ALLER A LA TABLE
DES MATIERES DE PLINE LE JEUNE
PLINE LE JEUNE
LIVRE PREMIER.
LETTRE I.
PLINE A SEPTICIUS CLARUS.
Vous m'avez souvent pressé de rassembler et de donner au public les
lettres que je pouvais avoir écrites avec un peu d'application. Je
vous en présente un recueil. Je ne me suis point arrêté aux dates,
car je ne prétends pas faire une histoire; mais je les ai placées
dans le même ordre qu'elles se sont trouvées sous ma main. Je
souhaite que nous ne nous repentions, ni vous de votre conseil, ni
moi de ma déférence : j'en serai plus attentif et à rechercher
celles qui m'ont échappé , et à conserver celles qu'à l'avenir
j'aurai occasion d'écrire. Adieu. |
I.I
C. Plinius Septicio <Claro> suo s.
1
Frequenter hortatus es, ut epistulas, si quas paulo curatius
scripsissem, colligerem publicaremque. Collegi non servato temporis
ordine (neque enim historiam componebam), sed ut quaeque in manus
venerat. 2 Superest, ut nec te consilii nec me paeniteat
obsequii. Ita enim fiet, ut eas, quae adhuc neglectae jacent,
requiram et, si quas addidero, non supprimam.
Vale. |
LETTRE II.
PLINE A ARRIEN.
Comme je prévois que vous ne reviendrez pas sitôt, je vous envoie
l'ouvrage que mes dernières lettres vous avaient annoncé. Lisez-le,
je vous en supplie; et surtout n'épargnez pas la rature, selon votre
louable coutume. J'en ai d'autant plus besoin, que je me suis
imaginé n'avoir encore rien écrit avec tant d'envie d'atteindre aux
grands modèles; catirai eu dessein d'imiter tout à la fois
Démosthène, dont vous avez toujours fait vos délices, et Calvus,
dont je fais depuis peu les miennes. Quand je dis imiter, je parle
des figures du discours. Je sais qu'il n'appartient qu'aux favoris
des dieux de parvenir à ce degré de force qui se fait admirer dans
ces hommes incomparables. Mais (je crains bien de passer ici pour
fanfaron) mon sujet favorisait mon dessein; il était partout
susceptible de véhémence et de mouvements. Il n'en fallait pas moins
pour réveiller une paresse tournée en habitude, si tant est que
cette paresse puisse être réveillée. Je ne me suis pas cependant si
fort entêté de l'austérité de mes modèles, que je ne me sois
quelquefois amusé à cueillir des fleurs à la façon de Cicéron, quand
j'en ai vu qui ne m'éloignaient pas trop de mon chemin. Je
souhaitais d'avoir de la force; mais je ne voulais pas manquer de
grâce. Vous croyez que par là je demande quartier à votre critique :
au contraire, pour vous faire voir que je ne cherche qu'à l'irriter
davantage, sachez que nos amis et moi nous nous sommes à tel point
infatués de cet ouvrage, que nous ferons la folie de le publier,
pour peu que vous l'approuviez. Il faut bien mettre au jour quelque
chose ; et si cela est, donnons la préférence à ce qui est tout
fait. Vous reconnaissez là votre paresseux. Quant aux motifs qui me
portent à publier cet ouvrage, j'en ai plusieurs. Le principal,
c'est que les libraires nous jurent que ceux de mes écrits qui ont
paru sont encore recherchés, quoiqu'ils aient perdu la grâce de la
nouveauté. Peut-être les libraires nous en font-ils accroire; mais
puissent-ils toujours nous tromper, si leurs flatteries nous donnent
plus de goût pour nos études!
Adieu. |
I, 2
C. Plinius Arriano suo s.
1
Quia tardiorem adventum tuum prospicio, librum, quem prioribus
epistulis promiseram, exhibeo. Hunc rogo ex consuetudine tua et
legas et emendes, eo magis, quod nihil ante peraeque eodem ζήλῳ
scripsisse videor. 2 Temptavi enim imitari Demosthenen
semper tuum, Calvum nuper meum, dumtaxat figuris orationis; nam vim
tantorum virorum, ‘pauci quos aequus ...’ assequi possunt. 3
Nec materia ipsa huic (vereor ne improbe dicam) aemulationi
repugnavit: Erat enim prope tota in contentione dicendi, quod me
longae desidiae indormientem excitavit, si modo is sum ego, qui
excitari possim. 4 Non tamen omnino Marci nostri ληκύθους
fugimus, quotiens paulum itinere decedere non intempestivis
amoenitatibus admonebamur: aAcres enim esse non tristes volebamus.
5 Nec est, quod putes me sub hac exceptione veniam
postulare. Nam quo magis intendam limam tuam, confitebor et ipsum me
et contubernales ab editione non abhorrere, si modo tu fortasse
errori nostro album calculum adjeceris. 6 Est enim plane
aliquid edendum, atque utinam hoc potissimum, quod paratum est!
Audis desidiae votum; edendum autem ex pluribus causis, maxime, quod
libelli, quos emisimus, dicuntur in manibus esse, quamvis jam
gratiam novitatis exuerint. Nisi tamen auribus nostris bibliopolae
blandiuntur. Sed sane blandiantur, dum per hoc mendacium nobis
studia nostra commendent.
Vale.
|
LETTRE III.
PLINE A CANINIUS.
Que fait-on à Côme, cette ville délicieuse, que nous aimons tant
l'un et l'autre? Cette belle maison que vous avez dans le faubourg
est-elle toujours aussi riante? Cette galerie où l'on trouve
toujours le printemps n'a-t-elle rien perdu de ses charmes? Vos
platanes conservent-ils la fraîcheur de leur ombrage? Le canal qui
se plie et replie en tant de façons différentes a-t-il toujours sa
bordure aussi verte, et ses eaux aussi pures? Ne m'apprendrez-vous
rien de ce vaste bassin, qui semble fait exprès pour les recevoir?
Quelles nouvelles de cette longue allée, dont le terrain est ferme
sans être rude? de ce bain délicieux où le grand soleil donne à
toutes les heures du jour? En quel état sont ces salles où vous
tenez table ouverte, et celles qui ne sont destinées qu'à vos amis
particuliers? Nos appartements de jour et de nuit, ces lieux
charmants vous possèdent-ils tour à tour? ou le soin de faire valoir
vos revenus vous met-il à l'ordinaire dans un mouvement continuel?
Vous êtes le plus heureux des hommes, si vous jouissez de tant de
biens; mais vous n'êtes qu'un homme vulgaire, si vous n'en jouissez
pas. Que ne renvoyez-vous ces basses occupations à des gens qui en
soient plus dignes que vous, et qu'attendez-vous pour vous donner
tout entier à l'étude des belles-lettres, dans ce paisible séjour ?
C'est la seule occupation, c'est la seule oisiveté honnête pour
vous. Rapportez là votre travail, votre repos, vos veilles, votre
sommeil même. Travaillez à vous assurer une sorte de bien que le
temps ne puisse vous ôter. Tous les autres, dans la suite des
siècles, changeront mille et mille fois de maître; mais les ouvrages
de votre esprit ne cesseront jamais d'être à vous. Je sais à qui je
parle; je connais la grandeur de votre courage, l'étendue de votre
génie. Tâchez seulement d'avoir meilleure opinion de vous;
faites-vous justice, et les autres vous la feront.
Adieu. |
I.3
C. Plinius Caninio Rufo suo s.
1
Quid agit Comum, tuae meaeque deliciae? Quid suburbanum
amoenissimum, quid illa porticus verna semper, quid platanon
opacissimus, quid euripus viridis et gemmeus, quid subjectus et
serviens lacus, quid illa mollis et tamen solida gestatio, quid
balineum illud, quod plurimus sol implet et circumit, quid triclinia
illa popularia illa paucorum, quid cubicula diurna nocturna?
Possident te et per vices partiuntur? 2 An, ut solebas,
intentione rei familiaris obeundae crebris excursionibus avocaris?
Si possident, felix beatusque es; si minus, ‘unus e multis’. 3
Quin tu (tempus enim) humiles et sordidas curas aliis mandas, et
ipse te in alto isto pinguique secessu studiis asseris? Hoc sit
negotium tuum hoc otium; hic labor haec quies; in his vigilia, in
his etiam somnus reponatur. 4 Effinge aliquid et excude,
quod sit perpetuo tuum. Nam reliqua rerum tuarum post te alium atque
alium dominum sortientur, hoc numquam tuum desinet esse, si semel
coeperit. 5 Scio, quem animum, quod horter ingenium; tu
modo enitere, ut tibi ipse sis tanti, quanti videberis aliis, si
tibi fueris.
Vale.
|
LETTRE IV.
PLINE A POMPEIA.
Je n'ai plus besoin de vos lettres pour connaître les commodités et
l'agréable abondance qu'offrent vos maisons d'Otricoli, d'Alsuli, de
Pérouse et de Narni, où l'on trouve un bain si commode. La seule
lettre que je vous écrivis il y a déjà quelque temps, quoique fort
courte, suffit pour faire voir que j'en suis parfaitement instruit.
Mais ce qui m'en plaît davantage, c'est d'y éprouver que mon bien
n'est pas plus à moi que le vôtre. J'y vois pourtant une différence
: vos gens me servent mieux chez vous que les miens ne me servent
chez moi. Peut-être aurez-vous même fortune dans les maisons qui
m'appartiennent, si vous me faites l'honneur d'y aller. Courez-en le
risque, je vous en supplie. Vous me ferez deux plaisirs à la fois.
L'un , d'user de mon bien comme j'use du vôtre ; l'autre, de
réveiller un peu l'assoupissement de mes valets, qui m'attendent
toujours avec une espèce de tranquillité qui ressemble fort à la
négligence. C'est le sort des maîtres trop indulgents : on
s'accoutume aisément à n'en avoir pas grand-peur. Les nouveaux
objets raniment le zèle des domestiques. Ils aiment mieux obtenir
l'approbation de leurs maîtres par le suffrage d'un étranger que par
les services qu'ils leur rendent.
Adieu. |
1. 4.
C. Plinius Pompejae Celerinae socrui
s.
1
Quantum copiarum in Ocriculano, in Narniensi, in Carsulano, in
Perusino tuo, in Narniensi vero etiam balineum! Ex epistulis meis,
nam jam tuis opus non est: Una illa brevis et verus sufficit. 2
Non mehercule tam mea sunt, quae mea sunt, quam quae tua; hoc tamen
differunt, quod sollicitius et intentius tui me quam mei excipiunt.
Idem fortasse eveniet tibi, si quando in nostra deverteris. 3
Quod velim facias, primum ut perinde nostris rebus ac nos tuis
perfruaris, deinde ut mei expergiscantur aliquando, qui me secure ac
prope neglegenter exspectant. 4 Nam mitium dominorum apud
servos ipsa consuetudine metus exolescit; novitatibus excitantur,
probarique dominis per alios magis quam per ipsos laborant.
Vale.
|
LETTRE V.
PLINE A VOCONIUS.
Vîtes-vous jamais d'homme plus lâche et plus rampant que Régulus ,
depuis la mort de Domitien? Vous savez que sous son empire, Régulus,
quoiqu'il sauvât mieux les apparences , ne fut pas plus honnête
homme qu'il l'avait été à la cour de Néron. Il s'est avisé de
craindre que je n'eusse du ressentiment contre lui. Il n'a pas grand
tort. Non content d'avoir fomenté la persécution faite à Rusticus
Arulenus, il avait triomphé de sa mort, jusqu'à réciter en publie et
à répandre un livre injurieux, où il le traite de singe des
stoïciens, et d'homme qui porte les stigmates de Vitellius. Vous
reconnaissez l'éloquence de Régulus. Il déchire uvée tant
d'emportement Herennius Senecion, que Metius Carus, son rival dans
le noble métier de délateur, n'a pu s'empêcher de lui dire : Quel
droit avez-vous sur mes morts? Me voit-on remuer les cendres de
Crassus ou de Carnerinus? C'étaient des personnes illustres que, du
temps de Néron, Régulus avait accusées. Il lut en publie son dernier
livre. Il ne m'invita point, persuadé que je n'avais rien oublié de
toutes ses indignités. lise souvenait d'ailleurs qu'il m'avait mis
moi-même en un terrible danger devant les ceutumvirs. Je parlais, à
la recommandation de Rusticus Arulenus, pour Arionille, femme de
Timon, et j'avais contre moi Régulus. Je fondais en partie mon droit
et mes espérances sur une sentence de Metius Modestus, très homme de
bien, mais que Domitien avait alors exilé. Ce fût un prétexte à
Régulus de me faire cette demande : Pline, que pensez-vous de
Modestus? Vous voyez quel péril je courais, si j'eusse rendu un
fidèle témoignage à la vérité; et de quel opprobre je me couvrais,
si je l'eusse trahie. Je ne puis dire autre chose, sinon que les
dieux m'inspirèrent dans cette occasion. Je répondrai, lui dis-je, à
votre question, quand les centumvirs auront à la juger. Il ne se
rendit point. Je vous demande, poursuit-il, quel jugement vous
faites de Metius Modestus? Je lui répliquai que l'on ne demandait
témoignage que contre des accusés, et jamais contre un homme
condamné. Eh bien! continua-t-il, je ne vous demande plus ce que
vous pensez de Modestus; mais quelle opinion avez-vous de son
attachement pour le prince? Vous voulez, dis-je, savoir ce que j'en
pense; mais moi, je crois qu'il n'est pas même permis de mettre en
question ce qui est une fois jugé. Là, mon homme demeura muet. Vous
ne pouvez vous imaginer quels éloges et quels applaudissements
suivirent cette réponse, qui, sans blesser ma réputation par aucune
flatterie utile peut-être, mais honteuse, me tira d'un piège si
artificieusement tendu. Aujourd'hui Régulus, troublé par les justes
reproches de sa conscience, s'adresse à Cecilius Celer, et ensuite a
Fabius Justus, et les presse de vouloir bien faire sa paix avec moi.
Il ne s'en tient pas là. Il court chez Spurinna; et, comme il est le
plus rampant de tous les hommes lorsqu'il craint, il le supplie,
avec les dernières bassesses, de me venir voir le lendemain matin,
mais de grand matin (car je ne puis plus vivre, dit-il, dans
l'inquiétude où je suis), et d'obtenir de moi, à quelque prix que ce
soit, d'étouffer mon ressentiment. J'étais a peine éveillé, qu'un
valet me vint prier, de la part de Spurinna, de l'attendre. Je lui
réponds que je vais le trouver. Et comme nous allions l'un au-devant
de l'autre , nous nous rencontrons sous la galerie de Livie. Il
m'expose le sujet de sa mission: il joint ses prières à celles de
Régulus; toutefois avec la réserve d'un honnête homme sollicitant
pour un personnage qui lui ressemble si peu. Vous verrez vous-même,
lui dis-je , ce qu'il faut répondre à Régulus. Voici la situation où
je me trouve. J'attends Mauricus (car il n'était pas encore revenu
de son exil ) ; je ferai tout ce qu'il voudra. Il me siérait mal de
me déterminer sans lui. C'est à lui à me guider; c'est à moi à le
suivre. Régulus, peu de jours après, me vint trouver dans la salle
du préteur. Là, après m'avoir suivi quelque temps, il me tire à
l'écart. Je crains, dit-il , que vous ne soyez choqué de ce que je
dis dans la chambre des centumvirs. Je plaidais coutre vous et
contre Satrius Rufus. Ce mot m'échappa: Satrius, et cet orateur qui,
dégoûté de l'éloquence de notre siècle, se pique d'imiter Cicéron.
