Claudien
PANÉGYRIQUE SUR LE TROISIÈME
CONSULAT D'HONORIUS.
PRÉFACE. Avant d'élever ses jeunes nourrissons, le roi des airs prend le soleil pour juge et le ciel pour arbitre. Quand la chaleur naturelle entrouvre l'œuf fécondé, et que l'aiglon, pour s'élancer au jour, dépouille son enveloppe, son père tourne aussitôt vers l'astre des saisons sa tête encore sans plumes, et le force d'en regarder d'un œil fixe l'orbe étincelant. C'est ainsi qu'il consulte le brûlant dieu du jour, et qu'à la manière dont l'aiglon en supporte l'éclat, il reconnaît son naturel et sa force. A-t-il, fils dégénéré, fermé la paupière et détourné la vue, il expire sous la serre irritée de son père. Mais s'il a fixé le soleil et soutenu hardiment l'épreuve, il croîtra dans son aire ; et, roi des oiseaux, héritier de la foudre, il portera les traits du roi des immortels. Moi aussi, la puissante Rome ose m'envoyer, des grottes de l'Aonie, témoins fréquents de mes essais, sous les yeux de son dieu : déjà s'ouvrent à ma voix l'oreille et le palais d'Honorius; et les accords de ma lyre ont Auguste pour juge. PANÉGYRIQUE SUR LE TROISIÈME CONSULAT D'HONORIUS. Que les faisceaux reparaissent une troisième fois au sein de Rome : qu'une troisième fois une pompe guerrière accompagne le char des consuls : que l'année renaisse plus brillante : que la pourpre, imitant l'écharpe de Gabie, s'enrichisse des diamants de l'Hydaspe : qu'à la cuirasse succède la trabée : que le licteur veille à la garde des tentes ; et que les haches latines reprennent leur place auprès des étendards. O toi, qui partages avec le monarque de l'Orient l'empire que légua Théodose aux soins de ses enfants, marche ; les présages te sourient, parcours la carrière que renouvelle le dieu du jour ; tu es et l'espoir et le désir du ciel. Arrivé sur le seuil de la vie, la cour pour toi fut une tendre nourrice ; et les camps t'élevèrent à l'éclat des armes, sous l'ombre des lauriers et parmi les triomphes : ta fortune ne connut pas la demeure d'un sujet, elle te donna à la fois et l'empire et la vie. La royauté, née avec toi, te plaça, gage sacré, sur la pourpre tyrienne ; le soldat, de ses aigles victorieuses, entoura le lieu de ta naissance : c'est au milieu des lances qu'il prépara ton berceau. À ce moment trembla, sur toutes les rives du Rhin, la fière Germanie ; le Caucase effrayé agita ses forêts ; Méroé déposa son carquois, et, reconnaissant un dieu, arracha de sa tête ses flèches impuissantes. On te vit, tout enfant, ramper sur les boucliers, et jouer avec les dépouilles sanglantes des rois. On te vit souvent le premier, malgré son air farouche, embrasser ton père, lorsque, après d'homicides combats, la victoire le ramenait des contrées hyperboréennes, encore chaud du sang des peuples du Nord. On te vit alors, dans le partage du butin, demander l'arc du Scythe, le baudrier du Gélon, le javelot du Dace, ou les rênes arrachées au Suève. Cédant à tes désirs, Théodose t'élevait en souriant sur son radieux bouclier, et te serrait contre son cœur palpitant : toi, intrépide à la vue du fer, tu contemplais sans crainte les sinistres lueurs de son casque, et tendais les mains vers son haut panache. « Roi de la voûte étoilée, disait-il dans son transport, puisse mon fils, vainqueur de ses ennemis, revenir ainsi dans mes bras, chargé des richesses de l'Hyrcanie, et des dépouilles de l'Assyrien ! puisse-t-il, le glaive ensanglanté, le visage battu par le vent, et couvert de la noble poussière des combats, rapporter à son heureux père les armes des vaincus ! » Lorsque tu pressas la terre d'un pied mieux affermi, Théodose ne te permit ni une voluptueuse inaction, ni une oisive mollesse, ni un sommeil indolent ; mais braver la froidure des hivers, lutter contre l'effort des tempêtes, supporter l'ardeur des étés, traverser les eaux retentissantes des torrents, gravir les montagnes, franchir les plaines à la course, les fossés et les vallons d'un saut léger, passer sur un bouclier de longues nuits sans sommeil, boire la neige dans un casque, et tantôt ajuster [2,1,50] une flèche sur la corde, tantôt, la fronde baléare à la main, faire voler le plomb dans les airs : voilà les pénibles travaux auxquels il forma tes membres encore faibles ; voilà les mâles habitudes auxquelles il exerça tes forces naissantes. Pour t'exciter encore à aimer la guerre, il te racontait les exploits de ton aïeul, l'effroi de la brûlante Libye et de Thulé, inaccessible aux vaisseaux. C'est ce héros qui soumit le Maure fugitif, le Picte, si digne de son nom, c'est lui qui, poursuivant l'Écossais à la pointe de l'épée, fatigua les ondes hyperboréennes