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FRONTON

 

 

LETTRES

DE M. C. FRONTO

A M. CAESAR,

ET DE M. CAESAR A M. C. FRONTO

LIVRE QUATRIÈME

Oeuvre numérisée et mise en page par Thierry Vebr

 

 

M. CORNELII FRONTONIS

EPISTULAE

AD M. CAESAREM

ET INVICEM

LIBER QUARTUS

EPISTOLA I.

(FRONTO, CAESARI.)

... et columbae cum lupis et aquilis cantantem sequebantur inmemores insidiarum et unguium et dentium. Quae fabula recte interpretantibus illud profecto significat fuisse egregio ingenio eximiaque eloquentia virum, qui plurimos virtutum suarum facundiaeque admiratione devinxerit; eumque amicos ac sectatores suos ita instituisse, ut, quamquam diversis nationibus convenae variis moribus inbuti, concordarent tamen et consuescerent et congregarentur, mites cum ferocibus, placidi cum violentis, cum superbis moderati, cum crudelibus timidi: omnes deinde paulatim vitia insita exuerent, virtutem sectarentur, probitatem condiscerent : pudore inpudentiam, obsequio contumaciam, benignitate malivolentiam commutarent.

Quo si quis umquam ingenio tantum valuit, ut amicos ac sectatores suos amore inter se mutuo copularet, tu hoc profecto perficies multo facilius, qui ad omnis virtutes natus es prius quam institutus. Nam priusquam tibi aetas institutioni sufficiens adolesceret, jam tu perfectus atque omnibus bonis artibus absolutus: ante pubertatem vir bonus; ante togam virilem dicendi peritus. Verum ex omnibus virtutibus tuis hoc vel praecipue admirandum, quod omnis amicos tuos concordia copulas. Nec tamen dissimulaverim multo hoc esse difficilius, quam ut ferae ac leones cithara mitigentur : quod tu facilius obtinebis, si unum illud vitium funditus extirpandum eruendumque curaveris, ne liveant neve invideant invicem amici tui : neve, quod tu alii tribueris ac bene feceris, sibiquisque illud deperire ac detrahi putet. Invidia perniciosum inter homines malum maximeque internecivum, sibi aliisque pariter obnoxium; sed si procul a cohorte tua prohibueris, uteris amicis concordibus et benignis, ut nunc uteris : sin aliqua pervaserit, magna molestia magnoque labore erit restinguendum. Sed meliora, quaeso, fabulemur.

Amo Julianum : inde enim hic sermo defluxit;  amo omnis, qui te diligunt ; amo deos, qui te tutantur ; amo vitam propter te ; amo litteras tecum: cum amicis tuis mihi amorem tui ingurgito.

LETTRES

DE M. C. FRONTO

A M. CAESAR,

ET DE M. CAESAR A M. C. FRONTO

LIVRE QUATRIÈME

LETTRE I

(FRONTO, A CAESAR)

*** Et pendant qu'il chantait, les colombes le suivaient avec les loups et les aigles, oubliant les embûches, les ongles et les dents. Cette fable, pour ceux qui l'entendent bien, signifie que ce fut un homme d'un beau génie et d'une rare éloquence, puisqu'il s'attachait des multitudes d'hommes par l'admiration de ses vertus et de sa parole, et que la force de ses institutions fut telle que ses amis, ses sectateurs, quoique de nations différentes et de mœurs opposées, s'accordaient cependant, s'habituaient et se réunissaient ensemble, les doux avec les féroces, les paisibles avec les violents, avec les superbes les modérés, avec les cruels les timides ; que tous peu à peu dépouillaient les vices de leur nature, suivaient la vertu, apprenaient la probité, remplaçaient l'impudence par la pudeur, l'arrogance par la soumission, et la méchanceté par la bonté.
Que si quelqu'un, par la puissance de son génie, a pu réunir amis et sectateurs dans les liens d'un amour mutuel, certes tu le feras bien plus facilement, toi, né pour les vertus, avant que d'y avoir été formé. Car avant d'avoir atteint l'âge suffisant pour l'institution, tu étais déjà parfait et accompli en talents et en vertus, homme de bien avant la puberté ; habile à parler avant la toge virile. Mais ce qu'il y a de plus admirable dans toutes tes vertus, c'est que tu lies tous tes amis par la concorde ; et cependant je ne dissimulerai pas que cela est plus difficile que d'apprivoiser les bêtes sauvages et les lions avec la cithare. Tu l'obtiendras pías aisément, si tu t'appliques à arracher et à extirper dans sa racine ce seul vice de l'envie, en sorte que tes amis ne se voient point entre eux d'un oeil jaloux et envieux, et qu'aucun ne croie que tes grâces et tes bienfaits accordés à un autre, lui sont enlevés et se trouvent perdus pour lui. L'envie est un mal pernicieux parmi les hommes et le plus meurtrier de tous, à soi comme aux autres également funeste ; mais si tu parviens à en préserver ta cour, tu auras des amis unis et bienveillants comme ceux d'aujourd'hui ; si au contraire elle y pénètre par quelque endroit, ce sera une grande peine et un grand travail que de l'éteindre ! Mais parlons, s'il te plaît, de choses plus agréables.

J'aime Julianus, c'est lui, en effet, qui a donné lieu à cette lettre. J'aime tous ceux qui t'aiment ; j'aime les dieux qui te protègent ; j'aime la vie à cause de toi, j'aime les lettres avec toi. Avec tes amis je m'enivre de ton amour.

EPISTOLA II.

CAESAR, M. FRONTONI.

Carissime, quamquam ad te cras venio, tamen tam amicis tamque jucundis litteris tuis, tam denique elegantibus, nihil, ne hoc quidem tantulum, rescribere non sustineo, mi Fronto carissime. Sed quid ego prius amem? pro quo prius habeam gratiam? Id ne primum commemorem, quod in tantis domesticis studiis tantisque extrariis negotiis occulatus, tamen ad Julianum nostrum visendum mea maxime gratia, nam sim ingratus nisi id intellegam, ire conisus es? Sed non magnum est ; tamen ut est, si cetera addas, tanto temporis spatio ibi te demorari, tantum sermocinari, idque ad me sermocinari aut, quod ad valetudinem ejus consolandam esset : aegrum commodiorem sibi ; amicum amiciorem mihi facere : tum autem de iis singillatim ad me perscribere : inibi scribere nuntium de ipso Juliano optatissimum, verba suavissima, consilia saluberrima. Quid illud, quod dissimulare nullo modo possum, apud alium dissimulaturus? utique illud ipsum, quod tanta ad me scripsisti, cum cras venturus essem ? Id vero mihi longe fuit gratissimum, in eo ego me beatissimum supra omnis homines arbitratus sum : nam quanti me faceres, quantamque amicitiae meae haberes fiduciam, in eo maxime atque dulcissime ostendisti. Quid ego addam, nisi te merito amo? Sed quid dico merito? nam utinam pro tuo merito te amare possem! Atque id est, quod saepe absenti atque insonti tibi irascor atque suscenseo, quod facis ne te, ut volo, amare possim ; id est, ne meus animus amorem tuum usque ad summum columen ejus persequi posset.

De Herode quod dicis, perge, oro te, ut Quintus noster ait, pervince pertinaci pervicacia. Et Herodes te amat, et ego istic huc ago, et qui te non amat, profecto neque ille animo intellegit, neque oculis videt : nam de auribus nihil dico ; nam omnibus aures tuae voculae subserviunt sub jugum subactae. Mihi et hodiernus dies verno die longior, et nox veniens hiberna nocte prolixior videtur atque videbitur. Nam cum maximo opere Frontonem meum consalutare, tum harum recentium litterarum scriptorem praecipue cupio conplecti. Haec cursim ad te scripsi, quia Maecianus urgebat, et fratrem tuum maturius ad te reverti aecum erat. Quaeso igitur, siquod verbum absurdius, aut inconsultior sensus, aut infirmior littera istic erit, id tempori adponas : nam cum te ut amicum vehementissime diligam, tum meminisse oportet, quantum amorem amico, tantum reverentiae magistro praestare debere. Vale, mi Fronto carissime et supra omnis res dulcissime.

