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Claudien

 

ÉPITHALAME DE PALLADE ET DE CÉLÉRINE.

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

ÉPITHALAME DE PALLADE ET DE CÉLÉRINE.

 

PRÉFACE.

On me presse de faire à la hâte des vers pour un illustre hymen : je ne veux pas désobliger le gendre, mon compagnon d’armes; je ne puis rien refuser au beau-père, mon général. L’un occupe à la cour le même rang que moi; l’autre est mon supérieur. Le même âge, les mêmes goûts m’unissent au premier ; le second a sur moi l’avantage du rang et des années. Poète complaisant, soldat docile, je vais composer les vers que réclament de ma muse mon amitié pour le gendre, mon respect pour le beau-père.

 

ÉPITHALAME.

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Vénus, un jour, pour trouver le sommeil et la fraîcheur, s’était retirée au fond d’une grotte tapissée de vignes; ses membres divins reposaient étendus sur un épais gazon, et sa tête s’appuyait sur une couche de fleurs : à l’entour, frémit le pampre touffu, et les grappes jaunissantes flottent, balancées par le zéphyr. Le désordre de la parure est favorable au sommeil: la déesse s’est dépouillée de ces voiles importuns que repousse la chaleur, et ses charmes nus brillent à travers le feuillage. Près d’elle, sous un vaste chêne, reposent les Nymphes d’Idalie et les trois Grâces, qui dorment les bras tendrement entrelacés. Çà et là, sont couchés les enfants ailés, partout où l’ombre les invite au sommeil : les cordes de leurs arcs flottent détendues, et de leur carquois, suspendus aux branches voisines, s’exhalent des soupirs et des flammes amoureuses. D’autres, inaccessibles au sommeil, se livrent à différents jeux ceux-ci courent à travers les halliers, cherchant à surprendre l’oiseau dans son nid, ou cueillent, pour les offrir à Vénus, des fruits encore couverts d’une fraîche rosée; ils voltigent sous des berceaux de pampres, ou se balancent, à l’aide de leurs ailes, au sommet des ormeaux. Ceux-là veillent à la garde du bois : ils en écartent et les pétulantes Dryades, et les divinités rustiques, et les dieux des forêts, que la curiosité attire en ces lieux, et lancent leurs flèches brûlantes sur les Faunes qui, de loin, jettent des regards lascifs vers la grotte où repose la déesse.

Mais, tout à coup, de la ville voisine s’élèvent mille cris divers, et les joyeuses acclamations de la jeunesse, et les sons de la lyre, qui, dans les campagnes, se marient à la cadence des chœurs. Tous les monts de l’Italie retentissent de chants en l’honneur de Célérine, et les plaines leur répondent par le nom de Pallade, son époux. Ces doux accents ont frappé l’oreille de Vénus; réveillée par le bruit, elle se soulève, et de ses doigts de rose elle frotte ses paupières encore appesanties par le sommeil. Malgré le désordre qui règne dans sa chevelure et dans toute sa personne, elle quitte sa couche de fleurs, et demande Hyménée à la foule qui l’entoure; elle appelle les innombrables essaims d’Amours qui voltigent non loin d’elle, et leur demande Hyménée.

Une Muse lui donna le jour : Cythérée le choisit pour présider aux fêtes du lit nuptial, qui, sans lui, ne peut réunir deux époux; sans lui, ils ne peuvent allumer les premiers flambeaux de l’hymen.

