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table des matières de DIOGENE LAERCE

Diogène Laërce

 

 

ÉPIMÉNIDE

texte grec

 

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  Myson                 Phérécide

 

[109] Théopompe et d'autres avec lui disent qu'Épiménide était fils de Phestius; quelques uns lui donnent pour père Dosias, d'autres Agésarque. II était Crétois d'origine et naquit à Gnosse; mais, comme il laissait croître ses cheveux, il n'avait pas l'air d'être de ce pays. Un jour, son père l'ayant envoyé aux champs pour en rapporter une brebis, il s'égara à l'heure de midi, et entra dans une caverne où il s'assoupit et dormit pendant cinquante-sept ans. A son réveil il chercha sa brebis, comptant n'avoir pris qu'un peu de repos; mais comme il ne la trouva plus, il retourna aux champs. Étonné de voir que tout avait changé de face et de possesseur, il prit le chemin de son village, où, voulant entrer dans la maison de son père, on lui demanda qui il était; à peine fut-il reconnu de son frère, qui avait vieilli depuis ce temps-là, et par les discours duquel il comprit la vérité.

[110] Au reste, sa réputation se répandit tellement en Grèce qu'on alla jusqu'à le croire particulièrement favorisé du ciel. Dans cette idée, les Athéniens étant affligés de la peste, sur la réponse de l'oracle qu'il fallait purifier la ville, envoyèrent Nicias , fils de Nicérate, en Crète, pour chercher Épiménide et l'amener à Athènes. Il s'embarqua la quarante-sixième olympiade, purifia la ville, et fit cesser la contagion. Il s'y était pris de cette manière. Il choisit des brebis blanches et noires qu'il mena jusqu'au lieu de l'Aréopage, d'où il les laissa aller au hasard, en ordonnant à ceux qui les suivaient de les sacrifier aux divinités des lieux où elles s'arrêteraient. Ainsi cessa la peste ; et il est certain que, dans tous les villages d'Athènes, on rencontre encore aujourd'hui des autels sans dédicace, élevés en mémoire de cette expiation. Il y en a qui prétendent que la cause de cette peste fut le crime commis dans la personne de Cylon, voulant parler de la manière dont il avait perdu la vie (01) ; ils ajoutent que la mort de deux jeunes gens, Cratinus et Ctésibius, fit cesser la calamité. [111] Les Athéniens, en reconnaissance du service qu'Épiménide leur avait rendu, résolurent de lui donner un talent et le vaisseau qui devait le reconduire en Crète ; mais il n'accepta aucun argent, et n'exigea d'eux que de vivre en alliance arec les habitants de Gnosse. Peu de temps après son retour, il mourut, la cinquante-septième année de son âge, selon Phlégon, dans son livre De ceux qui ont vécu longtemps. Ses compatriotes prolongent sa vie jusqu'à deux cent quatre-vingt-dix-neuf ans, et Xénophane de Colophon rapporte avoir entendu dire qu'il mourut dans sa cent cinquante-quatrième année.

Épiménide publia une généalogie des Curètes et des Corybantes, et une génération des dieux, en cinq mille vers; six mille cinq cents vers sur la structure du vaisseau des Argonautes et sur le voyage de Jason dans la Colchide ; [112] un discours en prose sur les sacrifices, et sur la république de Crète ; et enfin un ouvrage poétique de quatre mille vers touchant Minos et Rhadamanthe. Lobon d'Argos, dans son livre des Poètes, dit qu'il bâtit à Athènes un temple en l'honneur des Euménides. Il est aussi censé être le premier qui purifia les maisons et les champs, et qui éleva des temples. Quelques-uns, au lieu de croire qu'il dormit d'un si long sommeil, pensent que, pendant ce temps-là, il erra de côté et d'autre pour connaître les vertus des simples. On a encore une de ses lettres au législateur Solon sur la forme du gouvernement que Minos prescrivit aux Crétois; mais Démétrius de Magnésie, dans son livre des Poètes et des Écrivains qui ont porté les mêmes noms, tâche de prouver qu'elle est moderne, et que tant s'en faut que son style soit celui de Crète, qu'au contraire on y remarque la diction attique et même la nouvelle. La lettre qui suit est différente de celle-là, et m'est tombée entre les mains :

ÉPIMÈNIDE A SOLON.

[113] «  Prenez courage, mon cher ami. Si Pisistrate avait entrepris de soumettre un peuple accoutumé à l'esclavage ou dépourvu de bonnes lois, il y aurait lieu de craindre que sa tyrannie se perpétuât ; mais il a soumis des hommes courageux, qui, imbus des préceptes de Solon, rougissent de leur servitude. Ils ne souffriront pas patiemment celle tyrannie ; et quoique Pisistrate soit maître de la ville, j'espère qu'il ne transmettra pas son autorité à ses enfants. Il est difficile que des hommes libres, accoutumés à d'excellentes lois, se rendent esclaves. Pour vous, que le soin de votre conservation ne vous oblige pas de passer de lieu en lieu; venez me joindre en Crète, où nous sommes à couvert des vexations de la tyrannie : car s'il arrivait que les partisans de Pisistrate vous rencontrassent, vous pourriez tomber dans quelque malheur. »

[114] Démétrius dit que quelques uns racontent qu'Épiménide recevait sa nourriture des nymphes, et la cachait dans la corne d'un pied de bœuf; qu'il la prenait peu à peu; que la nature ne faisait point en lui les fonctions ordinaires, et qu'on ne le vit jamais manger. Timon parle aussi de cela dans ses Œuvres.

Il y en a qui disent que les habitants de Crète l'ont déifié, et lui offrent des sacrifices. On dit aussi qu'il était doué d'une connaissance extraordinaire; et qu'ayant vu Munychie, ville et port de l'Attique, il dit que les Athéniens ignoraient combien de maux ce lieu leur causerait, et que, s'ils le savaient, ils le détruiraient avec les dents. Il présageait cela longtemps avant l'événement. On rapporte encore qu'il fut le premier qui prit le nom d'Éacus ; qu'il prédit aux Lacédémoniens qu'ils seraient soumis par les Arcadiens, et qu'il se fit passer plusieurs fois pour être ressuscité. Théopompe, dans ses livres des Choses admirables, dit qu'ayant bâti un temple pour les nymphes, une voix céleste lui dit : Épiménide, ne le dédie point aux Nymphes, mais à Jupiter. Il prédit aussi aux Crétois quelle serait l'issue de la guerre entre les Lacédémoniens et les Arcadiens; c'est-à-dire que les premiers seraient vaincus, comme ils le furent, près d'Orchomène. [115] Théopompe affirme (ce que disent quelques uns) qu'Épiménide vieillit en autant de jours qu'il avait dormi d'années. Myronian, dans ses Similitudes, rapporte que les Crétois l'appelaient Curète; et Sosibe de Lacédémone dit que les Lacédémoniens conservent son corps, ayant été avertis de le faire par un oracle. Outre cet Épiménide, il y en a eu deux autres, l'un généalogiste, l'autre historien et auteur de l'Histoire de Rhodes, écrite en dialecte dorique.

(01) C'était un rebelle, ou un séditieux, qui s'étant réfugié auprès de l'autel des Euménides en fut arraché.