Sota Ennianus remissus a te, et in charta puriore et volumine gratiore et littera festiviore quam antea fuerat, videtur. Gracchus cum cado musti maneat, dum venimus : neque enim metus est Gracchum interea cum musto defervere posse. Valeas semper, anima suavissima.
 

LETTRE II

CAESAR A M. FRONTO.

Très cher, quoique je me rende demain auprès de toi, cependant je ne puis me résoudre, mon très cher Fronto, à ne rien répondre, pas même ce petit mot, à ta lettre si amicale, si agréable, enfin si élégante. Mais qu'aimerai-je d'abord ? de quoi d'abord remercierai-je ? Commencerai-je par rappeler que, malgré tes études si sérieuses à la maison, tes affaires si importantes au dehors, tu n'as pas laissé de prendre sur toi d'aller voir notre Julianus, et cela surtout à cause de moi, car je serais ingrat si je ne le comprenais pas. Mais ce n'est pas un grand effort. Cependant à cela ajoute encore ton séjour si prolongé, durant lequel tu as tant parlé et parlé de moi, ou de tout ce qui pouvait consoler le malade, le remettre mieux avec lui-même, m'en faire un ami plus ami encore : et puis tu me racontes tout cela en détail ; tu m'écris du même lieu la nouvelle la plus ardemment désirée sur lui, sur Julianus, avec les paroles les plus aimables et les conseils les plus salutaires ! Quoi ! ce que je ne puis dissimuler en aucune manière, le dissimulerai-je à un autre ? par exemple, quand tu m'as écrit une longue et belle lettre, quoique je dusse arriver le lendemain ? Eh bien, c'est cela qui m'a été le plus agréable, c'est en cela que je me suis trouvé plus heureux que tous les hommes ensemble ; car en cela tu as montré avec toute la force et tout le charme possibles quelle estime tu faisais de moi, et quelle confiance tu avais en mon amitié. Qu'ajouterai-je, si ce n'est que j'ai toute raison de t'aimer ? Mais que dis-je, raison ! ah ! plût aux dieux que je pusse t'aimer selon ton mérite ! et c'est pour cela que je me surprends quelquefois a me fâcher et à m'irriter contre toi, quoique absent et non coupable, de ce que tu fais que je ne puisse t'aimer autant que je le veux, c'est-à-dire que mon cœur ne puisse suivre ton amour à cette hauteur où il s'est placé.
Par rapport à Hérodès, continue, je t'en prie ; pousse-le à bout, comme dit notre Quintus, par une obstinée obstination. Hérodès t'aime, et moi j'en fais autant ici ; et quiconque ne t'aime pas, ne comprend point avec son esprit, ne voit point avec ses yeux ; je ne dis rien des oreilles, car toutes les oreilles sont les esclaves de ta voix qui les a mises sous le joug. Le jour d'aujourd'hui me paraît plus long qu'un jour de printemps. Or la nuit qui s'approche me paraît et me paraîtra plus longue qu'une nuit d'hiver ; car je ne désire rien tant que de saluer mon cher Fronto, et surtout d'embrasser l'auteur de cette dernière lettre. J'ai écrit tout ceci à la hâte, parce que Maecianus pressait, et qu'il était convenable que ton frère retournât de bonne heure vers toi. Je te prie donc, s'il se trouve quelque mot impropre, quelque pensée irréfléchie, quelque lettre mal formée, de l'imputer au manque de temps ; car si je t'aime avec force comme ami, je dois me souvenir aussi qu'autant je porte d'affection à l'ami, autant je dois porter de respect au maître. Adieu, mon très cher Fronto, toi que j'aime par-dessus toute chose.
Le Sota d'Ennius que tu m'as renvoyé me paraît écrit sur un papier plus net, d'un format plus agréable, et d'un caractère plus élégant qu'auparavant. Que le Gracchus reste avec le tonneau de vin jusqu'à notre arrivée ; car il n'est pas à craindre que dans l'intervalle Gracchus puisse fermenter avec le vin. Porte-toi toujours bien, âme si chère.

EPISTOLA III.

DOMINO MEO FRONTO.

Omnium artium, ut ego arbitror, imperitum et indoctum omnino esse praestat, quam semiperitum ac semidoctum. Nam qui sibi conscius est artis expertem esse, minus adtemptat, eoque minus praecipitat ; diffidentia profecto audaciam prohibet. At ubi quis leviter quid cognitum pro conperto ostentat, falsa fiducia multifariam labitur. Philosophiae quoque disciplinas aiunt satius esse numquam attigisse, quam leviter et primoribus, ut dicitur, labiis delibasse ; eosque provenire malitiosissimos, qui in vestibulo artis obversati, prius inde averterint, quam penetraverint. Tamen est in aliis artibus ubi interdum delitiscas, et peritus paulisper habeare, quod nescias. In verbis vero eligendis conlocandisque ilico dilucet : nec verba dare diutius potest, quin se ipse indicet verborum ignarum esse eaque male probare, et temere existimare, et inscie contrectare, neque modum neque pondus verbi internosse.

Quam ob rem rari admodum veterum scriptorum in eum laborem studiumque et periculum verba industriosius quaerendi sese commisere. Oratorum post homines natos unus omnium M. Porcius ejusque frequens sectator C. Sallustius : poetarum maxime Plautus, multo maxime Q. Ennius, eumque studiose aemulatus L. Coelius, nec non Naevius, Lucretius, Accius etiam, Caecilius, Laberius quoque. Nam praeter hos, partim scriptorum animadvertas particulatim elegantis, Novium et Pomponium et id genus in verbis rusticanis et jocularibus ac ridiculariis, Attam in muliebribus, Sisennam in lasciviis, Lucilium in cujusque artis ac negotii propriis.

Hic tu fortasse jandudum requiras, quo in numero locem M. Tullium, qui caput atque fons romanae facundiae cluet. Eum ego arbitror usquequaque verbis pulcherrimis elocutum et ante omnis alios oratores ad ea, quae ostentare vellet, ornanda, magnificum fuisse. Verum is mihi videtur a quaerendis scrupulosius verbis procul afuisse vel magnitudine animi, vel fuga laboris, vel fiducia non quaerenti etiam sibi, quae vix aliis quaerentibus subvenirent, praesto adfutura. Itaque conperisse videor, ut qui ejus scripta omnia studiosissime lectitarim, cetera eum genera verborum copiosissime uberrimeque tractasse, verba propria, translata, simplicia, conposita et, quae in ejus scriptis ubique dilucent, verba honesta, saepenumero etiam amoena : quom tamen in omnibus ejus orationibus paucissima admodum reperias insperata adque inopinata verba, quae, nonnisi cum studio atque cura atque vigilantia adque multa veterum carminum memoria indagantur. Insperatum autem adque inopinatum verbum appello, quod praeter spem atque opinionem audientium aut legentium promitur : ita ut si subtrahas, adque eum, qui legat, quaerere ipsum jubeas, aut nullum, aut non ita significando adcommodatum verbum aliud reperiat. Quam ob rem te magno opere conlaudo, quod ei rei curam industriamque adhibes, ut verbum ex alto eruas et ad significandum adcommodes. Verum, ut initio dixi, magnum in ea re periculum est, ne minus apte aut parum dilucide aut non satis decore, ut a semidocto, conlocetur: namque multo satius est volgaribus et usitatis, quam remotis et requisitis uti, si parum significet.

