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DES MATIERES DE PLINE LE JEUNE
PLINE LE JEUNE
LIVRE QUATRIÈME.
LETTRE PREMIÈRE.
PLINE A FABATUS.
Vous souhaitez depuis longtemps de nous voir ensemble, votre
petite-fille et moi. Rien ne peut nous faire plus de plaisir à l'un
et à l'autre. Nous ne le désirons pas avec moins de passion que
vous, et nous préparons tout pour notre départ. Nous hâterons notre
marche, autant que les chemins le permettront : nous ne nous
détournerons qu'une fois; mais le détour ne sera pas long. Nous
passerons par la Toscane, non pour voir l'état de nos biens en ce
pays (car cela se peut remettre à notre retour), mais pour nous
acquitter d'un devoir indispensable. Près de mes terres est un bourg
que l'on appelle Tiferne , sur le Tibre. Je sortais à peine de
l'enfance, que ses habitants me choisirent pour leur avocat. Plus
leur affection est aveugle, plus elle est vive. Ils fêtent mon
arrivée, ils s'affligent de mon départ; ils font des réjouissances
publiques toutes les fois que l'on m'élève à quelque nouvel honneur.
Pour leur marquer ma reconnaissance (car il est honteux de se
laisser vaincre en amitié), j'ai fait bâtir en ce lieu un temple à
mes dépens. Comme il est achevé, il semble que l'on ne puisse, sans
irréligion, en différer la dédicace. Nous y séjournerons donc le
jour destiné à cette cérémonie, que j'ai résolu d'accompagner d'un
grand repas. Peut-être demeurerons-nous encore le jour suivant; mais
cela même redoublera notre diligence sur la route. Je souhaite
seulement de vous trouver, aussi bien que votre chère fille, pleins
de santé. Je ne dis pas pleins de joie; car cela ne vous peut
manquer, si nous arrivons heureusement.
Adieu.
|
IV, 1.
C. Plinius Fabato
Prosocero suo s.
1
Cupis post longum tempus neptem tuam meque una videre. Gratum est
utrique nostrum quod cupis, mutuo mehercule. 2 Nam
invicem nos incredibili quodam desiderio vestri tenemur, quod non
ultra differemus. Atque adeo jam sarcinulas alligamus, festinaturi
quantum itineris ratio permiserit. 3 Erit una sed brevis
mora: deflectemus in Tuscos, non ut agros remque familiarem oculis
subiciamus (id enim postponi potest), sed ut fungamur necessario
officio. 4 Oppidum est praediis nostris vicinum (nomen
Tiferni Tiberini), quod me paene adhuc puerum patronum cooptavit,
tanto majore studio quanto minore judicio. Adventus meos celebrat,
profectionibus angitur, honoribus gaudet. 5 In hoc ego,
ut referrem gratiam (nam vinci in amore turpissimum est), templum
pecunia mea exstruxi, cujus dedicationem, cum sit paratum, differre
longius irreligiosum est. 6 Erimus ergo ibi dedicationis
die, quem epulo celebrare constitui. Subsistemus fortasse et
sequenti, sed tanto magis viam ipsam corripiemus. 7
Contingat modo te filiamque tuam fortes invenire! nam continget
hilares, si nos incolumes receperitis.
Vale. |
LETTRE II.
PLINE A CLÉMENS.
Régulus vient de perdre son fils; c'est la seule disgrâce qu'il
pouvait n'avoir pas méritée, parce que je doute qu'il la sente.
C'était un enfant d'un esprit pénétrant, mais équivoque, et qui
pouvait se promettre d'avancer dans le chemin de la vertu, s'il eût
pris soin de ne pas suivre les traces de son père. Régulus
l'émancipa, pour lui faire recueillir la succession de sa mère.
Après l'avoir acheté par ce bienfait (au moins c'est ainsi que le
caractère de l'homme en faisait parler), il briguait les bonnes
grâces de son fils par une affectation d'indulgence aussi rare que
honteuse dans un père. Cela vous paraît incroyable : mais
représentez-vous Régulus. Cependant il le pleure immodérément. Cet
enfant avait de petits chevaux de main, et plusieurs attelages, des
chiens de toutes tailles, des rossignols, des perroquets et des
merles. Régulus a tout fait égorger sur le bûcher; et ce n'était pas
douleur, mais comédie. On court chez lui de tous les endroits
de la ville : tout le monde le hait, tout le monde le déteste, et
chacun s'empresse de lui rendre visite, comme s'il était
l'admiration et les délices du genre humain; et, pour vous dire en
un mot tout ce que je pense, chacun à l'envi, en faisant sa cour à Régulus, l'imite. Il s'est retiré dans ses jardins au delà du Tibre.
Là, il remplit de grandes galeries une vaste étendue de terrain, et
borde tout le rivage de statues. Il est le premier homme du monde
pour loger ensemble la magnificence et l'avarice, l'infamie et la
vanité. Il incommode toute la ville , qu'il met en grand mouvement
dans une très fâcheuse saison; et c'est pour lui une consolation que
d'incommoder. Il dit qu'il veut se marier, et il le dit
artificieusement, comme mille autres choses. Préparez-vous à
apprendre au premier jour les noces d'un homme en deuil, les noces
d'un vieillard; les unes trop tôt, les autres trop tard célébrées.
De mandez vous ce qui me le persuade? Ce n'est point sur ce qu'il
l'assure très affirmativement que j'en juge, car personne ne sait
mieux mentir : mais c'est parce qu'il est infaillible que Régulus
fera toujours ce que l'on ne doit pas faire.
Adieu. |
IV, 2
C. Plinius Attio Clementi suo s.
1
Regulus filium amisit, hoc uno malo indignus, quod nescio an malum
putet. Erat puer acris ingenii sed ambigui, qui tamen posset recta
sectari, si patrem non referret. 2 Hunc Regulus
emancipavit, ut heres matris exsisteret; mancipatum (ita vulgo ex
moribus hominis loquebantur) foeda et insolita parentibus
indulgentiae simulatione captabat. Incredibile, sed Regulum cogita.
3 Amissum tamen luget insane. Habebat puer mannulos
multos et junctos et solutos, habebat canes majores minoresque,
habebat luscinias psittacos merulas: omnes Regulus circa rogum
trucidavit. 4 Nec dolor erat ille, sed ostentatio
doloris. Convenitur ad eum mira celebritate. Cuncti detestantur
oderunt, et quasi probent quasi diligant, cursant frequentant, utque
breviter quod sentio enuntiem, in Regulo demerendo Regulum
imitantur. 5 Tenet se trans Tiberim in hortis, in quibus
latissimum solum porticibus immensis, ripam statuis suis occupavit,
ut est in summa avaritia sumptuosus, in summa infamia gloriosus.
6 Vexat ergo civitatem insaluberrimo tempore et, quod
vexat, solacium putat. Dicit se velle ducere uxorem, hoc quoque
sicut alia perverse. 7 Audies brevi nuptias lugentis
nuptias senis; quorum alterum immaturum alterum serum est. Unde hoc
augurer quaeris? 8 Non quia affirmat ipse, quo mendacius
nihil est, sed quia certum est Regulum esse facturum, quidquid fieri
non oportet.
Vale. |
LETTRE III.
PLINE A ANTONIN.
Je ne suis point surpris, ni que vous ayez plusieurs fois rempli le
consulat avec autant de gloire que les consuls de l'ancienne Rome,
ni que vous vous soyez conduit dans le gouvernement d'Asie d'une
manière qui n'a guère d'exemples; je dirais qui n'en a
point, si votre modestie pouvait me le pardonner. Je ne m'étonne point,
enfin, de ce que vous n'êtes pas moins le premier de Rome par votre
intégrité et par votre autorité,
que par votre âge : non que de si glorieux avantages ne méritent
notre vénération ; mais je vous admire bien plus dans la vie privée
: car il est aussi beau que difficile d'assaisonner tant de sévérité
avec tant d'agrément; de mêler tant de politesse avec tant de
gravité. C'est ce que vous faites admirablement, et dans vos
entretiens et dans vos ouvrages. On ne peut vous entendre, sans se
représenter ce vieillard d'Homère, dont les discours avaient je ne sais quoi de plus doux que le miel;
ni lire ce que vous écrivez, sans s'imaginer que les abeilles y
répandent le suc le plus pur des fleurs, et qu'elles en font le
tissu. C'est ce qui m'est arrivé, quand j'ai lu vos épigrammes grecques
et vos vers ïambes. Quelle naïveté, quelle élégance n'y ai-je pas
trouvées! Que ces poésies sont tendres! qu'elles sont galantes! Quel
goût de l'antiquité! quelle finesse! quelle justesse! Je croyais
lire Callimaque, Hérode, ou d'autres plus délicats encore, s'il y en
a; car certainement ces deux poètes n'ont pas excellé dans ces deux
sortes de poésies, et l'un même n'a composé qu'en un de ces genres.
Est-il possible qu'un homme né à Rome parle si bien grec? En vérité,
je ne crois pas que l'on parle si bien la langue attique dans
Athènes. Vous dirai-je tout ce que je pense? Je ne pardonne point
aux Grecs le choix que vous avez fait de leur langue préférablement
à la nôtre : car il ne faut pas être devin pour savoir quelles
beautés vos ouvrages eussent eues dans votre langue naturelle, si
vous avez su leur en donner tant dans une langue étrangère.
Adieu. |
IV, 3
C. Plinius Arrio Antonino suo s.
1
Quod semel atque iterum consul fuisti similis antiquis, quod
proconsul Asiae qualis ante te qualis post te vix unus aut alter
(non sinit enim me verecundia tua dicere nemo), quod sanctitate quod
auctoritate, aetate quoque princeps civitatis, est quidem venerabile
et pulchrum; ego tamen te vel magis in remissionibus miror. 2
Nam severitatem istam pari jucunditate condire, summaeque gravitati
tantum comitatis adjungere, non minus difficile quam magnum est. Id
tu cum incredibili quadam suavitate sermonum, tum vel praecipue
stilo assequeris. 3 Nam et loquenti tibi illa Homerici
senis mella profluere et, quae scribis, complere apes floribus et
innectere videntur. Ita certe sum affectus ipse, cum Graeca
epigrammata tua, cum mimiambos proxime legerem. 4 Quantum
ibi humanitatis venustatis, quam dulcia illa quam amantia quam
arguta quam recta! Callimachum me vel Heroden, vel si quid his
melius, tenere credebam; quorum tamen neuter utrumque aut absolvit
aut attigit. 5 Hominemne Romanum tam Graece loqui? Non
medius fidius ipsas Athenas tam Atticas dixerim. Quid multa? Invideo
Graecis quod illorum lingua scribere maluisti. Neque enim conjectura
eget, quid sermone patrio exprimere possis, Cum hoc insiticio et
inducto tam praeclara opera perfeceris.
Vale.
|
LETTRE IV.
PLINE A SOSSIUS.
J'ai toute la tendresse imaginable pour Calvisius Népos. Il a de l'habileté, de la droiture, de l'éloquence;
qualités principales, selon moi. Il est proche parent de C.
Calvisius qui demeure en même maison que moi, et qui est votre
intime ami. C'est le fils de sa soeur; donnez-lui, je vous supplie,
une charge de tribun sémestre, qui le relève à ses propres yeux et à
ceux de son oncle. Vous m'obligerez; vous obligerez notre ami Calvisius; vous obligerez Népos lui-même, qui certainement n'est
pas un débiteur moins solvable que nous pouvons vous le paraître.
Vous avez souvent fait des grâces; mais j'ose vous assurer que vous
n'en avez jamais mieux placé aucune, et à peine une ou deux aussi
bien.
Adieu. |
IV, 4
C. Plinius Sosio Senecioni suo s.
1
Varisidium Nepotem valdissime diligo, virum industrium rectum
disertum, quod apud me vel potentissimum est. Idem C. Calvisium,
contubernalem meum amicum tuum, arta propinquitate complectitur; est
enim filius sororis. 2 Hunc rogo semestri tribunatu
splendidiorem et sibi et avunculo suo facias. Obligabis me,
obligabis Calvisium nostrum, obligabis ipsum, non minus idoneum
debitorem quam nos putas. 3 Multa beneficia in multos
contulisti: ausim contendere nullum te melius, aeque bene unum aut
alterum collocasse.
Vale. |
LETTRE V.
PLINE A SPARSUS.
On dit qu'un jour Eschine lut sa harangue et celle de Démosthène aux
Rhodiens qui l'en priaient, et que l'une et l'autre excitèrent de
grandes acclamations. Les applaudissements que les pièces de ces
excellents hommes ont reçus ne m'étonnent plus, depuis que
dernièrement, à la lecture d'une des miennes, dans une assemblée de
savants, j'ai trouvé la même attention, les mêmes empressements deux
jours entiers. Cependant, pour réveiller leur curiosité, je n'avais
pas le charme secret qui se rencontre dans la comparaison de deux
pièces, et dans cette espèce de combat qu'elles forment entre elles
, et qui attache l'auditeur. Outre les beautés qu'avaient les deux
discours, les Rhodiens étaient piqués par le plaisir de les
comparer. Le mien, quoique destitué de ce dernier attrait, a su
plaire. Est-ce avec justice? Vous en jugerez quand vous aurez lu cet
ouvrage, dont la longueur ne souffre pas
une plus longue préface. Il faut au moins une courte lettre, pour
faire mieux recevoir mon excuse d'avoir composé un si gros livre. Je
ne crois pourtant pas avoir passé les bornes de mon sujet.
Adieu. |
IV, 5
C. Plinius Julio Sparso suo s.
1
Aeschinen aiunt petentibus Rhodiis legisse orationem suam, deinde
Demosthenis, summis utramque clamoribus. 2 Quod tantorum
virorum scriptis contigisse non miror, cum orationem meam proxime
doctissimi homines hoc studio, hoc assensu, hoc etiam labore per
biduum audierint, quamvis intentionem eorum nulla hinc et inde
collatio, nullum quasi certamen accenderet. 3 Nam Rhodii
cum ipsis orationum virtutibus tum etiam comparationis aculeis
excitabantur, nostra oratio sine aemulationis gratia probabatur. An
merito, scies cum legeris librum, cujus amplitudo non sinit me
longiore epistula praeloqui. 4 Oportet enim nos in hac
certe in qua possumus breves esse, quo sit excusatius quod librum
ipsum, non tamen ultra causae amplitudinem, extendimus.
Vale. |
LETTRE VI.
PLINE A NASON.
Mes terres de Toscane ont été grêlées. Celles d'au delà du Pô ont
été plus heureuses : tout y abonde; mais aussi rien ne s'y vend. Je
ne puis compter que sur le revenu de ma terre de Laurentin. Il est
vrai que je n'y possède qu'une maison et un jardin : le
reste n'est que sable. C'est pourtant le seul bien dont je tire un
revenu. J'y compose sans distraction; et si je ne puis y cultiver des terres
que je n'ai pas , j'y cultive au moins mon esprit. Ailleurs, je vous
ferai voir des granges pleines; ici, des portefeuilles bien remplis.
