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DES MATIERES DE PLINE LE JEUNE
PLINE LE JEUNE
LIVRE DEUXIÈME.
LETTRE I.
PLINE A VOCONIUS ROMANUS.
La pompe funèbre de Virginius Rufus, également distingué par son
mérite et par sa fortune, vient de donner aux Romains un spectacle
des plus beaux et des plus mémorables qu'ils aient eus depuis
longtemps. Il a joui trente années de sa gloire; il a eu le plaisir
de lire des poèmes et des histoires à sa louange, et de se voir
revivre avant que de mourir. Trois fois consul, il se vit élevé au
plus haut rang où pouvait monter un particulier qui n'avait pas
voulu être souverain. Suspect ou même odieux par ses vertus aux
empereurs, il s'était sauvé de leur jalousie et de leur haine; et
mourant, il n'eut la satisfaction de laisser la république entre les
mains du meilleur de tous les princes, et qui d'ailleurs l'honorait
d'une amitié particulière. Il semble que les destins eussent réservé
un si grand empereur pour faire les honneurs des funérailles d'un si
grand homme. Il a vécu quatre-vingt-trois ans, toujours heureux,
toujours admiré. Sa santé fut parfaite; et il n'eut d'autre
incommodité qu'un tremblement de mains, sans aucune douleur. Il est
vrai que sa mort a été longue et douloureuse; mais cela même n'a
fait que rehausser sa gloire. Comme il exerçait sa voix pour se
préparer à remercier publiquement l'empereur du consulat où il
l'avait élevé, un livre assez grand, qu'il tenait, échappe par son
propre poids à un homme de cet âge, et qui était debout. Il veut le
retenir, et se presse de le ramasser; le plancher était glissant, le
pied lui manque : il tombe, et se rompt une cuisse. Elle fut si mal
remise, que les os ne purent reprendre, la vieillesse s'opposant aux
efforts de la nature. Les obsèques de ce grand homme répandent un
nouvel éclat sur l'empereur, sur notre siècle, sur le barreau même.
Corneille Tacite, consul, a prononcé son éloge. La fortune, toujours
fidèle à Virginius, gardait pour dernière grâce un tel orateur à de
telles vertus. Quoiqu'il soit mort chargé d'années, comblé
d'honneurs, même de ceux qu'il a refusés, nous n'en devons pas moins
regretter ce modèle des anciennes moeurs. Mais personne ne le doit
plus que moi, qui ne l'aimais, qui ne l'admirais pas moins dans le
commerce familier que dans les emplois publics. Nous étions
originaires du même pays; nous étions nés dans des villes voisines
l'une de l'autre; nos terres se touchaient. Il m'avait été laissé
pour tuteur, et avait eu pour moi la tendresse d'un père. Je n'ai
point obtenu de charge qu'il ne l'ait briguée publiquement pour moi,
et qu'il n'ait accouru du fond de sa retraite pour m'appuyer de sa
présence et de son crédit, quoique depuis longtemps il eût renoncé à
ces sortes de devoirs. Enfin, le jour que les prêtres ont coutume de
nommer ceux qu'ils croient les plus dignes du sacerdoce, jamais il
ne manqua de me donner son suffrage. Cette vive affection ne se
démentit point pendant sa dernière maladie. Dans la crainte d'être
élu l'un des cinq commissaires que le sénat a chargés du soin de
retrancher les dépenses publiques, il me choisit à l'âge où vous me
voyez pour le remplacer, de préférence à tant d'amis et vieux et
consulaires. Mais de quelles paroles obligeantes n'accompagne-t-il
point cette faveur? Quand j'aurais un fils, dit-il, je
vous préférerais encore à lui. Jugez si j'ai raison de verser
dans votre sein des larmes que je donne à sa mort, et de les verser
comme si je n'avais pas dû m'y attendre : quoiqu'il ne soit
peut-être pas trop permis de la pleurer, ou d'appeler mort le
passage qu'il a fait d'une vie courte à une vie qui ne finira
jamais. Car enfin il vit, et ne cessera plus de vivre; jamais si
présent à l'esprit des hommes, jamais plus mêlé dans leurs discours,
que depuis qu'il ne paraît plus à leurs yeux. J'avais mille autres
choses à vous mander; mais mon esprit ne peut se détacher de
Virginius : je ne puis penser qu'à Virginius; son idée me revient
sans cesse. Je crois l'entendre, l'entretenir, l'embrasser. Nous
avons et nous aurons peut-être encore des citoyens qui sauront
atteindre à ses vertus; mais je ne crois pas qu'aucun arrive jamais
au comble de sa gloire.
Adieu. |
II, 1
C. Plinius Romano suo s.
1
Post aliquot annos insigne atque etiam memorabile populi Romani
oculis spectaculum exhibuit publicum funus Vergini Rufi, maximi et
clarissimi civis, perinde felicis. 2 Triginta annis
gloriae suae supervixit; legit scripta de se carmina, legit
historias et posteritati suae interfuit. Perfunctus est tertio
consulatu, ut summum fastigium privati hominis impleret, cum
principis noluisset. 3 Caesares quibus suspectus atque
etiam invisus virtutibus fuerat evasit, reliquit incolumem optimum
atque amicissimum, tamquam ad hunc ipsum honorem publici funeris
reservatus. 4 Annum tertium et octogensimum excessit in
altissima tranquillitate, pari veneratione. Usus est firma
valetudine, nisi quod solebant ei manus tremere, citra dolorem
tamen. Aditus tantum mortis durior longiorque, sed hic ipse
laudabilis. 5 Nam cum vocem praepararet acturus in
consulatu principi gratias, liber quem forte acceperat grandiorem,
et seni et stanti ipso pondere elapsus est. Hunc dum sequitur
colligitque, per leve et lubricum pavimentum fallente vestigio
cecidit coxamque fregit, quae parum apte collocata reluctante aetate
male coiit.
6
Hujus viri exsequiae magnum ornamentum principi magnum saeculo
magnum etiam foro et rostris attulerunt. Laudatus est a consule
Cornelio Tacito; nam hic supremus felicitati ejus cumulus accessit,
laudator eloquentissimus. 7 Et ille quidem plenus annis
abit, plenus honoribus, illis etiam quos recusavit: nobis tamen
quaerendus ac desiderandus est ut exemplar aevi prioris, mihi vero
praecipue, qui illum non solum publice quantum admirabar tantum
diligebam; 8 primum quod utrique eadem regio, municipia
finitima, agri etiam possessionesque conjunctae, praeterea quod ille
mihi tutor relictus affectum parentis exhibuit. Sic candidatum me
suffragio ornavit; sic ad omnes honores meos ex secessibus
accucurrit, cum jam pridem ejusmodi officiis renuntiasset; sic illo
die quo sacerdotes solent nominare quos dignissimos sacerdotio
judicant, me semper nominabat. 9 Quin etiam in hac
novissima valetudine, veritus ne forte inter quinqueviros crearetur,
qui minuendis publicis sumptibus judicio senatus constituebantur,
cum illi tot amici senes consularesque superessent, me hujus aetatis
per quem excusaretur elegit, his quidem verbis: ‘Etiam si filium
haberem, tibi mandarem.’
10
Quibus ex causis necesse est tamquam immaturam mortem ejus in sinu
tuo defleam, si tamen fas est aut flere aut omnino mortem vocare,
qua tanti viri mortalitas magis finita quam vita est. 11
Vivit enim vivetque semper, atque etiam latius in memoria hominum et
sermone versabitur, postquam ab oculis recessit. 12 Volo
tibi multa alia scribere, sed totus animus in hac una contemplatione
defixus est. Verginium cogito, Verginium video, Verginium jam vanis
imaginibus, recentibus tamen, audio alloquor teneo; cui fortasse
cives aliquos virtutibus pares et habemus et habebimus, gloria
neminem.
Vale. |
LETTRE Il.
PLINE A PAULIN.
Je suis en colère, et tout de bon. Je n'ai pas encore trop bien
démêlé si c'est avec raison. Tout ce qu'il y a de certain, c'est que
je suis fort en colère. Vous savez que l'amitié est quelquefois
injuste, souvent emportée, toujours querelleuse. Mon chagrin est
très grand ; peut-être n'est-il pas trop juste : mais je ne me fâche
ni plus ni moins que s'il était aussi juste que grand. Quoi! si
longtemps sans me donner de vos nouvelles! Je ne sache plus qu'un
moyen de m'apaiser, c'est de m'écrire à l'avenir fort souvent et de
très longues lettres. Je ne reçois que cette seule excuse. Je
traiterai toutes les autres de chansons; je ne me payerai pas de
toutes ces défaites. Je n'étais point à Rome, j'étais accablé
d'affaires. Car pour l'excuse, j'étais malade, aux dieux
ne plaise que vous puissiez vous en servir ! Moi, je me partage ici
entre l'étude et la paresse, enfants de l'oisiveté. |
II, 2
C. Plinius Paulino suo s.
1
Irascor, nec liquet mihi an debeam, sed irascor. Scis, quam sit amor
iniquus interdum, impotens saepe, μικραίτιος semper. Haec tamen
causa magna est, nescio an justa; sed ego, tamquam non minus justa
quam magna sit, graviter irascor, quod a te tam diu litterae nullae.
2 Exorare me potes uno modo, si nunc saltem plurimas et
longissimas miseris. Haec mihi sola excusatio vera, ceterae falsae
videbuntur. Non sum auditurus ‘non eram Romae’ vel ‘occupatior
eram’; illud enim nec di sinant, ut ‘infirmior’. Ipse ad villam
partim studiis partim desidia fruor, quorum utrumque ex otio
nascitur.
Vale. |
LETTRE III.
PLINE A NEPOS.
La renommée publiait des merveilles d'Iséus avant qu'il parût; et la
renommée n'en disait pas encore assez. Rien n'égale la facilité, la
variété, la richesse de ses expressions. Jamais il ne se prépare, et
il parle toujours en homme préparé. Il se sert de la langue grecque;
bien mieux, de l'attique. Ses exordes sont polis, déliés,
insinuants, quelquefois nobles et majestueux. Il demande plusieurs
sujets de problèmes. Il en laisse le choix aux auditeurs, et prend
le parti qu'il leur plaît. Il se lève, il se compose, il commence;
tout se trouve sous sa main. Ses pensées sont profondes; les paroles
(mais quelles paroles!) les plus propres et les plus choisies
semblent courir et voler au-devant de ses pensées. Il paraît, dans
ses discours les moins étudiés, qu'il a lu beaucoup, et beaucoup
composé. Il entre avec dignité dans son sujet; il narre avec clarté;
il presse vivement; il récapitule avec force, et sème partout des
fleurs. En un mot, il instruit, il plaît, il remue à ce point qu'on
ne saurait dire dans quoi il réussit le mieux. Il ramène sans cesse
de courtes réflexions, et des raisonnements si justes et si serrés,
que, même la plume à la main, on aurait peine à leur donner plus
d'agrément et plus d'énergie. Sa mémoire est un prodige. Il reprend
dès le commencement un discours fait sur-le-champ, et n'y manque pas
d'un mot. L'étude et l'exercice lui ont acquis ce merveilleux
talent. Car ce qu'il fait, ce qu'il entend, ce qu'il dit, tout se
rapporte là. Il passe soixante ans, et il s'exerce encore dans les
écoles. C'est chez des hommes de son caractère que l'on trouve de la
bonté, de la franchise, de la droiture dans toute sa pureté. Nous
autres qui passons notre vie dans les contestations réelles et
sérieuses, et dans le tumulte du barreau, nous apprenons, même
contre notre intention, plus de chicane que nous ne voulons. Les
écoles au contraire, où tout n'est que fiction, que fables, ne nous
offrent aussi que des sujets où l'imagination se joue, où l'esprit
s'amuse innocemment, surtout lorsque l'on est déjà sur l'âge : car
quel plaisir plus innocent pour la vieillesse, que ce qui fait le
plus doux amusement d'une jeunesse réglée? Je ne crois donc pas
seulement Iséus le plus éloquent, mais encore le plus heureux homme
du monde; et je vous crois le plus insensible, si vous ne mourez
d'envie de le connaître. Quand d'autres affaires, quand l'impatience
de me voir ne vous appelleraient pas ici, vous y devriez voler pour
l'entendre. N'avez-vous jamais lu qu'un citoyen de Cadix, charmé de
la réputation et de la gloire de Tite-Live, vint des extrémités du
monde pour le voir, le vit, et s'en retourna? Il faut être sans
goût, sans littérature, sans émulation (peu s'en faut que je ne dise
sans honneur), pour n'être pas piqué de cette curiosité, la plus
agréable, la plus belle, la plus digne d'un honnête homme. Vous me
direz peut-être, Je lis ici des ouvrages où l'on ne trouve pas moins
d'éloquence. Je le veux ; mais vous les lirez toujours quand il vous
plaira : vous ne pourrez pas toujours entendre ce grand homme.
Ignorez-vous d'ailleurs que la prononciation fait bien d'autres
impressions, et bien plus profondes? Quelque vivacité qu'il y ait
dans ce que vous lisez, ne comptez point qu'il pénètre aussi avant
que les traits que l'orateur enfonce par le geste, par la voix, et
par tous les autres accompagnements de la déclamation, si vous
n'êtes homme à traiter de fable ce que l'on raconte d'Eschine. Un
jour qu'il lisait à Rhodes la harangue que Démosthène avait faite
contre lui, les auditeurs charmés applaudissaient. Que serait-ce
donc, s'écria-t-il, si vous aviez entendu cette bête féroce
elle-même? Cependant Eschine, selon Démosthène, avait la
déclamation très véhémente; et ce même Eschine avouait que
Démosthène avait infiniment mieux prononcé que lui. Où tendent tous
ces raisonnements? A vous obliger d'entendre Iséus, quand ce ne
serait que pour dire que vous l'avez entendu.
Adieu. |
II.3
C. Plinius Nepoti suo s.
1
Magna Isaeum fama praecesserat, major inventus est. Summa est
facultas copia ubertas; dicit semper ex tempore, sed tamquam diu
scripserit. Sermo Graecus, immo Atticus; praefationes tersae
graciles dulces, graves interdum et erectae. 2 Poscit
controversias plures; electionem auditoribus permittit, saepe etiam
partes; surgit amicitur incipit; statim omnia ac paene pariter ad
manum, sensus reconditi occursant, verba (sed qualia!) quaesita et
exculta. Multa lectio in subitis, multa scriptio elucet. 3
Prohoemiatur apte, narrat aperte, pugnat acriter, colligit fortiter,
ornat excelse. Postremo docet delectat afficit; quid maxime,
dubites. Crebra ἐνθυμήματα crebri syllogismi, circumscripti et
effecti, quod stilo quoque assequi magnum est. Incredibilis memoria:
repetit altius quae dixit ex tempore, ne verbo quidem labitur.
4 Ad tantam ἕξιν studio et exercitatione pervenit; nam diebus
et noctibus nihil aliud agit nihil audit nihil loquitur. 5
Annum sexagensimum excessit et adhuc scholasticus tantum est: quo
genere hominum nihil aut sincerius aut simplicius aut melius. Nos
enim, qui in foro verisque litibus terimur, multum malitiae quamvis
nolimus addiscimus: 6 schola et auditorium et ficta causa
res inermis innoxia est, nec minus felix, senibus praesertim. Nam
quid in senectute felicius, quam quod dulcissimum est in juventa?