Haud sciam an utile sit demonstrare, quanta difficultas, quam scrupulosa et anxia cura in verbis probandis adhibenda sit, ne ea res animos adulescentium retardet, aut spem adipiscendi debilitet. Una plerumque littera translata aut exempta aut inmutata vim verbi ac venustatem commutat et elegantiam vel scientiam loquentis declarat. Equidem te animadverti, quom mihi scripta tua relegeres, adque ego de verbo syllabam permutarem, te id neglegere, nec multum referre arbitrari. Nolim igitur te ignorare syllabae unius discrimen quantum referat. Os colluere dicam : pavimentum autem in balneis pelluere, non colluere : lacrimis vero genas labere dicam, non pelluere neque colluere; vestimenta autem lavare, non lavere : sudorem porro et pulverem abluere, non lavare; sed maculam elegantius eluere quam abluere. Siquid vero magis heserit, nec sine aliquo detrimento exigi possit, plautino verbo elavere dicam. Tum praeterea mulsum diluere, fauces proluere, ungulam jumento subluere. Tot exemplis unum atque idem verbum syllabae atque litterae commutatione in varium modum ac sensum usurpatur: tam hercule quam faciem medicamento litam, caeno corpus oblitum, calicem melle delitum, mucronem veneno praelitum, radium visco inlitum, rectius dixerim.

Haud sciam an quis roget: nam quis me prohibet vestimenta lavere potius quam lavare ? sudorem lavare potius quam abluere dicere? Tibi vero nemo in ea re intercedere aut modificarei jure ullo poterit, qui sis liberis prognatus, et equitum censum praetervehare et in senatu sententiam rogare : nos vero, qui doctorum auribus servituti serviendae nosmet dedimus, necesse est tenuia quoque ista et minuta summa cum cura persequaremur. Verba prosus alii vecte et malleo, ut silices, moliuntur ; alii autem caelo et marculo, ut gemmulas exculpunt : te aequius erit ad quaerenda sollertius verba, quod correctus sis, meminisse quam, quod deprehensus, detractare aut retardari. Nam si quaerendo desistes, numquam reperies; si perges quaerere, reperies. Denique visus etiam es mihi, insuper habuisse, cum ordinem verbi tui immutassem, uti ante ‘tricipitem’ diceres, quam Geryonam nominares. Id quoque ne ignores: pleraque in oratione, ordine inmutato, vel rata verba fiunt vel supervacanea. Navem triremem rite dicerim ; triremem navem supervacaneo addiderim. Neque enim periculum est, nequis lecticulam aut redam, aut citharam triremem dici arbitretur. Tum praeterea quom commemorares, cur Parthi manuleis laxioribus uterentur, ita, opinor, scripsisti, intervallis vestis aestum ut suspendi diceres. Ain tandem, quo pacto aestus suspenditur? Neque id reprehendo, te verbi translatione audacius progressum : quippe qui Enni sententia oratorem audacem esse debere censeam. Sit sane audax orator, ut Ennius postulat; sed a significando, quod volt eloqui, nusquam digrediatur. Igitur voluntatem quidem tuam magno opere probavi laudavique quom verbum quaerere adgressus es; indiligentiam autem quaesiti verbi, quod esset absurda, reprehendi : namque manuleorum intervallis, quae interdum laxata videmus atque fluitantia, suspendi aestus non potest: potest aestus per vestis intervalla depelli, potest degi, potest demeare, potest circumduci, potest interverti, potest eventilari : omnia denique potius potest, quam posse suspendi ; quod verbum suspendi sustineri, non per laxamenta deduci significat.

Post ista monui quibus studiis, quoniam ita velles, te historiae scribundae praeparares. Qua de re cum longior sit oratio, ne modum epistulae egrediar, finem facio. Si tu de ea quoque re scribi ad te voles, etiam atque etiam admonebis.

LETTRE III

A MON SEIGNEUR, FRONTO

Il vaut mieux, à mon avis, être tout à fait ignorant et inhabile que savant et habile à demi. En effet, celui qui a la conscience de son inhabileté est moins hardi, et dès lors moins précipité, car la défiance empêche l'audace ; mais si quelqu'un se donne pour connaître à fond ce qu'il connaît à peine, par sa confiance aveugle il trébuche à chaque pas. On dit aussi qu'il vaut mieux n'avoir jamais approché de l'étude de la philosophie que de l'avoir effleurée à peine, et comme on dit, du bout des lèvres ; et que ceux-là deviennent pleins de malice, qui, après avoir séjourné quelque peu dans le vestibule de la science, en sont sortis avant d'avoir pénétré plus avant. Il y a cependant d'autres arts où l'on peut se déguiser, et passer un moment pour habile dans ce qu'on ne sait pas ; mais on se fait bientôt reconnaître au choix et à l'emploi des mots. Nul ne peut longtemps prononcer des mots sans montrer lui-même qu'il ignore les mots, qu'il les apprécie mal, qu'il les choisit au hasard, qu'il les emploie sans goût, et qu'il n'a aucune idée ni de leur valeur, ni de leur acception.

C'est pourquoi fort peu d'anciens écrivains se sont livrés au pénible et périlleux travail de rechercher soigneusement les mots. De tous les orateurs depuis la naissance des hommes, M. Porcius est le seul avec C. Sallustius, son sectateur assidu. Parmi les poètes, Plautus s'y distingue, Ennius plus encore, et L. Coelius, son imitateur zélé, puis Naevius Lucrétius, Accius, Caecilius et aussi Labérius. Outre ceux-là, tu trouveras quelques écrivains remarquables pour l'emploi des mots propres dans des sujets particuliers ; Novius et Pomponius et autres du même genre dans les sujets rustiques, bouffons et satiriques, Atta dans les sujets féminins, Sisenna dans les licencieux, Lucilius dans tout ce qui a rapport aux arts et aux affaires.

Tu me demandes peut-être ici en quel ordre je placerai ce M. Tullius, première et féconde source de l'éloquence romaine ? Je pense que jamais homme n'a porté plus loin que lui la beauté du langage, et qu'il est le premier de tous les orateurs dans l'art de relever par la magnificence des expressions tout ce qu'il veut faire valoir. Il me paraît cependant qu'il est loin d'avoir donné un soin scrupuleux à la recherche des mots, soit par grandeur d'âme, soit par fuite du travail, soit par la confiance que, même sans qu'il cherchât, il s'en offrirait à lui que d'autres ne trouveraient pas même en cherchant. Aussi je crois avoir reconnu, pour avoir lu et relu avec soin tous ses ouvrages, que nul n'est plus riche et plus fécond dans l'emploi de tous les genres de mots, mots propres, figurés, simples, composés, et de ces mots pleins de décence, et de grâce bien souvent, qui brillent en ses écrits. Dans tous ses discours cependant tu ne rencontrerais que très peu de ces mots inattendus, inopinés, qui ne se trouvent qu'à l'aide de l'étude, du travail, des veilles et d'une mémoire riche d'anciennes poésies. Or, j'appelle mot inattendu et inopiné celui dont l'apparition frappe le lecteur ou l'auditeur au delà de son espoir et de sa croyance ; en sorte que si on le retranchait avec l'ordre au lecteur d'en chercher un lui-même, ou il n'en trouverait point, ou celui qu'il trouverait ne se prêterait pas si bien à l'expression de la pensée. C'est pourquoi je te loue infiniment de ce que tu mets tous tes soins et tout ton art à tirer tes expressions du fond des choses, et à leur donner le tour le plus expressif. Mais, comme je l'ai dit en commençant, il y a grand danger en pareil cas que le demi-savant ne manque dans le choix du mot à la justesse, à la clarté et à l'élégance, car il vaut beaucoup mieux se servir de mots usités et communs que de mots éloignés et recherchés, mais peu expressifs.