Si donc un revenu solide et certain vous tente , venez faire des
acquisitions sur ce rivage.
Adieu. |
IV, 6
C. Plinius Julio Nasoni suo s.
1
Tusci grandine excussi, in regione Transpadana summa abundantia, sed
par vilitas nuntiatur: solum mihi Laurentinum meum in reditu. 2
Nihil quidem ibi possideo praeter tectum et hortum statimque
harenas, solum tamen mihi in reditu. Ibi enim plurimum scribo, nec
agrum quem non habeo sed ipsum me studiis excolo; ac jam possum tibi
ut aliis in locis horreum plenum, sic ibi scrinium ostendere. 3
Igitur tu quoque, si certa et fructuosa praedia concupiscis, aliquid
in hoc litore para.
Vale. |
LETTRE VII.
PLINE A LÉPIDUS.
Je le répète souvent : Régulus a plus de constance que l'on ne
s'imagine. C'est une chose étonnante que son ardeur pour tout ce
qu'il entreprend. Il s'est mis eu tète de pleurer son fils : il le
pleure mieux qu'homme du monde. Il lui a pris eu gré d'en avoir des
statues et des portraits : vous ne voyez plus les sculpteurs et les
peintres occupés d'autre chose. Couleur, cire, cuivre, argent, or,
ivoire, marbre, on met tout en oeuvre pour nous représenter le fils
de Régulus. Ces jours passés, dans une nombreuse assemblée, il
lut la vie de son fils, et de son fils enfant. Peu content d'en
avoir répandu mille copies dans l'Italie et dans toutes les
provinces de l'empire, il a, par une espèce de lettre circulaire,
convié la plupart des villes de choisir entre leurs décurions le
meilleur déclamateur, pour la lire au peuple. On l'a lue. Que ne
pouvait-on pas attendre de cet homme, s'il eût tourné vers de
dignes objets cette constante ardeur, ou, si vous voulez, cet
attachement opiniâtre pour tout ce qu'il désire? Ce n'est pas que
les méchants n'aient toujours plus de fermeté que les bons.
Comme l'ignorance inspire de la hardiesse, et que le savoir donne de la
timidité, la modestie semble amollir l'honnête homme, pendant que
l'audace affermit le scélérat. Régulus en est un exemple. Il a -la
poitrine faible, l'air embarrassé, la langue épaisse, l'imagination
paresseuse; il n'a point de mémoire; enfin, il n'a pour tous talents
qu'un esprit extravagant. Cependant, sans autre secours que son
extravagance et son effronterie, il s'est acquis auprès de bien des
gens la réputation d'orateur. C'est donc admirablement qu'Hérennius Sénécion, renversant la définition faite par Caton au
livre de l'Orateur , et l'appliquant à Régulus, dit que l'orateur
est un méchant homme qui ignore l'art de parler. En vérité, Caton
n'a pas mieux défini son orateur que Sénécion a caractérisé Régulus. Avez-vous de quoi payer cette lettre en même monnaie? Votre
payement est tout prêt, si vous me pouvez mander que cet ouvrage
lamentable a été lu dans votre ville par quelqu'un de mes amis , ou
par vous-même, monté comme un charlatan sur deux tréteaux dans la
place publique; que vous avez
fait à haute voix cette lecture, et l'avez soutenue par un ton de
confiance et d'autorité, pour parler le langage de Démosthène. Cette
pièce est d'une impertinence à vous faire plus rire que pleurer.
Elle vous paraîtra plutôt faite par un enfant que pour un enfant.
Adieu. |
IV, 7
C. Plinius Catio Lepido suo s.
1
Saepe tibi dico inesse vim Regulo. Mirum est quam efficiat in quod
incubuit. Placuit ei lugere filium: luget ut nemo. Placuit statuas
ejus et imagines quam plurimas facere: hoc omnibus officinis agit,
illum coloribus illum cera illum aere illum argento illum auro ebore
marmore effingit. 2 Ipse vero nuper adhibito ingenti
auditorio librum de vita ejus recitavit; de vita pueri, recitavit
tamen. Eundem in exemplaria mille transcriptum per totam Italiam
provinciasque dimisit. Scripsit publice, ut a decurionibus
eligeretur vocalissimus aliquis ex ipsis, qui legeret eum populo:
factum est. 3 Hanc ille vim, seu quo alio nomine vocanda
est intentio quidquid velis optinendi, si ad potiora vertisset,
quantum boni efficere potuisset! Quamquam minor vis bonis quam malis
inest, ac sicut ἀμαθία μὲν θράσος, λογισμὸς δὲ ὄκνον φέρει, ita
recta ingenia debilitat verecundia, perversa confirmat audacia.
4 Exemplo est Regulus. Imbecillum latus, os confusum,
haesitans lingua, tardissima inventio, memoria nulla, nihil denique
praeter ingenium insanum, et tamen eo impudentia ipsoque illo furore
pervenit, ut orator habeatur. 5 Itaque Herennius Senecio
mirifice Catonis illud de oratore in hunc e contrario vertit:
‘Orator est vir malus dicendi imperitus.’ Non mehercule Cato ipse
tam bene verum oratorem quam hic Regulum expressit. 6
Habesne quo tali epistulae parem gratiam referas? Habes, si
scripseris num aliquis in municipio vestro ex sodalibus meis, num
etiam ipse tu hunc luctuosum Reguli librum ut circulator in foro
legeris, ἔπαρας scilicet, ut ait Demosthenes, τὴν φωνὴν καὶ γεγηθὼς
καὶ λαρυγγίζων. 7 Est enim tam ineptus ut risum magis
possit exprimere quam gemitum: credas non de puero scriptum sed a
puero.
Vale. |
LETTRE VIII.
PLINE A ARRIEN.
Vous vous réjouissez avec moi de ma promotion à la dignité d'augure,
et vous avez raison. Il est toujours glorieux d'obtenir, même dans
les plus petites occasions, l'approbation d'un prince aussi sage que
le nôtre. D'ailleurs ce sacerdoce est non seulement vénérable par
son antiquité, mais il a cet avantage sur les autres, qu'il ne se
perd qu'avec la vie. Tous les sacerdoces, à peu près égaux dans
leurs prérogatives, se peuvent ôter comme ils se donnent; mais
l'empire de la fortune sur celui-ci se borne à le donner. Ce qui me
le rend encore plus agréable , c'est d'avoir succédé à Julius Frontinus, homme d'un rare mérite. Sa constance depuis plusieurs
années à m'honorer de son suffrage pour cette place, le jour que
l'on déclarait ceux qu'on en jugeait les plus digues, semblait me
désigner son successeur. L'événement a été si bien d'accord avec ses
voeux , qu'il ne paraît pas que le hasard s'en soit mêlé. Mais ce
qui vous plaît davantage, si j'en crois votre lettre, c'est que
Cicéron fut augure. Vous me voyez avec joie marcher, dans la
carrière des honneurs , sur les traces d'un homme que je voudrais
suivre dans celle des sciences. Et plût au ciel qu'après être
parvenu beaucoup plus jeune que lui au consulat et
au sacerdoce, je pusse, au moins dans ma vieillesse, posséder une
partie de ses talents! Mais les grâces dont les hommes disposent
peuvent bien venir jusqu'à moi et jusqu'à d'autres; celles qui
dépendent des dieux , il y aurait trop de peine à les acquérir, et
trop de présomption à se les promettre.
Adieu. |
IV, 8
C. Plinius Maturo Arriano suo s.
1
Gratularis mihi quod acceperim auguratum: jure, gratularis, primum
quod gravissimi principis judicium in minoribus etiam rebus consequi
pulchrum est, deinde quod sacerdotium ipsum cum priscum et
religiosum tum hoc quoque sacrum plane et insigne est, quod non
adimitur viventi. 2 Nam alia quamquam dignitate
propemodum paria ut tribuuntur sic auferuntur; in hoc fortunae
hactenus licet ut dari possit. 3 Mihi vero illud etiam
gratulatione dignum videtur, quod successi Julio Frontino principi
viro, qui me nominationis die per hos continuos annos inter
sacerdotes nominabat, tamquam in locum suum cooptaret; quod nunc
eventus ita comprobavit, ut non fortuitum videretur. 4 Te
quidem, ut scribis, ob hoc maxime delectat auguratus meus, quod M.
Tullius augur fuit. Laetaris enim quod honoribus ejus insistam, quem
aemulari in studiis cupio. 5 Sed utinam ut sacerdotium
idem, ut consulatum multo etiam juvenior quam ille sum consecutus,
ita senex saltem ingenium ejus aliqua ex parte assequi possim!
6 Sed nimirum quae sunt in manu hominum et mihi et multis
contigerunt; illud vero ut adipisci arduum sic etiam sperare nimium
est, quod dari non nisi a dis potest.
Vale. |
LETTRE IX.
PLINE A URSUS.
Ces jours passés, on a plaidé la cause de Julius Bassus, homme
illustre par les traverses et par les disgrâces qu'il a souffertes.
Il fut accusé par deux particuliers, du temps de Vespasien. Renvoyé
au sénat pour se justifier, il y vit son sort longtemps incertain:
enfin, il se justifia pleinement, et fut absous. Il craignit Titus,
parce qu'il était ami de Domitien; et Domitien lui-même le relégua.
Rappelé par Nerva, il obtint le gouvernement de Bithynie. A son
retour, il fut accusé de malversation. Vivement pressé, fidèlement
défendu, il n'eut pas tous les juges favorables. Le plus grand
nombre pourtant fut de l'avis le plus doux. Rufus, qui parle
aisément et avec véhémence, l'accusa le premier, et il fut secondé
par Théophane, l'un des députés, le chef et l'auteur de
l'accusation. Je commençai la défense de Bassus. Il m'avait chargé
de jeter les fondements de son apologie ; de faire valoir toute la
considération que lui donnaient sa naissance et ses malheurs ;
d'exagérer la conspiration des délateurs qui vivaient de cet indigne
métier; de mettre au jour ce qui le. rendait un objet de haine aux
factieux, et particulièrement à Théophane. Mais il ne m'avait rien
tant recommandé que de m'attacher à la réfutation du crime, dont il
paraissait que les accusateurs faisaient leur capital; car sur tous
les autres chefs de l'accusation, c'était peu d'absoudre Bassus, il
méritait des éloges. Ce qui le chargeait donc davantage, c'est que
cet homme, d'une franchise ennemie de toute précaution, avait reçu,
comme une marque d'amitié, ce qu'il avait plu aux gens de la
province de lui envoyer. Il n'était pas extraordinaire qu'il y eût
fait des amis; il y avait été questeur. Ses accusateurs appelaient
cela des vols et des concussions : lui l'appelait des présents. Mais
le point de la difficulté, c'est que la loi défend de recevoir même
des présents. Que faire dans cet embarras? Nier le fait, c'était
reconnaître tacitement pour vol ce que l'on n'osait avouer.
Contester ce qui se trouvait manifestement prouvé, c'était aggraver
le crime, loin de le détruire. D'ailleurs, Bassus n'en avait pas
laissé la liberté aux avocats. Il avait dit à plusieurs personnes,
et même au prince , qu'il avait reçu et envoyé quelques bagatelles
le jour de sa naissance et aux Saturnales. Devais-je donc recourir à
la clémence? Je mettais le poignard à la gorge de l'accusé. On est
criminel dès que l'on a besoin de grâce. Fallait-il soutenir que son
action était innocente? Sans le justifier, je me déshonorais. Je
crus qu'il était nécessaire de prendre je ne sais quel milieu; et je
m'imagine l'avoir trouvé. La nuit, qui d'ordinaire finit les
combats, finit aussi mon discours. J'avais parlé pendant trois
heures et demie. 11 me restait encore une heure et demie à remplir;
car, suivant la loi, l'accusateur avait six heures, et l'accusé
neuf. Celui-ci avait partagé son temps de manière qu'il m'en avait donné cinq heures, et
quatre à celui qui devait me relever. Le succès de mon discours
m'invitait au silence; car il y a de la témérité à ne se pas
contenter de ce qui nous a réussi. J'avais encore à craindre que,
si je recommençais le jour suivant, les forces ne me manquassent. Il
est plus difficile de se remettre au travail que de le continuer
pendant que l'on est en haleine. Je courais même un autre risque :
l'interruption pouvait rendre, ou languissant ce qui me restait à
dire, ou ennuyeux ce qu'il fallait répéter. Comme un flambeau
conserve tout son feu dans l'agitation continuelle, et se rallume
difficilement quand une fois il est éteint, l'action aussi,
lorsqu'elle est continuée, entretient à la fois et la vivacité de
l'orateur et l'attention des auditeurs; mais si quelque intervalle
coupe le discours, celui qui parle se refroidit, et refroidit ceux
qui l'écoutent. Bassus cependant s'obstinait à me presser avec
instance, et presque les larmes aux yeux , d'employer en sa faveur
ce qui me restait de temps. J'obéis, et je préférai son intérêt au
mien. Je fus agréablement trompé. Je trouvai dans les esprits une
attention si neuve et si vive, qu'ils paraissaient bien plutôt mis
en goût que rassasiés par le discours précédent. Lucius Albinus prit
la parole après moi , et entra si bien dans ce que j'avais dit,
que nos plaidoyers eurent les agréments de deux pièces différentes,
et semblèrent n'en former qu'une. Hérennius Pollio répliqua avec
autant de force que de gravité, et après lui, Théophane pour la
seconde fois; car, pour comble de présomption, il voulut encore
étaler son éloquence après deux hommes consulaires très éloquents,
et consumer la plus grande partie de l'audience. Il plaida
non seulement jusqu'à la nuit, mais bien avant dans la nuit. Le
lendemain, Titius Romulus et Fronton parlèrent pour
Bassus, et firent des prodiges. Le quatrième jour, les témoins
furent examinés, et on opina. Bébius Macer, consul désigné, déclara
Bassus convaincu de péculat. Cépion fut d'avis que, sans toucher à
l'honneur de Bassus, on civilisât l'affaire, et qu'on la renvoyât
devant les juges ordinaires. On ne peut douter qu'ils n'eussent tous
deux raison. Comment cela se peut-il, dites-vous? C'est que Macer
s'en tenait à la lettre de la loi, et que, suivant la rigueur de la
loi, qui défend de recevoir des présents, on ne pouvait se
dispenser de condamner celui qui en avait reçu. Cépion, au
contraire, persuadé que le sénat peut étendre ou modérer la rigueur
des lois, comme effectivement il le peut, croyait avoir droit de
pardonner une prévarication autorisée par l'usage. L'avis de Cépion
l'emporta. Il fut même prévenu, dès qu'il se leva pour opiner, par
ces acclamations qui ne se donnent qu'à ceux qui, après avoir opiné,
reprennent leur place. Jugez des applaudissements qui suivirent son
discours, par ceux qui le précédèrent ! Cependant sur cette affaire
Rome n'est pas moins partagée que le sénat. Les uns accusent Macer
d'une sévérité mal entendue; les autres reprochent à Cépion un
relâchement qui choque toutes les bienséances. Comment comprendre,
disent-ils, que l'on renvoie un homme à des juges ordinaires pour
lui faire son procès, et qu'en même temps on lui conserve sa place
dans le sénat? Valérius Paulinus ouvrit un troisième avis. Ce fut
d'ajouter à celui de Cépion, que l'on informerait contre Théophane,
après qu'il aurait achevé sa commission. Paulinus soutenait que cet
homme, dans le cours de l'accusation, avait lui-même, en plusieurs
chefs, contrevenu à la loi sur laquelle il voulait faire condamner
Bassus. Mais quoique ce dernier avis plût fort à la plus grande
partie du sénat, les consuls le laissèrent
tomber. Il fit pourtant à Paulinus tout l'honneur qu'il pouvait
attendre de sa justice et de sa fermeté.
