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PLINE LE JEUNE

 

LIVRE CINQUIÈME

 

LETTRE PREMIÈRE.

PLINE A SÉVÈRE.

Ou vient de me faire un petit legs, que j'estime plus qu'un legs considérable. Vous demandez pourquoi? Le voici. Pomponia Gratilla déshérita son fils Assudius Curianus, et m'institua héritier avec Sertorius Sévérus, qui a été préteur, et avec quelques autres qui sont distingués dans l'ordre des chevaliers romains. Curianus me pressa de vouloir bien lui donner ma part dans la succession, et d'établir par là un préjugé en sa faveur contre mes cohéritiers; mais en même temps il m'offrit de me laisser, par une coutre lettre, cette même portion que je lui donnerais. Je lui répondis que ce n'était pas mon caractère de feindre publiquement une chose, et de faire secrètement l'autre; que d'ailleurs je ne croyais pas qu'une donation faite à un homme riche et sans enfants eût un bon air; qu'enfin elle serait inutile à ses desseins; qu'au contraire, un désistement de mon droit les favoriserait beaucoup; et que j'étais prêt à me désister, s'il me pouvait prouver qu'il eût été déshérité injustement. J'y consens, reprit-il, et je ne veux point d'autre juge que vous. Après avoir hésité un moment : Je le veux bien, lui dis-je; car je ne vois pas pourquoi j'aurais de moi moins bonne opinion que vous ne l'avez : mais souvenez-vous que rien ne m'ébranlera, si la justice m'engage à décider pour votre mère. Comme vous voudrez, répondit-il; car vous ne voudrez jamais que ce qui sera le plus juste. Je choisis donc dans Rome, pour juger avec moi, deux hommes de la première considération, Corellius et Frontinus. Avec eux,je donne audience à Curianus dans ma chambre. Il dit tout ce qu'il crut pouvoir établir la justice de ses plaintes. Je répliquai en peu de mots; car personne n'était là pour défendre l'honneur de la testatrice. Après cela, je m'éloignai de lui pour délibérer; et ensuite, de l'avis de mon conseil, je lui dis : Il me paraît, Curianus, que le chagrin de votre mère contre vous était juste.

Quelque temps après, il fait assigner mes cohéritiers devant les centumvirs; il n'excepte que moi. Le jour que l'affaire se devait juger approchait. Ils souhaitaient tous un accommodement, non qu'ils se défiassent de leur cause, mais les temps leur faisaient peur. Ils appréhendaient (ce qu'ils avaient vu plus d'une fois arriver à d'autres) qu'au sortir d'un procès civil devant les centumvirs, ils ne tombassent dans un procès criminel et capital. Il y en avait parmi eux contre qui l'amitié de Gratilla et de Rusticus pouvait fournir un prétexte d'accusation. Ils me prient de pressentir Curianus. Je prends rendez-vous avec lui dans le temple de la Concorde. Là, je lui dis : Si votre mère vous eût institué héritier pour un quart, ou si même elle vous eût fait son unique héritier, mais que par des legs elle eût si fort chargé sa succession qu'il ne vous en restât que le quart de libre, auriez-vous droit de vous plaindre? Vous devez donc être content si, étant déshérité, ses héritiers vous abandonnent la quatrième partie de ce qui peut leur en revenir. J'y veux pourtant encore ajouter du mien. Vous savez que vous ne m'avez point assigné : ainsi la prescription qui m'est acquise par une possession publique et paisible pendant deux années, met ma portion héréditaire à couvert de vos prétentions. Cependant, pour vous obliger à faire meilleure composition à mes cohéritiers, et pour vous rendre tout ce que votre considération pour moi pourrait vous avoir coûté, je consens que votre quart se prenne sur ma portion, comme sur la leur. Le témoignage secret de ma conscience ne fut pas le seul fruit que je recueillis de cette action; elle me fit honneur. C'est donc ce même Curianus qui m'a laissé un legs, voulant reconnaître, par ce témoignage, un trait de désintéressement qui, si je ne me flatte pas trop, est digne de nos ancêtres. Je vous écris ce détail, parce que j'ai coutume de m'entretenir avec vous, aussi naïvement qu'avec moi-même, de tout ce qui me cause de la peine ou du plaisir. Je croirais qu'il serait injuste de garder pour soi toute sa joie, et de l'envier à son ami. Car enfin, je veux bien l'avouer, ma sagesse ne va pas jusqu'à ne compter pour rien cette espèce de récompense que la vertu trouve dans l'approbation de ceux qui l'estiment.

Adieu.

V, 1

C. Plinius Annio Severo suo s.

1 Legatum mihi obvenit modicum sed amplissimo gratius. Cur amplissimo gratius? Pomponia Galla exheredato filio Asudio Curiano heredem reliquerat me, dederat coheredes Sertorium Severum praetorium virum aliosque splendidos equites Romanos. 2 Curianus orabat, ut sibi donarem portionem meam seque praejudicio juvarem; eandem tacita conventione salvam mihi pollicebatur. 3 Respondebam non convenire moribus meis aliud palam aliud agere secreto; praeterea non esse satis honestum donare et locupleti et orbo; in summa non profuturum ei si donassem, profuturum si cessissem, esse autem me paratum cedere si inique exheredatum mihi liqueret. 4 Ad hoc ille: ‘Rogo cognoscas.’ Cunctatus paulum ‘Faciam’ inquam; ‘neque enim video cur ipse me minorem putem, quam tibi videor. Sed jam nunc memento non defuturam mihi constantiam, si ita fides duxerit, secundum matrem tuam pronuntiandi.’ 5 ‘Ut voles’ ait; ‘voles enim quod aequissimum.’ Adhibui in consilium duos quos tunc civitas nostra spectatissimos habuit, Corellium et Frontinum. 6 His circumdatus in cubiculo meo sedi. Dixit Curianus quae pro se putabat. Respondi paucis ego (neque enim aderat alius, qui defunctae pudorem tueretur), deinde secessi, et ex consilii sententia ‘Videtur’ inquam, ‘Curiane, mater tua justas habuisse causas irascendi tibi.’

Post hoc ille cum ceteris subscripsit centumvirale judicium, non subscripsit mecum. 7 Appetebat judicii dies; coheredes mei componere et transigere cupiebant non diffidentia causae, sed metu temporum. Verebantur quod videbant multis accidisse, ne ex centumvirali judicio capitis rei exirent. 8 Et erant quidam in illis, quibus obici et Gratillae amicitia et Rustici posset. 9 Rogant me ut cum Curiano loquar. Convenimus in aedem Concordiae. Ibi ego ‘Si mater’ inquam ‘te ex parte quarta scripsisset heredem, num queri posses? Quid si heredem quidem instituisset ex asse, sed legatis ita exhausisset ut non amplius apud te quam quarta remaneret? Igitur sufficere tibi debet, si exheredatus a matre quartam partem ab heredibus ejus accipias, quam tamen ego augebo. 10 Scis te non subscripsisse mecum, et jam biennium transisse omniaque me usu cepisse. Sed ut te coheredes mei tractabiliorem experiantur, utque tibi nihil abstulerit reverentia mei, offero pro mea parte tantundem.’ Tuli fructum non conscientiae modo verum etiam famae. 11 Ille ergo Curianus legatum mihi reliquit et factum meum, nisi forte blandior mihi antiquum, notabili honore signavit.

12 Haec tibi scripsi, quia de omnibus quae me vel delectant vel angunt, non aliter tecum quam mecum loqui soleo; deinde quod durum existimabam, te amantissimum mei fraudare voluptate quam ipse capiebam. 13 Neque enim sum tam sapiens ut nihil mea intersit, an iis quae honeste fecisse me credo, testificatio quaedam et quasi praemium accedat.

Vale.

 

LETTRE II.

PLINE A FLACCUS.

Les grives que vous m'avez envoyées sont si excellentes, que je ne puis, ni par terre, ni par mer, trouver au Laurentin de quoi vous le rendre. Attendez-vous donc à une lettre où la stérilité et l'ingratitude se laisseront voir à découvert : je neveux pas seulement essayer de les cacher sous un échange, à la manière de Diomède. Mais voyez quel fond je fais sur votre générosité : je compte mon pardon d'autant plus sûr, que je n'en reconnais moins digne.

Adieu.

V, 2

C. Plinius Calpurnio Flacco suo s.

1 Accepi pulcherrimos turdos, cum quibus parem calculum ponere nec urbis copiis ex Laurentino nec maris tam turbidis tempestatibus possum. 2 Recipies ergo epistulas steriles et simpliciter ingratas, ac ne illam quidem sollertiam Diomedis in permutando munere imitantes. Sed, quae facilitas tua, hoc magis dabis veniam, quod se non mereri fatentur.

Vale.

LETTRE III.

PLINE A ARISTON.

Entre une infinité d'obligations que je vous ai, je compte pour une des plus grandes celle d'avoir bien voulu m'apprendre avec tant de franchise la longue dissertation que l'on a faite chez vous sur mes vers, et les différents jugements que l'on en porte. Je vois même qu'il se trouve des gens qui ne jugent pas les vers mauvais, mais qui, en amis sincères, ne trouvent pas bon, ni que je les fasse, ni que je les lise à d'autres. Je leur répondrai d'une manière qui va me rendre encore bien plus coupable à leurs yeux. Je m'amuse quelquefois à faire des vers peu sérieux ; je compose des comédies; je prends plaisir au théâtre ; je lis volontiers les poésies lyriques; les satiriques me divertissent ; je ne suis pas même fâché de rire, de plaisanter, de badiner. Enfin, pour rassembler en un mot tous les plaisirs innocents, je suis homme. Ceux qui ignorent que les plus savants personnages, les plus sages, les plus irrépréhensibles, ont écrit de ces bagatelles, me font honneur quand ils sont surpris de m'y voir donner quelques heures; mais j'ose me flatter que ceux qui connaissent mes garants et mes guides me pardonneront aisément, si je hasarde à m'égarer sur les pas de tant d'hommes illustres, qu'il n'est pas moins glorieux de suivre dans leurs amusements que dans leurs occupations. Aurais-je honte (je ne veux nommer personne entre les vivants, pour ne me pas rendre suspect de flatterie), aurais-je honte de faire ce qu'ont fait Cicéron, Calvus, Asinius, Messala, Hortensius, Brutus, Sylla, Catulle, Scévola, Sulpicius, Varron, Torquatus, ou plutôt les Torquatus, Memmius, Lentulus, Gétulicus, Sénèque, et de nos jours encore Virginius Rufus? Les exemples des particuliers ne suffisent-ils pas? Je citerai Jules César, Auguste, Nerva, Titus. Je ne parle point de Néron; je n'ignore pourtant pas que ce qui est honnête ne cesse pas de l'être parce que des scélérats le font quelquefois, mais que l'honnêteté demeure inséparablement attachée à ce qui est le plus souvent pratiqué par les gens de bien. Entre ceux-ci, on doit compter Virgile, Cornélius Népos, et plus anciennement Ennius et Accius. Il est vrai que ceux-ci n'ont pas été sénateurs; mais la probité n'admet ni distinction ni rang. J'avoue que je lis mes ouvrages dans des assemblées d'amis, et je ne sais s'ils ont lu les leurs; mais ils pouvaient s'en reposer sur eux, et moi je ne puis assez me fier à moi-même pour croire parfait ce qui me le parait. Je lis donc à. mes amis. Voici mes raisons. Un auteur qui compose redouble son application quand il songe aux auditeurs qu'il doit avoir. D'ailleurs, s'il a des doutes sur son ouvrage, il les résout comme à la pluralité des voix. Enfin, il reçoit différents avis de différentes personnes; et si on ne lui en donne point, les yeux, l'air, un geste, un signe, un bruit sourd, le silence même, parlent assez clairement à qui ne les confond pas avec le langage de la politesse. C'est pourquoi si quelqu'un de ceux qui m'ont écouté veut prendre la peine de lire ce qu'il a entendu, il trouvera que j'ai changé ou retranché des endroits qu'il avait peut-être lui-même critiqués, quoiqu'il ne m'en ait rien dit. Prenez garde que je vous dis toutes ces choses comme si pour m'entendre j'avais assemblé le peuple dans une salle publique, et non pas mes amis seulement, et dans ma chambre. Un grand nombre d'amis a souvent fait honneur, et n'a jamais attiré de reproches.

 Adieu.

V, 3

C. Plinius Titio Aristoni suo s.

1 Cum plurima officia tua mihi grata et jucunda sunt, tum vel maxime quod me celandum non putasti, fuisse apud te de versiculis meis multum copiosumque sermonem, eumque diversitate judiciorum longius processisse, exstitisse etiam quosdam, qui scripta quidem ipsa non improbarent, me tamen amice simpliciterque reprehenderent, quod haec scriberem recitaremque. 2 Quibus ego, ut augeam meam culpam, ita respondeo: facio non numquam versiculos severos parum, facio; nam et comoedias audio et specto mimos et lyricos lego et Sotadicos intellego; aliquando praeterea rideo jocor ludo, utque omnia innoxiae remissionis genera breviter amplectar, homo sum. 3 Nec vero moleste fero hanc esse de moribus meis existimationem, ut qui nesciunt talia doctissimos gravissimos sanctissimos homines scriptitasse, me scribere mirentur. 4 Ab illis autem quibus notum est, quos quantosque auctores sequar, facile impetrari posse confido, ut errare me sed cum illis sinant, quorum non seria modo verum etiam lusus exprimere laudabile est. 5 An ego verear (neminem viventium, ne quam in speciem adulationis incidam, nominabo), sed ego verear ne me non satis deceat, quod decuit M. Tullium, C. Calvum, Asinium Pollionem, M. Messalam, Q. Hortensium, M. Brutum, L. Sullam, Q. Catulum, Q. Scaevolam, Servium Sulpicium, Varronem, Torquatum, immo Torquatos, C. Memmium, Lentulum Gaetulicum, Annaeum Senecam et proxime Verginium Rufum et, si non sufficiunt exempla privata, Divum Julium, Divum Augustum, Divum Nervam, Tiberium Caesarem? 6 Neronem enim transeo, quamvis sciam non corrumpi in deterius quae aliquando etiam a malis, sed honesta manere quae saepius a bonis fiunt. Inter quos vel praecipue numerandus est P. Vergilius, Cornelius Nepos et prius Accius Enniusque. Non quidem hi senatores, sed sanctitas morum non distat ordinibus. 7 Recito tamen, quod illi an fecerint nescio. Etiam: sed illi judicio suo poterant esse contenti, mihi modestior constantia est quam ut satis absolutum putem, quod a me probetur. 8 Itaque has recitandi causas sequor, primum quod ipse qui recitat aliquanto acrius scriptis suis auditorum reverentia intendit; deinde quod de quibus dubitat, quasi ex consilii sententia statuit. 9 Multa etiam multis admonetur, et si non admoneatur, quid quisque sentiat perspicit ex vultu oculis nutu manu murmure silentio; quae satis apertis notis judicium ab humanitate discernunt. 10 Atque adeo si cui forte eorum qui interfuerunt curae fuerit eadem illa legere, intelleget me quaedam aut commutasse aut praeterisse, fortasse etiam ex suo judicio, quamvis ipse nihil dixerit mihi. 11 Atque haec ita disputo quasi populum in auditorium, non in cubiculum amicos advocarim, quos plures habere multis gloriosum, reprehensioni nemini fuit.

