Auster avait amoncelé les nuages. Mais à peine, avec les acclamations accoutumées, le soldat t'avait-il élevé sur le tribunal, que Phébus dissipa ces vapeurs, et le même instant qui remit le sceptre en tes mains rendit le jour au monde. L'œil, par delà le Bosphore éclairci, contemplait Chalcédoine : le soleil ne découvre pas seulement les contrées qui l'avoisinent ; la Thrace entière sort du sein de ces vapeurs ; le Pangée réfléchit la lumière, et le marais Méotide resplendit de rayons inconnus à ses bords. Ce n'est pas le souffle de Borée, ni l'ardeur du soleil qui ont dissipé les ombres ; c'est un éclat avant-coureur de ton élévation : tout brille d'une clarté prophétique ; la nature sourit de la sérénité qu'elle te doit. Que dis-je ? au milieu du jour, apparut aux peuples étonnés une étoile audacieuse : loin de languir incertains, émoussés, ses rayons égalent ceux dont le Bootès illumine la nuit. Elle apparut dans un ciel hospitalier, à une heure qui n'était pas la sienne ; et, dans l'absence de Phébé, on put la reconnaître. C'était peut-être ton auguste mère, peut-être ton aïeul, placé au rang des dieux ; peut-être encore le soleil consentait-il à partager l'empire du ciel avec les astres de la nuit, empressés de te voir. Ce présage n'est pas un mystère. Aux yeux d'Ascagne brilla le gage de sa puissance future, quand une flamme innocente entoura d'une clarté soudaine sa chevelure, et que, promenée sur la tête du jeune Phrygien, elle traçait autour de ses tempes un cercle d'argent, emblème de sa destinée. Mais pour toi ce sont les feux mêmes du ciel qui présagent ta grandeur future. Tel, au sortir des grottes de l'Ida, Jupiter, jeune encore, parut au sommet de l'Olympe, devenu son empire, et reçut l'hommage des dieux que lui soumettait la nature. Un duvet printanier [3,200] n'ombrageait pas encore son visage : sur son cou ne flottait pas encore la chevelure destinée à ébranler l'univers ; et déjà son bras novice apprenait à lancer la foudre et à déchirer la nue. Théodose sourit à cet augure. Fier de ses fils, déjà égaux en grandeur, il revenait appuyé sur ce double soutien ; et, radieux sur son char, les pressait clans ses bras paternels. Ainsi les Gémeaux , fils de Léda , siègent près de l'immortel auteur de leurs jours : à la ressemblance de leurs traits, à l'or de leurs robes flottantes, à l'étoile fixée sur leur tête , on reconnaît des frères, on reconnaît une sœur : pour Jupiter, l'erreur même a des charmes ; Léda jouit de son ignorance, et l'Eurotas sait à peine distinguer ses nourrissons. À peine le père et son fils sont-ils rentrés au palais, que Théodose adresse au jeune prince ce discours que lui dicte l'intérêt de l'état: « Mon fils, si le sort t'avait donné le sceptre de la Perse, si, descendant des Arsacides, tu portais sur ton front la tiare révérée des barbares habitants de l'Orient, il te suffirait d'une illustre naissance ; et, plongé dans le luxe et l'indolence, ta noblesse pourrait, seule, te soutenir. Mais combien est différente la condition des maîtres de Rome ! Leur appui, c'est la vertu, non le sang : grande et féconde, quand elle s'unit au pouvoir, la vertu, dès qu'elle se cache, ne mérite que dédains : ensevelie dans les ténèbres, en quoi peut-elle servir à ses obscurs adorateurs ? Elle ressemble au navire sans pilote, à la lyre muette, à l'arc sans ressort. Il faut, pour la trouver, se connaître soi-même et calmer l'orage de ses passions : l'on n'y parvient que par de longs détours. Ce que l'on apprend pour soi, apprends-le pour l'univers. Lorsque, par le mélange de la terre et de l'air, Prométhée façonnait notre corps, il déroba l'immatérielle raison dans le ciel, sa patrie, et l'enchaîna, malgré