Je ne sais s'il est utile de démontrer combien de peines et de soins et de scrupules il faut apporter dans l'appréciation des mots ; je craindrais par là de refroidir l'ardeur des jeunes gens, et d'affaiblir en eux l'espérance du succès. Souvent une seule lettre transposée ou supprimée ou changée altère la force ou la grâce d'une expression, et prouve l'ignorance ou le savoir de celui qui parle, et cependant j'ai remarqué que, lorsque tu me relisais tes compositions, et que je changeais une syllabe d'un mot, tu n'en tenais compte et ne semblаis pas y attacher grand intérêt. Je ne veux donc pas te laisser ignorer de quelle importance est le changement d'une syllabe. Je dirai os colluere ; mais in balneis pavimentum pelluere, et non colluere. Je dirai lacrymis genas labere, et non pelluere, ni colluere ; mais vestimenta lavare, non lavere ; sudorem et pulverem abluere, et non lavare ; mais maculam eluere est plus élégant que maculam abluere ; et si la tache (macula) tient davantage, et ne peut s'enlever sans quelque dommage, je me servirai du mot de Plautus, elavere. On dit encore mulsum diluere, fauces proluere, ungulam jumento subluere. Dans tous ces exemples, un seul et même mot, par le changement d'une syllabe et d'une lettre prend diversement une acception plus étendue ; et c'est si vrai, que je dirai très bien faciem medicamento litam, caeno corpus oblitum, calicem melle delitum, mucronem veneno, radium visco inlitum.

On me demandera peut être : Mais qui m'empêche de dire vestimenta lavere plutôt que lavare ? sudorem lavare plutôt que abluere ? Ah ! ce n'est pas toi, que dans un pareil sujet, on pourra influencer ou changer, toi, né de parents libres, toi qui marches en avant de l'ordre des chevaliers, toi qui, dans le sénat, demandes les avis ; mais nous, qui nous vouons à un esclavage esclave des oreilles savantes, nous devons rechercher ces petits et minutieux détails avec un soin extrême. Tantôt les mots se travaillent comme les cailloux à l'aide du lévier et du marteau ; il en est tantôt comme des pierreries, on les taille avec le ciseau et le maillet. Il sera plus raisonnable pour toi, dans la recherche des mots, de te rappeler une correction et d'en profiter, que de te décourager d'un reproche et de t'arrêter : car si tu cesses de chercher, tu ne trouveras jamais ; si tu persistes à chercher, tu trouveras. Enfin je crois avoir remarqué que de plus tu changes l'ordre de tes expressions ; que tu dis le monstre à trois têtes avant d'avoir nommé Géryon. N'ignore pas non plus cela, c'est que, la plupart du temps dans un discours, le déplacement d'un mot fait ou détruit sa valeur. Je dirai très bien un navire trirème, mais navire après trirème serait une addition inutile. Il n'y a pas de danger en effet que quelqu'un pense que trirème puisse être suivi des mots litière, char ou cithare. Plus loin, en rappelant l'usage, chez les Parthes, des manches très larges, tu as écrit, je pense, que leur ampleur suspend la chaleur. Mais comment peut-on suspendre la chaleur ? Certes, je ne te reproche pas pour cette métaphore ton audace conquérante, moi qui pense avec Ennius que l'orateur doit être audacieux. Eh bien ! oui, que l'orateur soit audacieux, comme l'exige Ennius ; mais qu'il ne s'égare jamais dans l'expression de ce qu'il veut dire. Je t'ai donc approuvé, et je t'ai loué infiniment d'avoir voulu rechercher, d'avoir essayé une expression neuve ; mais j'ai blâmé l'expression trouvée : elle est si impropre, qu'elle en est absurde ; non, on ne dira jamais que, par l'ampleur de ces manches que nous voyons quelquefois si lâches et si flottantes, la chaleur puisse être suspendue. Par l'ampleur des vêtements, on peut repousser la chaleur, on peut la rejeter, on peut l'éloigner, on peut l’écarter, on peut la détourner, on peut l’éventer, on peut tout enfin plutôt que la suspendre, car ce mot suspendre a le sens de soutenir, et non de dégager par le vide.

Je t'ai dit ensuite par quelles études, puisque tu le veux, il faut te préparer à écrire l'histoire. Comme ce sujet exige un trop long discours, pour ne pas dépasser les bornes d'une lettre, j'en finis là. Si tu veux que je t'écrive encore sur cette matière, ne crains pas de m'en avertir.

EPISTOLA IV.

M. CAESAR M. FRONTONI, MAGISTRO SUO, SALUTEM.

Postquam vehiculum inscendi, postquam te salutavi, iter non adeo incommodum nos fecimus, sed paululum pluvia aspersi sumus. Sed priusquam ad villam venimus, Anagniam devertimus mille fere passus a via. Deinde id oppidum anticum vidimus ; minutulum quidem, sed multas res in se antiquas habet, aedes sanctasque caerimonias supra modum. Nullus angulus fuit, ubi delubrum aut fanum aut templum non sit ; praeterea multi libri linitei, quod ad sacra adtinet. Deinde in porta, cum eximus, ibi scriptum erat bifariam sic: FLAMEN SUME SAMENTUM. Rogavi aliquem ex popularibus, quid illud verbum esset. Ait lingua hernica pelliculam de hostia, quam in apicem suum flamen, cum in urbem introeat, inponit. Multa adeo alia didicimus, quae vellemus scire : verum id solum est, quod nolimus, cum tu a nobis abes: ea nobis maxima sollicitudo est.

Nunc tu postquam inde profectus es, utrum ne in Aureliam an in Campaniam abisti, fac scribas mihi : et an vindemias inchoaveris, et an ad villam multitudinem librorum tuleris ; et illud quoque an me desideres ; quod ego stulte requiro quom tu certe facis. Nunc tu, si me desideres atque si me ames, litteras tuas ad me frequentes mittes, quod mihi solacium atque fomentum sit. Nam decem partibus tuas litteras legere malim quam omnes marsicos aut gauranos palmites : nam Signini quidem isti nimis rancidos racemos et acidos acinos habent ; quod vinum malim quam mustum bibere. Praeterea istas uvas multo commodius passas quam puberes manducare : nam profecto malim eas pedibus calcare, quam dentibus comesse. Sed tamen propitiae placataequa sint, et mihi pro istic jocularibus bonam veniam duint.

Vale, mihi homo amicissime, suavissime, disertissime, magister dulcissime. Quom videbis in dolio mustum fervere, in mentem tibi veniat, mihi sic in pectore tuum desiderium scatere et abundare et spumas facere. Semper vale.

