Némésius

NÉMÉSIUS.

 

 

DE LA NATURE DE L'HOMME : INTRODUCTION

 

CHAPITRES I à II.

 

 

NÉMÉSIUS.

 

 

DE LA

 

 

NATURE DE L'HOMME.

 

 

ON TROUVE CHEZ LE MÊME LIBRAIRE :

PENSEES SUR L'HOMME, par M. J. B. Thibault. — 3e édition, mise dans un nouvel ordre et considérablement augmentée. — Un vol. in-8°. Prix : 7 fr. 50 c.

Cambrai. lmp. de. P. LEVÊQUE.

 

NÉMÉSIUS.

 

DE LA NATURE

 

DE

 

L'HOMME,

 

TRADUIT POUR LA PREMIÈRE FOIS DU GREC EN FRANÇAIS,

PAR

M. J. B. THIBAULT.

PARIS, CHEZ HACHETTE, LIBRAIRE,

RUE PIERRE-SARRAZIN, 19.

1844.

 

PRÉFACE DU TRADUCTEUR.

 

Notre siècle semble avoir pris à tâche de remettre en lumière tous les travaux intellectuels des siècles qui le précèdent; car il comprend que les lettres, les arts et les . sciences ne peuvent pas avoir de fondements plus solides que ceux qui reposent sur l'expérience des temps passés. C'est d'ailleurs un acte de justice que de faire connaître ce que nous devons à nos devanciers, et de leur restituer l'honneur qui leur est dû pour leurs patientes et laborieuses recherches, leurs observations judicieuses, leurs systèmes ingénieux, leurs heureuses découvertes. Recueillons leurs leçons, mettons à profit leur expérience, enrichissons-nous de leurs idées, rien de plus légitime, mais ne laissons pas ignorer que nous leur en sommes redevables, iv et que nous ne faisons que prendre possession de l'héritage que nous a laissé leur génie.

Telles sont sans doute les considérations qui excitent maintenant beaucoup d'hommes laborieux à rechercher avec soin tous les vestiges de la science de nos pères, à feuilleter leurs manuscrits, à revoir les textes de leurs ouvrages et à en donner des traductions fidèles, afin de faire revivre leur pensée dans toute son exactitude. Tels sont aussi les motifs qui nous ont engagé à donner une traduction française du traité de la Nature de l'Homme, par Némésius.

Le nom de Némésius, évêque d'Émèse (01), est à peine connu des érudits ; plusieurs historiens de la philosophie ne le mentionnent même pas du tout; cependant il devrait occuper une place honorable parmi les noms les plus illustres de la science, car le traité de la Nature de l'Homme est un ouvrage d'un mérite éminent. On y trouve une morale excellente, une foi vive, des pensées élevées, un raisonnement solide, une vaste érudition.

« Émèse, aujourd'hui Hems, sur l'Oronte, à l'ouest de Palmyre : c'est dans cette ville qu'Héliogabale fut proclamé empereur.

v Non-seulement il est d'une grande importance sous le rapport du christianisme et de la philosophie, mais encore il est du plus haut intérêt sous celui de la physiologie. Car Némésius ne se borne pas à étudier dans l'homme l'être intelligent et moral, il applique aussi à l'être physique son analyse délicate et judicieuse. Ce n'est pas sans étonnement qu'on lit les observations qu'il a écrites, il y a quinze siècles, sur les organes des sens, sur le mouvement régulier de dilatation et de contraction des artères, qui, dit-il, procède du cœur, sur le phénomène de la respiration qu'il compare à celui de la combustion, etc.

On se demande comment ce monument précieux de la science des temps anciens a pu rester dans une sorte d'oubli, tandis qu'il est si digne d'attention et même d'admiration. C'est bien ici le cas de dire : Habent sua fata libelli.

La traduction que nous donnons aujourd'hui de l'ouvrage de Némésius est la seule qui ait été publiée jusqu'à ce jour dans notre langue. Nous nous estimerons heureux si elle peut contribuer à faire connaître davantage vi notre auteur, et à lui faire restituer le rang qui lui est dû.

Au reste nous sommes loin d'avoir la prétention de vouloir être le premier à signaler le mérite du traité de la Nature de l'Homme; car il a obtenu depuis longtemps des suffrages d'un plus grand poids que le nôtre : Van Ellebode (02), Jean Fell (03), Fabricius (04), Brucker (05), Haller (06), Schœll (07), Mathœi (08), Gérando (9), etc., lui ont déjà rendu une éclatante justice. Nous nous bornerons à reproduire ici l'opinion de notre illustre compatriote.