Je lui répondis que son aveu seul m'ouvrait l'esprit; que
jusqu'alors je n'y avais pas entendu malice, et qu'il avait été très
aisé de donner à ses paroles un sens fort obligeant. J'ai en effet,
poursuivis-je , une grande passion d'imiter Cicéron, et, j'estime
fort peu l'éloquence de notre temps. Je trouve ridicule, s'il faut
se choisir des modèles, de ne pas prendre les plus excellents. Mais
vous, lui dis-je , qui vous souvenez si bien de ce qui se passa dans
cette cause, comment avez-vous oublié les questions que vous eûtes
la bonté de me faire dans une autre, oie vous me pressâtes tant de
dire ce que je pensais de l'attachement de Metius Modestus pour le
prince? La pâleur ordinaire de l'homme augmenta de plus de deux
nuances. Il me dit enfin d'une voix tremblante : Ce n'était pas à
vous que j'en voulais, mais à Metius Modesties. Remarquez, je vous
prie, le caractère cruel de cet homme, qui ne feignait pas d'avouer
qu'il avait voulu accabler un malheureux exilé. La raison qu'il me
donna pour justifier cet indigne procédé vous divertira. On a lu,
dit-il, à Domitien, une lettre où Modestus me traite du plus méchant
de tous les hommes; comme si Modestus avait eu grand tort! Notre
conversation n'alla guère plus loin ; car je voulais me réserver la
liberté entière d'agir comme il me plairait quand Mauricus serait de
retour. Ce n'est pas que j'ignore qu'il est assez . difficile de
perdre Régulus. Il est riche, il est intrigant; bien des gens le
considèrent; beaucoup d'autres, en plus grand nombre, le craignent;
et la crainte souvent a plus de pouvoir que l'amitié. Mais, après
tout, il n'est rien que de violentes secousses ne puissent abattre.
La fortune n'est pas plus fidèle aux scélérats qu'ils le sont aux
autres. Mais, je vous le répète encore , j'attends Mauricus. C'est
un homme de poids, d'expérience, et que ses malheurs passés
éclairent sur l'avenir. Je ne puis manquer de trouver dans ses
conseils des raisons, ou pour agir, ou pour demeurer en repos. J'ai
cru devoir ce récit à l'amitié qui nous unit. Elle ne me permet pas
de vous laisser ignorer mes démarches, mes discours ni même mes
desseins.
Adieu. |
I, 5
C. Plinius Voconio Romano suo s.
1
Vidistine quemquam M. Regulo timidiorem humiliorem post Domitiani
mortem? Sub quo non minora flagitia commiserat quam sub Nerone sed
tectiora. Coepit vereri ne sibi irascerer, nec fallebatur:
Irascebar. 2 Rustici Aruleni periculum foverat,
exsultaverat morte; adeo ut librum recitaret publicaretque, in quo
Rusticum insectatur atque etiam ‘Stoicorum simiam’ appellat, adicit
‘Vitelliana cicatrice stigmosum’ (agnoscis eloquentiam Reguli),
3 lacerat Herennium Senecionem tam intemperanter quidem, ut
dixerit ei Mettius Carus ‘Quid tibi cum meis mortuis? Numquid ego
Crasso aut Camerino molestus sum?’ quos ille sub Nerone accusaverat.
4 Haec me Regulus dolenter tulisse credebat, ideoque
etiam cum recitaret librum non adhibuerat. Praeterea reminiscebatur,
quam capitaliter ipsum me apud centumviros lacessisset. 5
Aderam Arrionillae Timonis uxori, rogatu Aruleni Rustici; Regulus
contra. Nitebamur nos in parte causae sententia Metti Modesti optimi
viri: is tunc in exsilio erat, a Domitiano relegatus. Ecce tibi
Regulus ‘Quaero,’ inquit, ‘Secunde, quid de Modesto sentias.’ Vides
quod periculum, si respondissem ‘bene’; quod flagitium si ‘male’.
Non possum dicere aliud tunc mihi quam deos adfuisse. ‘Respondebo’
inquam ‘si de hoc centumviri judicaturi sunt.’ Rursus ille: ‘Quaero,
quid de Modesto sentias.’ 6 Iterum ego: ‘Solebant testes
in reos, non in damnatos interrogari.’ Tertio ille: ‘Non jam quid de
Modesto, sed quid de pietate Modesti sentias quaero.’ 7
‘Quaeris’ inquam ‘quid sentiam; at ego ne interrogare quidem fas
puto, de quo pronuntiatum est.’ Conticuit; me laus et gratulatio
secuta est, quod nec famam meam aliquo responso utili fortasse,
inhonesto tamen laeseram, nec me laqueis tam insidiosae
interrogationis involveram.
8
Nunc ergo conscientia exterritus apprehendit Caecilium Celerem, mox
Fabium Justum; rogat ut me sibi reconcilient. Nec contentus pervenit
ad Spurinnam; huic suppliciter, ut est cum timet abjectissimus:
‘Rogo mane videas Plinium domi, sed plane mane (neque enim ferre
diutius sollicitudinem possum), et quoquo modo efficias, ne mihi
irascatur.’ 9 Evigilaveram; nuntius a Spurinna: ‘Venio ad
te.’ ‘Immo ego ad te.’ Coimus in porticum Liviae, cum alter ad
alterum tenderemus. Exponit Reguli mandata, addit preces suas, ut
decebat optimum virum pro dissimillimo, parce. Cui ego: ‘Dispicies
ipse quid renuntiandum Regulo putes. 10 Te decipi a me
non oportet. Exspecto Mauricum’ (nondum ab exsilio venerat): ‘Ideo
nihil alterutram in partem respondere tibi possum, facturus quidquid
ille decreverit; illum enim esse hujus consilii ducem, me comitem
decet.’ 11 Paucos post dies ipse me Regulus convenit in
praetoris officio; illuc persecutus secretum petit; ait timere se ne
animo meo penitus haereret, quod in centumvirali judicio aliquando
dixisset, cum responderet mihi et Satrio Rufo: ‘Satrius Rufus, cui
non est cum Cicerone aemulatio et qui contentus est eloquentia
saeculi nostri’. 12 Respondi nunc me intellegere maligne
dictum quia ipse confiteretur, ceterum potuisse honorificum
existimari. ‘Est enim’ inquam ‘mihi cum Cicerone aemulatio, nec sum
contentus eloquentia saeculi nostri; 13 nam stultissimum
credo ad imitandum non optima quaeque proponere. Sed tu qui hujus
judicii meministi, cur illius oblitus es, in quo me interrogasti,
quid de Metti Modesti pietate sentirem?’ Expalluit notabiliter,
quamvis palleat semper, et haesitabundus: ‘Interrogavi non ut tibi
nocerem, sed ut Modesto.’ Vide hominis crudelitatem, qui se non
dissimulet exsuli nocere voluisse. 14 Subiunxit egregiam
causam: ‘Scripsit’ inquit ‘in epistula quadam, quae apud Domitianum
recitata est: “Regulus, omnium bipedum nequissimus”’; quod quidem
Modestus verissime scripserat. 15 Hic fere nobis sermonis
terminus; neque enim volui progredi longius, ut mihi omnia libera
servarem dum Mauricus venit. Nec me praeterit esse Regulum
δυσκαθαίρετον; est enim locuples factiosus, curatur a multis,
timetur a pluribus, quod plerumque fortius amore est. 16
Potest tamen fieri ut haec concussa labantur; nam gratia malorum tam
infida est quam ipsi. Verum, ut idem saepius dicam, exspecto
Mauricum. Vir est gravis prudens, multis experimentis eruditus et
qui futura possit ex praeteritis providere. Mihi et temptandi
aliquid et quiescendi illo auctore ratio constabit. 17
Haec tibi scripsi, quia aequum erat te pro amore mutuo non solum
omnia mea facta dictaque, verum etiam consilia cognoscere.
Vale. |
LETTRE VI.
PLINE A CORNEILLE TACITE.
Vous allez rire , et je vous le permets : riez-en tant qu'il vous
plaira. Ce Pline que vous connaissez a pris trois sangliers, mais
très grands. Quoi! lui-même? dites-vous. Lui-même. N'allez pourtant
pas croire qu'il en ait coûté beaucoup à ma paresse. J'étais assis
près des toiles; je n'avais a côté de moi ni épieu ni dard, mais des
tablettes; je rêvais, j'écrivais, et je me préparais la consolation
de remporter mes feuilles pleines, si je m'en retournais les mains
vides. Ne méprisez pas cette manière d'étudier. Vous ne sauriez
croire combien le mouvement de corps donne de vivacité à l'esprit;
sans compter que l'ombre des forêts, la solitude, et ce profond
silence qu'exige la chasse, sont très propres à faire naître
d'heureuses pensées. Ainsi, croyez-moi, quand vous irez chasser,
portez votre panetière et votre bouteille, mais n'oubliez pas vos
tablettes. Vous éprouverez que Minerve se plaît autant sur les
montagnes que Diane.
Adieu. |
I, 6
C. Plinius Cornelio Tacito suo s.
1
Ridebis, et licet rideas. Ego, ille quem nosti, apros tres et quidem
pulcherrimos cepi. ‘Ipse?’ inquis. Ipse; non tamen ut omnino ab
inertia mea et quiete discederem. Ad retia sedebam; erat in proximo
non venabulum aut lancea, sed stilus et pugillares; meditabar
aliquid enotabamque, ut si manus vacuas, plenas tamen ceras
reportarem. 2 Non est quod contemnas hoc studendi genus;
mirum est ut animus agitatione motuque corporis excitetur; jam
undique silvae et solitudo ipsumque illud silentium quod venationi
datur, magna cogitationis incitamenta sunt. 3 Proinde cum
venabere, licebit auctore me ut panarium et lagunculam sic etiam
pugillares feras: experieris non Dianam magis montibus quam Minervam
inerrare.
Vale. |
LETTRE VII.
PLINE A OCTAVIUS RUFUS.
Savez-vous que vous m'élevez bien haut, quand vous m'accordez autant
de pouvoir qu'Homère en attribue à Jupiter?
Le père accorda l'un , mais il refusa l'autre.
En effet, je puis, comme Jupiter, accueillir l'un de vos voeux, et
rejeter l'autre. S'il m'est permis, pour vous obéir, de refuser mon
ministère à l'Andalousie contre un particulier qu'elle accuse, ne
dois-je pas avoir aussi la liberté de ne point me charger de la
défense de cet homme? Après avoir prodigué mes veilles, après avoir
hasardé ma fortune en faveur de cette province opprimée, que
penseriez-vous de la fidélité scrupuleuse dont je fais profession,
et de cette uniformité de conduite que vous aimez si fort en moi, si
je me démentais jusqu'à me déclarer contre mes anciens clients? Je
prendrai donc un milieu dans la prière que vous me faites. De deux
grâces que vous me demandez, je vous accorde celle qui peut en même
temps remplir une partie de vos désirs et toute l'opinion que vous
avez de moi. Car, afin que vous ne vous y trompiez pas, je n'ai pas
tant à me régler sur ce que veut aujourd'hui un homme de votre
caractère, que sur ce qu'il voudra toujours. J'espère me rendre à
Rome vers le quinzième d'octobre. J'y réitérerai à Gallus en
personne la promesse que je vous fais, et je lui engagerai ma parole
et la vôtre. Vous pouvez par avance lui répondre de moi.
Il dit, et d'un clin d'oeil fait signe qu'il exauce.
Et pourquoi ne citerais-je pas aussi les vers d'Homère, puisque vous
ne voulez pas que je puisse citer les vôtres? Dans la passion que
j'ai de les voir, les pauvres peuples d'Andalousie ne seraient pas
trop en sûreté, si l'on tentait à ce prix de me corrompre; et je ne
voudrais pas jurer que je ne plaidasse contre eux. J'oubliais le
meilleur: j'ai reçu vos dattes; et quelles dattes! Elles sont si
bonnes, qu'il faudrait être bien hardi pour entreprendre de régler
les rangs entre elles, les figues et les morilles que vous m'aviez
auparavant envoyées.
Adieu. |
I, 7
C. Plinius Octavio Rufo suo s.
1
Vide in quo me fastigio collocaris, cum mihi idem potestatis idemque
regni dederis quod Homerus Jovi Optimo Maximo: τῷ δ᾿ ἕτερον μὲν
ἔδωκε πατήρ, ἕτερον δ᾿ ἀνένευσεν. 2 Nam ego quoque simili
nutu ac renutu respondere voto tuo possum. Etenim, sicut fas est
mihi, praesertim te exigente, excusare Baeticis contra unum hominem
advocationem, ita nec fidei nostrae nec constantiae quam diligis
convenit, adesse contra provinciam quam tot officiis, tot laboribus,
tot etiam periculis meis aliquando devinxerim. 3 Tenebo
ergo hoc temperamentum, ut ex duobus, quorum alterutrum petis,
eligam id potius, in quo non solum studio tuo verum etiam judicio
satisfaciam. Neque enim tantopere mihi considerandum est, quid vir
optimus in praesentia velis, quam quid semper sis probaturus. 4
Me circa Idus Octobris spero Romae futurum, eademque haec praesentem
quoque tua meaque fide Gallo confirmaturum; cui tamen jam nunc licet
spondeas de animo meo ἦ καὶ κυανέῃσιν ἐπ᾿ ὀφρύσι νεῦσε. 5
Cur enim non usquequaque Homericis versibus agam tecum? quatenus tu
me tuis agere non pateris, quorum tanta cupiditate ardeo, ut videar
mihi hac sola mercede posse corrumpi, ut vel contra Baeticos adsim.
6 Paene praeterii, quod minime praetereundum fuit,
accepisse me careotas optimas, quae nunc cum ficis et boletis
certandum habent.
Vale.
|
LETTRE Vlll.
PLINE A POMPEIUS
Votre lettre ne pouvait m'être rendue plus à propos. Elle me demande
quelque ouvrage de ma façon, justement dans le temps que je me
disposais à vous prier d'en recevoir un. C'est me presser de me
satisfaire. Je n'ai donc plus à craindre ni les excuses de votre
paresse, ni les scrupules de ma discrétion. J'aurais aussi mauvaise
grâce de me croire importun, que vous de me traiter de fâcheux,
quand je ne fais que répondre à votre impatience. Cependant vous ne
devez rien attendre de nouveau d'un paresseux. Vous avez déjà vu le
discours dont j'accompagnai la fondation que j'ai faite d'une
bibliothèque en faveur de mes compatriotes. Ne pourrais-je point
obtenir qu'il repasse encore une fois sous votre lime? Votre
critique, la première fois, ne s'attacha qu'au dessein. J'en
voudrais aujourd'hui une qui ne fit pas de quartier, même aux
syllabes. Encore, après cet examen, il nous sera permis de donner
notre ouvrage, ou de le garder. Peut-être même que cette exacte
revue aidera beaucoup à nous déterminer; car en retouchant souvent
cette pièce, ou nous la trouverons indigne, ou nous la rendrons
digne de paraître. Ce n'est pas qu'à vous parler sincèrement, ce qui
me fait balancer ne tombe pas tant sur la composition que sur le
sujet. N'y entre-t-il point un peu trop de vanité? Quelque simple
que soit mon style, il sera difficile que, contraint à parler de la
libéralité de mes aïeux et de la mienne, je paraisse assez modeste.
