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table des matières de DIOGENE LAERCE

Diogène Laërce

 

 

LIVRE PREMIER

 

PÉRIANDRE

texte grec

 

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  Cléobule                 Anacharsis

 



LIVRE PREMIER.

PÉRIANDRE.

[94] Périandre de Corinthe était fils de Cypsèle, et issu de la famille des Héraclides. Il épousa Lysis, à laquelle il donna le nom de Mélisse. Elle était fille de Proclès, tyran d'Épidaure, et d'Eristhénée qui était fille d'Aristocrate, et sœur d'Aristodème, personnages qui, au rapport d'Héraclide de Pont, dans son livre du Gouvernement , commandaient alors à presque toute l'Arcadie. Périandre eut de Lysis deux fils, Cypsélus et Lycophron; l'aîné passait pour idiot, mais le cadet avait du génie. Dans la suite, Périandre, ayant pris querelle avec sa femme, se laissa aller à un si violent transport de colère, que, malgré sa grossesse, il la jeta du haut des degrés et la tua à coups de pied, étant porté à cela par les calomnies de ses concubines, qu'il fit cependant brûler ensuite. Il bannit son fils Lycophron à Corcyre, à cause de la tristesse où l'avait plongé la mort de sa mère. [95] Depuis, se sentant affaiblir par l'âge, il le rappela pour lui remettre son autorité; mais les Corcyréens, en étant avertis, ôtèrent la vie au jeune homme. Cette nouvelle l'irrita tellement, qu'il envoya les enfants de ces insulaires à Alyattes, pour les faire eunuques; mais comme le vaisseau approchait de Samos, ils adressèrent des vœux à Junon, et furent délivrés par les habitants du lieu. Périandre en fut si mortifié, qu'il en mourut de douleur, âgé de près de quatre-vingts ans. Sosicrate assure que sa mort arriva quarante ans avant la captivité de Crésus et un an avant la quarante-neuvième olympiade. Hérodote, dans le premier livre de ses Histoires, dit qu'il fut quelque temps chez Thrasybule, tyran de Milet.

[96] Aristippe, dans son premier livre des Délices de l'Antiquité, raconte que Cratée sa mère, s'étant prise de passion pour lui, venait secrètement auprès de lui de son consentement, et que, ce commerce étant devenu public, le déplaisir qu'il ressentit d'avoir été surpris le rendit cruel. Éphore raconte aussi, dans son Histoire, qu'il fit vœu de consacrer une statue d'or s'il était vainqueur dans la course des chars aux jeux olympiques; qu'il eut le succès qu'il souhaitait; mais que, n'ayant pas de quoi fournir à son vœu , il dépouilla, pour s'en acquitter, toutes les femmes des bijoux dont elles s'étaient parées dans une fête publique. On dit encore que, voulant qu'après sa mort on ignorât ce que son corps était devenu, il s'avisa de cet expédient : qu'il montra à deux jeunes gens un chemin où ils devaient se trouver pendant la nuit, en leur ordonnant d'assassiner et d'enterrer le premier qui viendrait à leur rencontre; qu'ensuite il en instruisit quatre autres qui devaient aussi tuer et enterrer ceux qu'ils trouveraient dans ce chemin; et enfin en nomma plusieurs autres qui devaient venir tuer ceux-là; et qu'il fut tué ainsi, s'étant présenté à la rencontre des deux qu'il avait envoyés les premiers. Les habitants de Corinthe mirent ces vers sur son tombeau :

[97] Corinthe, contrée maritime, a reçu dans son sein Périandre dont elle était la patrie, et que ses richesses et sa sagesse ont rendu illustre.

Voici une autre épitaphe que j'ai faite pour lui :

Ne vous livrez point à la tristesse à cause que sous n'obtenez point ce que vous désirez, mais soyez contents de ce que Dieu vous donne. Ce fut l'abattement où tomba le sage Périandre, de ce qu'il ne parvenait point au sort qu'il désirait, qui lui fit quitter la vie.