NOTICE SUR NÉMÉSIUS

PAR

M. DE GÉRANDO.

On ignore quelle est l'époque précise à laquelle vécut Némésius, auteur d'un traité de psychologie supérieur en mérite à celui de St-Augustin, et qui mérite certainement d'occuper un rang distingué dans l'histoire de cette science. Cet ouvrage est le même que les huit livres sur la Philosophie faussement attribués à St-Grégoire, évêque de Nysse. On sait que Némésius était évêque et philosophe platonicien, et qu'il était né à Émèse, ville de Phénicie. On peut conjecturer, d'après le contenu de son traité, qu'il l'écrivit entre la fin du quatrième siècle et le milieu du cin- viii quième. Il y fait preuve d'une étude approfondie de la philosophie des anciens ; il y présente un résumé rapide et lumineux de leurs opinions sur les facultés de l'âme. Véritable éclectique, s'il cite Pythagore, Platon, Aristote, les Stoïciens, les nouveaux Platoniciens, c'est toujours en les jugeant, souvent en les réfutant; il pense constamment d'après lui-même. Il adopte l'hypothèse de Platon sur la préexistence des âmes, hypothèse qui avait été reproduite par Origène, et qui fut condamnée, en 551, par le concile de Constantinople. Si, avec Porphyre et Platon, il suppose que la transmigration des âmes s'opère d'homme à homme seulement, et non de l'homme aux animaux, c'est en s'appropriant ces idées par des motifs qui lui sont personnels, et non par une déférence aveugle pour l'autorité d'aucun maître. Il rejette le système de Plotin, qui avait distingué l'âme de l'intelligence. Il définit l'âme, « une substance intelligente à laquelle le corps sert d'instrument. » A une érudition peu commune il joint un mérite plus rare encore à cette époque, et spécialement chez les écrivains ecclésiastiques, celle de l'anatomie et de la physiologie; il ix professe une haute admiration pour Galien, ce qui ne l'empêche pas de modifier quelquefois les vues de ce célèbre médecin.

Ce traité commence par une belle exposition de l'harmonie qui préside à l'ensemble des œuvres du Créateur, et de cette échelle progressive qui, partant de la matière brute, s'élève insensiblement, de règne en règne, par tous les degrés de l'organisation jusqu'à la plus parfaite des créatures. On voit, par ce qu'il dit sur les propriétés de l'aimant, qu'il n'était point étranger à l'observation des phénomènes de la nature, quoiqu'on retrouve souvent en lui les erreurs attachées à l'imperfection dont étaient atteintes de son temps les sciences physiques. « L'homme qui siège au sommet de cette échelle, placé comme sur les confins de deux régions, participe à la fois de l'une et de l'autre, et leur sert de lien commun. L'homme est comme un miroir où se peint en petit l'univers entier. Tout ce qui est privé de raison doit être au service de la raison. »

Némésius compare et discute les opinions des principaux philosophes sur la nature de l'âme; il montre qu'elle est immatérielle, x qu'elle n'est point le résultat de l'organisation, qu'elle n'est point une simple habitude, qu'elle n'est point une entéléchie comme l'avait prétendu Aristote. « L'âme est unie au corps, mais non confondue avec lui. » Il réfute l'opinion d'Apollinaire qui avait supposé pour les esprits une génération semblable à celle des corps, l'opinion des Manichéens qui, d'après les traditions orientales, admettaient une âme unique et universelle répandue dans tous les êtres.

« L'imagination est une faculté de l'âme, en tant qu'elle est privée de la raison, faculté qui s'exerce à l'aide des sens; l'image est pour elle ce que la sensation est relativement aux sens; les affections s'éveillent dans l'âme lorsqu'elle conçoit, comme dans le siège des sens lorsqu'elle éprouve des sensations extérieures. Une partie des facultés de l'âme est destinée à servir, une autre à commander; les organes des sens, les mouvements, les appétits appartiennent à celles-là, la raison à celles-ci. »