7 Quare ego Isaeum non disertissimum tantum, verum etiam
beatissimum judico. Quem tu nisi cognoscere concupiscis, saxeus
ferreusque es. 8 Proinde si non ob alia nosque ipsos, at
certe ut hunc audias veni. Numquamne legisti, Gaditanum quendam Titi
Livi nomine gloriaque commotum ad visendum eum ab ultimo terrarum
orbe venisse, statimque ut viderat abisse? Ἀφιλόκαλον illitteratum
iners ac paene etiam turpe est, non putare tanti cognitionem qua
nulla est jucundior, nulla pulchrior, nulla denique humanior. 9
Dices: ‘Habeo hic quos legam non minus disertos.’ Etiam; sed legendi
semper occasio est, audiendi non semper. Praeterea multo magis, ut
vulgo dicitur, viva vox afficit. Nam licet acriora sint quae legas,
altius tamen in animo sedent, quae pronuntiatio vultus habitus
gestus etiam dicentis affigit; 10 nisi vero falsum
putamus illud Aeschinis, qui cum legisset Rhodiis orationem
Demosthenis admirantibus cunctis, adjecisse fertur: τί δέ, εἰ αὐτοῦ
τοῦ θηρίου ἠκούσατε; et erat Aeschines si Demostheni credimus
λαμπροφωνότατος. Fatebatur tamen longe melius eadem illa
pronuntiasse ipsum qui pepererat. 11 Quae omnia huc
tendunt, ut audias Isaeum, vel ideo tantum ut audieris.
Vale.
|
LETTRE IV.
PLINE A CALVINE.
Si votre père avait laissé plusieurs créanciers, ou même un seul à
qui il dût plus qu'à moi, vous auriez raison de délibérer si vous
accepteriez une succession onéreuse, je ne dis pas à une femme
seulement, je dis même à un homme. Mais aujourd'hui j'ai satisfait
tous les plus incommodes, ou pour mieux dire les plus pressés. Les
liens qui nous unissent m'en faisaient un devoir. Je suis resté seul
et le dernier. J'avais déjà contribué cent mille sesterces pour
votre dot, outre la somme que votre père promit en quelque façon sur
mots bien (car c'était moi proprement qui la devais payer). Ainsi ma
conduite passée vous répond de moi. Vous pouvez hardiment épargner à
votre père la honte de n'avoir point d'héritier. Mais, pour donner à
mes avis toute la vertu que les effets donnent aux paroles, je vous
envoie une quittance générale de tout ce que me doit la succession.
N'appréhendez point qu'une telle donation me soit à charge; qu'elle
ne vous fasse point de peine. Il est vrai, j'ai un bien médiocre :
mon rang exige de la dépense; et mon revenu, par la nature de mes
terres, est aussi casuel que modique. Ce qui me manque de ce
côté-là, je le retrouve dans la frugalité, la source la plus assurée
de mes libéralités. Je sais bien pourtant qu'il ne faut pas y puiser
jusqu'à la tarir; mais je garde cette précaution pour d'autres que
vous. Je suis sûr qu'avec une amie de votre caractère, à quelque
excès que je porte mes bienfaits, la raison les justifiera toujours.
Adieu. |
II. 4.
C. Plinius Calvinae suae s.
1
Si pluribus pater tuus vel uni cuilibet alii quam mihi debuisset,
fuisset fortasse dubitandum, an adires hereditatem etiam viro
gravem. 2 Cum vero ego ductus affinitatis officio,
dimissis omnibus qui non dico molestiores sed diligentiores erant,
creditor solus exstiterim, cumque vivente eo nubenti tibi in dotem
centum milia contulerim, praeter eam summam quam pater tuus quasi de
meo dixit (erat enim solvenda de meo), magnum habes facilitatis meae
pignus, cujus fiducia debes famam defuncti pudoremque suscipere. Ad
quod te ne verbis magis quam rebus horter, quidquid mihi pater tuus
debuit, acceptum tibi fieri jubebo. 3 Nec est quod
verearis ne sit mihi onerosa ista donatio. Sunt quidem omnino nobis
modicae facultates, dignitas sumptuosa, reditus propter condicionem
agellorum nescio minor an incertior; sed quod cessat ex reditu,
frugalitate suppletur, ex qua velut fonte liberalitas nostra
decurrit. 4 Quae tamen ita temperanda est, ne nimia
profusione inarescat; sed temperanda in aliis, in te vero facile ei
ratio constabit, etiamsi modum excesserit.
Vale. |
LETTRE V.
PLINE A LUPERCUS.
Je vous envoie une pièce que vous m'avez demandée plus d'une fois,
et que je vous ai souvent promise. Vous n'en recevrez pourtant
aujourd'hui qu'une partie; l'antre est encore sous la lime.
Cependant j'ai cru que je ne ferais pas mal de mettre sous la vôtre
ce qui me paraissait déjà de plus achevé. Lisez, je vous prie, avec
la même application que j'ai composé. Il n'est encore sorti de mes
mains rien qui ait dû m'intéresser davantage. On n'osait à juger
dans mes autres discours que de mon zèle et de ma fidélité à remplir
mon ministère : ici l'on jugera de l'amour que j'ai pour la patrie.
Je ne pouvais manquer d'être long, emporté par le plaisir d'eu
relever jusqu'aux moindres avantages, de la justifier des plus
petits reproches, et de mettre sa gloire dans tout son jour. Coupez
pourtant, taillez à votre gré : car toutes les fois que je fais
réflexion sur le dégoût et sur la délicatesse de nos lecteurs, je
conçois qu'il est très prudent de donner à un livre jusqu'au mérite
du petit volume. Cependant je ne m'abandonne pas si fort à votre
sévérité, que je ne lui demande quartier pour les jeux d'esprit qui
ont pu m'échapper. Il faut bien donner quelque chose au goût des
jeunes gens, surtout lorsque le sujet n'y répugne pas. Dans ces
sortes d'ouvrages, il est permis de prêter aux descriptions des
lieux qui reviennent souvent, non seulement les ornements de
l'histoire, mais peut-être encore les embellissements de la poésie.
Que si quelqu'un croit que je me suis sur cela plus égayé que ne le
permettait le sérieux de mon sujet, les autres endroits de mon
discours demanderont grâce à ce censeur chagrin. J'ai, par la
variété de mon style, tâché de satisfaire les différentes
inclinations des lecteurs. Ainsi, dans la crainte que l'endroit qui
plaît à l'un ne déplaise à l'autre, je me flatte de l'espérance que
cette variété même sauvera le corps entier de l'ouvrage. Quand nous
sommes à table, nous ne touchons pas à tous les mets : nous louons
pourtant tout le repas; et ce qui n'est pas de notre goût ne fait
point de tort à ce qui en est. Non que je prétende avoir atteint au
degré de perfection dont je parle : je veux seulement vous faire
entendre que j'y visais. Peut-être même n'aurai-je pas perdu ma
peine, si vous prenez celle de retoucher ce que je vous envoie, et
ce que je vous enverrai bientôt. Vous direz qu'il ne vous est pas
possible de vous déterminer sans voir toute la pièce. Je l'avoue.
Cependant vous vous familiariserez toujours avec ces morceaux, et
vous y trouverez quelque endroit qui peut souffrir une critique
détachée. Que l'on vous présente une tète, ou quelque autre partie
d'une statue, vous ne pourrez pas dire si les proportions sont bien
gardées; vous ne laisserez pas de juger si cette partie est
parfaite. Et par quel autre motif va-t-on lire de maison en maison
les commencements d'un ouvrage, sinon parce que l'on est persuadé
qu'ils peuvent avoir leur beauté, indépendamment du reste? Je
m'aperçois que le plaisir de vous entretenir m'a mené loin. Je
finis. Il sied trop mal à un homme qui blâme même les longues
harangues, de faire de longues lettres.
Adieu. |
II, 5
C. Plinius Luperco suo s.
1
Actionem et a te frequenter efflagitatam, et a me saepe promissam,
exhibui tibi, nondum tamen totam; adhuc enim pars ejus perpolitur.
2 Interim quae absolutiora mihi videbantur, non fuit
alienum judicio tuo tradi. His tu rogo intentionem scribentis
accommodes. Nihil enim adhuc inter manus habui, cui majorem
sollicitudinem praestare deberem. 3 Nam in ceteris
actionibus existimationi hominum diligentia tantum et fides nostra,
in hac etiam pietas subicietur. Inde et liber crevit, dum ornare
patriam et amplificare gaudemus, pariterque et defensioni ejus
servimus et gloriae. 4 Tu tamen haec ipsa quantum ratio
exegerit reseca. Quotiens enim ad fastidium legentium deliciasque
respicio, intellego nobis commendationem et ex ipsa mediocritate
libri petendam. 5 Idem tamen qui a te hanc austeritatem
exigo, cogor id quod diversum est postulare, ut in plerisque frontem
remittas. Sunt enim quaedam adulescentium auribus danda, praesertim
si materia non refragetur; nam descriptiones locorum, quae in hoc
libro frequentiores erunt, non historice tantum sed prope poetice
prosequi fas est. 6 Quod tamen si quis exstiterit, qui
putet nos laetius fecisse quam orationis severitas exigat, hujus (ut
ita dixerim) tristitiam reliquae partes actionis exorare debebunt.
7 Adnisi certe sumus, ut quamlibet diversa genera
lectorum per plures dicendi species teneremus, ac sicut veremur, ne
quibusdam pars aliqua secundum suam cujusque naturam non probetur,
ita videmur posse confidere, ut universitatem omnibus varietas ipsa
commendet. 8 Nam et in ratione conviviorum, quamvis a
plerisque cibis singuli temperemus, totam tamen cenam laudare omnes
solemus, nec ea quae stomachus noster recusat, adimunt gratiam illis
quibus capitur. 9 Atque haec ego sic accipi volo, non
tamquam assecutum esse me credam, sed tamquam assequi laboraverim,
fortasse non frustra, si modo tu curam tuam admoveris interim istis,
mox iis quae sequuntur. 10 Dices te non posse satis
diligenter id facere, nisi prius totam actionem cognoveris: fateor.
In praesentia tamen et ista tibi familiariora fient, et quaedam ex
his talia erunt ut per partes emendari possint. 11
Etenim, si avulsum statuae caput aut membrum aliquod inspiceres, non
tu quidem ex illo posses congruentiam aequalitatemque deprendere,
posses tamen judicare, an id ipsum satis elegans esset; 12
nec alia ex causa principiorum libri circumferuntur, quam quia
existimatur pars aliqua etiam sine ceteris esse perfecta.
13
Longius me provexit dulcedo quaedam tecum loquendi; sed jam finem
faciam ne modum, quem etiam orationi adhibendum puto, in epistula
excedam.
Vale. |
LETTRE VI.
PLINE A AVITUS.
Il faudrait reprendre trop loin une histoire d'ailleurs inutile,
pour vous dire comment, malgré mon humeur réservée, je me suis
trouvé à souper chez un homme, selon lui, magnifique et économe;
selon moi, somptueux et mesquin tout à la fois. On servait pour lui
et pour un petit nombre de conviés des mets excellents : l'on ne
servait pour les autres que des viandes communes et de mauvais
ragoûts. Il y avait trois sortes de vins dans de petites bouteilles
différentes; non pas pour eu laisser le choix, mais pour l'ôter. Le
premier était pour la bouche du maître de la maison, et pour nous
qui étions aux premières places. Le second, pour les amis du second
rang (car il aime par étage). Le dernier, pour ses affranchis et
pour les nôtres. Quelqu'un qui se trouva près de moi me demanda si
j'approuvais l'ordonnance de ce repas. Je lui répondis que non. Et
comment donc en usez-vous? dit-il. Je fais servir également tout le
monde; car j'assemble mes amis pour les régaler, non pour les
offenser par des distinctions injurieuses. La différence du service
ne distingue point ceux que ma table égale. Quoi! reprit-il,
traitez-vous de même les affranchis? Pourquoi non? Dans ce moment je
ne vois point en eux d'affranchis, je n'y vois plus que des
convives. Cela vous coûte beaucoup? ajouta-t-il. Point du tout. Quel
secret avez-vous donc? Quel secret? C'est que mes affranchis ne
boivent pas le même vin que moi, et que je bois le même vin que mes
affranchis. Refusez à l'excessive délicatesse ce qu'elle vous
demande, et il ne vous coûtera plus rien de traiter les autres comme
vous. Il ne faut prendre que sur ce raffinement de bonne chère, et
lui ôter ce qu'il a de trop. Une économie réglée par notre
tempérance aura toujours meilleure grâce que celle qui sera fondée
sur le mépris que nous faisons des autres. A quoi tend ce discours?
A instruire un jeune homme bien né comme vous, à le préserver d'une
sorte de profusion énorme, et d'autant plus dangereuse qu'elle se
pare des dehors de l'économie. L'amitié que je vous ai vouée exige
de moi que, toutes les fois qu'en mon chemin je rencontre quelque
chose de semblable, je m'en serve pour vous avertir de ce qu'il faut
éviter. N'oubliez 'donc jamais que l'on ne peut avoir trop d'horreur
de ce monstrueux mélange d'avarice et de prodigalité; et que si un
seul de ces vices suffit pour ternir la réputation de quelqu'un,
celui qui les rassemble se déshonore infiniment davantage.
Adieu. |
II, 6
C. Plinius Avito suo s.
1
Longum est altius repetere nec refert, quemadmodum acciderit, ut
homo minime familiaris cenarem apud quendam, ut sibi videbatur,
lautum et diligentem, ut mihi, sordidum simul et sumptuosum. 2
Nam sibi et paucis opima quaedam, ceteris vilia et minuta ponebat.
Vinum etiam parvolis lagunculis in tria genera discripserat, non ut
potestas eligendi, sed ne jus esset recusandi, aliud sibi et nobis,
aliud minoribus amicis (nam gradatim amicos habet), aliud suis
nostrisque libertis. 3 Animadvertit qui mihi proximus
recumbebat, et an probarem interrogavit. Negavi. ‘Tu ergo’ inquit
‘quam consuetudinem sequeris?’ ‘Eadem omnibus pono; ad cenam enim,
non ad notam invito cunctisque rebus exaequo, quos mensa et toro
aequavi.’ 4 ‘Etiamne libertos?’ ‘Etiam; convictores enim
tunc, non libertos puto.’ Et ille: ‘Magno tibi constat.’ ‘Minime.’
‘Qui fieri potest?’ ‘Quia scilicet liberti mei non idem quod ego
bibunt, sed idem ego quod liberti.’ 5 Et hercule si gulae
temperes, non est onerosum quo utaris ipse communicare cum pluribus.
Illa ergo reprimenda, illa quasi in ordinem redigenda est, si
sumptibus parcas, quibus aliquanto rectius tua continentia quam
aliena contumelia consulas.