Vale.

LETTRE IV.

PLINE A VALÉRIANUS.

Je vais vous conter une chose peu importante, si vous ne remontez jusqu'au principe. Solers, ancien préteur, a demandé au sénat permission d'établir des foires dans ses terres. Les députés de Vicente s'y sont opposés; et Thuscilius Nominatus s'est présenté pour les défendre. L'affaire fut remise. Les Vicentius revinrent au sénat un autre jour, mais sans avocat. Ils se plaignirent d'avoir été trompés, soit qu'ils le crussent ainsi, soit que ce mot leur eût échappé. Le préteur Népos leur demanda quel avocat ils avaient chargé de leur cause. Ils répondirent que c'était le même qui les avait accompagnés la première fois. Ce qu'ils lui avaient donné? Ils disent qu'il a reçu d'eux six mille sesterces. S'ils ne lui avaient rien donné depuis? Ils déclarent qu'ils lui ont encore payé mille deniers. Népos a requis que Nominatus fût mandé. C'est tout ce qui se passa ce jour-là. Mais, si je ne me trompe, cette affaire n'en demeurera pas là; car il est des choses cachées qui ont de grandes suites, quand on vient à les remuer. Je vous ai inspiré toute la curiosité qu'il faut pour vous engager à me demander le reste, si pourtant, pour la satisfaire, vous n'aimez mieux venir à Rome, et être spectateur plutôt que lecteur.

Adieu.

V, 4

C. Plinius Julio Valeriano suo s.

1 Res parva, sed initium non parvae. Vir praetorius Sollers a senatu periit, ut sibi instituere nundinas in agris suis permitteretur. Contra dixerunt legati Vicetinorum; adfuit Tuscilius Nominatus. 2 Dilata causa est. Alio senatu Vicetini sine advocato intraverunt, dixerunt se deceptos, lapsine verbo, an quia ita sentiebant. Interrogati a Nepote praetore, quem docuissent, responderunt quem prius. Interrogati an tunc gratis adfuisset, responderunt sex milibus nummum; an rursus aliquid dedissent, dixerunt mille denarios. Nepos postulavit ut Nominatus induceretur. 3 Hactenus illo die. Sed quantum auguror longius res procedet. Nam pleraque tacta tantum et omnino commota latissime serpunt. Erexi aures tuas. 4 Quam diu nunc oportet, quam blande roges, ut reliqua cognoscas! si tamen non ante ob haec ipsa veneris Romam, spectatorque malueris esse quam lector.

Vale.

LETTRE V.

PLINE A MAXIMUS.

On me mande que C. Fannius est mort. Cette nouvelle m'afflige beaucoup. J'aimais sa politesse et son éloquence; je prenais volontiers ses avis; il était naturellement pénétrant, consommé dans les affaires par une longue expérience, fertile en expédients. Je le plains de n'avoir pas, avant que de mourir, révoqué un ancien testament où il oublie ses meilleurs amis, et où il comble de biens ses ennemis les plus déclarés; mais encore cela peut être supportable. Ce qui doit nous désoler, c'est qu'il a laissé imparfait un ouvrage excellent. Quoique le barreau semblât l'occuper assez, il écrivait pourtant les tristes aventures de ceux que Néron avait bannis ou fait périr. Déjà trois livres de cet ouvrage, qui tient le milieu entre la simple relation et l'histoire, étaient achevés. Le style en est pur, le tour délicat, les faits exactement rassemblés. L'empressement qu'on témoignait à lire ces premiers livres redoublait la passion qu'il avait de finir les autres. Il me semble que la mort de ces grands hommes, qui consacrent leurs veilles à l'immortalité, est toujours cruelle, et vient toujours trop tôt : car ceux qui, enivrés des plaisirs, vivent au jour la journée, achèvent chaque jour de vivre. Mais ceux qui s'occupent de la postérité, et qui, a la faveur de leurs écrits, essayent de transmettre leur nom jusqu'à elle, sont toujours surpris par la mort, qui, en quelque temps qu'elle vienne, les empêche de finir quelque ouvrage commencé. Il est vrai que C. Fannius eut comme un présage de ce qui lui devait arriver. Il songea la nuit, en dormant, qu'il était couché dans la situation d'un homme qui étudie, et que, selon sa coutume, il avait près de lui la cassette où il enfermait ses papiers. Il s'imagina peu après voir entrer Néron, qui s'assit sur son lit, prit le premier livre, qui contenait les horreurs de son règne, et que Fannius avait rendu public, le lut d'un bout à l'autre; prit ensuite et lut de même le second et le troisième, et se retira. Fannius, saisi de frayeur, donna cette interprétation à ce songe, qu'il ne pousserait pas plus loin son histoire que Néron avait poussé sa lecture. Et cela s'est trouvé vrai.  Je ne puis y penser sans le plaindre d'avoir perdu tant de veilles et tant de travaux. L'incertitude de ma mort, et mes écrits, me reviennent dans l'esprit. Je ne doute pas que vous ne ressentiez mêmes alarmes pour les vôtres. Ainsi, pendant que nous jouissons de la vie, travaillons à ne laisser exposé au caprice de la mort que le moins d'ouvrages que nous pourrons.

Adieu.

V, 5

C. Plinius Novio Maximo suo s.

1 Nuntiatum mihi C. Fannium decessisse; qui nuntius me gravi dolore confudit, primum quod amavi hominem elegantem disertum, deinde quod judicio ejus uti solebam. Erat enim acutus natura, usu exercitatus, veritate promptissimus. 2 Angit me super ista casus ipsius: decessit veteri testamento, omisit quos maxime diligebat, prosecutus est quibus offensior erat. Sed hoc utcumque tolerabile; gravius illud, quod pulcherrimum opus imperfectum reliquit. 3 Quamvis enim agendis causis distringeretur, scribebat tamen exitus occisorum aut relegatorum a Nerone et jam tres libros absolverat subtiles et diligentes et Latinos atque inter sermonem historiamque medios, ac tanto magis reliquos perficere cupiebat, quanto frequentius hi lectitabantur. 4 Mihi autem videtur acerba semper et immatura mors eorum, qui immortale aliquid parant. Nam qui voluptatibus dediti quasi in diem vivunt, vivendi causas cotidie finiunt; qui vero posteros cogitant, et memoriam sui operibus extendunt, his nulla mors non repentina est, ut quae semper incohatum aliquid abrumpat. 5 Gaius quidem Fannius, quod accidit, multo ante praesensit. Visus est sibi per nocturnam quietem jacere in lectulo suo compositus in habitum studentis, habere ante se scrinium (ita solebat); mox imaginatus est venisse Neronem, in toro resedisse, prompsisse primum librum quem de sceleribus ejus ediderat, cumque ad extremum revolvisse; idem in secundo ac tertio fecisse, tunc abisse. 6 Expavit et sic interpretatus est, tamquam idem sibi futurus esset scribendi finis, qui fuisset illi legendi: et fuit idem. 7 Quod me recordantem miseratio subit, quantum vigiliarum quantum laboris exhauserit frustra. Occursant animo mea mortalitas mea scripta. Nec dubito te quoque eadem cogitatione terreri, pro istis quae inter manus habes. 8 Proinde, dum suppetit vita, enitamur ut mors quam paucissima quae abolere possit inveniat.

Vale.

LETTRE VI.

PLINE A APOLLINAIRE.