de ses rames audacieuses, moissonna des lauriers sous l'un et l'autre pôle, et foula les sables dociles au mouvement alternatif de la mer. Ainsi s'ouvrait ton âme aux germes de la gloire, aux aiguillons de la valeur, à l'empire de l'exemple. Moins promptement, aux leçons du Centaure, Achille apprit à manier la lance, à pincer la lyre, à connaître les plantes salutaires. Cependant la fidélité s'ébranle : une nouvelle guerre tonne parmi les citoyens ; et la discorde agite l'univers chancelant. O coupables divinités ! ô honte ineffaçable ! Exilé de sa patrie, un barbare, devenu maître des cités hespériennes, a placé le sceptre de l'empire aux mains d'un client avili. Déjà Théodose est en marche et rassemble les peuples de l'Orient qu'embrasse l'Euphrate écumeux, que l'Halys abreuve, que l'Oronte enrichit. L'Arabe a quitté ses bois odoriférants, le Mède les ondes Caspiennes, l'Arménien les bords du Phase, le Parthe les sommets du Niphate. Quelles furent alors la fureur pour les combats, et ton ardeur à suivre le héros ! De quel désir brûlait ton cœur d'entendre la trompette guerrière, de contempler dans la plaine des torrents de sang, et de plonger tes pieds dans les cadavres ennemis ! — Tel un lionceau que sa mère nourrissait dans l'obscurité d'un antre, du lait de ses mamelles ; à peine sent-il croître des griffes à ses pieds, une crinière sur son cou, et des dents à sa gueule, qu'il dédaigne des aliments qui ne sont pas le prix des combats, et, bondissant loin de la roche natale, brûle d'aller, compagnon de son père, porter l'effroi dans les bergeries, et s'enivrer du sang d'un orgueilleux taureau. Mais, sourd à tes désirs, Théodose te confie les rênes de l'état, et couronne ton front du diadème sacré : telle est la vertu que montrait ton jeune âge, tel le mérite qui devançait en toi les années, que chacun accusait les retards mis à ton élévation. Tes auspices ont hâté la victoire de Théodose : tous deux vous avez pris part au combat, lui par sa valeur, toi par ta destinée. Grâce à toi, les Alpes sont envahies sans efforts : en vain la prudence arrête l'ennemi sur des lieux hérissés d'un rempart : le rempart croule et avec lui l'espérance ; les retranchements abattus ouvrent un passage. Grâce à toi, l'aquilon, du haut de la montagne, roule sur les bataillons ennemis des masses de neige glacée, fait rebrousser les traits contre les Barbares, et, de son souffle, repousse leurs javelots. Prince chéri des dieux, pour toi Éole vomit de ses antres les tempêtes armées, pour toi le ciel combat, les autans conjurés avec toi accourent au signal de tes trompettes ; le sang rougit les frimas des Alpes, le [2,1,100] sang change les eaux fumantes du Frigidus : une digue de cadavres les aurait enchaînées, si le sang n'en avait pas précipité le cours. Mais le cruel artisan de nos disgrâces s'est percé le flanc de plusieurs coups : deux glaives fument encore ; et, faisant enfin de son bras un instrument de justice, il a tourné contre lui-même sa fureur et sa vengeance. La liberté a reparu dans l'empire. À ce moment, la nature allait rappeler au ciel Théodose que divinisent ses vertus, et lui ouvrir le radieux palais des astres. Atlas fléchissait déjà à la pensée du nouveau fardeau qui allait courber sa tête : mais avant de céder aux vœux de l'Olympe, le héros veut remettre en tes mains l'univers pacifié. À sa voix, empressé de quitter les contrées de la Thrace, tu traverses sans pâlir les bataillons barbares. Des rochers du Rhodope, qu'animèrent les accords d'Orphée, et des sommets de l'Oeta, destinés au bûcher d'Hercule, tu passes sur le Pélion qu'ennoblit l'hymen de Thétis. Ta vue étonne le riant Énipée, l'altière Dodone ; et les chênes de Chaonie, reprenant une voix, redisent pour toi des oracles. Tu côtoies les rivages de l'Illyrie, foules les champs du Dalmate, et comptes les bouches du Timave. Consacrées par ta présence, les cités italiques, aux orgueilleux remparts, se livrent à l'allégresse : l'Éridan, pour t'adorer, s'incline et commande à ses flots de se calmer ; et les Héliades, qu'attendrit encore la chute de Phaéton, retiennent les larmes d'ambre que distille leur écorce. Que de jeunes Romaines, que de mères, jalouses de te voir, oublient les lois de la pudeur ! La vieillesse sévère dispute à l'enfance le plaisir de te contempler dans les bras caressants de Théodose, traversant la ville sur un char qu'ombrage un laurier commun. — Qui ne croirait que l'astre du jour brille à côté de l'astre du matin, Jupiter à côté de Bacchus ? — Des panaches flottent de toutes parts sur le front des guerriers qui, chacun dans sa langue, te prodiguent