6
Quorsus haec? ne tibi, optimae indolis juveni, quorundam in mensa
luxuria specie frugalitatis imponat. Convenit autem amori in te meo,
quotiens tale aliquid inciderit, sub exemplo praemonere, quid debeas
fugere. 7 Igitur memento nihil magis esse vitandum quam
istam luxuriae et sordium novam societatem; quae cum sint turpissima
discreta ac separata, turpius junguntur.
Vale. |
LETTRE VII.
PLINE A MACRIN.
Hier le sénat, sur la proposition qu'en fit l'empereur, ordonna
qu'il serait élevé une statue triomphale à Vestricius Spurinna ; non
pas comme à tant d'autres qui ne se sont jamais trouvés à une
bataille, qui n'ont jamais vu de camp, et qui n'ont jamais entendu
la trompette qu'au milieu des spectacles; mais comme à ceux pour qui
leurs travaux, leurs exploits et leur sang la demandent. Spurinna, à
la tête d'une armée, a rétabli le roi des Bructères dans ses États;
et, ce qui est de toutes les victoires la plus glorieuse, il n'a
fait que paraître, pour dompter, par la terreur de ses armes, une
nation très belliqueuse. Mais au même temps que l'on a récompensé le
héros, on a pris soin de consoler le père. Spurinna, en son absence,
a perdu son fils Cottius, à qui l'on a aussi décerné une statue;
distinction rarement accordée à un homme de cet âge. Les services du
père l'avaient bien méritée : outre qu'une si grande plaie demandait
un tel appareil. L'heureux naturel de Cottius faisait, déjà voir
tant de vertus, que l'on ne pouvait prendre trop de soin
d'immortaliser en quelque sorte une vie si précieuse, mais si
courte. La pureté de ses moeurs, soutenue d'un extérieur grave,
imprimait tant de respect, qu'il ne l'eût point cédé aux vieillards,
à qui ce nouvel honneur l'a justement égalé. Cet honneur, si je ne
me trompe, ne se bornera pas à la consolation du père et à la gloire
du fils; il va faire naître une nouvelle émulation dans tous les
coeurs. Les jeunes gens, animés par l'espérance du même prix, vont
se distinguer à l'envi dans l'exercice des vertus. Les gens de
qualité s'empresseront d'élever des enfants, ou pour revivre en eux,
s'ils les conservent, ou pour être si glorieusement consolés, s'ils
les perdent. Voilà ce qui m'engage à me réjouir avec le public, et
plus encore avec moi-même, de la statue dressée à Cottius. J'aimais
ce jeune homme si accompli ; et je l'aimais avec une ardeur qui n'a
rien d'égal que le regret que je sens de sa perte. Je puis donc me
promettre beaucoup de satisfaction à jeter les yeux de temps en
temps sur sa statue, à la regarder, à la considérer avec attention,
à m'arrêter devant elle, à passer auprès d'elle. Si les portraits
des morts qui nous ont été chers adoucissent notre douleur lors même
que nous ne les voyons que dans notre maison, quel charme pour nous
de les rencontrer dans les places publiques! Non seulement ils nous
remettent devant les yeux leur air et leurs traits, mais ils nous
rappellent toutes leurs vertus et toute leur gloire.
Adieu. |
II, 7
C. Plinius Macrino suo s.
1
Here a senatu Vesticio Spurinnae principe auctore triumphalis statua
decreta est, non ita ut multis, qui numquam in acie steterunt,
numquam castra viderunt, numquam denique tubarum sonum nisi in
spectaculis audierunt, verum ut illis, qui decus istud sudore et
sanguine et factis assequebantur. 2 Nam Spurinna
Bructerum regem vi et armis induxit in regnum, ostentatoque bello
ferocissimam gentem, quod est pulcherrimum victoriae genus, terrore
perdomuit. 3 Et hoc quidem virtutis praemium, illud
solacium doloris accepit, quod filio ejus Cottio, quem amisit
absens, habitus est honor statuae. Rarum id in juvene; sed pater hoc
quoque merebatur, cujus gravissimo vulneri magno aliquo fomento
medendum fuit. 4 Praeterea Cottius ipse tam clarum
specimen indolis dederat, ut vita ejus brevis et angusta debuerit
hac velut immortalitate proferri. Nam tanta ei sanctitas gravitas
auctoritas etiam, ut posset senes illos provocare virtute, quibus
nunc honore adaequatus est. 5 Quo quidem honore, quantum
ego interpretor, non modo defuncti memoriae, dolori patris, verum
etiam exemplo prospectum est. Acuent ad bonas artes juventutem
adulescentibus quoque, digni sint modo, tanta praemia constituta;
acuent principes viros ad liberos suscipiendos et gaudia ex
superstitibus et ex amissis tam gloriosa solacia. 6 His
ex causis statua Cotti publice laetor, nec privatim minus. Amavi
consummatissimum juvenem, tam ardenter quam nunc impatienter
requiro. Erit ergo pergratum mihi hanc effigiem ejus subinde intueri
subinde respicere, sub hac consistere praeter hanc commeare. 7
Etenim si defunctorum imagines domi positae dolorem nostrum levant,
quanto magis hae quibus in celeberrimo loco non modo species et
vultus illorum, sed honor etiam et gloria refertur!
Vale. |
LETTRE VIII.
PLINE A CANINIUS.
Est-ce l'étude, est-ce la pêche, est-ce la chasse, ou les trois
ensemble, qui vous amusent? car on peut prendre ces trois sortes de
plaisirs dans notre charmante maison près du lac de Côme. Le lac
vous fournit du poisson ; les bois qui l'environnent sont pleins de
bêtes fauves; et la profonde tranquillité du lieu invite à l'étude.
Mais soit que toutes ces choses ensemble ou quelque autre vous
occupent, je n'oserais dire que je vous porte envie. Je souffre
pourtant avec beaucoup de peine qu'il ne me soit pas permis, aussi
bien qu'à vous, de goûter ces innocents plaisirs, après lesquels je
soupire avec la même ardeur que le malade soupire après les bains,
après le vin, après les eaux. Ne m'arrivera-t-il donc jamais de
rompre les noeuds qui m'attachent, puisque je ne puis les délier?
Non, je n'ose m'en flatter. Chaque jour, nouveaux embarras viennent
se joindre aux anciens. Une affaire n'est pas encore finie, qu'une
autre commence. La chaîne que forment mes occupations ne fait que
s'allonger et s'appesantir.
Adieu. |
II, 8
C. Plinius Caninio suo s.
1
Studes an piscaris an venaris an simul omnia? Possunt enim omnia
simul fieri ad Larium nostrum. Nam lacus piscem, feras silvae quibus
lacus cingitur, studia altissimus iste secessus affatim suggerunt.
2 Sed sive omnia simul sive aliquid facis, non possum
dicere ‘invideo’; angor tamen non et mihi licere, qui sic concupisco
ut aegri vinum balinea fontes. Numquamne hos artissimos laqueos, si
solvere negatur, abrumpam? Numquam, puto. 3 Nam veteribus
negotiis nova accrescunt, nec tamen priora peraguntur: tot nexibus,
tot quasi catenis maius in dies occupationum agmen extenditur.
Vale.
|
LETTRE IX.
PLINE A APOLLINAIRE.
Les démarches que fait mon ami Sextus Érucius pour obtenir la charge
de tribun me donnent une véritable inquiétude. Je ressens pour cet
autre moi-même des agitations qu'en pareille occasion je n'ai point
senties pour moi. D'ailleurs, il me semble que mon honneur, mou
crédit et ma dignité sont compromis. J'ai obtenu de l'empereur, pour
Sextus, une place dans le sénat, et la charge de questeur. Il doit à
mes sollicitations la permission de demander celle de tribun. Si le
sénat la lui refuse, j'ai peur que je ne paraisse avoir surpris le
prince. Je ne dois. donc rien oublier pour faire en sorte que le
jugement public confirme l'opinion que, sur ma parole, l'empereur en
a bien voulu concevoir. Quand une raison si pressante me manquerait,
je n'aurais guère moins d'ardeur pour l'élévation de Sextus. C'est
un jeune homme plein de probité, de sagesse, de savoir, et de qui
l'on ne peut dire trop de bien, ainsi que de toute sa maison. Son
père, Érucius Clarus, s'est acquis une grande réputation. Il n'a pas
moins de droiture que d'éloquence. Il ex celle dans la profession
d'avocat, dont il s'acquitte avec autant de modestie et de probité
que de courage. Caïus Septicius, son oncle, est la vérité, la
franchise, la candeur, la fidélité même. Ils m'aiment tous comme à
l'envi, et tous également. Voici une occasion où je puis, en payant
un seul, m'acquitter envers tous. J'emploie donc tous mes amis. Je
supplie, je brigue, je vais de maison en maison, je cours dans
toutes les places publiques; et je n'oublie rien pour voir jusqu'où
peuvent aller mon crédit et la considération que l'on a pour moi.
Partagez, s'il vous plaît, les soins et les mouvements que je me
donne; je vous le rendrai au premier ordre, que même je préviendrai.
Je sais combien de gens vous chérissent, vous honorent, vous font la
cour. Laissez entrevoir seulement vos intentions; nous ne manquerons
pas de personnes empressées à les seconder.
Adieu. |
II, 9
C. Plinius Apollinari suo s.
1
Anxium me et inquietum habet petitio Sexti Eruci mei. Afficior cura
et, quam pro me sollicitudinem non adii, quasi pro me altero patior;
et alioqui meus pudor, mea existimatio, mea dignitas in discrimen
adducitur. 2 Ego Sexto latum clavum a Caesare nostro, ego
quaesturam impetravi; meo suffragio pervenit ad jus tribunatus
petendi, quem nisi obtinet in senatu, vereor ne decepisse Caesarem
videar. 2 Proinde adnitendum est mihi, ut talem eum
judicent omnes, qualem esse princeps mihi credidit. Quae causa si
studium meum non incitaret, adjutum tamen cuperem juvenem
probissimum gravissimum eruditissimum, omni denique laude
dignissimum, et quidem cum tota domo. 4 Nam pater ei
Erucius Clarus, vir sanctus antiquus disertus atque in agendis
causis exercitatus, quas summa fide pari constantia nec verecundia
minore defendit. Habet avunculum C. Septicium, quo nihil verius
nihil simplicius nihil candidius nihil fidelius novi. 5
Omnes me certatim et tamen aequaliter amant, omnibus nunc ego in uno
referre gratiam possum. Itaque prenso amicos, supplico, ambio, domos
stationesque circumeo, quantumque vel auctoritate vel gratia valeam,
precibus experior, teque obsecro ut aliquam oneris mei partem
suscipere tanti putes. 6 Reddam vicem si reposces, reddam
et si non reposces. Diligeris coleris frequentaris: ostende modo
velle te, nec deerunt qui quod tu velis cupiant.
Vale. |
LETTRE X.
PLINE A OCTAVE.
N'êtes-vous pas bien nonchalant, ou plutôt bien dur (peu s'en faut
que je ne dise cruel), de tenir toujours dans l'obscurité de si
excellentes poésies? Combien de temps encore avez-vous résolu d'être
l'ennemi de votre gloire et de notre plaisir? Laissez, laissez vos
ouvrages parcourir en liberté toutes les contrées où se parle la
langue latine. : ne les resserrez pas dans des bornes plus étroites
que celles de l'empire romain. L'idée qu'ils nous ont donnée
n'est-elle pas assez grande, et notre curiosité assez vive, pour
vous obliger à ne nous pas faire languir davantage? Quelques-uns de
vos vers, échappés malgré vous, ont déjà paru. Si vous ne prenez
soin de les rappeler et de les rassembler, ces vagabonds sans aveu
trouveront maître. Songez que nous sommes mortels, et qu'ils peuvent
seuls vous assurer l'immortalité. Tous les autres ouvrages des
hommes ne résistent point au temps, et périssent comme eux. Vous
m'allez dire, à votre ordinaire : C'est l'affaire de mes amis. Je
souhaite de tout mon coeur que vous ayez des amis assez fidèles,
assez savants, assez laborieux pour vouloir se charger de cette
entreprise, et pour la pouvoir soutenir. Mais croyez-vous qu'il y
ait beaucoup de sagesse à se promettre des autres ce que l'on se
refuse à soi-même? Ne parlons plus de publier : ce sera quand il
vous plaira. Essayez du moins d'en avoir envie : récitez-les, et
donnez-vous enfin la satisfaction que je goûte par avance pour vous
depuis si longtemps. Je me représente déjà cette foule d'auditeurs,
ces transports d'admiration, ces applaudissements, ce silence même,
qui, lorsque je plaide, ou que je lis mes pièces, n'a guère moins de
charmes pour moi que les applaudissements, quand il est causé par la
seule attention, et par l'impatience d'entendre la suite. Ne dérobez
plus à vos veilles, par ce long retardement, une récompense et si
grande et si sûre. A différer plus longtemps, vous ne gagnerez rien
que le nom d'indolent, de paresseux, et peut-être de timide.
Adieu. |
II, 10
C. Plinius Octavio suo s.
1
Hominem te patientem vel potius durum ac paene crudelem, qui tam
insignes libros tam diu teneas! 2 Quousque et tibi et
nobis invidebis, tibi maxima laude, nobis voluptate? Sine per ora
nominum ferantur isdemque quibus lingua Romana spatiis pervagentur.
Magna et jam longa exspectatio est, quam frustrari adhuc et differre
non debes. 3 Enotuerunt quidam tui versus, et invito te
claustra sua refregerunt. Hos nisi retrahis in corpus, quandoque ut
errones aliquem cujus dicantur invenient. 4 Habe ante
oculos mortalitatem, a qua asserere te hoc uno monimento potes; nam
cetera fragilia et caduca non minus quam ipsi homines occidunt
desinuntque. 5 Dices, ut soles: ‘Amici mei viderint.’
Opto equidem amicos tibi tam fideles tam eruditos tam laboriosos, ut
tantum curae intentionisque suscipere et possint et velint, sed
dispice ne sit parum providum, sperare ex aliis quod tibi ipse non
praestes. 6 Et de editione quidem interim ut voles:
recita saltem quo magis libeat emittere, utque tandem percipias
gaudium, quod ego olim pro te non temere praesumo. 7
Imaginor enim qui concursus quae admiratio te, qui clamor quod etiam
silentium maneat; quo ego, cum dico vel recito, non minus quam
clamore delector, sit modo silentium acre et intentum, et cupidum
ulteriora audiendi. 8 Hoc fructu tanto tam parato desine
studia tua infinita ista cunctatione fraudare; quae cum modum
excedit, verendum est ne inertiae et desidiae vel etiam timiditatis
nomen accipiat.
Vale. |
LETTRE
Xl.
PLINE A ARRIEN.