Le sénat s'étant séparé, Bassus se vit de toutes parts abordé,
environné avec de grands cris, et avec toutes les démonstrations
d'une joie extrême. Un nom fameux par ses malheurs, le souvenir de
ses périls passés rappelé par le nouveau danger qu'il venait de
courir, une vieillesse abattue et comme accablée, et en même temps
un air noble et grand, lui avaient attiré les voeux de tout le
monde. Cette lettre vous tiendra lieu de préface. Quant à la pièce
entière , vous attendrez, s'il vous plaît, et vous ne vous lasserez
pas d'attendre. Vous comprenez bien, par l'importance du sujet,
qu'il ne suffit pas d'y retoucher légèrement , et de la repasser en
courant.
Adieu. |
IV, 9
C. Plinius Cornelio Urso suo s.
1
Causam per hos dies dixit Julius Bassus, homo laboriosus et adversis
suis clarus. Accusatus est sub Vespasiano a privatis duobus; ad
senatum remissus diu pependit, tandem absolutus vindicatusque.
2 Titum timuit ut Domitiani amicus, a Domitiano relegatus est;
revocatus a Nerva sortitusque Bithyniam rediit reus, accusatus non
minus acriter quam fideliter defensus. Varias sententias habuit,
plures tamen quasi mitiores. 3 Egit contra eum Pomponius
Rufus, vir paratus et vehemens; Rufo successit Theophanes, unus ex
legatis, fax accusationis et origo. 4 Respondi ego. Nam
mihi Bassus iniunxerat, totius defensionis fundamenta jacerem,
dicerem de ornamentis suis quae illi et ex generis claritate et ex
periculis ipsis magna erant, 5 dicerem de conspiratione
delatorum quam in quaestu habebant, dicerem causas quibus
factiosissimum quemque ut illum ipsum Theophanen offendisset. Eundem
me volverat occurrere crimini quo maxime premebatur. In aliis enim
quamvis auditu gravioribus non absolutionem modo verum etiam laudem
merebatur; 6 hoc illum onerabat quod homo simplex et
incautus quaedam a provincialibus ut amicus acceperat (nam fuerat in
eadem provincia quaestor). Haec accusatores furta ac rapinas, ipse
munera vocabat. Sed lex munera quoque accipi vetat. 7 Hic
ego quid agerem, quod iter defensionis ingrederer? Negarem? Verebar
ne plane furtum videretur, quod confiteri timerem. Praeterea rem
manifestam infitiari augentis erat crimen non diluentis, praesertim
cum reus ipse nihil integrum advocatis reliquisset. Multis enim
atque etiam principi dixerat, sola se munuscula dumtaxat natali suo
aut Saturnalibus accepisse et plerisque misisse. 8 Veniam
ergo peterem? Jugulassem reum, quem ita deliquisse concederem, ut
servari nisi venia non posset. Tamquam recte factum tuerer? Non illi
profuissem, sed ipse impudens exstitissem. 9 In hac
difficultate placuit medium quiddam tenere: videor tenuisse.
Actionem meam, ut proelia solet, nox
diremit. Egeram horis tribus et dimidia, supererat sesquihora. Nam
cum e lege accusator sex horas, novem reus accepisset, ita diviserat
tempora reus inter me et eum qui dicturus post erat, ut ego quinque
horis ille reliquis uteretur. 10 Mihi successus actionis
silentium finemque suadebat; temerarium est enim secundis non esse
contentum. Ad hoc verebar ne me corporis vires iterato labore
desererent, quem difficilius est repetere quam jungere. 11
Erat etiam periculum ne reliqua actio mea et frigus ut deposita et
taedium ut resumpta pateretur. UT enim faces ignem assidua
concussione custodiunt, dimissum aegerrime reparant, sic et dicentis
calor et audientis intentio continuatione servatur, intercapedine et
quasi remissione languescit. 12 Sed Bassus multis
precibus, paene etiam lacrimis obsecrabat, implerem meum tempus.
Parui utilitatemque ejus praetuli meae. Bene cessit: inveni ita
erectos animos senatus, ita recentes, ut priore actione incitati
magis quam satiati viderentur. 13 Successit mihi Luccejus
Albinus, tam apte ut orationes nostrae varietatem duarum, contextum
unius habuisse credantur. 14 Respondit Herennius Pollio
instanter et graviter, deinde Theophanes rursus. Fecit enim hoc
quoque ut cetera impudentissime, quod post duos et consulares et
disertos tempus sibi et quidem laxius vindicavit. Dixit in noctem
atque etiam nocte illatis lucernis. 15 Postero die
egerunt pro Basso Homullus et Fronto mirifice; quartum diem
probationes occuparunt.
16
Censuit Baebius Macer consul designatus lege repetundarum Bassum
teneri, Caepio Hispo salva dignitate judices dandos; uterque recte.
17 ‘Qui fieri potest’ inquis, ‘cum tam diversa
censuerint?’ Quia scilicet et Macro legem intuenti consentaneum fuit
damnare eum qui contra legem munera acceperat, et Caepio cum putaret
licere senatui (sicut licet) et mitigare leges et intendere, non
sine ratione veniam dedit facto vetito quidem, non tamen inusitato.
18 Praevaluit sententia Caepionis, quin immo consurgenti
ei ad censendum acclamatum est, quod solet residentibus. Ex quo
potes aestimare, quanto consensu sit exceptum, cum diceret, quod tam
favorabile fuit cum dicturus videretur. 19 Sunt tamen ut
in senatu ita in civitate in duas partes hominum judicia divisa. Nam
quibus sententia Caepionis placuit, sententiam Macri ut rigidam
duramque reprehendunt; quibus Macri, illam alteram dissolutam atque
etiam incongruentem vocant; negant enim congruens esse retinere in
senatu, cui judices dederis. 20 Fuit et tertia sententia:
Valerius Paulinus assensus Caepioni hoc amplius censuit, referendum
de Theophane cum legationem renuntiasset. Arguebatur enim multa in
accusatione fecisse, quae illa ipsa lege qua Bassum accusaverat
tenerentur. 21 Sed hanc sententiam consules, quamquam
maximae parti senatus mire probabatur, non sunt persecuti. 22
Paulinus tamen et justitiae famam et constantiae tulit. Misso senatu
Bassus magna hominum frequentia, magno clamore, magno gaudio
exceptus est. Fecerat eum favorabilem renovata discriminum vetus
fama, notumque periculis nomen, et in procero corpore maesta et
squalida senectus. 23 Habebis hanc interim epistulam ut
πρόδρομον, exspectabis orationem plenam onustamque. Exspectabis diu;
neque enim leviter et cursim, ut de re tanta retractanda est.
Vale. |
LETTRE X.
PLINE A SABINUS.
Vous me marquez que Sabine, qui nous a faits ses héritiers, ne
parait, par aucune disposition de son testament, avoir affranchi
Modestus, son esclave; et que cependant elle lui laisse un legs en
ces termes : Je lègue à Modestes, à qui j'ai déjà donné la liberté.
Vous me demandez mon avis. J'ai consulté nos maîtres. Tous
prétendent que nous ne devons à cet esclave, ni la liberté qui ne
lui a point été donnée, ni le legs dont l'esclave du testateur, et
qui reste son esclave, est incapable. Mais moi, je ne doute pas que
Sabine ne se soit trompée; et je suis persuadé que nous ne devons
pas hésiter à faire ce que nous ferions, si elle avait écrit ce
qu'elle croyait écrire. Je
m'assure que vous serez de mon sentiment, vous qui faites profession
d'être religieux observateur de la volonté des morts. Elle tient
lieu de toutes les lois du monde à de dignes héritiers, dès qu'ils
la peuvent entrevoir. La bienséance n'a pas moins de pouvoir sur des
personnes comme nous, que la nécessité sur les autres. Laissons donc
Modestus jouir de la liberté; laissons-le jouir de son legs, comme
si la testatrice avait pris les précautions que la loi exige. C'est
les prendre toutes, que de bien choisir ses héritiers.
Adieu. |
IV, 10
C. Plinius Statio Sabino suo s.
1
Scribis mihi Sabinam, quae nos reliquit heredes, Modestum servum
suum nusquam liberum esse jussisse, eidem tamen sic ascripsisse
legatum: ‘Modesto quem liberum esse jussi’. 2 Quaeris
quid sentiam. Contuli cum peritis juris. Convenit inter omnes nec
libertatem deberi quia non sit data, nec legatum quia servo suo
dederit. Sed mihi manifestus error videtur, ideoque puto nobis quasi
scripserit Sabina faciendum, quod ipsa scripsisse se credidit.
3 Confido accessurum te sententiae meae, cum religiosissime
soleas custodire defunctorum voluntatem, quam bonis heredibus
intellexisse pro jure est. Neque enim minus apud nos honestas quam
apud alios necessitas valet. 4 Moretur ergo in libertate
sinentibus nobis, fruatur legato quasi omnia diligentissime caverit.
Cavit enim, quae heredes bene elegit.
Vale. |
LETTRE XI.
PLINE A MINUTIEN.
Avez-vous ouï dire que Licinien enseigne la rhétorique en Sicile?
J'ai peine à croire que vous le sachiez ; car la nouvelle vient
d'arriver. Il n'y a pas longtemps que cet homme, après avoir été
préteur, paraissait dans le premier rang au barreau. Quelle chute!
Le voilà, de sénateur, devenu banni; d'orateur, devenu rhéteur.
Lui-même, dans le discours qu'il fit à l'ouverture de son école, en
prit occasion de s'écrier, d'un ton aussi grave que lamentable :
Fortune! ce sont là de tes jeux! tu tires de l'école un pédant, pour
en faire un sénateur; et tu chasses du sénat un sénateur, pour en
faire un pédant! Je trouve tant de bile, tant d'aigreur dans cette
pensée, que j'ai bien du penchant à croire qu'il n'a pris ce parti
que pour la débiter. Lorsqu'il se mit en possession de sa chaire, il
parut vêtu à la grecque, avec un manteau (car les bannis perdent le
droit de porter la robe). Après s'être composé, après avoir jeté les
yeux sur son habit : Messieurs,
dit-il , je vais parler latin; et mêla dans la suite de son discours
les réflexions du monde les plus tristes et les plus touchantes.
Doit-on croire qu'il ait déshonoré tant d'érudition par un inceste?
Il est vrai qu'il a avoué ce crime ; mais on ne sait encore si c'est
la crainte ou la vérité qui lui arracha cet aveu. Domitien, au
désespoir, haï, détesté de tout le monde, ne savait à qui recourir.
Il s'était mis en tête de faire enterrer vive Cornélie la Grande
vestale; et cela dans l'extravagante pensée d'illustrer son siècle
par un tel exemple. Il joint toute la fureur d'un tyran à l'autorité
d'un souverain pontife, pour convoquer les autres pontifes, non pas
dans son palais, mais dans sa maison d'Albane. Là, sans aucune
formalité, et par un crime plus grand que celui qu'il voulait
punir, il déclare incestueuse cette malheureuse fille, sans la
citer, sans l'entendre; lui qui, non content d'avoir débauché sa
nièce, avait encore causé sa mort. Elle était veuve. Leur commerce
eut les suites ordinaires du mariage; elle voulut les prévenir et
les cacher : il lui en coûta la vie. Aussitôt après ce barbare arrêt
contre Cornélie, les pontifes furent renvoyés pour le faire
exécuter. Elle s'écrie, lève les mains au ciel, invoque tantôt
Vesta, tantôt les autres dieux , et entre plusieurs exclamations
répète souvent celle-ci: Quoi! César me déclare incestueuse, moi
dont les sacrifices l'ont fait vaincre, l'ont fait triompher! On ne
sait pas trop bien si, par ces paroles, elle voulut flatter ou
insulter le prince; si le témoignage de sa conscience, ou son mépris
pour l'empereur, les lui suggéraient. Ce qu'il y a de certain, c'est
qu'elle ne cessa de les répéter jusqu'au lieu du supplice. Elle y
arriva : innocente, je n'en sais rien; mais du moins conduite en
criminelle. Comme il fallut l'enfermer dans le caveau, et qu'en y
descendant sa robe se fut accrochée,
elle se retourna, et la débarrassa. Le bourreau voulut alors lui
présenter la main : elle en eut horreur, et rejeta l'offre, comme si
elle n'eût pu l'accepter sans ternir la pureté dont elle faisait
profession. Elle se souvint jusqu'à la fin de ce qu'exigeait d'elle
la plus sévère bienséance :
Elle eut grand soin de faire une chute modeste.
D'ailleurs, lorsque Céler, chevalier romain, que l'on donnait pour
galant à Cornélie, fut battu de verges dans la place publique où se
font les assemblées, on ne lui put jamais faire dire autre chose,
sinon : Qu'ai-je fait? Je n'ai rien fait L'on reprochait donc
hautement à Domitien l'injustice et la cruauté de son arrêt. Il se
rabat sur Licinien, et le fait poursuivre, sous prétexte que, dans
une de ses terres, il avait caché une affranchie de Cornélie. Des
émissaires secrets prirent soin de l'avertir qu'il n'y avait qu'un
aveu qui lui pût garantir et obtenir sa grâce. Il le fit. Sénécion
porta la parole en son absence pour lui, à peu près dans ces termes
d'Homère: Patrocle est mort. Car il ne dit autre chose, sinon :
D'avocat, je suis devenu courrier. Licinien s'est retiré. Cela
causa tant de plaisir à Domitien , que sa joie le trahit, et lui fit
dire dans ses transports : Licinien nous 'a pleinement absous. Il
ne faut pas , ajouta-t-il , pousser à bout sa discrétion. Il lui
permit d'emporter tout ce qu'il pourrait de ses biens avant qu'ils
fussent vendus à l'encan, et lui assigna, pour son exil, un lieu
des plus commodes, comme le prix de sa complaisance. La bonté de
Nerva l'a depuis transféré en Sicile. Là il tient école
aujourd'hui, et se venge de la fortune dans les discours qui
précèdent ses leçons. Vous voyez quelle est ma soumission à vos
ordres. Je ne me contente pas de vous informer de ce qui se passe à
Rome, mais encore des nouvelles étrangères, avec tant
d'exactitude, que je les reprends dès leur origine. Comme
vous étiez absent dans le temps que cette affaire s'est passée, je
me suis imaginé que vous auriez seulement appris qu'on avait banni
Licinien pour inceste. La renommée rapporte bien les faits en gros;
rarement elle se charge du détail. Je mérite bien, ce me semble,
qu'à votre tour vous preniez la peine de m'écrire ce qui se passe,
soit dans votre ville, soit aux environs; car il ne laisse pas d'y
arriver quelquefois des événements remarquables. Enfin, écrivez tout
ce qu'il vous plaira, pourvu que votre lettre soit aussi longue que
la mienne. Je vous en avertis, je ne compterai pas seulement les
pages, mais jusqu'aux syllabes.