les éloges. Les lueurs de l'airain éblouissent les regards : une forêt de glaives nus double l'éclat du jour. Les uns se font remarquer par leur arc : les autres, par des javelots qui atteignent au loin, ou par des piques qui frappent de près : ceux-ci soutiennent des aigles à l'essor rapide ; ceux-là, des serpents peints sur la toile, qui, le cou dressé, s'irritent, se gonflent dans l'air au souffle du Notus, et remplis, animés de son haleine, imitent, ainsi que les replis, les sifflements d'un reptile vivant. On arrive au palais, la foule s'écarte aux ordres de Théodose qui, libre alors, tient à son gendre ce langage : « Guerrier fameux, dont j'ai dans la guerre éprouvé le courage, et la fidélité dans la paix, qu'a fait sans toi ma valeur dans les batailles ? Quelle victoire ai-je remportée sans tes sueurs ? Ensemble, dans la Thrace, nous avons rougi l'Hèbre du sang du Gète, ensemble terrassé des essaims de Sarmates, ensemble encore, couvert de nos corps épuisés de fatigue les neiges du Rhiphée, et [2,1,150] sillonné de nos chars les glaces de l'Ister. O Stilicon ! aujourd'hui que le ciel m'appelle, succède à mes soins, veille seul sur mes fils, et, de ton bras, protège également leur jeunesse. Par l'hymen qui unit notre sang, par la nuit de ton bonheur, par les flambeaux que porta la reine même, pour conduire du palais d'un parent une épouse dans tes bras, sois pour eux un second père, chéris ces rejetons croissants que te confie ton beau-père et ton maître. Assuré de tes soins, je monterai, libre de toute crainte, au séjour de l'Olympe. Que Typhée entrouvre son fardeau et brise ses chaînes ; que Tityus dégage ses membres ; qu'avec les rugissements de la fureur, Encelade repousse le poids de l'Etna, leurs efforts viendraient se briser aux pieds de Stilicon. » — Il dit : sous sa forme humaine, il s'élève, et, traçant dans les airs un sillon de lumière, il pénètre dans le globe de la lune ; puis, parcourant les palais de Mercure, l'astre bienfaisant de Vénus, il franchit les routes du soleil, les flammes homicides de Mars, les feux tempérés de Jupiter, et s'arrête au sommet des airs, dans ces espaces glacés où siège Saturne tremblant. L'empyrée s'élargit ; ses portes radieuses s'ouvrent spontanément : le bouvier dispose les palais de l'Ourse, Orion, le glaive en main, les palais de l'Auster : ils appellent à l'envi l'astre nouveau, incertains où se dirigeront ses pas, à quelles étoiles il daignera s'associer, dans quelle région il voudra fixer sa demeure. O Théodose ! l'ornement du ciel, et naguère l'ornement de la terre ! C'est par l'Océan qui arrosa ton berceau que tu es reçu d'abord au terme de tes fatigues ; et l'Espagne te baigne encore de ses ondes. Père fortuné, quand tu montres tes rayons naissants, tes yeux rencontrent Arcadius : quand tu penches vers ton déclin, la vue d'Honorius retient ton disque prêt à disparaître ; et vers quelque pôle que se dirige ta marche, tu parcours l'empire de tes fils qui, d'un esprit calme, d'une main prudente, tiennent les rênes des nations vaincues, et vont former les siècles l'un plus pur métal. L'avarice gémit enchaînée dans les cachots de l'enfer ; la brigue fuit avec ses trésors ; les richesses sont sans pouvoir ; les présents corrupteurs sans influence : la vertu seule donne droit aux honneurs. Couple uni par la concorde, le ciel vous destine la terre, la mer et les espaces échappés au bras de votre aïeul, à l'empire de votre père. Pour vous, déjà, Vulcain forge des armes ; le Cyclope fait gémir l'enclume dans la Sicile. Brontès sculpte sur votre bouclier d'innombrables figures ; sur le casque foudroyant Stérope s'empresse de dresser le panache altier : Pyracmon assemble la cuirasse, et la flamme mugit dans les antres enfumés de Lipari. Pour vous, sur les bords Ioniens, Neptune nourrit de rapides coursiers qui pourront marcher sur le clos de la plaine liquide , et courir légèrement sur les moissons, sans que la mer écume ni que [2,1,200] l'épi se courbe sous leurs pieds. Je vois déjà Babylone conquise, le Parthe emporté malgré lui par une fuite réelle : je vois la Bactriane soumise à vos lois, le Gange pâlissant sur ses bords asservis, et la Perse humiliée jetant à vos pieds les diamants de sa parure. Volez à la source du Tanaïs, sous les glaces des deux Ourses, dans les sables de la Libye, par-delà les ardeurs du soleil, aux lieux où le Nil a caché son berceau ; franchissez les colonnes d'Hercule, les limites de Bacchus ; votre domaine embrassera tout ce qu'embrasse le ciel. Érythrée vous donnera ses précieux coquillages, l'Inde son ivoire, l'Arabe ses parfums, et le Sère ses toisons. |