Le pas est glissant, lors même que la plus juste nécessité nous y
engage. Si les louanges que nous donnons aux autres ne dégoûtent
déjà que trop, comment se promettre d'assaisonner assez délicatement
notre propre éloge? La vertu, qui toute seule fait dés envieux, nous
en attire bien davantage quand la gloire la suit. Vous exposez à la
malignité les plus belles actions, à mesure que vous les tirez de
l'obscurité. Plein de ces pensées, je me demande souvent si j'ai
composé mon discours pour le public, ou seulement pour moi. La
preuve que j'ai travaillé pour moi, c'est que les accompagnements
les plus nécessaires à une action d'éclat ne conservent, après
l'action, ni leur prix ni leur mérite. Sans aller plus loin chercher
des exemples, peut-on douter qu'il ne fût très important d'expliquer
les motifs de mon dessein ?J'y trouvais tout à la fois trois
avantages. Je me remplissais l'esprit de sages réflexions. Plus je
les repassais en moi-même, plus j'en découvrais les beautés; et je
me précautionnais contre le repentir, qui ne manque guère de suivre
les libéralités précipitées. Par là je m'aguerrissais au mépris des
richesses; car, pendant que la nature attache tous les hommes à des
biens vils et périssables, l'amour d'une libéralité bien entendue me
dégageait de ces honteux liens. Délibérer dans ces occasions, c'est
assurer au bienfait toute sa gloire. L'aveugle penchant d'un heureux
naturel, les saillies de l'humeur, n'y peuvent plus avoir de part.
Une dernière considération me déterminait encore. Je ne proposais
point des spectacles ou des combats de gladiateurs, mais des
pensions qui assurassent à de jeunes gens d'honnête famille les
secours que la fortune leur refusait. S'il faut parler quand on
propose des plaisirs qui charment les yeux ou les oreilles , ce ne
doit être que pour en modérer les transports. Faut-il engager
quelqu'un à se livrer aux fatigues et aux dégoûts que traîne à sa
suite l'éducation des jeunes gens; on n'a pas trop et des charmes de
l'intérêt et de tous les agréments de l'éloquence. Les médecins
essayent par leurs discours de répandre sur des aliments insipides ,
mais salutaires, la saveur qui leur manque: et quand nous ferons à
nos citoyens un présent aussi utile que peu agréable,
négligerons-nous de lui donner tout l'assaisonnement qu'il peut
emprunter de la parole? On garderait à contretemps un silence
modeste, quand il faut faire approuver à ceux qui n'ont plus
d'enfants une institution qui n'est faite qu'en faveur de ceux qui
en ont, et obtenir de ceux qui n'en ont point encore qu'ils
attendent avec patience le temps de participer à ce bienfait. Mais
comme alors, en rendant compte de mes intentions, j'étais plus
occupé de l'utilité publique que de ma gloire particulière, je
crains aujourd'hui, en publiant ma harangue, de paraître plus occupé
de ma gloire particulière que de l'utilité publique. Je n'ai pas
oublié qu'une grande âme est plus touchée du témoignage de la
conscience que des témoignages éclatants de la renommée. Ce n'est
pas à nos actions à courir après la gloire, c'est à la gloire à les
suivre. Et s'il arrive que, par un sort bizarre, elle nous échappe,
il ne faut pas croire que ce qui l'a méritée perde rien de son prix.
Il est difficile de vanter le bien qu'on a fait, sans donner lieu de
juger que l'on ne s'en vante pas parce qu'on l'a fait, mais qu'on
l'a fait pour s'en vanter. Notre action, que l'on admire quand
d'autres en parlent, est méprisée dès que nous en parlons. Les
hommes sont ainsi faits : ils décrient comme vaine l'action qu'ils
ne peuvent décrier comme mauvaise. Quel parti prendre? Ne
faisons-nous rien qui mérite que l'on parle de nous, on nous le
reproche. Avons-nous mérité que l'on en parle, on ne nous pardonne
pas d'en parler nous-mêmes. Ce qui m'embarrasse le plus, c'est que
je n'ai pas harangué en public, mais dans l'assemblée des décurions.
Je crains donc que moi, qui, lorsque je haranguais dans une salle
particulière, croyais à peine nia modestie en sûreté contre les
applaudissements du peuple, qui pouvais les devoir à ma libéralité,
je ne semble aujourd'hui mendier l'approbation de ceux même qui
n'ont d'autre intérêt à mon action que celui de l'exemple qu'elle
donne. Vous voilà instruit de tous mes doutes; décidez. Je ne veux
pour raison que votre avis.
Adieu. |
I, 8
C. Plinius Pompejo Saturnino suo s.
1
Peropportune mihi redditae sunt litterae tuae quibus flagitabas, ut
tibi aliquid ex scriptis meis mitterem, cum ego id ipsum
destinassem. Addidisti ergo calcaria sponte currenti, pariterque et
tibi veniam recusandi laboris et mihi exigendi verecundiam
sustulisti. 2 Nam nec me timide uti decet eo quod oblatum
est, nec te gravari quod depoposcisti. Non est tamen quod ab homine
desidioso aliquid novi operis exspectes. Petiturus sum enim ut
rursus vaces sermoni quem apud municipes meos habui bibliothecam
dedicaturus. 3 Memini quidem te jam quaedam adnotasse,
sed generaliter; ideo nunc rogo ut non tantum universitati ejus
attendas, verum etiam particulas qua soles lima persequaris. Erit
enim et post emendationem liberum nobis vel publicare vel continere.
4 Quin immo fortasse hanc ipsam cunctationem nostram in
alterutram sententiam emendationis ratio deducet, quae aut indignum
editione dum saepius retractat inveniet, aut dignum dum id ipsum
experitur efficiet. 5 Quamquam hujus cunctationis meae
causae non tam in scriptis quam in ipso materiae genere consistunt:
est enim paulo quasi gloriosius et elatius. Onerabit hoc modestiam
nostram, etiamsi stilus ipse pressus demissusque fuerit, propterea
quod cogimur cum de munificentia parentum nostrorum tum de nostra
disputare. 6 Anceps hic et lubricus locus est, etiam cum
illi necessitas lenocinatur. Etenim si alienae quoque laudes parum
aequis auribus accipi solent, quam difficile est obtinere, ne
molesta videatur oratio de se aut de suis disserentis! Nam cum ipsi
honestati tum aliquanto magis gloriae ejus praedicationique
invidemus, atque ea demum recte facta minus detorquemus et carpimus,
quae in obscuritate et silentio reponuntur. 7 Qua ex
causa saepe ipse mecum, nobisne tantum, quidquid est istud,
composuisse an et aliis debeamus. Ut nobis, admonet illud, quod
pleraque quae sunt agendae rei necessaria, eadem peracta nec
utilitatem parem nec gratiam retinent.
8
Ac, ne longius exempla repetamus, quid utilius fuit quam
munificentiae rationem etiam stilo prosequi? Per hoc enim
assequebamur, primum ut honestis cogitationibus immoraremur, deinde
ut pulchritudinem illarum longiore tractatu pervideremus, postremo
ut subitae largitionis comitem paenitentiam caveremus. Nascebatur ex
his exercitatio quaedam contemnendae pecuniae. 9 Nam cum
omnes homines ad custodiam ejus natura restrinxerit, nos contra
multum ac diu pensitatus amor liberalitatis communibus avaritiae
vinculis eximebat, tantoque laudabilior munificentia nostra fore
videbatur, quod ad illam non impetu quodam, sed consilio trahebamur.
10 Accedebat his causis, quod non ludos aut gladiatores
sed annuos sumptus in alimenta ingenuorum pollicebamur. Oculorum
porro et aurium voluptates adeo non egent commendatione, ut non tam
incitari debeant oratione quam reprimi; 11 ut vero
aliquis libenter educationis taedium laboremque suscipiat, non
praemiis modo verum etiam exquisitis adhortationibus impetrandum
est. 12 Nam si medici salubres sed voluptate carentes
cibos blandioribus alloquiis prosequuntur, quanto magis decuit
publice consulentem utilissimum munus, sed non perinde populare,
comitate orationis inducere? praesertim cum enitendum haberemus, ut
quod parentibus dabatur et orbis probaretur, honoremque paucorum
ceteri patienter et exspectarent et mererentur. 13 Sed ut
tunc communibus magis commodis quam privatae jactantiae studebamus,
cum intentionem effectumque muneris nostri vellemus intellegi, ita
nunc in ratione edendi veremur, ne forte non aliorum utilitatibus
sed propriae laudi servisse videamur.
14
Praeterea meminimus quanto majore animo honestatis fructus in
conscientia quam in fama reponatur. Sequi enim gloria, non appeti
debet, nec, si casu aliquo non sequatur, idcirco quod gloriam meruit
minus pulchrum est. 15 Ii vero, qui benefacta sua verbis
adornant, non ideo praedicare quia fecerint, sed ut praedicarent
fecisse creduntur. Sic quod magnificum referente alio fuisset, ipso
qui gesserat recensente vanescit; homines enim cum rem destruere non
possunt, jactationem ejus incessunt. Ita si silenda feceris, factum
ipsum, si laudanda non sileas, ipse culparis. 16 Me vero
peculiaris quaedam impedit ratio. Etenim hunc ipsum sermonem non
apud populum, sed apud decuriones habui, nec in propatulo sed in
curia. 17 Vereor ergo ut sit satis congruens, cum in
dicendo assentationem vulgi acclamationemque defugerim, nunc eadem
illa editione sectari, cumque plebem ipsam, cui consulebatur, limine
curiae parietibusque discreverim, ne quam in speciem ambitionis
inciderem, nunc eos etiam, ad quos ex munere nostro nihil pertinet
praeter exemplum, velut obvia ostentatione conquirere. 18
Habes cunctationis meae causas; obsequar tamen consilio tuo, cujus
mihi auctoritas pro ratione sufficiet.
Vale.
|
LETTRE IX.
PLINE A MINUTIUS FUNDANUS.
C'est une chose étonnante de voir comme le temps se passe à Rome.
Prenez chaque journée à part, il n'y en a point qui ne soit remplie
: rassemblez-les toutes, vous êtes surpris de les trouver si vides.
Demandez à quelqu'un : Qu'avez-vous fait aujourd'hui? J'ai assisté,
vous dira-t-il , à la cérémonie de la robe virile qu'un tel a donnée
à son fils. J'ai été prié à des fiançailles ou à des noces. L'on m'a
demandé pour la signature d'un testament. Celui-ci m'a chargé de sa
cause; celui-là m'a fait appeler à une consultation. Chacune de ces
choses, le jour qu'on l'a faite, a paru nécessaire : toutes
ensemble, quand vous venez à songer qu'elles ont pris tout votre
temps, paraissent inutiles, et le paraissent bien davantage quand on
les repasse dans une agréable solitude. Alors vous ne pouvez vous
empêcher de vous dire : A quelles bagatelles ai-je perdu mon temps!
C'est ce que je répète sans cesse dans ma maison de Laurentin, soit
que je lise, soit que j'écrive, soit qu'à mes études je mêle les
exercices du corps, dont la bonne disposition influe tant sur les
opérations de l'esprit. Je n'entends , je ne dis rien, que je me
repente d'avoir dit. Personne devant moi n'ose dire du mal de qui
que ce soit. Je ne trouve à redire à personne, sinon à moi-même,
quand ce que je compose n'est pas à mon gré. Sans désirs, sans
crainte , à couvert des bruits fâcheux, rien ne m'inquiète. Je ne
m'entretiens qu'avec moi et avec mes livres. 0 l'agréable, Ô
l'innocente vie! Que cette oisiveté est aimable! qu'elle est
honnête! qu'elle est préférable même aux plus illustres emplois !
Mer, rivage, dont je fais mon vrai cabinet, que vous m'inspirez de
nobles, d'heureuses pensées! Voulez-vous m'en croire, mon cher
Fundanus, fuyez les embarras de la ville; rompez cet enchaînement de
soins frivoles qui vous y attachent.; adonnez-vous à l'étude ou au
repos; et songez que ce qu'a dit si spirituellement et si
plaisamment notre ami Attilius, n'est que trop vrai : Il vaut
infiniment mieux ne rien faire, que de faire des riens.
Adieu. |
I, 9
C. Plinius Minicio Fundano suo s.
1
Mirum est quam singulis diebus in urbe ratio aut constet aut
constare videatur, pluribus junctisque non constet. 2 Nam
si quem interroges ‘Hodie quid egisti?’, respondeat: ‘Officio togae
virilis interfui, sponsalia aut nuptias frequentavi, ille me ad
signandum testamentum, ille in advocationem, ille in consilium
rogavit.’ 3 Haec quo die feceris, necessaria, eadem, si
cotidie fecisse te reputes, inania videntur, multo magis cum
secesseris. Tunc enim subit recordatio: ‘Quot dies quam frigidis
rebus absumpsi!’ 4 Quod evenit mihi, postquam in
Laurentino meo aut lego aliquid aut scribo aut etiam corpori vaco,
cujus fulturis animus sustinetur. 5 Nihil audio quod
audisse, nihil dico quod dixisse paeniteat; nemo apud me quemquam
sinistris sermonibus carpit, neminem ipse reprehendo, nisi tamen me
cum parum commode scribo; nulla spe nullo timore sollicitor, nullis
rumoribus inquietor: mecum tantum et cum libellis loquor. 6
O rectam sinceramque vitam! O dulce otium honestumque ac paene omni
negotio pulchrius! O mare, o litus, verum secretumque μουσεῖον, quam
multa invenitis, quam multa dictatis! 7 Proinde tu quoque
strepitum istum inanemque discursum et multum ineptos labores, ut
primum fuerit occasio, relinque teque studiis vel otio trade. 8
Satius est enim, ut Atilius noster eruditissime simul et facetissime
dixit, otiosum esse quam nihil agere.
Vale. |
LETTRE X.
PLINE A ATRIUS CLEMENS.
Si jamais les belles-lettres ont été florissantes à Rome , c'est
assurément aujourd'hui. Il ne tiendrait qu'a moi de vous en citer
plusieurs exemples. Vous en serez quitte pour un seul. Je ne vous
parlerai que du philosophe Euphrate. Je commençai à le connaître en
Syrie, dans ma jeunesse et dans mes premières campagnes. Les entrées
que j'avais chez lui me donnèrent lieu de l'étudier à fond. Je pris
soin de m'en faire aimer; et il n'en fallait pas beaucoup prendre.
