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FRONTON

 

LETTRES

 

LETTRES

DE M. C. FRONTO

A M. СAESAR,

ET DE M. CAESAR A M. C. FRONTO

LIVRE TROISIÈME

Oeuvre numérisée et mise en page par Thierry Vebr

 

 

 

 

M. CORNELII FRONTONIS

EPISTULAE

AD M. CAESAREM

ET INVICEM

LIBER TERTIUS

EPISTOLA I.

(Caesari suo, Fronto.

... Oratio, nisi gravitate verborum honestatur, fit plane inpudens atque inpudica... Denique idem tu, quom in senatu vel in contione populi dicendum fuit, nullo verbo remotiore usus es, nulla figura obscura aut insolenti: ut qui scias eloquentiam Caesaris tubae similem esse debere, non tibiarum, in quibus minus est soni, plus difficultatis.

 

LETTRES

DE M. C. FRONTO

A M. СAESAR,

ET DE M. CAESAR A M. C. FRONTO

LIVRE TROISIÈME

LETTRE I

A SON CAESAR, FRONTO

Un discours, s'il n'est relevé par la gravité des paroles, est un discours impudent et impudique. C'est d'après ce principe que lorsque tu as eu à parler devant le sénat ou dans l'assemblée du peuple, tu n'as employé aucun mot recherché, aucune figure obscure ou inusitée, en homme qui sait que l'éloquence d'un Caesar doit ressembler à la trompette, non aux flûtes, qui donnent moins de son et plus de peine. 

EPISTOLA II.

Aurelius Caesar Frontoni suo salutem.

Saepe te mihi dixisse scio, quaerere te, quid maxime facere gratum mihi : id tempus nunc adest ; nunc amorem erga te meum augere potes, si augeri potest. Adpropinquat cognitio, in qua homines non modo orationem tuam benigne audituri, sed indignationem maligne spectaturi videntur. Neque ullum video, qui te in hac re monere audeat : nam qui minus amici sunt, malunt te inspectare inconstantius agentem; qui autem magis amici sunt, metuunt, ne adversario tuo amiciores esse videantur, si te ab accusatione ejus propria tua abducant : tum autem siquod tu in eam rem dictum elegantius meditatus es, per silentium dictionem auferre tibi non sustinent. Adeo sive tu me temerarium consultorem, sive audacem puerulum, sive adversario tuo benivolentiorem esse existimabis ; non propterea, quod rectius esse arbitrabor, pedetemptius tibi consulam. Sed quid dixi consulam ? qui id a te postulo et magno opere postulo et me, si inpetro, obligari tibi repromitto. Et dices: quid? si lacessitus fuero, non eum simili dicto remunerabo? At ex eo tibi majorem laudem quaeris, si, nec lacessitus, quicquam responderis. Verum si prior fecerit, respondenti tibi utcumque poterit ignosci : ut autem non inciperet, postulavi ab eo, et impetrasse me credo. Utrumque enim vestrum pro suis quemque meritis diligo : et scio illum quidem in avi mei P. Calvisii domo eruditum, me autem apud te eruditum : propterea maximam curam in animo meo habeo uti quam honestissime negotium istud odiosissimum transigatur. Opto ut consilium conprobes ; nam voluntatem conprobabis. Ego certe minus sapienter magis scripsero, quam minus amice tacuero. Vale, mi Fronto carissime et amicissime.
 

