Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
MOINES ET SIBYLLES
DANS
L'ANTIQUITÉ JUDÉO-GRECQUE
par
FERDINAND DELAUNAY
(de fontenay)
DEUXIÈME ÉDITION
PARIS
LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES AUGUSTINS
1874
Tous droits réservés
Dans un travail qui n'est pas d'érudition pure, nous n'avons pu aborder tous les détails de la discussion que soulèvent l'âge et la provenance des diverses parties de la collection des oracles sibyllins, éditée par M. Ch. Alexandre. Il a fallu nous contenter d'indiquer sommairement les résultats de notre étude sur les oracles les plus anciens. Nous allons compléter ce que nous avons déjà dit par un coup d'œil rapide jeté sur l'ensemble de la collection. Nous espérons réussir de la sorte à introduire quelque ordre dans ce chaos, et à établir des catégories générales fondées sur la chronologie.
Le premier livre et le second sont manifestement chrétiens. Ils paraissent avoir été écrits vers le milieu du troisième siècle de notre ère. Le second, a conservé des traces des erreurs d'Origène ; il parle des persécutions infligées aux chrétiens à l'époque où nous supposons qu'il fut publié.
Le troisième livre, le plus important de tous, est très complexe.
Le paragraphe 1 offre trois parties distinctes. La première (vers 1 à 45) paraît à M. Alexandre une interpolation du compilateur ; c'est un résumé où nous retrouvons exactement reproduits tous les traits de la définition du Dieu Unique, du Grand Roi, telle qu'elle existe dans le Proœmium et ailleurs. Nous avons omis ce passage dans notre traduction. La seconde partie est contenue dans les quinze vers suivants. Ces vers pourraient bien avoir formé un oracle complet, écrit vers la fin de la république romaine, à l'époque des luttes des triumvirs. Ils viennent, dans notre traduction, à la suite du Proœmium. La troisième partie (vers 63 à 96), dans laquelle nous ne voyons, contrairement à l'opinion de M. Alexandre, aucune trace certaine de christianisme, a pu être écrite dans les trente premières années du premier siècle de notre ère. Elle parle de Bélial, comme du chef des rois ligués contre le Messie, et elle nous le montre sortant de Samarie, la cité juive schismatique. Ce Bélial, auquel il est fait allusion dans l'Évangile, qui doit étonner et tromper les hommes par les prodiges qu'il accomplira, changea, un peu plus tard, de figure, quand on l'eut identifié à Néron, disparu et supposé vivant chez les Parthes, attendant l'heure propice pour revenir en Italie et ressaisir le pouvoir.. Les chrétiens, comme les Juifs, adaptèrent la légende de Néron à celle du faux prophète, adversaire du Messie, qu'ils appelaient Antéchrist. L'oracle relatif à Bélial est compris dans notre traduction.
Les paragraphes 2 et 4 nous semblent renfermer les plus anciens oracles. Sans adopter l'opinion de M. Alexandre, qui les suppose tous de la même main et les présente comme un poème composé vers l'an 169 avant notre ère, nous reconnaissons que certains oracles portent, en effet, cette date, mais nous croyons qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'âge des autres ; ils peuvent être antérieurs de plus d'un demi-siècle ou postérieurs de plus de cent-cinquante ans aux oracles datés.
Le paragraphe 3 (vers 295 à 488) n'est pas plus homogène que ceux dont nous venons de parler. Il contient des parties où l'on a cru saisir des allusions au règne d'Hadrien et à la destruction du temple ; il en contient d'autres, d'une époque indéterminée, sans lien nécessaire entre elles et avec les parties datées, qui prédisent des désastres à une foule de villes et de contrées. Nous retrouverons ces prédictions, à peu près identiques, dans le livre IV. Elles paraissent pour la plupart tirées textuellement des véritables oracles érythréens. Par ces emprunts, mêlés aux choses nouvelles qu'ils voulaient propager parmi les Grecs, les sibyllistes juifs tâchaient de donner à leurs prophéties et à leurs menaces l'autorité qui s'attachait aux vers provenant des antiques sanctuaires de l'Ionie.
C'est à tort, suivant nous, que les critiques et les commentateurs ont presque toujours obéi à la prétendue nécessité de ranger parmi les oracles chrétiens tous ceux qui parlent d'événements contemporains des premiers siècles de notre ère. Il n'est ni impossible ni invraisemblable que des Juifs alexandrins non christianisés aient continué à composer des oracles sibyllins. Nous ne traduisons que les chants de la sibylle hébraïque, antérieure au christianisme ; et nous adoptons pour limite l'an 80 de notre ère, époque où l'église d'Alexandrie prit réellement son essor. Si le paragraphe 3 du livre III ne figure pas dans notre traduction, bien qu'il appartienne à la sibylle hébraïque et qu'il paraisse en très grande partie antérieur à l'an 80, c'est parce qu'il fait double emploi avec le livre IV et qu'il n'offrirait au lecteur que de fastidieuses répétitions.
Le livre IV, écrit vers l'an 80 de notre ère, est l'œuvre d'un Juif alexandrin, non converti au christianisme. L'auteur y fait allusion aux Esséniens, aux Thérapeutes et aux sectes juives baptistes. Il clôt la série des oracles que nous appelons préchrétiens et termine notre traduction.
Le livre V, le paragraphe 1 (du vers 1 au vers 216) du livre VIII, les livres XI, XII, XIII et XIV forment une deuxième série d'oracles, écrits par des Juifs, probablement des Juifs alexandrins, dans l'intervalle compris entre la fin du premier siècle et celle du troisième siècle. Nous les excluons de notre travail, d'abord parce qu'ils ne nous n'apprendraient rien de nouveau sur les doctrines eschatologiques des Hébreux, ensuite parce qu'ils n'appartiennent pas aux précurseurs du christianisme.
Il y a donc trois catégories d'oracles dans la collection.
La première catégorie (que l'on trouvera ici traduite dans notre langue pour la première fois, sauf un passage contesté et d'ailleurs très secondaire) comprend le Proœmium entier, plusieurs morceaux du paragraphe 1, les paragraphes 2, 3 et 4 du livre III, enfin le livre IV.
La seconde catégorie comprend les chants de la sibylle hébraïque postérieure au christianisme ; ils sont contenus dans le livre V, dans le paragraphe 1 du livre VIII, dans les livres XI, XII, XIII et XIV.
La troisième catégorie comprend les oracles écrits le plus souvent par des chrétiens judaïsants d'Alexandrie jusqu'à la fin du troisième siècle : ils sont contenus dans les livres I, II, VI, VII et dans les paragraphes 2 et 3 du livre VIII, qui furent peut-être anciennement les livres IX et X, dont les numéros manquent dans la collection.
* * *
HOMMES mortels, faits de chair, et qui n’êtes rien, pourquoi vous enorgueillir et ne pas faire attention au but de la vie? Vous ne redoutez ni ne craignez Dieu, votre surveillant, le très Haut, qui connaît et voit tout, qui est présent partout, qui a créé et qui nourrit tous les êtres, qui a mis en eux son doux Esprit et a fait de lui le guide de tous les mortels.[1]
Unique est Dieu; seul il règne; il est très grand; il n’a pas été engendré; il est maître de toute chose. Invisible lui-même, seul il voit tout. Aucune chair mortelle ne peut le voir.[2] Car quelle chair pourrait de ses yeux contempler le Dieu sur-céleste, véritable, immortel, qui habite le pôle? Hommes, race engendrée et vouée à la mort, composés d’os, de vaisseaux et de chairs, vous ne pouvez pas même regarder en face les rayons du soleil!
Vénérez celui qui est le seul chef du monde, qui, seul, dans les siècles des siècles, n’est pas engendré, commande à l’univers, et à tous les mortels distribue l’intelligence dans la commune lumière! Vous recevrez le juste châtiment de votre malice, vous qui, ayant négligé de glorifier le Dieu véritable, éternel, et de lui sacrifier de saintes hécatombes, avez offert des victimes aux démons qui sont dans l’Hadès.[3]
* * *
Vous qui marchez dans l’orgueil et la folie, et qui, abandonnant le droit chemin, vous perdez à travers les épines et les rochers, mortels, pourquoi vous égarer ainsi? Arrêtez, insensés, qui tournoyez dans la nuit ténébreuse et noire ; laissez l’ombre de la nuit, et recevez la lumière. Voilà qu’il s’est manifesté à tous dans sa vérité. Venez! Ne poursuivez plus sans cesse l’ombre et les ténèbres. Voilà que la douce lumière du soleil brille en haut. Placez la sagesse dans vos cœurs, et apprenez à la connaître.
Unique est Dieu. C'est lui qui envoie la pluie, les vents, les tremblements de terre, les éclairs, les famines, les pestes, les tristes soucis, les neiges et les glaces. Mais pourquoi dire chaque chose en détail? Il régit le ciel, il gouverne la terre, il est[4]...
….. S'il était vrai que les dieux naissent et demeurent immortels, les dieux deviendraient plus nombreux que les hommes ; il ne resterait plus aux mortels de lieu où habiter[5]... Et, si tout ce qui naît est périssable, Dieu ne peut être formé des éléments provenant d'un homme et d'une femme. Non ! Dieu est seul, unique, supérieur à tout. Il a fait le ciel, le soleil, les astres, la lune, la terre, qui produit les fruits; il a fait les vagues de l'eau des mers, les monts élevés, les sources intarissables. Il a aussi engendré l'innombrable multitude des êtres aquatiques. Il nourrit les reptiles, qui se meuvent sur la terre, les oiseaux au chant harmonieux, au gracieux ramage, et qui, rapides, avec un bruit aigu, fendent l'air de leurs ailes. Il a mis dans les vallons des montagnes la race farouche des bêtes sauvages. A nous, mortels, il a soumis tous les animaux. Il a établi chef de tous l'homme d'origine divine ; il lui a soumis[6] les êtres dans leur immense diversité, même ceux qui sont inconnus. Car quelle chair mortelle peut connaître toutes les créatures? Seul il les connaît, Celui qui les a faites au commencement, le Créateur impérissable, éternel, habitant l'éther, versant sur les bons les torrents de sa munificence et de ses bienfaits, et aux méchants et aux injustes suscitant, dans sa colère et son courroux, la guerre, la famine et les souffrances qui font répandre des larmes...
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Hommes, pourquoi vous élancer dans les vanités de votre orgueil? Rougissez bien plutôt de faire des dieux avec des chats et des brutes ! N'est-ce pas un fol aveuglement qui vous enlève le sens et vous empêche de voir que vos dieux dérobent les plats et volent les vases? Au lieu d'habiter les magnificences du pôle d'or, ils sont rongés par la rouille et enlacée dans le tissu serré de l'araignée. Insensés, vous vous prosternez devant des serpents, des chiens, des chats ! Vous adorez des oiseaux, des bêtes qui rampent sur la terre, des figures de pierre, des images fabriquées de vos propres mains, et même les amas de pierre qui sont sur les chemins. Vous adorez ces choses et beaucoup d'autres qui sont vaines, et qu'il est honteux de nommer.[7] Ces dieux font des dupes des mortels égarés ; de leur bouche découle un venin qui donne la mort. Devant Celui à qui appartiennent la vie et la splendeur de l'éternelle lumière, qui verse aux hommes une joie plus douce que le doux miel, devant lui seul il faut courber la tête, et s'ouvrir un chemin avec les hommes pieux à travers les siècles. Mais vous l'avez abandonné ; vous avez épuisé la coupe remplie de la justice céleste, coupe lourde, profonde, débordant d'un vin pur et sans mélange ; vous êtes tous restés dans votre aveuglement. Et vous ne voulez pas secouer le sommeil de l'ivresse, revenir à un sentiment sage et reconnaître le Dieu-Roi, qui veille sur toute chose. C'est pourquoi un orage de feu ardent descendra sur vous; vous serez sans cesse et pour l'éternité consumés par des flammes. Alors vous songerez avec honte à vos idoles menteuses et impuissantes. Mais ceux qui honorent le Dieu véritable, éternel, auront la vie en héritage, et durant l'éternité ils habiteront les vergers fleuris du Paradis et se nourriront du doux pain du ciel étoilé.
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Quand Rome régnera sur l'Egypte, absorbant tout dans un empire unique, alors se lèvera sur les hommes la grande royauté du Roi immortel. Il viendra un prince chaste, dont le sceptre s'étendra sur toute la terre, dans tous les siècles, à travers le cours des âges. Et alors la fureur des hommes du Latium s'exercera implacable. Trois personnages détruiront Rome par une lamentable destinée. Tous les hommes périront dans leurs propres demeures, lorsqu'un torrent de feu se précipitera du ciel.
Malheur à moi, misérable, lorsque, en ce jour fatal, surviendra le jugement du Dieu immortel, du Grand Roi.
Et maintenant, villes, bâtissez-vous, embellissez-vous de temples, de stades, de places, de statues d'or, d'argent et de marbre, pour atteindre ce jour funeste. Ce jour viendra, quand une odeur de soufre se répandra sur tous les hommes…… Je vais dire en détail chaque désastre et dans quelles villes ces désastres surviendront aux hommes[8]…….
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De chez les Sébasténiens[9] sortira Béliar. Il fera sentir son pouvoir aux montagnes élevées, à la mer, au soleil grand et flamboyant, à la lune brillante, aux morts eux-mêmes.[10] Il fera mille prodiges devant les hommes. Ce ne sera pas la droiture, mais l'erreur, qui sera en lui. Il entraînera dans cette erreur beaucoup de mortels, des Hébreux fidèles appartenant à la race choisie, et d'autres hommes étrangers à la Loi, qui n'ont jamais encore entendu parler de Dieu. Lorsque s'accompliront les menaces du Grand Dieu, un puissant embrasement submergera la terre de ses vagues et dévorera Béliar et tous les hommes superbes qui avaient mis leur foi en lui.[11]
…. Et alors le monde sera de toutes parts soumis au commandement et au sceptre d'une femme. Ensuite, quand la Veuve[12] aura régné sur tout le monde, quand elle aura jeté l'or et l'argent dans l'onde salée, quand elle aura jeté à la mer l'airain et le fer des hommes qui ne durent qu'un jour, alors tous les éléments retomberont dans le chaos, et Dieu, qui habite l'éther, roulera le ciel comme on roule un volume.[13] Le pôle entier aux mille formes[14] tombera sur la terre divine et dans la mer; un jet intarissable de feu impétueux détruira la terre, la mer, le pôle céleste et le jour, et fondra la création en une masse unique pour la purifier. Il n'y aura plus de globes lumineux au firmament, plus de nuits, plus d'aurore, plus de jour rempli de soucis, plus de printemps, d'été, d'hiver, d'automne. Et alors surviendra le jugement du Grand Dieu, au milieu du grand siècle, lorsque toutes ces choses seront accomplies[15]……………………………………………………………………
Ondes sur lesquelles l'homme navigue, surface entière de la terre, depuis le lieu où le soleil se lève jusqu'au point où il disparaît, tout obéira à Dieu entrant de nouveau dans le monde,[16] car, le premier, il a connu sa puissance !
* * *
… MAIS,[18] lorsque s’accompliront les menaces que le Grand Dieu avait proférées contre ces mortels qui bâtirent une tour dans le pays assyrien (ils parlaient tous la même langue et voulaient escalader le ciel étoilé...) Aussitôt l’immortel imposa aux vents une grande loi fatale; et, de suite, les vents renversèrent la tour, qui était d’une immense hauteur, et suscitèrent des querelles entre les mortels. C’est pourquoi les mortels donnèrent à la ville le nom de Babylone.
