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Claudien

 

ÉLOGE DE LA REINE SÉRÈNE

ÉPOUSE DE STILICHON.

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

ÉLOGE DE LA REINE SÉRÈNE

ÉPOUSE DE STILICHON.

—s—

 

Pourquoi Calliope, tarder si longtemps à couronner Sérène des lauriers dus à ses vertus? crains-tu, dis-moi, qu’elle ne dédaigne tes hommages, et que son front, habitué au diadème, aux perles de la mer Érythrée, ne repousse les fleurs dont la reine du Pinde voudrait orner sa royale chevelure; ces fleurs que ne peuvent flétrir ni le souffle glacé de Borée, ni l’haleine brûlante de Sinus; ces fleurs qui croissent, toujours vermeilles, sur les bords du Permesse où règne un éternel printemps, dans ces fraîches prairies que la fontaine Aganippe alimente de son onde nourricière; ces fleurs dont les divines abeilles de l’Hélicon composent leur miel, délices des âges futurs?

Quelle femme offrit jamais aux poètes de plus nobles vertus pour sujet de leurs chants? Que la Grèce célèbre cette chaste Thessalienne qui, pour racheter les jours de son époux, le remplaça dans le séjour des ombres, et n’hésita pas à retrancher de sa propre existence les années qu’elle ajoutait à celles de son cher Admète; que les Muses latines montent leur lyre pour chanter cette Tanaquil, confidente des secrets du Destin, cette Clélie affrontant les flots du Tibre, pour rentrer dans Rome, cette Claudia qui, d’un câble tressé de sa chevelure vierge, traîna contre le courant du fleuve le vaisseau de la Mère des dieux; que, dans ses sublimes inspirations, le vieillard de Méonie consacre tout un poème à la gloire d’une femme; qu’il nous peigne Charybde soulevant les flots irrités, Scylla excitant ses chiens dévorants, Circé préparant ses poisons, Ulysse échappant à la voracité d’Antiphate, et son navire, guidé par des rameurs sourds à la voix des Sirènes, s’éloignant sans danger de leur perfide retraite; le Cyclope privé de la clarté du jour, Calypso délaissée dans son île; que, pour relever la gloire de Pénélope et faire briller sa chasteté dans tout son jour, il déploie pour elle seule cette vaste scène; que son époux, éprouvé par d’innombrables travaux et sur terre et sur mer, par dix ans de guerres et dix ans de tempêtes, nous montre le pouvoir de la fidélité conjugale; que Claudia, secondée par une déesse, jouisse du bonheur de prouver son innocence, et que la nef, longtemps immobile, en cédant à ses efforts, dissipe les soupçons qui planaient sur sa pudeur; que Pénélope, par d’habiles délais, trompe l’espoir de ses amants, et que, pour se jouer de leurs ardents transports, son aiguille industrieuse détruise pendant la nuit l’ouvrage qu’elle a tissu le jour toutes ces héroïnes n’oseraient se comparer à Sérène.

Si la noblesse de l’extraction est le principe de toutes les vertus; si, pour trouver la cause des belles actions, il faut remonter à cette source; quelle plus noble origine, quel sang plus pur que le sang des monarques? Tant de grandeur ne pouvait naître sous le toit d’un sujet obscur; tant d’illustration n’était pas réservé à d’indigents pénates. L’éclat dont vous êtes redevable à Théodose, votre oncle paternel, s’augmente encore de la gloire de votre belliqueux aïeul, de ce héros qui fit trembler l’océan Britannique à la vue de ses aigles triomphantes, et qui repoussa les armes du Gétule. Que Cornélie, fille des Scipions, cesse de vanter son illustre origine, et de s’enorgueillir d’avoir reçu pour dot les trophées de Carthage ! votre front se couronne de lauriers moissonnés par vos aïeux dans les deux hémisphères: par l’un, dans la froide Calédonie; par l’autre, dans les régions de l’Auster. Votre illustre race ne tenait pas encore les rênes de l’univers, lorsque Lucine vous fit naître sous l’influence des plus heureuses constellations; et, pour mettre Le comble à votre gloire, au moment où Sérène reçut le jour, sa famille monta sur le trône.

