Diogène Laërce
STILPON.
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LIVRE II.
STILPON. [113] Stilpon, natif de Mégare, ville de Grèce, fut disciple de quelques philosophes sectateurs d'Euclide. On dit même qu'il eut Euclide pour maître, et après lui Thraymaque de Corinthe, l'ami d'Ichthias, selon Héraclide. II était si inventif et si éloquent, qu'il surpassa tous ses compagnons d'étude, et peu s'en fallut que toute la Grèce ne fût surnommée Mégarienne. Philippe le Mégarien parle de lui à peu près en ces termes : « II enleva à Théophraste Métrodore, ce grand contemplateur, et Timagoras de Géloüs; à Aristote de Cyrène, Clitarque et Simmias ; aux dialecticiens, Poeonius, qu'il détacha d'Aristide, et Diphile de Bosphore, avec Myrmex d'Exénête, qu'il ôta à Euphante. Ils vinrent disputer dans son école et s'attachèrent à lui. »
[114] Il attira aussi Phrasidème,
péripatéticien et habile physicien, ainsi qu'Alcime, le plus fameux
des orateurs grecs de son temps, Cratès, Zénon de Phénicie, et
plusieurs autres. [115] On rapporte que Ptolémée Soter le reçut avec de grands témoignages de respect et d'estime, et qu'après avoir réduit sous sa puissance la ville de Mégare; qui était la patrie du philosophe, il lui donna de l'argent et le pria de s'embarquer avec lui pour l'Égypte; mais que Stilpon n'accepta qu'une petite partie de ce présent, en priant le roi de le dispenser de ce voyage, et qu'il se retira à Égine, où il resta jusqu'au départ de ce prince: Dans une autre occasion, Démétrius, fils d'Antigone, ayant aussi pris Mégare, ordonna non seulement qu'on épargnât sa maison, mais aussi qu'on lui restituât ce qu'ou lui avait enlevé ; et afin que tout lui fût rendu, il voulut se faire donner une liste de ce qu'il avait perdis. On ne m'a rien pris, répondit Stilpon ; on n'a point touché à ce qui m'appartient; je possède encore mon éloquence et ma science.
[116] Et à cette occasion, il exhorta le roi à se
montrer généreux envers les hommes ; ce qu'il fit avec tant de
force, que Démétrius se conduisit en tout par ses conseils. [117] Cratès lui ayant demandé si les prières étaient agréables aux dieux : Imprudent, lui dit-il, ne me fais point de pareilles questions en public; attends que nous soyons seuls. On dit aussi que Bion lit cette réponse à un homme qui lui demandait s'il y avait des dieux : Malheureux vieillard, écarte la foule, si tu veux que je t'en instruise. Stilpon était d'un caractère simple et exempt de dissimulation, pouvant s'accommoder à l'esprit le plus commun. Un jour qu'il parlait à Cratès le cynique, celui-ci, au lieu de lui répondre, lâcha un vent. Je me doutais bien, lui dit-il, que tu ferais toute autre réponse que celle qu'il fallait faire. [118] Un autre jour, Cratès lui ayant présenté une figue en lui adressant la parole, il la mangea d'abord. J'ai perdu ma figue, lui dit là-dessus Cratès; à quoi Stilphon repartit : Et aussi votre demande, dont cette figue était le gage. Ils se rencontrèrent une fois pendant l'hiver, et comme Stilpon vit l'autre à moitié mort de froid : Cratès, lui dit-il, il me semble que vous auriez besoin d'un manteau neuf; lui donnant à entendre qu'il avait autant besoin d'esprit que d'habillements (01). Cette raillerie rendit le cynique confus, et lui fit faire cette réponse : « Autrefois, étant à Mégare où habitait Typhée, j'ai vu Stilpon, en proie à mille maux, disputer au milieu d'une foule de jeunes gens, et ne leur enseigner d'autre science qu'une sagesse superficielle. »
[119]
On dit qu'étant à Athènes, il gagna tellement l'affection de tout le
monde, que chacun sortait de sa maison pour le voir ; quelqu'un lui
dit là-dessus : On vous admire comme un animal de rare espèce: Point
du tout, reprit-il; on me regarde seulement parce que je soutiens
bien la qualité d'homme. [120] Il a laissé neuf dialogues, mais écrits avec peu de grâce; ils sont intitulés le Moschus, l'Aristippe ou le Callias, le Ptolémée, le Choerécrate, le Métrocle, l'Anaximène, l'Epigène, l'Aristote. Enfin celui qui est adressé à sa fille. Héraclide nous apprend qu'il fut maître de Zénon , chef de la secte stoïcienne. Hermippe dit qu'il mourut fort vieux, et qu'il prit du vin pour accélérer sa mort. Voici l'épitaphe que je lui ai faite : Vous connaissez sans doute Stilpon de Mégare, qui, étant affligé de vieillesse et de maladie, a trouvé dans le vin un conducteur habile qui l'a délivré de cet attelage incommode.
Sophile, poète comique, a repris Stilpon dans une de ses pièces
intitulée les Noces, où il l'accuse d'avoir puisé sa doctrine dans
les discours de Charinus.
(01) Cela est fondé sur un jeu de mots qu'on ne saurait rendre en
français.
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