J'ai été sensible à votre attention sur moi et à votre inquiétude, lorsqu'informé que je devais aller cet été à ma terre de Toscane, vous avez essayé de m'en détourner, parce que vous n'en croyez pas l'air sain. Il est vrai que le canton de Toscane, qui s'étend le long de la mer, est dangereux et empesté ; mais ma terre en est fort éloignée. Elle est un peu au-dessous de l'Apennin, dont l'air est plus pur que d'aucune autre montagne. Et afin que vous soyez bien guéri de votre peur, voici quelle est la température du climat, la situation du pays, la beauté de la maison. Vous n'aurez guère moins de plaisir à,lire ma description, que moi à vous la faire. En hiver, l'air y est froid, et il y gèle; il y est fort contraire aux myrtes, aux oliviers, et aux autres espèces d'arbres qui ne se plaisent que clans la chaleur. Cependant il y vient des lauriers, qui conservent toute leur verdure, malgré la rigueur de la saison. Véritablement elle en fait quelquefois mourir; mais ce n'est pas plus souvent qu'aux environs de Rome. L'été y est merveilleusement doux : vous y avez toujours de l'air; mais les vents y respirent plus qu'ils n'y soufflent. Aussi les vieillards y sont-ils nombreux. Rien n'est plus commun que d'y voir les aïeuls, les bisaïeuls de jeunes gens déjà formés, d'entendre raconter de vieilles histoires et rappeler les discours des ancêtres. Quand vous y êtes, vous croyez être né dans un autre siècle. La disposition du terrain est très belle. Imaginez-vous un amphithéâtre immense, et tel que la nature le peut faire; une vaste plaine environnée de montagnes chargées sur leurs cimes de bois très hauts et très anciens. Là, le gibier de différente espèce est très commun. De là descendent des taillis par la pente même des montagnes. Entre ces taillis se rencontrent des collines, d'un terroir si bon et si gras qu'il serait difficile d'y trouver une pierre, quand même on l'y chercherait. Leur fertilité ne le cède point à celle des pleines campagnes; et si les moissons y sont plus tardives, elles n'y mûrissent pas moins. Au pied de ces montagnes, on ne voit, tout le long du coteau, que des vignes, qui, comme si elles se touchaient, n'en paraissent qu'une seule. Ces vignes sont bordées par quantité d'arbrisseaux. Ensuite sont des prairies et des terres labourables, si fortes qu'à peine les meilleures charrues et les mieux attelées peuvent en faire l'ouverture. Alors même, comme la terre est très liée, elles en enlèvent de si grandes mottes, que, pour les bien séparer, il y faut repasser le soc jusqu'à neuf fois. Les prés, émaillés de fleurs, y fournissent du trèfle et d'autres sortes d'herbes, toujours aussi tendres et aussi pleines de suc que si elles ne venaient que de naître. Ils tirent cette fertilité des ruisseaux qui les arrosent, et qui ne tarissent jamais. Cependant, en des lieux où l'on trouve tant d'eaux, l'on ne voit point de marécages, parce que la terre, disposée en pente, laisse couler dans le Tibre le reste des eaux dont elle ne s'est point abreuvée. Il passe tout au travers des campagnes, et porte des bateaux, sur lesquels, pendant l'hiver et le printemps, on peut charger toutes sortes de provisions pour Rome. En été il baisse si fort, que son lit, presque à sec, l'oblige à quitter son nom de grand fleuve, qu'il reprend en automne. Vous aurez un grand plaisir à regarder la situation de ce pays du haut d'une montagne. Vous ne croirez point voir des terres, mais un paysage peint exprès, tant vos yeux, de quelque côté qu'ils se tournent, seront charmés par l'arrangement et par la variété des objets. La maison, quoique balle au bas de la colline, a la même vue que si elle était placée au sommet. Cette colline s'élève par une pente si douce, que l'on s'aperçoit que l'on est monté, sans avoir senti que l'on montait. Derrière la maison est l'Apennin, mais assez éloigné. Dans les jours les plus calmes et les plus sereins, elle en reçoit des haleines de vent qui n'ont plus rien de violent et d'impétueux, pour avoir perdu toute leur force en chemin. Son exposition est presque entièrement au midi, et semble inviter le soleil, en été vers le milieu du jour, en hiver un peu plus tôt, à venir dans une galerie fort large et longue à proportion. La maison est composée de plusieurs pavillons. L'entrée est à la manière des anciens. Au-devant de la galerie ou voit un parterre, dont les différentes figures sont tracées avec du buis. Ensuite est un lit de gazon peu élevé, et autour duquel le buis représente plusieurs animaux qui se regardent. Plus bas est une pièce toute couverte d'acanthes, si douces et si tendres sous les pieds, qu'on ne les sent presque pas. Cette pièce est enfermée dans une promenade environnée d'arbres, qui, pressés les uns contre les autres, et diversement taillés, forment une palissade. Auprès est une allée tournante en forme de cirque, au dedans de laquelle on trouve du buis taillé de différentes façons, et des arbres que l'on a soin de tenir bas. Tout cela est fermé de murailles sèches, qu'un buis étagé couvre et cache à la vue. De l'autre côté est une prairie, qui ne plaît guère moins par ses beautés naturelles que toutes les choses dont je viens de parler, par les beautés qu'elles empruntent de l'art. Ensuite sont des pièces brutes, des prairies et des arbrisseaux. Au bout de la galerie est une salle à manger, dont la porte donne sur l'extrémité du parterre, et les fenêtres sur les prairies et sur une grande partie des pièces brutes. Par ces fenêtres on voit de côté le parterre, et ce qui, de la maison même, s'avance en saillie, avec le haut des arbres du manège. De l'un des côtés de la galerie et vers le milieu, on entre dans un appartement qui environne une petite cour ombragée de quatre platanes, au milieu desquels est un bassin de marbre, d'où l'eau, qui se dérobe, entretient, par un doux épanchement, la fraîcheur des platanes et des plantes qui sont au-dessous. Dans cet appartement est une chambre à coucher; la voix, le bruit ni le jour n'y pénètrent point : elle est accompagnée d'une salle où l'on mange d'ordinaire, et quand on veut être en particulier avec ses amis. Une autre galerie donne sur cette petite cour, et a toutes les mêmes vues que je viens de décrire. Il y a encore une chambre qui, pour être proche de l'un des platanes, jouit toujours de la verdure et de l'ombre. Elle est revêtue de marbre tout autour, à hauteur d'appui; et au défaut du marbre est une peinture qui représente des feuillages et des oiseaux sur des branches, mais si délicatement, qu'elle ne cède point à la beauté du marbre même. Au-dessous est une petite fontaine qui tombe dans un bassin, d'où l'eau, en s'écoulant par plusieurs petits tuyaux, forme un agréable murmure. D'un coin de la galerie on passe dans une grande chambre qui est vis-à-vis de la salle à manger : elle a ses fenêtres, d'un côté, sur le parterre, de l'autre sur la prairie, et immédiatement au-dessous de ses fenêtres est une pièce d'eau qui réjouit également les yeux et les oreilles ; car l'eau, en y tombant de haut dans un grand bassin de marbre, parait tout écumante, et forme je ne sais quel bruit qui fait plaisir. Cette chambre est fort chaude en hiver, parce que le soleil y donne de toutes parts. Tout auprès est un poêle qui supplée à la chaleur du soleil, quand les nuages le cachent. De l'autre côté est une salle où l'on se déshabille pour prendre le bain : elle est grande et fort gaie. Près de là on trouve la salle du bain d'eau froide, où est une baignoire très spacieuse et assez sombre. Si vous voulez vous baigner plus au large et plus chaudement, il y a dans la cour un bain, et tout auprès un puits, d'où l'on peut avoir de l'eau froide quand la chaleur incommode. A côté de la salle du bain froid est celle du bain tiède, que le soleil échauffe beaucoup, mais moins que celle du bain chaud, parce que celle-ci sort en saillie. On descend dans cette dernière salle par trois escaliers, dont deux sont exposés au grand soleil; le troisième en est plus éloigné, et n'est pourtant pas plus obscur. Au-dessus de la chambre où l'on quitte ses habits pour le bain, est un jeu de paume, où l'on peut prendre différentes sortes d'exercices, et qui pour cela est partagé en plusieurs réduits. Non loin du bain est un escalier qui conduit dans une galerie fermée, et auparavant dans trois appartements, dont l'un voit sur la petite cour ombragée de platanes, l'autre sur la prairie, le troisième sur des vignes; en sorte que son exposition est aussi différente que ses vues. A l'extrémité de la galerie fermée, est une chambre prise dans la galerie même, et qui regarde le manège,les vignes, les montagnes. Près de cette chambre en est une autre fort exposée au soleil, surtout pendant l'hiver. De là on entre dans un appartement qui joint le manège à la maison : voilà sa façade et son aspect. A l'un des côtés, qui regarde le midi, s'élève une galerie fermée, d'où l'on ne voit pas seulement les vignes, mais d'où l'on croit les toucher. Au mi-lieu de cette galerie on trouve une salle à manger, où les vents, qui viennent de l'Apennin, répandent un air fort sain. Elle a vue par de très grandes fenêtres sur les vignes, et encore sur les mêmes vignes par des portes à deux battants, d'où l'oeil traverse la galerie. Du côté où cette salle n'a point de fenêtres, est un escalier dérobé, par où l'on sert à manger. A l'extrémité est une chambre à qui la galerie ne fait pas un aspect moins agréable que les vignes. Au-dessous est une galerie presque souterraine, et si fraîche en été, que, contente de l'air qu'elle renferme, elle n'en donne et n'en reçoit point d'autre. Après ces deux galeries fermées est une salle à manger, suivie d'une galerie ouverte, froide avant midi, plus chaude quand le jour s'avance. Elle conduit à deux appartements : l'un est composé de quatre chambres; l'autre de trois, qui, selon que le soleil tourne, jouissent ou de ses rayons ou de l'ombre. Au devant de ces bâtiments, si bien entendus et si beaux, est un vaste manège; il est ouvert par le milieu, et s'offre d'abord tout entier à la vue de ceux qui entrent; il est entouré de platanes, et ces platanes sont revêtus de lierres. Ainsi le haut de ces arbres est vert de son propre feuillage; le bas est vert d'un feuillage étranger. Ce lierre court autour du tronc et des branches, et, passant d'un platane à l'autre, les lie ensemble. Entre ces platanes sont des huis; et ces buis sont par dehors environnés de lauriers qui mêlent leurs ombrages à celui des platanes. L'allée du manège est droite; mais à son extrémité elle change de figure, et se termine en demi-cercle. Ce manège est entouré et couvert de cyprès qui en rendent l'ombre et plus épaisse et plus noire. Les allées en rond qui sont au dedans (car il y en a plusieurs les unes dans les autres) reçoivent un jour très pur et très clair. Les roses s'y offrent partout, et un agréable soleil y corrige la trop grande fraîcheur de l'ombre. Au sortir de ces allées rondes et redoublées, on rentre dans l'allée droite, qui, des deux côtés, en a beaucoup d'autres, séparées par des buis. Là, est une petite prairie; ici, le buis même est taillé en mille figures différentes, quelquefois en lettres, qui expriment tantôt le nom du maître, tantôt celui de l'ouvrier. Entre ces buis, vous voyez successivement de petites pyramides et des pommiers; et cette beauté rustique d'un champ que l'on dirait avoir été tout à coup 'transporté dans un endroit si peigné, est rehaussée vers le milieu par des platanes que l'on tient fort bas des deux côtés. De là, vous entrez dans une pièce d'acanthe flexible et qui se répand, où l'on voit encore quantité de figures et de noms que les plantes expriment. A l'extrémité est un lit de repos de marbre blanc, couvert d'une treille soutenue par quatre colonnes de marbre de Cariste. On voit l'eau tomber de dessous ce lit, comme si le poids de ceux qui se couchent l'en faisait sortir; de petits tuyaux la conduisent dans une pierre creusée exprès; et de là, elle est reçue dans un bassin de marbre, d'où elle s'écoule si imperceptiblement et si à propos, qu'il est toujours plein, et pourtant ne déborde jamais. Quand on veut manger en ce lieu, on range les mets les plus solides sur les bords de ce bassin, et on met les plus légers dans des vases qui flottent sur l'eau tout autour de vous, et qui sont faits, les uns en navires, les autres en oiseaux. A l'un des côtés est une fontaine jaillissante qui reçoit dans sa source l'eau qu'elle en a jetée : car après avoir été poussée en haut, elle retombe sur elle-même, et, par deux ouvertures qui se joignent, elle descend et remonte sans cesse. Vis-à-vis du lit de repos est une chambre, qui lui donne autant d'agrément qu'elle en reçoit de lui. Elle est toute brillante de marbre; ses portes sont entourées et comme bordées de verdure. Au-dessus et au-dessous des fenêtres hautes et basses, on ne voit aussi que verdure de toutes parts. Auprès est un autre petit appartement qui semble comme s'enfoncer dans la même chambre, et qui en est pourtant séparé. On y trouve un lit; et quoique cet appartement soit percé de fenêtres partout, l'ombrage qui l'environne le rend sombre. Une agréable vigne l'embrasse de ses feuillages, et monte jusqu'au faite. A la pluie près, que vous n'y sentez point, vous croyez être couché dans un bois. On y trouve aussi une fontaine qui se perd dans le lieu même de sa source. En différents endroits sont placés des sièges de marbre, propres (ainsi que la chambre) à délasser de la promenade. Près de ces sièges sont de petites fontaines;, et par tout le manège vous entendez le doux murmure des ruisseaux, qui, dociles à la main de l'ouvrier, se laissent conduire par de petits canaux où il lui plaît. Ainsi on arrose tantôt certaines plantes, tantôt d'autres; quelquefois on les arrose toutes. J'aurais fini il y aurait longtemps, de peur de paraître entrer dans un trop grand détail; mais j'avais résolu de visiter tous les coins et recoins de ma maison avec vous. Je me suis imaginé que ce qui ne vous serait point ennuyeux à voir ne vous le serait point à lire, surtout ayant la liberté de faire votre promenade à plusieurs reprise ; de laisser là ma lettre, et de vous reposer autant de fois que vous le trouverez à propos. D'ailleurs, j'ai donné quelque chose à ma passion; et j'avoue que j'en ai beaucoup pour tout ce que j'ai commencé ou achevé. En un mot, (car pourquoi ne vous pas découvrir mon entêtement ou mon goût?) je crois que la première obligation de tout homme qui écrit, c'est de jeter les yeux de temps en temps sur son titre. Il doit plus d'une fois se demander quel est le sujet qu'il traite, et savoir que, s'il n'en sort point, il n'est jamais long; mais que, s'il s'en écarte, il est toujours très long. Voyez combien de vers Homère et Virgile emploient à décrire, l'un les armes d'Achille, l'autre celles d'Énée. Ils sont courts pourtant, parce qu'ils ne font que ce qu'ils s'étaient proposé de faire. Voyez comment Aratus compte et rassemble les plus petites étoiles; il n'est point accusé cependant d'être trop étendu, car ce n'est point digression, c'est l'ouvrage même. Ainsi, du petit au grand, dans la description que je vous fais de ma maison, si je ne m'égare point en récits étrangers, ce n'est pas ma lettre, c'est la maison elle-même qui est grande. Je reviens à mon sujet, de peur que si je faisais cette digression trop longue, on ne me condamnât par mes propres règles. Vous voilà instruit des raisons que j'ai de préférer ma terre de Toscane à celles que j'ai à Tusculum, à Tibur, à Préneste. Outre tous les autres avantages dont je vous ai parlé, an y jouit d'un loisir d'autant plus doux qu'il est plus sûr et plus tranquille. Point de cérémonial à observer. Les fâcheux ne sont point a votre porte; tout y est calme, tout y est paisible : et comme la bonté du climat y rend le ciel plus serein et l'air plus pur, je m'y trouve aussi le corps plus sain et l'esprit plus libre. J'exerce l'un par la chasse, et l'autre par l'étude. Mes gens en font de même. Je n'ai jusqu'ici perdu aucun de ceux que j'ai amenés avec moi. Puissent les dieux me continuer toujours la même faveur, et conserver toujours à ce lieu les mêmes avantages:

Adieu.

V, 6

C. Plinius Domitio Apollinari suo s.

1 Amavi curam et sollicitudinem tuam, quod cum audisses me aestate Tuscos meos petiturum, ne facerem suasisti, dum putas insalubres. 2 Est sane gravis et pestilens ora Tuscorum, quae per litus extenditur; sed hi procul a mari recesserunt, quin etiam Appennino saluberrimo montium subjacent. 3 Atque adeo ut omnem pro me metum ponas, accipe temperiem caeli regionis situm villae amoenitatem, quae et tibi auditu et mihi relatu jucunda erunt.

4 Caelum est hieme frigidum et gelidum; myrtos oleas quaeque alia assiduo tepore laetantur, aspernatur ac respuit; laurum tamen patitur atque etiam nitidissimam profert, interdum sed non saepius quam sub urbe nostra necat. 5 Aestatis mira clementia: semper aer spiritu aliquo movetur, frequentius tamen auras quam ventos habet. 6 Hinc senes multi: videas avos proavosque jam juvenum, audias fabulas veteres sermonesque majorum, cumque veneris illo putes alio te saeculo natum. 7 Regionis forma pulcherrima. Imaginare amphitheatrum aliquod immensum, et quale sola rerum natura possit effingere. Lata et diffusa planities montibus cingitur, montes summa sui parte procera nemora et antiqua habent. 8 Frequens ibi et varia venatio. Inde caeduae silvae cum ipso monte descendunt. Has inter pingues terrenique colles (neque enim facile usquam saxum etiam si quaeratur occurrit) planissimis campis fertilitate non cedunt, opimamque messem serius tantum, sed non minus percoquunt. 9 Sub his per latus omne vineae porriguntur, unamque faciem longe lateque contexunt; quarum a fine imoque quasi margine arbusta nascuntur. 10 Prata inde campique, campi quos non nisi, ingentes boves et fortissima aratra perfringunt: tantis glaebis tenacissimum solum cum primum prosecatur assurgit, ut nono demum sulco perdometur. 11 Prata florida et gemmea trifolium aliasque herbas teneras semper et molles et quasi novas alunt. Cuncta enim perennibus rivis nutriuntur; sed ubi aquae plurimum, palus nulla, quia devexa terra, quidquid liquoris accepit nec absorbuit, effundit in Tiberim. 12 Medios ille agros secat navium patiens omnesque fruges devehit in urbem, hieme dumtaxat et vere; aestate summittitur immensique fluminis nomen arenti alveo deserit, autumno resumit. 13 Magnam capies voluptatem, si hunc regionis situm ex monte prospexeris. Neque enim terras tibi sed formam aliquam ad eximiam pulchritudinem pictam videberis cernere: ea varietate, ea descriptione, quocumque inciderint oculi, reficientur.