Vous avez coutume de montrer de la joie lorsqu'il se passe dans le
sénat quelque chose digne de cette auguste compagnie. L'amour du
repos, qui vous éloigne des affaires, ne bannit pas de votre coeur
la passion que vous avez pour la gloire de l'empire. Apprenez donc
ce qui vient d'arriver. C'est un événement fameux par le rang de la
personne, salutaire par la sévérité de l'exemple, mémorable à jamais
par son importance. Marius Priscus, proconsul d'Afrique, accusé par
les Africains, se retranche à demander des juges ordinaires, sans
proposer aucune défense. Corneille Tacite et moi, chargés par ordre
du sénat de la cause de ces peuples, nous crûmes qu'il était de
notre devoir de remontrer que les crimes dont il s'agissait étaient
d'une énormité qui ne permettait pas de civiliser l'affaire. On
n'accusait pas Priscus de moins que d'avoir vendu la condamnation et
même la vie des innocents. Caïus Fronto supplia la compagnie de
vouloir bien que toute l'accusation fût renfermée dans le péculat;
et cet homme, très savant dans l'art de tirer des larmes, fit jouer
tous les ressorts de la pitié. Grande contestation, grandes clameurs
de part et d'autre !Selon les uns, la loi assujettit le sénat à
juger lui-même: selon les autres, elle lui laisse la liberté d'en
user comme il croit convenir à la qualité des crimes. Enfin, Julius
Férox, consul désigné, homme droit et intègre, ouvre un troisième
avis. Il veut que, par provision, l'on donne des juges à Priscus sur
le péculat ; et qu'avant que de prononcer sur l'accusation capitale,
ceux à qui il avait vendu le sang des innocents soient appelés. Non
seulement cet avis l'emporta, mais il n'y en eut presque plus
d'autres après tant de disputes ; et l'on éprouva que si les
premiers mouvements de la prévention et de la pitié sont vifs et
impétueux, la sagesse et la raison peu à peu les apaisent. De là
vient que personne n'a le courage de proposer seul ce qu'il osait
soutenir par des cris confus avec la multitude. La vérité, que l'on
ne pouvait découvrir tant que l'on était enveloppé dans la foule, se
manifeste tout à coup dès que l'on s'en tire. Enfin, Vitellius
Honoratus, et Flavius Martianus, complices assignés, comparurent. Le
premier était accusé d'avoir acheté trois cent mille sesterces le
bannissement d'un chevalier romain, et la mort de sept de ses amis.
Le second en avait donné sept cent mille, pour faire souffrir divers
tourments à un autre chevalier romain. Ce chevalier avait été
d'abord condamné au fouet, de là envoyé aux mines, et à la fin
étranglé en prison. Mais une mort favorable a dérobé Honoratus à la
justice du sénat. On amena donc Martianus sans Priscus. Tutius
Céréalis, homme consulaire, demanda que, suivant le privilège des
sénateurs, Priscus en fût averti : soit qu'il cherchât à lui attirer
par là ou plus de compassion, ou plus de haine; soit qu'il crût (ce
qui me paraît plus vraisemblable) que, selon les règles de la
justice, dans un crime commun, la défense ou la condamnation doivent
être communes. L'affaire fut renvoyée à la première assemblée du
sénat, qui fut des plus augustes. Le prince y présidait, il était
consul. Nous entrions dans le mois de janvier, celui de tous qui
rassemble à Rome le plus de monde, et particulièrement de sénateurs.
D'ailleurs l'importance de la cause, le bruit qu'elle avait fait, et
que tant de remises avaient redoublé, la curiosité naturelle à tous
les hommes de voir de près les grands et rares événements, avaient
de toutes parts attiré le monde. Imaginez-vous quels sujets
d'inquiétude et de crainte pour nous, qui devions porter la parole
en une telle assemblée, et en présence de l'empereur! J'ai plus
d'une fois parlé dans le sénat; j'ose dire même que je ne suis nulle
part aussi favorablement écouté. Cependant tout m'étonnait, comme si
tout m'eût été inconnu. La difficulté de la cause ne m'embarrassait
guère moins que le reste. Je regardais dans la personne de Priscus
tantôt un consulaire, tantôt un septemvir, quelquefois un homme
déchu de ces deux dignités. J'avais un véritable chagrin d'accuser
un malheureux déjà condamné pour le péculat. Si l'énormité de son
crime parlait contre lui, la pitié, qui suit ordinairement une
première condamnation, parlait en sa faveur. Enfin je me rassurai,
je commençai mon discours, et je reçus autant d'applaudissements que
j'avais eu de crainte. Je parlai près de cinq heures ( car on me
donna près d'une heure et demie au delà des trois et demie qui
m'avaient été d'abord accordées). Tout ce qui me paraissait
contraire et fâcheux quand j'avais à le dire, me devint favorable
quand je le dis. Les bontés, les soins de l'empereur pour moi (je
n'oserais dire ses inquiétudes), allèrent si loin, qu'il me fit
avertir plusieurs fois, par un affranchi que j'avais derrière moi,
de ménager mes forces, et de ne pas oublier la faiblesse de ma
complexion. Claudius Marcellinus défendit Martien. Le sénat se
sépara; pour se rassembler le lendemain; car il n'y avait pas assez
de temps pour achever un nouveau plaidoyer avant la nuit. Le jour
d'après, Salvius Liberalis parla pour Marius. Cet orateur a l'esprit
délié. Il est habile, très véhément, et tout à la fois très fleuri.
Ce jour-là il déploya tous ses talents. Corneille Tacite répondit
avec beaucoup d'éloquence, et fit éclater ce grand, ce sublime qui
règne dans ses discours. Catius Fronto fit une très belle réplique
pour Marius; et, s'accommodant à son sujet, il songea plus à fléchir
les juges qu'à justifier l'accusé. La nuit survint au moment où il
finissait. Le jour suivant fut réservé à l'examen des preuves.
C'était en vérité quelque chose de fort beau, de fort digue de
l'ancienne Rome, que de voir le sénat, trois jours de suite
assemblé, trois jours de suite occupé, ne se séparer qu'a la nuit.
Cornutus Tertullus, consul désigné, homme d'un rare mérite, et très
zélé pour la vérité, opina le premier. Il fut d'avis de condamner
Marius à porter au trésor public les sept cent mille sesterces qu'il
avait reçus, et de le bannir de Rome et d'Italie. Il alla plus loin
contre Martien, et fut d'avis de le bannir même d'Afrique. Il
conclut par proposer au sénat de déclarer que nous avions, Tacite et
moi, fidèlement et dignement rempli et notre attente et notre
ministère. Les consuls désignés, et tous les consulaires qui
parlèrent ensuite, se rangèrent à cet avis, jusqu'à ce que Pompéius
Colléga en ouvrit un autre. Le sien fut de condamner Marius à porter
au trésor publie les sept cent mille sesterces, d'en demeurer à la
condamnation qu'il avait déjà subie pour le péculat, et d'envoyer en
exil Martien pour cinq ans. Chaque opinion eut grand nombre de
partisans; et il y avait bien de l'apparence que la dernière, qui
était la plus douce, l'emporterait ; car plusieurs qui avaient suivi
Cornutus semblaient le quitter pour celui qui venait d'opiner après
eux. Enfin, lorsqu'on vint à recueillir les voix, tous ceux qui se
trouvèrent autour des consuls commencèrent à se déclarer pour
Cornutus. Alors tout changea de face. Ceux qui donnaient lieu de
croire qu'ils étaient de l'avis de Colléga repassèrent tout à coup
de l'autre côté, en sorte que Colléga se trouva presque seul. Il
exhala son chagrin en reproches amers contre ceux qui l'avaient
engagé dans ce parti, principalement contre Régulus, qui n'avait pas
le courage de suivre un avis dont il était l'auteur. Vous connaissez
le caractère de Régulus : c'est un esprit si léger, qu'en un moment
il passe de l'audace à la crainte. Voilà quel fut le dénouement de
cette grande affaire. Il en reste toutefois un chef qui n'est pas de
petite importance : c'est ce qui regarde Hostilius Firminus,
lieutenant de Marius Priscus, qui, se trouvant fort impliqué dans
cette accusation, a eu de terribles assauts à soutenir. Il est
chargé par les registres de Mar-tien, et par la harangue qu'il fit
dans l'assemblée des habitants de Leptis, d'avoir rendu d'infâmes
offices à Martianus, et reçu dix mille sesterces comme parfumeur de
Marius, qualité qui convenait parfaitement à un homme qui est
toujours si peigné, si rasé, si parfumé. Cornutus fut d'avis de
renvoyer à la première séance ce chef, qui regardait Hostilius; car
alors, soit hasard, soit remords, il était absent. Vous voilà bien
informé de ce qui se passe ici. Informez-moi à votre tour de ce que
vous faites à votre campagne. Rendez-moi un compte exact de vos
arbres, de vos vignes, de vos blés, de vos troupeaux; et songez que
si je ne reçois de vous une très longue lettre, vous n'en aurez plus
de moi que de très- courtes.
Adieu. |
II, 11
C. Plinius Arriano suo s.
1
Solet esse gaudio tibi, si quid acti est in senatu dignum ordine
illo. Quamvis enim quietis amore secesseris, insidet tamen animo tuo
maiestatis publicae cura. Accipe ergo quod per hos dies actum est,
personae claritate famosum, severitate exempli salubre, rei
magnitudine aeternum. 2 Marius Priscus accusantibus Afris
quibus pro consule praefuit, omissa defensione judices petiit. Ego
et Cornelius Tacitus, adesse provincialibus jussi, existimavimus
fidei nostrae convenire notum senatui facere excessisse Priscum
immanitate et saevitia crimina quibus dari judices possent, cum ob
innocentes condemnandos, interficiendos etiam, pecunias accepisset.
3 Respondit Fronto Catius deprecatusque est, ne quid
ultra repetundarum legem quaereretur, omniaque actionis suae vela
vir movendarum lacrimarum peritissimus quodam velut vento
miserationis implevit. 4 Magna contentio, magni utrimque
clamores aliis cognitionem senatus lege conclusam, aliis liberam
solutamque dicentibus, quantumque admisisset reus, tantum
vindicandum. 5 Novissime consul designatus Julius Ferox,
vir rectus et sanctus, Mario quidem judices interim censuit dandos,
evocandos autem quibus diceretur innocentium poenas vendidisse.
6 Quae sententia non praevaluit modo, sed omnino post tantas
dissensiones fuit sola frequens, adnotatumque experimentis, quod
favor et misericordia acres et vehementes primos impetus habent,
paulatim consilio et ratione quasi restincta considunt. 7
Unde evenit ut, quod multi clamore permixto tuentur, nemo tacentibus
ceteris dicere velit; patescit enim, cum separaris a turba,
contemplatio rerum quae turba teguntur. 8 Venerunt qui
adesse erant jussi, Vitellius Honoratus et Flavius Marcianus; ex
quibus Honoratus trecentis milibus exsilium equitis Romani septemque
amicorum ejus ultimam poenam, Marcianus unius equitis Romani
septingentis milibus plura supplicia arguebatur emisse; erat enim
fustibus caesus, damnatus in metallum, strangulatus in carcere.
9 Sed Honoratum cognitioni senatus mors opportuna subtraxit,
Marcianus inductus est absente Prisco. Itaque Tuccius Cerialis
consularis jure senatorio postulavit, ut Priscus certior fieret,
sive quia miserabiliorem sive quia invidiosiorem fore arbitrabatur,
si praesens fuisset, sive (quod maxime credo) quia aequissimum erat
commune crimen ab utroque defendi, et si dilui non potuisset in
utroque puniri.
10
Dilata res est in proximum senatum, cujus ipse conspectus
augustissimus fuit. Princeps praesidebat (erat enim consul), ad hoc
Januarius mensis cum cetera tum praecipue senatorum frequentia
celeberrimus; praeterea causae amplitudo auctaque dilatione
exspectatio et fama, insitumque mortalibus studium magna et
inusitata noscendi, omnes undique exciverat. 11 Imaginare
quae sollicitudo nobis, qui metus, quibus super tanta re in illo
coetu praesente Caesare dicendum erat. Equidem in senatu non semel
egi, quin immo nusquam audiri benignius soleo: tunc me tamen ut nova
omnia novo metu permovebant. 12 Obversabatur praeter illa
quae supra dixi causae difficultas: stabat modo consularis, modo
septemvir epulonum, jam neutrum. 13 Erat ergo perquam
onerosum accusare damnatum, quem ut premebat atrocitas criminis, ita
quasi peractae damnationis miseratio tuebatur. 14
Utcumque tamen animum cogitationemque collegi, coepi dicere non
minore audientium assensu quam sollicitudine mea. Dixi horis paene
quinque; nam duodecim clepsydris, quas spatiosissimas acceperam,
sunt additae quattuor. Adeo illa ipsa, quae dura et adversa dicturo
videbantur, secunda dicenti fuerunt. 15 Caesar quidem
tantum mihi studium, tantam etiam curam (nimium est enim dicere
sollicitudinem) praestitit, ut libertum meum post me stantem saepius
admoneret voci laterique consulerem, cum me vehementius putaret
intendi, quam gracilitas mea perpeti posset. Respondit mihi pro
Marciano Claudius Marcellinus. 16 Missus deinde senatus
et revocatus in posterum; neque enim jam incohari poterat actio,
nisi ut noctis interventu scinderetur.
17
Postero die dixit pro Mario Salvius Liberalis, vir subtilis
dispositus acer disertus; in illa vero causa omnes artes suas
protulit. Respondit Cornelius Tacitus eloquentissime et, quod
eximium orationi ejus inest, σεμνῶς. 18 Dixit pro Mario
rursus Fronto Catius insigniter, utque jam locus ille poscebat, plus
in precibus temporis quam in defensione consumpsit. Hujus actionem
vespera inclusit, non tamen sic ut abrumperet. Itaque in tertium
diem probationes exierunt. Jam hoc ipsum pulchrum et antiquum,
senatum nocte dirimi, triduo vocari, triduo contineri. 19
Cornutus Tertullus consul designatus, vir egregius et pro veritate
firmissimus, censuit septingenta milia quae acceperat Marius aerario
inferenda, Mario urbe Italiaque interdicendum, Marciano hoc amplius
Africa. In fine sententiae adjecit, quod ego et Tacitus injuncta
advocatione diligenter et fortiter functi essemus, arbitrari senatum
ita nos fecisse ut dignum mandatis partibus fuerit. 20
Assenserunt consules designati, omnes etiam consulares usque ad
Pompejum Collegam: ille et septingenta milia aerario inferenda et
Marcianum in quinquennium relegandum, Marium repetundarum poenae
quam jam passus esset censuit relinquendum. 21 Erant in
utraque sententia multi, fortasse etiam plures in hac vel solutiore
vel molliore. Nam quidam ex illis quoque, qui Cornuto videbantur
assensi, hunc qui post ipsos censuerat sequebantur. 22
Sed cum fieret discessio, qui sellis consulum astiterant, in Cornuti
sententiam ire coeperunt. Tum illi qui se Collegae adnumerari
patiebantur in diversum transierunt; Collega cum paucis relictus.
Multum postea de impulsoribus sis, praecipue de Regulo questus est,
qui se in sententia quam ipse dictaverat deseruisset. Est alioqui
Regulo tam mobile ingenium, ut plurimum audeat plurimum timeat.