Il est accessible, prévenant, et soutient bien par sa conduite les
leçons d'affabilité qu'il donne. Que je serais content si j'avais pu
remplir l'espérance qu'il avait conçue de moi, comme il a surpassé
celle qu'on avait déjà de lui! Peut-être qu'aujourd'hui je n'admire
davantage ses vertus que parce que je les connais mieux, quoiqu'à
vrai dire, je ne les connaisse pas encore assez. Il n'appartient
qu'aux maîtres de bien juger des finesses d'un art, et il faut avoir
fait de grands progrès dans la sagesse pour sentir tout le mérite
d'un sage. Mais, autant que je puis m'y connaître, tant de rares
qualités brillent dans Euphrate, qu'elles frappent les moins
clairvoyants. il est subtil , solide et fleuri dans la dispute; et
quand elle lui plaît, personne n'atteint mieux au sublime de Platon
, et n'en fait mieux revivre le vaste génie. On voit régner dans ses
discours la richesse des expressions, la variété des tours, et
surtout une douce violence qui emporte les plus opiniâtres. Son
extérieur ne dément point le reste : il est de belle taille; il a le
visage agréable, les cheveux longs, et une très longue barbe toute
blanche. Vous ne pouvez vous imaginer combien ces dehors, tout
indifférents qu'ils paraissent, lui attirent de vénération. Ses
habits sont propres sans affectation; son air est sérieux sans être
chagrin; son abord inspire le respect sans imprimer la crainte. Sou
extrême politesse égale la pureté de ses moeurs. Il fait la guerre
aux vices et non pas aux hommes. Il ramène ceux qui s'égarent, et ne
leur insulte point. On est si charmé de l'entendre, qu'après même
qu'il vous a persuadé. vous voudriez qu'il eût à vous persuader
encore. Trois enfants composent sa famille. Il a deux fils, et il
n'oublie rien pour leur éducation. Julien, son beau-père, tient le
premier rang dans sa province. C'est un homme recommandable par
mille en droits, et principalement par la préférence que, dans le
choix d'un gendre, il a donnée à la seule vertu sur la naissance et
sur la fortune. Mais il faut que je n'aime guère mon repos, quand je
m'étends si fort sur les louanges d'un ami qui est comme perdu pour
moi. Ai-je donc peur de ne point sentir assez ma perte? Malheureuse
victime d'un emploi qui , tout important qu'il est, me parait encore
plus fâcheux, je passe ma vie à écouter, à juger des plaideurs, à
répondre des requêtes, à faire des règlements, à écrire un grand
nombre de lettres, mais où les belles-lettres n'ont guère de part.
Je m'en plains quelquefois fort sérieusement à Euphrate; c'est tout
ce que je puis. Il essaye de me consoler. Il m'assure que la plus
noble fonction de la philosophie, c'est de consacrer ses travaux aux
intérêts publics; c'est de faire régner la justice et la paix parmi
les hommes ; et que c'est là mettre en oeuvre les maximes des
philosophes. Je vous l'avoue , c'est le seul point où son éloquence
ne me persuade pas. Je suis encore à comprendre que de semblables
occupations puissent valoir le plaisir de l'écouter continuellement,
et de l'étudier. Voulez-vous que je vous parle en ami? Vous qui en
avez le temps, revenez promptement à Rome; et dès que vous y serez,
hâtez-vous d'aller vous polir et vous perfectionner à son école.
Vous voyez que je ne ressemble pas à la plupart des hommes, qui
envient aux autres les avantages qu'ils ne peuvent avoir. Au
contraire ,je crois jouir des biens que je n'ai pas, quand je sais
que mes amis en jouissent.
Adieu. |
I, 10
C. Plinius Attio Clementi suo s.
1
Si quando urbs nostra liberalibus studiis floruit, nunc maxime
floret. 2 Multa claraque exempla sunt; sufficeret unum,
Euphrates philosophus. Hunc ego in Syria, cum adulescentulus
militarem, penitus et domi inspexi, amarique ab eo laboravi, etsi
non erat laborandum. Est enim obvius et expositus, plenusque
humanitate quam praecipit. 3 Atque utinam sic ipse quam
spem tunc ille de me concepit impleverim, ut ille multum virtutibus
suis addidit! aut ego nunc illas magis miror quia magis intellego.
4 Quamquam ne nunc quidem satis intellego; ut enim de
pictore scalptore fictore nisi artifex judicare, ita nisi sapiens
non potest perspicere sapientem. 5 Quantum tamen mihi
cernere datur, multa in Euphrate sic eminent et elucent, ut
mediocriter quoque doctos advertant et afficiant. Disputat
subtiliter graviter ornate, frequenter etiam Platonicam illam
sublimitatem et latitudinem effingit. Sermo est copiosus et varius,
dulcis in primis, et qui repugnantes quoque ducat impellat. 6
Ad hoc proceritas corporis, decora facies, demissus capillus, ingens
et cana barba; quae licet fortuita et inania putentur, illi tamen
plurimum venerationis acquirunt. 7 Nullus horror in
cultu, nulla tristitia, multum severitatis; reverearis occursum, non
reformides. Vitae sanctitas summa; comitas par: insectatur vitia non
homines, nec castigat errantes sed emendat. Sequaris monentem
attentus et pendens, et persuaderi tibi etiam cum persuaserit
cupias. 8 Jam vero liberi tres, duo mares, quos
diligentissime instituit. Socer Pompejus Julianus, cum cetera vita
tum vel hoc uno magnus et clarus, quod ipse provinciae princeps
inter altissimas condiciones generum non honoribus principem, sed
sapientia elegit.
9
Quamquam quid ego plura de viro quo mihi frui non licet? An ut magis
angar quod non licet? Nam distringor officio, ut maximo sic
molestissimo: sedeo pro tribunali, subnoto libellos, conficio
tabulas, scribo plurimas sed illitteratissimas litteras. 10
Soleo non numquam (nam id ipsum quando contingit!) de his
occupationibus apud Euphraten queri. Ille me consolatur, affirmat
etiam esse hanc philosophiae et quidem pulcherrimam partem, agere
negotium publicum, cognoscere judicare, promere et exercere
justitiam, quaeque ipsi doceant in usu habere. 11 Mihi
tamen hoc unum non persuadet, satius esse ista facere quam cum illo
dies totos audiendo discendoque consumere. Quo magis te cui vacat
hortor, cum in urbem proxime veneris (venias autem ob hoc maturius),
illi te expoliendum limandumque permittas. 12 Neque enim
ego ut multi invideo aliis bono quo ipse careo, sed contra: sensum
quendam voluptatemque percipio, si ea quae mihi denegantur amicis
video superesse.
Vale. |
LETTRE XI.
PLINE A FABIUS JUSTUS.
Depuis longtemps je n'ai reçu de vos nouvelles. Vous n'avez rien à
m'écrire, dites-vous : eh bien! écrivez-le-moi , que vous n'avez
rien à m'écrire. Du moins écrivez-moi ce que vos ancêtres avaient
coutume de mettre au commencement de leurs lettres : Si vous vous
portez bien, j'en suis bien aise; quant à moi, je me porte fort
bien. Je vous quitte du reste; car cela dit tout. Vous croyez que je
badine : non, je parle très sérieusement. Mandez-moi comment vous
passez votre temps; je souffre trop à ne le pas savoir.
Adieu. |
I, 11
C. Plinius Fabio Justo suo s.
1
Olim mihi nullas epistulas mittis. Nihil est, inquis, quod scribam.
At hoc ipsum scribe, nihil esse quod scribas, vel solum illud unde
incipere priores solebant: ‘Si vales, bene est; ego valeo.’ 2
Hoc mihi sufficit; est enim maximum. Ludere me putas? serio peto.
Fac sciam quid agas, quod sine sollicitudine summa nescire non
possum.
Vale. |
LETTRE XII.
PLINE A CALESTRIUS TIRON
J'ai fait une cruelle perte, si c'est assez dire pour exprimer le
malheur qui nous enlève un si grand homme. Corellius Rufus est mort;
et, ce qui m'accable davantage, il n'est mort que parce qu'il l'a
voulu. Ce genre de mort, que l'on ne peut reprocher :ni à l'ordre de
la nature ni aux caprices de la fortune , me semble le plus
affligeant de tous. Lorsque le cours d'une maladie emporte nos amis,
ils nous laissent au moins un sujet de consolation, dans cette
inévitable nécessité qui menace tous les hommes. Mais ceux qui se
livrent eux-mêmes à la mort ne nous laissent que l'éternel regret de
penser qu'ils auraient pu vivre longtemps. Une souveraine raison,
qui tient lieu de destin aux sages, a déterminé Corellius Rufus.
Mille avantages concouraient à lai faire aimer la vie : le
témoignage d'une bonne conscience, une haute réputation, un crédit
des mieux établis, une femme, une fille, un petit-. fils, des soeurs
très aimables; et, ce qui est encore plus précieux, de véritables
amis. Mais ses maux duraient depuis si longtemps, et étaient devenus
si insupportables, que les raisons de mourir l'emportèrent sur tant
d'avantages qu'il trouvait à vivre. A trente-trois ans, il fut
attaqué de la goutte. Je lui ai ouï dire plusieurs fois qu'il
l'avait héritée de son père; car les maux, comme les biens, nous
viennent souvent par succession. Tant qu'il fut jeune, il trouva des
remèdes dans le régime et dans la continence : plus avancé en âge et
plus accablé, il se soutint par sa vertu et par son courage. Un jour
que les douleurs les plus aiguës n'attaquaient plus les pieds seuls
comme auparavant, mais se répandaient sur tout le corps, j'allai le
voir à sa maison près de Rome : c'était du temps de Domitien. Dès
que je parus, les valets de Corellius se retirèrent. Il avait établi
cet ordre chez lui, que quand un amide confiance entrait dans sa
chambre, tout en sortait, jusqu'à sa femme, quoique d'ailleurs très
capable d'un secret. Après avoir jeté les yeux de tous côtés: Savez
vous bien, dit-il, pourquoi je me suis obstiné à vivre si longtemps,
malgré des maux insupportables? C'est pour survivre au moins un jour
à ce brigand; et j'en aurais eu le plaisir, si mes forces n'eussent
pas démenti mon courage. Ses voeux furent pourtant exaucés. Il eut
la satisfaction d'expirer libre et tranquille, et de n'avoir plus à
rompre que les autres liens en grand nombre, mais beaucoup plus
faibles, qui l'attachaient à la vie. Ses douleurs redoublèrent; il
essaya de les adoucir par la diète. Elles continuèrent : il se lassa
d'être si longtemps leur jouet. Il y avait déjà quatre jours qu'il
n'avait pris de nourriture, quand Hispulla, sa femme , envoya notre
ami commun C. Geminius m'apporter la triste nouvelle que Corellius
avait résolu de mourir; que les larmes de sa femme , les
supplications de sa fille ne gagnaient rien sur lui , et que j'étais
le seul qui pût le rappeler à la vie. J'y cours : j'arrivais ,
lorsque Julius Atticus, de nouveau dépêché vers moi par Hispulla, me
rencontre, et m'annonce que l'on avait perdu toute espérance, même
celle que l'on avait eu moi, tant Corellius paraissait affermi dans
sa résolution. Ce qui désespérait, c'était la réponse qu'il avait
faite à son médecin, qui le pressait de prendre des aliments : J'ai
prononcé l'arrêt, dit-il. Parole qui me remplit tout à la fois
d'admiration et de douleur. Je ne cesse de penser quel homme, quel
ami j'ai perdu. Il avait passé soixante et sept ans, terme assez
long, même pour les plus robustes. Il est délivré de toutes les
douleurs d'une maladie continuelle. Il a eu le bonheur de laisser
florissantes et sa famille et la république, qui lui était plus
chère encore que sa famille. Je me le dis, je le sais, je le sens;
cependant je le regrette comme s'il m'eût été ravi dans la fleur de
son âge, et dans la plus brillante santé. Mais ( dussiez-vous
m'accuser de faiblesse) je le regrette particulièrement pour l'amour
de moi. Ah! mon cher, j'ai perdu le témoin, le guide, le juge de ma
conduite. Vous ferai-je un aveu que j'ai déjà fait à notre ami
Calvisius, dans les premiers transports de ma douleur? Je crains
bien qu'après cette perte la vie n'ait plus autant d'attraits pour
moi. Vous voyez quel besoin j'ai que vous me consoliez. Il ne s'agit
pas de me représenter que Corellius était vieux, qu'il était
infirme. 11 me faut d'autres consolations; il me faut de ces raisons
que je n'aie point encore trouvées, ni dans le commerce du monde, ni
dans les livres. Tout ce que j'ai entendu dire, tout ce que j'ai lu,
me revient assez dans l'esprit. Mais mon affliction n'est pas d'une
nature à se rendre aux réflexions communes.
Adieu. |
I, 12
C. Plinius Calestrio Tironi suo s.
1
Jacturam gravissimam feci, si jactura dicenda est tanti viri
amissio. Decessit Corellius Rufus et quidem sponte, quod dolorem
meum exulcerat. Est enim luctuosissimum genus mortis, quae non ex
natura nec fatalis videtur. 2 Nam utcumque in illis qui
morbo finiuntur, magnum ex ipsa necessitate solacium est; in iis
vero quos accersita mors aufert, hic insanabilis dolor est, quod
creduntur potuisse diu vivere. 3 Corellium quidem summa
ratio, quae sapientibus pro necessitate est, ad hoc consilium
compulit, quamquam plurimas vivendi causas habentem, optimam
conscientiam optimam famam, maximam auctoritatem, praeterea filiam
uxorem nepotem sorores, interque tot pignora veros amicos. 4
Sed tam longa, tam iniqua valetudine conflictabatur, ut haec tanta
pretia vivendi mortis rationibus vincerentur. Tertio et tricensimo
anno, ut ipsum audiebam, pedum dolore correptus est. Patrius hic
illi; nam plerumque morbi quoque per successiones quasdam ut alia
traduntur. 5 Hunc abstinentia sanctitate, quoad viridis
aetas, vicit et fregit; novissime cum senectute ingravescentem
viribus animi sustinebat, cum quidem incredibiles cruciatus et
indignissima tormenta pateretur. 6 Jam enim dolor non
pedibus solis ut prius insidebat, sed omnia membra pervagabatur.
Veni ad eum Domitiani temporibus in suburbano jacentem. 7
Servi e cubiculo recesserunt (habebat hoc moris, quotiens intrasset
fidelior amicus); quin etiam uxor quamquam omnis secreti capacissima
digrediebatur. 8 Circumtulit oculos et ‘Cur’ inquit ‘me
putas hos tantos dolores tam diu sustinere? Ut scilicet isti latroni
vel uno die supersim.’ Dedisses huic animo par corpus, fecisset quod
optabat. Adfuit tamen deus voto, cujus ille compos ut jam securus
liberque moriturus, multa illa vitae sed minora retinacula abrupit.
9 Increverat valetudo, quam temperantia mitigare
temptavit; perseverantem constantia fugit. Jam dies alter tertius
quartus: abstinebat cibo. Misit ad me uxor ejus Hispulla communem
amicum C. Geminium cum tristissimo nuntio, destinasse Corellium mori
nec aut suis aut filiae precibus inflecti; solum superesse me, a quo
revocari posset ad vitam. 10 Cucurri. Perveneram in
proximum, cum mihi ab eadem Hispulla Julius Atticus nuntiat nihil
jam ne me quidem impetraturum: tam obstinate magis ac magis
induruisse. Dixerat sane medico admoventi cibum: Κέκρικα, quae vox
quantum admirationis in animo meo tantum desiderii reliquit. 11
Cogito quo amico, quo viro caream. Implevit quidem annum septimum et
sexagensimum, quae aetas etiam robustissimis satis longa est; scio.
Evasit perpetuam valetudinem; scio. Decessit superstitibus suis,
florente re publica, quae illi omnibus carior erat; et hoc scio.
12 Ego tamen tamquam et juvenis et firmissimi mortem
doleo, doleo autem (licet me imbecillum putes) meo nomine. Amisi
enim, amisi vitae meae testem rectorem magistrum. In summa dicam,
quod recenti dolore contubernali meo Calvisio dixi: ‘Vereor ne
neglegentius vivam.’ 13 Proinde adhibe solacia mihi, non
haec: ‘Senex erat, infirmus erat’ (haec enim novi), sed nova aliqua,
sed magna, quae audierim numquam, legerim numquam. Nam quae audivi
quae legi sponte succurrunt, sed tanto dolore superantur.
Vale. |
LETTRE XIII.
PLINE A SOSIUS SÉNÉCION.