14 Villa in colle imo sita prospicit quasi ex summo: ita leviter et sensim clivo fallente consurgit, ut cum ascendere te non putes, sentias ascendisse. A tergo Appenninum, sed longius habet; accipit ab hoc auras quamlibet sereno et placido die, non tamen acres et immodicas, sed spatio ipso lassas et infractas. 15 Magna sui parte meridiem spectat aestivumque solem ab hora sexta, hibernum aliquanto maturius quasi invitat, in porticum latam et pro modo longam. Multa in hae membra, atrium etiam ex more veterum. 16 Ante porticum xystus in plurimas species distinctus concisusque buxo; demissus inde pronusque pulvinus, cui bestiarum effigies invicem adversas buxus inscripsit; acanthus in plano, mollis et paene dixerim liquidus. 17 Ambit hunc ambulatio pressis varieque tonsis viridibus inclusa; ab his gestatio in modum circi, quae buxum multiformem humilesque et retentas manu arbusculas circumit. Omnia maceria muniuntur: hanc gradata buxus operit et subtrahit. 18 Pratum inde non minus natura quam superiora illa arte visendum; campi deinde porro multaque alia prata et arbusta. 19 A capite porticus triclinium excurrit; valvis xystum desinentem et protinus pratum multumque ruris videt, fenestris hac latus xysti et quod prosilit villae, hac adjacentis hippodromi nemus comasque prospectat. 20 Contra mediam fere porticum diaeta paulum recedit, cingit areolam, quae quattuor platanis inumbratur. Inter has marmoreo labro aqua exundat circumjectasque platanos et subjecta platanis leni aspergine fovet. 21 Est in hac diaeta dormitorium cubiculum quod diem clamorem sonum excludit, junctaque ei cotidiana amicorumque cenatio: areolam illam, porticus alam eademque omnia quae porticus adspicit. 22 Est et aliud cubiculum a proxima platano viride et umbrosum, marmore excultum podio tenus, nec cedit gratiae marmoris ramos insidentesque ramis aves imitata pictura. 23 Fonticulus in hoc, in fonte crater; circa sipunculi plures miscent jucundissimum murmur. In cornu porticus amplissimum cubiculum triclinio occurrit; aliis fenestris xystum, aliis despicit pratum, sed ante piscinam, quae fenestris servit ac subjacet, strepitu visuque jucunda; 24 nam ex edito desiliens aqua suscepta marmore albescit. Idem cubiculum hieme tepidissimum, quia plurimo sole perfunditur. 25 Cohaeret hypocauston et, si dies nubilus, immisso vapore solis vicem supplet. Inde apodyterium balinei laxum et hilare excipit cella frigidaria, in qua baptisterium amplum atque opacum. Si natare latius aut tepidius velis, in area piscina est, in proximo puteus, ex quo possis rursus astringi, si paeniteat teporis. 26 Frigidariae cellae conectitur media, cui sol benignissime praesto est; caldariae magis, prominet enim. In hac tres descensiones, duae in sole, tertia a sole longius, a luce non longius. 27 Apodyterio superpositum est sphaeristerium, quod plura genera exercitationis pluresque circulos capit. Non procul a balineo scalae, quae in cryptoporticum ferunt prius ad diaetas tres. Harum alia arcolae illi, in qua platani quattuor, alia prato, alia vineis imminet diversasque caeli partes ut prospectus habet. 28 In summa cryptoporticu cubiculum ex ipsa cryptoporticu excisum, quod hippodromum vineas montes intuetur. Jungitur cubiculum obvium soli, maxime hiberno. Hinc oritur diaeta, quae villae hippodromum adnectit. Haec facies, hic usus a fronte.

29 A latere aestiva cryptoporticus in edito posita, quae non adspicere vineas sed tangere videtur. In media triclinium saluberrimum afflatum ex Appenninis vallibus recipit; post latissimis fenestris vineas, valvis aeque vineas sed per cryptoporticum quasi admittit. 30 A latere triclinii quod fenestris caret, scalae convivio utilia secretiore ambitu suggerunt. In fine cubiculum, cui non minus jucundum prospectum cryptoporticus ipsa quam vineae praebent. Subest cryptoporticus subterraneae similis; aestate incluso frigore riget contentaque acre suo nec desiderat auras nec admittit. 31 Post utramque cryptoporticum, unde triclinium desinit, incipit porticus ante medium diem hiberna, inclinato die aestiva. Hac adeuntur diaetae duae, quarum in altera cubicula quattuor, altera tria ut circumit sol aut sole utuntur aut umbra.

32 Hanc dispositionem amoenitatemque tectorum longe longeque praecedit hippodromus. Medius patescit statimque intrantium oculis totus offertur, platanis circumitur; illae hedera vestiuntur utque summae suis ita imae alienis frondibus virent. Hedera truncum et ramos pererrat vicinasque platanos transitu suo copulat. Has buxus interjacet; exteriores buxos circumvenit laurus, umbraeque platanorum suam confert. 33 Rectus hic hippodromi limes in extrema parte hemicyclio frangitur mutatque faciem: cupressis ambitur et tegitur, densiore umbra opacior nigriorque; interioribus circulis (sunt enim plures) purissimum diem recipit. 34 Inde etiam rosas effert, umbrarumque frigus non ingrato sole distinguit. Finito vario illo multiplicique curvamine recto limiti redditur nec huic uni, nam viae plures intercedentibus buxis dividuntur. 35 Alibi pratulum, alibi ipsa buxus intervenit in formas mille descripta, litteras interdum, quae modo nomen domini dicunt modo artificis: alternis metulae surgunt, alternis inserta sunt poma, et in opere urbanissimo subita velut illati ruris imitatio. Medium spatium brevioribus utrimque platanis adornatur. 36 Post has acanthus hinc inde lubricus et flexuosus, deinde plures figurae pluraque nomina. In capite stibadium candido marmore vite protegitur; vitem quattuor columellae Carystiae subeunt. Ex stibadio aqua velut expressa cubantium pondere sipunculis effluit, cavato lapide suscipitur, gracili marmore continetur atque ita occulte temperatur, ut impleat nec redundet. 37 Gustatorium graviorque cena margini imponitur, levior naucularum et avium figuris innatans circumit. Contra fons egerit aquam et recipit; nam expulsa in altum in se cadit junctisque hiatibus et absorbetur et tollitur. E regione stibadii adversum cubiculum tantum stibadio reddit ornatus, quantum accipit ab illo. 38 Marmore splendet, valvis in viridia prominet et exit, alia viridia superioribus inferioribusque fenestris suspicit despicitque. Mox zothecula refugit quasi in cubiculum idem atque aliud. Lectus hic et undique fenestrae, et tamen lumen obscurum umbra premente. 39 Nam laetissima vitis per omne tectum in culmen nititur et ascendit. Non secus ibi quam in nemore jaceas, imbrem tantum tamquam in nemore non sentias. 40 Hic quoque fons nascitur simulque subducitur. Sunt locis pluribus disposita sedilia e marmore, quae ambulatione fessos ut cubiculum ipsum juvant. Fonticuli sedilibus adjacent; per totum hippodromum inducti strepunt rivi, et qua manus duxit sequuntur: his nunc illa viridia, nunc haec, interdum simul omnia lavantur.

41 Vitassem jam dudum ne viderer argutior, nisi proposuissem omnes angulos tecum epistula circumire. Neque enim verebar ne laboriosum esset legenti tibi, quod visenti non fuisset, praesertim cum interquiescere, si liberet, depositaque epistula quasi residere saepius posses. Praeterea indulsi amori meo; amo enim, quae maxima ex parte ipse incohavi aut incohata percolui. 42 In summa (cur enim non aperiam tibi vel judicium meum vel errorem?) primum ego officium scriptoris existimo, titulum suum legat atque identidem interroget se quid coeperit scribere, sciatque si materiae immoratur non esse longum, longissimum si aliquid accersit atque attrahit. 43 Vides quot versibus Homerus, quot Vergilius arma hic Aeneae Achillis ille describat; brevis tamen uterque est quia facit quod instituit. Vides ut Aratus minutissima etiam sidera consectetur et colligat; modum tamen servat. Non enim excursus hic ejus, sed opus ipsum est. 44 Similiter nos ut ‘parva magnis’, cum totam villam oculis tuis subicere conamur, si nihil inductum et quasi devium loquimur, non epistula quae describit sed villa quae describitur magna est.

Verum illuc unde coepi, ne secundum legem meam jure reprendar, si longior fuero in hoc in quod excessi. 45 Habes causas cur ego Tuscos meos Tusculanis Tiburtinis Praenestinisque praeponam. Nam super illa quae rettuli, altius ibi otium et pingujus eoque securius: nulla necessitas togae, nemo accersitor ex proximo, placida omnia et quiescentia, quod ipsum salubritati regionis ut purius caelum, ut aer liquidior accedit. 46 Ibi animo, ibi corpore maxime valeo. Nam studiis animum, venatu corpus exerceo. Mei quoque nusquam salubrius degunt; usque adhuc certe neminem ex iis quos eduxeram mecum, (venia sit dicto) ibi amisi. Di modo in posterum hoc mihi gaudium, hanc gloriam loco servent!

Vale.

LETTRE VII.

PLINE A CALVISIUS.

Il est certain que l'on ne peut, ni instituer la république héritière, ni lui rien léguer. Cependant Saturninus, qui m'a fait son héritier, lègue à notre patrie un quart de sa succession, et ensuite fixe ce quart à quatre cent mille sesterces. Si l'on consulte la loi, le legs est nul. Si l'on s'en tient à la volonté du mort, le legs est valable : et la volonté du mort (je ne sais comment les jurisconsultes prendront ceci) est pour moi plus sacrée que la loi, surtout lorsqu'il s'agit de conserver à notre patrie le bien qu'on lui a fait. Quelle apparence qu'après lui avoir donné onze cent mille sesterces de mon propre bien, je voulusse lui disputer, sur un bien qui m'est en quelque sorte étranger, le tiers de cette somme, c'est-à-dire quatre cent mille sesterces? Persuadé de votre amour pour la patrie, toujours chère à un bon citoyen, je compte que vous approuverez ma décision. Je vous supplie doue de vouloir bien, à la première assemblée des décurions, expliquer la disposition du droit en peu de mots, et d'une manière simple. Vous ajouterez ensuite que je suis prêt à payer les quatre cent mille sesterces que Saturninus a légués. Rendons à sa libéralité tout l'honneur qui lui est dû: ne nous réservons que le mérite de l'obéissance. Je n'ai pas voulu en écrire directement à l'assemblée. La confiance que j'ai en votre amitié et en votre sagesse m'a fait croire que vous pourriez parler pour moi dans cette occasion, comme vous feriez pour vous. J'ai même appréhendé que ma lettre ne parût s'écarter de ce juste milieu qu'il vous sera aisé de tenir dans le discours. L'air de la personne, le geste, le ton, fixent et déterminent le sens de ce qu'elle dit; mais la lettre, destituée de tous ces secours, n'a rien qui la défende contre les malignes interprétations.

Adieu.

CV, 7

. Plinius Calvisio Rufo suo s.

1 Nec heredem institui nec praecipere posse rem publicam constat; Saturninus autem, qui nos reliquit heredes, quadrantem rei publicae nostrae, deinde pro quadrante praeceptionem quadringentorum milium dedit. Hoc si jus aspicias irritum, si defuncti voluntatem ratum et firmum est. 2 Mihi autem defuncti voluntas (vereor, quam in partem juris consulti, quod sum dicturus, accipiant) antiquior jure est, utique in eo, quod ad communem patriam voluit pervenire. 3 An cui de meo sestertium sedecies contuli, huic quadringentorum milium paulo amplius tertiam partem ex adventicio denegem? Scio te quoque a judicio meo non abhorrere, cum eandem rem publicam ut civis optimus diligas. 4 Velim ergo, cum proxime decuriones contrahentur, quid sit juris indices, parce tamen et modeste; deinde subjungas nos quadringenta milia offerre, sicut praeceperit Saturninus. Illius hoc munus, illius liberalitas; nostrum tantum obsequjum vocetur. 5 Haec ego scribere publice supersedi, primum quod memineram pro necessitudine amicitiae nostrae, pro facultate prudentiae tuae et debere te et posse perinde meis ac tuis partibus fungi; deinde quia verebar ne modum, quem tibi in sermone custodire facile est, tenuisse in epistula non viderer. 6 Nam sermonem vultus gestus vox ipsa moderatur, epistula omnibus commendationibus destituta malignitati interpretantium exponitur.

Vale.

LETTRE VIII.

PLINE A CAPITON.

Vous me conseillez d'écrire l'histoire; vous n'êtes pas le seul: beaucoup d'autres m'ont donné ce conseil avant vous, et il est fort de mon goût. Ce n'est pas que je présume de m'en acquitter avec succès, car il y aurait de la témérité à se le promettre sans avoir essayé. Mais je ne vois rien de plus glorieux que d'assurer l'immortalité à ceux qui ne devraient jamais mourir, et d'éterniser son nom avec celui des autres. Pour moi, rien ne me touche autant que la gloire; rien ne me paraît plus digne d'un homme, surtout de celui qui, n'ayant rien à se reprocher, est tranquille sur les jugements de la postérité. Je songe donc jour et nuit par quelle voie aussi

Je pourrais m'élever de terre.