23
Hic finis cognitionis amplissimae. Superest tamen λιτούργιον non
leve, Hostilius Firminus legatus Mari Prisci, qui permixtus causae
graviter vehementerque vexatus est. Nam et rationibus Marciani, et
sermone quem ille habuerat in ordine Lepcitanorum, operam suam
Prisco ad turpissimum ministerium commodasse, stipulatusque de
Marciano quinquaginta milia denariorum probabatur, ipse praeterea
accepisse sestertia decem milia foedissimo quidem titulo, nomine
unguentarii, qui titulus a vita hominis compti semper et pumicati
non abhorrebat. 24 Placuit censente Cornuto referri de eo
proximo senatu; tunc enim, casu an conscientia, afuerat.
25
Habes res urbanas; invicem rusticas scribe. Quid arbusculae tuae,
quid vineae, quid segetes agunt, quid oves delicatissimae? In summa,
nisi aeque longam epistulam reddis, non est quod postea nisi
brevissimam exspectes.
Vale. |
LETTRE XII.
PLINE A ARRIEN.
Je ne sais si nous avons bien jugé ce dernier chef qui nous restait
de l'affaire de Priscus, comme je vous l'avais mandé; mais enfin
nous l'avons jugé. Firminus comparut au sénat, et se défendit en
homme qui se voyait déjà vaincu. Les avis se partagèrent entre les
consuls désignés. Cornutus opinait à le chasser du sénat; Acutius
Nerva, seulement à lui donner l'exclusion dans la distribution des
gouvernements. Cette opinion prévalut comme la plus douce,
quoiqu'elle soit en effet plus rigoureuse que l'autre. Car enfin
qu'y a-t-il de plus cruel que de se voir livré aux soins et aux
travaux attachés à la dignité du sénateur, sans espérance de jouir
jamais des honneurs qui en sont la récompense? Qu'y a-t-il de plus
affreux à un homme flétri d'une telle tache, que de n'avoir pas la
liberté de se cacher au fond d'une solitude, mais d'être obligé de
s'exposer aux yeux de cette illustre compagnie? Que peut-on
d'ailleurs imaginer de plus bizarre et de plus indigne, que de voir
assis dans le sénat un homme que le sénat a noté? de voir un homme
condamné prendre place parmi ses juges? un homme exclu du
proconsulat pour avoir prévariqué dans sa Iieutenance, juger
lui-même les proconsuls? enfin, un concussionnaire déclaré prononcer
sur les concussions? Mais ces réflexions n'ont pas touché le plus
grand nombre; car on ne pèse pas les voix, on les compte; et il ne
faut pas s'attendre à rien de mieux dans ces sortes d'assemblées, où
il ne se trouve point de plus grand désordre que l'égalité du
pouvoir. Chacun a la même autorité; tous n'ont pas les mêmes
lumières. Je me suis acquitté de ce que je vous avais promis par ma
dernière lettre : sa date me fait croire que vous l'avez reçue, car
je l'ai confiée à un courrier qui aura fait diligence, s'il n'a
point rencontré d'obstacle sur son chemin. C'est à vous aujourd'hui
à payer et ma première et ma seconde lettre, par d'autres aussi
remplies que le pays où vous êtes vous le petit permettre.
Adieu. |
II, 12
C. Plinius Arriano suo s.
1
Λιτούργιον illud, quod superesse Mari Prisci causae proxime
scripseram, nescio an satis, circumcisum tamen et adrasum est.
2 Firminus inductus in senatum respondit crimini noto. Secutae
sunt diversae sententiae consulum designatorum. Cornutus Tertullus
censuit ordine movendum, Acutius Nerva in sortitione provinciae
rationem ejus non habendam. Quae sententia tamquam mitior vicit, cum
sit alioqui durior tristiorque. 3 Quid enim miserius quam
exsectum et exemptum honoribus senatoriis, labore et molestia non
carcere? quid gravius quam tanta ignominia affectum non in
solitudine latere, sed in hac altissima specula conspiciendum se
monstrandumque praebere? 4 Praeterea quid publice minus
aut congruens aut decorum? notatum a senatu in senatu sedere,
ipsisque illis a quibus sit notatus aequari; summotum a proconsulatu
quia se in legatione turpiter gesserat, de proconsulibus judicare,
damnatumque sordium vel damnare alios vel absolvere! 5
Sed hoc pluribus visum est. Numerantur enim sententiae, non
ponderantur; nec aliud in publico consilio potest fieri, in quo
nihil est tam inaequale quam aequalitas ipsa. Nam cum sit impar
prudentia, par omnium jus est. 6 Implevi promissum
priorisque epistulae fidem exsolvi, quam ex spatio temporis jam
recepisse te colligo; nam et festinanti et diligenti tabellario
dedi, nisi quid impedimenti in via passus est. 7 Tuae
nunc partes, ut primum illam, deinde hanc remunereris litteris,
quales istinc redire uberrimae possunt.
Vale. |
LETTRE XIII.
PLINE A PRISCUS.
Nous avons un plaisir égal, vous à me faire des grâces, moi à les
recevoir de vous. Deux motifs me déterminent donc à vous en demander
une, que je souhaite avec passion. Vous êtes à la tète d'une
puissante armée. Ce poste est une source de faveurs ; et le temps
qu'il y a que vous l'occupez vous a permis assez d'en combler vos
amis. Honorez, je vous prie, les miens d'un regard favorable; je
veux dire quelques-uns des miens. Vous seriez charmé, je le sais, de
les obliger tous; mais je veux demander avec discrétion : je ne
parlerai que d'un ou de deux, ou plutôt je ne vous parlerai que
d'un. C'est Voconius Romanus. Son père était d'une grande
distinction dans l'ordre des chevaliers, et son beau-père, ou plutôt
son second père (car sa tendresse pour son beau-fils lui a mérité ce
nom), y acquit encore plus de considération. Sa mère était de l'une
des meilleures maisons de l'Espagne de deçà l'Èbre. Vous savez
quelle est la réputation de cette province, quelle sévérité de
moeurs y règne. Pour lui, la dernière charge par où il a passé a été
le sacerdoce. Notre amitié a commencé avec nos études. Nous n'avions
qu'une même maison, à la ville et à la campagne. Il entrait dans mes
affaires comme dans mes plaisirs. Et où trouver aussi une affection
plus sûre, et tout à la fois une compagnie plus agréable? On ne peut
exprimer le charme de sa conversation, la douceur de sa physionomie.
Il a l'esprit élevé, délicat, doux, aisé, très propre pour le
barreau. Vous ne lirez point ses lettres sans croire que les Muses
elles-mêmes les ont dictées. Je l'aime plus encore que je ne vous le
dis, et je ne l'aime pas pourtant plus qu'il ne m'aime. J'étais tout
jeune aussi bien que lui, et déjà peur le servir je cherchais avec
empressement les occasions que notre âge me pouvait permettre. Je
viens de lui obtenir le privilège que donne le nombre de trois
enfants. Quoique l'empereur se soit fait une loi de ne le donner que
très rarement, et avec beaucoup de circonspection, il a bien voulu
me l'accorder aussi agréablement que s'il l'avait donné par choix.
Je ne puis mieux soutenir mes premiers bienfaits que par de
nouveaux, principalement avec un homme qui les reçoit d'une manière
qui seule pourrait suffire pour en mériter d'autres. Je vous ai dit
quel est Romanus, ce que j'en sais, combien je l'aime. Faites-lui,
je vous prie, toutes les grâces que je puis attendre de votre
inclination bienfaisante, et de la situation où vous êtes. Je vous
recommande surtout de l'aimer. Quelque bien que vous lui fassiez, je
n'en vois point de plus précieux pour lui que votre amitié. Dans le
dessein de vous apprendre combien il en est digne, je vous ai peint
au naturel ses inclinations, son esprit, ses moeurs, et toute sa
conduite. Je redoublerais encore ici mes recommandations, si je ne
savais que vous n'aimez pas à vous faire prier longtemps, et que je
ne vous ai déjà que trop prié dans toute cette lettre : car c'est
prier, et prier très efficacement, que faire sentir la justice de
ses prières.
Adieu. |
II, 13
C. Plinius Prisco suo s.
1
Et tu occasiones obligandi me avidissime amplecteris, et ego nemini
libentius debeo. 2 Duabus ergo de causis a te potissimum
petere constitui, quod impetratum maxime cupio. Regis exercitum
amplissimum: hinc tibi beneficiorum larga materia, longum praeterea
tempus, quo amicos tuos exornare potuisti. Convertere ad nostros nec
hos multos. 3 Malles tu quidem multos; sed meae
verecundiae sufficit unus aut alter, ac potius unus. 4 Is
erit Voconius Romanus. Pater ei in equestri gradu clarus, clarior
vitricu, immo pater alius (nam huic quoque nomini pietate
successit), mater e primi. Ipse citerioris Hispaniae (scis quod
judicium provinciae illius, quanta sit gravitas) flamen proxime
fuit. 5 Hunc ego, cum simul studeremus, arte
familiariterque dilexi; ille meus in urbe ille in secessu
contubernalis, cum hoc seria cum hoc jocos miscui. 6 Quid
enim illo aut fidelius amico aut sodale jucundius? Mira in sermone,
mira etiam in ore ipso vultuque suavitas. 7 Ad hoc
ingenium excelsum subtile dulce facile eruditum in causis agendis;
epistulas quidem scribit, ut Musas ipsas Latine loqui credas. Amatur
a me plurimum nec tamen vincitur. 8 Equidem juvenis
statim juveni, quantum potui per aetatem, avidissime contuli, et
nuper ab optimo principe trium liberorum jus impetravi; quod
quamquam parce et cum delectu daret, mihi tamen tamquam eligeret
indulsit. 9 Haec beneficia mea tueri nullo modo melius
quam ut augeam possum, praesertim cum ipse illa tam grate
interpretetur, ut dum priora accipit posteriora mereatur. 10
Habes qualis quam probatus carusque sit nobis, quem rogo pro ingenio
pro fortuna tua exornes. In primis ama hominem; nam licet tribuas ei
quantum amplissimum potes, nihil tamen amplius potes amicitia tua;
cujus esse eum usque ad intimam familiaritatem capacem quo magis
scires, breviter tibi studia mores omnem denique vitam ejus
expressi. 11 Extenderem preces nisi et tu rogari diu
nolles et ego tota hoc epistula fecissem; rogat enim et quidem
efficacissime, qui reddit causas rogandi.
Vale. |
LETTRE XIV.
PLINE A MAXIME.
Vous l'avez deviné; je commence à nie lasser des causes que je
plaide devant les centumvirs. La peine passe le plaisir. La plupart
sont peu importantes. Rarement s'en présente-t-il une qui, par la
qualité des personnes ou par la grandeur du sujet, attire
l'attention. D'ailleurs, il s'y trouve un très petit nombre de
dignes concurrents. Le reste n'est qu'un amas de gens dont l'audace
fait tout le mérite, ou d'écoliers sans talents et sans nom. Ils ne
viennent là que pour déclamer; mais avec si peu de respect et de
retenue, que, selon moi, notre ami Attilius a fort bien dit que
les enfants commencent au barreau par plaider devant les centumvirs,
comme au collège par lire Homère; car dans l'un et dans l'autre,
on commence par ce qu'il y a de plus difficile. Mais avant que je
parusse dans le monde, les personnes déjà avancées en âge plaidaient
ces sortes de causes, et les jeunes gens, même les plus qualifiés,
n'étaient point admis à parler devant les centumvirs si quelque
homme consulaire ne les présentait, tant on avait alors de
vénération pour de si nobles exercices. Aujourd'hui toutes les
barrières de la discrétion et de la pudeur, rompues, laissent le
champ ouvert à tout le monde. Ils n'attendent plus qu'on les
présente, ils s'y jettent d'eux-mêmes. A leur suite marchent des
auditeurs d'un semblable caractère, et que l'on achète à beaux
deniers comptants. On fait sans honte son marché avec eux ; ils
s'assemblent dans le palais, et on en fait une salle à manger, où
l'orateur régale et défraye; on les voit à ce prix courir d'une
cause à l'autre. De là on les a nommés en grec, assez plaisamment,
gens gagés pour applaudir; en latin, louangeurs pour un
repas. Cette indignité, caractérisée dans les deux langues,
s'établit de plus en plus. Hier j'en fus témoin : deux de mes
domestiques à peine sortis de l'enfance, et chargés du soin
d'annoncer ceux qui m'abordent, allèrent, bon gré, mal gré, pour une
somme très modique, entonner des louanges; tant il en coûte pour
être excellent orateur. A ce prix, il n'y e point de chaises et de
bancs que vous ne remplissiez, point de lieux où vous ne mettiez les
auditeurs en presse, point d'applaudissements que vous n'excitiez,
quand il plaît à celui qui règle ce beau concert d'en faire le
signal : il faut bien un signal, pour des gens qui n'entendent pas,
et qui même n'écoutent point; car la plupart ne s'amusent pas à
écouter, et ce sont ceux qui louent le plus haut. S'il vous arrive
ce jamais de passer près du palais, et que vous soyez curieux de
savoir comment parle chacun de nos avocats, sans vous donner la
peine d'entrer et de prêter votre attention, il vous sera facile de
le deviner. Voici une règle sûre : celui qui reçoit le plus
d'applaudissements est celui qui en mérite le moins. Largius
Licinius amena le premier cette mode; mais il se contentait de
rassembler lui-même ses auditeurs. Je l'ai ouï dire à Quintilien mon
maître. J'accompagnais, disait-il, Domitius Afer, qui plaidait
devant les centumvirs avec gravité et d'un ton fort lent; c'était sa
manière. Il entendit dans une chambre voisine un bruit
extraordinaire. Surpris, il se tut. Le silence succède; il reprend
où il en est demeuré. Le bruit recommence, il s'arrête encore une
fois. On se tait; il continue à parler, il est encore interrompu.
Enfin, fatigué de ces clameurs, il demande qui est-ce donc qui
plaide. On lui répond que c'est Licinius. Messieurs, dit-il,
c'est fait de l'éloquence. C'est aujourd'hui que cet art, qui
ne commençait qu'à se perdre lorsqu'Afer le croyait déjà perdu, est
entièrement éteint et anéanti. J'ai honte de vous dire avec quelles
acclamations flatteuses sont reçus les plus mauvais discours, et les
plus mollement prononcés. En vérité, il ne manque à cette sorte de
symphonie que des battements de mains, ou plutôt que des cymbales et
des tambours. Pour des hurlements (un autre mot serait trop doux),
nous en avons de reste; et le barreau retentit de ces acclamations,
indignes du théâtre même. Mon âge pourtant, et l'intérêt de mes
amis, m'arrêtent encore. Je crains que l'on ne me soupçonne de ne
pas tant fuir ces infamies que le travail. Cependant je commence à
me montrer au barreau plus rarement qu'à l'ordinaire; ce qui me
conduit insensiblement à disparaître.
Adieu. |
II, 14
C. Plinius Maximo suo s.
1
Verum opinaris: distringor centumviralibus causis, quae me exercent
magis quam delectant. Sunt enim pleraeque parvae et exiles; raro
incidit vel personarum claritate vel negotii magnitudine insignis.