sa résistance, dans une prison mortelle ; puis, à défaut d'autre moyen pour former l'homme, à cette première âme il en ajouta deux autres. Celles-ci s'affaissent et périssent avec le corps ; celle-là reste seule, et, survivant au bûcher, revole dans le ciel. Il la plaça dans la tête, siège éminent, d'où elle règle les devoirs et préside aux actions : ses esclaves habitent au-dessous d'elle, et, sous ses lois suprêmes, un séjour approprié à leurs fonctions. Il craignit en effet, l'artisan de nos corps, de confondre l'essence céleste avec la matière , et fixa en des endroits divers, à diverses distances, toutes les parties de l'âme. Près du cœur, à la source du sang, dans un espace que la rage enflamme et gonfle, que l'effroi glace et resserre, il plaça la colère, armée de flammes, ardente à nuire, victime de ses transports ; et, comme elle entraînait tout dans sa fougue, et refusait aux membres tout repos, il imagina le poumon, pour équilibrer la chaleur par l'humidité, et amollir les fibres gonflées. Pour la cupidité, qui toujours demande et ne donne jamais, il la relégua dans le foie et [3,250] les régions inférieures : monstre qui, ouvrant une large gueule, ne peut assouvir et repaître sa faim. Tantôt en proie aux soucis rongeurs de l'avarice, aux aiguillons brûlants de l'amour, tantôt dans l'allégresse ou la douleur, rassasiée et toujours insatiable, elle renaît plus souvent que l'Hydre abattue par le fer. Le mortel qui pourra calmer ces mouvements tumultueux offrira à la raison un inébranlable sanctuaire. Vainement ton empire s'étendrait aux dernières limites de l'Inde : vainement le Mède, l'Arabe voluptueux et le Sère t'apporteraient leur encens. Si ton cœur est ouvert à la crainte, à des désirs honteux, aux transports de la colère, soumis au joug des passions, tu nourriras en toi d'impérieux tyrans ; mais règne sur toi-même, et tu auras des droits à l'empire de l'univers. Un penchant trop violent entraîne l'homme au mal : la licence le porte aux excès, et le livre sans frein à ses charmes funestes. Quelle chasteté est difficile, quand le plaisir est sans obstacles ! Et qu'avec peine on étouffe la colère, quand l'occasion seconde la vengeance ! Réprime ces emportements, consulte moins ton pouvoir que l'honneur ; et que le sentiment du bien serve de frein à tes actions. Sache encore , ô mon fils, et mes discours te le rediront souvent, que tu vis entouré des regards de l'univers ; que tes actions ont tous les peuples pour témoins, et que, pour les faiblesses des princes, il n'est point de secret. L'éclat que jette leur destinée n'admet pas le mystère : il n'est pas de retraite où ne pénètre, pas de réduit obscur que n'explore la renommée. Surtout montre-toi débonnaire : lorsque l'homme le cède en tout aux dieux, c'est par la bonté seule qu'il les peut égaler. Garde-toi de montrer le doute et la défiance ! Sois ami sincère et ferme l'oreille aux insinuations de la calomnie ; pour qui s'occupe de ces vagues rumeurs, toute heure devient inquiétude et tourment. Plus sûr que les guerriers et les armes, l'amour des sujets est la garde des rois. Ce sentiment, la force ne le peut arracher : c'est le prix de la confiance, le don d'une affection sans feinte. Et ne vois-tu pas la concorde unir les parties de ce bel univers, les éléments rapprochés sans violence entretenir une inaltérable harmonie ; le soleil se renfermer dans sa carrière, la mer dans ses limites, et l'air, sans cesse embrasser et soutenir la terre, sans jamais l'affaisser par sa pesanteur ni céder sous son poids ? Inspirer la crainte, c'est déjà l'éprouver : tel est le sort des tyrans. Que, jaloux de la gloire, ennemis de la valeur, ils vivent entourés d'un rempart