C'est assez pour moi : car

De prendre mon vol vers les cieux,
D'attirer sur moi tous les yeux,

c'est ce qu'il ne m'appartient pas de souhaiter, quoique, hélas !... mais je suis assez content de ce que la seule histoire semble promettre. Les harangues, les poésies ont peu de charmes, si elles ne sont excellentes. L'histoire plaît, de quelque manière qu'elle soit écrite. Les hommes sont naturellement curieux; ils sont toujours prêts à se repaître de nouvelles, et même de contes : la narration la plus sèche a droit de les divertir. Pour moi, l'exemple domestique m'invite encore à ce genre de composition. Mon oncle maternel, qui est aussi mon père par adoption, a composé des histoires avec une extrême exactitude; et les sages m'apprennent que rien n'est plus beau que de marcher sur les traces de ses ancêtres, quand ils ont pris un bon chemin. Qui m'arrête donc? Le voici. J'ai plaidé beaucoup de grandes causes : quoique je m'en promette bien peu de gloire, je me propose de les retoucher, de peur qu'en leur refusant ce dernier soin, je n'expose à périr avec moi un travail qui m'a tant coûté : car, par rapport à la postérité, rien de ce qui est pas achevé n'est commencé. Vous pouvez, direz-vous, revoir vos plaidoyers, et en même temps travailler à l'histoire. Et plût à Dieu que cela fût ainsi! Mais le moindre de ces ouvrages est si grand, que c'est faire assez que d'en faire un. J'ai plaidé ma première cause à dix-neuf ans; et je ne commence qu'à peine à entrevoir, et même confusément, en quoi consiste la perfection d'un orateur. Que sera-ce, si je me charge d'une nouvelle étude? L'éloquence et l'histoire ont à la vérité de grands rapports; mais, dans ces rapports mêmes, il se rencontre plus d'une différence. L'une et l'autre narrent, mais bien diversement. La première s'accommode souvent de faits communs, peu importants ou méprisables; la seconde aime tout ce qui est extraordinaire, brillant, sublime: . Les os, les muscles, les nerfs, peuvent paraître dans celle-là; la fleur et l'embonpoint siéent bien à celle. ci. L'éloquence veut de l'énergie, du feu, de la rapidité; l'histoire demande de la majesté, de la beauté, de la douceur : l'expression, l'harmonie, la construction en sont toutes différentes ; car il faut bien se conduire autrement, comme dit Thucydide, si l'on attend tout de son siècle, ou si l'on n'attend rien que des siècles à venir. L'orateur vise au premier de ces objets, l'historien au second : voilà ce qui m'empêche de mêler des ouvrages si peu semblables, et que leur étendue rend nécessairement différents. Je crains que, troublé par un mélange si extraordinaire, je n'aille mettre ici ce qui doit être placé là; c'est pourquoi, pour parler le langage du barreau, je demande pour un temps dispense de plaider. Commencez à songer quel siècle nous choisirons. Si nous nous arrêtons aux siècles éloignés, et dont nous avons déjà l'histoire, nos matériaux sont tout prêts; mais la comparaison est fâcheuse à soutenir. Si nous prenons ces derniers siècles, et dont jusqu'ici l'on n'a rien écrit, nous risquons de nous faire peu d'amis et beaucoup d'ennemis. Outre que, dans une si effroyable corruption de moeurs, on trouve cent actions à condamner contre une à louer, il arrive encore qu'on vous condamne, de quelque façon que •vous vous en acquittiez. Si vous louez, c'est trop peu; si vous blâmez, c'est trop : quoique vous ayez fait l'un avec toute la profusion, l'autre avec 'toute la retenue possible. Mais ce n'est pas ce qui m'arrête; je me sens assez de courage pour me vouer à la vérité. Tout ce que je vous demande, c'est de me préparer la voie où vous me voulez faire entrer. Choisissez un sujet, afin que, prêt à écrire, nulle autre nouvelle raison ne puisse plus me retarder.

Adieu.

V, 8

C. Plinius Titinio Capitoni suo s.

1 Suades ut historiam scribam, et suades non solus: multi hoc me saepe monuerunt et ego volo, non quia commode facturum esse confidam (id enim temere credas nisi expertus), sed quia mihi pulchrum in primis videtur non pati occidere, quibus aeternitas debeatur, aliorumque famam cum sua extendere. 2 Me autem nihil aeque ac diuturnitatis amor et cupido sollicitat, res homine dignissima, eo praesertim qui nullius sibi conscius culpae posteritatis memoriam non reformidet. 3 Itaque diebus ac noctibus cogito, si ‘qua me quoque possim tollere humo’; id enim voto meo sufficit, illud supra votum ‘victorque virum volitare per ora’; ‘quamquam o - ’: Sed hoc satis est, quod prope sola historia polliceri videtur. 4 Orationi enim et carmini parva gratia, nisi eloquentia est summa: historia quoquo modo scripta delectat. Sunt enim homines natura curiosi, et quamlibet nuda rerum cognitione capiuntur, ut qui sermunculis etiam fabellisque ducantur. Me vero ad hoc studium impellit domesticum quoque exemplum. 5 Avunculus meus idemque per adoptionem pater historias et quidem religiosissime scripsit. Invenio autem apud sapientes honestissimum esse majorum vestigia sequi, si modo recto itinere praecesserint. Cur ergo cunctor? 6 Egi magnas et graves causas. Has, etiamsi mihi tenuis ex iis spes, destino retractare, ne tantus ille labor meus, nisi hoc quod reliquum est studii addidero, mecum pariter intercidat. 7 Nam si rationem posteritatis habeas, quidquid non est peractum, pro non incohato est. Dices: ‘Potes simul et rescribere actiones et componere historiam.’ Utinam! sed utrumque tam magnum est, ut abunde sit alterum efficere. 8 Unodevicensimo aetatis anno dicere in foro coepi, et nunc demum quid praestare debeat orator, adhuc tamen per caliginem video. 9 Quid si huic oneri novum accesserit? Habet quidem oratio et historia multa communia, sed plura diversa in his ipsis, quae communia videntur. Narrat illa narrat haec, sed aliter: huic pleraque humilia et sordida et ex medio petita, illi omnia recondita splendida excelsa conveniunt; 10 hanc saepius ossa musculi nervi, illam tori quidam et quasi jubae decent; haec vel maxime vi amaritudine instantia, illa tractu et suavitate atque etiam dulcedine placet; postremo alia verba alius sonus alia constructio. 11 Nam plurimum refert, ut Thucydides ait, κτῆμα sit an ἀγώνισμα; quorum alterum oratio, alterum historia est. His ex causis non adducor ut duo dissimilia et hoc ipso diversa, quo maxima, confundam misceamque, ne tanta quasi colluvione turbatus ibi faciam quod hic debeo; ideoque interim veniam, ut ne a meis verbis recedam, advocandi peto. 12 Tu tamen jam nunc cogita quae potissimum tempora aggrediar. Vetera et scripta aliis? Parata inquisitio, sed onerosa collatio. Intacta et nova? Graves offensae levis gratia. 13 Nam praeter id, quod in tantis vitiis hominum plura culpanda sunt quam laudanda, tum si laudaveris parcus, si culpaveris nimius fuisse dicaris, quamvis illud plenissime, hoc restrictissime feceris. 14 Sed haec me non retardant; est enim mihi pro fide satis animi: illud peto praesternas ad quod hortaris, eligasque materiam, ne mihi jam scribere parato alia rursus cunctationis et morae justa ratio nascatur.

Vale.

LETTRE IX.

PLINE A SATURNIN.

Votre lettre a fait sur moi des impressions fort différentes, car elle m'annonçait tout à la fois d'agréables et de fâcheuses nouvelles. Les agréables sont que vous demeurez à Rome. Vous me dites que vous n'en êtes pas content; mais j'en suis charmé. Vous m'annoncez en outre que vous n'attendez que mon retour pour lire publiquement vos ouvrages; je suis aussi sensible que je le dois à cette marque de votre amitié. Les nouvelles fâcheuses sont que Julius Valens est fort malade, quoiqu'à regarder la maladie par rapport à lui, il n'est pas à plaindre. Il ne peut rien lui arriver de mieux, que d'être délivré au plus tôt d'un mal incurable. Mais ce qui me paraît triste, et même cruel, c'est que Julius Avitus soit mort en revenant de la province où il avait exercé la charge de trésorier, et soit mort dans un vaisseau, loin de son frère qui l'aimait tendrement, loin de sa mère et de ses soeurs. Cela ne touche plus le mort; mais cela le touchait lorsqu'il était mourant, et touche encore ceux qui restent. Quel chagrin de voir enlever, dans la fleur de l'âge, un homme d'une si belle espérance, et que ses vertus eussent élevé au plus haut rang, si elles eussent eu le loisir de mûrir! Quel amour n'avait-il point pour les lettres! Que n'a-t-il point lu! combien n'a-t-il point écrit! Que de biens perdus avec lui pour la postérité ! Mais pourquoi me laisser aller à la douleur? Quand on s'y veut abandonner, peut-on manquer de sujets, de quelque côté qu'on se tourne? Il faut finir ma lettre, si je veux arrêter le cours des larmes qu'elle me fait répandre.

Adieu.

V, 9

C. Plinius Pompejo Saturnino suo s.

1 Varie me affecerunt litterae tuae; nam partim laeta partim tristia continebant: laeta quod te in urbe teneri nuntiabant (‘nollem’ inquis; sed ego volo), praeterea quod recitaturum statim ut venissem pollicebantur; ago gratias quod exspector. 2 Triste illud, quod Julius Valens graviter jacet; quamquam ne hoc quidem triste, si illius utilitatibus aestimetur, cujus interest quam maturissime inexplicabili morbo liberari. 3 Illud plane non triste solum verum etiam luctuosum, quod Julius Avitus decessit dum ex quaestura redit, decessit in nave, procul a fratre amantissimo, procul a matre a sororibus 4 (nihil ista ad mortuum pertinent, sed pertinuerunt cum moreretur, pertinent ad hos qui supersunt); jam quod in flore primo tantae indolis juvenis exstinctus est summa consecuturus, si virtutes ejus maturuissent. 5 Quo ille studiorum amore flagrabat! quantum legit, quantum etiam scripsit! quae nunc omnia cum ipso sine fructu posteritatis abierunt. 6 Sed quid ego indulgeo dolori? Cui si frenos remittas, nulla materia non maxima est. Finem epistulae faciam, ut facere possim etiam lacrimis quas epistula expressit.

Vale.

LETTRE X.

PLINE A ANTONIN.

Je ne sens jamais mieux toute l'excellence de vos vers, que quand j'essaye de les imiter. Comme les peintres qui entreprennent de peindre un visage dont la beauté est parfaite conservent rarement toutes ses grâces dans leur tableau ; de même, lorsque je veux me former sur ce modèle, je m'aperçois que, malgré mes efforts, je demeure au-dessous. C'est ce qui m'oblige à vous conjurer de plus en plus de nous donner beaucoup de semblables ouvrages, où tout le monde désire d'atteindre, sans que personne, ou presque personne, le puisse faire.

Adieu.

V, 10

C. Plinius Arrio Antonino suo s.

1 Cum versus tuos aemulor, tum maxime quam sint boni experior. Ut enim pictores pulchram absolutamque faciem raro nisi in pejus effingunt, ita ego ab hoc archetypo labor et decido. 2 Quo magis hortor, ut quam plurima proferas, quae imitari omnes concupiscant, nemo aut paucissimi possint.

Vale.

LETTRE XI.

PLINE A TRANQUILLE.

Acquittez enfin la promesse que mes vers ont faite de vos ouvrages à nos amis communs. On les souhaite, on les demande tous les jours avec tant d'empressement, que je crains qu'à la fin ils ne soient cités à comparaître. Vous savez que j'hésite autant qu'un autre, quand il s'agit de se donner au public. Mais, sur ce point, vous passez de bien loin ma lenteur et ma retenue. Ne différez donc plus à nous satisfaire, ou craignez que je n'arrache, par des vers aigres et piquants, ce que des vers doux et flatteurs n'ont pu obtenir. Votre ouvrage est venu à un point de perfection où la lime ne saurait plus le polir, mais seulement l'affaiblir. Donnez-moi le plaisir de voir votre nom à la tête d'un livre; d'entendre dire que l'on copie, que l'on entend lire, qu'on lit, qu'on achète les oeuvres de mon cher Suétone. Il est bien juste que notre amitié réciproque vous engage à me rendre la même joie que je vous ai donnée.

Adieu.

V, 11

C. Plinius Suetonio Tranquillo suo s.

1 Libera tandem hendecasyllaborum meorum fidem, qui scripta tua communibus amicis spoponderunt. Appellantur cotidie, efflagitantur, ac jam periculum est ne cogantur ad exhibendum formulam accipere. 2 Sum et ipse in edendo haesitator, tu tamen meam quoque cunctationem tarditatemque vicisti. Proinde aut rumpe jam moras aut cave ne eosdem istos libellos, quos tibi hendecasyllabi nostri blanditiis elicere non possunt, convicio scazontes extorqueant. 3 Perfectum opus absolutumque est, nec jam splendescit lima sed atteritur. Patere me videre titulum tuum, patere audire describi legi venire volumina Tranquilli mei. Aequum est nos in amore tam mutuo eandem percipere ex te voluptatem, qua tu perfrueris ex nobis.

Vale.

LETTRE XII.

PLINE A FABATUS, AÏEUL DE SA FEMME.


J'ai reçu votre lettre, qui m'apprend que vous avez embelli notre ville d'un somptueux portique sur lequel vous avez fait graver votre nom et ce-lui de votre fils; que, le lendemain de la fête célébrée à cette occasion, vous avez promis un fonds. pour l'embellissement des portes; qu'ainsi la fin d'un bienfait a été le commencement d'un autre. Je me réjouis premièrement de votre gloire, dont une partie rejaillit sur moi par notre alliance ; ensuite de ce que de si magnifiques monuments assurent la mémoire de mon beau-père; enfin de ce que notre patrie devient de plus en plus florissante. Tous les nouveaux ornements qu'elle reçoit, de quelque main qu'ils viennent, me font plaisir ; mais de la vôtre ils me comblent de joie. Il ne me reste qu'à prier les dieux de vous conserver dans cette disposition, et de ménager à cette disposition de longues années : car je compte qu'après avoir fini l'ouvrage que vous venez de promettre, vous en recommencerez un autre. La libéralité ne sait point s'arrêter quand une fois elle a pris son cours, et elle est toujours plus belle, plus elle se répand.

Adieu.

V, 12

C. Plinius Calpurnio Fabato Prosocero suo s.

1 Recepi litteras tuas ex quibus cognovi speciosissimam te porticum sub tuo filiique tui nomine dedicasse, sequenti die in portarum ornatum pecuniam promisisse, ut initium novae liberalitatis esset consummatio prioris. 2 Gaudeo primum tua gloria, cujus ad me pars aliqua pro necessitudine nostra redundat; deinde quod memoriam soceri mei pulcherrimis operibus video proferri; postremo quod patria nostra florescit, quam mihi a quocumque excoli jucundum, a te vero laetissimum est. 3 Quod superest, deos precor ut animum istum tibi, animo isti tempus quam longissimum tribuant. Nam liquet mihi futurum ut peracto quod proxime promisisti, incohes aliud. Nescit enim semel incitata liberalitas stare, cujus pulchritudinem usus ipse commendat.