LETTRE II

AURÉLIUS СAESАR A SON FRONTO, SALUT

Je sais que tu m'as souvent dit que tu étais à la recherche de ce qui pourrait m'être le plus agréable : l'occasion se présente ; tu peux aujourd'hui augmenter mon amour pour toi, si toutefois il peut être augmenté. L'audience approche où l'on paraît disposé non seulement à entendre favorablement ton discours, mais aussi à se faire un malin spectacle de ton indignation, et je ne vois personne qui ose te donner d'avis à ce sujet. Car ceux qui sont moins amis aiment mieux te voir agir un peu légèrement, et ceux qui le sont plus craignent de paraître trop affectionnés à ton adversaire, s'ils te détournent d'une accusation contre lui qui t'appartient bien ; ils ne supportent pas non lus, si tu as préparé sur ce sujet quelque morceau brillant, l'idée d'être cause, par leur silence, que tu ne le prononces pas ; pour moi, que tu me regardes comme un conseiller téméraire ou comme un enfant bien hardi et trop bienveillant pour ton adversaire, cela ne m'empêchera pas de te dire tout bas mon conseil sur ce que je croirai le plus convenable. Mais que parlé-je de conseil, moi qui demande cela de toi, et qui te le demande avec instance, et qui, si je l'obtiens, promets en retour une entière reconnaissance ? Quoi, diras-tu, si je suis provoqué, je ne le paierai pas des mêmes paroles ! Mais pour toi, quelle plus belle occasion de gloire que de ne point répondre, même provoqué ? Il est vrai que si c'est lui qui commence, on pourra, jusqu'à un certain point, te pardonner de lui avoir répondu ; mais je lui ai demandé qu'il ne commençât pas, et je crois l'avoir obtenu. Car je vous aime l'un et l'autre, et chacun en raison de ses mérites. Je sais qu'il a été, lui, élevé dans la maison de Calvisius, mon aïeul, et que moi j'ai été instruit par tes soins ; c'est pourquoi j'ai extrêmement à cœur que cette affaire trop odieuse s'arrange bien. Je souhaite que tu approuves ce conseil, car tu approuveras l'intention ; pour moi, certes, j'aurai plutôt montré moins de sagesse en écrivant que moins d'amitié en me taisant. Adieu, mon Pronto, mon très cher, mon très tendre ami.

EPISTOLA III.

Domino meo Caesari, Fronto.

Merito ego me devovi tibi, merito fructus vitae meae omnis in te ac tuo parente constitui. Quid fieri amicius, quid jucundius, quid verius potest? Aufer ista, obsecro, puerulum audacem aut temerarium consultorem. Periculum est plane, ne tu quicquam pueriliter aut inconsulte suadeas! Mihi crede, si tu vis ; si minus, egomet mihi credam, seniorum a te prudentiam exsuperari. Denique in isto negotio tuum consilium canum et grave, meum vero puerile deprendo. Quid enim opus est aequis et iniquis spectaculum praebere? Sive sit iste Herodes vir frugi et pudicus, protelarei conviciis talem a me virum, non est verum; sive nequam et inprobus est, non aequa mihi cum eo certatio neque idem detrimentum capitur. Omnis enim cum polluto conplexus, tametsi superes, commaculat. Sed illud verius est, probum virum esse, quem tu dignum tutela tua judicas. Quod si umquam scissem, tum me di omnes male adflixint, si ego verbo laedere ausus fuissem quemquam amicum tibi. Nunc me velim pro tuo erga me amore, quo sum beatissimus, in hac etiam parte consilio juves. Quin nihil extra causam dicere debeam, quod Heroden laedat, non dubito : sed ea, quae in causa sunt, autem sunt atrocissima ; quemadmodum tractem, id ipsum est quod addubito et consilium posco. Dicendum est de hominibus liberis crudeliter verberatis et spoliatis, uno vero occiso : dicendum de filio impio et precum paternarum inmemore : saevitia et avaritia exprobanda : carnifex quidam Herodes in hac causa constituendus. Quod si in istis criminibus, quibus causa nititur, putes debere me ex summis opibus adversarium urgere et premere, fac me, domine optime et mihi dulcissime, consilii tui certiorem. Si vero in his quoque remittendum aliquid putas, quod tu suaseris, id optimum factu ducam. Illud quidem, ut dixi, firmum et ratum habeto, nihil extra causam de moribus et cetera ejus vita me dicturum. Quod si tibi videbitur servire me causae debere, jam nunc admoneo ne me inmoderate usurum quidem causae occasione: atrocia enim sunt crimina et atrociter dicenda. Illa ipsa de laesis et spoliatis hominibus ita a me dicentur, ut fel et bilem sapiant : sicubi graeculum et indoctum dixero, non erit internecivum. Vale, Caesar ; et me, ut facis, ama plurimum. Ego vero etiam litterulas tuas disamo : quare cupiam, ubi quid ad me scribes, tua manu scribas.