de glaives et de poisons ; que, placés dans leurs forts dangereux, ils tremblent à la fois et menacent : toi, citoyen aussi bien que père, oublie-toi ; pense aux autres : l'intérêt public, et non ton intérêt, tel doit être ton mobile. As-tu rendu une loi utile ? Si tu veux qu'on l'observe, il t'y faut ranger le premier. Le peuple trouve l'obéissance plus facile et le joug moins pesant, quand il voit l'auteur de la [3,300] loi s'y soumettre lui-même. L'exemple des rois est la règle du monde ; et, pour toucher les cœurs, les décrets ont moins d'empire que l'exemple du monarque : l'instant qui change un prince change aussi les sujets. Il est d'autres devoirs encore : garde-toi de mépriser la faiblesse, ou de franchir les bornes fixées aux humains : l'orgueil est une tache à la vie la plus belle. Je ne t'ai pas légué le peuple que Saba façonne à l'esclavage ; je ne t'ai pas établi maître des champs Arméniens ; et l'Assyrie, que régit une femme, n'est pas un don de ton père. C'est Rome, longtemps la maîtresse du monde, dont tu seras le maître ; Rome qui ne put supporter l'orgueil d'un Tarquin, ni la tyrannie d'un César. Des princes qui ne sont plus, l'histoire dira les crimes, éternisera la honte. Qui pardonnera jamais les forfaits monstrueux des Césars ? Qui pourra ignorer les sanglants massacres de Néron, et les plaisirs incestueux du vieillard enseveli dans les infâmes grottes de Caprée ? Mais la gloire de Trajan volera d'âge en âge. Dira-t-on qu'il a dompté le Tigre ? réduit la Perse vaincue au rang de nos provinces ? traîné au Capitole les Daces enchaînés à son char ? On dira qu'il aima sa patrie. Ne cesse, ô mon fils, d'imiter ces modèles. Si la guerre gronde, exerce tes guerriers à la fatigue, et prélude ainsi aux rigueurs de Mars. Que l'hiver et ses frimas, que le repos et sa langueur n'engourdissent pas leurs bras. Vois lorsqu'il faut asseoir le camp dans un endroit salubre, et placer sur le rempart de vigilantes sentinelles. Apprends où tu dois serrer les colonnes, étendre ou resserrer de nouveau les ailes ; connais les troupes qui conviennent à la guerre de montagne ou aux plaines, les sentiers dangereux, les vallons favorables aux surprises. Si l'ennemi se fie à ses murailles, que la baliste les attaque de ses coups redoublés ; que le bélier fasse voler les pierres ; que la tortue poussée avec force vienne frapper les portes ; et que la jeunesse, par des sentiers souterrains, s'élance dans la ville. Si le siège se prolonge, garde que la sécurité n'endorme ta vigilance, et ne te crois pas inaccessible dans ton camp : un excès de confiance a fait bien des victimes ; c'est épars, c'est assoupis, que les guerriers trouvent le trépas : un vainqueur dut souvent sa défaite à l'imprudence. Écarte de tes tentes les délices des cours ; écarte de tes drapeaux des troupes pusillanimes et chargées d'armes de luxe. Ne crains ni les pluies ni le souffle des vents, et que, pour repousser la chaleur, des pavillons dorés n'ombragent pas ta tête. Qu'il te suffise d'une nourriture sans apprêt : tu animeras les courages si tu partages les fatigues. S'il se présente une colline escarpée, gravis-la le premier. Si c'est une forêt que le besoin force d'abattre, ne rougis pas, la cognée à la main, de renverser un chêne ; s'agit-il de franchir un marais croupissant, que ton coursier, le premier, en sonde la profondeur. Voilà des fleuves : glacés, tu les passeras à la course ; sinon fends-les à la nage. Qu'on te voie, tantôt cavalier, [3,350] tantôt fantassin, te mêler dans les rangs, te placer aux côtés de ces guerriers. Devenu leur compagnon, tu hâteras leur marche, et leurs fatigues seront, sous tes yeux, un honneur, un plaisir.» Ton père allait