Ibérie ! quelle voix mortelle pourrait dignement célébrer tes régions fortunées? Si des bords de L’Indus le Soleil s’élance dans sa carrière; au terme de sa course, c’est dans tes mers qu’il baigne ses coursiers haletants: c’est là que les astres viennent respirer de leurs fatigues. Terre fertile en chevaux, prodigue de moissons, riche en mines précieuses, féconde en princes vertueux, la postérité t’est à jamais redevable de Trajan; berceau d’Adrien et de ses successeurs, tu donnas le jour aux deux jeunes frères qui nous gouvernent et à leur illustre père. Si les autres contrées que Rome a reçues dans son alliance, ou qu’elle a soumises par les armes, fournissent aux besoins divers de l’empire; si l’Égypte et la Libye alimentent nos camps de leurs abondantes récoltes; si la Gaule, par ses vigoureux enfants, entretient la force de nos légions; si l’Illyrie élève d’infatigables cavaliers pour les ailes de nos armées : l’Ibérie seule s’est réservé le plus noble de tous les tributs : elle nous envoie des Césars. De toutes parts, nous arrivent des moissons, de for, des soldats; tout l’univers verse chez nous ses produits; l’Ibérie donne le jour aux maîtres de la terre. Mais, c’est peu pour elle d’être la pépinière des grands hommes, si, par ses héroïnes, elle ne l’emporte encore sur toutes les autres contrées; et, pour offrir des modèles de perfection dans l’un et l’autre sexe, elle s’enorgueillit de nous avoir donné et Flaccille, et Marie, et la belle Sérène.

On dit qu’à votre naissance le Tage débordé répandit un sable d’or sur les plaines fertiles, que la Galice s’émailla des plus riantes fleurs, et que les brebis errantes parmi les roses, sur les rives charmantes du Duero, virent tout à coup leur blanche toison se colorer de la pourpre de Tyr. Le Cantabre s’étonne à la vue des perles que l’Océan jette sur son rivage; le pâle Asturien cesse de creuser les entrailles des montagnes : partout, pour honorer le jour sacré de votre naissance, la terre vomit l’or de ses veines ouvertes, et les Nymphes des fleuves recueillirent, sous les antres des Pyrénées, ces pierres qui étincellent de l’éclat de la foudre. Les Néréides, se laissant entraîner au flux de la mer, entrèrent avec ses flots dans le lit des fleuves; par leurs applaudissements, saluèrent en vous leur reine, et, par leurs chants prophétiques, célébrèrent votre futur hyménée. Alors, dans de lointains climats, croissait le jeune Stilichon: insouciant de l’avenir, il ignore l’épouse que le sort lui réserve, et cependant dès-lors, aux deux extrémités de l’univers, le destin préparait les nœuds de cette union glorieuse.

Une nourrice mortelle n’était pas digne de veiller sur votre berceau : d’abord, les Heures exprimèrent de leur sein sur vos lèvres le nectar d’un lait parfumé; puis, les Grâces vous reçurent dans leurs bras caressants, et leurs doctes inspirations vous apprirent à exprimer vos pensées. Partout, sous vos pas encore mal assurés, le gazon s’émaillait de roses, partout croissait le lis virginal; et, lorsqu’un sommeil paisible fermait vos yeux, près de vous la violette s’empressait d’éclore, pour orner de sa pourpre votre lit de verdure, image de la couche impériale.

Votre mère ose à peine en croire à ces présages de grandeur, et, formant en secret les vœux les plus brûlants, tremble de s’avouer à elle-même l’espoir que lui inspirent tant de prodiges. Honorius vous serre étroitement dans ses bras paternels. Jamais le prince Théodose (il n’était pas encore monté sur le trône) ne visitait la demeure de son frère, sans vous couvrir de baisers; heureux, lorsqu’il pouvait dans ses bras vous emporter en son propre palais ! Tournant alors vers votre mère vos yeux baignés de larmes: « Pourquoi, disiez-vous, m’enlever du toit qui m’a vue naître? pourquoi cet empire qu’il exerce déjà sur moi? » Ainsi, sans le savoir, vous prophétisiez l’avenir; et ces paroles, échappées à votre bouche enfantine, étaient un pressentiment de votre future élévation.

Mais la mort vous enlève votre père; votre oncle vous adopte, et, pour vous consoler d’une perte aussi cruelle, montre à la fille de son malheureux frère plus de tendresse que s’il lui eût donné le jour. Non, les liens d’une plus étroite amitié n’unirent pas jadis les deux fils de Léda. C’est peu, il donne à son propre fils le nom du frère que le sort lui s ravi; il croit retrouver en lu son image, et tache, par ce moyen, de faire illusion à sa douleur. Enfin, lorsque le choix de Gratien remit entre ses mains les rênes de l’empire, Théodose ne voulut pas donner à ses fils des témoignages de son amour, avant de vous avoir appelées, vous et votre fidèle sœur, des régions de l’Ibérie aux rivages de l’Orient.