Adieu. |
C. Plinius Cornelio Miniciano suo s.
1
Audistine Valerium Licinianum in Sicilia profiteri? nondum te puto
audisse: est enim recens nuntius. Praetorius hic modo inter
eloquentissimos causarum actores habebatur; nunc eo decidit, ut
exsul de senatore, rhetor de oratore fieret. 2 Itaque
ipse in praefatione dixit dolenter et graviter: ‘Quos tibi, Fortuna,
ludos facis? facis enim ex senatoribus professores, ex professoribus
senatores.’ Cui sententiae tantum bilis, tantum amaritudinis inest,
ut mihi videatur ideo professus ut hoc diceret. 3 Idem
cum Graeco pallio amictus intrasset (carent enim togae jure, quibus
aqua et igni interdictum est), postquam se composuit circumspexitque
habitum suum, ‘Latine’ inquit ‘declamaturus sum.’ 4 Dices
tristia et miseranda, dignum tamen illum qui haec ipsa studia
incesti scelere macularit. 5 Confessus est quidem
incestum, sed incertum utrum quia verum erat, an quia graviora
metuebat si negasset. Fremebat enim Domitianus aestuabatque in
ingenti invidia destitutus. 6 Nam cum Corneliam Vestalium
maximam defodere vivam concupisset, ut qui illustrari saeculum suum
ejusmodi exemplis arbitraretur, pontificis maximi jure, seu potius
immanitate tyranni licentia domini, reliquos pontifices non in
Regiam sed in Albanam villam convocavit. Nec minore scelere quam
quod ulcisci videbatur, absentem inauditamque damnavit incesti, cum
ipse fratris filiam incesto non polluisset solum verum etiam
occidisset; nam vidua abortu periit. 7 Missi statim
pontifices qui defodiendam necandamque curarent. Illa nunc ad
Vestam, nunc ad ceteros deos manus tendens, multa sed hoc
frequentissime clamitabat: ‘Me Caesar incestam putat, qua sacra
faciente vicit triumphavit!’ 8 Blandiens haec an
irridens, ex fiducia sui an ex contemptu principis dixerit, dubium
est. Dixit donec ad supplicium, nescio an innocens, certe tamquam
innocens ducta est. 9 Quin etiam cum in illud
subterraneum demitteretur, haesissetque descendenti stola, vertit se
ac recollegit, cumque ei manum carnifex daret, aversata est et
resiluit foedumque contactum quasi plane a casto puroque corpore
novissima sanctitate rejecit omnibusque numeris pudoris πολλὴν
πρόνοιαν ἔσχεν εὐσχήμων πεσεῖν; 10 Praeterea Celer eques
Romanus, cui Cornelia obiciebatur, cum in comitio virgis caederetur,
in hac voce perstiterat: ‘Quid feci? nihil feci.’ 11
Ardebat ergo Domitianus et crudelitatis et iniquitatis infamia.
Arripit Licinianum, quod in agris suis occultasset Corneliae
libertam. Ille ab iis quibus erat curae praemonetur, si comitium et
virgas pati nollet, ad confessionem confugeret quasi ad veniam.
Fecit. 12 Locutus est pro absente Herennius Senecio tale
quiddam, quale est illud: κεῖται Πάτροκλος. Ait enim: ‘Ex advocato
nuntius factus sum; Licinianus recessit.’ 13 Gratum hoc
Domitiano adeo quidem ut gaudio proderetur, diceretque: ‘Absolvit
nos Licinianus.’ Adjecit etiam non esse verecundiae ejus instandum;
ipsi vero permisit, si qua posset, ex rebus suis raperet, antequam
bona publicarentur, exsiliumque molle velut praemium dedit. 14
Ex quo tamen postea clementia divi Nervae translatus est in
Siciliam, ubi nunc profitetur seque de fortuna praefationibus
vindicat.
15
Vides quam obsequenter paream tibi, qui non solum res urbanas verum
etiam peregrinas tam sedulo scribo, ut altius repetam. Et sane
putabam te, quia tunc afuisti, nihil aliud de Liciniano audisse quam
relegatum ob incestum. Summam enim rerum nuntiat fama non ordinem.
16 Mereor ut vicissim, quid in oppido tuo, quid in
finitimis agatur (solent enim quaedam notabilia incidere)
perscribas, denique quidquid voles dum modo non minus longa epistula
nuntia. Ego non paginas tantum sed versus etiam syllabasque
numerabo.
Vale. |
LETTRE XII.
PLINE A ARRIEN.
Vous aimez Egnace Marcellin, et vous me le recommandez souvent;
vous l'aimerez et vous me le recommanderez encore davantage quand
vous saurez ce qu'il vient de faire. Il était allé exercer la
charge de questeur dans une province. Son commis mourut avant que
ses appointements fussent échus. Marcellin aussitôt se résolut à
rendre ces appointements qui lui avaient été payés d'avance pour ce
commis. A son retour, il supplie l'empereur, et ensuite , par ordre
de l'empereur, le sénat, de lui marquer l'usage qu'il devait faire
de ce fonds. La question était peu importante, mais c'était
toujours une question. Les héritiers d'un côté, de l'autre les
trésoriers publics, le réclamaient. La cause a été fort bien plaidée
de part et d'autre. Strabon a opiné pour le fisc; Bébius Macer, pour
les héritiers. L'avis de Strabon a été suivi. Il ne vous reste qu'à donner à Marcellin les
louanges qu'il mérite. Moi , je l'ai payé comptant. Quoique
l'approbation publique du prince et du sénat ne lui laisse rien à
désirer, je m'assure que la vôtre lui fera plaisir. C'est le
caractère de tous ceux que possède l'amour de la véritable gloire :
l'applaudissement, de quelque part qu'il vienne, a pour eux des
charmes. Jugez de l'impression que vos éloges feront sur
Marcellin
, qui n'a pas moins de vénération pour votre personne que de
confiance en votre discernement. Il ne pourra jamais apprendre que
le bruit de son action ait pénétré jusque dans le pays où vous êtes,
sans être ravi du chemin que sa réputation aura fait : car, je ne
sais pourquoi, les hommes sont plus touchés d'une gloire étendue
que d'une grande gloire.
Adieu. |
IV, 12
C. Plinius Maturo Arriano suo s.
1
Amas Egnatium Marcellinum atque etiam mihi saepe commendas; amabis
magis commendabisque, si cognoveris ejus recens factum. 2
Cum in provinciam quaestor exisset, scribamque qui sorte obtigerat
ante legitimum salarii tempus amisisset, quod acceperat scribae
daturus, intellexit et statuit subsidere apud se non oportere.
3 Itaque reversus Caesarem, deinde Caesare auctore senatum
consuluit, quid fieri de salario vellet. Parva quaestio sed tamen
quaestio. Heredes scribae sibi, praefecti aerari populo vindicabant.
4 Acta causa est; dixit heredum advocatus, deinde populi,
uterque percommode. Caecilius Strabo aerario censuit inferendum,
Baebius Macer heredibus dandum: obtinuit Strabo. 5 Tu
lauda Marcellinum, ut ego statim feci. Quamvis enim abunde sufficiat
illi quod est et a principe et a senatu probatus, gaudebit tamen
testimonio tuo. 6 Omnes enim, qui gloria famaque
ducuntur, mirum in modum assensio et laus a minoribus etiam profecta
delectat. Te vero Marcellinus ita veretur ut judicio tuo plurimum
tribuat. 7 Accedit his quod, si cognoverit factum suum
isto usque penetrasse, necesse est laudis suae spatio et cursu et
peregrinatione laetetur. Etenim nescio quo pacto vel magis homines
juvat gloria lata quam magna.
Vale. |
LETTRE XIII.
PLINE A CORNEILLE TACITE.
Je me réjouis que vous soyez de retour à Rome en bonne santé. Vous
ne pouviez jamais arriver pour moi plus à propos. Je ne resterai que
fort peu de jours dans ma maison de Tusculum, pour achever un petit
ouvrage que j'y ai commencé. Je crains que si je l'interromps sur la
fin, je n'aie beaucoup de peine à le reprendre. Cependant, afin que
mon impatience n'y perde rien, je vous demande d'avance, par cette
lettre, une grâce que je me promets de vous demander bientôt de vive
voix. Mais, avant de vous exposer le sujet de ma prière, il faut
vous dire ce qui m'engage à vous prier. Ces jours passés, comme
j'étais à Côme, lieu de ma naissance, un jeune enfant,
fils d'un de mes compatriotes, vint me saluer. Vous éludiez, lui
dis-je? Il me répond que oui. En quel lieu? A Milan. Pourquoi
n'est-ce pas dans ce lieu-ci? Son père, qui l'accompagnait, et qui
me l'avait présenté, prend la parole. Nous n'avons point, dit-il,
ici de mitre. Et pourquoi n'en avez-vous point? 11 vous était fort
important à vous autres pères (cela venait à propos, grand nombre de
pères m'écoutaient) de faire instruire ici vos enfants. Où leur
trouver un séjour plus agréable que la patrie? où former leurs
moeurs plus sûrement que sous les yeux de leurs parents? où les
entretenir à moins de frais que chez vous? A combien croyez-vous que
vous reviendrait le fonds nécessaire pour avoir ici des professeurs?
Combien, pour établir ce fonds, vous faudrait-il ajouter à ce que
vos enfants vous coûtent ailleurs, où il faut payer voyage,
nourriture, logements, acheter toutes choses? car tout s'achète
lorsqu'on n'est pas chez soi? Moi qui n'ai point encore d'enfants,
je suis tout prêt, en faveur de ma patrie, pour qui j'ai un coeur de
fils et de père, à donner le tiers de la somme que vous voudrez
mettre à cet établissement. J'offrirais le tout; mais je craindrais
que cette dépense, qui ne serait à charge à personne, ne rendit tout
le monde moins circonspect dans le choix des maîtres ; que la brigue
seule ne disposât de ces places, et que chacun de vous ne perdît
tout le fruit de ma libéralité. C'est ce que je vois en divers lieux
où il y a des chaires de professeurs fondées. Je ne sais qu'un
moyen de prévenir ce désordre : c'est de ne confier qu'aux pères
le soin du choix , et de les obliger à bien choisir, par la
nécessité de la contribution, et par l'intérêt de placer utilement
leur dépense. Car ceux
qui peut-être ne seraient pas fort attentifs au bon usage du bien
d'autrui le seront certainement à ne pas mal employer le leur, et
n'oublieront rien pour mettre en bonnes mains le fonds que j'aurai
fait, si le leur l'accompagne. Prenez donc une sage résolution à
l'envi l'un de l'autre, et réglez vos efforts sur les miens. Je
souhaite sincèrement que mon contingent soit considérable. Vous ne
pouvez rien faire de plus avantageux à vos enfants, rien de plus
agréable à votre patrie. Que vos enfants reçoivent l'éducation dans
le même lieu où ils ont reçu la naissance. Accoutumez-les dès
l'enfance à se plaire et à se fixer dans leur pays natal.
Puissiez-vous choisir de si excellents maîtres, que leur réputation
peuple vos écoles, et que, par une heureuse vicissitude, ceux qui
voient venir vos enfants étudier. chez eux, envoient à l'avenir les
leurs étudier chez vous! Voilà ce que je leur dis; et j'ai cru que
je ne pouvais mieux vous faire entendre combien je serais sensible
au bon office que je vous demande, qu'en reprenant, dès la source,
les raisons que j'ai de le désirer. Je vous supplie donc, dans cette
foule de savants que la réputation de votre esprit attire de toutes
parts auprès de vous, jetez les yeux sur ceux qui peuvent être les
plus propres à l'emploi que je vous propose; mais ne m'engagez
point. Mon intention est de laisser les pères maîtres absolus du
choix. Je leur abandonne l'examen et la décision; je ne me réserve
que la dépense et le soin de leur chercher des sujets. S'il s'en
trouve donc quelqu'un qui se fie à ses talents jusqu'au point de
s'embarquer dans ce voyage sans autre garantie, il peut
l'entreprendre, et compter uniquement sur son mérite.
Adieu. |
IV, 12
C. Plinius Cornelio Tacito suo s.
1
Salvum in urbem venisse gaudeo; venisti autem, si quando alias, nunc
maxime mihi desideratus. Ipse pauculis adhuc diebus in Tusculano
commorabor, ut opusculum quod est in manibus absolvam. 2
Vereor enim ne, si hanc intentionem jam in fine laxavero, aegre
resumam. Interim ne quid festinationi meae pereat, quod sum praesens
petiturus, hac quasi praecursoria epistula rogo. Sed prius accipe
causas rogandi, deinde ipsum quod peto.
3
Proxime cum in patria mea fui, venit ad me salutandum municipis mei
filius praetextatus. Huic ego ‘Studes?’ inquam. Respondit: ‘Etiam.’
‘Ubi?’ ‘Mediolani.’ ‘Cur non hic?’ Et pater ejus (erat enim una
atque etiam ipse adduxerat puerum): ‘Quia nullos hic praeceptores
habemus.’ 4 ‘Quare nullos? Nam vehementer intererat
vestra, qui patres estis’ (et opportune complures patres audiebant)
‘liberos vestros hic potissimum discere. Ubi enim aut jucundius
morarentur quam in patria aut pudicius continerentur quam sub oculis
parentum aut minore sumptu quam domi? 5 Quantulum est
ergo collata pecunia conducere praeceptores, quodque nunc in
habitationes, in viatica, in ea quae peregre emuntur (omnia autem
peregre emuntur) impenditis, adicere mercedibus? Atque adeo ego, qui
nondum liberos habeo, paratus sum pro re publica nostra, quasi pro
filia vel parente, tertiam partem ejus quod conferre vobis placebit
dare. 6 Totum etiam pollicerer, nisi timerem ne hoc munus
meum quandoque ambitu corrumperetur, ut accidere multis in locis
video, in quibus praeceptores publice conducuntur. 7 Huic
vitio occurri uno remedio potest, si parentibus solis jus conducendi
relinquatur, isdemque religio recte judicandi necessitate
collationis addatur. 8 Nam qui fortasse de alieno
neglegentes, certe de suo diligentes erunt dabuntque operam, ne a me
pecuniam non nisi dignus accipiat, si accepturus et ab ipsis erit.
9 Proinde consentite conspirate majoremque animum ex meo
sumite, qui cupio esse quam plurimum, quod debeam conferre. Nihil
honestius praestare liberis vestris, nihil gratius patriae potestis.