parler encore, que tu l'interrompis : « Oui, si le ciel sourit à mes projets, je suivrai ces avis ; et les peuples commis à mon empire retrouveront en moi et mon frère et l'auteur de mes jours. Mais pourquoi l'expérience ne m'apprendrait-elle pas ce que m'enseignent tes leçons ? Tu marches vers les glaces des Alpes : attache-moi à tes pas ; permets que je puisse, l'arc et les traits en main, faire pâlir le tyran et porter la mort dans son sein. Quoi ! je verrai l'Italie livrée aux fureurs d'un brigand, Rome sous le joug d'un esclave ! Ne suis-je encore qu'un enfant ? Et le trône insulté, et une vie qui m'est chère, ne me commanderaient pas la vengeance ! C'est dans le sang que je veux baigner mon coursier : donne-moi sans délai des armes. Pourquoi alléguer ma jeunesse ? Quoi ! je serais incapable de combattre. C'est à mon âge que Pyrrhus renversait seul les murs de Troie, et se montrait le digne rejeton d'Achille. Enfin si, comme prince, je ne puis suivre tes drapeaux, je les suivrai comme soldat. » Théodose embrasse son fils, et, transporté d'admiration : « J'approuve tes désirs, répond-il ; mais ton ardeur est précoce. L'âge viendra, et la force avec l'âge : ne préviens pas le moment. Tu n'as pas vu dix printemps, et tu aspires à des exploits que redoute l'âge mûr ! Je reconnais en toi une grande âme. Au milieu de l'allégresse de ses amis, le vainqueur de Porus pleurait, dit-on, à la nouvelle des succès de Philippe, dont la valeur ne lui laissait rien à conquérir. Ces mouvements, je les retrouve en toi ; oui, qu'il soit permis à un père de s'en flatter ! oui, tel sera mon fils. Tu ne dois pas à ma faveur un empire que t'a déjà donné la nature. Ainsi les abeilles honorent, dès sa naissance, le monarque destiné à guider leurs bruyants essaims dans les prés fleuris, lui demandent de régler leurs travaux, et lui livrent leurs doux rayons. Ainsi règne déjà sur les pâturages, et conduit les génisses, le jeune taureau à qui ses cornes, mal affermies encore, donnent déjà de l'audace. Mais pour combattre, attends la jeunesse ; et, tandis que la guerre va m'occuper, consens à partager ici ma place avec ton frère. Que l'Araxe indompté et le rapide Euphrate vous redoutent ! Que le Nil, sur tous ses bords, reconnaisse vos lois, ainsi que les contrées qu'échauffent les premiers feux du jour. Si les Alpes s'ouvrent devant moi, si le succès couronne la cause la plus juste, tu viendras prendre les rênes des états recouvrés, régir la Gaule belliqueuse, et donner à l'Ibérie, mon berceau, des lois équitables. Alors, sans crainte pour l'avenir, heureux de mes travaux, je remettrai à mes fils l'empire des deux mondes, et terminerai ma carrière. Cependant cultive les muses, quand l'âge est tendre encore, et lis ce que tu dois bientôt imiter. Que l'antiquité grecque, que l'antiquité romaine ne cessent jamais de converser avec toi. Passe en revue les antiques héros, et prélude [3,400] ainsi aux travaux de la guerre : reporte-toi aux premiers âges de Rome. La liberté conquise plait-elle à ton courage ? tu admireras Brutus. La perfidie te fait-elle horreur ? tu applaudiras au supplice de Mettus. Si l'excès de la sévérité t'attriste, déteste l'exemple de Manlius. Honore les Décius : mourir pour la patrie est le plus beau destin. Tu verras dans Coclès, debout sur un pont chancelant, en face de l'ennemi, dans Mucius, livrant sa main à la flamme, ce que peut, même seul, un héros. Fabius te montrera les avantages d'une sage lenteur ; Camille, vainqueur des Gaulois, ce que fait, dans un moment critique, le chef d'une armée. Là, tu apprendras que la disgrâce ne peut abattre la vertu : la cruauté de Carthage éternise le nom de Régulus, et les malheurs de