Il avait pour maxime qu'il ne faut rien faire pour l'amour de l'argent, parce qu'il faut gagner les choses qui procurent du gain (01). Il écrivit des préceptes jusqu'au nombre de deux mille vers. Il disait que, pour régner tranquillement, il fallait être gardé par la bienveillance publique plutôt que par les armes. On lui demandait pourquoi il persistait dans sa tyrannie : Parce, dit-il , qu'il est également dangereux d'y renoncer volontairement et d'être contraint à la quitter. On lui attribue aussi ces sentences : Le repos est agréable, la témérité périlleuse ; le gain est honteux; le gouvernement populaire vaut mieux que le tyrannique ; [98] la volupté est passagère et la gloire immortelle. Soyez modéré dans le bonheur et prudent dans les événements contraires. Montrez-vous toujours le même envers vos amis, soit qu'ils soient heureux ou malheureux. Acquittez-vous de vos promesses, quelles qu'elles soient. Ne divulguez pas les secrets qui vous sont confiés. Punissez non-seulement ceux qui font mal, mais même ceux qui témoignent vouloir mal faire.
Périandre fut le premier qui soumit l'autorité de la magistrature à la tyrannie, et se fit escorter par des gardes, ne permettant pas même de demeurer dans la ville à tous ceux qui le voulaient, comme le rapportent Éphore et Aristote. Il florissait vers la trente-huitième olympiade, et se maintint pendant quarante ans dans sa tyrannie. Sotion, Héraclide, et Pamphila, dans le cinquième livre de ses Commentaires, distinguent deux Périandres, l'un tyran, et l'autre philosophe qui était de la ville d'Ambracie. [99] Néanthe de Cyzique veut même qu'ils aient été cousins germains du côté de père. D'un autre côté, Aristote dit que celui de Corinthe était le sage, et Platon le nie.
Il avait coutume de dire que le travail vient â bout de tout. Il voulut percer l'isthme de Corinthe. On lui attribue ces lettres :

PÉRIANDRE AUX SAGES.

« Je rends grâces à Apollon Pythien de ce qu'il a permis que je vous écrivisse dans un temps où vous êtes tous assemblés en un même lieu. J'espère que mes lettres vous conduiront à Corinthe ; et je vous recevrai, comme vous le verrez vous-mêmes, d'une manière tout-à-fait populaire. L'année dernière, vous fûtes à Sardes en Lydie ; venez, je vous prie, celle-ci, à Corinthe, dont les habitants vous verront avec plaisir rendre visite à Périandre. »

PÉRIANDRE à PROCLès.

[100] « Le crime que j'ai commis contre mon épouse a été involontaire. Mais vous ferez une injustice, si vous me témoignez volontairement votre ressentiment, en vous servant pour cela de mon fils. Faites donc cesser son inhumanité envers moi, ou je m'en vengerai sur vous. J'ai vengé la mort de votre fille en condamnant mes concubines au feu, et en faisant brûler vis-à-vis de son tombeau les vêtements des femmes de Corinthe. »

Il reçut de Thrasybule une lettre conçue en ces termes :

THRASYBULE A PÉRIANDRE.

«  Je n'ai rien répondu aux demandes de votre héraut. Je me suis contenté de le mener dans un champ semé de blé, où, tandis qu'il me suivait, j'abattais avec mon bâton les épis qui s'élevaient au-dessus des autres, en lui recommandant de vous faire rapport de ce qu'il voyait. Faites comme moi. Et si vous voulez conserver votre domination, faites périr les principaux de la ville, amis ou ennemis, il n'importe. L'ami même d'un tyran doit lui être suspect. »

(01) Ce passage est obscur, et Ménage n'en dit qu'un mot. Le sens est, ce me semble, que le gain qu'on acquiert en faisant pour de l'argent une chose qu'on devrait faire autrement, est un gain qu'on ne mérite pas, et qui n'est proprement pas gagné.