Educentur hic qui hic nascuntur, statimque ab infantia natale solum
amare frequentare consuescant. Atque utinam tam claros praeceptores
inducatis, ut in finitimis oppidis studia hinc petantur, utque nunc
liberi vestri aliena in loca ita mox alieni in hunc locum
confluant!’
10
Haec putavi altius et quasi a fonte repetenda, quo magis scires,
quam gratum mihi foret si susciperes quod injungo. Injungo autem et
pro rei magnitudine rogo, ut ex copia studiosorum, quae ad te ex
admiratione ingenii tui convenit, circumspicias praeceptores, quos
sollicitare possimus, sub ea tamen condicione ne cui fidem meam
obstringam. Omnia enim libera parentibus servo: illi judicent illi
eligant, ego mihi curam tantum et impendium vindico. 11
Proinde si quis fuerit repertus, qui ingenio suo fidat, eat illuc ea
lege ut hinc nihil aliud certum quam fiduciam suam ferat.
Vale. |
LETTRE XIV.
PLINE A PATERNUS.
Vous avez bien l'air de me demander à votre ordinaire quelque
plaidoyer, et de vous attendre à le recevoir ; mais moi, je vous
présente mes amusements comme des curiosités étrangères. Vous
recevrez dans ce paquet de petits vers que j'ai faits en chaise,
dans le bain, à table. Ces enfants de mon loisir me feront paraître
tour à tour plaisant, badin, amant, chagrin, plaintif, colère.
Tantôt mes descriptions sont plus simples, tantôt plus nobles.
J'essaye de satisfaire par cette variété les différents goûts, et
même de répandre dans mon ouvrage quelques beautés qui puissent
plaire à tout le monde. Si par hasard vous trouvez des endroits un
peu libres, il sera du devoir de votre érudition de vous rappeler
que non seulement les grands hommes et les plus austères qui ont
écrit dans ce genre n'ont pas choisi leurs sujets au gré d'une
Lucrèce, mais qu'ils ont même, sans scrupule, appelé chaque chose
par son nom. C'est une liberté que je ne me donne pas : non que je
me pique d'être plus sage ( car de quel droit?), mais parce que je
suis plus timide. Il me semble d'ailleurs que la véritable règle,
pour cette espèce de poésie, est renfermée dans ces petits vers de
Catulle :
Le poète doit être sage :
Pour ses vers il n'importe peu :
Ils n'auraient ni grâce ni feu,
Sans un air de libertinage.
Le parti que je prends d'exposer l'ouvrage entier à votre censure,
plutôt que de mendier vos louanges par des endroits détachés et
choisis, doit vous apprendre l'opinion que j'ai de votre
discernement. En effet, les morceaux d'une pièce qui, séparés,
peuvent plaire, perdent souvent cet avantage, quand on les trouve en
compagnie de plusieurs autres qui leur ressemblent trop. Le lecteur,
pour. peu qu'il soit habile et délicat, sait qu'il ne doit pas
comparer ensemble des poésies de différents genres, mais les
examiner chacune par rapport aux règles particulières à son espèce.
Selon cette méthode, il se gardera bien de censurer, comme plus
mauvais, ce qui a le point de perfection qui lui convient. Mais
pourquoi tant discourir? Prétendre, par une longue préface,
justifier ou faire valoir des badineries, c'est de toutes les
badineries la plus ridicule. Je crois seulement vous devoir avertir
que je me propose d'intituler ces bagatelles Hendécasyllabes, titre
qui n'a de rapport qu'à la mesure des vers. Vous les pouvez donc
appeler épigrammes, idylles, églogues, ou, comme plusieurs ont fait,
poésies; enfin , de tel autre nom qu'il vous plaira : je ne
m'engage, moi, qu'à vous donner des hendécasyllabes. J'exige
seulement de votre sincérité que vous me disiez de mon livre tout ce
que vous en direz aux autres. Ce que je vous demande ne vous doit
rien coûter. Si ce petit ouvrage était le seul qui fût sorti de mes
mains, ou qu'il fût le plus considérable, il y aurait peut-être de
la dureté à me dire : Cherchez d'autres occupations. Mais vous
pouvez, sans blesser la politesse, me dire : Eh ! vous avez tant
d'autres occupations!
Adieu. |
IV, 14
C. Plinius [Decimo] Paterno suo s.
1
Tu fortasse orationem, ut soles, et flagitas et exspectas; at ego
quasi ex aliqua peregrina delicataque merce lusus meos tibi prodo.
2 Accipies cum hac epistula hendecasyllabos nostros,
quibus nos in vehiculo in balineo inter cenam oblectamus otium
temporis. 3 His jocamur ludimus amamus dolemus querimur
irascimur, describimus aliquid modo pressius modo elatius, atque
ipsa varietate temptamus efficere, ut alia aliis quaedam fortasse
omnibus placeant. 4 Ex quibus tamen si non nulla tibi
petulantiora paulo videbuntur, erit eruditionis tuae cogitare summos
illos et gravissimos viros qui talia scripserunt non modo lascivia
rerum, sed ne verbis quidem nudis abstinuisse; quae nos refugimus,
non quia severiores (unde enim?), sed quia timidiores sumus. 5
Scimus alioqui hujus opusculi illam esse verissimam legem, quam
Catullus expressit:
Nam castum esse decet pium poetam
ipsum, versiculos nihil necesse est,
qui tunc denique habent salem et leporem
si sunt molliculi et parum pudici.
6
Ego quanti faciam judicium tuum, vel ex hoc potes aestimare, quod
malui omnia a te pensitari quam electa laudari. Et sane quae sunt
commodissima desinunt videri, cum paria esse coeperunt. 7
Praeterea sapiens subtilisque lector debet non diversis conferre
diversa, sed singula expendere, nec deterius alio putare quod est in
suo genere perfectum. 8 Sed quid ego plura? Nam longa
praefatione vel excusare vel commendare ineptias ineptissimum est.
Unum illud praedicendum videtur, cogitare me has meas nugas ita
inscribere ‘hendecasyllabi’, qui titulus sola metri lege
constringitur. 9 Proinde, sive epigrammata sive idyllia
sive eclogas sive, ut multi, poematia seu quod aliud vocare
malueris, licebit voces; ego tantum hendecasyllabos praesto. 10
A simplicitate tua peto, quod de libello meo dicturus es alii, mihi
dicas; neque est difficile quod postulo. Nam si hoc opusculum
nostrum aut potissimum esset aut solum, fortasse posset durum videri
dicere: ‘Quaere quod agas’; molle et humanum est: ‘Habes quod agas.’
Vale. |
LETTRE XV.
PLINE A FUNDANUS.
Si mon discernement parait en quelque chose, il se montre surtout
dans mon amitié particulière
pour Asinius Rufus. C'est un homme rare, qui aime passionnément les
gens de bien comme nous. Eh! pourquoi ne me mettrais-je pas du
nombre? Il est aussi ami de Corneille Tacite. Quel homme ! vous le
savez. Si vous avez donc quelque estime pour lui et pour moi, vous
ne pouvez en refuser à Rufus, puisque rien n'est plus propre à
faire naître l'amitié que la ressemblance des moeurs. Il a plusieurs
enfants; car il a compté entre les autres obligations d'un bon
citoyen, celle de donner des sujets à l'État; et cela dans un siècle
où les soins que l'on rend à ceux qui n'ont point d'enfants
dégoûtent même d'un fils unique. Ces honteuses amorces l'ont si peu
tenté , qu'il n'a pas craint d'être aïeul. Il a des petits-fils de
Saturius Firmus, son gendre, homme que vous aimerez autant que je
l'aime, quand vous le connaîtrez autant que je le connais. Voyez ,
je vous prie, quelle nombreuse famille vous obligerez à la fois par
une seule grâce ! Nous vous la demandons, parce que nos désirs, et
d'heureux présages, nous persuadent que vous serez bientôt en état
de l'accorder. Nous vous souhaitons le consulat, et nous prévoyons
que, l'année prochaine, il ne vous peut manquer. Nos augures, nos
garants sont vos vertus et le discernement du prince. Les mêmes
raisons vous donnent pour questeurs Asinius Bassus, l'aîné des fils
de Ru fus. C'est un jeune homme... je ne sais ce que je dois dire.
Le père veut que je dise et que je pense que son fils vaut mieux que
lui; la modestie du fils me le défend. Vous qui n'hésitez jamais à
me croire, lui croirez difficilement, sans le voir, l'habileté, la
probité, l'érudition, l'esprit, l'application, la mémoire que
l'expérience vous fera découvrir en lui. Je voudrais que notre
siècle
fût assez fécond en bons sujets pour vous en donner un digne d'être
préféré à Bassus. Je serais le premier à vous avertir , à vous
presser d'y regarder plus d'une fois, et de peser longtemps avant
que de faire pencher la balance. Par malheur aujourd'hui... Mais je
ne veux pas vous vanter trop mon ami. Je vous dirai seulement qu'il
méritait que, selon la coutume de nos ancêtres, vous l'adoptassiez
pour votre fils. Ceux qui, comme vous, se distinguent par une haute
sagesse, devraient prendre dans le sein de la république leurs
enfants tels qu'ils voudraient les avoir reçus de la nature. Ne vous
sera-t-il pas honorable, lorsque vous serez consul, d'avoir pour
questeur le fils d'un homme qui a exercé la préture, et le proche
parent de plusieurs consulaires, à qui, tout jeune qu'il est, il
donne, de leur propre aveu, autant d'éclat qu'il en reçoit d'eux.
Ayez donc quelque égard à mes prières ; ne négligez pas mes avis, et
surtout pardonnez à une sollicitation prématurée. L'amitié ne sait
point attendre; elle anticipe les temps par ses désirs. D'ailleurs,
dans une ville où il semble que tout soit fait pour celui qui le
premier s'en empare, on trouve que le temps d'agir est passé, si
l'on attend qu'il soit venu. Enfin , il est doux de goûter par
avance le plaisir des succès que l'on désire. Que déjà Bassus vous
respecte comme son consul. Vous, aimez-le comme votre questeur. Pour
moi ,qui vous aime également l'un et l'autre, je commence à sentir
une double joie : car, dans la tendre amitié qui m'attache à vous et
à Bassus, je suis prêt à mettre tout en oeuvre, soins, amis,
crédit, pour élever aux charges, ou Bassus, quel que soit le consul
dont il sera questeur, ou le questeur que vous aurez choisi, quel
qu'il puisse être. J'aurai un sensible plaisir si mon attachement
aux intérêts de votre consulat, et mon amitié pour Bassus,
rassemblent tous mes vœux en une même personne; si enfin je vous ai
pour second dans mes sollicitations, vous dont les avis sont d'une
si grande autorité et le témoignage d'un si grand poids dans le
sénat. Adieu. |
IV, 15
C. Plinius Minicio Fundano suo s.
1
Si quid omnino, hoc certe judicio facio, quod Asinium Rufum
singulariter amo. Est homo eximius et bonorum amantissimus. Cur enim
non me quoque inter bonos numerem? Idem Cornelium Tacitum (scis quem
virum) arta familiaritate complexus est. 2 Proinde si
utrumque nostrum probas, de Rufo quoque necesse est idem sentias,
cum sit ad conectendas amicitias vel tenacissimum vinculum morum
similitudo. 3 Sunt ei liberi plures. Nam in hoc quoque
functus est optimi civis officio, quod fecunditate uxoris large frui
voluit, eo saeculo quo plerisque etiam singulos filios orbitatis
praemia graves faciunt. Quibus ille despectis, avi quoque nomen
assumpsit. Est enim avus, et quidem ex Saturio Firmo, quem diliges
ut ego si ut ego propius inspexeris. 4 Haec eo pertinent,
ut scias quam copiosam, quam numerosam domum uno beneficio sis
obligaturus; ad quod petendum voto primum, deinde bono quodam omine
adducimur. 5 Optamus enim tibi ominamurque in proximum
annum consulatum: ita nos virtutes tuae, ita judicia principis
augurari volunt. 6 Concurrit autem ut sit eodem anno
quaestor maximus ex liberis Rufi, Asinius Bassus, juvenis (nescio an
dicam, quod me pater et sentire et dicere cupit, adulescentis
verecundia vetat) ipso patre melior. 7 Difficile est ut
mihi de absente credas (quamquam credere soles omnia), tantum in
illo industriae probitatis eruditionis ingenii studii memoriae
denique esse, quantum expertus invenies. 8 Vellem tam
ferax saeculum bonis artibus haberemus, ut aliquos Basso praeferre
deberes: tum ego te primus hortarer moneremque, circumferres oculos
ac diu pensitares, quem potissimum eligeres. 9 Nunc vero
- sed nihil volo de amico meo arrogantius dicere; hoc solum dico,
dignum esse juvenem quem more majorum in filii locum assumas. Debent
autem sapientes viri, ut tu, tales quasi liberos a re publica
accipere, quales a natura solemus optare. 10 Decorus erit
tibi consuli quaestor patre praetorio, propinquis consularibus,
quibus judicio ipsorum, quamquam asulescentulus adhuc, jam tamen
invicem ornamento est. 11 Proinde indulge precibus meis,
obsequere consilio, et ante omnia si festinare videor ignosce,
primum quia votis suis amor plerumque praecurrit; deinde quod in ea
civitate, in qua omnia quasi ab occupantibus aguntur, quae legitimum
tempus exspectant, non matura sed sera sunt; in summa quod rerum,
quas assequi cupias, praesumptio ipsa jucunda est. 12
Revereatur jam te Bassus ut consulem, tu dilige illum ut quaestorem,
nos denique utriusque vestrum amantissimi laetitia duplici
perfruamur. 13 Etenim cum sic te, sic Bassum diligamus,
ut et illum cujuscumque et tuum quemcumque quaestorem in petendis
honoribus omni ope labore gratia simus juvaturi, perquam jucundum
nobis erit, si in eundem juvenem studium nostrum et amicitiae meae
et consulatus tui ratio contulerit, si denique precibus meis tu
potissimum adjutor accesseris, cujus et suffragio senatus
libentissime indulgeat et testimonio plurimum credat.
Vale. |
LETTRE XVI
PLINE A VALERIUS PAULINUS.
Réjouissez-vous pour vous, pour moi, pour notre siècle : ou aime
encore les sciences. Ces jours passés, je devais plaider devant les
centumvirs. Je me présentai. Mais la foule était si grande, qu'il
me fut impossible de me faire d'autre passage, pour aller au
barreau, qu'au travers du tribunal même où les juges sont assis. Il
se trouva un jeune homme de qualité dont une partie des habits fut
déchirée, comme il arrive souvent dans la presse; il demeura
pourtant couvert de sa tunique sept heures entières : car je parlai
pendant tout ce temps avec beaucoup de fatigue, et avec plus de
succès encore. Courage donc! appliquons-nous à l'étude, et
n'excusons plus notre paresse sur celle des auditeurs et des
lecteurs. L'on n'en manque point. Ayons soin seulement que l'on ne
manque ni de bons discours, ni de bons livres.