LETTRE IV

M. CAESAR A M. FRONTO, SON MAÎTRE, SALUT

Après être monté en voiture, après t'avoir salué, je partis ; notre voyage se fit sans accident ; nous fûmes cependant un peu mouillés. Avant d'arriver à notre villa, nous fimes un détour d'environ mille pas du côté d'Anagnia. Nous visitâmes cette ville antique : c'est peu de chose aujourd'hui ; mais elle renferme un grand nombre d'antiquités, surtout en monuments sacrés et en souvenirs religieux. Il n'y a pas un coin qui n'ait un sanctuaire, une chapelle, un temple ; de plus des livres lintéats consacrés aux choses saintes. En sortant, nous trouvâmes écrite sur la porte, des deut côtés, cette inscription : FLAMINE, PRENDS LE SAMENTUM. Je demandai à un habitant du lieu le sens de ce dernier mot ; il me répondit qu'en langue bernique il signifiait un lambeau de peau enlevé à la victime, et que le flamme met sur son bonnet lorsqu'il entre dans la ville. Nous avons appris aussi beaucoup d'autres renseignements que nous voulions savoir ; mais la seule chose que nous ne voulions pas savoir, c'est ton absence : elle est pour nous la plus vive peine.
En partant d'ici es-tu allé à Aurélia ou en Campanie ? écris-le moi. As-tu commencé tes vendanges ; as-tu emporté à ta villa une grande quantité de livres ; et aussi me regrettes-tu ? Sotte question, puisque j'en ai déjà la réponse. Pour toi, si tu me regrettes et si tu m'aimes, tu m'enverras souvent de tes nouvelles ; elles sont pour moi une consolation, un remède de l'absence. J'aime mieux parcourir dix fois tes lettres que toutes les vignes du pays des Marses ou du Gaurus ; à Signia le raisin est trop rance, le grain trop aigre ; j'aimerais mieux boire de son vin que de son vin doux. En outre il est plus agréable de manger ses raisins secs que ses raisins mûrs ; et pour moi, j'aimerais mieux les écraser sous mes pieds que sous mes dents. J'invoque cependant leur douce et propice influence ; je leur demande grâce pour ces plaisanteries.
Adieu, homme si ami, si tendre, si éloquent, maître si cher. Quand tu verras le vin doux bouillir dans le tonneau, que ce soit pour toi l'image de mon amour : il fermente ainsi dans ma poitrine ; il y bouillonne et jette son feu. Encore une fois, adieu.

 

EPISTOLA V.

HAVE MIHI MAGISTER CARISSIME.

Nos valemus. Ego hodie ab hora nona noctis in secundam diei bene disposito cibo studivi : a secundo in tertiam soleatus libentissime inambulavi ante cubiculum meum. Deinde calceatus sagulo sumpto, nam ita adesse nobis indictum erat,  abii salutatum dominum meum. Ad venationem profecti sumus, fortia facinora fecimus, apros captos esse fando audimus, nam videndi quidem nulla facultas fuit. Clivom tamen satis arduum successimus : inde post meridiem domum recepimus. Ego me ad libellos. Igitur calceis detractis, vestimentis positis in lectulo ad duas horas commoratus sum. Legi Catonis orationem de bonis Dulciae, et aliam, qua tribuno diem dixit. Io, inquis puero tuo ; vade quantum potes, de Apollonis bibliotheca has mihi orationes adporta. Frustra mittis ; nam et isti libri me secuti sunt. Igitur Tiberianus bibliothecarius tibi subigitandus est; aliquid in eam rem insumendum, quod mihi ille, ut ad urbem venero, aequa divisione inpertiat. Sed ego orationibus his perlectis paululum, misere, scripsi, quod aut Lymphis aut volcano dicarem, ἀληθῶς ἀτυχῶς σήμερον γέγραπταί μοι, venatoris plane aut vindemiatoris studiolum, qui jubilis suis cubiculum meum perstrepunt, causidicali prosum odio et tedio. Quid hoc dixi? immo recte dixi : nam meus quidem magister orator est. Ego videor mihi perfrixisse, quod mane soleatus ambulavi, an quod male scripsi, non scio. Certe homo alioqui pituitosus, hodie tamen multo mucculentior mihi esse videor. Itaque oleum in caput infundam et incipiam dormire ; nam in lucernam hodie nullam stillam inicere cogito : ita me equitatio et sternutatio defetigavit. Valebis, mihi magister carissime et dulcissime, quem ego, ausim dicere, magis quam ipsam Romam desidero.

LETTRE V

BONJOUR, MON TRES CHER MAÎTRE

Nous nous portons bien. Pour moi, aujourd'hui, après un bon repas, j'ai étudié depuis la neuvième heure de la nuit jusqu'à la deuxième du jour. De la deuxième à la troisième, j'ai fait une délicieuse promenade en sandales devant ma chambre. Ensuite je me chaussai, je pris le sagum, car c'est ainsi qu'on nous avait prescrit de nous présenter, et je suis allé saluer mon seigneur. Nous sommes partis pour la chasse ; nous avons fait de beaux coups : on a tué des sangliers, du moins nous l'avons entendu dire, car il n'y a pas eu moyen de le voir. Cependant nous avons monté une côte assez escarpée ; puis, à midi environ, nous sommes revenus au palais ; moi à mes livres. Après m'être déchaussé et déshabillé, je suis resté deux heures sur mon lit. J'ai lu le discours de Cato sur les biens de Dulcia, et un autre où il assigne un tribun. Allons, dis-tu à ton esclave, va le plus vite que tu pourras ; apporte-moi ces deux discours de la bibliothèque d'Apollon. Inutile démarche, car ces livres sont venus avec moi. C'est donc au bibliothécaire Tibérianus qu'il te faudra faire ta cour. Tâche aussi qu'il s'arrange de façon qu'à mon retour à Rome il fasse un partage égal. Mais après avoir lu ces discours, pardonne-moi, j'ai écrit quelque chose qui mérite d'être jeté au feu ou à l'eau. Aujourd'hui j'ai été fort malheureux en écrivant ; ce sont des essais dignes des chasseurs et des vendangeurs qui ébranlent ma chambre du bruit de leurs chansons ; bruit aussi ennuyeux, aussi odieux pour moi que celui du barreau. Mais qu'ai-je dit là ? au contraire, j'ai très bien dit, car justement mon maître est un orateur. Je crois avoir pris un peu de froid : est-ce pour m'être promené ce matin en sandales, ou pour avoir mal écrit ? Je ne sais assurément ; moi qui suis d'ailleurs homme à pituite, je trouve que je ne me suis jamais tant mouché qu'aujourd'hui. Aussi, je vais répandre de l'huile sur ma tête, et me mettre à dormir, car je ne pense pas à en verser aujourd'hui une seule goutte dans ma lampe, tant le cheval et l'éternuement m'ont fatigué. Porte-toi bien pour moi, maître très doux et très cher, dont j'ai plus de regret, j'ose le dire, que de Rome elle-même.

EPISTOLA VI.

HAVE MIHI MAGISTER DULCISSIME.

Nos valemus. Ego aliquantum prodormivi propter perfrictiunculam, quae videtur sedata esse. Ergo ab undecima noctis in tertiam diei partim legi ex agri cultura Catonis, partim scripsi ; minus, misere, mehercule quam heri. Inde salutato patre meo, aqua mulsa sorbendo usque ad gulam et rejectanda fauces fovi potius quam dicerem gargarissabi : nam est ad Novium credo, et alibi. Sed faucibus curatis abii ad patrem meum et immolanti adstiti. Deinde ad merendam itum. Quid me censes prandisse? panis tantulum ; cum conchim, caepas et maenas bene praegnatis alios vorantis viderem. Deinde uvis metendis operam dedimus, et consudavimus et jubilavimus et aliquot, ut ait auctor, reliquimus altipendulos vindemiae superstites. Ab hora sexta domum redimus : paululum studui atque id ineptum. Deinde cum matercula mea supra torum sedente multum garrivi. Meus sermo hic erat: Quid existimas modo meum Frontonem facere? Tum illa: Quid autem tu meam Gratiam? Tum ego: Quid autem passerculam nostram Gratiam minusculam? Dum ea fabulamur atque altercamur, uter alterutrum vestrum magis amaret, discus crepuit, id est, pater meus in balneum transisse nuntiatus est. Loti igitur in torculari cenavimus ; non loti in torculari, sed loti cenavimus ; et rusticos cavillantes audivimus libenter. Inde reversus, prius quam me in latus converto ut stertam, meum pensum explico, et diei rationem meo suavissimo magistro reddo, quem si possem magis desiderare, libenter plusculum macerarer. Valebis, mihi Fronto, ub iubi es, mellitissime, meus amor, mea voluptas. Quid mihi tecum est? amo absentem.