Caton sont au-dessus des triomphes. Là, tu apprendras encore ce que peut une honnête pauvreté : Curius était pauvre lorsque, par les armes, il terrassait les rois ; pauvre encore Fabricius, lorsqu'il rejetait l'or de Pyrrhus. Serranus, dictateur, conduisait une humble charrue : le licteur honora les chaumières : les faisceaux furent attachés au seuil de leurs portes, et longtemps on vit des mains consulaires sillonner les plaines et recueillir les moissons. » Ainsi te parlait Théodose. Tel un vieux pilote, dont l'hiver battit les navires par de fréquents orages : courbé sous le poids des fatigues et des ans, il remet le gouvernail aux mains de son fils ; il lui dit les périls et les ressources, l'astre propice au navigateur, l'art d'éluder le choc des vagues, les signes avant-coureurs de la tempête, la perfidie d'un ciel serein, les présages qu'on tire du soleil à son coucher, et le vent dont la rafale rougit le front pâle et décoloré de la lune. Père fortuné, quelle que soit ta place ; que tu habites l'Auster ou les Trions glacés, tes voeux seront remplis : tu vois Honorius qui déjà t'égale, et, ce que tu désirais plus encore, te surpasse en vertus. Il le doit à l'appui de Stilicon ; Stilicon ! tes derniers vœux l'ont donné pour appui et défenseur aux deux frères. Il n'est rien, pour nous, que ce héros ne consente à souffrir ; il brave également la fatigue des voyages et les caprices des mers ; il osera, fantassin magnanime, franchir les sables de l'inculte Libye, et, pilote audacieux, traverser, au coucher de l'humide Pléiade, les Syrtes africaines. Cependant Honorius, c'est lui que tu charges de pacifier le Rhin et les peuples inquiets et barbares de ses bords. Il vole, emporté par de rapides coursiers, et, sans avoir à sa suite une troupe de défenseurs, il marche vers ces lieux où s'étendent les Alpes sourcilleuses de la Rhétie ; telle est même sa confiance, que, sans escorte, il touche à la rive ennemie. Tout à coup, sur la surface du fleuve, s'avancent des rois, la tête baissée, la frayeur dans l'âme. Le Sicambre abaisse aux pieds du héros sa blonde chevelure ; le Franc, les genoux en terre, l'implore d'une voix timide : c'est Honorius absent qu'on atteste ; c'est ton nom qu'implore l'Allemagne suppliante. [3,450] Accourent à la fois et le Bastarne cruel, et le Bructère, habitant d'Hercynie : le Cimbre quitte ses vastes marais ; le Chérusque, à la taille gigantesque, les bords de l'Elbe. Stilicon prête l'oreille, souscrit lentement à leurs vœux, et, comme un bienfait suprême, leur accorde la paix. Un traité avec les Germains illustra jadis les Drusus ; mais des succès balancés, de nombreuses défaites en avaient été le prix. Vit-on jamais la crainte seule enchaîner le Rhin ? Ce que d'autres n'ont obtenu que par de longues guerres, Stilicon en fait la conquête en passant. La Gaule est à peine pacifiée, que tu l'engages à réparer les maux de la Grèce. L'onde Ionienne est couverte de voiles si nombreuses que le vent les enfle avec peine : destinées à sauver Corinthe, Neptune seconde leur marche sur la mer aplanie. Et depuis longtemps exilé de ce rivage, le jeune Palémon, avec sa mère désormais sans alarmes, regagne enfin le port. Déjà les chars nagent dans le sang ; la jeunesse barbare périt : ici la maladie, là le glaive la moissonnent. Les bois du Lycée, les arbres de l'Érymanthe ne peuvent suffire à la flamme des bûchers ; et, dépouillé par la hache, le Ménale applaudit au feu qui dévore ses débris. Qu'Éphyre livre aux vents les cendres de l'ennemi : que l'habitant de Sparte et de l'Arcadie, désormais rassuré, foule ces montagnes de morts, et que la Grèce vengée respire enfin de ces désastres. Un peuple, les glaces de la