LETTRE III

A MON SEIGNEUR CAESAR, FRONTO

C'est avec raison que je me suis dévoué à toi, avec raison que j'ai placé toutes les jouissances de ma vie en toi et en ton père. Que peut-on imaginer de plus affectueux, de plus doux, de plus vrai ? Efface, je te prie, ces mots d'enfant hardi, de conseiller téméraire ! c'est bien de toi, vraiment, qu'il faut craindre un conseil puéril ou imprudent ! Crois-moi, si tu veux ; sinon, moi, je croirai, pour mon propre compte, que tu as surpassé toute la prudence des vieillards. Je m'aperçois, enfin, que, dans cette affaire, ton conseil est celui d'un homme à cheveux blancs, d'un sage, et le mien, au contraire, celui d'un enfant. Qu'est-il besoin, en effet, de donner un spectacle aux bons et aux médians ? Si cet Hérodès est homme de bien et d'honneur, il ne convient pas qu'un tel homme soit par moi harcelé de reproches ; mais s'il est méchant et sans probité, la lutte n'est pas égale entre lui et moi, et la chance de dommage à recevoir n'est pas la même ; car, à lutter corps à corps avec un homme souillé, on se salit, même vainqueur. Ce qu'il y a de plus vrai, c'est que celui-là est un homme de bien que tu jugeras digne de ta protection. Si j'avais pu savoir cela, je veux que tous les dieux me punissent si j'eusse osé blesser par un seul mot quelqu'un ton ami. Maintenant, en raison de ton amour pour moi, qui fait tout mon bonheur, je te prierai de m'aider de ton conseil en cette partie même. Que je ne doive rien dire, en dehors de la cause, qui puisse blesser Hérodès, je n'en doute pas ; mais les faits qui sont dans la cause (et ces faits sont les plus graves ), comment les traiterai-je ? c'est là ce qui m'embarrasse et sur quoi je te demande conseil. Il faut parler d'hommes libres cruellement battus, dépouillés, et dont un même a été tué. Il faut parler d'un fils impie, sans mémoire des prières paternelles ; faire entendre des reproches de cruauté, d'avarice, et mettre en cause un certain bourreau Hérodès. Si, avec de tels griefs qui forment le fond de la cause, tu penses que je doive pousser, presser l'adversaire de toutes mes forces, fais, seigneur très bon et si tendre pour moi, que je sache ton avis. Si, au contraire, tu penses que je doive me relâcher sur quelques points, je regarderai ce que tu auras conseillé comme ce qu'il y a de mieux à faire. Du reste, comme je te l'ai dit, sois assuré, sois persuadé que je ne dirai rien hors de la cause sur ses mœurs et le reste de sa vie ; que s'il te paraît que je doive servir la cause, je t'avertis, dès aujourd'hui, que je n'userai pas immodérément de l'occasion que me fournit cette même cause ; car les crimes sont atroces et devraient être traités sans piété. Ainsi, ce qui regarde les hommes maltraités et spoliés sera dit par moi de manière à sentir le fiel et la bile ; mais si je dis une espèce de Grec, un ignorant, ce ne sera pas dire un meurtrier. Adieu, Caesar, et aime-moi toujours bien fort, comme tu fais. Pour moi, il n'y a pas jusqu'à tes petits caractères dont je ne sois épris ; aussi je désire, lorsque tu m'écriras quelque chose, que tu l'écrives de ta main.

EPISTOLA IV.

Have, domine.

Clausa jam et obsignata epistula priore, venit mihi in mentem fore uti et qui causam hanc agunt, acturi autem complures videntur, dicant aliquid in Heroden inclementius : cui rei, quemadmodum me unum putas prospice. Vale, domine, et vive, ut ego sim beatus. Acturi videntur Capreolus, qui nunc abest, et Marcianus noster : videtur etiam Villianus.

LETTRE IV

BONJOUR, SEIGNEUR

Ma première lettre close et signée, il m'est revenu à l'esprit qu'il pourrait bien se faire que ceux qui plaideront cette cause, et plusieurs la plaideront à ce qu'il paraît, s'emportent en paroles trop amères contre Hérodès. Comment crois-tu que je puisse tout seul l'empêcher ? Adieu, seigneur, vis pour que je sois heureux. C'est Capréolus, en ce moment absent, et notre Marcianus qui paraissent devoir plaider ; Villianus probablement aussi.

EPISTOLA V.

Have, mi Fronto carissime.