2 Ad hoc pauci cum quibus juvet dicere; ceteri audaces
atque etiam magna ex parte adulescentuli obscuri ad declamandum huc
transierunt, tam irreverenter et temere, ut mihi Atilius noster
expresse dixisse videatur, sic in foro pueros a centumviralibus
causis auspicari, ut ab Homero in scholis. Nam hic quoque ut illic
primum coepit esse quod maximum est. 3 At hercule ante
memoriam meam (ita majores natu solent dicere), ne nobilissimis
quidem adulescentibus locus erat nisi aliquo consulari producente:
tanta veneratione pulcherrimum opus colebatur. 4 Nunc
refractis pudoris et reverentiae claustris, omnia patent omnibus,
nec inducuntur sed irrumpunt. Sequuntur auditores actoribus similes,
conducti et redempti. Manceps convenitur; in media basilica tam
palam sportulae quam in triclinio dantur; ex judicio in judicium
pari mercede transitur. 5 Inde jam non inurbane Σοφοκλεῖς
vocantur ἀπὸ τοῦ σοφῶς καὶ καλεῖσθαι, isdem Latinum nomen impositum
est Laudiceni; 6 et tamen crescit in dies foeditas
utraque lingua notata. Here duo nomenclatores mei (habent sane
aetatem eorum qui nuper togas sumpserint) ternis denariis ad
laudandum trahebantur. Tanti constat ut sis disertissimus. Hoc
pretio quamlibet numerosa subsellia implentur, hoc ingens corona
colligitur, hoc infiniti clamores commoventur, cum mesochorus dedit
signum. 7 Opus est enim signo apud non intellegentes, ne
audientes quidem; 8 nam plerique non audiunt, nec ulli
magis laudant. Si quando transibis per basilicam et voles scire, quo
modo quisque dicat, nihil est quod tribunal ascendas, nihil quod
praebeas aurem; facilis divinatio: scito eum pessime dicere, qui
laudabitur maxime.
9
Primus hunc audiendi morem induxit Larcius Licinus, hactenus tamen
ut auditores corrogaret. Ita certe ex Quintiliano praeceptore meo
audisse me memini. 10 Narrabat ille: ‘Assectabar Domitium
Afrum. Cum apud centumviros diceret graviter et lente (hoc enim illi
actionis genus erat), audit ex proximo immodicum insolitumque
clamorem. Admiratus reticuit; ubi silentium factum est, repetit quod
abruperat. 11 Iterum clamor, iterum reticuit, et post
silentium coepit. Idem tertio. Novissime quis diceret quaesiit.
Responsum est: “Licinus.” Tum intermissa causa “Centumviri,” inquit,
“hoc artificium periit.”᾿ 12 Quod alioqui perire
incipiebat cum perisse Afro videretur, nunc vero prope funditus
exstinctum et eversum est. Pudet referre quae quam fracta
pronuntiatione dicantur, quibus quam teneris clamoribus excipiantur.
13 Plausus tantum ac potius sola cymbala et tympana illis
canticis desunt: ululatus quidem (neque enim alio vocabulo potest
exprimi theatris quoque indecora laudatio) large supersunt. 14
Nos tamen adhuc et utilitas amicorum et ratio aetatis moratur ac
retinet; veremur enim ne forte non has indignitates reliquisse, sed
laborem fugisse videamur. Sumus tamen solito rariores, quod initium
est gradatim desinendi.
Vale. |
LETTRE XV.
PLINE A VALÉRIEN.
La terre que vous avez acquise depuis longtemps dans le pays des
Marses vous plaît-elle toujours? Comment vous trouvez-vous de cette
acquisition nouvelle? La possession ne lui a-t-elle rien fait perdre
de ses charmes? Il est rare qu'elle laisse aux choses toutes les
grâces que leur prêtaient nos désirs. Pour moi, je n'ai pas trop à
me louer des terres que j'ai héritées de ma mère : elles ne laissent
pas de me faire plaisir, parce qu'elles viennent de ma mère; et
d'ailleurs, une longue habitude m'a endurci. C'est ordinairement où
se terminent les plaintes qui reviennent trop souvent. A la fin, on
a boute le se plaindre.
Adieu. |
II, 15
C. Plinius Valeriano suo s.
1
Quo modo te veteres Marsi tui? quo modo emptio nova Placent agri,
postquam tui facti sunt? Rarum id quidem nihil enim aeque gratum est
adeptis quam concupiscentibus. 2 Me praedia materna parum
commode tractant, delectant tamen ut materna, et alioqui longa
patientia occallui. Habent hunc finem assiduae querellae, quod queri
pudet.
Vale.
|
LETTRE XVI.
PLINE A ANNIEN.
Je reconnais votre attention ordinaire à mes intérêts, quand vous me
mandez que les codicilles d'Acilien, qui m'a institué son héritier
en partie, doivent être regardés comme nuls, parce que son testament
ne les confirme pas. Je n'ignore pas ce point de droit, connu du
jurisconsulte le plus médiocre; mais je me suis fait une loi
particulière : c'est de ne trouver jamais aucun défaut dans la
volonté des morts, quoi qu'en puissent dire les formalités. Les
codicilles dont il s'agit sont certainement écrits de la main
d'Acilien. C'en est assez pour oublier avec lui qu'ils doivent être
confirmés par son testament, et pour les exécuter comme s'il en
avait fait la cérémonie, surtout ici, où je ne vois rien à craindre
de la chicane des délateurs : car, je sous l'avouerai, j'hésiterais
davantage, si j'avais lieu d'appréhender qu'une confiscation ne
détournât, vers le trésor public, des libéralités que je veux faire
aux légataires. Mais, comme il est permis à un héritier de disposer
à son gré des biens d'une succession, je ne vois rien qui puisse
traverser l'exécution de ma loi particulière, que les lois publiques
ne désapprouvent pas.
Adieu. |
II, 16
C. Plinius Annio suo s.
1
Tu quidem pro cetera tua diligentia admones me codicillos Aciliani,
qui me ex parte instituit heredem, pro non scriptis habendos, quia
non sint confirmati testamento; 2 quod jus ne mihi quidem
ignotum est, cum sit iis etiam notum, qui nihil aliud sciunt. Sed
ego propriam quandam legem mihi dixi, ut defunctorum voluntates,
etiamsi jure deficerentur, quasi perfectas tuerer. Constat autem
codicillos istos Aciliani manu scriptos. 3 Licet ergo non
sint confirmati testamento, a me tamen ut confirmati observabuntur,
praesertim cum delatori locus non sit. 4 Nam si verendum
esset ne quod ego dedissem populus eriperet, cunctantior fortasse et
cautior esse deberem; cum vero liceat heredi donare, quod in
hereditate subsedit, nihil est quod obstet illi meae legi, cui
publicae leges non repugnant.
Vale. |
LETTRE XVII.
PLINE A GALLUS.
Vous êtes surpris que je me plaise tant à ma terre de Laurentin, ou,
si vous voulez, de Laurens. Vous reviendrez sans peine de votre
étonnement quand vous connaîtrez ce charmant séjour, les avantages
de sa situation, l'étendue de nos rivages. Le Laurentin n'est qu'à
dix-sept milles de Rome : si bien qu'on y peut aller après avoir
achevé toutes ses affaires, et sans rien prendre sur sa journée.
Deux grands chemins y mènent, celui de Lamente et celui d'Ostie. Si
vous prenez le premier, il faut le quitter à quatorze milles; si
vous prenez le second, il faut le quitter à onze. Tous deux tombent
dans un autre, où les sables rendent le voyage assez fâcheux, et
assez long pour les voitures; mais à cheval, il est plus doux et
plus court. La vue est de tous côtés fort diversifiée : tantôt la
route se resserre entre des bois, tantôt elle s'ouvre et s'étend
dans de vastes prairies. Là, vous voyez des troupeaux de moutons, de
boeufs, de chevaux, qui s'engraissent dans les pâturages, et
profitent du printemps dès qu'il a chassé l'hiver de leurs
montagnes. La maison est d'une grande commodité, et n'est pas d'un
grand entretien : l'entrée est propre, sans être magnifique. On
trouve d'abord une galerie de figure ronde, qui enferme une petite
cour assez riante, et qui offre une agréable retraite coutre le
mauvais temps; car elle vous met à l'abri par des vitres qui la
ferment de toutes parts, et beaucoup plus par un toit avancé qui la
couvre. De cette galerie, vous passez dans une grande cour fort
gaie, et dans une assez belle salle à manger qui s'avance sur la
mer, dont les vagues viennent mourir au pied du mur, pour peu que le
sent du midi souffle : tout est portes à deux battants, ou fenêtres,
dans cette salle, et les fenêtres y sont aussi hautes que les portes
: ainsi à droite, à gauche, en face, vous découvrez comme trois mers
en une seule; à l'opposite, l'oeil retrouve la grande cour, la
galerie, la petite cour, encore une fois la galerie, et enfin
l'entrée, d'où l'on voit des bois et des montagnes en éloignement. A
la gauche de cette salle à manger est une grande chambre moins
avancée vers la mer; et de là on entre dans une plus petite qui a
deux fenêtres, dont l'une reçoit les premiers rayons du soleil,
l'autre en retient les derniers : celle-ci voit aussi la mer, dont
la vue est plus éloignée, et n'en est que plus douce. L'angle que
l'avance de la salle à manger forme avec le mur de la chambre semble
fait pour recueillir, pour arrêter, pour réunir toute l'ardeur du
soleil; c'est l'asile de mes gens contre l'hiver, c'est où ils font
leurs exercices : là, on ne connaît d'autres vents que ceux qui, par
quelques nuages, troublent la sérénité du ciel; mais il faut que ces
vents s'élèvent, pour chasser mes domestiques de cet asile. Tout
auprès il y a une chambre ronde, et percée de manière que le soleil
y donne à toutes les heures du jour : on a ménagé dans le mur une
armoire eu façon de bibliothèque, où j'ai soin d'avoir de ces livres
qu'on ne peut trop lire et relire. De là, vous passez dans des
chambres à coucher séparées de la bibliothèque par un passage
suspendu, et garni de tuyaux qui répandent et distribuent la chaleur
de tous côtés. Le reste de cette aile est occupé par des affranchis
ou par des valets; et cependant la plupart des appartements en sont
tenus si proprement, qu'on y peut fort bien loger des maîtres. A
l'autre aile, est une chambre fort bien entendue; ensuite une grande
chambre, ou une petite salle à manger, que le soleil et la mer à
l'envi semblent égayer : vous passez après cela dans une chambre
accompagnée de son antichambre, aussi fraîche en été par son
exhaussement, que chaude en hiver par les abris qui la mettent à
couvert de tous les vents : à côté, on trouve une autre chambre avec
son antichambre; de là, on entre dans la salle des bains, où est un
réservoir d'eau froide. Cette salle est grande et spacieuse : des
deux murs opposés sortent en rond deux baignoires, si profondes et
si larges que l'on pourrait au besoin y nager à son aise; auprès de
là est une étuve pour se parfumer, et ensuite le fourneau nécessaire
au service du bain. 1)e plain-pied, vous trouvez encore deux salles,
dont les meubles sont plus galants que magnifiques; et un autre bain
tempéré, d'où l'on voit la mer en se baignant. Assez près de là est
un jeu de paume, percé de manière que le soleil, dans la saison où
il est le plus chaud, n'y entre que sur le déclin du jour, et
lorsqu'il a perdu sa force. D'un côté s'élève une tour, au bas de
laquelle sont deux cabinets, deux autres au-dessus, et une terrasse
où l'on peut manger, et dont la vue se promène au loin, et fort
agréablement, tantôt sur la mer ou sur le rivage, tantôt sur les
maisons de plaisance des environs. De l'autre côté est une autre
tour : on y trouve une chambre percée au levant et au couchant :
derrière est un garde-meuble fort spacieux, et puis un grenier;
au-dessous de ce grenier est une salle à manger, où le bruit de la
mer agitée vient de si loin, qu'on ne l'entend presque plus quand il
y arrive : cette salle donne sur le jardin, et sur l'allée qui règne
tout autour. Cette allée est bordée des deux côtés de buis, ou de
romarin au défaut de buis; car dans les lieux où le bâtiment couvre
le buis, il conserve toute sa verdure; mais au grand air et en plein
vent, l'eau de la mer le dessèche, quoiqu'elle n'y rejaillisse que
de fort loin. Entre l'allée et le jardin est une espèce de palissade
d'une vigne fort touffue, et dont le bois est si tendre, que l'on
pourrait marcher dessus nu-pieds sans se blesser. Le jardin est
plein de figuiers et de mûriers, auxquels le terrain est aussi
favorable que contraire à tous les autres arbres. Une salle à manger
près de là jouit de cet aspect, qui n'est guère moins agréable que
celui de la mer, dont elle est plus éloignée : derrière cette salle
il y a deux appartements, dont les fenêtres regardent l'entrée de la
maison, et un potager fort fertile. De là vous trouvez une galerie
voûtée, qu'à sa grandeur on pourrait prendre pour un ouvrage public.
Elle a grand nombre de croisées sur la mer et de demi-croisées sur
le jardin, et quelques ouvertures en petit nombre dans le haut de la
voûte: quand le temps est calme et serein, on les ouvre toutes ; si
le vent donne d'un côté, on ouvre les fenêtres de l'autre. Devant
cette galerie est un parterre parfumé de violettes. La réverbération
du soleil,que la galerie renvoie, échauffe le terrain, et en même
temps le met à couvert du nord; ainsi, d'un côté la chaleur se
conserve, et de l'autre le frais. Enfin, cette galerie vous défend
aussi du sud; de sorte que de différents côtés elle vous offre un
abri contre les vents différents. L'agrément que l'on trouve l'hiver
en cet endroit augmente en été. Avant midi, vous pouvez vous
promener à l'ombre de la galerie dans le parterre; après midi, dans
les allées, ou dans les autres lieux du jardin qui sont le plus à la
portée de cette ombre. On la volt croître ou décroître, selon que
les jours deviennent plus longs ou plus courts. La galerie elle-même
n'a point de soleil lorsqu'il est le plus ardent, c'est-à-dire quand
il donne à plomb sur la voûte.