Scythie n'en virent jamais de plus nombreux, un peuple, qui trouvait à son passage l'Athos trop étroit et la Thrace trop resserrée, abattu sous tes coups et ceux de tes guerriers, pleure sur les faibles restes de lui-même. L'univers lui présentait à peine un théâtre assez vaste ; une colline aujourd'hui le renferme. Brûlé par la soif, resserré dans ses remparts, il cherche en vain les eaux qui naguère coulaient pour lui. Stilicon leur a creusé d'autres canaux, et forcé le fleuve, détourné de son cours, de rouler ses flots étonnés dans un lit étranger et des vallées inconnues. M'étonnerai-je de la défaite d'un ennemi exposé à tes coups, quand je vois le Barbare envier ton empire, le turbulent Sarmate prêter serment sous tes drapeaux, le Gélon, dépouillé de ses fourrures, combattre pour toi, et l'Alain adopter les usages des Latins ? Si, dans la guerre, tes regards tombent sur des héros, dans la paix, ils s'arrêtent sur des amis de la justice ; et, fidèle à tes choix, rarement tu les remplaces par des choix nouveaux. Rome, sous des magistrats révérés, goûte, comme aux jours du belliqueux Romulus, ou du pacifique Numa, les avantages que procurent la guerre et la paix. Le glaive n'est plus suspendu sur les têtes, la noblesse immolée, la délation générale, le citoyen malgré ses pleurs arraché à sa patrie : les tributs ont cessé d'accroître les tributs : une affiche n'indique plus les victimes vouées à la mort, une pique les biens soumis aux enchères ; une voix intéressée n'appelle pas l'acheteur ; et la fortune des sujets ne grossit plus le trésor du prince. Prodigue de [3,500] louanges, tu es économe de largesses : ce n'est pas l'or qui te promet la fidélité, un salaire qui t'assure l'amour : dans les camps qui furent ton berceau, nourrisson du soldat, tu obtiens et son bras et son cœur. Enfin, quel soin tu prends de Rome ! Quels sont tes égards pour le sénat ! On rajeunit les vieux usages, on rend aux lois leur puissance première ; surannées, on les réforme ; insuffisantes, on les complète. Ainsi agit Solon dans Athènes ; ainsi, rassurée par la sévérité de Lycurgue, la guerrière Lacédémone dédaigna de s'entourer de remparts. Est-il, sous ton règne, une cause si futile, une erreur si légère qui t'échappent ? Qui sait, avec plus de justice, terminer des débats incertains et, du sein des ténèbres, faire jaillir la vérité ? Quelle indulgence à la fois et quelle rigueur ? Toujours égale et ferme, ton âme ne se laisse entraîner ni aux impressions de la crainte, ni à l'admiration de la nouveauté. Que de lumières dans ton esprit ! Que de charmes dans ton langage ! Tes réponses étonnent l'ambassadeur, et ta sagesse cache ton jeune âge. Combien sur ton visage brille la majesté de ton père ! Comme la grâce se marie sur ton front à la sévérité, la noblesse sans fierté à la modestie sans bassesse ! Ta tête déjà remplit le casque de ton père : déjà ta main essaie la lance de ton aïeul ; et ces essais promettent aux Romains un héros qu'appellent leurs désirs. Quelle est ta majesté, quand tu marches couvert du bouclier, vêtu d'une cuirasse dorée et rehaussé par le panache étincelant sur ton casque ! Tel était le jeune dieu de la Thrace, quand, fatigué pour la première fois du poids de la lance, il plongeait son corps dans les eaux du Rhodope. Quelle force anime ton javelot ; où, lorsque tu tends l'arc de Gortynie, que ton arc est heureux, et ta flèche fidèle à frapper le but, sans jamais s'éloigner de l'objet désigné ! Tu connais l'art du Crétois, l'adresse de l'Arménien à diriger ses traits, et la confiance que met le Parthe dans sa fuite. Ainsi, dans la palestre de Thèbes, Alcide, embelli par la sueur, essayait contre les monstres les traits