On découvre enfin sa retraite. Mollement étendu sous un platane altier, il unissait avec la cire des pipeaux d’inégale longueur: ses lèvres parcourent les tuyaux de la flûte légère, et, dans ses chants variés, il essaie de reproduire les accords champêtres du Ménale. A la vue de la déesse, il s’arrête; et ses doigts laissent échapper son chalumeau, qui glisse doucement jusqu’à terre. Ses yeux brillent d’un doux éclat: la chaleur du soleil et la honte d’être surpris ont animé d’un vif incarnat son teint plus blanc que la neige; sa longue chevelure, respectée des ciseaux, flotte sur ses joues qu’ombrage à peine un léger duvet. Vénus, la première, interrompt en ces mots son silence : « Eh quoi, jeune insensé, toujours ces chants dont tu fais tes délices? N’es-tu pas las enfin d’exercer ces talents que tu reçus de la Muse qui t’a donné le jour, et dont, rival de ta mère, tu fais ton unique étude? quels sont ces airs que, seul, à l’écart, tu modules au milieu des chaleurs? les sons du luth ont-ils si peu de prix à tes yeux, que tu leur préfères les antres du Lycée, le soin des troupeaux, et tes chants répétés par l’écho des rochers? Approche, et dis-moi la cause de tant de cris joyeux. Quelle est l’heureuse union que l’on célèbre avec tant d’éclat; quelle est la dot que la jeune vierge apporte à son époux? Parle, apprends-moi quelle est leur patrie, leur naissance; quelle contrée les a vus naître; quels sont les auteurs de leur race : tu connais tous ces détails, car c’est sous tes auspices que les époux goûtent les premiers plaisirs de l’amour. »

« Déesse, répond Hyménée, je l’avouerai, je m’étonnais de vous voir tarder si longtemps, de vous voir rester indifférente à la solennité d’une si grande union ce ne sont point des amants vulgaires que ce jour soumet à votre empire. Il réunit deux familles également illustres, et par les faisceaux consulaires, et par la plus haute magistrature; dans leurs veines coule le plus beau sang de la terre. Est-il une île ou viennent se briser en mugissant les flots de la mer Érythrée, un désert de l’Éthiopie, une région inaccessible aux bruits de la renommée, qui cependant n’ait entendu parler avec amour du caractère doux et bienfaisant du père de Pallade, de l’enjouement de son esprit, des grâces de sa vieillesse? Il a passé par tous les grades, il a parcouru tous les emplois de la cour, pour arriver au faîte du pouvoir, pour régler, avec une autorité durable, les délibérations du sénat d’Orient. Telle est la brillante origine de l’époux. L’antique ville de Tomes, sur les bords du Danube, fut le berceau de la jeune épouse; elle s’enorgueillit de la noblesse guerrière de ses aïeux maternels, illustrés par mille exploits, par les dépouilles de cent peuples divers. Mais, quel immense éclat ne répand pas sur elle la force d’âme de ce Celerinus qui fut chargé de défendre le Nil et Méroé ! Vainement, après la mort de Carus, qui périt frappé par la foudre dans le pays des Parthes, les soldats viennent lui offrir le sceptre et veulent lui confier les rênes de l’univers: il dédaigne leurs bruyantes acclamations, et préfère le repos à l’empire. Ce suprême pouvoir que tant d’autres, foulant aux pieds les droits les plus sacrés, usurpent par la violence et par les armes, on veut le forcer à l’accepter : il le rejette avec mépris. Alors, pour la première fois, on vit la vertu préférée à l’éclat de la pourpre, la majesté du trône offert à un mortel, n’obtenir de lui qu’un refis, et la Fortune s’avouer à regret vaincue par la constance d’un héros. Il fut glorieux pour Celerinus de mériter qu’on lui décernât la couronne; il fut plus glorieux encore de la refuser. »

« Le père de Célérine se montre digne des surnoms honorables que lui ont transmis les héros ses ancêtres : peu à peu, il s’élève par son mérite au grade de prince de la milice, le plus éclatant de l’armée; c’est lui qui règle les tributs des provinces; à ses ordres, se réunissent les forces de l’empire éparses sur toute la surface de la terre; il fait le dénombrement des garnisons réparties en diverses contrées, des légions qui gardent les frontières de la Sarmatie, de celles qui contiennent le Gète féroce, ou qui domptent le Saxon et l’Écossais. Il sait combien de cohortes couvrent les bords de l’Océan, combien entretiennent la paix sur les rives du Rhin. Ainsi, la famille de Célérine se distingua toujours par les plus pures vertus, par la bonne foi la plus intègre, par les talents les plus distingués; elle a fixé le choix de Stilichon : est-il un plus bel éloge, un plus glorieux suffrage? Déesse, ce serait un crime de priver plus longtemps de votre présence l’hymen de, cette jeune beauté. Venez donc, accompagnée de toute votre cour; venez, suivez-moi: je veux secouer les couronnes qui déjà commencent à se faner, agiter les torches nuptiales, passer toute la nuit dans les jeux et les plaisirs. Cette flûte, objet de vos dédains, ne sera pas sans prix en de pareils moments: elle va bientôt répondre aux chants joyeux des chœurs. »