Vale.

LETTRE XIII.

PLINE A SCAURUS.

Dans le dessein de lire une petite harangue de ma façon, que je veux donner au publie, j'ai assemblé quelques amis. Ils étaient assez pour me donner lieu de craindre leur jugement, et assez peu pour me pouvoir flatter qu'il serait sincère; car j'avais deux vues dans cette lecture la première, de redoubler mon attention par le désir de plaire; la seconde, de profiter de celle des autres, sur des défauts que ma prévention en ma faveur pouvait m'avoir cachés. J'ai réussi dans mon dessein : l'on m'a donné des avis, et moi-même j'ai fait mes remarques et me suis critiqué. J'ai donc corrigé l'ouvrage que je vous envoie : le titre vous en apprendra le sujet, et la pièce même vous expliquera le reste. Il est bon de l'accoutumer, dès aujourd'hui, à se passer de préface pour être entendue. Mandez-moi, je vous en supplie, ce que vous pensez, non seulement du corps de l'ouvrage, mais encore de chacune de ses parties. Je serai ou plus disposé à le garder, eu plus hardi à le faire paraître, selon que vous m'y aurez déterminé.

Adieu.

V, 13

C. Plinius Terentio Scauro suo s.

1 Recitaturus oratiunculam quam publicare cogito, advocavi aliquos ut vererer, paucos ut verum audirem. Nam mihi duplex ratio recitandi, una ut sollicitudine intendar, altera ut admonear, si quid forte me ut meum fallit. 2 Tuli quod petebam: inveni qui mihi copiam consilii sui facerent, ipse praeterea quaedam emendanda adnotavi. Emendavi librum, quem misi tibi. 3 Materiam ex titulo cognosces, cetera liber explicabit, quem jam nunc oportet ita consuescere, ut sine praefatione intellegatur. 4 Tu velim quid de universo, quid de partibus sentias, scribas mihi. Ero enim vel cautior in continendo vel constantior in edendo, si huc vel illuc auctoritas tua accesserit.

Vale.

LETTRE XIV.

PEINE A VALÉRIANUS.

Vous me priez, et je vous l'ai promis, si vous m'en priez, de vous mander quel succès avait eu l'accusation intentée par Népos contre Tuscilius Nominatus. On le fit entrer. Il plaida lui-même sa cause, sans que personne parût contre lui; car les députés des Vicentins non seulement ne le chargèrent point, mais ils le favorisèrent. Et précis de sa défense fut, qu'il n'avait point manqué de fidélité, mais de courage; qu'il était sorti de chez lui résolu de plaider; qu'il avait même été à l'audience, mais qu'il s'était retiré, effrayé par les discours de ses amis; qu'on l'avait averti de ne pas s'opposer, principalement dans le sénat, au dessein qu'un sénateur avait si fort à coeur, qu'il ne le soutenait plus comme un simple établissement de faire, mais comme une affaire où il y allait de sen crédit, de son honneur et de sa dignité; qu'à négliger cet avis, il n'y avait pour lui qu'un ressentiment inévitable à attendre. Quoiqu'il dît vrai, cela ne fut écouté et reçu favorablement que de fort peu de personnes. Il passa de là aux excuses et aux supplications, qu'il accompagna de beaucoup de larmes. D'ailleurs, comme il est très habile, il tourna tout son discours de manière qu'il paraissait plutôt demander grâce que justice : et cela était en effet et plus insinuant et plus sûr. Afranius Dexter, consul, fut d'avis de l'absoudre. Il avoua que Nominatus eût mieux fait de soutenir la cause des Vicentins avec le même courage qu'il s'en était chargé ; mais il prétendit que la faute de Nominatus étant exempte de fraude, que lui n'étant d'ailleurs convaincu de rien qui méritât punition, il fallait le renvoyer absous, sans autre condition que de rendre aux Vicentins ce qu'il en avait reçu. Tout le monde fut de cette opinion, excepté Flavius Aper. Celui-ci opina à interdire Nominatus, pendant cinq ans, des fonctions d'avocat; et quoique son autorité n'eût pu entraîner personne dans son sentiment, il y demeura ferme. Il alla même en vertu du pouvoir que la loi en dorme à celui qui peut convoquer le sénat, jusqu'à faire jurer à Afranius Dexter (le premier qui avait opiné à l'absolution) qu'il croyait cet avis salutaire à la république. Plusieurs se récrièrent contre cette proposition, toute juste qu'elle était, parce qu'elle semblait taxer de corruption celui qui avait opiné. Mais avant que de recueillir les voix, Nigrinus, tribun du peuple, fit une remontrance pleine d'éloquence et de force, ou il se plaignait que les avocats vendaient leur ministère, qu'ils vendaient leur prévarication ; que l'on trafiquait des causes; et qu'a la gloire (autrefois le seul prix d'un si noble emploi) on avait substitué les dépouilles des plus riches citoyens, dont l'on s'était fait de grands et solides revenus. Il cita sommairement les lois faites sur ce sujet; il fit souvenir des décrets du sénat; et il conclut, que puisque les lois et les décrets méprisés ne pouvaient arrêter le mal, il fallait supplier l'empereur de vouloir bien y remédier lui-même. Peu de jours après, le prince a fait publier un édit sévère et doux tout ensemble. Vous le lirez; il est dans les archives publiques. Que je suis content de ne m'être pas seulement abstenu de faire aucun traité pour les causes dont je me suis chargé, mais d'avoir toujours refusé toutes sortes de présents, et jusqu'à des étrennes! Il est vrai que tout ce qui n'a pas l'air honnête se doit éviter, non pas comme s'il était défendu, mais comme s'il était honteux. Il y a pourtant je ne sais quelle satisfaction à voir publiquement défendre ce que vous ne vous êtes jamais permis. Il y aura peut-être (et il n'en faut pas douter), il y aura moins d'honneur et moins de gloire dans mon procédé, lorsque tout le monde fera par force ce que je faisais volontairement. Je jouis cependant du plaisir d'entendre les uns m'appeler devin, les autres me reprocher, en badinant et en plaisantant, qu'on a voulu réprimer mon avarice et mes rapines.

Adieu.

V, 14

C. Plinius Valeriano suo s.

1 Et tu rogas et ego promisi si rogasses, scripturum me tibi quem habuisset eventum postulatio Nepotis circa Tuscilium Nominatum. Inductus est Nominatus; egit ipse pro se nullo accusante. Nam legati Vicetinorum non modo non presserunt eum verum etiam sublevaverunt. 2 Summa defensionis, non fidem sibi in advocatione sed constantiam defuisse; descendisse ut acturum, atque etiam in curia visum, deinde sermonibus amicorum perterritum recessisse; monitum enim ne desiderio senatoris, non jam quasi de nundinis sed quasi de gratia fama dignitate certantis, tam pertinaciter praesertim in senatu repugnaret, alioqui majorem invidiam quam proxime passurus. 3 Erat sane prius, a paucis tamen, acclamatum exeunti. Subiunxit preces multumque lacrimarum; quin etiam tota actione homo in dicendo exercitatus operam dedit, ut deprecari magis (id enim et favorabilius et tutius) quam defendi videretur. 4 Absolutus est sententia designati consulis Afrani Dextri, cujus haec summa: melius quidem Nominatum fuisse facturum, si causam Vicetinorum eodem animo quo susceperat pertulisset; quia tamen in hoc genus culpae non fraude incidisset, nihilque dignum animadversione admisisse convinceretur, liberandum, ita ut Vicetinis quod acceperat redderet. 5 Assenserunt omnes praeter Fabium Aprum. Is interdicendum ei advocationibus in quinquennium censuit, et quamvis neminem auctoritate traxisset, constanter in sententia mansit; quin etiam Dextrum, qui primus diversum censuerat, prolata lege de senatu habendo jurare coegit e re publica esse quod censuisset. 6 Cui quamquam legitimae postulationi a quibusdam reclamatum est; exprobrare enim censenti ambitionem videbatur. Sed prius quam sententiae dicerentur, Nigrinus tribunus plebis recitavit libellum disertum et gravem, quo questus est venire advocationes, venire etiam praevaricationes, in lites coiri, et gloriae loco poni ex spoliis civium magnos et statos reditus. 7 Recitavit capita legum, admonuit senatus consultorum, in fine dixit petendum ab optimo principe, ut quia leges, quia senatus consulta contemnerentur, ipse tantis vitiis mederetur. 8 Pauci dies, et liber principis severus et tamen moderatus: leges ipsum; est in publicis actis. Quam me juvat, quod in causis agendis non modo pactione dono munere verum etiam xeniis semper abstinui! 9 Oportet quidem, quae sunt inhonesta, non quasi illicita sed quasi pudenda vitare; jucundum tamen si prohiberi publice videas, quod numquam tibi ipse permiseris. 10 Erit fortasse, immo non dubie, hujus propositi mei et minor laus et obscurior fama, cum omnes ex necessitate facient quod ego sponte faciebam. Interim fruor voluptate, cum alii divinum me, alii meis rapinis meae avaritiae occursum per ludum ac jocum dictitant.

Vale.

 

LETTRE XV.

PLINE A PONTIUS.

J'étais a Côme, quand j'ai reçu la nouvelle que Cornutus avait été commis pour faire travailler aux réparations de la voie Émilienne. Je ne puis vous exprimer combien j'en suis aise, et pour lui et pour moi : pour lui, parce que, bien qu'il soit véritablement sans ambition, un honneur qu'il n'a point recherché doit pourtant lui faire plaisir; pour moi, parce que je ressens plus de joie d'avoir été nommé à cette charge, depuis que je vois qu'on en donne une semblable à Cornutus : ' car il n'est pas plus agréable de se voir élever, que de se voir égaler aux gens de bien par les dignités. Et où trouver un plus honnête homme que Cornutus, un homme plus intègre, plus formé sur le modèle des anciennes moeurs, plus consommé en tout genre de vertus? Ce que j'en dis, ce n'est pas sur sa réputation, qui d'ailleurs est aussi bien établie que juste, mais sur la foi d'une très longue expérience. Nous avons toujours eu pour amis, dans l'un et dans l'autre sexe, tous ceux que, de notre temps, le mérite a distingués. Cette société d'amitié nous a très étroitement unis. Les charges ont achevé, par des engagements publies, de serrer les noeuds qui nous lient. Vous savez que je l'ai eu pour collègue, comme si l'on eût consulté mes voeux, et quand je fus surintendant de finances, et quand je fus consul. Alors je connus à fond quel homme et de quel prix il était. Je l'écoutais comme un maître, je le respectais comme un père; et en cela je donnais bien moins à l'âge qu'à la sagesse. Voilà ce qui m'engage à me réjouir autant pour moi que pour lui, autant eu public qu'en particulier, de ce qu'enfui la vertu ne conduit plus comme auparavant au précipice, mais aux honneurs. Je ne finirais point, si je m'abandonnais à ma joie. Je passe à vous dire ce que je faisais quand votre lettre m'a été rendue. J'étais avec l'aïeul, avec la tante paternelle de ma femme, et avec des amis que je n'avais point vus depuis longtemps ; je visitais mes terres; je recevais les plaintes des paysans; je lisais leurs mémoires et leurs comptes, en courant, et bien malgré moi : car je me suis destiné à d'autres lectures, à d'autres écrits. Je commençais même à me disposer au retour, pressé par mon congé près de finir, et averti de retourner à ma charge, par celle qu'on vient de donner à Cornutus. Je souhaite fort que vous quittiez votre Campanie dans le même temps, afin qu'après mon retour à Rome il n'y ait aucun jour de perdu pour notre commerce.

Adieu.

v, 15

C. Plinius Pontio Allifano suo s.

1 Secesseram in municipium, cum mihi nuntiatum est Cornutum Tertullum accepisse Aemiliae viae curam. 2 Exprimere non possum, quanto sim gaudio affectus, et ipsius et meo nomine: ipsius quod, sit licet (sicut est) ab omni ambitione longe remotus, debet tamen ei jucundus honor esse ultro datus, meo quod aliquanto magis me delectat mandatum mihi officium, postquam par Cornuto datum video. 3 Neque enim augeri dignitate quam aequari bonis gratius. Cornuto autem quid melius, quid sanctius, quid in omni genere laudis ad exemplar antiquitatis expressius? quod mihi cognitum est non fama, qua alioqui optima et meritissima fruitur, sed longis magnisque experimentis. 4 Una diligimus, una dileximus omnes fere quos aetas nostra in utroque sexu aemulandos tulit; quae societas amicitiarum artissima nos familiaritate coniunxit. 5 Accessit vinculum necessitudinis publicae; idem enim mihi, ut scis, collega quasi voto petitus in praefectura aerarii fuit, fuit et in consulatu. Tum ego qui vir et quantus esset altissime inspexi, cum sequerer ut magistrum, ut parentem vererer, quod non tam aetatis maturitate quam vitae merebatur. 6 His ex causis ut illi sic mihi gratulor, nec privatim magis quam publice, quod tandem homines non ad pericula ut prius verum ad honores virtute perveniunt.

7 In infinitum epistulam extendam, si gaudio meo indulgeam. Praevertor ad ea, quae me agentem hic nuntius deprehendit. 8 Eram cum prosocero meo, eram cum amita uxoris, eram cum amicis diu desideratis, circumibam agellos, audiebam multum rusticarum querellarum, rationes legebam invitus et cursim (aliis enim chartis, aliis sum litteris initiatus), coeperam etiam itineri me praeparare. 8 Nam includor angustiis commeatus, eoque ipso, quod delegatum Cornuto audio officium, mei admoneor. Cupio te quoque sub idem tempus Campania tua remittat, ne quis cum in urbem rediero, contubernio nostro dies pereat.

Vale.

 

LETTRE XVI.