LETTRE VI

BONJOUR, MON TRES DOUX MAÎTRE

Nous nous portons bien. Moi j'ai peu dormi à cause d'un petit frisson qui cependant paraît calmé. J'ai donc passé le temps depuis la onzième heure de la nuit jusqu'à la troisième du jour, partie à lire l’Agriculture de Cato, partie à écrire, heureusement, à la vérité, moins qu'hier. Puis, après avoir salué mon père, avalant de l'eau miellée jusqu'au gosier et la rejetant, je me suis adouci la gorge plutôt que je ne l'ai gargarisée, car je puis le dire, je crois, d'après Novius et d'autres. Ma gorge restaurée, je me suis rendu auprès de mon père, et j'ai assisté à son sacrifice. Ensuite on est allé manger. Avec quoi penses-tu que j'aie dîné ? avec un peu de pain, pendant que je voyais les autres dévorer des huîtres, des oignons et des sardines bien grasses. Après nous nous sommes mis à moissonner les raisins ; nous avons bien sué, bien crié, et nous avons laissé, comme dit un auteur, pendre aux treilles quelques survivant de la vendange. A la sixième heure nous sommes revenus à la maison. J'ai un peu étudié, et cela sans fruit ; ensuite j'ai beaucoup causé avec ma petite mère, qui était assise sur son lit. Voici ce que je disais : Que penses-tu que fasse mon Fronto, à cette heure ? Et elle : Que penses-tu que fasse ma Gratia ? Qui, répliquai-je ? notre fauvette mignonne, la toute petite Gratia ? Pendant que nous causions ainsi, et que nous nous disputions à qui des deux aimerait le plus l'un de vous, le disque retentit, c'est-à-dire qu'on annonça que mon père s'était mis dans le bain. Ainsi, nous avons soupé après nous être baignés dans le pressoir ; non pas baignés dans le pressoir, mais, après nous être baignés, nous avons soupé, et entendu avec plaisir les joyeux propos des villageois. Rentré chez moi, avant de me tourner sur le côté, pour dormir, je déroule ma tâche, et je rends compte de ma journée à mon excellent maître, que je voudrais, au prix de tout mon embonpoint, désirer encore plus que je ne fais. Porte-toi bien, mon Fronto, qui, en tout lieu, es pour moi ce qu'il y a de plus doux, mon amour, ma volupté. Quel rapport entre toi et moi ? J'aime un absent.

EPISTOLA VII.

HABE MIHI MAGISTER DULCISSIME.

Tandem tabellarius proficiscitur, et ego tridui acta mea ad te tandem possum dimittere. Nec quicquam dico ; Ita epistulis prope ad XXX dictandis spiritum insumpsi. Nam quod proxime tibi de epistulis placuerat, nondum ad patrem meum pertuli. Sed cum, dis juvantibus, ad urbem veniemus, admone me, ut tibi aliquid de hac re narrem. Sed quae tua et mea meteoria est ? neque tu me admonebis, neque ego tibi narrabo, atque enim re vera opus consulto est. Vale, meum ; quid dicam, quidquid dicere satis non est ? Vale, meum desiderium, mea (mix mea) voluptas.

LETTRE VII

BONJOUR, MON TRÉS DOUX MAÎTRE

Enfin le messager part, et je puis enfin t'envoyer mon travail de trois jours ; et ceci n'est point un vain propos : oui, je me suis essoufflé à dicter près de trente lettres. Malgré tout le plaisir que t'ont fait ces lettres, je ne les ai pas encore portées à mon père. Mais, lorsque, avec l'aide des dieux, nous viendrons à la ville, rappelle-moi que j'ai à te raconter quelque chose à ce sujet. Mais quel est ton aveuglement et le mien ? Ni tu ne m'avertiras, ni je ne te raconterai ; en effet, cela demande réflexion. Adieu, mon ... que dirai-je ? tout ce que je ne puis assez dire, mon désir, ma lumière, ma volupté, adieu.
 

 EPISTOLA VIII.

MAGISTRO MEO SALUTEM.

Adventum tuum mihi frater tuus nuper εὐηγγελίσατο. Cupio mehercule possis venire, quod salute tua fiat : spero enim fore, ut etiam valetudine meae conspectus tuus aliquid contollat. Εἰς ὄμματ᾿ εὔνου φωτὸς ἐμβλέψεται [ait] Εὐριπίδης, ut opinor. Ego praesentiarum sic me habeo, ut vel hinc aestimatu facile sit tibi, quod haec precaria manu scribo. Sane quidem, quod ad vires adtinet, incipiunt redire: pectoris etiam dolor nullus residuus; ulcus autem illud ἀπέργασται τῆς ἀρτηρίας. Nos remedia experimur et nequid opere nostro claudat, advigilamus. Neque enim ulla alia re tolerabiliora diuturna incommoda fieri sentio, quam conscientia curae diligentis et temperantiae medicis obsequentis. Turpe alioqui fuerit diutius vitium corporis, quam animi studium ad reciperandam sanitatem, posse durare. Vale, mi jucundissime magister. Salutat te mater mea.

LETTRE VIII

A MON MAÎTRE, SALUT

Ton frère m'a dernièrement annoncé ton arrivée prochaine ; je désire bien en vérité que tu puisses venir, et que ce soit pour ta santé ; car j'espère même que le plaisir de te voir fera du bien à la mienne. Euripidès, je pense, regardera dans les yeux d'un mortel bienveillant. Quant à mon état actuel tu pourras en juger facilement, puisque je me sers d'une main d'emprunt pour t'écrire. Il est vrai que, pour mes forces, elles commencent à revenir ; il ne me reste même aucune douleur de poitrine, mais l'ulcération de l'artère est terminée. Nous essayons des remèdes, et nous veillons à ce qu'il n'y manque rien par notre fait ; car je pense que rien ne contribue plus a rendre tolérables les longues maladies, que la conscience d'une attention soutenue et d'une docilité parfaite aux médecins. Il serait honteux, d'ailleurs, que la souffrance du corps pût durer plus longtemps que l'effort courageux de l'âme pour recouvrer la santé. Adieu, mon très agréable maître ; ma mère te salue.

EPISTOLA IX.

DOMINO MEO.

Accepi litteras tuas elegantissime scriptas, quibus tu intervallo desiderium litterarum mearum obortum tibi esse ais. Est igitur vera Socrati opinio doloribus ferme voluptates conexas esse ; cum in carcere dolorem constricti vinculi voluptate resoluti conpensaret. Item profecto in nobis, quantum molestiae absentia, tantum commodi adfert desiderium inritatum. Nam desiderium ex amore est. Igitur amor cum desiderio auctus est, quod est in amicitia multo optimum. Tum, quod quaeris de valetudine mea, jam prius scripseram tibi, me umeri dolore vexatum ita vehementer quidem, ut illam ipsam epistulam, qua id significabam, scribendo dare operam nequirem ; sed uterer contra morem nostrum ...

LETTRE IX

A MON SEIGNEUR

J'ai reçu la lettre si élégamment écrite, où tu me dis que, depuis assez longtemps, tu désires de mes lettres. Elle est donc bien vraie cette pensée de Socratès, que le plaisir a les plus grands rapports avec la douleur ; pour lui, dans sa prison, la chute de ses fers était un plaisir qui compensait la douleur de leurs étreintes : ainsi, pour nous, autant l'absence nous fait de peine, autant nous fait de bien le désir provoqué. Car le désir naît de l'amour : aussi ton amour s'est développé avec le désir ; ce qui, eu amitié, vaut mieux que tout. Quant à ma santé, dont tu t'informes, je t'avais déjà écrit auparavant que j'étais si fort tourmenté d'une douleur de l'épaule qu'il n'y avait pas possibilité pour moi d'écrire la lettre elle-même où je te donne cette nouvelle, et que, contre ma coutume ***

EPISTOLA X.