Cette année, nous avons des poètes à foison. Il n'y a pas un seul
jour du mois d'avril qui n'ait eu son poème, et son poète pour le
déclamer. Je suis charmé que l'on cultive les sciences, et qu'elles
excitent cette noble émulation, malgré le peu d'empressement qu'ont
nos Romains d'aller entendre les pièces nouvelles. La plupart, assis
dans les places publiques, s'amusent à écouter des sornettes, et se
font informer de temps en temps si l'auteur est entré, si la préface
est expédiée, s'il est bien avancé dans la lecture de sa pièce.
Alors vous les voyez venir gravement, et d'un pas qui visiblement se
ressent de la violence qu'ils se font. Encore n'attendent-ils pas la
fin pour s'en aller : l'un se dérobe adroitement ; l'autre, moins
honteux, sort sans façon et la tête levée. Qu'est devenu le temps
que nos pères nous ont tant vanté? Nous nous souvenons de leur avoir
ouï dire qu'un jour que l'empereur Claude se promenait dans son
palais, il entendit un grand bruit. Il en demanda la cause. On lui
dit que Nonianus lisait publiquement un de ses ouvrages. Ce prince
quitte tout, et par sa présence vient surprendre agréablement
l'assemblée. Aujourd'hui l'homme le plus fainéant, bien averti,
convié, prié, supplié, dédaigne devenir; ou s'il vient, ce n'est que
pour se plaindre d'avoir perdu un jour, parce qu'il ne l'a pas
perdu. Je vous l'avoue, cette nonchalance et ce dédain. de la part
des auditeurs rehaussent beaucoup dans mon idée le courage des
auteurs qu'ils ne dégoûtent pas de l'étude. Pour moi, je n'ai manqué
presque personne; et, à dire vrai, la plupart étaient mes amis : car
c'est tout un, ou peu s'en faut, d'aimer les belles-lettres et
d'aimer Pline. Voilà ce qui m'a retenu ici plus longtemps que je ne
voulais. Enfin , je suis libre. Je puis revoir ma retraite, et y
composer, sans dessein d'avoir à mon tour de quoi entretenir le
publie. Gardons-nous bien de faire croire à nos déclamateurs que je
ne leur ai pas donné, mais seulement prêté mon attention : car dans
ce genre d'obligation, comme dans tous les autres, le bienfait cesse
dès qu'on le redemande.
Adieu. |
I, 13
C. Plinius Sosio Senecioni suo s.
1
Magnum proventum poetarum annus hic attulit: toto mense Aprili
nullus fere dies, quo non recitaret aliquis. Juvat me quod vigent
studia, proferunt se ingenia hominum et ostentant, tametsi ad
audiendum pigre coitur. 2 Plerique in stationibus sedent
tempusque audiendi fabulis conterunt, ac subinde sibi nuntiari
jubent, an jam recitator intraverit, an dixerit praefationem, an e:
magna parte evolucrit librum; tum demum ac tunc quoque Lente
cunctanterque veniunt, nec tamen permanent, sed ante finem recedunt,
alii dissimulanter et furtim, alii simpliciter et libere. 3
At hercule memoria parentum Claudium Caesarem ferunt, cum in Palatio
spatiaretur audissetque clamorem, causam requisisse, cumque dictum
esset recitare Nonianum, subitum recitanti inopinatumque venisse.
4 Nunc otiosissimus quisque multo ante rogatus et
identidem admonitus aut non venit aut, si venit, queritur se diem
(quia non perdidit) perdidisse. 5 Sed tanto magis
laudandi probandique sunt, quos a scribendi recitandique studio haec
auditorum vel desidia vel superbia non retardat. Equidem prope
nemini defui. Erant sane plerique amici; 6 neque enim est
fere quisquam, qui studia, ut non simul et nos amet. His ex causis
longius quam destinaveram tempus in urbe consumpsi. Possum jam
repetere secessum et scribere aliquid, quod non recitem, ne videar,
quorum recitationibus adfui, non auditor fuisse sed creditor. Nam ut
in ceteris rebus ita in audiendi officio perit gratia si reposcatur.
Vale. |
LETTRE XIV.
PLINE A JUNIUS MAURICUS.
Vous me priez de chercher un parti pour la fille de votre frère.
C'est avec raison que vous me donnez cette commission plutôt qu'à
tout autre. Vous savez jusqu'où je portais mon attachement et ma
vénération pour ce grand homme. Par quels sages conseils n'a-t-il
point soutenu ma jeunesse? Par quelles avances de louanges ne
m'a-t-il pas engagé à en mériter? Vous ne pouviez donc me charger
d'une commission plus importante, et qui me fit tout à la fois et
plus de plaisir et plus d'honneur, que celle de choisir un homme
digne de faire revivre Rusticus Arulenus dans ses descendants. Ce
choix m'embarrasserait fort, si Minutius Acilianus n'était tout
propre pour cette alliance, et comme fait exprès. C'est un jeune
homme qui m'aime comme l'on aime les gens de son âge (car je n'ai
que quelques années plus que lui), et qui n'a guère moins de respect
pour moi que pour un barbon. Il me demande et je lui montre les
routes de la science et de la vertu, que vous m'avez autrefois
enseignées. Il est né a Bresse, ville de ce canton d'Italie, où l'on
conserve encore des restes de la modestie, de la frugalité, de la
franchise de nos ancêtres. Minutius Macrinus, son père, n'eut
d'autre rang que celui de premier des chevaliers, parce qu'il refusa
de monter plus haut. Vespasien lui offrit une place parmi ceux qui
avaient exercé la préture; mais il eut la constance de préférer une
honnête oisiveté aux illustres embarras que peut-être notre seule
ambition pare du nom de grandes charges. Serrana Procula, aïeule
maternelle de ce jeune homme, est née à Padoue. Le naturel austère
des Padouans ne vous est pas inconnu ; ils la proposent eux-mêmes
comme un modèle. il a un oncle que l'on nomme. P. Acilius. C'est un
homme d'une sagesse, d'une prudence, d'une intégrité singulière. En
un mot, vous ne trouverez dans toute cette famille rien qui ne vous
plaise autant que dans la vôtre. Revenons à Minutius Acilianus.
Modeste autant qu'on le peut être, il n'en a ni moins de courage, ni
moins de capacité. Il a passé avec approbation par les charges de
questeur, de tribun, de préteur; et, par avance, il vous a épargné
la peine de les briguer pour lui. Sa physionomie est heureuse, ses
couleurs vives. Il est parfaitement bien fait. Il a l'air noble, et
toute la majesté d'un sénateur. Loin de croire qu'il faille négliger
ces avantages, je suis au contraire persuadé qu'il faut les
chercher, comme la récompense que l'on doit aux moeurs innocentes
d'une jeune personne. Je ne sais si je dois ajouter que le père est
fort riche. Quand je me représente le caractère de ceux qui veulent
un gendre de ma main, je n'ose parler de ses biens; mais ils ne me
semblent pas à mépriser quand je consulte l'usage établi, et même
nos lois, qui mesurent les hommes principalement par leurs revenus.
Et franchement on ne peut jeter les yeux sur les suites du mariage
sans mettre les biens au nombre des choses nécessaires pour sa
félicité. Vous croyez peut-être que mon coeur a conduit mon pinceau,
dans le portrait que j'ai fait d'Acilianus. Ne vous fiez jamais à
moi, s'il ne vous tient plus que je ne vous ai promis. Je vous avoue
que je l'aime comme il le mérite, c'est-à-dire de tout mon coeur.
Mais, selon moi, le meilleur office que puisse rendre un ami, c'est
de ne pas donner à celui qu'il aime plus de louanges qu'il n'en peut
porter.
Adieu. |
I, 14
C. Plinius Junio Maurico suo s.
1
Petis ut fratris tui filiae prospiciam maritum; quod merito mihi
potissimum injungis. Scis enim quanto opere summum illum virum
suspexerim dilexerimque, quibus ille adulescentiam meam
exhortationibus foverit, quibus etiam laudibus ut laudandus viderer
effecerit. 2 Nihil est quod a te mandari mihi aut maius
aut gratius, nihil quod honestius a me suscipi possit, quam ut
eligam juvenem, ex quo nasci nepotes Aruleno Rustico deceat. 3
Qui quidem diu quaerendus fuisset, nisi paratus et quasi provisus
esset Minicius Acilianus, qui me ut juvenis juvenem (est enim minor
pauculis annis) familiarissime diligit, reveretur ut senem. 4
Nam ita formari a me et institui cupit, ut ego a vobis solebam.
Patria est ei Brixia, ex illa nostra Italia quae multum adhuc
verecundiae frugalitatis, atque etiam rusticitatis antiquae, retinet
ac servat. 5 Pater Minicius Macrinus, equestris ordinis
princeps, quia nihil altius volvit; allectus enim a Divo Vespasiano
inter praetorios honestam quietem huic nostrae (ambitioni dicam an
dignitati?) constantissime praetulit. 6 Habet aviam
maternam Serranam Proculam e municipio Patavio. Nosti loci mores:
Serrana tamen Patavinis quoque severitatis exemplum est. Contigit et
avunculus ei P. Acilius gravitate prudentia fide prope singulari. In
summa nihil erit in domo tota, quod non tibi tamquam in tua placeat.
7 Aciliano vero ipsi plurimum vigoris industriae,
quamquam in maxima verecundia. Quaesturam tribunatum praeturam
honestissime percucurrit, ac jam pro se tibi necessitatem ambiendi
remisit. 8 Est illi facies liberalis, multo sanguine
multo rubore suffusa, est ingenua totius corporis pulchritudo et
quidam senatorius decor. Quae ego nequaquam arbitror neglegenda;
debet enim hoc castitati puellarum quasi praemium dari. 9
Nescio an adiciam esse patri ejus amplas facultates. Nam cum
imaginor vos quibus quaerimus generum, silendum de facultatibus
puto; cum publicos mores atque etiam leges civitatis intueor, quae
vel in primis census hominum spectandos arbitrantur, ne id quidem
praetereundum videtur. Et sane de posteris et his pluribus
cogitanti, hic quoque in condicionibus deligendis ponendus est
calculus. 10 Tu fortasse me putes indulsisse amori meo,
supraque ista quam res patitur sustulisse. At ego fide mea spondeo
futurum ut omnia longe ampliora quam a me praedicantur invenias.
Diligo quidem adulescentem ardentissime sicut meretur; sed hoc ipsum
amantis est, non onerare eum laudibus.
Vale.
|
LETTRE XV.
PLINE A SEPTICIUS CLARUS.
Vraiment, vous l'entendez. Vous me mettez en dépense pour vous
donner à souper, et vous me manquez ! Il y a bonne justice à Rome.
Vous me le payerez jusqu'à la dernière obole; et cela va plus loin
que vous ne pensez. J'avais préparé à chacun sa laitue, trois
escargots, deux oeufs, un gâteau, du vin miellé, et de la neige; car
je vous compterai jusqu'à la neige, et avec plus de raison encore
que le reste, puisqu'elle ne sert jamais plus d'une fois. Nous
avions des olives d'Andalousie, des courges, des échalotes, et mille
autres mets aussi délicats. Vous auriez eu à choisir d'un comédien,
d'un lecteur, ou d'un musicien; ou même ( admirez ma profusion) vous
les auriez eus tous ensemble. Mais vous avez mieux aimé, chez je ne
sais qui, des huîtres, des viandes exquises, des poissons rares, et
des danseuses espagnoles. Je saurai vous en punir; je ne vous dis
pas comment. Vous m'avez bien mortifié; vous vous êtes fait à
vous-même plus de tort que vous ne pensez : au moins, vous ne m'en
pouviez assurément faire davantage, ni en vérité à vous non plus.
Que nous eussions badiné, plaisanté, moralisé! Vous trouverez
ailleurs des repas plus magnifiques; mais n'en cherchez point où
règnent davantage la joie, la propreté, la liberté. Faites-en
l'épreuve; et après cela si vous ne quittez toute autre table pour
la mienne, je consens que vous quittiez la mienne pour toute nuire.
Adieu. |
I, 15
C. Plinius Septicio Claro suo s.
1
Heus tu! Promittis ad cenam, nec venis? Dicitur jus: ad assem
impendium reddes, nec id modicum. 2 Paratae erant
lactucae singulae, cochleae ternae, ova bina, halica cum mulso et
nive (nam hanc quoque computabis, immo hanc in primis quae perit in
ferculo), olivae betacei cucurbitae bulbi, alia mille non minus
lauta. Audisses comoedos vel lectorem vel lyristen vel (quae mea
liberalitas) omnes. 3 At tu apud nescio quem ostrea
vulvas echinos Gaditanas maluisti. Dabis poenas, non dico quas. Dure
fecisti: invidisti, nescio an tibi, certe mihi, sed tamen et tibi.
Quantum nos lusissemus risissemus studuissemus! 4 Potes
apparatius cenare apud multos, nusquam hilarius simplicius
incautius. In summa experire, et nisi postea te aliis potius
excusaveris, mihi semper excusa.
Vale.
|
LETTRE XVI.
PLINE A ERUCIUS.
Je chérissais déjà Pompée Saturnin : je parle de notre ami. Je
vantais son esprit, même avant que j'en connusse bien la fécondité,
tour, l'étendue. Aujourd'hui j'en suis tout rempli. II me suit
partout; il m'occupe tout entier. Je l'ai oui plaider avec autant de
vivacité que de force; et je ne l'ai trouvé ni moins juste ni moins
fleuri dans ses répliques imprévues que dans ses discours étudiés.
Son style est soutenu partout de réflexions solides; sa composition
est belle et majestueuse; ses expressions harmonieuses, et marquées
au coin de l'antiquité. Toutes ces beautés, qui vous transportent
quand la déclamation les anime, vous charment encore lorsque vous
les retrouvez sans vie sur le papier. Vous serez de mon avis, dès
que vous aurez jeté les yeux sur ses pièces d'éloquence. Vous
n'hésiterez pas à les comparer aux plus belles que les anciens nous
ont laissées; et vous avouerez qu'il égale ses modèles. Mais vous
serez encore plus content de lui, si vous lisez ses histoires. Ses
narrations vous paraîtront tout à la fois serrées, claires ,
coulantes, lumineuses , et même sublimes. Il n'a pas moins de force
dans ses harangues que dans ses plaidoyers; mais il y est plus
concis, plus ramassé, plus pressant. Ce n'est pas tout : il fait des
vers qui valent ceux de Catulle ou de Calvus, que j'aime tant. Quel
agrément, quelle douceur, quel sel, quelle tendresse! Il en mêle
quelquefois exprès de plus lèches, de plus négligés, de plus durs;
et cela, Catulle ou Calvus ne le font pas mieux. Ces jours passés,
il me lut des lettres qu'il disait être de sa femme. Je crus lire
Plaute ou Térence en prose. Pour moi, soit qu'il soit l'auteur de
ces lettres, ce qu'il ne veut pas reconnaître; soit que sa femme, à
qui il les donne, les ait écrites, je le trouve également estimable
d'avoir su les composer lui-même, ou d'en avoir si bien appris l'art
à sa femme, qui n'était encore qu'une enfant lorsqu'il l'épousa. Je
ne le quitte donc plus. Je le lis à toute heure, avant que de
prendre la plume, quand je la quitte, quand je me délasse; et je
crois en vérité le lire toujours pour la première fois. Croyez-moi,
faites-en autant; et n'allez pas vous en dégoûter, parce qu'il est
votre contemporain. Quoi! s'il avait vécu parmi des gens que nous
n'eussions jamais vus, nous courrions après ses livres, nous
rechercherions jusqu'à ses portraits; et quand nous l'avons au
milieu de nous, nous n'aurons que du dégoût pour son mérite, à cause
de la facilité que nous avons d'en jouir? Les hommes, selon moi, ne
font rien de plus indigne, rien de plus injuste, que de refuser leur
admiration à un homme, parce qu'il n'est pas mort; parce qu'il leur
est permis non seulement de le louer, mais de le voir, de
l'entendre, de l'entretenir, de l'embrasser, de l'aimer.