Ainsi parle Hyménée : à l’instant, Vénus se plonge dans une onde fraîche, captive d’une main savante ses cheveux épars, et rehausse par la parure l’éclat de ses charmes. Délivrés des ais de la presse, bientôt brillent sur ses épaules ces voiles merveilleux qu’a tissus Dioné de ses doigts maternels. Le char de la déesse est jonché de fleurs, le joug respire le parfum des fleurs, et des guirlandes de fleurs guident le vol de ses colombes purpurines. De toutes parts, accourt le peuple harmonieux des airs, et ces oiseaux qui, par le doux murmure de leurs chants, charment les bords de l’Adige et du Larius, et ceux que nourrit le Bénac, et ceux à qui le paisible Mincio offre un asile : l’onde, désormais muette, ne retentit plus de leurs plaintes amoureuses; le cygne a fui loin des rives solitaires de l’Éridan et des bruyants marais de Padoue. A cette vue, les Amours joyeux s’élancent sur les oiseaux qu’ils soumettent au frein; et, portés fièrement sur leur dos, fendent les airs avec orgueil; ils briguent à l’envi un coup d’œil de Vénus, se livrent à des combats tumultueux; penchés sur le cité, ils étendent les mains pour se frapper mutuellement, tombent; mais leur chute est sans danger : d’un vol plus léger, ils se relèvent; et le cavalier devance dans les airs le coursier dont il guidait les rênes.

Dès qu’ils touchent les portes de la chambre nuptiale, ils vident sur la couche des jeunes époux des corbeilles remplies de fleurs printanières; ils l’inondent d’un déluge de roses, et, de leurs carquois renversés, font pleuvoir les violettes cueillies dans les prairies de Gnide, tendres plantes qu’épargna Sinus, qui tempère en leur faveur ses feux dévorants. D’autres, armés de vases étincelants de pierreries, arrosent les toits de cet asile de ces parfums délicieux que, sur les rives du Nil, distille l’écorce des arbres blessés par un ongle meurtrier. Cythérée s’approche de la jeune fiancée et l’arrache, malgré ses pleurs, des bras de sa mère ou sa candeur cherche en vain un refuge: son sein qui se gonfle, annonce l’âge propice à l’hymen, son teint surpasse en blancheur le lis et la neige, et sa blonde chevelure atteste que l’Ister fut son berceau. Prenant, alors la, main de l’époux, elle y joint celle de l’épouse, et, par ces paroles, elle consacre leur union:

« Vivez unis, dit-elle, et sachez profiter des faveurs de Vénus. Au bruit de mille baisers, que vos bras enlacés se rougissent de caresses; que vos âmes se confondent sur vos lèvres. Jeune homme, ne crois pas, trop confiant dans la valeur de ton père, que la terreur puisse dompter cette vierge rebelle; c’est par la prière qu’il faut désarmer sa pudeur : et toi, jeune fille, cède aux instances de ton époux; garde-toi de rougir tes ongles de son sang, et n’imite pas les emportements féroces des femmes de la Scythie. Laisse-toi vaincre, Vénus t’en supplie: ce n’est qu’à ce prix que tu seras épouse et mère. Pourquoi ces pleurs, jeune insensée? Crois-m’en; celui que tu repousses avec effroi sera bientôt l’objet de ton amour. »

Elle dit; et, parmi les enfants ailés qui l’accompagnent, elle appelle les deux plus renommés par la force de leur arc et de leurs bras: à sa voix accourent à la fois Æthon et Pyroïs, aux ailes émaillées de pourpre: pour but de ses flèches trempées du miel le plus pur, l’un prend Célérine, l’autre Pallade: l’arc détendu résonne; les deux traits fendent l’air avec une vitesse égale, et pénètrent en même temps dans le cœur des deux époux.