Quand la tour fut tombée, et que les langues des hommes s’altérèrent en mille sons divers, la terre entière se remplit de mortels, et les rois se la partagèrent. Alors ce fut le dixième âge[19] des hommes à la voix articulée, depuis le cataclysme survenu sur les premiers humains. Alors régnèrent Kronos, Titan et Japet, que les hommes appelèrent les puissants enfants de la terre et du ciel, employant pour les désigner les noms de la Terre et du Ciel, parce qu'ils étaient les plus puissants des hommes à la voix articulée. Il y eut trois parts de la terre, chacune pour le lot de chacun. Et chacun régna sur sa part, et ils ne se livrèrent point de combats : car leur père, sous la foi des serments, leur avait fait des parts équitables. Mais quand vint le temps où la mort mit un terme à la vieillesse de leur père, ils violèrent outrageusement les serments, et se disputèrent entre eux pour savoir qui aurait seul les honneurs de la royauté et commanderait à tous les mortels.
Kronos et Titan combattirent l'un contre l'autre. Rhéa et la Terre, Aphrodite qui aime les couronnes, Déméter, Hestia et Dioné à la belle chevelure les firent rentrer en amitié et unirent par le même traité tous les rois, les frères, les proches, et les autres hommes issus du même sang. Il fut décidé que le roi Kronos régnerait sur tous, parce qu'il l'emportait par l'âge et par la beauté. Titan exigea de Kronos de grands serments, suivant lesquels il ne nourrirait point d'enfant mâle, afin qu'il pût régner lui-même lorsque la vieillesse et le destin mettraient fin aux jours de Kronos.[20]
C'est pourquoi, lorsque Rhéa enfantait, les Titans se tenaient auprès d'elle et mettaient en pièces tous les enfants mâles, ne laissant à nourrir à la mère que les enfants du sexe féminin. Mais, lorsqu’à son troisième enfantement l'auguste Rhéa eut mis au monde pour la première fois une fille, Héra, les Titans, hommes cruels, après avoir vu de leurs yeux que c'était une fille, se retirèrent. Et Rhéa enfanta ensuite un enfant mâle qu'elle envoya vite en secret, pour y être élevé, en Phrygie, sous la garde de trois hommes de Crète liés par serment.[21] Et on le nomma Zeus,[22] parce qu'il avait été ainsi envoyé.
De la même manière elle envoya secrètement Poséidon. Une troisième fois, Rhéa, la plus divine des femmes, mit au jour Pluton ; elle passait alors à Dodone d'où s'écoulent les sources fraîches du fleuve Europus,[23] dont l'onde mêlée à celle du Penée s'écoule dans la mer sous le nom du Styx.
Les Titans ayant entendu dire qu'il existait des fils nés secrètement de l'union de Kronos et de Rhéa, Titan rassembla ses soixante fils, chargea de liens Kronos et Rhéa son épouse, les cacha dans la terre et les garda enchaînés. Les fils du puissant Kronos, ayant appris cela, allumèrent une grande guerre ; il en résulta un trouble immense. Telle fut l'origine de la guerre entre tous les mortels. Ce fut la première origine de la guerre parmi les mortels[24]...
Et alors Dieu perdit les Titans; et toute la descendance des Titans et de Kronos périt... Après cela, dans le cours des temps, surgit le royaume d'Egypte; puis surgirent ceux des Perses, des Mèdes, des Éthiopiens, de Babylone l'assyrienne,[25] ensuite celui des Macédoniens, de nouveau celui d'Egypte, puis celui de Rome[26]...
* * *
... Et alors la parole du Grand Dieu vola dans ma poitrine; elle m'ordonna de prophétiser par toute la terre, et d'enseigner aux rois les choses futures. Le Dieu Seul m'inspire de dévoiler tout d'abord toutes les royautés humaines qui surgiront.[27]
La première, la maison de Salomon commandera à la Phénicie, à l'Asie, aux Iles, aux nations des Pamphyliens, des Perses, des Phrygiens, des Cariens, des Mysiens et des Lydiens, qui ont de l'or en abondance.[28] Ensuite régneront les Grecs superbes et cruels; le peuple de Macédoine régnera au loin sur divers pays et suscitera aux mortels la redoutable tempête de la guerre. Mais le Dieu céleste le déracinera jusque dans ses fondements.
Alors sera le commencement d'une autre puissance, blanche et à plusieurs têtes, venue de la mer d'occident. Elle régnera sur beaucoup de contrées, elle ébranlera beaucoup de peuples ; elle épouvantera tous les rois ; elle arrachera une grande quantité d'or et d'argent d'un grand nombre de villes. Il y aura de nouveau sur la terre divine de l'or et puis encore de l'argent et du luxe. Ils opprimeront les mortels. Ces hommes tomberont lorsqu'ils auront régné avec un excès de faste et d'iniquité. En eux résidera le génie de l'impiété ; le mâle se rapprochera du mâle ; ils placeront des enfants dans de honteux lieux de débauche. Et il y aura dans ces jours une grande tribulation parmi les hommes. Ce peuple bouleversera tout, brisera tout; dévoré par la soif exécrable de l'or[29] et par l'amour d'un gain sordide, il mettra le comble aux calamités dans beaucoup de contrées, surtout en Macédoine. Il excitera à la haine, et pratiquera toute sorte de fraudes, jusqu'au septième règne d'un roi d'Egypte qui sera de race grecque. Et alors le peuple du Grand Dieu sera de nouveau puissant ; il sera pour tous les mortels le conducteur de la vie[30]...
* * *
Mais pourquoi Dieu m'a-t-il mis dans l'esprit de dire quels désastres viendront fondre d'abord, ensuite, enfin sur tous les hommes, et quelle sera l'origine de ces désastres?...
... D'abord Dieu perdra les Titans[31]... Les fils du puissant Kronos seront punis pour avoir enchaîné Kronos et leur vénérable mère. De nouveau, pour la seconde fois régneront sur les Grecs des tyrans, des rois superbes, insolents, impurs, adultères et coupables de toutes sortes de méchancetés. Il n'y aura plus pour les mortels de cessation de la guerre. Tous les Phrygiens, nation illustre, périront; en ce jour, le désastre s'abattra sur Troie ; puis il fondra sur les Perses, sur les Assyriens, sur toute l'Egypte, la Libye, les Éthiopiens, les Cariens, les Pamphyliens, sur tous les mortels[32]... Mais pourquoi énumérer chaque chose? Lorsqu'un premier fléau aura pris fin, il en surviendra un autre sur les hommes... Je vais célébrer les premiers événements...
* * *
... Le désastre s'abattra sur les hommes pieux qui habitent autour du grand temple de Salomon, et qui sont les fils d'hommes justes. Cependant je célébrerai leur race, l'origine de leurs ancêtres, leur peuple tout entier. Mortel à l'esprit plein d'artifices et de ruses ingénieuses, médite mes paroles.[33]
Il est une cité... dans la contrée... d'où surgira une race d'hommes très justes.[34] Leurs pensées sont toujours bonnes, leurs actes sont excellents. Ils n'ont nul souci de la course circulaire du soleil ou de la lune, ni des phénomènes, réputés prodiges, qui s'accomplissent sur la terre, ni des profondeurs de la mer azurée que l'on nomme océan, ni des présages tirés des éternuements ou du vol des oiseaux, ni des prédictions, ni des filtres, ni des incantations, ni des impostures ou des fables insensées des ventriloques, ni des prophéties que les Chaldéens empruntent à l'astrologie. Ils n'observent pas les astres. Car tout cela n'est qu'erreur; et les recherches auxquelles se livrent chaque jour des hommes insensés ne sont qu'un vain exercice de l'esprit sur une œuvre mauvaise ; elles enseignent le mensonge aux vils humains. De là sont venus aux mortels sur la terre une foule de maux, pour avoir abandonné le droit chemin et les œuvres de justice.[35]
Ces hommes au contraire ont souci de la justice et de la vertu. Chez eux on ne connaît point l'avarice, qui engendre mille maux aux mortels, la guerre et la famine cruelle. Toutes choses sont réparties entre eux avec une juste mesure dans les champs et dans les villes; ils ne se livrent pas entre eux à des larcins nocturnes; ils ne s'entre-volent pas les troupeaux de bœufs, de brebis ou de chèvres. Le voisin n'arrache pas la borne du champ de son voisin ; l'homme opulent ne moleste pas le pauvre et n'opprime pas la veuve ; au contraire, il leur vient en aide par des dons continuels de froment, de vin et d'huile. Toujours l'homme fortuné donne une part de la moisson à ceux du peuple qui ne possèdent rien ou qui sont indigents. Ils accomplissent ainsi la parole du Grand Dieu, inscrite dans les chants de la loi.[36] Car le Dieu du ciel a fait la terre commune à tous.
Quand ce peuple, formé de douze tribus, quittera l'Egypte et voyagera heureusement sous des chefs envoyés de Dieu, son voyage sera guidé, la nuit, par une colonne flamboyante, et, durant tout le jour, par une colonne de nuages. Dieu établira sur lui, pour guide, un grand homme, Moïse, qu'une reine ayant trouvé, emporta par pitié, qu'elle éleva et appela son fils. Lorsque ce chef fut arrivé, avec le peuple que Dieu tira d'Egypte, vers le mont Sina, Dieu lui transmit la loi descendue du ciel, écrivant sur deux tables toutes les choses justes qu'il prescrivit de pratiquer. Et, si quelqu'un viole ces commandements, il sera puni, soit par la loi, soit par les mains des mortels, ou, s'il échappe aux regards des mortels, par la souveraine justice... [Car le Dieu du ciel a fait la terre commune à tous; il a placé dans toutes les poitrines un bon Esprit[37]]… A eux seuls le fertile guéret rend, pour un grain qu'on lui confie, jusqu'à cent tiges ; c'est la mesure de Dieu !...
Et pourtant, eux aussi, le malheur les visitera ; ils n'éviteront pas la peste. Toi aussi, abandonnant les parvis magnifiques, tu fuiras, lorsque l'heure sera venue pour toi de quitter la contrée sainte. Tu seras emmené chez les Assyriens; tes jeunes enfants et tes femmes tu les verras servir des hommes barbares ; tous tes biens, toutes tes richesses périront. Toute la terre, toute la mer, seront pleines de toi,[38] et tout homme aura les usages en horreur. Ton pays entier sera désert ; l'autel aussi sera désert ; et le temple du Grand Dieu et les longues murailles, tout tombera à terre, parce que tu n'as point placé dans ta pensée la sainte loi du Dieu immortel, parce que, dans ton égarement, tu as servi d'indignes idoles, et que, perdant la crainte de l'Immortel, père des dieux et de tous les hommes,[39] tu lui as refusé l'honneur que tu rendais aux idoles des mortels. A cause de cela, pendant sept décades d'années[40] ta terre fertile en fruits sera tout entière déserte, ainsi que les admirables parvis. Mais une heureuse fin, une gloire immense, te sont réservées, selon ce que t'a annoncé le Dieu immortel. Mais toi, persévère dans ta foi aux saintes lois du Grand Dieu, jusqu'au jour où, redressant tes genoux courbés, il t'élèvera vers la lumière. Et alors Dieu enverra du ciel un roi qui jugera chaque homme dans le sang et dans la flamme du feu[41]…
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… Il est une tribu royale, dont la race ne périra point;[42] dans le cours des âges, cette race régnera et commencera à relever les nouveaux parvis de Dieu. Et tous les rois des Perses donneront leur concours, en envoyant de l'or, de l'airain et du fer bien travaillé. Car Dieu lui-même enverra, pendant la nuit, un songe saint. Et alors le temple sera de nouveau tel qu'il était autrefois[43]………………………………..
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Mon esprit se reposait après le chant divin, quand de nouveau la parole du Grand Dieu descendit dans ma poitrine et m'ordonna de prophétiser sur la terre...
Malheur! malheur! sur la race des Phéniciens, hommes et femmes, et sur toutes les villes du littoral; aucune d'entre vous ne restera à la lumière du soleil dans la commune lumière. Nul de ceux qui participent à la vie, aucune tribu ne subsisteront, à cause de leur langue injuste, à cause de la vie déréglée et impure qu'ils ont tous menée, en ouvrant leur bouche impure.[45] Ils ont proféré d'horribles discours, pleins de mensonge et d'injustice ; ils se sont posés en adversaires de Dieu, le Grand Roi; ils ont ouvert leur bouche menteuse et obscène. C'est pourquoi Dieu les domptera sur toute la terre par des fléaux prodigieux et leur enverra un affreux destin, brûlant depuis les fondements leurs villes et leurs nombreux édifices.
Malheur, malheur à toi, Crète, condamnée à mille douleurs ! Un fléau fondra sur loi, fléau terrible, qui te détruira pour jamais. Toute la terre te verra de nouveau fumante ; le feu ne te lâchera point à travers les âges; tu seras brûlée.
Malheur, malheur à toi, Thrace! Tu viendras sous le joug de la servitude, quand les Galates, mêlés aux Dardanides, s'élanceront sur la Grèce pour la ravager ; le malheur sera sur toi. Tu communiqueras à une terre étrangère le fléau que tu auras reçu.
Malheur, malheur à Gog, à tous ceux de sa suite et aussi à Magog, aux Marses et aux Daces. Combien de funestes destinées t'attendent, ainsi que les fils des Lyciens, des Mysiens, des Phrygiens. Beaucoup de peuples succomberont parmi les Pamphyliens, les Lydiens, les Maures, les Éthiopiens, les Cappadociens, les Arabes et les nations au langage barbare[46]...
… Mais pourquoi énoncer chaque désastre? A tous les peuples qui habitent la terre le très Haut enverra de terribles fléaux…
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… Quand un peuple extrêmement barbare marchera sur les Grecs et fera tomber la tête de beaucoup d'hommes éminents, il pillera beaucoup de grasses brebis, des troupeaux de chevaux, de mulets et de bœufs aux vastes mugissements. Sans frein ni loi, ces dévastateurs livreront au feu les palais bien construits; ils emmèneront par force, dans une autre terre, beau coup d'individus réduits en esclavage. Les enfants, les femmes à la ceinture profonde, arrachées du lit conjugal, tombant suppliantes sur leurs faibles genoux, ils[47] les verront enchaînées par des peuples au langage barbare, et souffrant sans cesse tout outrage; et il n'y aura point pour eux un défenseur qui amoindrisse les maux de la guerre et protège leur vie. Ils verront les ennemis prendre leurs biens et toutes leurs richesses. Un tremblement agitera leurs genoux. Cent fuiront ; un seul les fera périr, quand cinq pourraient porter le désordre dans l'armée.[48] Mais ils se plongeront honteusement entre eux dans des guerres et des tumultes terribles, apportant à leurs ennemis la joie et aux Grecs le deuil.[49]
Le joug de la servitude sera sur toute la Grèce. De toutes parts et pareillement la guerre et la famine seront sur les mortels. En haut, Dieu rendra d'airain le grand ciel sur la terre entière laissée sans pluie et devenue de fer. Et alors tous les mortels se lamenteront terriblement, à cause de leurs champs stériles et incultes et du feu allumé sur la terre. Et Celui qui a créé le ciel et la terre suscitera un grand deuil. Le tiers de toute l'humanité survivra…
* * *
… O Grèce,[50] pourquoi as-tu mis ta foi en des hommes, en des princes mortels, qui ne peuvent échapper au destin de la mort? Pourquoi offres-tu de vains présents à des morts,[51] et sacrifies-tu à des idoles? Qui t'a mis cette erreur dans l'esprit? Qui t'a poussée à agir ainsi et à quitter la face du Grand Dieu[52] ? Révère le nom du Père de toute chose, qu'il ne te soit plus inconnu! Il y a quinze cents ans[53] que des rois superbes ont régné sur les Grecs, qui introduisirent parmi les mortels les premiers maux, les corrompirent par le culte de nombreuses idoles de dieux ayant subi la mort, et vous remplirent ainsi l'esprit de choses vaines. Mais, quand la colère du Grand Dieu sera sur vous, alors vous reconnaîtrez la face du Grand Dieu. Toutes les âmes humaines, avec de grands gémissements, levant leurs mains vers le vaste ciel, commenceront à invoquer le Grand Roi et sa protection, et à chercher qui pourra les délivrer de sa grande colère.