Adieu. |
I, 16.
C. Plinius Erucio suo s.
1
Amabam Pompejum Saturninum (hunc dico nostrum) laudabamque ejus
ingenium, etiam antequam scirem, quam varium quam flexibile quam
multiplex esset; nunc vero totum me tenet habet possidet. 2
Audivi causas agentem acriter et ardenter, nec minus polite et
ornate, sive meditata sive subita proferret. Adsunt aptae crebraeque
sententiae, gravis et decora constructio, sonantia verba et antiqua.
Omnia haec mire placent cum impetu quodam et flumine pervehuntur,
placent si retractentur. 3 Senties quod ego, cum
orationes ejus in manus sumpseris, quas facile cuilibet veterum,
quorum est aemulus, comparabis. 4 Idem tamen in historia
magis satisfaciet vel brevitate vel luce vel suavitate vel splendore
etiam et sublimitate narrandi. Nam in contionibus eadem quae in
orationibus vis est, pressior tantum et circumscriptior et
adductior. 5 Praeterea facit versus, quales Catullus meus
aut Calvus, re vera quales Catullus aut Calvus. Quantum illis
leporis dulcedinis amaritudinis amoris! Inserit sane, sed data
opera, mollibus levibusque duriusculos quosdam; et hoc quasi
Catullus aut Calvus. 6 Legit mihi nuper epistulas; uxoris
esse dicebat. Plautum vel Terentium metro solutum legi credidi. Quae
sive uxoris sunt ut affirmat, sive ipsius ut negat, pari gloria
dignus, qui aut illa componat, aut uxorem quam virginem accepit, tam
doctam politamque reddiderit. 7 Est ergo mecum per diem
totum; eundem antequam scribam, eundem cum scripsi, eundem etiam cum
remittor, non tamquam eundem lego. 8 Quod te quoque ut
facias et hortor et moneo; neque enim debet operibus ejus obesse
quod vivit. An si inter eos quos numquam vidimus floruisset, non
solum libros ejus verum etiam imagines conquireremus, ejusdem nunc
honor praesentis et gratia quasi satietate languescit? 9
At hoc pravum malignumque est, non admirari hominem admiratione
dignissimum, quia videre alloqui audire complecti, nec laudare
tantum verum etiam amare contingit.
Vale. |
LETTRE XVII.
PLINE A CORNELIUS TITIANUS.
Il reste encore de l'honneur et de la probité parmi les hommes; il
s'en trouve dont l'amitié survit à leurs amis. Titinius Capiton
vient d'obtenir de l'empereur la permission d'élever une statue dans
la place publique à Lucius Silanus. Qu'il est glorieux d'employer à
cet usage sa faveur, et d'essayer son crédit à illustrer la vertu
des autres! Véritablement Capiton est dans l'habitude d'honorer les
grands hommes. Il est étonnant de voir avec quelle affection, avec
quel respect il conserve dans sa maison, ne pouvant pas les voir
ailleurs, les portraits des Brutus, des Cassius, des Caton. Il ne
s'en tient pas là: il est peu de personnes distinguées que ses
excellentes poésies ne célèbrent. Croyez-moi, l'on n'aime point tant
le mérite d'autrui sans en avoir beaucoup. On a fait justice à
Silanus; mais lorsque .Capiton lui assure l'immortalité, il se la
donne à lui-même. Il n'est pas, selon moi, plus glorieux di mériter
une statue dans Rome, que de la faire dresser à celui qui la mérite.
Adieu. |
I, 17
C. Plinius Cornelio Titiano suo s.
1
Est adhuc curae hominibus fides et officium, sunt qui defunctorum
quoque amicos agant. Titinius Capito ab imperatore nostro
impetravit, ut sibi liceret statuam L. Silani in foro ponere. 2
Pulchrum et magna laude dignum amicitia principis in hoc uti,
quantumque gratia valcas, aliorum honoribus experiri. 3
Est omnino Capitoni in usu claros viros colere; mirum est qua
religione quo studio imagines Brutorum Cassiorum Catonum domi ubi
potest habeat. Idem clarissimi cujusque vitam egregiis carminibus
exornat. 4 Scias ipsum plurimis virtutibus abundare, qui
alienas sic amat. Redditus est Silano debitus honor, cujus
immortalitati Capito prospexit pariter et suae. Neque enim magis
decorum et insigne est statuam in foro populi Romani habere quam
ponere.
Vale. |
LETTRE XVIII.
PLINE A SUÉTONE.
Vols m'écrivez qu'un songe vous effraye; que vous craignez qu'un
accident fâcheux ne traverse le succès de votre plaidoyer. Vous me
priez de faire remettre pour quelques jours la cause, ou du moins de
la faire renvoyer à un autre jour qu'à celui qui était marqué. Cela
n'est pas aisé : j'y ferai pourtant de mon mieux; car
Le songe assez sauvent est un avis des dieux.
Mais il n'est pas indifférent de savoir si ordinairement vos songes
disent vrai. Pour moi, quand je me rappelle un songe que, je fis,
sur le point de plaider la cause de Julius Pastor, j'augure bien de
celui qui vous fait tant de peur. Je rêvai que ma belle-mère à mes
genoux me conjurait, avec les dernières instances, de ne point
plaider ce jour-là. J'étais fort jeune ; il me fallait parler en
quatre différents tribunaux. J'avais contre moi tout ce qui était de
plus accrédité dans Rome, sans excepter ceux que le prince honorait
de sa faveur. Il n'y avait pas une de ces circonstances qui, jointe
à mon songe, ne dût me détourner dé mon entreprise. Je plaidai
pourtant, rassuré par cette réflexion, que
Défendre sa patrie est un très bon augure.
Ma parole que j'avais engagée me tenait lieu de patrie, et même,
s'il est possible, de quelque chose de plus cher encore. Je m'en
trouvai fort bien. C'est cette action qui la première me fit
connaître, qui la première fit parler de moi dans le monde. Voyez
donc si cet exemple ne vous engagera point à mieux augurer de votre
songe, ou si vous trouverez plus de sûreté dans ce conseil des sages
: Ne faites rien avec répugnance Mandez-le moi. J'imaginerai quelque
honnête prétexte ; je plaiderai pour vous faire obtenir de ne
plaider que quand il vous plaira. Après tout, vous êtes dans une
situation différente de celle où je me trouvais. L'audience des
centumvirs ne souffre point de remise. Celle où vous devez parler ne
se remet pas aisément; mais enfin elle se peut remettre.
Adieu. |
I, 18
C. Plinius Suetonio Tranquillo suo s.
1
Scribis te perterritum somnio vereri ne quid adversi in; actione
patiaris; rogas ut dilationem petam, et pauculos dies, certe
proximum, excusem. Difficile est, sed experiar, καὶ γάρ τ᾿ ὄναρ ἐκ
Διός ἐστιν. 2 Refert tamen, eventura soleas an contraria
somniare. Mihi reputanti somnium meum istud, quod times tu, egregiam
actionem portendere videtur. 3 Susceperam causam Juni
Pastoris, cum mihi quiescenti visa est socrus mea advoluta genibus
ne agerem obsecrare; et eram acturus adulescentulus adhuc, eram in
quadruplici judicio, eram contra potentissimos civitatis atque etiam
Caesaris amicos, quae singula excutere mentem mihi post tam triste
somnium poterant. 4 Egi tamen λογισάμενος illud εἷς
οἰωνὸς ἄριστος ἀμύνεσθαι περὶ πάτρης. Nam mihi patria, et si quid
carius patria, fides videbatur. Prospere cessit, atque adeo illa
actio mihi aures hominum, illa januam famae patefecit. 5
Proinde dispice an tu quoque sub hoc exemplo somnium istud in bonum
vertas; aut si tutius putas illud cautissimi cujusque praeceptum
‘Quod dubites, ne feceris’, id ipsum rescribe. 6 Ego
aliquam stropham inveniam agamque causam tuam, ut istam agere tu eum
voles possis. Est enim sane alia ratio tua, alia mea fuit. Nam
judicium centumvirale differri nullo modo, istuc aegre quidem sed
tamen potest.
Vale.
|
LETTRE XIX.
PLINE A ROMANOS.
Nés dans un même lieu, instruits en même école, nous n'avons depuis
notre enfance presque habité que la même maison. Votre père était
lié d'une étroite amitié avec ma mère, avec mon oncle, avec moi,
autant que le pouvait permettre la différence de nos âges. Que de
raisons à la fois pour m'intéresser dans votre élévation, et pour y
concourir! Il est certain que vous avez cent mille sesterces de
revenu, puisque vous êtes décurion dans votre province. Je veux
achever ce qui vous manque pour monter jusqu'à l'ordre des
chevaliers : et pour cela j'ai trois cent mille sesterces à votre
service. Je vous prie de tout mon coeur de les accepter. Retranchez
les protestations de votre reconnaissance : notre ancienne amitié
m'en répond assez. Je ne veux pas même vous avertir de ce que je
devrais vous recommander, si je n'étais persuadé que vous vous y
porterez assez de votre propre mouvement. Gouvernez-vous, dans ce
nouvel emploi, avec une retenue qui prouve que vous le tenez de moi.
On ne peut remplir avec trop d'exactitude les devoirs de son rang,
lorsqu'il faut justifier le choix de l'ami qui nous y élève.
Adieu. |
I, 19
C. Plinius Romatio Firmo suo s.
1
Municeps tu meus et condiscipulus et ab ineunte aetate
contubernalis, pater tuus et matri et avunculo meo, mihi etiam
quantum aetatis diversitas passa est, familiaris: magnae et graves
causae, cur suscipere augere dignitatem tuam debeam. 2
Esse autem tibi centum milium censum, satis indicat quod apud nos
decurio es. Igitur ut te non decurione solum verum etiam equite
Romano perfruamur, offero tibi ad implendas equestres facultates
trecenta milia nummum. 3 Te memorem hujus muneris
amicitiae nostrae diuturnitas spondet: ego ne illud quidem admoneo,
quod admonere deberem, nisi scirem sponte facturum, ut dignitate a
me data quam modestissime ut a me data utare. 4 Nam
sollicitius custodiendus est honor, in quo etiam beneficium amici
tuendum est.
Vale. |
LETTRE XX.
PLINE A CORNEILLE TACITE.
Je dispute souvent avec un fort savant et fort habile homme qui,
dans l'éloquence du barreau, n'estime rien tant que la brièveté.
J'avoue qu'elle n'est pas à négliger, quand la cause le permet; mais
quand la cause a besoin d'être plus développée, je soutiens que ne
pas dire ce qu'il peut être dangereux d'omettre, ne tracer que
légèrement ce qu'il faut imprimer, ne dire qu'à demi ce qui ne peut
être trop rebattu, c'est une véritable prévarication. Il arrive
assez souvent que l'abondance des paroles ajoute une nouvelle force
et comme un nouveau poids aux idées qu'elles forment. Nos pensées
entrent dans l'esprit des autres, comme le fer entre dans un corps
solide; un seul coup ne suffit pas, il faut redoubler. Quand je
presse par ces raisonnements notre partisan du style laconique, il
s'arme d'exemples. Il m'attaque avec les harangues de Lysias qu'il
vante entre les orateurs grecs; avec celles des Gracques et de
Caton, qu'il vante entre les nôtres. La plupart véritablement ne
pourraient être plus serrées ni plus concises. Moi, à Lysias,
j'oppose Eschine, Hypéride, Démosthène, et une infinité d'autres.
Aux Gracques et à Caton, j'op. pose Pollion, Célius, César, et
surtout Cicéron, de qui, selon l'opinion commune, la plus longue
harangue est la plus belle. Il en est d'un bon livre comme de toute
autre chose bonne en soi plus il est grand, meilleur il est. Ne
voyez-vous pas que les statues, les gravures, les tableaux, la
figure même des hommes, des animaux, des arbres, reçoivent
principalement leur prix de leur grandeur, pourvu qu'elle soit
régulière? Les harangues ont le même sort. La grandeur d'un volume
lui donne je ne sais quelle autorité et je ne sais quelle beauté.
Comme j'ai affaire à un homme subtil, ou ne sait par où le prendre.
Il échappe à tous ces raisonnements, a à plusieurs autres de même
espèce, par un détour assez ingénieux. Il prétend que les harangues
mêmes que je lui oppose étaient plus courtes lorsqu'elles ont été
prononcées. Je ne puis être de ce sentiment : je me fonde sur un bon
nombre de harangues de divers orateurs; par exemple, sur celles de
Cicéron pour Muréna, pour Varenus. L'orateur y traite quelque chef
d'accusation si superficiellement, qu'il semble ne faire qu'y
dénoncer les crimes, sans dessein d'en établir la preuve. De là on
doit juger qu'en prononçant, il s'était étendu sur bien des choses
qu'il a supprimées en écrivant. Il dit lui-même que, selon l'ancien
usage, qui, dans une cause, ne donnait qu'un avocat à chaque client
, il plaida seul pour Cluentius, et pendant quatre audiences pour
Cornélius. Par là il fait assez entendre que ce qu'il avait été
obligé d'étendre bien davantage en plaidant plusieurs jours, il
l'avait depuis, en l'écrivant, à force de retrancher et de corriger,
réduit dans un seul discours, long à la vérité, mais unique. Mais il
y a bien de la différence entre la licence que l'action permet, et
la justesse que la composition exige. C'est l'opinion de bien des
gens, je le sais. La mienne ( peut-être que je me trompe ), c'est
qu'il se peut bien faire que ce qui a paru bot quand il a été
déclamé, se trouve mauvais quand il est lu; mais qu'il n'est pas
possible que ce qui est bon quand on le lit paraisse mauvais quand
on le déclame. Car enfin la harangue sur le papier est l'original et
le modèle du discours qui doit être prononcé. De là vient que celles
que nous avons se trouvent toutes pleines de ces figure; qui ont
l'air si peu médité : je dis les harangues mêmes que l'on sait
n'avoir jamais été récitées. C'est ainsi que, dans une des harangues
contre Verrès, nous lisons : Un ouvrier.... comment s'appelait-il?
Vous m'aidez fort à propos; c'est Polyctète. On ne peut donc en
disconvenir : pour plaider parfaitement, il faut parfaitement
écrire, et n'être point resserré dans un espace de temps trop court.