Jam hinc tibi, mi Fronto carissime, gratias ago habeoque, cum consilium meum non tantum non repudiasti, sed etiam conprobasti. De iis autem, quae per litteras amicissimas tuas consulis, ita existimo: omnia, quae ad causam quam tu egeris, adtinent, plane proferunda : quae ad tuas proprias adfectiones adtinent, licet justa et provocata sint, tamen reticenda. Ita neque fidem in negotio pannychio neque modestiam in existimatione tua laeseris... me... tis ...lis ceteri... mihi... tam... et dicant quae... una haec cura maxime exercet, nequid tu tale dicas, quod tuis moribus indignum, negotio inutile, circumstantibus repraehensibile videatur esse. Vale, mihi Fronto carissime et jucundissime mihi.

LETTRE V

BONJOUR, MON TRÈS CHER FRONTO

C'est à présent, mon très cher Fronto, que je te dois et que je te fais des remerciments ; non seulement tu n'as pas rejeté mon conseil, mais encore tu l'as approuvé. Quant aux choses sur lesquelles tu me consultes par ton aimable lettre, j'estime que tout ce qui tient au fond de la cause que tu plaideras doit être dit franchement, et que tout ce qui tient à tes propres affections, quoique juste et provoqué, doit être tu. *** aie soin surtout de ne rien dire qui soit inconvenant pour ton caractère, et qui puisse paraître répréhensible à ceux qui t'entendront. Adieu, mon très cher, mon très aimé
Fronto.

EPISTOLA VI.

Domino meo.

Ita faciam, domine, quo.. hae nomina, quod ad vitam ut te velle intellexero... faciam ; teque oro et quaeso ne umquam quod a me fieri volueris... sed ut nunc.. suades, ita... e umquam adversus voluntatem tuam quicquam incipiam. Malim etiam... causa sunt, singillatim sunt. Ut Ciceronis modum proferamus. Nam cum in tantulum id consultum cogunt versum cupio, praesertim qu... sed pugna mi... hoc modo transigi possit. Quod si agemus perpetuis orationibus, licet extra causam nihil progrediar, tamen et oculis acrioribus et voce vehementi et verbis gravibus utendum... autem... hinc digito irato quod... hominem tuum... Sed difficile est ut istud ab eo inpetrari possit: dicitur enim cupidine agendi flagrare. Nec reprehendo tamen ne hoc quidem, se.. ne tibi ipsa illa... in causa... nt infestius pro... videantur. Verum et ipse suades inprimis fidei parendum: et si armis vel palaestrica ludas, ne has quidem ludicras exercitationes sine contentione confici posse... et... et... facundior... laudavi beatius opicum tuum.

LETTRE VI

A MON SEIGNEUR

*** Que si nous en venons encore aux éternels discours sans rien dire qui soit en dehors de la cause, je ne laisserai pas de faire usage d'un regard perçant, d'une voix forte et de paroles austères *** Mais il est difficile que tu puisses l'obtenir de cet homme, car on le dit consumé de la passion de plaider. *** Il faut, dis-tu, et c'est ton conseil, il faut obéir à la foi qu'on a donnée, mais quand tu t'exerces aux armes ou à la lutte, ne peut-il pas bien se faire que, même à ces frivoles exercices, quelque chicane s'élève ? ***

EPISTOLA VII.

Magistro meo.

Quom tu quiescis et, quod commodum valetudini sit facis, tum me recreas.  Et libenter et otiose age. Sentio ergo recte fecisti, quod bracchio curando operam dedisti. Ego quoque hodie a septima in lectulo nonnihil egi : nam εἰκόνας decem ferme expedivi. Nona te socium et optionem mihi sumo : nam minus secunda fuit in persequendo mihi. Est autem quod in insula Aenaria intus lacus est : in eo lacu alia insula, et eo quoque inhabitatur. Ἔνθε μὴν δ᾿ εἰκόνα ποιοῦμεν. Vale, dulcissima anima. Domina mea te salutat.
 