Eh bien ! apprends ceci et grave dans ton esprit tous les maux qui surviendront dans le cours des ans. La Grèce, qui a offert vainement en sacrifice les bœufs et les taureaux aux vastes mugissements, évitera les malheurs de la guerre, la terreur et la peste, et secouera de nouveau le joug de la servitude, quand elle offrira en holocauste ses victimes au temple du Grand Dieu. Mais il existera une race d'hommes impies jusqu'à ce que prenne fin ce funeste destin. Car vous ne sacrifierez pas à Dieu tant que ne seront pas accomplies toutes les choses que le Dieu Seul veut voir accomplir. C'est une nécessité invincible.
La sainte race des hommes pieux existera de nouveau.[54] Ces hommes, soumis aux volontés et aux desseins du très Haut, honorent le temple du Grand Dieu par des libations, des viandes brûlées, de saintes hécatombes, des sacrifices de taureaux bien nourris. Ils offrent en saint holocauste[55] sur le grand autel les gras troupeaux de béliers choisis, de premiers-nés des brebis et d'agneaux. Vivant dans la justice et dans l'observance de la loi du très Haut, heureux, ils habiteront leurs villes et leurs grasses campagnes. Exaltés par l'Immortel, devenus prophètes du genre humain, ils lui apporteront une grande joie.[56] A eux seuls le Grand Dieu a donné la sagesse, la foi et de bonnes pensées dans leur cœur. Préservés de vaines erreurs, ils ne révèrent point les simulacres des dieux, ouvrages fabriqués par les hommes, avec l'or, l'airain, l'argent, l'ivoire, le bois, la pierre, l'argile, ouvrages peints de vermillon, représentant des formes d'animaux et tout ce que les mortels, dans leur fol égarement, adorent. Mais ils lèvent vers le ciel leurs mains pures, que le matin, au sortir de leurs couches, ils purifient toujours dans l'eau ; ils honorent Dieu, qui est toujours grand et immortel, et ensuite leurs parents; en outre, plus que tous les hommes, ils se souviennent de la sainteté du lit nuptial. Ils ne se livrent pas à d'impurs rapprochements avec déjeunes garçons, comme les Phéniciens, les Egyptiens, les Latins, les Grecs, et beaucoup d'autres peuples tels que les Perses, les Galates, tous les Asiatiques enfin, qui violent et transgressent les chastes lois du Dieu immortel.
A cause de cela, l'Immortel enverra à tous les mortels des malheurs, la famine, les douleurs, les gémissements, la guerre, la peste et les souffrances qui font verser des larmes. Car ils n'ont pas voulu honorer saintement le Père immortel de tous les hommes; ils ont honoré des idoles et vénéré les ouvrages de leurs propres mains. Les mortels eux-mêmes les renverseront ces idoles, et, par honte, les cacheront dans les fentes des rochers, lorsqu'un nouveau roi d'Egypte régnera sur ce pays ; il sera compté le septième de la dynastie grecque fondée par les Macédoniens, hommes vaillants.
Il viendra d'Asie un grand roi, aigle ardent, qui couvrira toute la terre, de fantassins et de cavaliers; il brisera tout; remplira tout de maux, et renversera le royaume d'Egypte ; puis, ayant pris toutes les richesses, il s'éloigne sur les vastes plaines de la mer.[57] Et alors devant le Grand Dieu, le Roi Immortel, ils fléchiront le genou blanc[58] sur un sol fertile; les ouvrages fabriqués de main d'homme tomberont tous dans la flamme du feu. Et alors Dieu donnera aux hommes une grande félicité; car la terre, les arbres, les immenses troupeaux de brebis fourniront aux hommes des fruits véritables, du vin, du miel doux, du lait blanc et du froment, qui est le meilleur de tous les fruits pour les mortels...
* * *
... Mais toi, sans différer, homme versatile et pervers,[59] reviens de ton erreur, apaise Dieu. Sacrifie à Dieu, dans le cours des heures, des hécatombes de taureaux, d'agneaux premiers-nés et de chèvres. Apaise le Dieu immortel, pour qu'il ait pitié de toi. Car lui seul est Dieu et il n'y en a point d'autre.[60] Honore la justice, et n'opprime personne. Car l'Immortel ordonne ces choses aux mortels infortunés...
* * *
...Mais toi, évite le courroux du Grand Dieu, quand la peste viendra fondre sur tous les mortels. Ils seront frappés d'épouvantables châtiments; le roi prendra le roi et s'emparera de son pays ; les nations détruiront les nations, et les souverains détruiront les peuples. Tous les princes s'enfuiront dans une autre contrée, et les pays changeront d'habitants...
* * *
...Une puissance barbare ravagera toute la Grèce,[61] et exprimera de cette terre fertile sa richesse. Il s'élèvera entre eux une querelle dans un pays étranger, à cause de l'or et de l'argent (car la mauvaise avarice régnera sur les cités).[62] Et tous resteront sans sépulture, et les vautours et les bêtes sauvages de la terre se repaîtront de leurs chairs. Lorsque ces choses seront accomplies, la terre immense absorbera les débris des morts ; elle restera tout entière sans semence et sans culture, proclamant, l'infortunée, les abominations des hommes criminels, jusqu'à ce que, après une longue série d'années,[63] elle rende les boucliers, les écus, les javelots et toutes sortes d'armes. On ne coupera plus le bois du chêne pour alimenter le feu.[64]
Et alors Dieu enverra du soleil[65] un roi qui fera cesser sur toute la terre la guerre funeste; il tuera les uns et imposera aux autres des serments de fidélité. Il ne fera point tout cela de son propre dessein, mais pour obéir aux ordres sages du Grand Dieu.[66] Et le peuple du Grand Dieu sera comblé de magnificences et de richesses, d'or, d'argent et de luxueuse pourpre; la terre fertile et la mer seront remplies de biens.
Et les rois commenceront à s'irriter les uns les autres, méditant le mal dans leur cœur. L'envie est funeste aux infortunés mortels.
De nouveau[67] les rois des nations en troupes serrées se rueront sur cette contrée,[68] préparant leur propre ruine. Ils voudront, en effet, détruire les parvis et les hommes excellents du Grand Dieu. Quand ils seront venus dans la contrée, ces rois pervers sacrifieront en cercle autour de la ville, chacun ayant son trône et son peuple incrédule.[69] Et Dieu de sa grande voix parlera à tout ce peuple ignorant, insensé. Et le jugement du Grand Dieu sera sur eux; tous périront sous la main de l’Immortel...
* * *
... Du Ciel tomberont sur la terre des glaives de feu; des torches immenses tomberont aussi et flamboieront au milieu des hommes.[70]
La terre, qui produit tout, sera, dans ces jours, secouée par la main de l'Immortel. Les poissons de la mer, toutes les bêtes de la terre, les familles innombrables des oiseaux, toutes les âmes des hommes, toutes les mers frissonneront sous la face de l'Immortel ; et il y aura épouvante. Il brisera les sommets escarpés et les hauteurs des montagnes énormes, et le noir Erèbe apparaîtra à tous les regards. Au haut des airs, les grottes dans les montagnes élevées seront pleines de cadavres; les rochers dégoutteront de sang et formeront des torrents qui inonderont la plaine. Les remparts solidement construits tomberont tous à terre, laissant les hommes infortunés sans défense, parce qu'ils ont méconnu la loi et le jugement du Grand Dieu, et parce que dans votre égarement vous vous êtes tous précipités, brandissant vos lances, contre le saint Lieu.[71] Et Dieu les jugera tous par la guerre, par le glaive, par le feu, par une pluie qui submergera tout.[72] Dieu fera tomber du ciel une pluie de pierres et une grêle abondante et terrible. La mort sera sur les quadrupèdes. Et alors ils reconnaîtront le Dieu immortel, qui accomplit ces choses. La plainte et la clameur des hommes exterminés s'élèveront de la terre immense ; puis tous, muets, resteront étendus, baignés dans le sang. Et la terre boira le sang des hommes exterminés ; les bêtes féroces se rassasieront de leurs chairs...
Le Dieu Grand, Éternel m'a dit de prophétiser tout cela. Et ces choses ne resteront pas sans être accomplies. Car ce qu'il a une fois résolu dans sa pensée ne peut pas ne point s'accomplir. Véridique est l'Esprit de Dieu dans le monde[73]...
... De nouveau,[74] les fils du Grand Dieu vivront tous paisiblement autour du temple, se réjouissant des dons du Créateur, du Juge équitable, du Monarque. Car seul il les défendra ; et, les protégeant fortement, il les environnera d'un feu brillant comme d'un mur. Ils seront à l'abri de la guerre dans les villes et dans les campagnes. La main de la guerre funeste sera loin d'eux. L'Immortel combattra pour eux ; le bras du Saint les couvrira. Et alors toutes les îles et les villes diront :
« Combien l'Immortel aime ces hommes! En toute occasion il combat avec eux et leur vient en aide ainsi que le ciel, la lune et le soleil envoyé par Dieu. »
En ces jours, la terre, qui produit tout, sera secouée.[75]
Et de leurs bouches sortiront de doux chants : « Venez, tombons tous sur le sol, prions le Roi immortel, le Dieu Grand et très Haut. Envoyons des offrandes à son temple, puisqu'il est l'Unique Souverain. Tous, proclamons la loi du Dieu très Haut, qui est de toutes les lois de la terre la plus juste. Nous nous étions égarés loin du sentier de l'Immortel et, dans notre folie, nous adorions les images en bois, fabriquées par nos mains, les images d'hommes morts... »
Les ames des hommes devenus fidèles s'écrieront[76] : « Venez ! avec le peuple de Dieu tombons sur notre face; célébrons par des chants le Dieu créateur dans nos maisons. Recueillons par toute la terre les armes des ennemis, pendant une période de sept années, les boucliers, les javelots, les casques, toutes sortes d'armes, une multitude de flèches et d'injustes traits : car on ne coupera plus du bois du chêne pour alimenter la flamme du feu.[77]
* * *
Ah! Grèce infortunée, dépose tes pensées d'orgueil. Si tu as souci de toi-même, prie l'Immortel au grand cœur. Envoie dans cette ville le peuple irrésolu qui est originaire de la grande terre sainte. N'agite pas Camarina : mieux vaut que Camarina ne soit pas agitée. Ne tire point le léopard de son repos, de peur de t'attirer quelque malheur. Modère-toi ; ne garde pas dans ton sein l'audace orgueilleuse et cruelle qui te pousse à cette terrible lutte. Sers le Grand Dieu, afin d'avoir part à ses bienfaits quand prendra fin ce jour funeste[78]...
* * *
... Le jugement du Dieu immortel viendra sur les mortels... il viendra aussi sur les hommes vertueux, suivant l'ordre du Grand Dieu[79]...
... La terre,[80] qui produit tout, donnera aux mortels d'excellents fruits, du froment, du vin et de l'huile. Du ciel coulera le doux breuvage du doux miel ; les arbres prodigueront leurs fruits ; les gras troupeaux de bœufs, de brebis et de chèvres se multiplieront à l'infini. Il fera jaillir[81] des sources agréables de lait blanc comme la neige. Les villes regorgeront de biens; les champs seront fertiles. Plus de glaive, plus de tumulte sur la terre ; plus de ces tressaillements profonds qui secouent le sol gémissant ; plus de guerre, plus de sécheresse, plus de famine, plus de grêle malfaisante et meurtrière pour les fruits. Une grande paix régnera sur toute la terre; le roi gardera amitié au roi jusqu'à la fin des siècles ; l'Immortel dans le ciel étoile donnera aux hommes par toute la terre une loi commune, qui enseignera ce qu'il faut faire aux infortunés mortels...
Car lui seul est Dieu, et il n'y en a point d'autre...
... Et il châtiera par le feu l'audace méchante des hommes[82]...
* * *
... Gravez mes pensées dans vos cœurs. Fuyez l'iniquité et le vol. Sers le Vivant. Évite l'adultère, et l'impur commerce avec les mâles ; élève tes enfants, ta propre race, et ne les tue point. Car l'Immortel se courroucera contre ceux qui commettront ces crimes...
* * *
... Et alors[83] surgira un royaume, qui durera éternellement et s'étendra sur l'humanité entière. Celui qui a donné aux hommes pieux une loi sainte, leur a promis à tous de leur ouvrir la terre, le monde, les portes des bienheureux, toutes les délices, l'esprit immortel et l'éternelle félicité. De toute la terre on portera de l'encens et des présents à la maison du Grand Dieu ; et il n'y aura pas d'autre maison à vénérer pour les générations humaines à venir que celle que Dieu a donnée au respect des hommes fidèles. Les mortels l'appelleront le Fils du Grand Dieu.
Tous les sentiers de la plaine, les rochers escarpés, les hautes montagnes, les flots furieux de la mer seront faciles à parcourir dans ces jours. Une paix et une félicité profondes régneront sur la terre. Les prophètes du Grand Dieu supprimeront le glaive;[84] car ils seront les juges et les rois équitables des mortels. Les hommes jouiront de richesses qui ne seront pas acquises par l'injustice.[85] Ce sera la judicature et la magistrature du Grand Dieu.
Réjouis-toi, jeune fille, tressaille d'allégresse; c'est une félicité éternelle que t'a donnée Celui qui a créé le ciel et la terre. Il habitera en toi; à toi appartiendra l'immortelle lumière. Les loups mêlés aux agneaux mangent l'herbe sur les montagnes ; les léopards et les chevreaux paîtront ensemble ; les ours vagabonds seront parqués avec les génisses. Le lion carnassier mange la paille de la crèche comme le bœuf; et de tendres enfants les conduisent enchaînés. Il[86] fera ramper inoffensive la bête féroce sur le sol. Les dragons dormiront avec les enfants sans leur nuire : car la main de Dieu sera sur eux.[87]
* * *
Je te dirai un signe évident qui te fera connaître quand la fin de toutes choses doit survenir sur la terre. Lorsque dans le ciel étoile des nuits on verra des glaives, après le soir ou avant l'aurore; lorsque des pluies de poussière fondront du ciel sur toute la terre ; lorsque, la clarté du soleil s'éteignant au midi dans le firmament, les rayons de la lune apparaîtront, et que cet astre, revenu en arrière, éclairera la terre; lorsque se produira le signe des rochers dégoutants de sang ; quand vous verrez dans les nuages un combat de fantassins et de cavaliers, et dans l'air des vapeurs pareilles à la représentation d'une chasse de bêtes féroces ; c'est qu'alors le Dieu qui habite le ciel va mettre fin à la guerre. Mais il faut que tous les hommes sacrifient au Grand Roi.[88]
* * *
Voila ce que je te prédis après avoir, dans mon délire prophétique, quitté les longs murs de Babylone en Assyrie et annoncé à tous les mortels le feu envoyé sur la Grèce et les châtiments de Dieu. Ainsi j'ai prophétisé aux mortels les oracles divins. Les mortels diront faussement que je suis originaire d'une autre patrie, en Grèce, d'Erythrée ; ils diront que, moi Sibylle, j'ai eu pour mère Circé et pour père Gnostos, que je suis délirante et mensongère. Mais quand tout sera accompli, alors vous vous souviendrez de moi, et nul ne m'appellera plus délirante, mais la grande prophétesse de Dieu.[89]
Écoute, peuple de l'orgueilleuse Asie et de l'Europe, ce que ma bouche sonore, grande et véridique va prédire. Ce n'est pas du menteur Phébus que je profère les oracles, Phébus, que des hommes insensés ont appelé dieu, et auquel ils ont faussement attribué la connaissance de l'avenir.[91] Ce sont ici les oracles du Grand Dieu, de Celui que les mains des hommes n'ont pas fabriqué, et qui ne ressemble pas aux muettes images taillées dans la pierre. Il n'a pas pour demeure la pierre façonnée en temple, pierre sourde, sans voix, source de mille maux pour les mortels.[92] Il est Celui qu'on ne peut voir de la terre, que l'œil des mortels ne peut mesurer, que leur main ne peut revêtir d'une forme; Celui qui d'un seul regard voit tout et-que nul ne voit lui-même; Celui auquel appartiennent la nuit obscure, le jour, le soleil, les astres, la lune, la mer poissonneuse, la terre, les fleuves, les sources intarissables, les êtres créés pour la vie, et les pluies qui produisent la moisson dans les guérets et les fruits sur les arbres, le raisin et l'olive.