L'on y trouve encore cette commodité, qu'elle est percée de manière
que les fenêtres, lorsqu'on les veut ouvrir, laissent aux zéphyrs un
passage assez libre pour empêcher que l'air trop renfermé ne se
corrompe. Au bout du parterre et de la galerie est, dans le jardin,
un appartement détaché, que j'appelle mes délices, je dis mes vraies
délices : je l'ai moi-même bâti. Là, j'ai un salon, qui est une
espèce de poêle solaire qui d'un côté regarde le parterre, de
l'autre la mer, et de tous les deux reçoit le soleil : son entrée
répond à une chambre voisine, et une de ses fenêtres donne sur la
galerie. J'ai pratiqué du côté de la mer un enfoncement qui fait un
effet fort agréable : on y peut placer un lit et deux chaises; et,
par le moyen d'une cloison vitrée que l'on approche ou que l'on
recule, ou de rideaux que l'on ouvre ou que l'on ferme, on joint cet
enfoncement à la chambre, ou, si l'on veut, on l'en sépare; les
pieds du lit sont tournés vers la mer, le chevet vers les maisons. A
côté sont des forêts. Trois différentes fenêtres vous présentent ces
trois différentes vues, et tout à la fois les confondent. De là, on
entre dans une chambre à coucher, où la voix des valets, le bruit de
la mer, le fracas des orages, les éclairs, ni le jour même, ne
peuvent pénétrer, à moins que l'on n'ouvre les fenêtres. La raison
de cette tranquillité si profonde, c'est qu'entre le mur de la
chambre et celui du jardin, il y a un espace vide qui rompt le
bruit. A cette chambre tient une petite étuve, dont la fenêtre fort
étroite retient ou dissipe la chaleur, selon le besoin. Plus loin,
on trouve une antichambre et une chambre, où le soleil entre au
moment qu'il se lève, et où il donne encore après midi, mais de
côté. Quand je suis retiré dans cet appartement, je m'imagine être à
cent lieues de chez moi. Il me fait surtout un singulier plaisir
dans le temps des Saturnales. J'y jouis du silence et du calme,
pendant que tout le reste de la maison retentit des cris de joie que
la licence de ces fêtes excite parmi les domestiques. Ainsi mes
études ne troublent point les plaisirs de mes gens; ni leurs
plaisirs, mes études. Ce qui manque à tant de commodités, à tant
d'agréments, ce sont des eaux courantes : à leur défaut, nous avons
des puits, ou plutôt des fontaines; car ils sont très peu profonds.
Le terrain est admirable. En quelque endroit que vous fouilliez,
vous avez de l'eau, mais de l'eau pure, claire et fort douce,
quoique près de la mer. Les forêts d'alentour vous donnent plus de
bois que vous n'en voulez. Ostie vous fournit abondamment toutes les
autres choses nécessaires à la vie. Le village même peut suffire aux
besoins d'un homme frugal. Il n'y a qu'une seule maison de campagne
entre la mienne et le village : on y trouve jusqu'à trois bains
publics. Imaginez-vous combien cela est commode, soit que vous
arriviez lorsqu'on ne vous attend pas, soit que le peu de séjour que
vous avez résolu de faire dans votre maison ne vous donne pas le
temps de préparer vos propres bains, Tout le rivage est bordé de
maisons, les unes contiguës, les autres séparées, qui, par leur
beauté différente, forment le plus agréable aspect du monde, et
semblent offrir plus d'une ville à vos yeux. Vous pouvez également
jouir de cette vue, soit que vous vous promeniez sur terre ou sur
mer. La mer y est quelquefois tranquille, le plus souvent fort
agitée. On y pêche beaucoup de poisson, mais ce n'est pas du plus
délicat. On y prend pourtant des soles excellentes, et des cancres
assez bons. La terre ne vous est pas moins libérale de ses biens.
Surtout nous avons du lait en abondance au Laurentin; car les
troupeaux aiment à s'y retirer quand la chaleur les chasse du
pâturage, et les oblige de chercher de l'ombrage ou de l'eau.
N'ai-je pas raison de tant chérir cette retraite, d'en faire mes
délices, d'y, demeurer si longtemps? En vérité, vous aimez trop la
ville, si vous n'avez envie de passer avec moi quelques jours en un
lieu si agréable. Puissiez-vous y venir, pour ajouter à tous les
charmes de ma maison ceux qu'elle emprunterait de votre présence !
Adieu. |
II, 17
C. Plinius Gallo suo s.
1
Miraris cur me Laurentinum vel (si ita mavis), Laurens meum tanto
opere delectet; desines mirari, cum cognoveris gratiam villae,
opportunitatem loci, litoris spatium. 2 Decem septem
milibus passuum ab urbe secessit, ut peractis quae agenda fuerint
salvo jam et composito die possis ibi manere. Aditur non una via;
nam et Laurentina et Ostiensis eodem ferunt, sed Laurentina a quarto
decimo lapide, Ostiensis ab undecimo relinquenda est. Utrimque
excipit iter aliqua ex parte harenosum, junctis paulo gravius et
longius, equo breve et molle. 3 Varia hinc atque inde
facies; nam modo occurrentibus silvis via coartatur, modo latissimis
pratis diffunditur et patescit; multi greges ovium, multa ibi
equorum boum armenta, quae montibus hieme depulsa herbis et tepore
verno nitescunt. Villa usibus capax, non sumptuosa tutela. 4
Cujus in prima parte atrium frugi, nec tamen sordidum; deinde
porticus in D litterae similitudinem circumactae, quibus parvola sed
festiva area includitur. Egregium hac adversus tempestates
receptaculum; nam specularibus ac multo magis imminentibus rectis
muniuntur. 5 Est contra medias cavaedium hilare, mox
triclinium satis pulchrum, quod in litus excurrit ac si quando
Africo mare impulsum est, fractis jam et novissimis fluctibus
leviter alluitur. Undique valvas aut fenestras non minores valvis
habet atque ita a lateribus a fronte quasi tria maria prospectat; a
tergo cavaedium porticum aream porticum rursus, mox atrium silvas et
longinquos respicit montes. 6 Hujus a laeva retractius
paulo cubiculum est amplum, deinde aliud minus quod altera fenestra
admittit orientem, occidentem altera retinet; hac et subjacens mare
longius quidem sed securius intuetur. 7 Hujus cubiculi et
triclinii illius objectu includitur angulus, qui purissimum solem
continet et accendit. Hoc hibernaculum, hoc etiam gymnasium meorum
est; ibi omnes silent venti, exceptis qui nubilum inducunt, et
serenum ante quam usum loci eripiunt. 8 Annectitur angulo
cubiculum in hapsida curvatum, quod ambitum solis fenestris omnibus
sequitur. Parieti ejus in bibliothecae speciem armarium insertum
est, quod non legendos libros sed lectitandos capit. 9
Adhaeret dormitorium membrum transitu interjacente, qui suspensus et
tubulatus conceptum vaporem salubri temperamento huc illuc digerit
et ministrat. Reliqua pars lateris hujus servorum libertorumque
usibus detinetur, plerisque tam mundis, ut accipere hospites
possint. 10 Ex alio latere cubiculum est politissimum;
deinde vel cubiculum grande vel modica cenatio, quae plurimo sole,
plurimo mari lucet; post hanc cubiculum cum procoetone, altitudine
aestivum, munimentis hibernum; est enim subductum omnibus ventis.
Huic cubiculo aliud et procoeton communi pariete junguntur. 11
Inde balinei cella frigidaria spatiosa et effusa, cujus in
contrariis parietibus duo baptisteria velut ejecta sinuantur, abunde
capacia si mare in proximo cogites. Adjacet unctorium, hypocauston,
adjacet propnigeon balinei, mox duae cellae magis elegantes quam
sumptuosae; cohaeret calida piscina mirifica, ex qua natantes mare
aspiciunt, 12 nec procul sphaeristerium quod calidissimo
soli inclinato jam die occurrit. Hic turris erigitur, sub qua
diaetae duae, totidem in ipsa, praeterea Chianti quae latissimum
mare longissimum litus villas amoenissimas possidet. 13
Est et alia turris; in hac cubiculum, in quo sol nascitur
conditurque; lata post apotheca et horreum, sub hoc triclinium, quod
turbati maris non nisi fragorem et sonum patitur, eumque jam
languidum ac desinentem; hortum et gestationem videt, qua hortus
includitur. 14 Gestatio buxo aut rore marino, ubi deficit
buxus, ambitur; nam buxus, qua parte defenditur tectis, abunde
viret; aperto caelo apertoque vento et quamquam longinqua aspergine
maris inarescit. 15 Adjacet gestationi interiore
circumitu vinea tenera et umbrosa, nudisque etiam pedibus mollis et
cedens. Hortum morus et ficus frequens vestit, quarum arborum illa
vel maxime ferax terra est, malignior ceteris. Hac non deteriore
quam maris facie Chianti remota a mari fruitur, cingitur diaetis
duabus a tergo, quarum fenestris subjacet vestibulum villae et
hortus alius pinguis et rusticus. 16 Hinc cryptoporticus
prope publici operis extenditur. Utrimque fenestrae, a mari plures,
ab horto singulae sed alternis pauciores. Hae cum serenus dies et
immotus, omnes, cum hinc vel inde ventis inquietus, qua venti
quiescunt sine injuria patent. 17 Ante cryptoporticum
xystus violis odoratus. Teporem solis infusi repercussu
cryptoporticus auget, quae ut tenet solem sic aquilonem inhibet
summovetque, quantumque caloris ante tantum retro frigoris;
similiter africum sistit, atque ita diversissimos ventos alium alio
latere frangit et finit. Haec jucunditas ejus hieme, major aestate.
18 Nam ante meridiem xystum, post meridiem gestationis
hortique proximam partem umbra sua temperat, quae, ut dies crevit
decrevitve, modo brevior modo longior hac vel illa cadit. 19
Ipsa vero cryptoporticus tum maxime caret sole, cum ardentissimus
culmini ejus insistit. Ad hoc patentibus fenestris favonios accipit
transmittitque nec umquam aere pigro et manente ingravescit. 20
In capite xysti, deinceps cryptoporticus horti, diaeta est amores
mei, re vera amores: ipse posui. In hac heliocaminus quidem alia
xystum, alia mare, utraque solem, cubiculum autem valvis
cryptoporticum, fenestra prospicit mare. 21 Contra
parietem medium zotheca perquam eleganter recedit, quae specularibus
et velis obductis reductisve modo adicitur cubiculo modo aufertur.
Lectum et duas cathedras capit; a pedibus mare, a tergo villae, a
capite silvae: tot facies locorum totidem fenestris et distinguit et
miscet. 22 Junctum est cubiculum noctis et somni. Non
illud voces servolorum, non maris murmur, non tempestatum motus non
fulgurum lumen, ac ne diem quidem sentit, nisi fenestris apertis.
Tam alti abdicitque secreti illa ratio, quod interjacens andron
parietem cubiculi hortique distinguit atque ita omnem sonum media
inanitate consumit. 23 Applicitum est cubiculo
hypocauston perexiguum, quod angusta fenestra suppositum calorem, ut
ratio exigit, aut effundit aut retinet. Procoeton inde et cubiculum
porrigitur in solem, quem orientem statim exceptum ultra meridiem
oblicum quidem sed tamen servat. 24 In hanc ego diaetam
cum me recepi, abesse mihi etiam a villa mea videor, magnamque ejus
voluptatem praecipue Saturnalibus capio, cum reliqua pars tecti
licentia dierum festisque clamoribus personat; nam nec ipse meorum
lusibus nec illi studiis meis obstrepunt. 25 Haec
utilitas haec amoenitas deficitur aqua salienti, sed puteos ac
potius fontes habet; sunt enim in summo. Et omnino litoris illius
mira natura: quacumque loco moveris humum, obvius et paratus umor
occurrit, isque sincerus ac ne leviter quidem tanta maris vicinitate
corruptus. 26 Suggerunt affatim ligna proximae silvae;
ceteras copias ostiensis colonia ministrat. Frugi quidem homini
sufficit etiam vicus, quem una villa discernit. In hoc balinea
meritoria tria, magna commoditas, si forte balineum domi vel subitus
adventus vel brevior mora calfacere dissuadeat. 27 Litus
ornant varietate gratissima nunc continua nunc intermissa tecta
villarum, quae praestant multarum urbium faciem, sive mari sive ipso
litore utare; quod non numquam longa tranquillitas mollit, saepius
frequens et contrarius fluctus indurat. 28 Mare non sane
pretiosis piscibus abundat, soleas tamen et squillas optimas egerit.
Villa vero nostra etiam mediterraneas copias praestat, lac in
primis; nam illuc e pascuis pecora conveniunt, si quando aquam
umbramve sectantur.
29
Justisne de causis jam tibi videor incolere inhabitare diligere
secessum? quem tu nimis urbanus es nisi concupiscis. Atque utinam
concupiscas! ut tot tantisque dotibus villulae nostrae maxima
commendatio ex tuo contubernio accedat.
Vale. |
LETTRE XVIII.
PLINE A MAURICUS.
Quelle commission plus agréable pourriez-vous me donner, que celle
de chercher un précepteur pour vos neveux? Je vous suis redevable du
plaisir de revoir des lieux où l'on a pris soin de former ma
jeunesse, et où il me semble que je reprends en quelque sorte mes
plus belles années. Je recommence à m'asseoir, comme j'avais coutume
de faire, entre les jeunes gens, et je m'aperçois de la
considération que mon inclination pour les belles-lettres me donne
auprès d'eux. Le dernier jour, j'arrivai pendant qu'ils disputaient
ensemble dans une assemblée nombreuse, et en présence de plusieurs
sénateurs. J'entrai : ils se turent. Je ne vous rapporterais pas ce
détail, s'il ne leur faisait plus d'honneur qu'à moi, et s'il ne
vous promettait une heureuse éducation pour vos neveux. Ce qui me
reste, c'est d'entendre tous les professeurs, et de vous mander mon
sentiment. Je ferai si bien, autant qu'une lettre le pourra
permettre, que vous serez en état d'en juger comme si vous les aviez
entendus vous-même. Je vous dois ce soin, je le dois à la mémoire de
votre frère, et surtout dans une occasion de cette importance : car
mie pouvez-vous avoir plus à coeur que de rendre ses enfants (je
dirais les vôtres, si ce n'est que vous aimez ceux-ci davantage); de
rendre, dis-je, ses enfants dignes d'un tel père et d'un tel oncle?
J'aurais de mon propre mouvement rempli ce devoir, quand même vous
ne l'eussiez pas exigé. Je sais que la préférence donnée à un
précepteur ne manquera pas de me brouiller avec tous les autres ;
mais, pour l'intérêt de vos neveux, il n'est point d'inimitiés si
fortes que je ne doive affronter avec autant de courage qu'un père
le ferait pour ses propres enfants.
Adieu. |
II, 18
C. Plinius Maurico suo s.
1
Quid a te mihi jucundius potuit injungi, quam ut praeceptorem
fratris tui liberis quaererem? Nam beneficio tuo in scholam redeo,
et illam dulcissimam aetatem quasi resumo: sedeo inter juvenes ut
solebam, atque etiam experior quantum apud illos auctoritatis ex
studiis habeam. 2 Nam proxime frequenti auditorio inter
se coram multis ordinis nostri clare jocabantur; intravi,
conticuerunt; quod non referrem, nisi ad illorum magis laudem quam
ad meam pertineret, ac nisi sperare te vellem posse fratris tui
filios probe discere. 3 Quod superest, cum omnes qui
profitentur audiero, quid de quoque sentiam scribam, efficiamque
quantum tamen epistula consequi potero, ut ipse omnes audisse
videaris. 4 Debeo enim tibi, debeo memoriae fratris tui
hanc fidem hoc studium, praesertim super tanta re. Nam quid magis
interest vestra, quam ut liberi (dicerem tui, nisi nunc illos magis
amares) digni illo patre, te patruo reperiantur? quam curam mihi
etiam si non mandasses vindicassem. 5 Nec ignoro
suscipiendas offensas in eligendo praeceptore, sed oportet me non
modo offensas, verum etiam simultates pro fratris tui filiis tam
aequo animo subire quam parentes pro suis.