Adieu. |
IV, 16
C. Plinius Valerio Paulino suo s.
1
Gaude meo, gaude tuo, gaude etiam publico nomine: adhuc honor
studiis durat. Proxime cum dicturus apud centumviros essem, adeundi
mihi locus nisi a tribunali, nisi per ipsos judices non fuit; tanta
stipatione cetera tenebantur. 2 Ad hoc quidam ornatus
adulescens scissis tunicis, ut in frequentia solet fieri, sola
velatus toga perstitit et quidem horis septem. 3 Nam tam
diu dixi magno cum labore, majore cum fructu. Studeamus ergo nec
desidiae nostrae praetendamus alienam. Sunt qui audiant, sunt qui
legant, nos modo dignum aliquid auribus dignum chartis elaboremus.
Vale. |
LETTRE XVII.
PLINE A GALLUS.
Vous m'avertissez que C. Cécilius , consul désigné, poursuit un
jugement coutre Corellia, qui n'est pas de cette ville, et vous me
priez de
la défendre. Je vous remercie de l'avis ; mais je me plains de la
prière. Je dois être averti pour savoir ce qui se passe ; mais on
ne doit pas me prier de faire ce qu'il me serait très honteux de ne
faire pas. Balancerais-je à me déclarer pour la fille de Corellius?
Il est vrai que je suis dans des liaisons, non pas d'intime
confiance, mais d'amitié ordinaire, avec celui contre qui vous
voulez que je plaide. Il est vrai qu'on a pour lui une grande
considération; et que la place où il est destiné me demande d'autant
plus d'égards, que j'ai eu l'honneur de la remplir : car il est
naturel d'augmenter, autant qu'on le peut, l'idée des dignités que
l'on a possédées. Mais toutes ces raisons s'évanouissent , dès que
je fais réflexion qu'il s'agit de la fille de Corellius. J'ai sans
cesse devant les yeux ce grand homme, qui n'a cédé à personne de son
siècle en autorité, en droiture et en esprit. L'admiration que son
mérite; m'avait inspirée fit naître mon attachement pour lui; et il
:arriva, contre l'ordinaire, que je ne l'admirai jamais tant que
lorsque je le connus plus à fond; et on ne pouvait plus à fond le
connaître. Il n'avait point de secret pour moi; il partageait avec
moi ses amusements, ses affaires, ses joies, ses peines. J'étais
encore tout jeune, et non seulement il avait pour moi de
l'honnêteté, mais, j'ose le dire, la même considération que pour un
homme de son âge. Je n'ai point demandé de charge, qu'il n'ait été
mon solliciteur et ma caution. Je n'ai pris possession d'aucune ,
qu'il ne m'ait conduit, qu'il ne m'ait accompagné ; je n'en ai point
exercé, que par ses avis et avec son secours. En un mot, toutes les
fois qu'il a
été question de mes intérêts, il a paru toujours à la tète de mes
amis, tout cassé, tout infirme qu'il était. Quel soin ne prenait-il
pas de me faire une réputation, soit en particulier, soit en
public, soit à la cour? Un jour, chez l'empereur Nerva, la
conversation tomba sur les jeunes gens de grande espérance. La
plupart dirent mille biens de moi. Corellius, après avoir quelque
temps gardé le silence, qui donnait un nouveau poids à ses paroles :
Pour moi, dit-il de ce ton grave que vous lui connaissiez , je suis
obligé de louer Pline plus sobrement; car il ne fait rien que par
mes conseils. Par là , il me donnait plus de gloire que je n'en
osais désirer. Il faisait entendre que toutes mes démarches, sous
un aussi bon guide, ne pouvaient manquer d'être sûres. Enfin,
mourant, il dit pour dernier adieu à sa fille, qui le répète souvent
: Je vous ai, dans le cours d'une longue vie, fait grand nombre
d'amis; mais comptes sur Pline et sur Cornutus. Je ne puis m'en
souvenir, sans comprendre l'obligation où je suis d'agir de manière
qu'il ne paraisse pas que j'aie en rien trompé la confiance d'un
homme dont le jugement était si sûr. Je suis donc prêt à épouser
avec toute l'ardeur imaginable les intérêts de Corellia , et à
m'exposer pour son service aux plus vifs ressentiments. Lors même
que, pour autoriser ma conduite, ou pour me faire honneur, j'aurai
donné à tout ce que je viens de vous dire cette étendue que demande
un plaidoyer, et que ne permet pas une lettre, peut-être Cécilius,
qui, selon vous, ne hasarde ce procès que dans l'espérance de
n'avoir affaire qu'à une femme, ne pourra se défendre, non
seulement
de me le pardonner, mais encore de m'en louer.
Adieu. |
IV, 17
C. Plinius Clusinio Gallo suo s.
1
Et admones et rogas, ut suscipiam causam Corelliae absentis contra
C. Caecilium consulem designatum. Quod admones, gratias ago; quod
rogas, queror. Admoneri enim debeo ut sciam, rogari non debeo ut
faciam, quod mihi non facere turpissimum est. 2 An ego
tueri Corelli filiam dubitem? Est quidem mihi cum isto, contra quem
me advocas, non plane familiaris sed tamen amicitia. 3
Accedit huc dignitas hominis atque hic ipse cui destinatus est
honor, cujus nobis hoc major agenda reverentia est, quod jam illo
functi sumus. Naturale est enim ut ea, quae quis adeptus est ipse,
quam amplissima existimari velit. 4 Sed mihi cogitanti
adfuturum me Corelli filiae omnia ista frigida et inania videntur.
Obversatur oculis ille vir quo neminem aetas nostra graviorem
sanctiorem subtiliorem tulit, quem ego cum ex admiratione diligere
coepissem, quod evenire contra solet, magis admiratus sum postquam
penitus inspexi. 5 Inspexi enim penitus: nihil a me ille
secretum, non joculare non serium, non triste non laetum. 6
Adulescentulus eram, et jam mihi ab illo honor atque etiam (audebo
dicere) reverentia ut aequali habebatur. Ille meus in petendis
honoribus suffragator et testis, ille in incohandis deductor et
comes, ille in gerendis consiliator et rector, ille denique in
omnibus officiis nostris, quamquam et imbecillus et senior, quasi
juvenis et validus conspiciebatur. 7 Quantum ille famae
meae domi in publico, quantum etiam apud principem astruxit! 8
Nam cum forte de bonis juvenibus apud Nervam imperatorem sermo
incidisset, et plerique me laudibus ferrent, paulisper se intra
silentium tenuit, quod illi plurimum auctoritatis addebat; deinde
gravitate quam noras: ‘Necesse est’ inquit ‘parcius laudem Secundum,
quia nihil nisi ex consilio meo facit.’ 9 Qua voce
tribuit mihi quantum petere voto immodicum erat, nihil me facere non
sapientissime, cum omnia ex consilio sapientissimi viri facerem.
Quin etiam moriens filiae suae (ipsa solet praedicare): ‘Multos
quidem amicos tibi ut longiore vita paravi, praecipuos tamen
Secundum et Cornutum. 10 Quod cum recordor, intellego
mihi laborandum, ne qua parte videar hanc de me fiduciam
providentissimi viri destituisse. 11 Quare ego vero
Corelliae adero promptissime nec subire offensas recusabo; quamquam
non solum veniam me verum etiam laudem apud istum ipsum, a quo (ut
ais) nova lis fortasse ut feminae intenditur, arbitror consecuturum,
si haec eadem in actione, latius scilicet et uberius quam
epistularum angustiae sinunt, vel in excusationem vel etiam
commendationem meam dixero.
Vale. |
LETTRE XVIII.
PLINE A ANTONIN.
J'ai essayé de traduire en latin quelques-unes de vos épigrammes
grecques. Puis-je mieux vous prouver à quel point j'en suis charmé?
J'ai bien peur de les avoir gâtées, soit par la faiblesse de mon
génie, soit par la stérilité, ou, pour parler comme Lucrèce, par la
pauvreté de notre langue. Que si vous croyez apercevoir quelque
agrément dans la traduction, qui est latine et de ma façon,
imaginez-vous les grâces de l'original, qui est grec et de votre
main.
Adieu. |
IV, 18
C. Plinius Arrio Antonino suo s.
1
Quemadmodum magis approbare tibi possum, quanto opere mirer
epigrammata tua Graeca, quam quod quaedam Latine aemulari et
exprimere temptavi? in deterius tamen. Accidit hoc primum
imbecillitate ingenii mei, deinde inopia ac potius, ut Lucretius
ait, egestate patrii sermonis. 2 Quodsi haec, quae sunt
et Latina et mea, habere tibi aliquid venustatis videbuntur, quantum
putas inesse iis gratiae, quae et a te et Graece proferuntur!
Vale. |
LETTRE XIX.
PLINE A HISPULLA.
Comme je suis persuadé que vous êtes d'un bon naturel ; que vous
aimiez autant votre frère qu'il vous aimait; que sa fille n'a pas
seulement trouvé en vous une amitié de tante, mais toute la
tendresse du père qu'elle a perdu; je vais vous dire des choses qui
vous plairont infiniment. Votre nièce ne dégénère point : chaque
jour elle se montre digne de son père, digne de son aïeul, digne de
vous. Elle a beaucoup d'esprit, beaucoup de retenue, beaucoup de
tendresse pour moi, ce qui est un gage bien sûr de sa vertu.
D'ailleurs, elle aime les lettres; et c'est l'envie de me plaire qui
a tourné ses inclinations de ce côté-là. Elle a continuellement mes
ouvrages entre les mains; elle ne cesse de les lire, elle les
apprend par coeur. Vous ne pouvez vous imaginer ni son inquiétude
avant que je plaide, ni sa joie après que j'ai plaidé. Elle charge
toujours quelqu'un de venir en diligence lui apprendre quels
applaudissements j'ai reçus, quel succès a eu la cause. S'il
m'arrive de lire quelque pièce en public, elle sait se ménager une
place où, derrière un rideau, elle écoute
avidement les louanges que l'on me donne. Elle chante mes vers;
et, instruite par l'amour seul, le plus excellent de tous les
maîtres, elle fait redire à sa lyre ce qu'exprime sa voix. J'ai
donc raison de me promettre que le temps ne fera que cimenter de
plus en plus notre union : car elle n'aime en moi ni la jeunesse, ni
la figure, qui dépérissent chaque jour, mais la gloire, qui ne
périt jamais. Eh! que pouvais-je attendre autre chose d'une
personne élevée sous vos yeux, formée par vos leçons, qui n'a rien
pris que de vertueux et d'honnête dans votre commerce, et dont les
éloges perpétuels qu'elle 'vous entendait faire de moi ont fait
naître l'amour? Vos sentiments pour ma mère, que vous respectiez
comme la vôtre, et la part que vous preniez à mon éducation, vous
ont accoutumée à me vanter dès ma plus tendre enfance , et dès lors
à promettre de moi tout ce que ma femme s'en imagine aujourd'hui.
Nous vous remercions à l'envi; moi, de ce qu'elle est ma femme;
elle, de ce que je suis son mari : tous deux, de ce que vous avez
uni deux personnes faites l'une pour l'autre.
Adieu. |
IV, 19
C. Plinius Calpurniae Hispullae suae
s.
1
Cum sis pietatis exemplum, fratremque optimum et amantissimum tui
pari caritate dilexeris, filiamque ejus ut tuam diligas, nec tantum
amitae ei affectum verum etiam patris amissi repraesentes, non
dubito maximo tibi gaudio fore cum cognoveris dignam patre dignam te
dignam avo evadere. 2 Summum est acumen summa frugalitas;
amat me, quod castitatis indicium est. Accedit his studium
litterarum, quod ex mei caritate concepit. Meos libellos habet
lectitat ediscit etiam. 3 Qua illa sollicitudine cum
videor acturus, quanto cum egi gaudio afficitur! Disponit qui
nuntient sibi quem assensum quos clamores excitarim, quem eventum
judicii tulerim. Eadem, si quando recito, in proximo discreta velo
sedet, laudesque nostras avidissimis auribus excipit. 4
Versus quidem meos cantat etiam formatque cithara non artifice
aliquo docente, sed amore qui magister est optimus. 5 His
ex causis in spem certissimam adducor, perpetuam nobis majoremque in
dies futuram esse concordiam. Non enim aetatem meam aut corpus, quae
paulatim occidunt ac senescunt, sed gloriam diligit. 6
Nec aliud decet tuis manibus educatam, tuis praeceptis institutam,
quae nihil in contubernio tuo viderit, nisi sanctum honestumque,
quae denique amare me ex tua praedicatione consueverit. 7
Nam cum matrem meam parentis loco vererere, me a pueritia statim
formare laudare, talemque qualis nunc uxori meae videor, ominari
solebas. 8 Certatim ergo tibi gratias agimus, ego quod
illam mihi, illa quod me sibi dederis, quasi invicem elegeris.
Vale. |
LETTRE XX.
PLINE A MAXIME.
A mesure que j'ai achevé de lire chaque partie de votre ouvrage, je
vous en ai mandé mon sentiment : il faut vous dire aujourd'hui ce
que je pense de l'ouvrage entier. Il m'a paru beau, solide, varié,
délicat, élégant, poli, sublime, plein de figures agréables, et
d'une étendue qui ne fait que contribuer à la gloire de l'auteur.
Votre
esprit et votre douleur ont ensemble déployé toute leur force, et se
sont réciproquement soutenus. L'esprit y donne de la magnificence
et de la majesté à la douleur ; et la douleur donne de la vivacité
et de la véhémence à l'esprit.
Adieu. |
IV, 20
C. Plinius Novio Maximo suo s.
1
Quid senserim de singulis tuis libris, notum tibi ut quemque
perlegeram feci; accipe nunc quid de universis generaliter judicem.
2 Est opus pulchrum validum acre sublime, varium elegans
purum figuratum, spatiosum etiam et cum magna tua laude diffusum, in
quo tu ingenii simul dolorisque velis latissime vectus es; et horum
utrumque invicem adjumento fuit. 3 Nam dolori
sublimitatem et magnificentiam ingenium, ingenio vim et amaritudinem
dolor addidit.
Vale. |
LETTRE XXI.
PLINE A VÉLIUS CÉRÉALIS.
Que le sort des Helvidies est triste et funeste ! Ces deux soeurs
sont mortes en couche, toutes deux après avoir mis au monde une
fille. Je suis pénétré de douleur; et je ne puis l'être trop, tant
il me paraît cruel de perdre, par une malheureuse fécondité, ces
deux aimables personnes dans la fleur de leur âge. Je plains de
pauvres enfants à qui le même moment donne le jour et ôte leur mère;
je plains les maris; je me plains moi-même. J'aime le père des
Helvidies, tout mort qu'il est ; et je l'aime avec une constance
dont mes discours et mes livres sont de fidèles témoins. Je ne puis,
sans un extrême chagrin, voir qu'il ne lui reste qu'un seul de ses
trois enfants, et que sa maison, auparavant soutenue de tant
d'appuis, n'en ait plus qu'un. Ce me sera pourtant une douce
consolation, si la fortune nous conserve au moins ce fils, pour nous
rendre en sa personne son aïeul et son père. Sa vie et ses moeurs me
donnent d'autant plus d'inquiétude, qu'il est devenu unique. Vous
qui connaissez ma faiblesse et mes alarmes pour les personnes que
j'aime, vous ne serez pas surpris de me voir tant craindre pour un
jeune homme de qui l'on a tant à espérer.