C'est lui qui aiguillonne au dedans mes esprits et m'ordonne d'annoncer exactement aux hommes ce qui est arrivé jusqu'à présent, ce qui arrivera plus lard, depuis le premier âge jusqu'au dixième. C'est lui-même qui annoncera tout ce qu'il doit ensuite accomplir. Et toi, peuple, écoute la Sibylle, laissant échapper la vérité de sa bouche sacrée.
Heureux seront sur la terre ceux des hommes qui aimeront le Grand Dieu, qui prieront avant de manger et de boire, et pratiqueront la piété, qui protesteront à la vue de tous les temples, à la vue des autels, vains amas de sourdes pierres, à la vue des images de bois et des figures fabriquées par la main des hommes, objets souillés du sang des êtres vivants et des quadrupèdes immolés;[93] qui ne regarderont qu'à la grande gloire du Dieu Unique ; qui ne commettront point de meurtres odieux ; qui ne s'attribueront point un gain illicite, tous actes qui sont exécrables. Ils ne porteront pas non plus de honteuses convoitises sur le lit d'autrui ; ils n'auront point avec les mâles de commerce odieux et impur.
Mais les autres hommes, aimant l'impudicité, loin d'imiter leur genre de vie et leur piété, les poursuivront de leurs sarcasmes, de leurs railleries, de leurs murmures. Dans leur stupide folie, ils les accuseront faussement des œuvres de mal qu'ils accomplissent eux-mêmes.[94] Car c'est une race défiante que celle des mortels.
Mais, quand sera venue l'heure du jugement du monde et des mortels,[95] jugement que Dieu lui-même accomplira, et qui, atteignant les impies et les hommes pieux, précipitera les impies dans les ténèbres et leur fera connaître toute l’étendue de leur impiété, alors les hommes pieux habiteront une campagne fertile, et l'Esprit de Dieu leur donnera et la vie et le bonheur.
Toutes ces choses s'accompliront au dixième âge.
Maintenant je vais dire ce qui arrivera à partir du premier âge.
D'abord, les Assyriens commanderont à tous les mortels. Leur puissance sera maîtresse du monde pendant sis âges, à partir des temps où, le courroux du Dieu Céleste brisant les réservoirs des eaux, la mer[96] recouvrit la terre et détruisit les cités et les hommes.
Les Mèdes, ayant supprimé les Assyriens, se glorifieront sur leur trône. Deux âges seulement sont accordés à leur empire. Durant leur règne, il arrivera que les ténèbres de la nuit surviendront en plein jour, à midi. Les astres, et en particulier l'orbe de la lune, disparaîtront du ciel, et la terre, ébranlée par la secousse d'un grand tremblement, renversera beaucoup de villes et les ouvrages des hommes. Alors des profondeurs de la mer surgiront des îles.[97]
Lorsque le grand Euphrate se remplira de sang, alors il y aura, entre les Mèdes et les Perses, une bataille terrible.[98] Les Mèdes, succombant sous la lance des Perses, s'enfuiront au delà des grandes eaux du Tigre. La puissance des Perses sera la plus grande du monde entier. Un seul âge leur sera accordé pour leur domination féconde en félicités.
On verra survenir les malheurs que les hommes prient le ciel de leur épargner, les batailles, les massacres, les dissensions, les déroutes, les forteresses qui s'écroulent, les villes ruinées, lorsque la Grèce orgueilleuse naviguera sur le large Hellespont et portera le ravage chez les Phrygiens et en Asie.[99]
Une famine affreuse fondra sur l'Egypte aux nombreux guérets ; pendant une période de vingt années, elle restera sans moissons, lorsque le Nil, qui nourrit les épis, cachera sous terre, en quelque autre lieu, ses ondes noires.[100]
D'Asie un grand roi portera les armes contre la Grèce sur d'innombrables vaisseaux ; il foulera de ses pieds les routes humides de la mer profonde, et, coupant une montagne à la cime élevée, naviguera dans ses flancs ; l'illustre Asie le recevra dans sa fuite loin du théâtre de la guerre.[101]
Un immense torrent de feu, sorti de l'Etna mugissant, brûlera toute l'infortunée Sicile.[102] La grande ville de Crotone s'abîmera dans des eaux profondes.[103]
Une querelle surgira dans la Grèce. Les habitants, remplis de fureur les uns contre les autres, ruineront beaucoup de villes, et, en combattant, feront périr un grand nombre d'hommes. L'issue de la querelle restera douteuse.[104]
Quand viendra le temps du dixième âge de l'humanité, le joug de l'esclavage et la crainte seront sur les Perses. Alors les Macédoniens s'enorgueilliront du sceptre, et Thèbes sera prise d'une manière funeste. Les Cariens habiteront Tyr, et les Tyriens seront exterminés. Le sable des rivages couvrira Samos toute entière. Délos ne sera plus Délos;[105] elle disparaîtra sans laisser de trace. Babylone, grande à voir, petite à combattre, se perdra dans la funeste confiance que lui inspireront ses remparts. Les Macédoniens s'établiront à Bactres, et tous ceux de Bactres et de Suse s'enfuiront en Grèce.
Il arrivera, un jour, que le Pyrame aux flots argentés, prolongeant ses rives, parviendra jusqu'à l'île sacrée.[106] Sybaris et Cyzique[107] s'écrouleront, lorsque les cités seront ébranlées par les tremblements de la terre agitée. Sur Rhodes fondra un désastre suprême, immense.[108]
La puissance ne restera pas toujours à la Macédoine. De l'Occident s'élèvera la grande guerre italique ; sous elle, le monde, portant le joug de l'esclavage, servira les Italides. Carthage, la tour d'un assiégeant pliera ton genou vers le sol. Malheureuse Laodicée, un tremblement de terre l'affligera et fera de toi une ville nouvelle et magnifique.[109] Et toi, Corinthe infortunée, tu contempleras un jour ta chute. O belle Myra de Lycie, un sol bondissant s'attachera à toi ; entraînée par ses secousses, tu tomberas à terre, et tu souhaiteras de l'enfuir sur un autre sol, pareille à l'émigrant. Cela arrivera lorsqu'une onde noire, au milieu des tonnerres et des tremblements de terre, anéantira la race impie de Patares.[110]
Arménie, une dure servitude t'est réservée. La funeste tempête de la guerre fondra aussi de l'Italie sur Solymes, et dévastera le grand temple de Dieu.[111] Lorsque, puisant leur confiance dans leur folie et outrageant la piété, ils auront accompli des meurtres abominables autour du temple, alors un grand roi, venu d'Italie, pareil à un esclave, s'enfuira ignoré, inconnu, au delà du cours de l'Euphrate, chargé de l'horreur du meurtre de sa mère, et de mille autres forfaits consommés de ses mains criminelles.[112] Beaucoup, luttant pour le pouvoir, ensanglanteront le sol de Rome, après que ce prince se sera enfui dans la contrée des Parthes.
Un chef romain viendra en Syrie, qui, ayant livré le temple aux flammes, passera beaucoup d'habitants de Solymes au fil de l'épée, et ruinera la grande et magnifique contrée des Juifs.[113]
Et alors un tremblement de terre ruinera en même temps Salamine et Paphos, lorsqu’une onde noire bouillonnera au-dessus de l'île de Chypre submergée.
Et quand des entrailles déchirées de la terre d'Italie une flamme s'élancera jusqu'au vaste ciel,[114] consumant beaucoup de villes, faisant périr les hommes et remplissant d'une cendre obscure l'immensité des airs ; quand des gouttes semblables à du vermillon tomberont du ciel, on reconnaîtra le courroux du Dieu Céleste, courroux causé par la perte de la nation innocente des hommes pieux.
Alors[115] sur l'Occident éclatera une lutte guerrière, et le fugitif de Rome, à la tête d'une grande armée, passera l'Euphrate, suivi de foules innombrables.
Infortunée Antioche, on ne te donnera plus le nom de ville ; la folie te fait succomber sous les coups des guerriers d'Italie.[116] La famine et une bataille funeste ruineront aussi la Syrie.
Malheur, malheur à toi, Chypre infortunée ! Les flots de la vaste mer te recouvriront, après qu'une tempête horrible t'aura arrachée de tes fondements.
Une grande richesse viendra sur l'Asie ; c'est celle que Rome avait prise et placée dans ses opulents édifices. Rome la rendra à l'Asie au double ; ce sera l'usure de la guerre.[117]
Les villes des Cariens, qui dressent leurs superbes citadelles au bord des eaux du Méandre, périront par la famine, quand le Méandre cachera sous terre son eau profonde.
Quand la piété, la foi, la justice, seront bannies de parmi les hommes, qu'ils vivront dans une impiété sans frein, et qu'ils se livreront à des actes odieux et à tous les crimes ; quand personne n'aura plus souci des hommes pieux, lorsqu'au contraire, poussant l'aveuglement à l'extrême, ils les extermineront tous, prenant plaisir à les outrager et plongeant leurs mains dans le sang, alors on connaîtra que Dieu n'est plus patient, qu'il frémit décolère, et qu'il va anéantir toute la race des hommes dans un vaste embrasement.
Ah ! malheureux mortels, changez de conduite ; ne poussez pas à une colère sans bornes le Grand Dieu; laissez là les épées, les querelles, les massacres, les violences; purifiez-vous tout le corps dans les eaux intarissables des fleuves,[118] puis, élevant vos mains vers l'éther, implorez le pardon de vos actes antérieurs, et guérissez par vos prières votre impiété funeste. Dieu aura repentir et ne vous perdra point ; sa colère s'apaisera, si vous cultivez[119] dans vos cœurs l'inestimable piété.
Mais, si vous ne m'obéissez pas, si, persistant dans vos mauvaises pensées, et, chérissant votre folie, vous faites la sourde oreille à tous ces avertissements, le feu descendra sur la terre. Voici quels signes l'annonceront. Au lever du soleil, on verra des glaives, on entendra des trompettes ; le monde entier entendra des grondements et des bruits formidables. Le feu consumera toute la terre ; il détruira toute la race des hommes, toutes les villes, les fleuves et la mer; il brûlera tout et réduira le monde en une poussière noirâtre.
Lorsque toutes choses seront devenues cendre et poussière, et que Dieu aura éteint le vaste incendie qu'il avait allumé, Dieu, avec des os et de la cendre, formera de nouveau les hommes, et il rétablira les mortels comme ils étaient auparavant. Et alors sera le jugement, par lequel Dieu, jugeant le monde, rendra la justice. Ceux qui se sont égarés dans l'impiété, la terre se répandra de nouveau sur eux et les recouvrira ; ils seront précipités dans la profondeur de l'obscur Tartare et de la Géhenne, qu'entoure le Styx. Ceux qui auront pratiqué la piété revivront dans le monde impérissable et bienheureux du Grand Dieu Immortel, qui, en récompense de leur piété, leur donnera le souffle, la vie et la joie. Et tous alors se verront les regards attachés sur la douce et réjouissante lumière du soleil. Oh ! bienheureux l'homme qui vivra jusqu'à ce temps-là.[120]
[1] Les passages que nous séparons par des astérisques appartiennent, suivant nous, à des oracles distincts. Ceux que nous séparons par un trait peuvent être considérés, soit comme des débris du même oracle, soit parfois comme de petits oracles complets. Il a dû exister dans les recueils de vers sibyllins beaucoup de sentences ou de prédictions très courtes, renfermées dans deux, trois, cinq, dix vers, consacrées à annoncer des désastres, à désigner par des attributs telle ou telle divinité, et à la recommander à la vénération des hommes.
[2] Le premier livre Sur la Monarchie, de Philon, nous offre un passage, qui est une sorte de commentaire philosophique de ces vers. Le philosophe dit : « Il n'y a qu'un Dieu, père et créateur de toutes choses. Il commande à toutes ses créatures ; son autorité est sans partage ; elle est constante, indéfectible... Il a été dit que ceux-là vivent qui s'attachent au vrai Dieu. Et n'est-ce pas, en effet, la vie la plus heureuse que celle qui consiste à honorer le premier auteur de toute chose, de préférence aux serviteurs qui font cortège à ce Grand Roi ? En ce qui concerne Dieu, les deux plus graves questions à résoudre, pour tout esprit qui veut remonter aux principes, sont : la première, si Dieu est Un (ce qui est nié par certains impies); la seconde, quel est Dieu. L'une se résout assez aisément; l'autre, au contraire, offre des difficultés à peu près insurmontables.
« L'ouvrier se connaît d'ordinaire à l'œuvre. A la vue d'un tableau ou d'une statue, il n'est personne qui aussitôt ne comprenne l'existence du peintre ou du sculpteur. Quand on examine des vêtements, des vaisseaux, des maisons, on songe de suite au tailleur, au charpentier, au maçon. Si vous entrez dans une ville bien gouvernée, jouissant de bonnes lois, vous vous persuadez qu'elle est administrée par de bons magistrats. De même, et à bien plus forte raison, la pensée d'un père, d'un créateur, d'un chef, vient à l'esprit de celui qui, arrivant dans la vraie grande cité qu'on nomme le monde, voit à la surface de la terre les monts et les plaines, les plantes et les animaux, les cours d'eau torrentiels ou continus, les guérets, les plages, remarque la bonne température de l'air, les changements annuels et périodiques qui produisent les saisons, puis admire le soleil et la lune présidant au jour et à la nuit, et les autres astres fixes ou errants, et les mouvements rythmés et circulaires du ciel entier. Or aucun ouvrage agencé ne se produit spontanément, et le monde est merveilleusement agencé; il révèle l'art d'un excellent et parfait ouvrier. C'est ainsi que nous arrivons à saisir la pensée de l'existence d'un Dieu.
« Il est beaucoup plus difficile de dire quel est Dieu. Moïse ayant prié le Seigneur de se montrer à lui, Dieu approuve le désir, mais déclare qu'aucune créature ne peut le satisfaire. Moïse insiste et demande à voir la gloire de Dieu, c'est-à-dire les Puissances qui lui font cortège. Elles sont, d'ailleurs, accessibles à l'intellect seul; leur essence est incompréhensible. On peut toutefois apercevoir comme l'empreinte et l'image de leurs énergies dans les objets qui composent le monde, objets auxquels elles ont donné la forme. Ainsi l'intelligence humaine ne peut atteindre aux hauteurs incommensurables où habite Dieu; elle parvient seulement à entrevoir la gloire de Dieu c’est-à-dire les Puissances divines à travers le spectacle du monde. »
[3] Nous trouvons ici une allusion claire à l’opinion exprimée dans le livre d’Hénoch, que les dieux des nations, appelés aussi dans la poésie eschatologique les Rois des Nations, sont ces anges déchus qui ont perverti le genre humain dans les premiers âges, lui ont appris à se révolter contre Dieu, et se sont fait adorer comme des dieux par les hommes égarés. Or ces anges ont été précipités dans l’Hadès ou Scheol par la milice céleste avant le déluge.
[4] Ce beau vers, qui s'inspire à la fois des descriptions des prophètes et de la grande définition de Moïse (Je suis Celui qui suis), mérite d'être retenu :
Οὐρανοῦ ἡγεῖται, γαίης κρατεῖ αὐτὸς ὑπάρχει.
[5] Il y a ici une lacune évidente. Le sibylliste démontrait dans ce passage, par des arguments philosophiques, l'impossibilité d'admettre l'existence de plusieurs dieux, et la multiplication de leur race conformément aux traditions de la mythologie grecque.