Abandonnant les rives du Tage et les régions du Zéphyre, déjà, vers les villes qui forment l’empire de l’Aurore, s’avancent les deux jeunes princesses, filles du frère de l’empereur; Sérène, la plus jeune, et Thermantia, sa sœur aînée : toutes deux, étrangères à l’amour, n’ont point encore courbé sous le joug de l’hymen leur front virginal; toutes deux, les yeux brillants d’un timide éclat, toutes deux, par leurs attraits, n’allument dans les cœurs que le nobles feux. Telles la pudique fille de Latone et Minerve à qui Jupiter seul donna le jour; lorsqu’elles visitent les états du roi des mers, leur oncle, les flots écumants s’aplanissent avec respect sous les pas des chastes déesses; Galatée oublie ses folâtres ébats, l’audacieux Triton n’ose plus serrer Cymothoé dans ses bras; partout, sur l’élément liquide, règnent les lois sévères de la pudeur, et Protée défend aux troupeaux de Neptune de se livrer à leurs impures caresses: telles s’avançaient les filles d’Honorius, vers la royale demeure de leur auguste parent. Elles ont bientôt franchi le seuil du palais, et le prince les serre toutes deux avec amour dans ses bras paternels; mais un penchant légitime l’entraîne plus vivement vers Sérène. Souvent, lorsqu’accablé du fardeau des affaires publiques il rentrait plus triste dans son palais, ou lorsque la colère allumait son front redoutable, lorsque ses fils fuyaient sa présence, lorsque Flaccille elle-même n’osait aborder son époux courroucé; seule vous saviez, par de douces paroles, guérir son esprit malade, calmer ses transports furieux, l’adoucir par le charme de vos entretiens. Discrète à la fois et fidèle, on voyait briller en vous, dans un âge si tendre, des vertus dignes des temps antiques. Elle ne pourrait vous être comparée, cette fille d’Alcinoüs, que les éloges d’Homère ont égalée à Diane elle-même; cette Nausicaa qui, occupée à étendre sur le rivage des vêtements humides, tandis qu’elle se livre avec ses esclaves à des danses joyeuses, et qu’elle lance dans les airs des palets dorés, tout à coup s’enfuit épouvantée, à l’aspect d’Ulysse qui sort du feuillage où il avait goûté les douceurs du sommeil après son naufrage.

Le langage des Muses, les chants des poètes de l’antiquité occupaient vos loisirs : en parcourant les écrits du vieillard de Smyrne et du cigne de Mantoue, vous condamnez Hélène, et Didon ne peut trouver grâce à vos yeux. Mais votre esprit vertueux s’arrête avec plaisir sur les exemples de chasteté que vous offrent vos lectures cette Laodamie qui suit Protésilas condamné à retourner parmi les ombres, cette Evadné se précipitant sur le bûcher enflammé qui dévore Capanée, pour mêler sa cendre à celle de son époux, cette Lucrèce qui se jette sur le fer, vengeur de sa chasteté, et qui, par sa mort volontaire, témoignage irrécusable des attentats d’un tyran, arme du glaive des combats le juste courroux de ses concitoyens, et force les Tarquins à s’exiler de Rome; cette Lucrèce qui, du moins, en mourant, eut la gloire de venger au prix de son sang la pudeur et la liberté outragées. Vous admirez ces nobles actions dignes de votre grande âme, mais qu’un destin plus heureux vous dispense d’imiter. Déjà, l’âge qui vous invite à l’hymen allume les espérances craintives des jeunes seigneurs de la cour; mais le prince hésite à choisir le fortuné mortel qui doit partager votre couche glorieuse.

Les récits des Muses ont conservé le souvenir de ces rois qui voulurent que leurs gendres, soumis aux chances d’un combat douteux, achetassent au péril de leur vie l’honneur de leur alliance, et dont la barbarie jouissait de voir de jeunes amans affronter la mort, pour obtenir la main de leurs filles. Pélops, sur un char, présent de Neptune, sut échapper aux traits du roi de Pise, et ne dut sa victoire qu’à la perfidie de Myrtile, qui enleva du char d’Œnomaüs la clavette qui enchaîne la roue à l’essieu. Hippomène haletant triomphe de la rapidité d’Atalante et de la mort dont il est menacé, au moyen des pommes d’or qui retardent la course de la fille de Schœnée. Du haut des remparts de Calydon, Énéus contemple Hercule aux prises avec un fleuve, dans cette lutte dont Déjanire fut le prix; il voit Alcide serrant dans ses bras Achéloüs hors d’haleine, qui recule pâlissant d’effroi à la vue de la corne arrachée de son front, tandis que les Nymphes éperdues s’empressent de fermer les plaies de leur malheureux père. Ce n’est point aux pommes des Hespérides, à sa victoire sur un fleuve, à la trahison d’un conducteur de chars, que Stilichon doit votre main; mais c’est par des moyens dignes de César, son juge, c’est par ses exploits dans cent combats divers, c’est par son courage, que ce héros a su conquérir votre royale alliance.