(CAESAR FRONTONI.)

... Mater mea te salutat. Consulem nostrum saluta et matronam nostram.

LETTRE X

(CAESAR, A FRONTO)

*** Ma mère te salue. Salue notre consul et notre épouse.

EPISTOLA XI.

CAESAR, FRONTONI.

Volentibus dis spem salutis nancisci videmur: alvi fluxus constitit, febriculae depulsae : macies tamen pertenuis et tussiculae nonnihil restat. Profecto intellegis de parvola nostra Faustina haec me tibi scribere, pro qua satis egimus. Tibi valetudo an pro meo voto se adcommodet, fac sciam, mi magister.

LETTRE XI

CAESAR, A FRONTO

Par la volonté des dieux, nous croyons retrouver quelque espérance de salut : le cours de ventre s'est arrêté ; les accès de fièvre ont disparu ; il reste pourtant encore quelque maigreur et un peu de toux. Tu devines bien que je te parle là de notre chère petite Faustina, qui nous a assez inquiétés. Ta santé répond-elle à mon vœu ? Fais-le moi savoir, mon maître.

EPISTOLA XII.

FRONTO, CAESARI.

Ut ego, di boni, consternatus sum lecto initio epistulae tuae! quod ita scriptum fuit, ut tuum aliquod valetudinis periculum significari suspicarer. Postquam deinde illud periculum, quod quasi tuum principio litterarum tuarum acceperam, filiae tuae Faustinae fuisse aperuisti, quantum mihi permutatus est pavor! nec permutatus modo, verum etiam nescio quo pacto nonnihil sublevatus. Dicas licet: Levius ne tibi visum est filiae meae periculum quam meum? tibi ne ita visum, qui praefers Faustinam id tibi esse quod lucem serenam, quod diem festum, quod spem propinquam, quod votum impetratum, quod gaudium integrum, quod laudem nobilem atque incolumem?  Equidem ego quid mihi legenti litteras tuas subvenerit, scio; qua vero id ratione evenerit, nescio; nescio, inquam, cur magis ad tuum quam ad tuae filiae periculum consternatus sim : nisi forte, tametsi paria sint, graviora tamen videntur, quae ad aures prius accidunt. Quae denique hujusce rei ratio, tu facilius scias, qui de natura et sensibus hominum scis amplius aliquid meliusque didicisti. Ego, qui a meo magistro et parente Athenodoto ad exempla et imagines quasdam rerum, quas ille εἰκόνας appellabat, apte animo comprehendundas adcommodandasque mediocriter institutus sum, hanc hujusce rei imaginem repperisse videor, cur meus translatus metus levior sit mihi visus. Simile solere evenire onus grave umero gestantibus, cum illud onus in sinistrum ab dextro umero transtulere; quamquam nihil de pondere deminutum sit, tamen ut oneris translatio videatur etiam et relevatio.

Nunc quoniam postrema parte epistulae tuae qua meliuscule jam valere Faustinam nuntiasti omnem mihi prosus metum ac sollicitudinem depulisti ; non alienum tempus videtur de meo adversus te amore remissius aliquid tecum et liberalius fabulandi : nam ferme metu magno et pavore relevatis conceditur ludere aliquid atque ineptire. Ego quanto opere te diligam, non minus de gravibus et seriis experimentis quam plerisque etiam frivolis sentio. Quae aut cujusmodi sint haec frivola indicabo. Siquando te somno leni, ut poeta ait, placidoque revinctus video in somnis, numquam est quin amplectar et exosculer : tum pro argumento cujusque somni aut fleo ubertim, aut exulto laetitia aliqua et voluptate. Hoc unum ex Annalibus sumptum amoris mei argumentum poeticum et sane somniculosum. Accipe aliud, rixatorium jam hoc et jurgiosum. Nonnumquam ego te coram paucissimis ac familiarissimis meis gravioribus verbis absentem insectatus sum: olim hoc, cum tristior quam par erat, in coetum hominum progrederere, vel cum in theatro tu libros vel in convivio lectitabas : nec ego dum tum theatris, nec dum conviviis, abstinebam.  Tum igitur ego te durum et intempestivum hominem, odiosum etiam nonnumquam ira percitus appellabam. Quod siquis alius eodem te convicio audiente me detrectaret, aequo animo audire non poteram. Ita mihi facilius erat ipsum loqui, quam alios de te sequius quid dicere perpeti : ita ut Gratiam meam filiam facilius ipse percusserim quam ab alio percuti viderim. Tertium de meis frivoleis addam. Scis ut in omnibus argentariis mensulis, perguleis, taberneis, protecteis, vestibulis, fenestris, usquequaque, ubique, imagines vestrae sint volgo propositae, male illae quidem pictae pleraeque et crassa, lutea immo, Minerva fictae scalptaeve; cum interim numquam tua imago tam dissimilis ad oculos meos in itinere accidit, ut non ex ore meo excusserit jactum osculei et ssomnum.

Nunc ut frivolis finem faciam, et convertar ad serium, hae litterae tuae cum primis indicio mihi fuerunt, quanto opere te diligam, cum magis perturbatus sum ad tuum quam ad filiae tuae periculum: cum alioqui te quidem mihi, filiam vero tuam etiam tibi, ut par est, superstitem cupiam. Sed heus tu videbis, ne delator existas, neve indicio pareas apud filiam : quasi vero ego te quam illam magis diligam. Nam periculum est, ne ea re filia tua commota, ut est gravis et prisca femina, poscenti mihi manus et plantas ad saviandum ea causa iratior subtrahat aut gravatius porrigat : cujus ego, dei boni ! manus parvolas plantasque illas pinguiculas tum libentius exosculabor, quam tuas cervices regias, tuumque os probum et facetum.

LETTRE XII

FRONTO, A САESАR

Dieux bons ! comme j'ai été consterné en lisant le commencement de ta lettre ! Car il était écrit de manière à me faire soupçonner quelque péril pour ta santé. Mais ce péril que, d'après ton début, j'avais cru être le tien, dès que la suite m'eut appris que c'était celui de ta fille, comme ma frayeur a été changée ! et non seulement elle a été changée, mais même, je ne sais comment, un tant soit peu allégée. Tu pourras me dire : Est-ce que le danger de ma fille t'a semblé moins grave que le mien ? Comment t'aurait-il semblé moins grave à toi, qui prétends que Faustina est pour toi ce qu'est une lumière sereine, un jour de fête, une espérance prochaine, un vœu exaucé, une joie entière, une gloire noble et sans atteinte ? Je répondrai que je sais bien ce que j'ai éprouvé en lisant ta lettre ; mais, pourquoi je l'ai éprouvé, c'est ce que j'ignore. J'ignore, dis-je, pourquoi j'ai été plus consterné de ton danger que de celui de ta fille, si ce n'est peut-être que, dans des dangers égaux, ceux-là paraissent les plus grands qui frappent les premiers nos oreilles. Enfin la raison de cette chose, tu la devineras plus facilement, toi qui as fait de plus profondes études, et acquis de plus amples connaissances sur la nature et les sens de l'homme. Quant à moi, qui n'ai appris que faiblement, de mon maître et père Athénodotus, comment il fallait concevoir et former, dans son esprit, certaines idées et représentations des objets, qu'il appelait en grec images, je crois en avoir trouvé une qui expliquera pourquoi ma crainte, en changeant d'objet, m'a semblé plus légère ; c'est que lа même chose arrive à ceux qui portent un pesant fardeau sur leurs épaules, lorsqu'ils le font passer de l'épaule droite sur la gauche. Quoiqu'il n'ait rien perdu de son poids, cependant le changement semble un allégement.