[6] On sent dans cette phrase le redoublement de la pensée, imposé aux Juifs par le parallélisme de la forme poétique en hébreu.
[7] Comparez ce passage, qui s'adresse évidemment au culte des Égyptiens, avec le passage de la Vie contemplative, ou Philon, presque dans les mêmes termes, flétrit la religion pharaonique et parle aussi des dieux qu'il est honteux de nommer.
[8] On peut conclure de ces derniers mots que nous avons là un commencement d'oracle, dont le milieu et la fin ou bien manquent, ou bien sont noyés dans la collection. A en juger par ce fragment, l'oracle paraît avoir été écrit au moment où l'Egypte allait être réduite en province romaine. La lutte d'Octave et d'Antoine n'était pas encore terminée; elle épouvantait le monde, et présageait aux hommes les plus terribles catastrophes. On peut sans témérité supposer qu'après ce début le sibylliste avait placé une énumération plus ou moins longue de villes ruinées par la guerre, la famine, la sécheresse, les inondations ou les tremblements de terre, analogue à celle du paragraphe 3 de ce livre ou à celle du livre IV. Cette énumération était sans doute empruntée en partie, comme on verra plus loin, à d'antiques vers érythréens. L'oracle se terminait peut-être par le tableau de la conflagration de la terre, du jugement du genre humain, et de la glorification d'Israël dans le règne de Dieu. On peut adopter aussi une autre hypothèse, voir dans ce morceau un oracle complet, et dans les mots : « Je vais dire en détail, etc., » une suture destinée à joindre ce passage aux vers suivants.
[9] Il s'agit de Samarie, qui prit, sous les premiers Césars, le nom de Sevastè (Augusta). Il ressort de là une indication chronologique, qui montre que ce morceau n'a pu être écrit guère avant l'an 40 ou 50 de notre ère. Il en ressort aussi une indication relative à l'origine et à la croyance du sibylliste : il n'y a qu'un juif à qui il ait pu plaire, conformément à la tradition rabbinique, de faire naître Bélial dans les murs de Samarie schismatique; un chrétien, même judaïsant, n'aurait pas témoigné, ce semble, tant de haine à cette ville
[10] On pourrait à la rigueur voir ici une allusion fugitive à la résurrection. En tout cas, il faut remarquer que nous avons affaire à un oracle placé presque sur l'extrême limite du cycle judéo-alexandrin, comme le livre IV.
[11] C'est-à-dire les rois ligués avec lui contre le Messie. Il est possible que le fragment se termine ici, et que le passage suivant appartienne à un autre oracle.
[12] Quelle est cette femme, cette veuve, à laquelle le prophète promet l'empire du monde? Ewald (Dissert., p. 75 et suiv.) soutient que c'est Julia Domna, veuve de l'empereur Septime-Sévère, mère de Géta et de Caracalla. On pourrait y reconnaître aussi Cléopâtre, alors que sa fortune était liée à celle d'Antoine, qui disputait à Octave l'empire du monde. M. Alexandre cherche l'explication de cette énigme dans l'Apocalypse, sans se rendre un compte suffisant de ce fait, que l'Apocalypse reproduit plus d'une croyance ayant cours parmi les Juifs au premier siècle et même avant. L'Apocalypse désigne Rome par la femme, et nous sommes disposés à reconnaître aussi Rome dans cette femme (veuve de rois), dont parle notre sibylliste. Mais, à notre avis, cela ne prouve pas que le poète alexandrin ait copié l'auteur de l'Apocalypse ; ils ont pu l'un et l'autre s'ignorer et vivre à plus d'un siècle d'intervalle, et puiser cette même désignation dans des écrits hébraïques contemporains du livre d'Hénoch ou de très peu postérieurs à cette composition.
[13] Expression tirée des Livres Saints.
[14] Ces formes sont les constellations auxquelles les anciens avaient prêté des origines mythologiques. Par pôle, le sibylliste ne désigne pas les points par lesquels passe l'axe du monde, mais simplement la voûte du ciel, et plus spécialement parfois la partie supposée la plus haute de cette voûte, c'est-à-dire le zénith.
[15] Les manuscrits signalent ici une lacune. M. Alexandre voit dans la chute d'un vers : Όταν τάδε πάντα γένηται, une expression prise de l'Évangile de saint Matthieu (ch. v, vers. 18, et ch. xxiv, vers. 6), qui dit : Μέχρι πάντα γένηται. C'est attribuer beaucoup d'importance à une coïncidence si légère, et d'ailleurs si naturelle, que de voir là un signe du christianisme de l'auteur.
[16] Le grec dit : Πάνθ’ ὑπακοΰσονται κόσμον πάλιν εἰσανιόντι.
« Tout obéira à celui qui viendra de nouveau dans le monde. »
Nous n'avons pas à nous étonner que les rédacteurs des manuscrits, préoccupés de justifier les prédictions sibyllines, interprètent ce passage par une claire allusion au retour de Jésus-Christ. Mais M. Alexandre devait-il se laisser aller à cette opinion, sans constater du moins qu'il y a une autre manière, tout aussi plausible, de comprendre ce vers? Nous allons voir, en effet, dans les vers suivants, que Dieu, après avoir purifié par le feu le monde entier, procédera à une création nouvelle. N'est-ce pas à cet univers que le sibylliste fait allusion quand il nous montre le Tout-Puissant entrant une seconde fois dans un monde docile et soumis à sa loi, bien différent de ce monde pervers et révolté qu'il a détruit dans sa colère ?
[17] On ne trouvera ici que les notes strictement nécessaires à l’éclaircissement du texte. Pour tout ce qui concerne les difficultés de lecture ou les comparaisons avec les auteurs sacrés ou profanes, il faudra avoir recours à l’édition de M. Alexandre, et surtout aux savantes dissertations de ses Excursus.
[18] Il est évident que le début de l’oracle nous manque; cette première phrase est tronquée. On rencontrera plus loin une allusion au récit absent du déluge.
[19] L'oracle contenait certainement l'histoire du genre humain distribué en dix âges, comme le livre IV. Nous arrivons brusquement au dernier âge sans qu'on nous ait même prévenus de la division établie.
[20] Cette légende est tirée de la théogonie d'Hésiode.
[21] Il est certain que le sibylliste ne s'est pas borné à reproduire la mythologie d'Hésiode, mais qu'il a fait des emprunts à d'autres traditions. Celle-ci, qui place l'éducation de Jupiter en Phrygie, paraît d'origine asiatique plutôt que de provenance hellénique; on suppose qu'elle vient du mont Ida. Ne serait-ce pas là un indice de l'origine véritablement sibylline et érythréenne de ce passage ? Suivant la légende purement grecque, c'est en Crète que Zeus fut élevé.
[22] Les Grecs expliquaient par la chaleur du feu céleste, ou mieux encore par le mot vie, ζωή, le nom de Jupiter, Ζεύς ou Ζήν. Les philologues modernes ont rapproché l'accusatif Διά de la racine sanscrite dew, signifiant lumière. En tout cas, l'étymologie du sibylliste (δια-πέμπω) est la moins acceptable de toutes.
[23] Les anciens éditeurs ont écrit Eurotas; nous maintenons la leçon des manuscrits. Il s'agit ici de Dodone de Thessalie.
[24] Ici se trouve une lacune que le compilateur a remplie par une énumération des empires.
[25] Le sibylliste confond à tort Babylone et l'Assyrie.
[26] Nous croyons que l'énumération des empires a été placée là par le compilateur, sans motif autre que la nécessité de relier ce morceau au suivant. L'oracle devrait se terminer par la louange, plus ou moins voilée, des Juifs, et l'invitation de se convertir à leur Dieu, sous peine d'encourir les plus terribles châtiments.
[27] Nous avons ici vraisemblablement le début d'un oracle. Il nous semble difficile d'y voir la continuation de ce qui précède. Le sibylliste non seulement se répéterait, mais encore se contredirait, nous sommes en présence d'une nouvelle perspective historique, qui n'a rien de commun avec la précédente.
[28] Cette histoire, nous le répétons, ne concorde point avec la précédente. La race Israélite y joue un rôle prépondérant qui n'est conforme ni à la réalité des faits historiques, ni à l'exposition de l'oracle que nous venons de lire. Les Juifs sont même assez ouvertement désignés par les mots : Maison de Salomon. C'est là, nous en aurons plus d'une preuve dans la suite, un signe à peu près certain que ce morceau est d'une date relativement récente. D'ailleurs, on ne retrouve point ici la pensée de cet ancien sibylliste, occupé à recueillir les traditions helléniques, et même empressé à couvrir d'épithètes flatteuses, empruntées, soit aux antiques vers érythréens, soit aux poésies homériques, les personnages divins de l'Olympe. Ce n'est plus la même langue ; on y sent de plus près le souffle de l'inspiration biblique. La phrase est courte et hachée; l'expression redondante est calquée exactement sur le parallélisme de la poésie hébraïque ; l'image est hardie, violente, et respire souvent le plus pur syriacisme.
[29] Il faut faire attention à cette peinture des Romains; elle est caractéristique. On trouve dans les oracles sibyllins deux manières différentes d'apprécier les Romains et d'en parler, et chacune d'elles porte en soi une indication chronologique. Tant que le temple n'a pas été détruit, le Juif se borne à flétrir l'avarice immonde, la soif exécrable de l'or qui pousse les hommes du Latium à la conquête du monde. La haine qu'il ressent contre Rome a un double aspect ; elle est politique et religieuse; c'est le sentiment du vaincu maudissant le maître, ou la vertueuse indignation de l'austère disciple de Moïse jetant l'anathème au païen aux mœurs dissolues. Deux mots, avare et impie, résument l'idée que le fils d'Abraham se fait alors de la race romaine. Après la destruction du temple et le sac de la ville sainte, quelque chose de nouveau s'ajoute à ces sentiments et les domine, c'est le souvenir de l'immense attentat commis contre Dieu. Cet attentat n'inspire plus seulement au Juif de la colère et de la haine, mais encore et surtout de l'horreur. Chez les sibyllistes de la fin du premier siècle et des deux siècles suivants, tout s'efface ou s'atténue en présence du crime monstrueux consommé en l'année 70. L'avarice, l'idolâtrie, la rapine, l'oppression, la corruption, ne sont plus que les causes secondaires de la future destruction du monde; la cause principale des châtiments célestes, c'est l'audace criminelle qui a porté les hommes à lever leurs mains contre la maison de Dieu.
Cet oracle est donc antérieur à la destruction du temple. Une indication précise, qu'on lira plus loin, place la date de sa composition sous le règne de Ptolémée Philométor. Nous inclinons à penser que l'oracle précédent est plus ancien encore, à cause des concessions plus grandes qui sont faites à l'hellénisme et du ton extrêmement discret que le sibylliste prend pour parler des dieux grecs.
La doctrine qui nous montre dans l'avarice la source de l'iniquité et de tous les maux qui ont désolé la terre, se trouve très expressément dans les écrits de Philon.
[30] Βίου καθοδηγοί, Chefs conducteurs de la vie. Les Actes des Apôtres (iii, 15) donnent au Messie un titre analogue, Ἀρχηγὸς τῆς ζωῆς, ce qui n'a rien de surprenant, puisque Israël est pris ici dans son rôle messianique. L'oracle nous paraîtrait assez complet, s'il invitait les gentils à la conversion, et s'il parlait des châtiments suprêmes.
[31] Nous voyons dans le passage : « Mais pourquoi Dieu, etc., » une suture du compilateur. Ensuite revient le vers, que nous avons déjà trouvé vers la fin du récit relatif aux luttes des Titans contre Jupiter. Puis nous lisons un vers isolé, qui devait sans doute terminer le récit de la lutte entre Saturne et ses fils, punis à leur tour, comme les Titans. Le sibylliste entre alors dans l'histoire proprement dite avec la guerre de Troie. Mais par malheur nous nous retrouvons en face d'une énumération de peuples châtiés, énumération extrêmement vague, indice du désordre de la compilation et de l'embarras du compilateur.
[32] Ces vers sont formés de lambeaux sans suite.
[33] Nous avons là le début d'un oracle très important, qui cherche à relever les Juifs aux yeux des Grecs, en célébrant leurs mœurs, leurs lois, leurs pratiques religieuses, et la protection dont le Grand Dieu les a toujours couverts.
[34] Ce passage est altéré. Le vers 218 n'a conservé que les mots suivants qui soient certains :
Ἔστι πόλις... κατὰ χθονός...
Les manuscrits donnent à ce vers pour terminaison, soit : Οὒρ Χαλδαίων, soit : Εὐρυάγυια. La lacune du milieu ne peut être comblée que par des conjectures. M. Alexandre propose de lire : Καμάρινη, nom de la ville où serait né Abraham, d'après une tradition rapportée par Eupolemus, dans Eusèbe. En sorte que nous aurions le vers ainsi restitué :
Ἔστι πόλις Καμάρινα κατὰ χρονός Οὒρ Χαλδαίων
« Il est une ville, Camarina, dans la contrée d'Ur des Chaldéens. » Mais nous ne saurions trop répéter que cette restitution est entièrement conjecturale, et appuyée sur des hypothèses tenant très indirectement au sens des passages. Le vers suivant est ainsi conçu :
Ἐξ ἧς μοι γένος ἔστὶ δικαιοτάτων ἀνθτρώπων.
Ce qui signifie, a le traduire littéralement : « De ce pays il me surgit une race d'hommes très justes, » et non, comme le prétend N. l'abbé Thomas Blanc (Chant de la sibylle hébraïque. Paris, in-8°, 1869), «...d'où je suis sorti et d'où est sortie la race d'hommes très justes. » A la rigueur, on peut arriver à ce sens, mais à la condition de construire une phrase très bizarre et peu en rapport avec le génie si analytique et si clair de la langue grecque, c'est-à-dire en mettant une virgule après ἔστὶ :
Ἐξ ἧς μοι γένος ἔστὶ, δικαιοτάτων ἀνθτρώπων.
Quoi qu'il en soit, on voit par quelles restitutions hasardées et par quelles subtilités, frisant la violence, on parvient à trouver dans ce passage la mention de l'origine juive du sibylliste, et la désignation ouverte de la race d'Abraham. A notre avis, ce qui rend toute cette leçon suspecte, c'est précisément le résultat auquel elle conduit. Il nous paraît beaucoup plus admissible de supposer que les sibyllistes gardaient constamment la préoccupation de ne point déposer leur masque en présence des Grecs; ils étaient sans doute contraints parfois de désigner, pour les glorifier, les fils d'Israël; mais c'était avec des circonlocutions ambiguës. Ils faisaient de même pour le Grand Dieu, le Grand Roi. Qu'on réfléchisse enfin que leurs recommandations, leurs menaces, leur système historique, perdaient toute valeur, du moment où l'origine hébraïque de l'auteur se trahissait, et on comprendra la nécessité où ils étaient de garder là-dessus la réserve la plus absolue, et combien est grossièrement visible l'interpolation que l'on trouvera plus loin, dans laquelle le sibylliste est censé se déclarer la bru du patriarche Noé. Cette addition ne peut être que l'œuvre d'un faussaire qui n'avait pas la moindre idée des conditions dans lesquelles se mouvait la littérature prophétique des Juifs alexandrins.
[35] M. Alexandre fait remarquer que cela a dû être écrit à une époque ou les esprits des Juifs étaient tout à fait éloignés des études astronomiques et astrologiques qui les rendirent célèbres au temps d'Auguste et de Tibère; ce qui est, ajoute-t-il, une grande preuve de l'antiquité de ce chant.