Souvent nos généraux ont accordé de listes récompenses aux guerriers qui combattaient sous leurs ordres: l’un obtint la couronne murale, l’autre ceignit son front du chêne civique; celui-ci, pour avoir pris des vaisseaux — ennemis, brigua la palme rostrale. Seul, Stilichon, pour récompense de sa valeur, reçoit des mains de son beau-père la couronne de l’hyménée. Thermantia n’est pas moins redevable à la tendresse de son illustre parent, qui l’unit à un de ses généraux. Mais combien, ô Sérène, votre sort est préférable à celui de votre sœur ! C’est à de plus nobles flammes que Rome allume le flambeau de votre hymen, auquel elle devra son salut; et cette union est pour votre époux la source des plus grands honneurs. D’abord, on place sous sa surveillance ces royales étables où se reproduisent les coursiers nés, dans les pâturages d’Argos, de l’union des cavales de la Phrygie avec les étalons de la Cappadoce: tel est le premier degré de sa grandeur. Bientôt il exerce un double commandement sur l’armée; et il remplit avec tant de succès les emplois qui lui sont confiés, que le prince, en le comblant des plus grandes faveurs, ne peut égaler les récompenses aux mérite. Si l’orage des combats se fait entendre, on voit les plus vieux capitaines de l’une et de l’autre milice lui céder les droits qu’ils ont acquis par leur âge et leurs longs services, et remettre sans hésiter entre ses mains la direction de toute la guerre: malgré leur rang et leur expérience, ces chefs aux cheveux blancs ne rougissent pas d’obéir à un jeune héros. Comme on voit, par un vent doux, lorsque le vaisseau vogue sur une mer calme, chacun réclamer le privilège de tenir le gouvernail; si l’Auster déchaîné soulève les flots qui battent les flancs du navire, plus de débats: l’équipage confie aux mains du plus habile son sort et celui du vaisseau l’effroi que leur inspire la tempête a mis fin à leurs prétentions, et les force à rendre hommage à l’art du pilote. Ainsi, lorsque les foudres de la guerre grondent dans la Thrace, tous les chefs se retirent, et Stilichon reste seul chargé du commandement: la crainte, le meilleur des juges en de pareilles circonstances, fixe sur lui tous les suffrages; l’intérêt commun triomphe de l’ambition, et l’approche du péril réduit l’envie au silence.

Quel frisson mortel circulait dans vos veines, quels torrents de larmes coulaient de vos yeux, toutes les fois que se faisait entendre le son du clairon, qui appelait votre époux aux combats ! jetant de tristes regards vers ce seuil qu’il va bientôt franchir, vos vœux hâtent son retour; vous lui dérobez à la hâte des baisers, à travers le casque jaloux qui déjà couvre son front guerrier. Mais aussi, quels transports de joie, quand, précédé de chants de victoire, ii revient, tout armé, se jeter dans vos bras; quand, désormais à l’abri du danger, pour contenter vos désirs, il consacre les heures paisibles de la nuit au récit des combats qu’il a livrés !

Lorsque Mars retient votre époux sous ses drapeaux, jamais l’art ne répare le désordre de votre belle chevelure; vos pierreries restent oubliées dans leur écrin. Sans cesse au pied des autels, vous fatiguez le ciel de vos vœux; vos cheveux épars balayent le pavé des temples; plus de parure ! insouciante de votre beauté, le retour seul de votre époux peut rendre à vos attraits leur premier éclat. Cependant, l’amour ne languit pas oisif dans votre âme. Sérène, autant que son sexe le lui permet, travaille à la gloire de Stilichon: tandis qu’il soumet les Barbares, elle veille attentive à le défendre contre les tentatives audacieuses de l’envie, l’éternelle ennemie des vertus, contre les bruits mensongers de la calomnie. Qui sait si, déposant les armes en apparence, la trahison ne se tient pas en embuscade, prête à profiter de son absence, pour le perdre dans sa patrie? Lorsque naguère Rufin, méditant les plus noirs projets contre l’existence du héros, armait contre nos légions les efforts conjurés des nations gétiques, dévoilant avec effroi ses trames secrètes, par vos lettres et vos fréquents messages, vous avertissiez votre époux des projets formés contre lui…

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