PLINE A MARCELLIN.

Je vous écris, accablé de tristesse. La plus jeune fille de notre ami Fundanus vient de mourir. Je n'ai jamais vu une personne plus jolie, plus aimable, plus digne non seulement de vivre longtemps, mais de vivre toujours. Elle n'avait pas encore quatorze ans accomplis, et déjà elle montrait toute la prudence de la vieillesse. On remarquait déjà dans son air toute la majesté d'une femme de condition; et tout cela ne lui ôtait rien de cette innocente pudeur, de ces grâces naïves qui plaisent si fort dans le premier âge. Avec quelle simplicité ne demeurait-elle pas attachée au cou de son père! Avec quelle douceur et avec quelle modestie ne recevait-elle pas ceux qu'il aimait! Avec quelle équité ne partageait-elle pas sa tendresse entre ses nourrices et les maîtres qui avaient cultivé ou ses moeurs ou son esprit! Pouvait-on étudier avec plus d'application et avec des dispositions plus heureuses? Pouvait-elle mettre moins de temps et plus de circonspection dans ses divertissements? Vous ne sauriez vous imaginer sa retenue,sa patience, sa fermeté même, dans sa dernière maladie. Docile aux médecins, attentive à consoler son père et sa soeur, après que toutes ses forces l'eurent abandonnée, elle se soutenait encore par son seul courage. Il l'a accompagnée jusqu'à la dernière extrémité, sans que ni la longueur de la maladie, ni la crainte de la mort, l'aient pu abattre; et c'est ce qui ne sert qu'à augmenter et notre douleur et nos regrets. Mort vraiment funeste et prématurée, mais conjoncture encore plus funeste et plus cruelle que la mort! Elle était sur le point d'épouser un jeune homme très aimable. Le jour pour les noces était pris; nous y étions déjà invités. Hélas! quel changement! quelle horreur succède à tant de joie! Je ne puis vous exprimer de quelle tristesse je me suis senti pénétré, quand j'ai appris que Fundanus, inspiré par la douleur, toujours féconde en tristes inventions, a donné ordre lui-même que tout ce qu'il avait destiné eu bijoux, en perles, en diamants, fût employé en baumes, en essences, en parfums. C'est un homme savant et sage, et qui, dès sa plus tendre jeunesse, s'est formé la raison par les meilleures sciences et par les plus beaux arts; mais aujourd'hui il méprise tout ce qu'il a ouï dire, et ce qu'il a souvent dit lui-même. Enfin, toutes ses vertus disparaissent, et l'abandonnent à sa seule tendresse. Vous ne vous en tiendrez pas à lui pardonner ; vous le louerez quand vous songerez à ce qu'il a perdu. Il a perdu une fille qui n'avait pas seulement la manière, l'air, les traits de son père, mais que l'on pouvait appeler son portrait, tant elle lui ressemblait. Si donc vous lui écrivez sur un si juste chagrin, souvenez-vous de mettre moins de force et de raison que de compassion et de douceur dans vos consolations. Le temps ne contribuera pas peu à les lui faire goûter : car, de même qu'une plaie toute récente appréhende la main du chirurgien, et que dans la suite elle la souffre et la souhaite, ainsi la nouvelle affliction se révolte d'abord contre les consolations, et les écarte; mais peu après elle les cherche, et se rend à celles qui sont adroitement ménagées.

Adieu.

V, 16

C. Plinius Aefulano Marcellino suo s.

1 Tristissimus haec tibi scribo, Fundani nostri filia minore defuncta. Qua puella nihil umquam festivius amabilius, nec modo longiore vita sed prope immortalitate dignius vidi. 2 Nondum annos xiiii impleverat, et jam illi anilis prudentia, matronalis gravitas erat et tamen suavitas puellaris cum virginali verecundia. 3 Ut illa patris cervicibus inhaerebat! ut nos amicos paternos et amanter et modeste complectebatur! ut nutrices, ut paedagogos, ut praeceptores pro suo quemque officio diligebat! quam studiose, quam intellegenter lectitabat! ut parce custoditeque ludebat! Qua illa temperantia, qua patientia, qua etiam constantia novissimam valetudinem tulit! 4 Medicis obsequebatur, sororem patrem adhortabatur ipsamque se destitutam corporis viribus vigore animi sustinebat. 5 Duravit hic illi usque ad extremum, nec aut spatio valetudinis aut metu mortis infractus est, quo plures gravioresque nobis causas relinqueret et desiderii et doloris. 6 O triste plane acerbumque funus! o morte ipsa mortis tempus indignius! jam testinata erat egregio juveni, jam electus nuptiarum dies, jam nos vocati. Quod gaudium quo maerore mutatum est! 7 Non possum exprimere verbis quantum animo vulnus acceperim, cum audivi Fundanum ipsum, ut multa luctuosa dolor invenit, praecipientem, quod in vestes margarita gemmas fuerat erogaturus, hoc in tus et unguenta et odores impenderetur. 8 Est quidem ille eruditus et sapiens, ut qui se ab ineunte aetate altioribus studiis artibusque dediderit; sed nunc omnia, quae audiit saepe quae dixit, aspernatur expulsisque virtutibus aliis pietatis est totus. 9 Ignosces, laudabis etiam, si cogitaveris quid amiserit. Amisit enim filiam, quae non minus mores ejus quam os vultumque referebat, totumque patrem mira similitudine exscripserat. 10 Proinde si quas ad eum de dolore tam justo litteras mittes, memento adhibere solacium non quasi castigatorium et nimis forte, sed molle et humanum. Quod ut facilius admittat, multum faciet medii temporis spatium. 11 Ut enim crudum adhuc vulnus medentium manus reformidat, deinde patitur atque ultro requirit, sic recens animi dolor consolationes reicit ac refugit, mox desiderat et clementer admotis acquiescit.

Vale.

LETTRE XVlI.

PLINE A SPURINNA.

Je viens d'entendre Calpurnius Pison. J'ai d'autant plus d'empressement de vous le dire, que je vous connais partisan déclaré des belles-lettres, et que je sais quel plaisir vous avez de voir des jeunes gens marcher dignement sur les traces de leurs ancêtres. Le poème qu'il a lu était intitulé l'Amour dupé, sujet riche et galant. Il l'a traité en vers élégiaques. Ils sont coulants, tendres, aisés, et ses expressions ont de la majesté quand il le faut. Vous le voyez, par une agréable variété, tantôt s'élever, tantôt descendre; mêler, avec un esprit qui ne se dément point, la noblesse à la simplicité, les grâces légères aux beautés plus marquées, l'enjouement au sérieux. Il répandait sur tout cela de nouveaux agréments par une prononciation charmante, et il accompagnait cette prononciation d'une *modestie, d'une rougeur et d'un certain embarras très propres à faire valoir ce qu'on lit; car je ne sais pourquoi ln timidité sied mieux à un homme de lettres que la confiance. Il ne tiendrait qu'à moi de vous conter beaucoup d'autres particularités qui ne sont ni moins remarquables dans un homme de cet âge, ni moins rares dans un homme de cette condition; mais il faut retrancher ce détail. La lecture finie, j'embrassai Pison longtemps et à plusieurs reprises; et, persuadé qu'il n'y a pas de plus puissant aiguillon que la louange, je l'exhortai fort à continuer comme il avait commencé, et à illustrer autant ses descendants qu'il avait été illustré par ses aïeux. J'en fis mes compliments à sa mère et à son frère, qui, par son bon naturel, ne se fit pas moins d'honneur dans cette occasion que Calpurnius s'en est fait par son esprit, tant l'inquiétude et la joie parurent tour à tour intéresser le premier de ces deux frères pour le second. Fasse le ciel que j'aie souvent de semblables nouvelles à vous mander ! J'affectionne mon siècle : je voudrais fort qu'il ne fût point sans éclat et sans vertu, et je souhaite avec passion que nos jeunes gens de qualité n'attachent pas toute leur noblesse aux images de leurs ancêtres. Celles que les Pisans voient chez eux semblent les louer et (ce qui seul doit suffire à la gloire de tous deux) les reconnaître.

Adieu.

V, 17

C. Plinius Vestricio Spurinnae suo s.

1 Scio quanto opere bonis artibus faveas, quantum gaudium capias, si nobiles juvenes dignum aliquid majoribus suis faciant. Quo festinantius nuntio tibi fuisse me hodie in auditorio Calpurni Pisonis. 2 Recitabat καταστερισμῶν eruditam sane luculentamque materiam. Scripta elegis erat fluentibus et teneris et enodibus, sublimibus etiam, ut poposcit locus. Apte enim et varie nunc attollebatur, nunc residebat; excelsa depressis, exilia plenis, severis jucunda mutabat, omnia ingenio pari. 3 Commendabat haec voce suavissima, vocem verecundia: multum sanguinis, multum sollicitudinis in ore, magna ornamenta recitantis. Etenim nescio quo pacto magis in studiis homines timor quam fiducia decet. 4 Ne plura (quamquam libet plura, quo sunt pulchriora de juvene, rariora de nobili), recitatione finita multum ac diu exosculatus adulescentem, qui est acerrimus stimulus monendi, laudibus incitavi, pergeret qua coepisset, lumenque quod sibi majores sui praetulissent, posteris ipse praeferret. 5 Gratulatus sum optimae matri, gratulatus et fratri, qui ex auditorio illo non minorem pietatis gloriam quam ille alter eloquentiae retulit: tam notabiliter pro fratre recitante primum metus ejus, mox gaudium eminuit.

6 Di faciant ut talia tibi saepius nuntiem! Faveo enim saeculo ne sit sterile et effetum, mireque cupio ne nobiles nostri nihil in domibus suis pulchrum nisi imagines habeant; quae nunc mihi hos adulescentes tacitae laudare adhortari, et quod amborum gloriae satis magnum est, agnoscere videntur.

Vale.

LETTRE XVIII.

PLINE A MACER.

Il ne me manque rien, puisque vous êtes content. Vous avez avec vous voire femme et votre fils; vous jouissez de la mer, de la fraîcheur de vos fontaines, de la beauté de vos campagnes, des agréments d'une maison délicieuse. Car quelle autre opinion peut-on avoir d'une maison qu'avait choisie, pour sa retraite, un homme alors plus heureux encore que lorsqu'il fut parvenu au comble du bonheur? Pour moi, dans ma maison de Toscane, la chasse et l'étude m'amusent tour à tour, et quelquefois toutes deux ensemble. Cependant je ne puis jusqu'ici décider lequel est le plus difficile, de faire une bonne chasse on un bon ouvrage.

 Adieu.

V, 18

C. Plinius Calpurnio Macro suo s.

1 Bene est mihi quia tibi bene est. Habes uxorem tecum, habes filium; frueris mari fontibus viridibus agro villa amoenissima. Neque enim dubito esse amoenissimam, in qua se composuerat homo felicior, ante quam felicissimus fieret. 2 Ego in Tuscis et venor et studeo, quae interdum alternis, interdum simul facio; nec tamen adhuc possum pronuntiare, utrum sit difficilius capere aliquid an scribere.

Vale.

LETTRE XIX.

PLINE A PAULIN.

Je vous avouerai ma douceur pour mes gens, d'autant plus franchement que je sais avec quelle bonté vous traitez les vôtres. J'ai toujours dans l'esprit ce vers d'Homère :

Il avait pour ses gens une douceur de père.

Et je n'oublie point le nom de père de famille que parmi nous on donne aux maîtres. Mais quand je serais moins humain et plus dur, je me laisserais toucher par le pitoyable état où se trouve mon affranchi Zosime. Plus il a besoin de compassion, plus je lui en dois. C'est un homme de bien, officieux ; il a des belles-lettres, et réussit parfaitement dans la représentation de la comédie, qui est sa profession, et pour ainsi dire sa charge. Sa déclamation a de la force, de la justesse, de la naïveté, de la grâce; et il joue de la lyre mieux qu'il n'appartient à un comédien. Ce n'est pas tout : il lit des harangues, des histoires et des vers, comme s'il n'avait jamais fait autre chose. Je vous mande tout ce détail, afin que vous sachiez combien de services, et de services agréables, cet homme seul me rend. Ajoutez-y une ancienne inclination que j'ai conçue pour lui, et que le péril où il est a redoublée : car la nature nous a faits de telle sorte, que rien ne donne plus d'ardeur et de vivacité à notre tendresse que la crainte de perdre ce que nous aimons. Et cette crainte, il ne me la cause pas pour la première fois. Il y a quelques années que, déclamant avec contention et véhémence, il vint tout à coup à cracher le sang. Je l'envoyai en Égypte pour se rétablir; et, après y avoir fait un assez long séjour, il en est revenu depuis peu en assez bon état. Mais ayant voulu forcer sa voix plusieurs jours de suite, une petite toux le menaça d'abord de rechute; et, peu après, son crachement de sang le reprit. Pour essayer de le guérir, j'ai résolu de l'envoyer à votre terre de Frioul. Je me souviens de vous avoir souvent ouï dire que l'air y est fort sain, et le lait très-' bon pour ces sortes de maladies. Je vous supplie donc de vouloir bien écrire â vos gens de le recevoir dans votre maison, et de lui donner tous les secours qui lui seront nécessaires. Il ne les étendra pas bien loin : car il est si sobre et si retenu, qu'il refuse non seulement les douceurs que l'état d'un malade peut demander, mais même les choses que cet état semble exiger. Je lui donnerai pour faire son voyage ce qu'il faut et à un homme frugal et qui va chez vous.

Adieu.