Maintenant, puisque, par la dernière partie de ta lettre, où tu m'annonces que Faustina se trouvait déjà un peu mieux, tu m'as délivré de toute crainte et de toute inquiétude, j'imagine qu'il n'y aura pas d'inconvenance à t'entretenir de mon amour pour toi, avec moins de gravité et plus d'abandon ; car on passe à ceux qui sortent d'un grand saisissement, de jouer et de divaguer un peu. Souvent ce n'est pas moins par des expériences graves et sérieuses que par de frivoles expériences que je sens combien je t'aime. Je vais t'indiquer quelles et de quelles espèces sont les expériences frivoles. Si quelquefois, enchaîné par un doux et paisible sommeil, comme dit le poète, je te vois en songe, ce n'est jamais sans que je t'embrasse et te couvre de baisers ; puis, selon le sujet du songe, ou je pleure abondamment, ou je suis transporté d'un certain saisissement de joie et de plaisir. Voilà la seule preuve poétique et assurément rêveuse, tirée des annales, et que je puisse donner de mon amour pour toi. En voici une autre du genre hargneux et querelleur. Quelquefois, en présence de mes meilleurs amis, en petit nombre, et toi absent, je t'ai vivement grondé de ce qu'il t'arrivait, cela jadis, de te présenter dans les réunions avec plus de sérieux qu'il ne convenait, ou de feuilleter des livres pendant le spectacle ou le repas, ce qu'au reste je ne manquais de faire, comme toi, au théâtre et à table. Alors donc je te traitais d'homme dur, intempestif, parfois même d'homme haïssable, lorsque la colère me possédait. Que si, dans le même repas, un autre se permettait en ma présence de médire de toi, je ne pouvais l'entendre de sang-froid. Ainsi il m'était plus facile de parler moi-même que de souffrir qu'un autre proférât le moindre mot contre toi ; de même que j'aurais frappé ma fille Gratia plus facilement que je ne l'aurais vu frapper par un autre. Voici ma troisième frivolité. Tu sais comme, sur toutes les tables de changeurs, toutes les boutiques, toutes les tavernes, tous les vestibules, à tous les auvents, toutes les fenêtres, partout et en tout lieu, on voit vos images exposées ; la plupart à la vérité mal peintes, et même en argile grossièrement façonnée ou sculptée. Eh bien ! chaque fois qu'en chemin un de ces portraits de toi, si peu ressemblants, est venu frapper mes yeux, je n'ai jamais senti ma bouche s'entr'ouvrir pour un baiser, ni mon esprit tourner à la rêverie.

Maintenant, pour finir ce badinage et revenir au sérieux, ta lettre m'a fait voir, plus que toute autre chose, combien je t'aime, puisque j'ai été plus troublé par l'idée de ton danger, que par celle du danger de ta fille, lorsque d'ailleurs mon vœu le plus ardent est bien que tu me survives à moi ; mais aussi que ta fille te survive à toi-même, comme il convient. Cependant, dieux ! ne va pas te rendre mon délateur auprès de ta fille, et lui laisser voir que je t'aime plus qu'elle ; car il est à craindre que piquée, en femme grave et antique, telle qu'elle est, ta fille, lorsque je lui demanderai ses mains ou ses pieds à baiser, ne les retire de colère, ou ne les tende qu'avec répugnance : elle, bons dieux ! dont je baiserais alors les petites mains et les pieds potelés plus volontiers que ta tête royale et ta bouche probe et gracieuse.

EPISTOLA XIII.

MAGISTRO MEO.

C. Aufidius animos tollit ; arbitratum suum in caelum fert : negat se hominem justiorem, ne quid immoderatius dicam, ex Umbria ullum alium Romam venisse. Quid quaeris? judicem se quam oratorem volt laudari : cum rideo, despicit: facile esse ait oscitantem judici assidere ; ceterum quidem judicare praeclarum opus. Haec in me. Sed tamen negotium belle se dedit. Bene st, gaudeo. Tuus adventus me cum beat, tum sollicitat : cur beet, nemo quaerat ; quam ob rem sollicitet, ego me dius Fidius fatebor tibi. Nam quod scribendum dedisti, ne paululum quidem operae ei, quamvis otiosus, dedi. Aristonis libri me hac tempestate bene accipiunt, atque idem habent male: cum docent meliora, tum scilicet bene accipiunt; cum vero ostendunt, quantum ab his melioribus ingenium meum relictum sit, nimis quam saepe erubescit discipulus tuus, sibique suscenset, quod viginti quinque natus annos nihildum bonarum opinionum et puriorum rationum animo hauserim. Itaque poenas do, irascor, tristis sum, ζηλοτυπῶ, cibo careo. His nunc ego curis devinctus obsequium scribendi cotidie in diem posterum protuli. Sed jam aliquid comminiscar ; et quod orator quidam Atticus Atheniensium contionem monebat, nonnumquam permittendum legibus dormire ; libris Aristonis propitiatis paulisper quiescere concedam, meque ad istum histrionum poetam totum convertam ; lecteis prius oratiunculeis tullianeis. Scribam autem alterutram partem : nam eadem de re diversa tueri, numquam prosus ita dormiet Aristo, uti permittat. Vale, mi optime et honestissime magister. Domina mea te salutat.

LETTRE XIII

A MON MAÎTRE

G. Aufidius s'enfle d'orgueil ; il porte au ciel son jugement ; il soutient que jamais homme plus juste, pour ne rien dire de plus extravagant, n'est venu de l'Umbrie à Rome. A quoi prétend-il donc ? il veut qu'on vante en lui le juge avant l'orateur. J'en ris : il me méprise ; il dit qu'il est facile de voir bâiller auprès d'un juge, mais que juger n'en est pas moins une belle œuvre. Voilà ce qu'il dit contre moi ; du reste, l'affaire s'est passée le mieux du monde : tout va bien ; j'en suis aise. Ton retour fait mon bonheur et mon tourment tout ensemble. Mon bonheur ! nul ne demandera pourquoi. Mon tourment ! je vais t'en avouer franchement la cause. Tu m'avais donné un sujet à traiter ; je n'y ai pas encore touché, et ce n'est pas faute de loisir. Mais l'ouvrage d'Aristo m'occupe en ce moment ; il me met tour à tour bien et mal avec moi-même : bien avec moi-même, lorsqu'il m'enseigne la vertu ; mais, lorsqu'il me montre à quelle prodigieuse distance je suis encore de ces vertueux modèles, alors, plus que jamais, ton disciple rougit et s'indigne contre lui-même de ce que, parvenu à l'âge de vingt-cinq ans, il n'a pas encore pénétré son âme de ces pures maximes et de ces grandes pensées. Aussi j'en suis bien puni ; je m'irrite, je m'afflige, j'envie les autres, je me refuse la nourriture. Et au milieu de toutes ces peines qui enchaînent mon esprit, j'ai remis chaque jour au lendemain le soin d'écrire. Mais il me revient un souvenir. Comme cet orateur d'Athènes qui disait au peuple assemblé qu'on peut laisser quelquefois sommeiller les lois, je laisserai dormir quelque temps Aristo, après lui avoir demandé pardon ; et je reviendrai tout entier à ton poète d'histrions, après avoir lu d'abord quelques petits discours de Cicéro. Quant au sujet que tu m'as donné, je ne le traiterai que d'une manière ; mais défendre à la fois le pour et le contre, Aristo ne dormira jamais assez pour le permettre. Adieu, mon très bon et très vertueux maître. Ma souveraine te salue.