Némésius donne une théorie entière de la sensation, pleine d'observations judicieuses; il y rapproche les phénomènes physiologiques xi des phénomènes intellectuels; distingue les sensations reçues des jugements qui les accompagnent, et montre que l'erreur s'attache seulement à ceux-ci. Il fait voir que l'intervention de la mémoire et du jugement est nécessaire pour concevoir toute notion de nombres supérieurs à l'image que le regard peut discerner d'un seul coup d'œil. Il rejette l'opinion de Porphyre, qui, d'après Plotin, prétendait que l'âme, dans la sensation, ne fait que se voir elle-même, parce qu'elle renferme tout en elle-même. « La mémoire conserve les perceptions obtenues par les sens; la pensée combine, élabore les matériaux livers par la sensation et la mémoire. »

Cependant Némésius distingue avec Platon les simples perceptions obtenues par les sens et les notions qui appartiennent à l'intelligence. « Les premières ne forment que des opinions; les secondes seules composent la science. Celles-ci ne dérivent point d'une imagination intérieure, elles sont le produit de l'instruction ou le résultat d'une lumière naturelle. Nous appelons notions naturelles celles que tous les hommes possèdent sans le secours d'aucune instruction, comme celle de xii Dieu par exemple. « Nous pouvons savoir l'existence de choses que nous sommes inhabiles à déterminer; ainsi la raison reconnaît l'existence de la mer et du sable, quoiqu'elle ne puisse fixer les limites de la mer et le nombre des grains de sable. Nous concevons alors l'ensemble, sans pouvoir faire le dénombrement des parties. »

Il distingue avec soin les déterminations volontaires et involontaires, les caractères propres à chacune ; il fait voir comment certaines déterminations que la réflexion peut rendre volontaires, sont souvent involontaires par le seul fait de notre ignorance; comment ce qui est l'objet de l'examen diffère de ce qui est l'objet de la délibération. « La science est la matière de l'examen; l'art est celle de la délibération. Nous nous troublons souvent, dit-il, parce que nous confondons ces deux ordres de choses. »

La psychologie de Némésius est généralement fondée sur l'observation et l'expérience; il semble s'être proposé de prendre Galien pour modèle et pour guide, avec la seule différence que Galien avait essentiellement pour but d'étudier l'organisation physique, xiii et n'observait la nature morale que d'une manière occasionnelle et dans ses rapports avec celle-là; tandis que Némésius, au contraire, se propose essentiellement pour but l'étude de la nature morale, et n'observe l'organisation physique qu'en vue des instruments qu'elle offre à l'exercice des facultés intérieures. Ce trait caractéristique distingue Némésius de tous les philosophes qui ont paru sur la scène depuis les Antonins jusqu'à Roger Bacon, et lui assigne un rang à part.

On ne peut assez s'étonner de le voir apparaître ainsi seul au milieu d'une longue suite de siècles, marchant sur les traces d'Hippocrate et d'Aristote. On ne s'étonne pas moins de remarquer qu'il ait obtenu si peu d'attention ; on ne le trouve cité par aucun écrivain de cet âge; il est à peine soupçonné des modernes; aucun historien de la philosophie n'a jusqu'à ce jour résumé son traité de la Nature de l'Homme, et ne paraît même en avoir pris connaissance.

ÉDITIONS

DU TEXTE DE NÉMÉSIUS.

La première a été publiée par Nicaise Van Ellebode, de Cassel. Un vol. in-8°. Anvers,, 1565. Il y a joint une version latine bien supérieure à celles de Jean Cono (1512) et de George Valla (1533). Cette édition a été réimprimée dans Front. Ducœï Auctarium. bibliotb. Patrum. Paris, 1624, et dans Biblioth. Patrum. Paris, 1644.

La seconde est de Jean Fell, évêque d'Oxford. Un vol. in-8°. Oxford, 1671. Elle est accompagnée d'observations estimées. La version latine est celle de Van Ellebode avec quelques variantes. Cette édition a été réim- xv primée dans Ant. Gallandi Biblioth. gr.-lat. Patrum. Venise, 1788.

La troisième est de Christian Frédéric Mat-thaei. Un vol. in-8°. Hall, 1802; avec la version de Van Ellebode. Cette édition est la meilleure. Outre les corrections que Matthaei a faites dans le texte grec et dans la version latine de Van Ellebode, ce savant allemand a présenté et discuté les variantes qui se trouvent dans plusieurs manuscrits des XIe, XIIe, XIV, XVe et XVIe siècles.

suite

καὶ ἀκούσια.