dont le Dictys armait son carquois, traits destinés à dompter les géants et pacifier l'Olympe ; le sang marquait toujours ses pas, et le fruit qu'il rapportait de sa victoire charmait toujours Alcmène. Tel était encore le vainqueur de l'horrible Python, Python qui, de ses replis mourants, entourait les arbres brisés. Lorsque, porté sur un coursier, tu retraces dans tes jeux l'image des combats, qui sut jamais fuir avec plus de grâce et par plus de détours, qui montra plus de vigueur à pousser sa lance. Qui plus que toi excelle dans l'art des retours imprévus ? Ni le Massagète, ni le Thessalien, habitué à manœuvrer dans la plaine, ni le Centaure, ne sauraient t'égaler. Ils te suivent à peine, les compagnons de tes courses, et les bataillons qui semblent suspendus dans les airs : derrière toi, le vent gonfle les dragons fatigués. Dès que l'éperon a éveillé l'ardeur de ton coursier, ses naseaux jettent la flamme, son pied ne touche pas la terre, sa crinière agitée retombe sur ses épaules : son harnais est en désordre ; [3,550] dans sa bouche écumante, le mors fume et le sang en rougit l'or et les perles ; mais il y a de la grâce dans cette noble sueur, dans cette poussière, dans cette chevelure désordonnée : la pourpre de ton manteau réfléchit les rayons du soleil et s'agite au souffle du vent qui s'engouffre dans ses plis. Si les chevaux se choisissaient un maître, Arion, nourri dans les crèches des Néréides, te réclamerait pour guide ; Cyllare, au mépris de Castor, obéirait à tes rênes, et Xanthus dédaignerait le blond Achille. Pégase lui-même aimerait à te soumettre ses ailes, et, fier de porter un plus noble fardeau, jetterait sur Bellérophon un regard dédaigneux. Que dis-je ? le rapide précurseur de l'aurore, Aethon qui par ses hennissements dissipe les étoiles, et reconnaît les lois du brillant Lucifer, Aethon, quand de la voûte éthérée il te voit diriger ton coursier, Aethon envie son maître et voudrait écumer sous ta main. Quels vêtements encore, quelle pompe étonnèrent nos regards, quand, revêtu de la robe des consuls, avec un éclat jusqu'alors inconnu, tu traversais la Ligurie, et, qu'élevé au milieu des blanches cohortes, tu pressais, dieu nouveau, les bras entrelacés de la jeunesse. Ainsi Memphis promène ses divinités : du sein du sanctuaire sort l'idole : elle est de petite stature ; et pourtant les prêtres nombreux qui la traînent, haletants sous le lin, attestent, par leur fatigue, qu'ils sont attelés au char d'un dieu. Le sistre résonne sur les bords du Nil ; la flûte redit les accords consacrés dans l'Égypte. Apis, la tête inclinée, répond par de sourds mugissements. À cette solennité se rendent les nobles enfants du Tibre, et les nourrissons du Latium. Ce jour réunit toute la noblesse qui, dans l'univers, te dut, à toi, ou à ton père, sa grandeur. Consul, de nombreux consuls t'environnent, et tu aimes à t'associer les pères de la patrie. Le Tage place à tes côtés les plus nobles habitants de ses rives, la Gaule ses savants citoyens, Rome, tous ses sénateurs. Sur les épaules de la jeunesse est porté un siège d'or, et, sur le siège, un dieu qu'alourdit sa nouvelle parure ; les diamants de l'Inde en relèvent la surface ; l'émeraude ductile y marie ses fils précieux à l'améthiste, et l'or de l'Ibérie tempère par ses feux moins ardents l'azur de l'hyacinthe. À la beauté du tissu, l'art ajoute ses merveilles : l'aiguille en rehausse le mérite : là vivent d'insensibles métaux, là brille le jaspe transparent ; là respirent les perles sous mille formes. Quel fuseau si hardi a su soumettre une si rare étoffe ? Comment l'art de la navette a-t-il tiré de ces pierres de solides tissus ? Qui, sondant les impénétrables abîmes