LETTRE VII

A MON MAITRE

Lorsque tu te reposes et que tu fais tout ce qui convient à ta santé, c'est alors que tu me rends heureux. Agis à ta guise et à ton aise. Mon avis est donc que tu as bien fait de donner tes soins à la guérison de ton bras. Pour moi, j'ai assez lu aujourd'hui dans mon lit depuis la septième heure, car j'ai achevé presque dix images ; quant à la neuvième, je te réclame pour mon associé et mon option ; car j'ai été moins heureux à la recherche de celle-là. En voici le sujet : Au milieu de l'île Aenaria est un lac, et dans ce lac une autre île, laquelle est aussi habitée ; tirons de là une image. Adieu, très douce âme ; ma souveraine te salue.

EPISTOLA VIII.

Domino meo.

Imaginem, quam te quaerere ais, meque tibi socium ad quaerendum et optionem sumis, num moleste feres, si in tuo atque in tui patris sinu id fictum quaeram? Ut illa in mari Ionio sive Tyrrhenico, sin vero potius in Hadriatico mari, seu quod aliud est mare, ejus nomen maris addito. Igitur ut illa in mari insula Aenaria fluctus maritimos ipsa accipit atque propulsat, omnemque vim classium, praedonum, beluarum, procellarum ipsa perpetitur ; intus autem in lacu aliam insulam protegit ab omnibus periculis ac difficultatibus tutam, omnium vero deliciarum voluptatumque participem. Namque illa intus in lacu insula aeque undis alluitur, auras salubris aeque accipit, habitatur aeque, mare aeque prospectat. Item pater tuus imperii romani molestias ac difficultates ipse perpetitur, te tutum intus in tranquillo sinu suo socium dignitatis gloriae honorumque omnium participem tutatur. Hac imagine multimodis uti potes ubi patri tuo gratias ages, in qua oratione locupletissimum et copiosissimum te esse oportet. Nihil est enim, quod tu aut honestius aut verius aut libentius in omni vita tua dicas quam quod ad ornandas patris tui laudes pertinebit. Postea ego quamcumque εἰκόνα huc addidero, non aeque placebit tibi, ut haec quae ad patrem tuum pertinet : tam hoc scio, quam tu novisti. Quam ob rem ipse aliam εἰκόνα nullam adiciam, sed rationem qua tute quaeras ostendam. Et amem te, tu quas εἰκόνας in eandem rem demonstrata ratione quaesiveris et inveneris, mittito mihi ; ut, si fuerint scitae atque concinnae, gaudeam.

Jam primum quidem illud scis, εἰκόνα ei rei adsumi ut aut ornet quid, aut deturpet, aut aequiperet, aut deminuat, aut ampliet, aut ex minus credibili credibile efficiat. Ubi nihil eorum usus erit, locus εἰκόνος non erit. Postea ubi rei propositae imaginem scribes, ut si pingeres, insignia animadverteres ejus rei cujus imaginem pingeres ; item in scribendo facies. Insignia autem cujusque rei multis modis eliges, τὰ ὁμογενῆ, τὰ ὁμοειδῆ, τὰ ὅλα, τὰ μέρη, τὰ ἴδια, τὰ διάφορα, τὰ ἀντικείμενα, τὰ ἑπόμενα καὶ παρακολουθοῦντα, τὰ ὀνόματα, τὰ συμβεβηκότα, τὰ στοιχεῖα et fere omnia ex quibus argumenta sumuntur : de quibus plerumque audisti cum Θεωδώρου locos, ἐπιχειρημάτων, tum tractaremus. Eorum siquid memoriae tuae elapsum est, non inutile erit eadem nos denuo retractare. Tibi tempus aderit. In hac εἰκόνε, quam de patre tuo teque depinxi ἕν τι τῶν συμβεβηκότων ἔλαβον τὸ ὅμοιον τῆς ἀσφαλείας καὶ τῆς ἀπολαύσεως. Nunc tu per hasce vias ac semitas, quas supra ostendi, quaer(es) qu(o)nam modo Aenariam commodissime pervenias. Mihi dolor cubiti haud multum sedatus est. Vale, domine, cum ingenio eximio. Dominae meae matri tuae dic salutem. Τὴν δὲ ὅλην τῶν εἰκόνων τέ(χν)ην alias diligentius et subtilius persequemur; nunc capita rerum attigi.