V, 19

C. Plinius Valerio Paulino suo s.

1 Video quam molliter tuos habeas; quo simplicius tibi confitebor, qua indulgentia meos tractem. 2 Est mihi semper in animo et Homericum illud πατὴρ δ᾿ ὡς ἤπιος ἦεν et hoc nostrum ‘pater familiae’. Quod si essem natura asperior et durior, frangeret me tamen infirmitas liberti mei Zosimi, cui tanto major humanitas exhibenda est, quanto nunc illa magis eget. 3 Homo probus officiosus litteratus; et ars quidem ejus et quasi inscriptio comoedus, in qua plurimum facit. Nam pronuntiat acriter sapienter apte decenter etiam; utitur et cithara perite, ultra quam comoedo necesse est. Idem tam commode orationes et historias et carmina legit, ut hoc solum didicisse videatur. 4 Haec tibi sedulo exposui, quo magis scires, quam multa unus mihi et quam jucunda ministeria praestaret. Accedit longa jam caritas hominis, quam ipsa pericula auxerunt. 5 Est enim ita natura comparatum, ut nihil aeque amorem incitet et accendat quam carendi metus; quem ego pro hoc non semel patior. 6 Nam ante aliquot annos, dum intente instanterque pronuntiat, sanguinem rejecit atque ob hoc in Aegyptum missus a me post longam peregrinationem confirmatus rediit nuper; deinde dum per continuos dies nimis imperat voci, veteris infirmitatis tussicula admonitus rursus sanguinem reddidit. 7 Qua ex causa destinavi eum mittere in praedia tua, quae Foro Julii possides. Audivi enim te saepe referentem esse ibi et aera salubrem et lac ejusmodi curationibus accommodatissimum. 8 Rogo ergo scribas tuis, ut illi villa, ut domus pateat, offerant etiam sumptibus ejus, si quid opus erit. 9 Erit autem opus modico; est enim tam parcus et continens, ut non solum delicias verum etiam necessitates valetudinis frugalitate restringat. Ego proficiscenti tantum viatici dabo, quantum sufficiat eunti in tua.

Vale.

LETTRE XX.

PLINE A URSUS.

Peu après que les Bithyniens eurent intenté leur accusation contre Julius Bassus, ils en formèrent une nouvelle contre Varénus, leur gouverneur; celui-là même qui, à leur prière, leur avait été donné pour avocat contre Bossus. Lorsqu'ils eurent été introduits dans le sénat, ils demandèrent permission d'informer; et Varénus, de son côté, demanda qu'il lui fût permis de faire entendre les témoins qui pouvaient servir à sa, justification. Les Bithyniens s'étant opposés à la demande de Varénus, il fallut plaider. Je parlai pour lui avec quelque sorte de succès; mais si je parlai bien ou mal, c'est au plaidoyer même à vous l'apprendre. La fortune influe de manière ou d'autre sur l'événement d'une cause; la mémoire, le geste, la prononciation, la conjoncture même, enfin les préventions favorables nu contraires à l'accusé, vous donnent ou vous ôtent beaucoup. Au lieu que la pièce, dans une lecture,ne se ressent ni des égards, ni des animosités, ni des autres hasards heureux ou contraires qui se rencontrent dans une action publique. Fontéius Magnus, l'un des Bithyniens, me répliqua, et dit très peu de choses en beaucoup de paroles. C'est la coutume de la plupart des Grecs : la volubilité leur tient lieu d'abondance dans le discours. Ils prononcent tout d'une baleine, et poussent avec une rapidité de torrent les périodes les plus longues et les plus embarrassées. Julius Candidus dit donc fort agréablement : Autre chose est un discoureur, autre chose un orateur : car l'éloquence n'a été donnée en partage qu'à un homme ou deux au plus, et même personne, si nous en voulons croire Marc Antoine. Mais cette facilité de discourir, dont parle Candidus, est le talent de beaucoup de gens, et souvent des plus téméraires. Le jour suivant, Homullus plaida pour Varénus avec beaucoup d'adresse, de force, de justesse. Nigrinus répondit d'une manière serrée, pressante et fleurie. Acilius Rufus, consul désigné, fut d'avis de permettre aux Bithyniens d'informer. Il n'opina point sur la demande de Varénus; et, par ce silence, il fit assez entendre qu'il ne croyait pas qu'on y dût avoir égard. Cornélius Priscus, homme consulaire, voulait qu'on accordât également aux accusateurs et à l'accusé ce qu'ils demandaient; et son opinion prévalut. Nous avons ainsi obtenu ce qui n'était pas autorisé, ni par aucune loi, ni par aucun usage, quoique d'ailleurs cela fût fort juste. Demandez-vous pourquoi juste? ma lettre ne vous en dira rien ; car s'il est vrai ce que dit Homère,

Les airs les plus nouveaux sont les plus agréables;

je ne puis prendre trop de soin qu'une lettre indiscrète n'enlève à mon discours cette grâce et cette fleur de la nouveauté, qui n'en font pas le moindre mérite.

Adieu.

V, 20

C. Plinius Cornelio Urso suo s.

1 Iterum Bithyni: breve tempus a Julio Basso, et Rufum Varenum proconsulem detulerunt, Varenum quem nuper adversus Bassum advocatum et postularant et acceperant. Inducti in senatum inquisitionem postulaverunt. 2 Varenus petit ut sibi quoque defensionis causa evocare testes liceret; recusantibus Bithynis cognitio suscepta est. Egi pro Vareno non sine eventu; nam bene an male liber indicabit. 3 In actionibus enim utramque in partem fortuna dominatur: multum commendationis et detrahit et affert memoria vox gestus tempus ipsum, postremo vel amor vel odium rei; liber offensis, liber gratia, liber et secundis casibus et adversis caret. 4 Respondit mihi Fontejus Magnus, unus ex Bithynis, plurimis verbis paucissimis rebus. Est plerisque Graecorum, ut illi, pro copia volubilitas: tam longas tamque frigidas perihodos uno spiritu quasi torrente contorquent. 5 Itaque Julius Candidus non invenuste solet dicere, aliud esse eloquentiam aliud loquentiam. Nam eloquentia vix uni aut alteri, immo (si M. Antonio credimus) nemini, haec vero, quam Candidus loquentiam appellat, multis atque etiam impudentissimo cuique maxime contigit. 6 Postero die dixit pro Vareno Homullus callide acriter culte, contra Nigrinus presse graviter ornate. Censuit Acilius Rufus consul designatus inquisitionem Bithynis dandam, postulationem Vareni silentio praeteriit. 7 Haec forma negandi fuit. Cornelius Priscus consularis et accusatoribus quae petebant et reo tribuit, vicitque numero. Impetravimus rem nec lege comprehensam nec satis usitatam, justam tamen. 8 Quare justam, non sum epistula exsecuturus, ut desideres actionem. Nam si verum est Homericum illud:

τὴν γὰρ ἀοιδὴν μᾶλλον ἐπικλείουσ᾽ ἄνθρωποι,
< ἥ τις ἀϊόντεσσι νεωτ> άτη ἀμφιπέληται,

providendum est mihi, ne gratiam novitatis et florem, quae oratiunculam illam vel maxime commendat, epistulae loquacitate praecerpam.

Vale.

LETTRE XXI.

PLINE A RUFUS.

Je m'étais rendu dans la basilique Julienne, pour entendre les avocats à qui je devais répondre dans l'audience suivante. Les juges avaient pris place, les décemvirs étaient arrivés, tout le monde avait les yeux tournés sur les avocats, un profond silence régnait, lorsqu'il arriva un ordre du préteur de lever !a séance. On nous renvoie, et avec une grande joie de ma part; car je ne suis jamais si bien préparé, qu'un délai ne me fasse plaisir. La cause de ce dérangement vient du préteur Népos, qui ramène la sévérité des lois dans ses édits. Il en avait publié un, par lequel il avertissait et les accusateurs et les accusés qu'il exécuterait à la lettre le décret (lu sénat, transcrit à la suite de son édit. Parce décret, il était ordonné à tous ceux qui avaient un procès, de quelque nature qu'il fût, de faire serment avant que de plaider, qu'ils n'avaient rien donné, rien promis, rien fait promettre à celui qui s'était chargé de leur cause. Par ces termes, et par une infinité d'autres, il était défendu aux avocats de vendre leur ministère, et aux parties de l'acheter. Cependant on permettait, après le procès terminé, de donner jusqu'à la concurrence de dix mille sesterces. Le préteur qui préside aux centumvirs, embarrassé par cette action de Népos, et incertain s'il en devait suivre l'exemple, a pris ce temps pour en délibérer, et nous a donné ce repos imprévu. Cependant vous n'entendez dans Rome que blâmer et louer cet édit de Népos. Les uns s'écrient : Nous avons un réparateur des torts; n'avons-nous donc point eu de préteurs avant lui? Et qui est donc cet austère réformateur? Les autres disent : Il a fort bien fait. Sur le point d'exercer la magistrature, il a parcouru le droit, il s'est rempli des lois; il a lu exactement les décrets du sénat; il abolit un trafic honteux, et ne peut souffrir que la chose du monde la plus glorieuse soit vénale. voilà les discours qui se tiennent dans les deux partis, et dont l'événement décidera. Rien n'est moins raisonnable, mais rien n'est plus commun, que de voir les entreprises honnêtes ou honteuses être approuvées ou blâmées, selon le succès. De là il arrive souvent qu'une même action est regardée tantôt comme une action de zèle ou d'ostentation, tantôt comme un trait de liberté ou de folie.

Adieu.

V, 21

C. Plinius Sempronio Rufo suo s.

1 Descenderam in basilicam Juliam, auditurus quibus proxima comperendinatione respondere debebam. 2 Sedebant judices, decemviri venerant, obversabantur advocati, silentium longum; tandem a praetore nuntius. Dimittuntur centumviri, eximitur dies me gaudente, qui umquam ita paratus sum ut non mora laeter. 3 Causa dilationis Nepos praetor, qui legibus quaerit. Proposuerat breve edictum, admonebat accusatores, admonebat reos exsecuturum se quae senatus consulto continerentur. 4 Suberat edicto senatus consultum: hoc omnes qui quid negotii haberent jurare prius quam agerent jubebantur, nihil sc ob advocationem cuiquam dedisse promisisse cavisse. His enim verbis ac mille praeterea et venire advocationes et emi vetabantur; peractis tamen negotiis permittebatur pecuniam dumtaxat decem milium dare. 5 Hoc facto Nepotis commotus praetor qui centumviralibus praesidet, deliberaturus an sequeretur exemplum, inopinatum nobis otium dedit. 6 Interim tota civitate Nepotis edictum carpitur laudatur. Multi: ‘Invenimus, qui curva corrigeret! Quid? ante hunc praetores non fuerunt? quis autem hic est, qui emendet publicos mores?’ Alii contra: ‘Rectissime fecit; initurus magistratum jura cognovit, senatus consulta legit, reprimit foedissimas pactiones, rem pulcherrimam turpissime venire non patitur.’ 7 Tales ubique sermones, qui tamen alterutram in partem ex eventu praevalebunt. Est omnino iniquum, sed usu receptum, quod honesta consilia vel turpia, prout male aut prospere cedunt, ita vel probantur vel reprehenduntur. Inde plerumque eadem facta modo diligentiae modo vanitatis, modo libertatis modo furoris nomen accipiunt.

Vale.

 

NOTES SUR LES LETTRES DE PLINE.

LIVRE V

Lett. 2. Solertiam Diomedis. Diomède avait échangé des armes de fer contre des armes d'or, avec Glaucus. (D. S.)

Lett. 3. Sotadicos intelligo. Le vers sotadique, d'un poète appelé Sotales, qui s'en servit le premier. Ce vers n'était employé que dans le genre licencieux.

Lett. 4. Res parva, etc... «Je vais vous raconter une chose peu importante, si vous ne remontez jusqu'au principe. » . Cela n'est pas bien clair, mais la phrase de Pline ne l'est pas davantage.

Lett. 6. Acanthus. Branche ursine. (D. S.)

Tusculanis, Tiburtinis, Proenestis.  Aujourd'hui Frascati, Rivoli, Palestrine. (D. S.)

Lett. 8. Si qua me quoque possim tollere humo. Virg., Georg. 3. (D. S.)

Victorque virum volitare per ora. Virg., ibid. (D. S.)

Quanquam o. Eneid. v, 195. (D. S.)

Κτῆμα. Momumentum. (D. S.)

Ἀγώνισμα. Certamen. (D. S.)

Lett. 11. Libera tandem, etc. « Acquittez enfin la promesse que mes vers... »  Le texte porte hendécasyllabes. (D. S.)

Aut, cave ne eosdem illos libellos, etc. « Ne différez donc plus à nous satisfaire, ou craignez que je n'arrrache par des vers aigres et piquants... »  Le texte dit « que je n'arrache par des scazons ce que les hendécasyllabes n'ont pu obtenir. »  (D. S.)

Lett. 14. Quum alii divinum me. Allusion à la dignité d'augure dont il était revêtu. (D. S.)

Lett. 17. Ἐρωτοπαῖγνιον. Joculare de rebus amatoriis carmen.

De Sacy donne à cet ouvrage le titre de L'amour dupé. On prétend que ce n'était pas le sujet du poème de Pison. Quelques éditions portent καταστερισμῶν, qu'on traduit ainsi : Les métamorphoses en astres.

On a fait observer qu'il serait assez singulier que Pline, ai connu par la pureté de ses moeurs, se montrât satisfait d'un poème dont le sujet était celui-ci : joculare de rebus amatoriis, et qu'à propos de ce poème il félicitât l'auteur de marcher sur les traces de ses ancêtres.

Cette remarque est peut-être fondée. Toutefois, s'il s'était rencontré un descendant de Tibulle ou de Properce qui se distinguât dans le même genre qu'eux , il nous semble que Pline lui-même aurait pu le féliciter de marcher sur les traces de ses ancêtres, sans qu'il y eût là-dedans rien d'extraordinaire.

Quant à ce titre : Les métamorphoses en astres, nous sommes obligés d'avouer que nous ne savons pas ce que cela veut dire.

Lett. 18. Felicior antequam felicissimus fieret. l'une parle ici de Nerva, à qui cette maison appartenait avant qu'il fût empereur. (D. S.)

Πατὴρ ὥς, etc. Erat mitis, ut pater (Odys. Il, 47. (D. S.)

Lett. 20. Τὴν γὰρ ἀοίδην, etc. Illam enim cantilenam magis celebrant homines qum audientibus recentissima est (Odyss. 1, 351). (D. S.)