Que si l'on vous y renferme, ce n'est plus la faute de l'avocat,
c'est celle du juge. Les lois s'expliquent en ma faveur: elles ne
sont point avares du temps pour l'orateur. Ce n'est point la
brièveté, mais l'attention à ne rien omettre, qu'elles lui
recommandent : et comment s'acquitter de ce devoir, si l'on se pique
d'être court? C'est tout ce qu'on pourrait faire dans les causes
d'une très petite importance. J'ajoute ce que je tiens d'un long
usage, le plus sûr de tous les maîtres : j'ai souvent rempli les
fonctions d'avocat et de juge; on m'a consulté souvent , et j'ai
toujours éprouvé que celui-ci était frappé d'une raison , et
celui-là d'une autre; que ce qui parait un rien avait quelquefois de
grandes suites. Les dispositions de l'esprit, les affections du
coeur sont si différentes dans les hommes, qu'il est ordinaire de
les voir de différents avis sur une question que l'on vient d'agiter
devant eux; et s'il leur arrive de s'accorder, c'est presque
toujours par de différents motifs. D'ailleurs, on s'entête de ce
qu'on a soi-même pensé; et lorsque la raison qu'on a perdue est
proposée par un autre, on y attache irrévocablement la décision. Il
faut donc donner à chacun quelque chose qui soit de sa portée et de
son goût. Un jour que Régulus et moi défendions le même client, il
me dit : Vous vous imaginez qu'il faut tout relever, tout faire
valoir dans une cause; moi, je prends d'abord mon ennemi à la gorge,
je l'étrangle. Il presse effectivement l'endroit qu'il saisit; mais
il se trompe souvent dans le choix qu'il fait. Ne pourrait-il point
arriver, lui répondis-je, que vous prissiez quelquefois le genou, la
jambe, ou même le talon, pour la gorge? Moi, qui ne suis pas si sûr
de saisir la gorge, je saisis tout ce qui se présente, de peur de
m'y tromper. Je mets tout en oeuvre: je fais valoir ma cause comme
on fait valoir une ferme. On n'en cultive pas seulement les vignes :
on y prend soin des moindres arbrisseaux, on en laboure les terres.
Dans ces terres, on ne se contente pas de semer du froment; on y
sème de l'orge, des fèves, et de toute sorte d'autres légumes. Je
jette aussi à pleines mains dans ma cause des faits, des
raisonnements de toute espèce, pour en recueillir ce qui pourra
venir à bien. Il n'y a pas plus de fond à faire sur la certitude des
jugements, que sur la constance des saisons et sur la fertilité des
terres. Je me souviens toujours qu'Eupolis, dans une de ses
comédies, donne cette louange à Périclès :
Le déesse des orateurs
Sur ses lèvres fait sa demeure ;
Et par lui laisse dans les coeurs
L'aiguillon, dont un autre à peine les effleure. Mais, sans cette
heureuse abondance qui me charme, Périclès eût-il exercé cet empire
souverain sur les coeurs, soit par la rapidité, soit par la brièveté
de son discours (car il ne faut pas les confondre), ou par toutes
les deux ensemble? Plaire et convaincre, s'insinuer dans les esprits
et s'en rendre maître, ce n'est pas l'ouvrage d'une parole et d'un
moment. Mais comment y laisser l'aiguillon, si l'on pique sans
enfoncer? Un autre poète comique, lorsqu'il parle du même orateur,
dit :
Il tonnait, foudroyait, et renversait la Grèce.
Quand il faut mêler le feu des éclairs aux éclats du tonnerre,
ébranler, renverser, détruire, il n'appartient pas à un discours
concis et serré de faire comparaison avec un discours soutenu ,
majestueux et sublime. Il y a pourtant une juste mesure, je l'avoue.
Mais, à votre avis, celui qui ne la remplit pas est-il plus
estimable que celui qui la passe? Vaut-il mieux ne pas dire assez
que de trop dire? On reproche tous les jours à cet orateur d'être
stérile et languissant; on reproche à cet autre d'être fertile et
vif à l'excès. On dit de celui-ci qu'il s'emporte au delà de son
sujet; on dit de celui-là qu'il n'y peut atteindre. Tous deux
pèchent également; mais l'un a trop de force, et l'autre en manque.
Si cette fécondité ne marque pas tant de justesse, elle marque en
récompense beaucoup plus d'étendue dans l'esprit. Quand je parle
ainsi, je n'approuve pas ce discoureur sans fin que peint Homère,
mais plutôt celui dont les paroles se précipitent en abondance,
Telle qu'en plein hiver on voit tomber la neige.
Ce n'est pas que je n'aie tout le goût imaginable pour l'autre,
Qui, concis dans son style, est énergique et vif.
Mais vous en remettez-vous à mou choix? Je me déclarerai pour cette
profusion de paroles qui tombent comme la neige en hiver; je veux
dire, pour cette éloquence impétueuse, abondante , étendue. Eu un
mot, c'est elle qui ms parait toute céleste et presque divine. Mais,
dites-vous, un discours moins long plaît davantage à la plupart des
auditeurs : dites aux paresseux, dont il serait ridicule de prendre
pour règle la délicatesse et l'indolence. Si vous les consultez, non
seulement vous parlerez peu, mais vous ne parlerez point. Voilà mon
sentiment. que j'offre d'abandonner pour le vôtre. Toute la faveur
que je vous demande, si vous me condamnez, c'est de m'en expliquer
les raisons. Ce n'est pas que te ne sache quelle soumission je dois
à votre autorité; mais, dans une occasion de cette importance, il
est encore plus sûr de déférer à la raison. Quand même je ne me
serais point trompé, ne laissez pas de me l'écrire, en aussi peu de
mots qu'il vous plaira. Cela me fortifiera toujours dans mon
opinion. Que si je suis dans l'erreur, prenez la peine de m'en
convaincre, et de n'y pas épargner le papier. N'est-ce point vous
corrompre, que de vous en quitter pour une petite lettre, si vous
m'êtes favorable; et d'en exiger de vous une longue, si vous m'êtes
contraire?
Adieu. |
I, 20
C. Plinius Cornelio Tacito suo s.
1
Frequens mihi disputatio est cum quodam docto homine et perito, cui
nihil aeque in causis agendis ut brevitas placet. 2 Quam
ego custodiendam esse confiteor, si causa permittat: alioqui
praevaricatio est transire dicenda, praevaricatio etiam cursim et
breviter attingere quae sint inculcanda infigenda repetenda. 3
Nam plerisque longiore tractatu vis quaedam et pondus accedit, utque
corpori ferrum, sic oratio animo non ictu magis quam mira
imprimitur. 4 Hic ille mecum auctoritatibus agit ac mihi
ex Graecis orationes Lysiae ostentat, ex nostris Gracchorum
Catonisque, quorum sane plurimae sunt circumcisae et breves: ego
Lysiae Demosthenen Aeschinen Hyperiden multosque praeterea, Gracchis
et Catoni Pollionem Caesarem Caelium, in primis M. Tullium oppono,
cujus oratio optima fertur esse quae maxima. Et hercule ut aliae
bonae res ita bonus liber melior est quisque quo major. 5
Vides ut statuas signa picturas, hominum denique multorumque
animalium formas, arborum etiam, si modo sint decorae, nihil magis
quam amplitudo commendet. Idem orationibus evenit; quin etiam
voluminibus ipsis auctoritatem quandam et pulchritudinem adicit
magnitudo.
6
Haec ille multaque alia, quae a me in eandem sententiam solent dici,
ut est in disputando incomprehensibilis et lubricus, ita eludit ut
contendat hos ipsos, quorum orationibus nitar, pauciora dixisse quam
ediderint. 7 Ego contra puto. Testes sunt multae multorum
orationes et Ciceronis pro Murena pro Vareno, in quibus brevis et
nuda quasi subscriptio quorundam criminum solis titulis indicatur.
Ex his apparet illum permulta dixisse, cum ederet omisisse. 8
Idem pro Cluentio ait se totam causam vetere instituto solum
perorasse, et pro C. Cornelio quadriduo egisse, ne dubitare
possimus, quae per plures dies (ut necesse erat) latius dixerit,
postea recisa ac repurgata in unum librum grandem quidem unum tamen
coartasse. 9 At aliud est actio bona, aliud oratio. Scio
nonnullis ita videri, sed ego (forsitan fallar) persuasum habeo
posse fieri ut sit actio bona quae non sit bona oratio, non posse
non bonam actionem esse quae sit bona oratio. Est enim oratio
actionis exemplar et quasi ἀρχέτυπον. 10 Ideo in optima
quaque mille figuras extemporales invenimus, in iis etiam quas
tantum editas scimus, ut in Verrem: ‘Artificem quem? quemnam? recte
admones; Polyclitum esse dicebant.’ Sequitur ergo ut actio sit
absolutissima, quae maxime orationis similitudinem expresserit, si
modo justum et debitum tempus accipiat; quod si negetur, nulla
oratoris maxima judicis culpa est. 11 Adsunt huic
opinioni meae leges, quae longissima tempora largiuntur nec
brevitatem dicentibus sed copiam (hoc est diligentiam) suadent; quam
praestare nisi in angustissimis causis non potest brevitas. 12
Adiciam quod me docuit usus, magister egregius. Frequenter egi,
frequenter judicavi, frequenter in consilio fui: aliud alios movet,
ac plerumque parvae res maximas trahunt. Varia sunt hominum judicia,
variae voluntates. Inde qui eandem causam simul audierunt, saepe
diversum, interdum idem sed ex diversis animi motibus sentiunt.
13 Praeterea suae quisque inventioni favet, et quasi
fortissimum amplectitur, cum ab alio dictum est quod ipse praevidit.
Omnibus ergo dandum est aliquid quod teneant, quod agnoscant.
14 Dixit aliquando mihi Regulus, cum simul adessemus: ‘Tu
omnia quae sunt in causa putas exsequenda; ego jugulum statim video,
hunc premo.’ Premit sane quod elegit, sed in eligendo frequenter
errat. 15 Respondi posse fieri, ut genu esset aut talus,
ubi ille jugulum putaret. At ego, inquam, qui jugulum perspicere non
possum, omnia pertempto, omnia experior, πάντα denique λίθον κινῶ;
16 utque in cultura agri non vineas tantum, verum etiam
arbusta, nec arbusta tantum verum etiam campos curo et exerceo,
utque in ipsis campis non far aut siliginem solam, sed hordeum fabam
ceteraque legumina sero, sic in actione plura quasi semina latius
spargo, ut quae provenerint colligam. 17 Neque enim minus
imperspicua incerta fallacia sunt judicum ingenia quam tempestatum
terrarumque. Nec me praeterit summum oratorem Periclen sic a comico
Eupolide laudari:
πρὸς δέ γ᾿ αὐτοῦ τῷ τάχει
πειθώ τις ἐπεκάθητο τοῖσι χείλεσιν.
οὕτως ἐκήλει, καὶ μόνος τῶν ῥητόρων
τὸ κέντρον ἐγκατέλειπε τοῖς ἀκροωμένοις.
18
Verum huic ipsi Pericli nec illa πειθώ nec illud ἐκήλει brevitate
vel velocitate vel utraque (differunt enim) sine facultate summa
contigisset. Nam delectare persuadere copiam dicendi spatiumque
desiderat, relinquere vero aculeum in audientium animis is demum
potest qui non pungit sed infigit. 19 Adde quae de eodem
Pericle comicus alter:
ἤστραπτ᾽, ἐβρόντα, συνεκύκα τὴν Ἑλλάδα
Non enim amputata oratio et abscisa,
sed lata et magnifica et excelsa tonat fulgurat, omnia denique
perturbat ac miscet. 20 ‘Optimus tamen modus est’: Quis
negat? sed non minus non servat modum qui infra rem quam qui supra,
qui astrictius quam qui effusius dicit. 21 Itaque audis
frequenter ut illud: ‘immodice et redundanter’, ita hoc: ‘jejune et
infirme’. Alius excessisse materiam, alius dicitur non implesse.
Aeque uterque, sed ille imbecillitate hic viribus peccat; quod certe
etsi non limatioris, majoris tamen ingeni vitium est. 22
Nec vero cum haec dico illum Homericum ἀμετροεπῆ probo, sed hunc:
καὶ ἔπεα νιφάδεσσιν ἐοικότα
χειμερίῃσιν,
non quia non et ille mihi valdissime
placeat:
παῦρα μέν, ἀλλὰ μάλα λιγέως·
si tamen detur electio, illam
orationem similem nivibus hibernis, id est crebram et assiduam sed
et largam, postremo divinam et caelestem volo. 23 ‘At est
gratior multis actio brevis.’ Est, sed inertibus quorum delicias
desidiamque quasi judicium respicere ridiculum est. Nam si hos in
consilio habeas, non solum satius breviter dicere, sed omnino non
dicere.
24
Haec est adhuc sententia mea, quam mutabo si dissenseris tu; sed
plane cur dissentias explices rogo. Quamvis enim cedere auctoritati
tuae debeam, rectius tamen arbitror in tanta re ratione quam
auctoritate superari. 25 Proinde, si non errare videor,
id ipsum quam voles brevi epistula, sed tamen scribe (confirmabis
enim judicium meum); si erraro, longissimam para. Num corrupi te,
qui tibi si mihi accederes brevis epistulae necessitatem, si
dissentires longissimae imposui?
Vale. |
LETTRE XXI.
PLINE A PATERNUS.
Je ne me fie pas moins à vos yeux qu'à votre discernement. Non que
je vous croie fort habile ( car il ne faut pas vous donner de vanité
), mais je crois que vous l'êtes autant que moi : c'est encore
beaucoup dire. Raillerie à part, les esclaves que vous m'avez fait
acheter me paraissent d'assez bonne mine. Il ne reste qu'à savoir
s'ils sont de bonnes moeurs; et c'est de quoi il vaut mieux se
rapporter à leur réputation qu'à leur physionomie.
Adieu. |
I, 21
C. Plinius Plinio Paterno suo s.
1
Ut animi tui judicio sic oculorum plurimum tribuo, non quia multum
(ne tibi placeas) sed quia tantum quantum ego sapis; quamquam hoc
quoque multum est. 2 Omissis jocis credo decentes esse
servos, qui sunt empti mihi ex consilio tuo. Superest ut frugi sint,
quod de venalibus melius auribus quam oculis judicatur.
Vale. |
LETTRE XXII.
PLINE A CATILIUS SEVERUS.
Un accident fâcheux me retient depuis longtemps à Rome. La longue et
opiniâtre maladie de Titus Ariston, pour qui je n'ai pas moins
d'admiration que de tendresse, me jette dans un trouble étrange.
Rien ne surpasse sa sagesse, son intégrité, son savoir; et je
m'imagine voir expirer avec lui les sciences, les arts et les
belles-lettres. Également versé dans le droit public et dans le
droit particulier, il a toujours en main les maximes, les exemples,
l'histoire de l'antiquité la plus éloignée. Voulez-vous apprendre
quelque chose que vous ignoriez? à coup sûr, adressez-1 vous à lui.