des mers orientales, a envahi l'empire de Thétys, cherché dans les sables bouillonnants les produits précieux de l'algue, uni les perles à la pourpre, et mêlé [3,600] les flammes de Sidon aux flammes d'Érythrée ? Le Phénicien a fourni la couleur, le Sère, la matière, l'Hydaspe, les diamants. Si tu parcourais, ainsi paré, les cités méoniennes, la Lydie t'offrirait ses thyrses enveloppés de pampres ; Nysa ses chœurs bruyants ; la Ménade douterait pour quel dieu devraient éclater ses transports, et la tigresse caressante viendrait offrir sa tête au joug. Ainsi, chargeant son manteau de perles d'Érytrée, Bacchus conduit son char, et soumet à des jougs d'ivoire les monstres d'Hyrcanie : les Satyres l'entourent : la Bacchante échevelée enchaîne l'Indien avec le lierre des vainqueurs ; et le Gange enivré, gémit sous le poids de pampres ennemis. Bientôt de prophétiques acclamations remplissent le tribunal, quand, une quatrième fois, tu es inscrit dans les fastes. C'est par un emblème de liberté que s'ouvrent les présages solennels : fidèle à l'usage qu'établit Vindex, la loi amène à tes pieds un esclave délivré de ses chaînes : heureux du coup qui l'affranchit, il s'en retourne moins inquiet. La main qui a touché son visage efface la honte de sa condition, imprime sur sa joue la rougeur du citoyen ; et le simulacre d'outrage qu'ont appelé ses vœux met son dos à l'abri des fouets cruels. Un avenir prospère sourit désormais à l'empire ; ton nom en est le gage, et l'exemple du passé assure son avenir. Ton père ne te mit jamais à la tête de l'armée, sans cueillir un nouveau laurier. Jadis, pour traverser le Danube, les Grothonges transformèrent les forets en flottants édifices : chargés de leurs bataillons sauvages, trois fois mille vaisseaux fendaient les ondes : Odothée les guidait. Mais l'aurore de ta vie et ton premier consulat virent échouer ces tentatives : la flotte disparut submergée. Jamais cadavres flottants n'offrirent aux poissons de l'Ourse une plus abondante pâture. Peucé gémit sous leur poids ; le fleuve, par ses cinq bouches, charrie à peine à la mer le sang de ces barbares. La reconnaissance de Théodose te rapporte les dépouilles d'Odothée, et la gloire du triomphe. Sous de nouveaux auspices tu étouffes la guerre civile. Ainsi l'univers te doit la ruine des Grothonges, et la défaite d'un tyran : l'Ister, sous ton consulat, roula des flots de sang : sous ton consulat encore, les Alpes devant ton père abaissèrent leurs sommets. Mais, naguère auteur des succès de ton père, aujourd'hui tu vas l'être des tiens : toujours la trabée t'apporta des triomphes, et la victoire suit toujours tes faisceaux. Puissent tes consulats, sans cesse renouvelés, passer ceux de Marius et d'Auguste ! Quelle joie sentira l'univers, quand, au moment où le duvet commencera d'ombrager ton visage, la nuit qui préside à l'hymen allumera pour toi les torches nuptiales ! Quelle épouse partagera ta couche, et, brillante de l'éclat de la pourpre, volera dans les bras d'un si noble époux ? Quelle beauté, devenue la bru de tant d'immortels, recevra pour dot l'empire de la terre et des mers ? Que d'accents célébreront cet hymen par-delà les limites de l'Eurus et du Zéphyr ! [3,650] Que ne m'est-il donné de consacrer mes vers à cette heureuse union, et de t'appeler du nom de père ! Le temps viendra où l'on vous verra, ton frère et toi, portant tes victoires par-delà les bras du Rhin, Arcadius, chargé des dépouilles de l'orgueilleuse Babylone, marquer d'un éclat plus brillant une année à tous les deux commune ! Un jour le Suève, à la longue chevelure, combattra sous tes drapeaux ; un jour le Bactrien, aux bornes de l'univers, redoutera les haches de ton frère.