La preuve n'est pas aussi décisive que M. Alexandre semble le penser. Nous trouvons dans Philon, contemporain d'Auguste et de Tibère, des traces non équivoques du mépris que l'école philosophique des Juifs alexandrins professait pour la magie des Chaldéens. Notre auteur (Vit. Mos., I) affirme qu'au moment précis où l'esprit divin visita le mage Balaam, et lui arracha les paroles qui bénirent Israël, au lieu des malédictions qu'on lui demandait, la science fausse du mage fut chassée temporairement. Dans l'exégèse de notre philosophe, la Chaldée représente les recherches astronomiques et ce genre d'idolâtrie « qui honore la créature de préférence au Créateur, le monde de préférence à Dieu, et qui, au lieu d'y reconnaître l'œuvre du Tout-Puissant, le confond avec Dieu lui-même. » (De congressu quarendœ eruditionis gratta.) Ailleurs, Philon reproche aux Chaldéens d'avoir confondu Dieu avec le monde ou avec l'âme de l'univers, et de l'avoir consacré sous le nom du Destin ou de la Fatalité. « De la sorte, dit-il, ils ont rempli la vie humaine d'impiété, en répandant l'opinion qu'il n'y a pas d'autre cause des choses que ce que nous voyons ; et que c'est le cours du soleil, de la lune et des autres astres qui dispense les biens et les maux dans le monde. » (De migrat. Abraham.)
On voit par là que, même à l'époque dont parle M. Alexandre, la science astronomique des Chaldéens était considérée chez les Juifs alexandrins les plus instruits comme la source d'une sorte d'idolâtrie très répandue, le sabéisme. Néanmoins, les philosophes alexandrins reconnaissaient que la science astronomique en elle-même n'est point blâmable, pourvu qu'on ne la détourne point de son but, qui est de découvrir la beauté des spectacles de la nature, les liens harmonieux qui rattachent la terre au ciel, et font de l'univers un ensemble merveilleusement organisé (Philon, De legib. spec.); ils protestaient seulement contre l'abus qu'on en peut faire, en méconnaissant le créateur de ces merveilles et l'ordonnateur de cette harmonie; ils s'élevaient surtout avec force contre cette autre magie, « inventée par les charlatans de carrefour pour tromper les esclaves ou occuper l'oisiveté des femmes, procédant par des philtres et des incantations, prétendant changer la haine en amour et l'amour en haine, et semant dans les âmes les illusions les plus funestes. »
Il est vrai que le sibylliste va plus loin, et frappe d'une réprobation générale tout ce qui tient à la science des astres ; mais si on veut bien songer que le sibylliste doit naturellement témoigner plus d'intolérance que le philosophe sur les points qui intéressent les croyances religieuses d'Israël, on se rendra compte de la différence qui existe entre la doctrine des oracles et celle des philosophes, sans trouver ici la marque de la haute antiquité du chant sibyllin. Nous croyons enfin que si les pratiques d'astrologie et de magie, condamnées également par la tradition et par la loi, s'introduisirent chez les Hébreux, elles n'y firent point de très grands progrès, même aux temps d'Auguste et de Tibère.
[36] Cet admirable précepte de l'aumône, source des plus beaux sentiments de charité fraternelle pratiqués, et, en quelque sorte, vulgarisés par le christianisme, est le point culminant de la législation du Sinaï) et ce qui nous la montre supérieure à toutes les législations humaines.
[37] Cette répétition de deux vers que noue avons lus plus haut et l'incohérence marquée des pensées semblent nous avertir que nous sommes ici en présence d'un passage mutilé, ou que nous avons affaire à des vers interpolés par le compilateur.
[38] Énergique expression pour signifier la dispersion du peuple israélite dans tous les pays du monde.
[39] Ἀθάνατον γενετῆρα θέων πάντων τ' ἀνθρώπων.
Telle est la leçon que nous adoptons avec M. Alexandre, d'après les manuscrits, en admettant que le sibylliste, entraîné par les nécessités de l'imitation, a pu donner au Grand Dieu cette qualification, réservée à Jupiter dans les vers érythréens. Mais nous adoptons cette leçon par respect pour les manuscrits, et malgré le désir que nous éprouvons de corriger ainsi ce vers :
Ἀθάνατον γενετῆρα θεὸν πάντων ἀνθρώπων
« Le Dieu, père immortel de tous les hommes. »
[40] Les soixante-dix ans de la captivité
[41] Ce roi, envoyé du ciel, devant juger chaque homme dans le sang et le feu, ou, suivant l'expression évangélique, apportant le baptême (purification) du sang et du feu, ne saurait être Cyrus, comme le veut M. Alexandre, c'est le Messie, parfaitement caractérisé par sa puissance de juge suprême et par l'allusion claire à la catastrophe qui détruira la terre par le feu, catastrophe précédée de luttes sanglantes, où les rois des nations, ligués contre le Messie, seront vaincus, et leurs armées exterminées. Ceux qui veulent qu'il s'agisse ici de Cyrus auront assurément quelque peine à nous persuader que l'heureuse fin (ἀγαθοῖο τέλος) et la gloire immense (δόξα μεγίστη) dont il est question sont des allusions à la modeste restauration de Zorobabel ; que ce jugement étendu à toute l'humanité (Κρινεῖ δ' ἄνδρα ἕκαστον) désigne les victoires de Cyrus, qui ne dépassèrent point l'Asie.
Après cette promesse du libérateur, le sibylliste reprend le cours des événements, et nous montre le retour de la captivité et le temple reconstruit par Esdras (de la tribu de Juda et de la race de David), avec le concours de Cyrus, averti en songe par Dieu.
[42] Jérémie avait dit, de même : « Il ne manquera jamais à David un homme assis sur le trône d’Israël {xxxiii, 17). »
[43] La fin de l'oracle manque. Elle était sans doute consacrée à raconter brièvement les événements survenus depuis la fin de la captivité jusqu'aux temps où écrivait le sibylliste, à prédire les prodiges qui devaient annoncer ou accompagner la venue du Messie, ses luttes, son triomphe, le châtiment des idolâtres et le jugement universel. Nous ne trouvons dans ce morceau aucun indice chronologique direct, qui nous permette de former une conjecture vraisemblable et fondée sur la date de sa composition. Nous pensons toutefois qu'il appartient à la période la plus récente du cycle judéo-alexandrin qui nous occupe, par cette raison qu'il recommande et célèbre ouvertement les Juifs et leur religion.
[44] Nous passons par-dessus les deux cents vers du paragraphe 3, que M. Alexandre suppose écrit au temps des Antonins, pendant le règne d'Hadrien, et interpolé dans ce livre par l'auteur du livre cinquième. M. Ewald croit que ce paragraphe 3 est contemporain du paragraphe 2, et il abaisse la date de leur composition d'une cinquantaine d'années, c'est-à-dire jusque vers l'an 124 avant Jésus-Christ. A notre avis, la discussion qui s'est établie entre M. Ewald et M. Alexandre à ce sujet (voyez la préface de l'édition des Oracul. sibyllin. d'Alexandrie de 1869), n'a pas de fondement. Le paragraphe 3 est composé, comme le précédent, de fragments assez courts, divers d'âge et nullement de la même main. Les uns n'offrent aucun indice qui permette d'en fixer la date, et peuvent être réputés très anciens ; les autres nous paraissent être, soit du temps de Marius et de Sylla, soit du temps des Antonins.
[45] Ces répétitions seul en t le parallélisme de la poésie sacrée des Hébreux.
[46] Tous ces oracles similaires contiennent des prédictions vagues et faites au hasard, comme l'a remarqué M. Alexandre. Les désastres de la Crète ne répondent à rien de ce que l'histoire nous apprend. Ce qui est dit de la Thrace et de l'invasion en Grèce des Galates, mêlés aux peuples du Bosphore, ne se rattache à aucun événement qui nous soit connu. Puis, vient la menace ordinaire des prophètes juifs contre Gog et Magog, c'est-à-dire contre les nations scythiques, établies au nord de l'Asie, vers le Caucase et le Pont-Euxin, dont les antiques excursions dans l'Asie Mineure et jusque dans la Syrie, avaient laissé en Palestine de terribles souvenirs. Gog et Magog, dans le livre d'Hénoch, sont représentés comme devant intervenir dans la lutte suprême contre le Messie; ils sont nommés à la tête des peuples ligués qui viennent assiéger Jérusalem, et que Dieu frappe sous les murs de la ville sainte.
Après la mention de Gog et de Magog, nous trouvons une énumération de peuples analogue à celle qui est contenue dans un passage précédent. Rien ne manque à l'analogie, pas même cette réflexion énoncée dans les mêmes termes : « Mais pourquoi énumérer chaque désastre?... » Le compilateur aurait-il placé en ces endroits deux variantes du même oracle ?
[47] Le sibylliste parle maintenant des vaincus.
[48] Allusion à ce passage du Deutéronome : Πῶς διάξεται εἶς χιλίους, καὶ δύο μετακινήσουσι μυριάδας (xxii, 50) ; « Pourquoi un seul en poursuit-il mille, et deux en vainquent-ils dix mille? »
[49] Cet oracle est curieux : il mêle aux pensées et aux expressions des prophètes hébreux l'imitation la plus fidèle du langage des anciens vers érythréens, très rapproché, comme on sait, de la poésie homérique. Ce fragment commence une série de morceaux qui concernent spécialement la Grèce; le compilateur paraît les avoir recueillis sans se préoccuper ou de les classer ou de les coudre. Les faits dont il s'agit ici sont tellement vagues, qu'on ne peut les rattacher à une guerre déterminée. On voit bien qu'il s'agit des luîtes de la Grèce et de la Macédoine contre les Romains. Il faut en dire autant du passage suivant, qui semble une répétition de ce qu'on vient de lire. Il y a autant de raisons pour le réunir aux vers précédents que pour l'en séparer.
[50] Nous considérons ce morceau comme l'un des plus anciens, des plus importants et des moins mutilés des oracles sibyllins d'Alexandrie. La langue est remarquable; les pensées s'enchaînent bien; le plan de l'oracle apparaît nettement. Le prophète invite d'abord la Grèce à abandonner le vain culte des idoles, qui attirera sur elle le courroux du Grand Dieu. Il y a un moyen d'apaiser ce courroux, c'est de porter des victimes dans le temple de ce Dieu ; mais la Grèce, suivant les desseins mystérieux du très Haut, n'y aura recours qu'après avoir subi les plus terribles calamités et le joug d'un peuple dur et cruel. Le Grand Dieu frappera les nations idolâtres et corrompues qui ont méconnu son saint peuple et ses vertus. Les nations reconnaîtront leur erreur sous le règne du septième Lagide, et se convertiront au vrai Dieu, qui les comblera de biens.
[51] Le sibylliste fait allusion au culte des demi-dieux et des héros auxquels les païens, rendaient les honneurs divins après leur mort. On peut aussi admettre qu'il parle des dieux eux-mêmes, car, suivant la doctrine d'Evhémère, qui paraît avoir été acceptée par beaucoup de Juifs alexandrins, notamment par Philon (voyez la Légation à Caius, dans nos Écrits historiques, etc.), les dieux sont des personnes humaines que la reconnaissance ou l'admiration de peuples ignorants ont divinisées.
[52] Remarquez que le sibylliste, conformément aux traditions bibliques, présente l'idolâtrie comme ayant été précédée par le culte et la connaissance du vrai Dieu. La Grèce n'a pas toujours été idolâtre ; elle a quitté la face du Grand Dieu à une époque déterminée et connue, et à l'instigation de princes orgueilleux qui ont voulu se faire adorer de leurs peuples même après leur mort.
[53] Ces quinze cents ans nous ramènent à environ 1655 avant Jésus-Christ, au temps des patriarches, lorsque Joseph gouvernait l'Egypte, et quelque temps avant le règne de Cécrops à Athènes.
[54] C'est-à-dire : brillera d'un nouvel éclat.
[55] Les Juifs faisaient aux païens un reproche de ne pas brûler entièrement sur leurs autels les victimes, et considéraient comme un manque de respect envers la Divinité l'action de réserver soit au peuple, soit aux prêtres une portion des viandes du sacrifice. (Voyez nos Écrits historiques de Philon, p. 383 et 384.)
[56] On remarquera que cet oracle ne fait aucune mention du Messie; c'est la nation israélite qui se trouve, dans le règne de Dieu, transformée en un peuple de prophètes et de rois du genre humain En cet endroit, le texte offre une lacune; mais cette altération n'enlève rien & la précision des deux vers qui nous montrent les Hébreux exaltés, prophètes, rois et bienfaiteurs de tous les mortels :
Αὐτοὶ δ' ὑψωθέντες ὑπ' Αθανάτοιο προφῆται
... καὶ μέγα χάρμα βροτοις πάντεσσι φέροντες.
Nous trouverons plus loin un oracle avec la même donnée; ce qui prouve que dans l'ensemble des croyances eschatologiques des Juifs, il y en avait qui accentuaient le rôle du Messie, d'autres qui l'amoindrissaient, d'autres enfin qui le supprimaient tout à fait. Cette suppression s'explique d'ailleurs aisément. Les poètes orientaux et les prophètes d'Israël avaient l'habitude de résumer et de dramatiser des groupes d'événements, en les représentant par des personnages qui étaient ainsi de véritables mythes. Quelques sibyllistes ont pu croire que le Messie, ce Roi pacificateur et libérateur, était un mythe de ce genre, symbolisant les luttes d'Israël contre les nations idolâtres, et son triomphe définitif sur elles. En substituant le peuple saint au Fils de l'Homme, ils n'ont fait, à leur point de vue, qu'interpréter les anciennes prophéties.
[57] Il n'est pas douteux, dit M. Alexandre, que par ce septième roi il faut entendre Ptolémée Philométor (180 av. J. C). Or, comme le sibylliste assigne faussement à cette époque la fin de l'idolâtrie, l'oracle a dû être écrit pendant que ce prince régnait encore. La conversion de l'Egypte au vrai Dieu avait été déjà prédite par Isaïe (xix, 19). Le poète fait allusion ici non à la première expédition d'Antiochus-Épiphane en Egypte (179 av. J. C), mais à la seconde, dans laquelle, avant d'arriver à Alexandrie, il rencontra des légions romaines qui le firent rebrousser chemin. Il retourna chez lui par terre et non par mer.
[58] Nous traduisons littéralement l'expression grecque, qui nous paraît faire allusion à la purification du genre humain.
[59] Nous avons déjà trouvé plus haut ce vers; sa présence ici nous semble signaler un nouveau fragment. Il est composé, comme on va voir, d'une série de vers déjà connus et sans lien.
[60] Ce vers, qui revient pour la troisième fois, est pris du Deutéronome : Κύριος ὁ Θεὸς σοῦ αὐτὸς Θεὸς ἔστιν, καὶ οὐκ ἔστιν ἄλλος πλὴν αὐτοῦ.
[61] Il s'agit ici sans doute des guerres des Romains contre la Macédoine et la Grèce. Nous avons là le début d'un nouveau fragment, analogue à plusieurs de ceux qui précèdent.
[62] Nous n'essayerons pas de rattacher à des événements historiques cette suite de prédictions confuses et malheureusement mutilées; cependant, il semble que la puissance barbare, dont il a déjà été question, ne saurait être autre que Rome. Le sibylliste aurait écrit ces vers alors que les guerres civiles entre Marius et Sylla étaient allumées ou sur le point d'éclater. On est, du moins, tenté d'interpréter de la sorte ce qu'il dit de la querelle qui s'élève entre les vainqueurs pour le partage du butin conquis. Mais la mention d'une terre étrangère, qui paraît être le théâtre de la lutte intestine, fait plutôt songer aux rivalités de César et de Pompée. C'est pourquoi nous inclinons à placer la date de composition de cet oracle à l'époque de ces rivalités, environ un demi-siècle avant la naissance de Jésus-Christ.
[63] La prophétie ne concorde pas ici avec ce qui a été déclaré plus haut, à savoir, que ce sera sous le règne de Ptolémée Philométor qu'aura lieu la conversion des gentils et que commencera le règne de Dieu; l'oracle affirme que ce sera dans un lointain avenir, après une longue série d'années, que· la venue du roi libérateur sera signalée par ce fait qu'on brûlera les engins de guerre.