C'est pour moi un trésor, où je trouve 1 toujours tout ce qui me
manque. Quelle sincérité dans ses discours! De quel poids ne
sont-ils pas? Que de modestie dans sa lenteur à se déterminer! Cet
homme, qui du premier coup d'oeil découvre la vérité que vous
cherchez, ne laisse pas d'hésiter fort souvent, combattu par les
raisons opposées, que son vaste génie va reprendre jusque dans leur
principe. Il voit, il examine, il décide. Vous vanterai-je la
frugalité de sa table, la simplicité de ses habits? Je vous l'avoue,
je n'entre jamais dans sa chambre, je ne jette jamais les yeux sur
son lit, que je ne croie revoir les moeurs de nos pères. Il rehausse
cette simplicité par une grandeur d'âme qui n'accorde rien à
l'ostentation, qui donne tout au secret témoignage de la conscience,
et n'attache point la récompense d'une bonne action aux louanges
qu'elle s'attire, mais à la seule satisfaction intérieure qui la
suit. En un mot, il n'est pas aisé de trouver, même entre ceux qui,
parla sévérité de leur extérieur, affichent le goût de la
philosophie, quelqu'un digne de lui être comparé. Vous ne le voyez
point courir d'école en école, pour nourrir, par de longues
disputes, l'oisiveté des autres et la sienne. Les affaires, le
barreau, l'occupent tout entier. Il plaide pour l'un; il donne des
conseils à l'autre : et, malgré tant de soins, il pratique si bien
les leçons de la philosophie, qu'aucun de ceux qui en font
profession publique ne lui peut disputer la gloire de la modestie,
de la bonté, de la justice, de la magnanimité. Vous serez surpris de
voir avec quelle patience il supporte la maladie, comment il lutte
contre la douleur, comment il résiste à la soif, avec quelle
tranquillité il souffre les plus cruelles ardeurs de la fièvre. Ces
jours passés, il nous fit, appeler, quelques-uns de ses plus intimes
amis et moi. Il nous pria de consulter sérieusement ses médecins, et
nous dit qu'il voulait prendre son parti : quitter au plus tôt une
vie douloureuse, si la maladie était incurable; attendre patiemment
la guérison, si elle pouvait venir avec le temps : qu'il ne se
défendait point d'être sensible aux prières de sa femme, aux larmes
de sa fille, et à l'inquiétude de ses amis; qu'il voulait bien ne
pas trahir leurs espérances par une mort volontaire, pourvu qu'elles
ne fussent pas une illusion de leur tendresse. Voilà ce que je crois
aussi difficile dans l'exécution que grand dans le dessein. Vous
trouverez assez de gens qui ont la force de courir sans réflexion et
en aveugles à la mort; mais il n'appartient qu'aux âmes héroïques de
peser la mort et la vie, et de se déterminer entre l'une ou l'autre,
selon qu'une sérieuse raison fait pencher la balance. Les médecins
nous font tout espérer. Il reste qu'une divinité secourable favorise
leurs soins, et me délivre de cette mortelle inquiétude. Aussitôt
l'on me verra voler à ma maison de Laurentin, avec impatience de
reprendre mon portefeuille et mes livres, et de me plonger dans une
savante oisiveté. En l'état où je suis , tout occupé de mon ami tant
que je le vois, inquiet dès que je le perds de vue, il ne m'est pas
possible ni de lire ni d'écrire. Vous voilà informé de mes alarmes,
de mes voeux, de mes desseins. Apprenez-moi à votre tour, mais d'un
style moins triste, ce que vous avez fait, ce que vous faites, et ce
que vous vous proposez de faire. Ce ne sera pas un petit soulagement
à ma peine, de savoir que vous n'avez rien qui vous en fasse.
Adieu. |
I, 22
C. Plinius Catilio Severo suo s.
1
Diu jam in urbe haereo et quidem attonitus. Perturbat me longa et
pertinax valetudo Titi Aristonis, quem singulariter et miror et
diligo. Nihil est enim illo gravius sanctius doctius, ut mihi non
unus homo sed litterae ipsae omnesque bonae artes in uno homine
summum periculum adire videantur. 2 Quam peritus ille et
privati juris et publici! quantum rerum, quantum exemplorum, quantum
antiquitatis tenet! Nihil est quod discere velis quod ille docere
non possit; mihi certe quotiens aliquid abditum quaero, ille
thesaurus est. 3 Jam quanta sermonibus ejus fides, quanta
auctoritas, quam pressa et decora cunctatio! quid est quod non
statim sciat? Et tamen plerumque haesitat dubitat, diversitate
rationum, quas acri magnoque judicio ab origine causisque primis
repetit discernit expendit. 4 Ad hoc quam parcus in
victu, quam modicus in cultu! Soleo ipsum cubiculum illius ipsumque
lectum ut imaginem quandam priscae frugalitatis adspicere. 5
Ornat haec magnitudo animi, quae nihil ad ostentationem, omnia ad
conscientiam refert recteque facti non ex populi sermone mercedem,
sed ex facto petit. 6 In summa non facile quemquam ex
istis qui sapientiae studium habitu corporis praeferunt, huic viro
comparabis. Non quidem gymnasia sectatur aut porticus, nec
disputationibus longis aliorum otium suumque delectat, sed in toga
negotiisque versatur, multos advocatione plures consilio juvat.
7 Nemini tamen istorum castitate pietate, justitia,
fortitudine etiam primo loco cesserit.
Mirareris si interesses, qua patientia
hanc ipsam valetudinem toleret, ut dolori resistat, ut sitim
differat, ut incredibilem febrium ardorem immotus opertusque
transmittat. 8 Nuper me paucosque mecum, quos maxime
diligit, advocavit rogavitque, ut medicos consuleremus de summa
valetudinis, ut si esset insuperabilis sponte exiret e vita; si
tantum difficilis et longa, resisteret maneretque: 9
dandum enim precibus uxoris, dandum filiae lacrimis, dandum etiam
nobis amicis, ne spes nostras, si modo non essent inanes, voluntaria
morte desereret. 10 Id ego arduum in primis et praecipua
laude dignum puto. Nam impetu quodam et instinctu procurrere ad
mortem commune cum multis, deliberare vero et causas ejus expendere,
utque suaserit ratio, vitae mortisque consilium vel suscipere vel
ponere ingentis est animi. 11 Et medici quidem secunda
nobis pollicentur: superest ut promissis deus adnuat tandemque me
hac sollicitudine exsolvat; qua liberatus Laurentinum meum, hoc est
libellos et pugillares, studiosumque otium repetam. Nunc enim nihil
legere, nihil scribere aut assidenti vacat aut anxio libet. 12
Habes quid timeam, quid optem, quid etiam in posterum destinem: tu
quid egeris, quid agas, quid velis agere invicem nobis, sed
laetioribus epistulis scribe. Erit confusioni meae non mediocre
solacium, si tu nihil quereris.
Vale. |
LETTRE XXIII.
PLINE A POMPÉE FALCON.
Vous me demandez s'il vous convient de plaider pendant que vous êtes
tribun. Pour se bien déterminer, il est bon de savoir quelle idée
vous vous faites de cette dignité. Ne la regardez-vous que comme un
fantôme d'honneur, comme un vain titre? ou la croyez-vous une
puissance sacrée, une autorité respectable à tout le monde, même à
celui qui en est revêtu? Pour moi, tant que j'ai exercé cette
charge, je me suis trompé peut-être par l'opinion d'être devenu un
homme d'importance; mais, comme si cette opinion eût été vraie, je
ne me suis chargé d'aucune cause. Je me faisais sur cela plus d'une
peine. Je croyais qu'il était contre la bienséance que le magistrat,
à qui la première place est due en tout lieu, devant qui tout le
monde devait être debout, se tint lui-même debout, pendant que tout
le monde serait assis; que lui, qui adroit d'imposer silence à qui
il lui plaît, fût obligé de se taire quand il plaît à l'horloge; que
lui, qu'il n'est pas permis d'interrompre, fût exposé à s'entendre
dire des injures, traité de lâche s'il les souffre, de superbe s'il
s'en venge. J'y voyais un autre embarras. Que faire, si l'une des
parties venait réclamer ma protection? Aurais-je usé de mon pouvoir?
Serais-je demeuré muet, sans action? Et, comme si je me fusse
dégradé moi-même, me serais-je réduit à la condition d'un simple
particulier? J'ai donc mieux aimé être le tribun de tous nos
citoyens, que l'avocat de quelques-uns. Pour vous, je vous le
répète, tout dépend de savoir ce que vous pensez du rang que vous
tenez, quel rôle vous avez résolu de choisir, et de ne pas oublier
qu'un homme sage le doit prendre tel
qu'il le puisse soutenir jusqu'au bout.
Adieu.
|
I, 23
C. Plinius Pompejo Falconi suo s.
1
Consulis an existimem te in tribunatu causas agere debere. Plurimum
refert, quid esse tribunatum putes, inanem umbram et sine honore
nomen an potestatem sacrosanctam, et quam in ordinem cogi ut a nullo
ita ne a se quidem deceat. 2 Ipse cum tribunus essem,
erraverim fortasse qui me esse aliquid putavi, sed tamquam essem
abstinui causis agendis: primum quod deforme arbitrabar, cui assurge
cui loco cedere omnes oporteret, hunc omnibus sedentibus stare, et
qui jubere posset tacere quemcumque, huic silentium clepsydra
indici, et quem interfari nefas esset, hunc etiam convicia audire et
si inulta pateretur inertem, si ulcisceretur insolentem videri.
3 Erat hic quoque aestus ante oculos, si forte me appellasset
vel ille cui adessem, vel ille quem contra, intercederem et auxilium
ferrem an quiescerem sileremque, et quasi ejurato magistratu
privatum ipse me facerem. 4 His rationibus motus malui me
tribunum omnibus exhibere quam paucis advocatum. 5 Sed tu
(iterum dicam) plurimum interest quid esse tribunatum putes, quam
personam tibi imponas; quae sapienti viro ita aptanda est ut
perferatur.
Vale.
|
LETTRE XXIV.
PLINE A BÉBIUS HISPANUS.
Suétone, qui loge avec moi, a dessein
d'acheter une petite terre qu'un de vos amis veut vendre. Faites en
sorte qu'elle ne soit vendue que ce qu'elle vaut. C'est à ce prix
qu'elle lui plaira. Un mauvais marché ne peut être que désagréable,
mais principalement par le reproche continuel qu'il semble nous
faire de notre imprudence. Cette acquisition (si d'ailleurs elle
n'est pas trop chère) tente mon ami par plus d'un endroit : son peu
de distance de Rome; la commodité des chemins; la médiocrité des
bâtiments; les dépendances, plus capables d'amuser que d'occuper. En
un mot, il ne faut à ces messieurs les savants, absorbés comme lui
dans l'étude, que le terrain nécessaire pour délasser leur esprit et
réjouir leurs yeux : il ne leur faut qu'une allée pour se promener,
qu'une vigne dont ils puissent connaître tous les ceps, que des
arbres dont ils sachent le nombre. Je vous mande tout ce détail,
pour vous apprendre quelle obligation il m'aura, et toutes celles
que lui et moi vous aurons, s'il achète, à des conditions dont il
n'ait jamais lieu de se repentir, une petite maison telle que je
viens de la dépeindre.
Adieu. |
I, 24
C. Plinius Baebio Hispano suo s.
1
Tranquillus contubernalis meus vult emere agellum, quem venditare
amicus tuus dicitur. 2 Rogo cures, quanti aequum est
emat; ita enim delectabit emisse. Nam mala emptio semper ingrata, eo
maxime quod exprobrare stultitiam domino videtur. 3 In
hoc autem agello, si modo arriserit pretium, Tranquilli mei
stomachum multa sollicitant, vicinitas urbis, opportunitas viae,
mediocritas villae, modus ruris, qui avocet magis quam distringat.
4 Scholasticis porro dominis, ut hic est, sufficit abunde
tantum soli, ut relevare caput, reficere oculos, reptare per limitem
unamque semitam terere omnesque viteculas suas nosse et numerare
arbusculas possint. Haec tibi exposui, quo magis scires, quantum
esset ille mihi ego tibi debiturus, si praediolum istud, quod
commendatur his dotibus, tam salubriter emerit ut paenitentiae locum
non relinquat.
Vale. |
NOTES SUR LES LETTRES DE PLINE.
LIVRE I.
Lett. 1. Septicio suo. es
«
A son ami Septicius. » Ce
Septicius fut créé préfet du prétoire sous Adrien, et destitué
bientôt après.
Lett. 2. Ariano suo. On prétend
que c'est le même dont Pline fait l'éloge, liv. III, let. 2.
Ζήλῳ. J'ai préféré ici la leçon qui
dit Ζήλῳ , à celle qui porte Stilo, comme plus liée à ce qui suit.
(D. S.)
Ληκύθους. Arculas pigmentarias. (D.
S.)
Calvum, Calvus , orateur
célèbre du temps de Cicéron. Ses ouvrages sont perdus.
Lett. 3. Πλατανὼν. Locus platanis
consitus. (D. S.)
Lett. 5. Marco Regulo. Marcus
Régulus, avocat saris clients, qui s'était déshonoré par ses
délations sous le règne de Néron.
Rustici Aruleni. Rusticus
Arulénus, l'un des citoyens les plus considérés de Rome. II vivait
sous Domitien, qui le fit mourir à cause de sa réputation.
Herennium Senecionem. Hérennius
Sénécion, l'un des plus infâmes délateurs de cette époque, condamné
à mort par Domitien, sur la déposition d'un autre misérable de son
espèce, appelé Métius Carus.
Apud centumviros. Le tribunal
des centumvirs, d'abord composé de cent juges , ensuite de cinq, et
de cent quatre-vingts sous les empereurs.
Δυσκαθείρετυον. Eversu difficilem. (D.
S.)
Lett. 7. Τῷ δ' ἕτερον μὲν ἔδωχε, etc.
Huic antem alterum quidem dedit pater, alterum vero abnuit.
Il. XVI, 250. (D.S.) )
῀Η, καὶ κυανέῃσιν, etc. Dixit, et
nigris superciliis annuti Satnrnius. II. t, 528. (D. S.)
Lett. 9. Μουσεῖον. Locus studiis
destinalus. (D. S.)
Quum adolescentutus militarem.
Pline avait à peu près vingt ans lorsqu'il fit sa première campagne
en Syrie.
Nam distringor officio, etc.
Pline parle de l'emploi de garde du trésor, auquel il fut appelé à
l'âge d'environ trente-six ans.
Lett. 12. Κέκρικα. Statui , decrevi :
scilicet mori (D. S.)
Nonianum. Nonianus , historien
célèbre dont les ouvrages sont perdus. Quintilien a parlé de lui.
Lett. 15. Vel vulvas. « Des
viandes exquises. » Le texte dit des fressures de porc. (D. S.)
Lett. 18. Καὶ γάρ τ' ὄναρ, etc. Etenim
somnium ab Jove est. (D. S.)
Λογισάμενος illud, εἷς οἴωνος ἄριστος,
etc. Quum reputassem illud, unum augurium optimum, decertare pro
patria. Il. XII, 243. (D. S.)
Lett. 20. Ἀρχέτυπον. Formam
primigeniam retinens. (D. S.)
Πάντα denique λίθον κινῶ. Omnem
denique lapidem moveo. (D. S.)
Πρὸς δὲ γ' αὐτοῦ, etc. Praeter illius
concitationem, suadela quaedam insidebat labris, adeo delectabat,
et, solus rhetorum acuteum relinquebat in animis audientium. (D. S.)
Πείθὼ. Suadela. (D. S.)
Ἐκήλει. Delectabat. (D. S.)
Ἤστραπτ', ἐβρόντα. Fulgurabat,
topabat, permiscebat Graeciam. Aristoph. (D. S.)
Ἀμετροεπῆ. Immodice loquentem. De
Thersite. II. II, 212. (D. S.)
Καὶ τ' ἔπεα, etc. Et verba nivibus
similis hibernis.Iliad, XIX, 252, de Ulysse. (D. S.)
Παῦρα μὲν, etc. Pauca quidem, sed
valde argute. Il. IX, 214, de Menelao. (D. S.)
Lett. 22. Habitu corporis. Tous
ces stoïciens et ces prétendus philosophes, dont Horace s'est si
bien moqué, se faisaient remarquer par leur extérieur singulier. Ils
avaient la barbe longue, et cherchaient à en imposer par un air
austère. Leur manteau était d'une forme particulière. Ils poilaient
une besace, et s'appuyaient en marchant sur un bâton. C'étaient là
les insignes sinon de la sagesse, au moins de la philosophie.
Lett. 23. Quid esse tribunatum
putes. Depuis l'avénement des empereurs, le tribunat n'avait
plus ni autorité ni considération. Cette puissance, autrefois si
redoutable, avait succombé avec la république.
|
|