Vale. |
LETTRE XIX.
PLINE A CÉREALIS.
Vous me pressez de lire mon plaidoyer dans une assemblée d'amis : je
ne m'y sens pas trop disposé; mais vous le voulez, je le ferai. Je
sais que dans la lecture les harangues perdent leur feu, leur force;
en un mot, qu'elles cessent presque d'être harangues. Rien ne les
fait ordinairement tant valoir, rien ne les anime tant, que la
présence des juges, le concours des avocats, l'attente du succès, la
réputation du demandeur, et l'inclination secrète qui divise les
auditeurs et les attache à différents partis. Le geste même de
l'orateur, sa démarche, sa prononciation, enfin un air vif répandu
dans toute sa personne, et qui exprime les mouvements de son âme,
tout frappe, tout impose. On s'en aperçoit dans ceux qui déclament
assis. Quoiqu'ils conservent d'ailleurs tous les autres avantages,
cette seule posture semble rendre toute leur action plus faible et
plus languissante. Ceux qui lisent ont bien plus à perdre. Comme ils
ne peuvent presque se servir ni de l'oeil ni de la main, si propres
à soutenir le déclamateur, il ne faut pas s'étonner que l'attention
languisse, lorsqu'aucun agrément extérieur ne la pique, ne la
réveille. Outre ces désavantages, j'avais celui de traiter un sujet
rempli de subtilités et de chicanes. Il est naturel à l'orateur de
croire que le sujet qui lui a donné du dégoût et de la peine, en
doit donner aussi à ses auditeurs. Où en trouver d'assez équitables
pour préférer un discours grave et serré, à un discours coulant et
harmonieux? C'est une discorde honteuse, mais très réelle pourtant,
que celle des juges et des auditeurs, qui demandent des choses
toutes différentes. Un auditeur raisonnable devrait se mettre à la
place du juge, et n'être touché que de ce qui le toucherait
lui-même, s'il avait à prononcer. Cependant, malgré tant
d'obstacles, la nouveauté pourra peut-être faire passer ma pièce.
J'entends nouveauté par rapport à nous; car les Grecs avaient un
genre d'éloquence qui, bien opposé à celui dont je vous parle,
revient en quelque sorte au même. Quand ils réfutaient une loi comme
contraire à une plus ancienne qui n'était point révoquée, ils
déterminaient ordinairement le sens contesté, en comparant ces lois
avec d'autres qui pouvaient y avoir du rapport. Moi, au contraire,
ayant à défendre la disposition que je prétendais trouver dans la
loi du péculat, je l'ai soutenue par d'autres lois qui
l'expliquaient plus clairement. Le vulgaire aura peine à goûter un
ouvrage de cette nature, mais il n'en doit avoir que plus de grâce
pour les savants. Si vous persistez toujours à vouloir que je lise
ma pièce, je la lirai indistinctement devant toutes les personnes
habiles. Mais, encore une fois, examinez bien sérieusement st je
dois m'engager à cette lecture : comptez, pesez tout ce que je viens
de vous dire, et n'écoutez, pour vous déterminer, que la raison.
Vous seul aurez besoin d'apologie. Je trouverai la mienne dans ma
complaisance.
Adieu. |
II, 19
C. Plinius Ceriali suo s.
1
Hortaris ut orationem amicis pluribus recitem. Faciam quia hortaris,
quamvis vehementer addubitem. 2 Neque enim me praeterit
actiones, quae recitantur, impetum omnem caloremque ac prope nomen
suum perdere, ut quas soleant commendare simul et accendere judicum
consessus, celebritas advocatorum, exspectatio eventus, fama non
unius actoris, diductumque in partes audientium studium, ad hoc
dicentis gestus incessus, discursus etiam omnibusque motibus animi
consentaneus vigor corporis. 3 Unde accidit ut ii qui
sedentes agunt, quamvis illis maxima ex parte supersint eadem illa
quae stantibus, tamen hoc quod sedent quasi debilitentur et
deprimantur. 4 Recitantium vero praecipua pronuntiationis
adjumenta, oculi manus, praepediuntur. Quo minus mirum est, si
auditorum intentio relanguescit, nullis extrinsecus aut blandimentis
capta aut aculeis excitata. 5 Accedit his quod oratio de
qua loquor pugnax et quasi contentiosa est. Porro ita natura
comparatum est, ut ea quae scripsimus cum labore, cum labore etiam
audiri putemus. 6 Et sane quotus quisque tam rectus
auditor, quem non potius dulcia haec et sonantia quam austera et
pressa delectent? Est quidem omnino turpis ista discordia, est
tamen, quia plerumque evenit ut aliud auditores aliud judices
exigant, cum alioqui iis praecipue auditor affici debeat, quibus
idem si foret judex, maxime permoveretur. 7 Potest tamen
fieri ut quamquam in his difficultatibus libro isti novitas
lenocinetur, novitas apud nostros; apud Graecos enim est quiddam
quamvis ex diverso, non tamen omnino dissimile. 8 Nam ut
illis erat moris, leges quas ut contrarias prioribus legibus
arguebant, aliarum collatione convincere, ita nobis inesse
repetundarum legi quod postularemus, cum hac ipsa lege tum aliis
colligendum fuit; quod nequaquam blandum auribus imperitorum, tanto
majorem apud doctos habere gratiam debet, quanto minorem apud
indoctos habet. 9 Nos autem si placuerit recitare
adhibituri sumus eruditissimum quemque. Sed plane adhuc an sit
recitandum examina tecum, omnesque quos ego movi in utraque parte
calculos pone, idque elige in quo vicerit ratio. A te enim ratio
exigetur, nos excusabit obsequjum.
Vale. |
LETTRE XX.
PLINE A CALVISIUS.
Que me donnerez-vous? et je vous conterai une histoire qui vaut son
pesant d'or. Je vous en dirai même plus d'une, car la dernière m'en
rappelle d'autres: il n'importe par où commencer. Véranie, veuve de
Pison (celui qui fut adopté par Galba), était à l'extrémité. Régulus
la vient voir. Quelle effronterie à un homme qui avait toujours été
l'ennemi déclaré du mari, et l'horreur de la femme! Encore passe
pour la visite : mais il prend la place la plus proche d'elle, ose
s'asseoir prés de son lit, lui demande le jour, l'heure de sa
naissance. Elle lui dit l'un et l'autre. Aussitôt il compose son
visage, fixe ses yeux, remue les lèvres, compte par ses doigts sans
rien compter; et tout ce vain mystère ne va qu'à tenir l'esprit de
cette pauvre malade suspendu par une longue attente. Vous êtes,
dit-il, dans votre année climatérique; mais vous guérirez. Pour
plus grande certitude, je vais consulter un sacrificateur, dont je
me suis souvent fort bien, trouvé. Il part; il fait un
sacrifice, revient, jure que les entrailles des victimes sont
d'accord avec ce qu'il a promis de la part des astres. Cette femme,
crédule comme on l'est d'ordinaire dans le péril, fait un codicille,
et laisse un legs à Régulus. Peu à peu le mal redouble, et, dans les
derniers soupirs, elle s'écrie : Le scélérat, le perfide, qui
renchérit même sur le parjure, et affirme des impostures par les
jours de son fils! Ce crime est familier à Régulus. Il expose
salis scrupule à la colère des dieux, qu'il trompe tous les jours,
la tète de son malheureux fils, et le donne pour garant d'un si
grand nombre de faux serments. Vellélus Blésus, ce riche consulaire,
voulait, pendant sa dernière maladie, changer quelque chose à son
testament. Régulus, qui se promettait quelque avantage de ce
changement, parce qu'il avait pris des mesures pour s'insinuer dans
l'esprit du malade, s'adresse aux médecins, les prie, les conjure de
prolonger, à quelque prix que ce soit, la vie de son ami. Le
testament est à peine scellé, que Régulus change de personnage et de
ton. Eh! messieurs, dit-il aux médecins, combien de temps
voulez-vous encore tourmenter un malheureux? Pourquoi envier une
douce mort à qui vous ne pouvez conserver la vie? Blésus meurt;
et, comme s'il eût tout entendu, il ne laisse rien à Régulus. C'est
bien assez de deux contes: m'en demandez-vous un troisième, suivant
le précepte de l'école? Il est tout prêt. Aurélie, femme d'un rare
mérite, se pare de ses plus riches habits, sur le point designer son
testament. Régulus, invité à la signature, arrive; et aussitôt, sans
autre détour : Je vous prie, lui dit-il, de me léguer ces
habits. Aurélie, de croire qu'il plaisante; lui, de la presser
fort sérieusement : enfin, il fait si bien, qu'il la contraint
d'ouvrir son testament, et de lui faire un legs de l'habit qu'elle
portait. Il ne se contenta pas de la voir écrire, il voulut encore
lire ce qu'elle avait écrit. Il est vrai qu'Aurélie est réchappée ;
mais ce n'est pas la faute de Régulus : il avait bien compté qu'elle
mourrait. Un homme de ce caractère ne laisse pas de recueillir des
successions et de recevoir des legs, comme s'il le méritait. Cela
doit-il surprendre dans une ville où le crime et l'impudence sont en
possession de disputer ou même de ravir à l'honneur et à la vertu
leurs récompenses? Voyez Régulus. C'était un gueux : il est devenu
si riche, à force de lâchetés et de crimes, qu'il m'a dit : Je
sacrifiais un jour aux dieux, pour savoir si je parviendrais jamais
à jouir de soixante millions de sesterces; doubles entrailles
trouvées dans la victime m'en promirent six vingt millions. Il
les aura, n'en doutez point, s'il continue à dicter ainsi des
testaments; espèce de fausseté, de toutes les faussetés, à mon avis,
la plus punissable. Adieu. |
II, 20
C. Plinius Calcisio suo s.
1
Assem para et accipe auream fabulam, fabulas immo; nam me priorum
nova admonuit, nec refert a qua potissimum incipiam. 2
Verania Pisonis graviter jacebat, hujus dico Pisonis, quem Galba
adoptavit. Ad hanc Regulus venit. Primum impudentiam hominis, qui
venerit ad aegram, cujus marito inimicissimus, ipsi invisissimus
fuerat! 3 Esto, si venit tantum; at ille etiam proximus
toro sedit, quo die qua hora nata esset interrogavit. Ubi audiit,
componit vultum intendit oculos movet labra, agitat digitos
computat. Nihil. Ut diu miseram exspectatione suspendit, ‘habes’
inquit ‘climacterium tempus sed evades. 4 Quod ut tibi
magis liqueat, haruspicem consulam, quem sum frequenter expertus.’
5 Nec mora, sacrificium facit, affirmat exta cum siderum
significatione congruere. Illa ut in periculo credula poscit
codicillos, legatum Regulo scribit. Mox ingravescit, clamat moriens
hominem nequam perfidum ac plus etiam quam perjurum, qui sibi per
salutem filii pejerasset. 6 Facit hoc Regulus non minus
scelerate quam frequenter, quod iram deorum, quos ipse cotidie
fallit, in caput infelicis pueri detestatur.
7
Vellejus Blaesus ille locuples consularis novissima valetudine
conflictabatur: cupiebat mutare testamentum. Regulus qui speraret
aliquid ex novis tabulis, quia nuper captare eum coeperat, medicos
hortari rogare, quoquo modo spiritum homini prorogarent. 8
Postquam signatum est testamentum, mutat personam, vertit
allocutionem isdemque medicis: ‘Quousque miserum cruciatis? quid
invidetis bona morte, cui dare vitam non potestis?’ Moritur Blaesus
et, tamquam omnia audisset, Regulo ne tantulum quidem.
9
Sufficiunt duae fabulae, an scholastica lege tertiam poscis? est
unde fiat. 10 Aurelia ornata femina signatura testamentum
sumpserat pulcherrimas tunicas. Regulus cum venisset ad signandum,
‘Rogo’ inquit ‘has mihi leges.’ 11 Aurelia ludere hominem
putabat, ille serio instabat; ne multa, coegit mulierem aperire
tabulas ac sibi tunicas quas erat induta legare; observavit
scribentem, inspexit an scripsisset. Et Aurelia quidem vivit, ille
tamen istud tamquam morituram coegit. Et hic hereditates, hic legata
quasi mereatur accipit.
12
Ἀλλὰ τί διατείνομαι in ea civitate, in qua jam pridem non minora
praemia, immo majora nequitia et improbitas quam pudor et virtus
habent? 13 Aspice Regulum, qui ex paupere et tenui ad
tantas opes per flagitia processit, ut ipse mihi dixerit, cum
consuleret quam cito sestertium sescentiens impleturus esset,
invenisse se exta duplicia, quibus portendi miliens et ducentiens
habiturum. 14 Et habebit, si modo ut coepit, aliena
testamenta, quod est improbissimum genus falsi, ipsis quorum sunt
illa dictaverit.
Vale.
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NOTES SUR LES LETTRES DE PLINE.
LIVRE II.
Lett. 1. Virginii Rufi. Virginius Rufus, citoyen digne des
anciens temps de la république. Tacite eu fait un grand éloge. Deux
fois les soldats lui offrirent l'empire, après la mort de Néron et
après celle d'Othon, et deux fois il le refusa, au risque d'être
massacré.
Reservatum. J'ai suivi la leçon qui porte reservatum, et non
celle qui porte reservatus, et qui ne m'a pas paru si belle.
(D. S.)
Lett. 2. Μικραίτιος. In rebus parvulis querulus. (D S.)
Lett. 3. Νοήματα. Sententiae. (D. S.)
Ἕξιν. Facultatem. (D. S.)
Ἀφιλόκαλον. Alienum ab homine rerum honestarum studioso. (D. S.)
Τί δέ, εἰ αὐτοῦ, etc. Quid si illam ipsam belluam audivissetis. (D.
S.)
Λαμπροφω,ότατος. Clarissima vero praeditus (D. S.)
Lett. 11. Σεμνῶς. Graviter, et quadam cum majestate. (D. S.)
Λειτούργιον. Negotium publicum. (D. S.)
Lett. 12. Λειτούργιον. Même note que la précédente.
Lett. 14. Istas majores natu solebant dicere. Je hasarde ici
la correction d'un mot du texte qui me paraît altéré. Je lis
istas solebant dicere, qui fait un sens parfait, au lieu de
ista, qui le gâte. (D. S.)
Ubi tam palam sportulae. Les gens riches faisaient distribuer
du pain et de la viande à ceux de leurs clients qui étaient
misérables. C'était proprement une aumône. Beaucoup de poètes
médiocres n'avaient pas d'autres ressources pour vivre.
Σοφοκλεῖς. Acclamantes sapienter. (D. S.)
Ternis denariis. Le texte dit trois deniers, qui en valent
environ vingt-quatre de notre monnaie. (D. S.)
Μεσόχορος. Qui medio in choro consistit.
Lett.17. Laurentinum , etc. Laurente, petite ville à six
lieues de Rome.
Lett. 20. Signatum testamentum. Invité à la signature.
C'était une action de cérémonie chez les Romains. (D. S.)
Ἀλλά τι διατείμοναι, etc. Sed quid pluribus verbis contende? (D. S.)
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