Adieu. |
IV, 21
C. Plinius Velio Ceriali suo s.
1
Tristem et acerbum casum Helvidiarum sororum! Utraque a partu,
utraque filiam enixa decessit. 2 Afficior dolore, nec
tamen supra modum doleo: ita mihi luctuosum videtur, quod puellas
honestissimas in flore primo fecunditas abstulit. Angor infantium
sorte, quae sunt parentibus statim et dum nascuntur orbatae, angor
optimorum maritorum, angor etiam meo nomine. 3 Nam patrem
illarum defunctum quoque perseverantissime diligo, ut actione mea
librisque testatum est; cui nunc unus ex tribus liberis superest,
domumque pluribus adminiculis paulo ante fundatam desolatus fulcit
ac sustinet. 4 Magno tamen fomento dolor meus acquiescit,
si hunc saltem fortem et incolumem, paremque illi patri illi avo
fortuna servaverit. Cujus ego pro salute pro moribus, hoc sum magis
anxius quod unicus factus est. 5 Nosti in amore mollitiam
animi mei, nosti metus; quo minus te mirari oportebit, quod plurimum
timeam, de quo plurimum spero.
Vale. |
LETTRE XXII.
PLINE A SEMPRONIUS RUFUS.
J'ai été appelé au conseil de l'empereur, pour dire mon avis sur une
question singulière. On célébrait à Vienne des jeux publics, fondés
par le testament d'un particulier. Trébonius Rufinus, homme d'un
rare mérite, et mon ami, les abolit pendant qu'il était duumvir.
L'on soutenait qu'il n'avait pu s'attribuer cette autorité. Il
plaida lui-même, avec autant de succès que d'éloquence. Ce qui
donna plus d'éclat à son action, c'est que, dans sa propre cause,
il parla en Romain, en bon citoyen, avec beaucoup de sagesse et de
dignité. Lorsqu'on prit les voix, Junius Maurieus, dont la fermeté
et la sincérité n'ont rien d'égal, ne se contenta pas de dire qu'il
ne fallait pas rétablir ces spectacles à Vienne; il ajouta : Je
voudrais même qu'on les supprimât à Rome. C'est, dites-vous, montrer
beaucoup de hardiesse et de force; mais cela n'est pas surprenant
dans Mauricus. Ce qu'il dit à la table de Nerva n'est pas moins
hardi. Cet empereur soupait avec un petit nombre de ses amis.
Vejento, célèbre adulateur, était le plus près de lui, et penché sur
son sein. C'est tout vous dire que de vous nommer le personnage. La
conversation tomba sur Catullus Messalinus, qui, cruel
naturellement, avait, en perdant la vue, achevé de perdre tout
sentiment d'humanité. Il ne connaissait ni l'honneur, ni la honte,
ni la pitié. Il était, entre les mains de Domitien, comme un trait
toujours prêt à être emporté par une impétuosité aveugle, et que cet
empereur lançait souvent contre les plus gens de bien. Chacun,
pendant le souper, s'entretenait de la scélératesse de Messalinus et de ses avis sanguinaires. Alors Nerva prenant
la parole : Que pensez-vous, dit-il, qu'il lui arrivât, s'il vivait
encore? De souper avec nous, répondit hardiment Mauriens. Je me
suis trop écarté, mais non pas sans dessein. On prononça la
suppression de ces jeux, qui n'avaient fait que corrompre les moeurs
de Vienne, comme nos jeux corrompent les moeurs de l'univers : car
les vices des Viennois sont renfermés dans leurs murailles; les
nôtres se répandent par toute la terre. Et, dans le corps politique
comme dans le corps humain, la plus dangereuse de toutes les
maladies, c'est celle qui vient de la tète.
Adieu. |
IV, 22
C. Plinius Sempronio Rufo suo s.
1
Interfui principis optimi cognitioni in consilium assumptus.
Gymnicus agon apud Viennenses ex cujusdam testamento celebratur.
Hunc Trebonius Rufinus, vir egregius nobisque amicus, in duumviratu
tollendum abolendumque curavit. 2 Negabatur ex
auctoritate publica fecisse. Egit ipse causam non minus feliciter
quam diserte. Commendabat actionem, quod tamquam homo Romanus et
bonus civis in negotio suo mature et graviter loquebatur. 3
Cum sententiae perrogarentur, dixit Junius Mauricus, quo viro nihil
firmius nihil verius, non esse restituendum Viennensibus agona;
adjecit ‘Vellem etiam Romae tolli posset.’ 4 Constanter,
inquis, et fortiter; quidni? sed hoc a Maurico novum non est. Idem
apud imperatorem Nervam non minus fortiter. Cenabat Nerva cum
paucis; Vejento proximus atque etiam in sinu recumbebat: dixi omnia
cum hominem nominavi. 5 Incidit sermo de Catullo
Messalino, qui luminibus orbatus ingenio saevo mala caecitatis
addiderat: non verebatur, non erubescebat, non miserebatur; quo
saepius a Domitiano non secus ac tela, quae et ipsa caeca et
improvida feruntur, in optimum quemque contorquebatur. 6
De hujus nequitia sanguinariisque sententiis in commune omnes super
cenam loquebantur, cum ipse imperator: ‘Quid putamus passurum fuisse
si viveret?’ Et Mauricus: ‘Nobiscum cenaret.’ 7 Longius
abii, libens tamen. Placuit agona tolli, qui mores Viennensium
infecerat, ut noster hic omnium. Nam Viennensium vitia intra ipsos
residunt, nostra late vagantur, utque in corporibus sic in imperio
gravissimus est morbus, qui a capite diffunditur.
Vale. |
LETTRE XXIII.
PLINE A POMPONIUS BASSUS.
J'apprends avec plaisir, par nos amis communs, que, dans un séjour
délicieux; vous usez de votre loisir en homme sage; que souvent vous
vous promenez sur terre et sur mer; que vous donnez beaucoup de
temps aux dissertations, aux conférences, à la lecture, et qu'il
n'est point de jour que vous n'ajoutiez quelque nouvelle
connaissance à cette grande érudition que vous avez déjà. C'est
ainsi que doit vieillir un homme non moins distingué dans les
fonctions de la magistrature que dans le commandement des armées,
et qui s'est tout dévoué au service de la république, tant que
l'honneur l'a voulu. Nous devons à la patrie notre premier et notre
second âge; mais nous nous devons le dernier à nous-mêmes. Les lois
semblent nous le conseiller, lorsqu'à soixante ans elles nous
rendent au repos. Quand aurai-je la liberté d'en jouir? Quand
l'âge me permettra-t-il d'imiter une retraite si honorable? Quand la
mienne ne pourra-t-elle plus être appelée paresse, mais une
glorieuse oisiveté?
Adieu. |
IV, 23
C. Plinius Pomponio Basso suo s.
1
Magnam cepi voluptatem, cum ex communibus amicis cognovi te, ut
sapientia tua dignum est, et disponere otium et ferre, habitare
amoenissime, et nunc terra nunc mari corpus agitare, multum
disputare, multum audire multum lectitare, cumque plurimum scias,
cotidie tamen aliquid addiscere. 2 Ita senescere oportet
virum, qui magistratus amplissimos gesserit, exercitus rexerit,
totumque se rei publicae quam diu decebat obtulerit. 3
Nam et prima vitae tempora et media patriae, extrema nobis impertire
debemus, ut ipsae leges monent, quae majorem annis otio reddunt.
4 Quando mihi licebit, quando per aetatem honestum erit
imitari istud pulcherrimae quietis exemplum? quando secessus mei non
desidiae nomen sc tranquillitatis accipient?
Vale. |
LETTRE XXIV.
PLINE A VALENS.
Ces jours passés, comme je plaidais devant les centumvirs, les
quatre chambres assemblées, je me souvins que la même chose m'était
arrivée dans ma jeunesse. Mes réflexions, à l'ordinaire,
m'emportèrent plus loin. Je commençai à rappeler dans ma mémoire
ceux qui, comme moi, suivaient le barreau dans le temps de la
première cause, et ceux qui le suivaient dans le temps de celle-ci.
Je m'aperçus que j'étais le seul qui se fût trouvé à l'une et à
l'autre, tant les lois de la nature, tant les caprices de la
fortune font de révolutions dans le monde! Les uns sont morts, les
autres bannis. L'âge ou les infirmités ont condamné celui-ci au
silence; la sagesse ménage à celui-là une heureuse tranquillité.
L'un commande une armée; la faveur du prince dispense l'autre des
emplois pénibles. Moi-même, à quelles vicissitudes n'ai-je point été
sujet? Les belles-lettres m'ont élevé d'abord, abaissé dans la
suite, enfin relevé. Mes liaisons avec les gens de bien m'ont été
fort utiles, puis très préjudiciables, à la fin très avantageuses.
Si vous supputez les années où sont arrivées tant de révolutions, le
temps vous paraîtra court; si vous faites attention sur les
événements, vous croirez parcourir un siècle. Tant de changements,
si rapidement amenés, sont bien propres à nous apprendre qu'on ne
doit désespérer de rien, ne compter sur rien. J'ai coutume de vous
communiquer toutes mes pensées, de vous faire
les mêmes leçons, de vous proposer les mêmes exemples qu'à moi-même.
C'est l'intention que j'ai dans cette lettre.
Adieu. |
IV, 24
C. Plinius Fabio Valenti suo s.
1
Proxime cum apud centumviros in quadruplici judicio dixissem, subiit
recordatio egisse me juvenem aeque in quadruplici. 2
Processit animus ut solet longius: coepi reputare quos in hoc
judicio, quos in illo socios laboris habuissem. Solus eram qui in
utroque dixissem: tantas conversiones aut fragilitas mortalitatis
aut fortunae mobilitas facit. 3 Quidam ex iis qui tunc
egerant decesserunt, exsulant alii; huic aetas et valetudo silentium
suasit, hic sponte beatissimo otio fruitur; alius exercitum regit,
illum civilibus officiis principis amicitia exemit. 4
Circa nos ipsos quam multa mutata sunt! Studiis processimus, studiis
periclitati sumus, rursusque processimus: 5 profuerunt
nobis bonorum amicitiae, bonorum obfuerunt iterumque prosunt. Si
computes annos, exiguum tempus, si vices rerum, aevum putes; 6
quod potest esse documento nihil desperare, nulli rei fidere, cum
videamus tot varietates tam volubili orbe circumagi. 7
Mihi autem familiare est omnes cogitationes meas tecum communicare,
isdemque te vel praeceptis vel exemplis monere, quibus ipse me
moneo; quae ratio hujus epistulae fuit.
Vale. |
LETTRE XXV.
PLINE A MAXIME.
Je vous avais bien dit qu'il était à craindre que le scrutin
n'amenât quelque désordre. C'est ce qui vient d'arriver à la
dernière élection des magistrats. Dans plusieurs billets, on a
trouvé des plaisanteries; en quelques-uns, des impertinences
grossières; dans un entre autres, à la placé du nom des candidats,
le nom des protecteurs. Le sénat, plein d'indignation, fit grand
bruit, et souhaita que toute la colère de l'empereur pût tomber sur
l'auteur de cette insolence. Mais il a échappé à tous ces
ressentiments; il est demeuré ignoré, et peut-être était-il un de
ceux qui criaient le plus haut. Quelle liberté, à votre avis, ne se
donne pas chez lui cet homme, qui dans une affaire sérieuse, en une
occasion de cette importance, ose faire ainsi le farceur, et qui
bouffonne et turlupine au milieu du sénat? Un tel homme se dit à
lui-même : Eh! qui le saura? Cette pensée produit seule cette audace
dans les âmes basses. Demander du papier, prendre la plume, baisser
la tête pour écrire, ne craindre point le témoignage des autres,
mépriser le sien propre : voilà quelle est la source d'où coulent
ces bons mots, dignes du théâtre et des halles. De quel côté se
tourner? Quelque remède que l'on emploie, le mal surmonte le remède.
Mais ce soin regarde quelque autre puissance, au zèle et aux travaux
de laquelle notre mollesse et notre licence préparent de jour en
jour de nouveaux sujets de réforme.
Adieu. |
IV, 25
C. Plinius Maesio Maximo suo s.
1
Scripseram tibi verendum esse, ne ex tacitis suffragiis vitium
aliquod exsisteret. Factum est. Proximis comitiis in quibusdam
tabellis multa jocularia atque etiam foeda dictu, in una vero pro
candidatorum nominibus suffragatorum nomina inventa sunt. 2
Excanduit senatus magnoque clamore ei qui scripsisset iratum
principem est comprecatus. Ille tamen fefellit et latuit, fortasse
etiam inter indignantes fuit. 3 Quid hunc putamus domi
facere, qui in tanta re tam serio tempore tam scurriliter ludat, qui
denique omnino in senatu dicax et urbanus et bellus est? 4
Tantum licentiae pravis ingeniis adicit illa fiducia: ‘Quis enim
sciet?’ Poposcit tabellas, stilum accepit, demisit caput, neminem
veretur, se contemnit. 5 Inde ista ludibria scaena et
pulpito digna. Quo te vertas? quae remedia conquiras? Ubique vitia
remediis fortiora. Ἀλλὰ ταῦτα τῷ ὑπὲρ ἡμᾶς μελήσει, cui multum
cotidie vigiliarum, multum laboris adicit haec nostra iners et tamen
effrenata petulantia.
Vale. |
LETTRE XXVI.
PLINE A NÉPOS.
Vous voulez que je charge quelqu'un de relire et de corriger avec
exactitude l'exemplaire de mes ouvrages que vous avez acheté. Je le
ferai. Quel soin plus agréable pourrais-je prendre, principalement
à votre prière? Lorsqu'un homme de votre Importance, si savant, si
éloquent, par-dessus tout cela si occupé, et qui va gouverner une
grande province, a si bonne opinion de mes ouvrages que de les
vouloir emporter avec lui, dans quelle obligation ne suis-je pas de
mettre ordre que cette partie de son bagage ne l'embarrasse pas
comme inutile? Je ferai donc en sorte que cette compagnie ne vous
soit pas à charge, et je vous en préparerai une recrue à votre
retour, car rien ne peut tant m'engager à de nouvelles compositions,
qu'un lecteur tel que vous.