[64] D'après une légende hébraïque, relative aux temps messianiques, ces temps devaient être précédés par une grande victoire des Juifs sur les nations, victoire telle qu'on pourrait brûler pendant sept années le bois des lances et des javelots des ennemis exterminés. C'est à cette légende que ce passage fait allusion. Le lecteur a pu se convaincre déjà plus d'une fois que tout n'est pas concordant dans l'ensemble des traditions messianiques; ce n'est pas seulement l'ordre et la succession, mais encore la nature des faits, qu'on éprouve parfois un embarras invincible à déterminer. Il n'en pouvait être autre ment : les légendes qui se forment peu à peu et, pour ainsi dire, membre à membre dans le cerveau des peuples, offrent toujours des incohérences et des contradictions de détail.
[65] C'est-à-dire de l'Orient.
[66] Gfroerer renvoie ici aux passages analogues du IVe Évangile, dans lesquels il est dit de Jésus-Christ, Messie d'Israël et Fils de Dieu, qu'il ne peut rien sans son Père : Οὐ δύναται ὁ υἰὸς ποιεῖν Ἀφ' ἑαυτοῦ οὐδέν. Cela montre que les sibyllistes et les évangélistes se sont rencontrés dans le choix qu'ils ont fait des traits de la figure du Messie national.
[67] Le prophète fait allusion aux guerres précédentes qui ont désolé la Palestine ; cette invasion sera le suprême effort des nations idolâtres contre la nation sainte (ἰερὸν γένος) des hommes pieux (εὐσεβεῖς ἄνδρες).
[68] La terre sainte.
[69] Le texte des oracles sibyllins est ainsi conçu :
Θύσουσε κύκλῳ πόλεως μιαροὶ βασιλῆες
Τὸ θρόνον αὐτοῦ ἕκατος ἔχων καὶ λαὸν ἀπειθῆ.
Le texte de Jérémie des Septante, qui semble avoir inspiré directement ce passage, est à rapprocher de ces deux vers; la comparaison fournit une preuve de plus de l'origine hébraïque de l'oracle : « C'est pourquoi j'assemblerai toutes les royautés de la terre du côté du Nord. Et elles viendront; et chacune d'elles placera son trône à l'entrée des portes de Jérusalem, et tout autour de ses remparts, et autour de toutes les villes de Juda... »
[70] Nous avons expliqué déjà les raisons qui nous font admettre que le fragment commençant par les mots Du ciel tomberont..., pourrait bien être une interpolation et provenir d'un oracle moins ancien. Ce passage est à rapprocher du chapitre lxvi d’Isaïe.
[71] Faut-il entendre cela de la destruction du temple par les Assyriens, de sa profanation par Antiochus et plus tard par Pompée, ou de sa destruction par Titus? Il est impossible de le dire avec certitude. Si on admet qu'il s'agit du dernier événement, ce sera une preuve de l'interpolation de ce passage.
[72] C'est une nouveauté dans les croyances eschatologique des Juifs que ce second déluge. Nous savons que l'opinion commune attendait, une purification par le feu et non par l'eau.
[73] Nous avons dans ces quatre vers une terminaison d'oracle qui ne paraît pas ici à sa place, car elle sépare assez mal à propos deux morceaux que l'on serait tenté de rejoindre.
[74] C'est-à-dire que la prospérité passée renaîtra. Nous ne trouvons aucune raison grave d'isoler ce passage ou de le réunir à ce qui précède.
[75] Ou bien le compilateur a commis un lapsus calami, en reproduisant en cet endroit ce vers qui rompt le sens, ou bien ce vers indique le commencement d'un fragment analogue au précédent, et pour cette raison mis à sa suite.
[76] Ne faut-il pas voir ici le début d'un troisième fragment pareil aux précédents?
[77] Nous retrouvons là une nouvelle allusion, plus précise, à la légende des lances brûlées pendant sept années par les Juifs avant l'ère messianique. Lactance (Instit. Div., vii, 26) a évidemment dans la pensée ce passage, quand il dit, parlant du début du règne messianique : « Alors, pendant sept années entières, les forêts demeureront intactes; on ne coupera point de bois sur les montagnes; mais on brûlera les armes des nations; il n'y aura plus la guerre; la paix et un repos éternel régneront. » Ézéchiel est le premier qui ait parlé de cette tradition. Il le fait en ces termes : « Et les habitants sortiront des villes d'Israël ; ils brûleront et consumeront les armes, les boucliers, les lances, les arcs et les flèches, les piques et les pieux, et ils les consumeront par le feu pendant sept ans. Ils n'apporteront point de bois du milieu des champs; ils n'en abattront pas dans les forêts, parce qu'ils brûleront les armes... » (Ézéch., xxxix, 9, 10.)
[78] Ce morceau pourrait bien être un oracle à peu près complet. En tout cas, il est obscur. Le passage que nous traduisons par : c Envoie dans cette ville le peuple irrésolu..., » doit être altéré. Nous ne discuterons pas les explications généralement admises de ces allusions ambiguës, d'après lesquelles le peuple irrésolu serait Israël dispersé; Camarina, marécage de. Sicile, représenterait la nation juive. Le léopard dormant, auquel la nation est comparée, et dont il ne faut pat troubler le repos, sous peine de s'exposer aux plus grands périls, ne peut être que Juda, dont les Livres Saints parlent en termes tout à fait semblables dans la prédiction du mage Balaam : « Il se reposera couché comme un lion, ou comme un lionceau, plein d'un dédain superbe, ne craignant personne, inspirant aux autres la crainte. Malheur à qui, l'ayant secoué, le réveillerait ! » (Voyez Philon, De vit. Mosis, i.) Mous serions disposé à admettre que l'oracle, dans la pensée du sibylliste, avait pour but d'écarter des Juifs tes persécutions que les Grecs leur infligeaient trop souvent. Peut-être aussi a-t il été écrit au moment où quelque expédition des Séleucides ou des Romains s'avançait contre la Judée. Plusieurs commentateurs, frappés de l'invitation adressée aux Grecs de laisser partir les Juifs hellénistes pour la Terre Sainte, ont cru que le sibylliste prévoyait un soulèvement général des Juifs dans le monde entier pour délivrer la Palestine, et y ont vu une allusion aux guerres des Macchabées.
[79] Ces deux vers sont manifestement égarés ici.
[80] C'est un morceau analogue à celui que nous avons rencontré plus haut sur la félicité du règne mécanique; il est plus développé.
[81] Il, c'est Dieu. Comparez ces détails et ceux qui suivent à la description que Philon donne du règne messianique.
[82] Le texte offre en cet endroit un notable désordre; ce ne sont plus que des pensées courtes et sans suite, ou des sentences vagues, susceptibles d'être introduites partout. Puis, nous allons voir revenir les descriptions, toujours similaires, de la prospérité finale. Le précepte relatif au respect de la vie des enfants est curieux ; l'infanticide, aux yeux du sibylliste, devait être une pratique ordinaire aux païens. Est-ce une allusion aux lois de Sparte, qui permettaient de jeter au gouffre les enfants chétifs ou contrefaits; est-ce un reproche adressé socialement aux Égyptiens?
[83] L'incohérence devient manifeste si l'on rapproche ces mots de ceux qui terminent le fragment précédent. Cet oracle, analogue à deux ou trois morceaux que nous venons de lire, efface la personne du Messie, et y substitue le rôle du peuple Israélite dans le règne de Dieu. C'est la seconde fois que nous avons à signaler cette particularité dans les vers sibyllins. Nous ne reviendrons pas sur l'explication du passage qui nous montre dans le temple le Fils du Grand Dieu.
[84] C'est-à-dire : « Les Israélites feront régner la paix dans le monde. »
[85] Même doctrine dans Philon, qui affirme que le souci des richesses engendre l'iniquité.
[86] Dieu.
[87] Ce passage est emprunté à Zacharie et à Isaïe : « Chante et réjouis-toi, fille de Sion, loue le Seigneur, car voilà que je viens et j'habiterai au milieu de toi, dit le Seigneur. » (Zach., ii, 10.) « Sous son règne, le loup habitera avec l'agneau, le léopard reposera auprès du chevreau; la génisse, le lion, la brebis, se joueront ensemble, et un petit enfant suffira pour les conduire. » (Isaïe, xi, 6.) Il est incontestable que ce passage offre plus d'une analogie avec la quatrième églogue de Virgile. L'illustre poète a-t-il traduit le chant sibyllin ? La chose est possible. Mais il est possible aussi, et M. Alexandre incline à cette opinion, bien qu'elle admette une coïncidence vraiment merveilleuse, que Virgile ait tiré de son propre fonds ces gracieuses images.
[88] Nous avons ici une sorte de variante d'un passage précédent. Les visions de combat dans le ciel dont il est question ici sont décrites en termes pareils au livre II, chapitre v des Macchabées : « Il arriva que par toute la ville de Jérusalem, pendant quarante jours, on vit dans les airs des cavaliers courant çà et là avec des habits blancs, des cohortes armées de lances, des courses de chars serrés en rangs, des attaques, des mouvements de boucliers, des foules d'hommes casque en tête, l'épée nue, des armes d'or et des cuirasses resplendissantes. » Ces étranges apparitions eurent lieu à Jérusalem, lors de la persécution d'Antiochus, vers l'époque où furent composés les plus anciens de nos oracles. Le sibylliste indique à la fin qu'avant les signes précurseurs de la catastrophe suprême, tous les hommes se convertiront au vrai Dieu, et lui offriront des sacrifices.
[89] Nous avons donné les raisons qui nous portent à croire que ce passage, plutôt fait pour éveiller que pour endormir les soupçons des Grecs, a été ajouté aux anciens oracles alexandrins à une époque postérieure à la naissance de Jésus-Christ, et alors que les conditions et les nécessités de l'ancienne prophétie pseudo-érythréenne n'existaient plus.
Il est certain que du temps de Lactance cet oracle faisait partie des vers réputés érythréens. Cet auteur, en effet, dit « que la sibylle d'Erythrée a mis son vrai nom dans son poème, et a prédit qu'on l'appellerait érythréenne, bien qu'elle fût née à Babylone. — Ery-thraea, quae et nomen suum vertim carmini inseruit, et Erythrœam se nominatam iri prœlocuta est, cum esset orta Babylone. » (Inst. Div., i, 6.)
Quant au morceau qui termine le livre III, c'est une supercherie des plus grossières. Nous ne le jugeons pas digne de figurer parmi les oracles des sibyllistes alexandrins. M. Alexandre n'a pas hésité à reconnaître dans ce morceau les traces évidentes d'une interpolation. En voici la traduction :
« Celui qui m'a montré ce qui est d'abord arrivé à mes pères, et tout ce qui s'est passé au commencement, c'est Dieu. Tous les événements survenus ensuite. Dieu me les a mis devant les yeux, pour prophétiser l'avenir et le passé, et les révéler aux mortels. Lorsque le monde était submergé par les eaux, et qu'un seul homme juste fut choisi, et navigua sur les ondes avec des bêtes féroces et des oiseaux, dans une maison coupée dans la forêt, afin que le monde fût repeuplé, j'étais sa bru, j'étais sortie de son sang. C'est à lui que les premiers événements sont arrivés, et que tous les événements suprêmes ont été dévoilés. Ainsi, regarde comme vrai tout ce qui est sorti de ma bouche. »
Cette mention du patriarche Noé n’est pas aussi étrange qu’elle le semble de prime abord. Nous savons qu’une partie du livre d’Hénoch est placée sous l’autorité de Noé. Il est évident que l’auteur de ces derniers vers a voulu imiter ce procédé. Mais, je le répète, si le patriarche était une autorité pour les Juifs, il n’en était pas une pour les Gentils. La supercherie ne nous paraît point avoir été commise par les sibyllistes judéo-alexandrins, d’ordinaire plus mesurés; mais plutôt par quelque chrétien, préoccupé de recommander les oracles autant à ses coreligionnaires qu’aux païens, et ne se rendant pas un compte exact des circonstances au milieu desquelles s’étaient produits ces oracles. Le secret et le mystère dont le Juif aimait à s’envelopper pesaient au chrétien, impatient de prédication ouverte et de prosélytisme au grand jour.
Cette mention du patriarche Noé n'est pas aussi étrange qu'elle le semble de prime abord. Nous savons qu'une partie du livre d'Hénoch est placée sous l'autorité de Noé. Il est évident que l'auteur de ces derniers vers a voulu imiter ce procédé. Mais, je le répète, si le patriarche était une autorité pour les Juifs, il n'en était pas une pour les Gentils. La supercherie ne nous paraît point avoir été commise par les sibyllistes judéo-alexandrins, d'ordinaire plus mesurés; mais plutôt par quelque chrétien, préoccupé de recommander les oracles autant a ses coreligionnaires qu'aux païens, et ne se rendant pas un compte exact des circonstances au milieu desquelles s'étaient produits ces oracles. Le secret et le mystère dont le Juif aimait à s'envelopper pesaient au chrétien, impatient de prédication ouverte et de prosélytisme au grand jour.
[90] On trouvera ici un oracle un peu plus long (191 vers), mais conservé sans lacune, du moins sans lacune apparente; il a été composé vers l'an 80 de notre ère, à une époque ou l'Église d'Alexandrie était fondée, mais n'avait pas absorbé la colonie juive de cette ville.
[91] On s'étonnera, non sans motif, qu'Apollon soit ainsi maltraité par un prophète qui aurait plutôt besoin de s'abriter sous son autorité, ou du moins, sans lui adresser des louanges expresses, de laisser croire qu'il· est inspiré par lui. Mais nous savons que le prophétisme des juifs alexandrins, d'abord timide et très circonspect à l'égard des divinités païennes, prit des allures de plus en plus décidées, et à la fin des attitudes agressives. Cette agression, ces définitions extrêmement transparentes de la Divinité adorée par les Hébreux à Jérusalem (car ce fait qu'ils proscrivaient absolument toute image dans leur culte avait vivement frappé les Grecs, et c'était une des particularités les plus connues de la religion juive), sont des caractères de la poésie sibylline des temps qui suivent ou précèdent immédiatement l'ère chrétienne. Or, l'oracle contenu dans le livre IV a été écrit vers la fin du premier siècle. On ne s'écarterait pas beaucoup de la vérité, en posant en règle que plus un chant sibyllin d'Alexandrie est ancien, plus il est nuageux dans son indication du vrai Dieu, discret et mesuré dans l'éloge des Israélites, et que plus on se rapproche de l'époque ou nous sommes parvenus, plus ces précautions sont négligées, plus les allusions s éclairassent, au point que le masque tombe tout à fait et laisse nettement apercevoir la figure du poète juif. La mention de la résurrection, qu'on lira plus loin, achève de montrer qu'à l'époque où nous sommes parvenus, c'est-à-dire à la fin du cycle judéo-alexandrin, les sibyllistes ne craignaient plus de professer hautement les dogmes les plus mystérieux de leur foi.
[92] L'expression poétique transporte à la pierre du naos les funestes effets du culte rendu à l'idole.
[93] M. Alexandre voit dans ce passage un indice certain du christianisme du sibylliste. Nous jugeons inutile de revenir sur les remarques exposées plus haut. Rien ici ne désigne exclusivement et certainement les chrétiens. Sans doute, ils priaient avant de manger et de boire; mais les Thérapeutes et les Esséniens en faisaient autant. Ils n'étaient pas convaincus de la nécessité du temple ; mais, cette doctrine, les moines juifs de Palestine et d'Egypte l'avaient professée avant eux. Ils avaient horreur du sacrifice sanglant; mais n'avons-nous pas vu que la table des Thérapeutes est pure de mets sanglants, et que les Esséniens proclament que le sacrifice le plus agréable à Dieu et le plus méritoire est la victoire remportée sur nos passions? La purification baptismale, à laquelle il sera fait allusion plus loin, n'est pas non plus un trait particulier au christianisme; diverses sectes juives la pratiquaient avant Jésus-Christ. En bonne logique, et en l'absence d'indices moins généraux et plus exprès, nous sommes donc obligés de voir dans ces mœurs et dans ces doctrines des choses purement judaïques.