Adieu. |
IV, 26
C. Plinius Maecilio Nepoti suo s.
1
Petis ut libellos meos, quos studiosissime comparasti,
recognoscendos emendandosque curem. Faciam. Quid enim suscipere
libentius debeo, te praesertim exigente? 2 Nam cum vir
gravissimus doctissimus disertissimus, super haec occupatissimus,
maximae provinciae praefuturus, tanti putes scripta nostra
circumferre tecum, quanto opere mihi providendum est, ne te haec
pars sarcinarum tamquam supervacua offendat! 3 Adnitar
ergo, primum ut comites istos quam commodissimos habeas, deinde ut
reversus invenias, quos istis addere velis. Neque enim mediocriter
me ad nova opera tu lector hortaris.
Vale. |
LETTRE XXVII.
PLINE A FALCON.
Il y a trois jours que j'entendis avec beaucoup de plaisir, et même
avec admiration, la lecture des ouvrages de Sentius Augurinus. Il
les appelle petites poésies. Il y en a de délicates, de simples, de
nobles, de galantes, de tendres, de douces, de piquantes. Si
l'amitié que je lui porte, ou les louanges qu'il m'a données, ne
m'ont point ébloui, il ne s'est rien fait de plus achevé dans ce
genre depuis quelques années. Le sujet de la pièce qu'il a faite
pour moi roule sur ce que je m'amuse quelquefois à faire des vers
badins. Vous
allez vous-même juger de mon jugement, si le second vers de cette
pièce me revient; car je tiens les autres. Bon ! le voilà revenu.
Ma muse enjouée et badine
Imite Catulle et Calvus;
Mais je veux n'imiter que Pline :
Lui seul les vaut tous deux, s'il ne vaut encor plus.
Qui sait
mieux, dans un tendre ouvrage,
Parler un amoureux langage?
Quoi! ce Pline si sérieux
Et si grave?....
Oui, ce Pline, épris de deux beaux yeux,
Fait
quelquefois des vers où règne la tendresse :
Il célèbre l'amour.
Caton en lit autant.
Vous qui vous piquez de sagesse,
Refusez d'aimer maintenant!
Vous voyez quelle finesse, quelle justesse, quelle vivacité. Le
livre entier est écrit dans ce goût. Je vous en promets un
exemplaire dès qu'il aura vu le jour. Aimez toujours ce jeune homme
par avance. Réjouissez-vous pour notre siècle, illustré par un
esprit si rare, et à qui les vertus qui l'accompagnent donnent un
nouveau prix. Il passe sa vie tantôt auprès de Spurinna, tantôt
auprès d'Antonin, allié de l'un, intime ami de tous les deux. Jugez
par là du mérite d'un jeune homme que des vieillards si vénérables
aiment tant; car rien n'est plus vrai que cette maxime :
D'ordinaire on ressemble à ceux que l'on fréquente.
Adieu. |
IV, 27
C. Plinius Pompejo Falconi suo s.
1
Tertius dies est quod audivi recitantem Sentium Augurinum cum summa
mea voluptate, immo etiam admiratione. Poematia appellat. Multa
tenuiter multa sublimiter, multa venuste multa tenere, multa
dulciter multa cum bile. 2 Aliquot annis puto nihil
generis ejusdem absolutius scriptum, nisi forte me fallit aut amor
ejus aut quod ipsum me laudibus vexit. 3 Nam lemma sibi
sumpsit, quod ego interdum versibus ludo. Atque adeo judicii mei te
judicem faciam, si mihi ex hoc ipso lemmate secundus versus
occurrerit; nam ceteros teneo et jam explicui.
4
Canto carmina versibus minutis,
his olim quibus et meus Catullus
et Calvus veteresque. Sed quid ad me?
Unus Plinius est mihi priores:
mavult versiculos foro relicto
et quaerit quod amet, putatque amari.
Ille o Plinius, ille quot Catones!
I nunc, quisquis amas, amare noli.
5
Vides quam acuta omnia quam apta quam expressa. Ad hunc gustum totum
librum repromitto, quem tibi ut primum publicaverit exhibebo.
Interim ama juvenem et temporibus nostris gratulare pro ingenio
tali, quod ille moribus adornat. Vivit cum Spurinna, vivit cum
Antonino, quorum alteri affinis, utrique contubernalis est. 6
Possis ex hoc facere conjecturam, quam sit emendatus adulescens, qui
a gravissimis senibus sic amatur. Est enim illud verissimum:
γιγνώσκων ὅτι
τοιοῦτός ἐστιν, οἷσπερ ἥδεται συνών
Vale. |
LETTRE XXVIII.
PLINE A SÉVÈRE.
Hérennius Sévérus, très savant homme, se fait un grand honneur de
placer dans sa bibliothèque les portraits de deux de vos
compatriotes,
Cornélius Népos et Titus Cassius. Il me prie de lui eu faire faire
des copies, s'ils se trouvent dans le lieu où vous êtes, comme il y
a apparence qu'ils y sont. Trois raisons m'engagent à vous charger
de ce soin. L'une, c'est que votre complaisance et votre amitié ne
laissent jamais languir mes moindres désirs; l'autre, votre passion
pour les belles-lettres, et votre amour pour ceux qui les cultivent.
Enfin, votre dévouement aux intérêts de votre patrie et de toutes
les personnes qui lui ont fait honneur, et pour qui vous n'avez
guère moins de respect et de tendresse que pour elle. Je vous
supplie donc de choisir le plus excellent peintre : car s'il est
extrêmement difficile d'attraper la ressemblance dans un original,
combien l'est-il davantage dans une copie? Faites, je vous prie,
qu'elle ne s'en écarte en rien, pas même pour faire mieux.
Adieu. |
IV, 28
C. Plinius Vibio Severo suo s.
1
Herennius Severus vir doctissimus magni aestimat in bibliotheca sua
ponere imagines municipum tuorum Corneli Nepotis et Titi Cati
petitque, si sunt istic, ut esse credibile est, exscribendas
pingendasque delegem. 2 Quam curam tibi potissimum
injungo, primum quia desideriis meis amicissime obsequeris, deinde
quia tibi studiorum summa reverentia, summus amor studiosorum,
postremo quod patriam tuam omnesque, qui nomen ejus auxerunt, ut
patriam ipsam veneraris et diligis. 3 Peto autem, ut
pictorem quam diligentissimum assumas. Nam cum est arduum
similitudinem effingere ex vero, tum longe difficillima est
imitationis imitatio; a qua rogo ut artificem quem elegeris ne in
melius quidem sinas aberrare.
Vale. |
LETTRE XXIX.
PLINE A ROMANUS.
Holà, paresseux! ne manquez pas de vous ranger à votre devoir, et de
venir faire votre métier de juge à la première audience qui se
tiendra. Ne comptez pas que vous puissiez vous en reposer sur moi.
On ne s'en dispense pas impunément. Licinius Népos, préteur, homme
ferme et sévère, vient de condamner à l'amende un sénateur même. Le
sénateur a plaidé sa cause dans le sénat; mais il a plaidé en homme
qui demande grâce. Il a été déchargé; mais il en a eu la peur, mais
il a prié, mais il a eu besoin de pardon. Tous les préteurs,
dites-vous, ne sont pas si méchants. Vous vous trompez. Il faut de
la sévérité pour établir ou pour ramener de tels exemples :
mais quand ils sont une fois établis ou ramenés, l'esprit le plus
doux peut aisément les suivre.
Adieu. |
IV, 29
C. Plinius Romatio Firmo suo s.
1
Heja tu! cum proxime res agentur, quoquo modo ad judicandum veni:
Nihil est, quod in dextram aurem fiducia mei dormias. Non impune
cessatur. 2 Ecce Licinius Nepos praetor! Acer et fortis
et praetor, multam dixit etiam senatori. Egit ille in senatu causam
suam, egit autem sic ut deprecaretur. Remissa est multa, sed timuit,
sed rogavit, sed opus venia fuit. 3 Dices: ‘Non omnes
praetores tam severi.’ Falleris; nam vel instituere vel reducere
ejusmodi exemplum non nisi severi, institutum reductumve exercere
etiam lenissimi possunt.
Vale. |
LETTRE XXX.
PLINE A LICINIUS.
Je vous ai rapporté de mon pays, pour présent, de quoi exercer
cette vaste érudition à qui rien n'échappe. Une fontaine prend sa
source dans une montagne, coule entre des rochers, passe dans une
petite salle à manger faite auprès, s'arrête quelque temps, et enfin
tombe dans le lac de Côme. Ce qui rend cette fontaine merveilleuse,
c'est qu'elle a un flux et un reflux; qu'elle hausse et baisse
règlement trois fois le jour. Ce jeu de la nature est sensible aux
yeux, et on ne le peut voir sans un extrême plaisir. Vous pouvez
vous asseoir sur les bords de cette fontaine, y manger, boire même
de son eau, car elle est très fraîche; et vous voyez cependant, ou
qu'elle monte peu à peu, ou qu'insensiblement elle se retire. Vous
mettez un anneau, ou ce qu'il vous plaît, en un endroit de ses bords
qui est à sec : l'eau, qui revient peu à peu, gagne l'anneau , le
mouille, et le couvre tout à fait. Quelques moments après, l'eau,
qui baisse peu à peu, découvre l'anneau, et à la fin l'abandonne.
Si vous observez longtemps ces mouvements divers, vous verrez la
même chose arriver jusqu'à deux et trois fois par jour. Quelque vent
renfermé dans le sein de la terre ouvrirait-il ou fermerait-il
quelquefois la source de cette fontaine, selon que ce vent ou
revient plus tôt, ou qu'il a été plus avant poussé, à peu près comme
il arrive dans une bouteille dont l'ouverture est un peu étroite?
Quoique vous la renversiez, l'eau qui en sort ne coule pas
également; mais, comme si l'air qui fait effort pour entrer la
retenait, elle ne tombe que par de fréquents élans, qui ne
ressemblent pas mal à des sanglots. La même cause qui fait croître
et décroître la mer si régulièrement ferait-elle le mouvement réglé
de cette fontaine? Ne serait-ce point aussi que comme les fleuves,
emportés par leur pente vers la mer, sont forcés quelquefois de
remonter, par des vents ou par un reflux qui s'opposent à leurs
cours; de même il se rencontre quelque obstacle interne, qui
successivement arrête et renvoie l'eau de cette fontaine? N'y
aurait-il point plutôt une certaine capacité dans les veines qui
fournissent cette eau, et qui fait que lorsqu'elles se sont
épuisées, et qu'elles en rassemblent de nouvelles, la fontaine, qui
n'en reçoit plus, diminue, et coule plus lentement; qu'au contraire
elle augmente, et coule plus vite, dès que ces mêmes veines remplies
renvoient la nouvelle eau qu'elles ont ramassée? Enfin, se ferait-il
quelque balancement secret dans le lien qui renferme ces eaux, en
sorte que, lorsqu'il est moins rempli, il en fasse un
épanchement
plus libre, et qu'au contraire, lorsqu'il est plus plein, il le
fasse plus difficilement et par bouillons? C'est à vous à découvrir
et à nous apprendre les véritables causes de ce prodige. Qui le
pourrait mieux? Pour moi, je suis content si je vous ai bien exposé
le fait.
Adieu. |
IV, 30
C. Plinius Licinio Surae suo s.
1
Attuli tibi ex patria mea pro munusculo quaestionem altissima ista
eruditione dignissimam. 2 Fons oritur in monte, per saxa
decurrit, excipitur cenatiuncula manu facta; ibi paulum retentus in
Larium lacum decidit. Hujus mira natura: ter in die statis auctibus
ac diminutionibus crescit decrescitque. 3 Cernitur id
palam et cum summa voluptate deprenditur. Juxta recumbis et
vesceris, atque etiam ex ipso fonte (nam est frigidissimus) potas;
interim ille certis dimensisque momentis vel subtrahitur vel
assurgit. 4 Anulum seu quid; aliud ponis in sicco,
alluitur sensim ac novissime operitur, detegitur rursus paulatimque
deseritur. Si diutius observes, utrumque iterum ac tertio videas.
5 Spiritusne aliquis occultior os fontis et fauces modo
laxat modo includit, prout illatus occurrit aut decessit expulsus?
6 Quod in ampullis ceterisque generis ejusdem videmus
accidere, quibus non hians nec statim patens exitus. Nam illa
quoque, quamquam prona atque vergentia, per quasdam obluctantis
animae moras crebris quasi singultibus sistunt quod effundunt.
7 An, quae oceano natura, fonti quoque, quaque ille ratione
aut impellitur aut resorbetur, hac modicus hic umor vicibus alternis
supprimitur egeritur? 8 An ut flumina, quae in mare
deferuntur, adversantibus ventis obvioque aestu retorquentur, ita
est aliquid quod hujus fontis excursum repercutiat? 9 An
latentibus venis certa mensura, quae dum colligit quod exhauserat,
minor rivus et pigrior; cum collegit, agilior majorque profertur?
10 An nescio quod libramentum abditum et caecum, quod cum
exinanitum est, suscitat et elicit fontem; cum repletum, moratur et
strangulat? 11 Scrutare tu causas (potes enim), quae
tantum miraculum efficiunt: mihi abunde est, si satis expressi quod
efficitur.
Vale. |
NOTES SUR LES LETTRES DE PLINE.
LIVRE IV
Lett. 1. Tifernum. Aujourd'hui Città di Castello. (D. S.)
Lett. 2. Regulus emancipavit ut heres matris. Elle
avait institué héritier son fils, au cas qu'il fût émancipé par son
père. (D. S.)
Lett. 3. Homerici senis. Vide Il. I , 249. (D. S.)
Lett. 4. Semestri tribunatu. Une charge de tribun semestre,
c'est-à-dire pour six mois. Les fonctions de tribun expiraient au
bout de ce temps.
Lett. 7. Ἀμαθία μὲν θράσος;, etc. Inscitia quidem audaciam,
consideratio autem tarditatem affert (Thucydides). (D. S.)
Ἐπάαρς τὴν φωνὴν, etc. Adtollens voceri , et exsultabundus, et verba
ex gutture promens (De corona). (D. S.)
Lett. 9. Πρόδρομον. Praecursoris officium fungentem. (D. S.)
Lett. 10. Sic adscripsisse legatum. La loi romaine ne
reconnaissait pas les legs faits à des esclaves.
Lett. 11. Declamaturus sum. M. de Sacy a lu dicens tristia,
etc., et il lie ces mots avec ce qui précède.
Albanam villam. Aujourd'hui Albano. (D. S.)
Nescio an innocens. M. de Sacy lit nocens. (D. S.)
Πολλὴν πρόνιαν, etc. Magnam cautionem adhibuit ut decenter caderet
(Ex Euripidis Hecuba). (D. S.)
Κεῖται Πάθροκλος. Jacet Patroclus. (Il. XVIII, 20). (D. S.)
Lett. 13. In Tusculum. Tusculum, aujourd'hui Frascati. (D.
S.)
Lett. 25. Ἀλλὰ ταῦτα τῶν. etc. Sed haec supra nos; alii curae erunt.
Nimirum Trajano, optimo principi. (D. S.)
Lett. 27. Γιφνώσκων ὅτι etc. Sciens, quod talis sit, quales ii,
quibuscum versari delectalur (Ex Euripidis Phoeniae). (D. S.)
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