[94] On connaît les accusations dont les Grecs chargeaient les Juifs, et qui serviront souvent de prétextes aux violences les plus criminelles.
[95] On remarquera que la doctrine de l'oracle, en ce qui touche la résurrection et le règne messianique, est conforme à la doctrine de l'Eglise chrétienne; elle n'admet pas deux jugements, deux résurrections, et la royauté de mille ans qui devait, suivant l'opinion des hérétiques millénaires, précéder l'établissement définitif du règne de Dieu.
[96] Nous avons en cet endroit une explication physique du déluge, conforme à celle de la Genèse : c'est la mer, gonflée par les eaux qui sont au-dessus de la voûte du ciel, qui déborde et recouvre la terre. Il est à peine nécessaire de faire remarquer que nous sommes en présence d'une succession d'empires, différente de celles que nous avons déjà rencontrées, et qui n'est pas beaucoup plus exacte qu'elles.
[97] Les traditions les plus anciennes de la Grèce parlaient d'îles sorties du sein des mers dans les temps primitifs, et citaient Délos et Rhodes. M. Alexandre accuse ces traditions de mensonge, et en voit l'origine dans les fables et les convenances de la mythologie. Rien, ajoute-t-il, n'est venu confirmer ces légendes : le sol des deux îles n'est point volcanique. Mais on sait qu'un soulèvement peut s'opérer sur un point de l'écorce du globe, sans que l'écorce soit fendue par la matière volcanique intérieure. En réalité, nous n'avons aucun moyen de contrôler la véracité des traditions relatives à la naissance de Délos et de Rhodes, et nous avons tout lieu de supposer que si les anciens Grecs n'avaient pas eu sous les yeux le phénomène de l'émersion ou de la submersion des îles, si du moins ils n'en avaient point trouvé le souvenir conservé parmi les peuples qui les précédèrent en Europe, ils ne l'auraient point inventé. Il est certain que l'île de Théra s'est formée à une époque reculée et voisine des âges héroïques. Les anciens auteurs, Pline, Sénèque, etc., rapportent que d'autres îles sont apparues dans la Méditerranée depuis les temps historiques.
[98] La bataille fut livrée non point sur l'Euphrate, mais près d'Ecbatane; ses conséquences ne furent point immédiates, et l'empire ne passa aux Perses qu'après la mort de Cyaxare et d'Astyage.
[99] Allusion à la guerre de Troie.
[100] S'agit-il de la famine dont Joseph conjura les effets par sa prévoyance? C'est un lieu commun de la poésie sibylline que les famines résultant de la disparition des eaux de tel ou tel fleuve.
[101] Il est facile de reconnaître dans ces vers la mention des principaux événements qui marquèrent la fameuse expédition de Xerxès contre les Grecs. Le Roi des Rois traversa l'Hellespont à pied sur un pont de bateaux ; il fit couper le mont Athos pour éviter un détour à sa flotte ; enfin il s'enfuit précipitamment en Asie après la défaite de ses troupes.
[102] Il est difficile de préciser la date des anciennes éruptions de l'Etna. Nous savons que, vers l'année 477 avant notre ère, à une époque rapprochée des guerres médiques, ce volcan ravagea le pays environnant. Cela résulte du témoignage de Pindare, confirmé par Thucydide (liv. III). Est-ce de cette éruption que l'oracle parle ou de celle qui eut lieu, peu après, durant la guerre du Péloponnèse?
[103] L'histoire n'a gardé aucun souvenir de la catastrophe de Crotone.
[104] On peut voir ici une mention de la guerre du Péloponnèse.
[105] Il y a dans le vers un jeu de mots qui résulte de ce qu’en grec le nom de Délos (δῆλος) signifie, dans le langage ordinaire, apparent. Mot à mot on traduirait : « L'Apparente ne sera plus apparente. » On a des raisons certaines de croire que ce passage est tiré textuellement d'un oracle érythréen. Au commencement de la guerre du Péloponnèse, en 431, il y eut, raconte Thucydide, un grand émoi, causé par des prodiges, et il circula sur ces prodiges une foule d'oracles annonçant des luttes entre les cités helléniques. Les termes dont se sert l'historien indiquent que ces prophéties, mises en circulation non seulement dans les États intéressés mais encore dans les autres, étaient assez dans les habitudes des Grecs, puisqu'elles étaient l'œuvre de gens adonnés à ce genre de littérature.
Sur ces entrefaites, un tremblement de terre survint à Délos, laquelle de souvenir d'homme n'avait jamais eu à subir ce fléau. (Πρότερωσν οὔτω σεισθεῖσα αφ' οὐ Ελληνες μέμνηνται.) Ce tremblement de terre, ajoute Thucydide, parut le signe précurseur des événements annoncés. Il est donc certain que l'oracle érythréen, qui parlait de la ruine de Délos par une catastrophe souterraine, fut composé vers la fin du cinquième siècle. Callimaque (Hymn. in Del., 53) y fait allusion, et reproduit même le jeu de mots que nous avons ici dans le texte sibyllin. « C'est pourquoi, dit-il, désormais disparue (non apparente) le vaisseau flottera aux lieux ou tu t'élevais (Οὕνεκεν οὐκετ' ἄδηλος ἐπέπλεες). »
C'est donc un fait démontré et mis hors de contestation que les oracles juifs ont reproduit, pour donner de l'autorité à leurs prédictions, des prophéties érythréennes. Il est très probable que ces oracles empruntés intéressaient les villes d'Ionie, de l’Hellade, de la Grande Grèce ou les îles. Nous croyons, en conséquence, que la prédiction relative à Samos, et qui contient aussi un jeu de mots, fondé sur la ressemblance du nom de Samos et du mot (Αμμος) qui Signifie sable, figurait dans les oracles érythréens. Nous n'osons en dire autant du jeu de mots qui, ailleurs dans nos chants sibyllins, rapproche Ρώμη (Rome) de ῥύμη (force et vitesse). L'oracle qui le contient doit être beaucoup plus récent, d'origine alexandrine, et composé à l'imitation des prédictions érythréennes.
[106] Strabon cite ces deux vers; mais, au lieu de « île, » il lit : « Chypre. » Cette prédiction, comme celles qui suivent sur Sybaris, Cyzique et Rhodes, provient, croyons-nous, des oracles érythréens.
[107] Dans le paragraphe 3 du troisième livre, Cyzique est menacée d'une inondation.
[108] Dans le passage précité (§ 3 du livre III), ce n'est pas un tremblement de terre, comme on pourrait le supposer d'après cet endroit, qui ravage Rhodes, c'est une guerre. Pausanias (Corinth., 7) songeait à cet oracle quand il dit, à propos d'un grand tremblement de terre survenu à Rhodes: « Ainsi parut s'accomplir l'oracle de la sibylle relatif à Rhodes (Ωστε καὶ λόγιον τετελέσθαι Σιβύλλῃ τὸ εἰς τὴν Πόδον ἔδοξεν). » Mais de quelle sibylle parlait-il? Probablement de la vraie, de la sibylle d'Ionie, et non de celle d'Alexandrie. Ce texte de Pausanias est un nouvel indice des emprunts de la sibylle hébraïque à la sibylle grecque.
[109] Sous Néron, Laodicée fut ravagée par un tremblement de terre (Tacite, Annal., xiv, 27), en l'année 61 de notre ère, peu avant l'époque où nous plaçons la composition de cet oracle. L'illustre historien affirme, comme le sibylliste, la merveilleuse rapidité avec laquelle la cité se releva de ses ruines. Voyez dans l'Antéchrist de H. Renan (p. 328 et suiv.) l’énumération des fléaux qui ravagèrent à cette époque l'Italie, la Grèce et l'Asie.
[110] Patares était une ville de Lycie, où il y avait un oracle d'Apollon célèbre II est fait mention de cet oracle, comme existant encore, dans le paragraphe 3 du livre III. (Voy. Les derniers temps des Oracles, par Gust. Wolff. Berlin, 1854.)
[111] Il s'agit de la guerre de Pompée et de la prise du temple qui la termina. Cet événement est présenté, en effet, comme antérieur à la chute de Néron.
[112] Néron était mort en présence de peu de personnes ; on pouvait croire que ses amis l'avaient sauvé, et qu'on avait produit le cadavre d'un homme substitué à l'empereur. « Les uns affirmaient qu'on n'avait pas trouvé le corps; d'autres disaient que la plaie qu'il s'était faite au cou, avait été bandée et guérie. Presque tous soutenaient que, à l'instigation de l'ambassadeur parthe à Rome, il s'était réfugié chez les Arsacides, ses alliés, ennemis éternels des Romains, on auprès de ce roi d'Arménie, Tiridate, dont le voyage à Rome, en 66, avait été accompagné de fêtes magnifiques qui frappèrent le peuple. Là, il tramait la ruine de l'Empire. On allait bientôt le voir revenir à la tête des cavaliers de l'Orient pour torturer ceux qui l'avaient trahi. Ses partisans vivaient dans cette espérance ; déjà ils relevaient ses statues, et faisaient même courir des édits avec sa signature. Les chrétiens, au contraire, atrocement persécutés par l'empereur, et qui le considéraient comme un monstre, en entendant de pareils bruits, auxquels ils croyaient en tant que gens du peuple, étaient frappés de terreur. » (L'Antéchrist de M. Renan, p. 318 et suiv.) Ils restèrent convaincus du retour prochain du monstre, et l'identifièrent au Bélial hébraïque, à l'ennemi du Messie, au puissant adversaire du Christ.
[113] Le sibylliste a ici en vue la guerre de Vespasien et de Titus.
[114] L'impression causée par l'éruption du Vésuve de l'an 79, dont il est question ici, fut immense et universelle. Dion Cassius (lxvi, 23) raconte que la cendre fut rejetée en telle quantité, qu'il en vint en Afrique, en Egypte et jusqu'en Syrie. Plutarque (De Pyth. Orac., et De Ser. Numin. Vindict.) dit que les désastres survenus aux environs de Cumes et de Dicœarchia avaient été prédits par la sibylle très anciennement. M. Alexandre admet que Plutarque parle de la sibylle grecque, mais croit qu'il prend pour ancien un oracle moderne. A notre avis, M. Alexandre accuse un peu légèrement d'erreur l'écrivain grec. Les oracles sibyllins antiques ont pu prédire que cette région de l'Italie, célèbre déjà par ses phénomènes volcaniques, serait un jour détruite ou ravagée par le feu souterrain. « En 63, Pompéi fut presque abimée par un tremblement de terre. Le centre volcanique de la baie de Naples, au temps dont il s'agit, était vers Pouzzoles et Cumes. Le Vésuve, qui avait eu des éruptions aux époques préhistoriques, était encore silencieux; mais cette série de petits cratères qui constitue la région à l'ouest de Naples, et qu'on appelait les Champs Phlégréens, offrait partout la trace du feu. » (L’Antéchrist de H. Renan, p. 330.)
[115] A partir de là, le sibylliste prédit au hasard; et la preuve, c'est qu'il annonce le retour de Néron.
[116] Nous préférons cette leçon à celle qui fait tomber Antioche sous les coups de se· propres guerriers.
[117] Ce retour de la fortune qui venge l'Asie des victoires et des rapines de Rome, est prédit en plusieurs endroits des oracles sibyllins, et présenté comme l'un des événements qui annoncent la proximité de la fin du monde.
[118] Nous pensons avec M. Ewald, et contrairement à M. Alexandre, que la purification baptismale dont il s’agit en ce passage est une chose purement juive, et qu'elle n'implique pas le christianisme du sibylliste. Non seulement les ablutions jouent un rôle important dans les rites des Esséniens et probablement des Thérapeutes, mais nous savons qu'il exista en Palestine, avant la prédication de Jésus, des sectes de baptistes. Les disciples de saint Jean formèrent l'une de ces sectes ; et saint Paul, dans ses voyages, trouva une petite Église de juifs baptistes dans une ville d'Asie Mineure. M. Alexandre insiste : les chrétiens seuls, dit-il, pratiquaient le baptême, en immergeant le corps entier (ὅλον δέμας), comme l'indique le vers sibyllin. Nous répondrons que saint Jean baptisait en plongeant ses disciples dans le fleuve du Jourdain, ce qui semble s'accorder bien exactement avec l'indication du sibylliste, et n'exclure aucune partie du corps de l'ablution. Enfin, rappelons que l'Évangile ne parle pas seulement du baptême de l'eau, mais du baptême de l'Esprit, du baptême du sang et du feu, ce qui porte à croire que l'idée de purification, souvent exprimée par Jésus, ne se produisit pas toujours sous la même forme, et laissa subsister quelque indécision, au point de vue de la pratique, parmi les premiers disciples. En effet, les deux principaux apôtres, saint Pierre et saint Paul, agissent à cet égard différemment : l'un baptise; l'autre se vante de ne point se préoccuper de détails aussi secondaires. Nous en concluons que le baptême n'eut peut-être pas dans la dernière moitié du premier siècle toute l'importance qu'il acquit bientôt après, et que lui prêterait un peu prématurément le sibylliste prétendu chrétien. Il y a une considération plus décisive encore qui nous empêche de reconnaître ici le baptême chrétien, lequel n'a de vertu et d'efficacité qu'autant qu'il est administré par un fidèle du Christ. Ce caractère est aussi net que possible. Un auteur chrétien aurait donc dû, ce semble, écrire : « Laissez-vous purifier tout le corps dans les fleuves, » et non : « Purifiez-vous... »
[119] Ce passage est remarquable; il contient deux expressions qui semblent avoir été fournies au poète par une secrète préoccupation de la vie ascétique des Thérapeutes. Guérissez par vos prières votre impiété, » dit-il, paraissant faire allusion à l'étymologie que Philon nous donne du mot Thérapeute (guérisseur). « Cultivez dans vos cœurs la piété, ajoute-t-il, se servant du mot ἀσκήσητε, qui rappelle les pieuses pratiques de la vie ascétique.
Sans doute, ce sont là des indices un peu vagues, mais non sans valeur, car ils concordent avec beaucoup d'autres, d'où l'on peut inférer que plus d'un oracle sibyllin d'Alexandrie est sorti des couvents des Thérapeutes.
[120] La fin de l'oracle nous renseigne d'une manière précise sur l'ordre et la succession des événements de la période suprême. C'est sur l'humanité ressuscitée que Dieu rendra ses arrêts.
Il y a plusieurs points à noter dans ces derniers vers Le bonheur des élus est déclaré éternel, mais le prophète ne dit pas expressément que le châtiment des méchants sera sans fin ; il ne parle pas non plus du genre des supplices qui leur seront infligés ; os peut supposer que leur punition consiste dans cette immersion au sein des ténèbres, de même que la récompense des bons consiste dans la contemplation de Celui qui est la Lumière. En second lieu, le bonheur des justes nous est présenté comme opérant de l'un à l'autre une sorte de rayonnement, qui multiplie la félicité de chacun d'eux par les joies de tous les autres.
....... Πάντες δὲ τοτ' εἰσόψονται ἑαυτούς
Νήδυμος ἡελίου τερπνόν φάος εἰσορόωντες
C'est une pensée très délicate et digne d'être relevée. Mais ce qui nous frappe plus que tout le reste dans cet oracle prétendu chrétien, c'est l'absence complète de la figure messianique ; l'atténuation du rôle dominateur et glorieux d'Israël; enfin, cette parole, qu'il faut noter dans la bouche d'un Juif s'adressant aux Gentils : « Dieu pardonnera à vos larmes et à vos prières! » Ce dernier trait ne trahit-il pas l'esprit large, j'allais dire presque chrétien, du monachisme judéo-alexandrin?