LETTRE VIII

A MON SEIGNEUR

Cette image que tu dis chercher, et pour la recherche de laquelle tu me réclames comme ton associé et ton option, seras-tu fâché si je la trouve toute formée dans ton sein et dans celui de ton père. De même que dans la mer Ionienne, ou Tyrrhénienne, ou plutôt dans la mer Adriatique, ou toute autre mer que je te laisse à nommer, de même, dis-je, que dans cette mer l'île d'Aenaria reçoit et repousse les vagues marines, et souffre tous les assauts des flottes, des brigands, des bêtes féroces et des tempêtes, tandis qu'en son sein, dans un lac, elle protège une autre île contre tout péril et tout outrage, et lui fait partager ses délices et ses voluptés : car cette île intérieure, au milieu de son lac, est, comme elle, baignée par les ondes ; reçoit, comme elle, la douce haleine des vents ; est, comme elle, habitée, et jouit, comme elle, de la perspective des mers. Ainsi ton père supporte toutes les charges et toutes les peines de l'empire romain, et t'assure le repos au-dedans de lui, en son tranquille sein, t'associe à sa dignité, à sa gloire, et te fait entrer en partage de tous ses biens. Cette image, tu pourras t'en servir en plusieurs occasions, lorsque tu rendras des actions de grâces à ton père, ou bien dans un discours où il te faudra répandre toutes les richesses et tous les ornements ; car il n'est rien dans toute ta vie que tu désires avec plus de bienséance, de vérité, et de meilleur cœur, que ce qui tendra à rendre plus brillant l'éloge de ton père. Après cela, quelle que soit l'image que j'ajoute, elle ne te plaira pas autant que celle-ci, qui se rapporte à ton père ; je sais cela comme toi : c'est pourquoi je n'en ajouterai point d'autre. Mais je vais te montrer comment tu pourras en trouver toi-même, et je t'aimerai bien si tu m'envoies toutes les images que cette méthode t'aura offertes et fournies, afin que je me réjouisse si elles ont de la justesse et de la grâce.

Tu sais d'abord qu'une image s'emploie ou pour embellir une chose, ou pour l'enlaidir, ou pour l'élever, ou pour la rabaisser, ou pour l'amplifier, ou pour la rendre croyable de moins croyable qu'elle était. Lorsqu'aucune de ces conditions ne se présente, il n'y aura pas lieu à image. Ensuite quand, sur un sujet donné, tu écriras une image, de même que, si tu peignais, tu observerais tous les traits qui caractérisent l'image que tu veux peindre, ainsi feras-tu en écrivant. Or tu pourras choisir tour à tour entre ces différents traits les similitudes de fond, les similitudes de forme, l'ensemble, les parties, les caractères propres, les différences, les contraires, les conséquences, les analogies, les mots, leurs attributs, leurs éléments, et tout ce qui nous sert à trouver des arguments. Tu en as souvent entendu parler quand nous nous occupions ensemble des lieux communs de Théodorus. Si quelques-unes de ces notions te sont sorties de la mémoire, il ne sera pas inutile que nous y revenions une seconde fois. Tu pourras t'en servir en traitant cette image que je t'ai donnée à faire sur ton père et sur toi ; car je n'ai pris du sujet que son rapport avec ta sécurité et ton bonheur. Quant à présent, tu chercheras comment, par les routes et les sentiers que je t'ai indiqués plus haut, tu pourras arriver le plus commodément à Aenaria. Ma douleur au coude n'est pas diminuée de beaucoup. Porte-toi bien, seigneur, avec ton beau génie. Salue pour moi ma souveraine, ta mère. Une autrefois, nous approfondirons avec plus de soin et de recherche toute la science des images ; je n'ai fait aujourd'hui qu'effleurer le sujet.

EPISTOLA IX.

Have, mi magister optime.

Scio natali die quojusque pro eo quoius is dies natalis est, amicos vota suscipere; ego tamen, quia te juxta ac memet ipsum amo, volo hac die, tuo natali, mihi bene precari. Deos igitur omnis, qui usquam gentium vim suam praesentem promptamque hominibus praebent, qui vel somniis vel mysteriis vel medicina vel oraculis usquam juvant atque pollent ; eorum deorum unumquemque mihi votis advoco, meque pro genere cujusque voti in eo loco constituo, de quo deus ei rei praeditus facilius exaudiat. Igitur jam primum Pergamei arcem ascendo et Aesculapio supplico, uti valetudinem magistri mei bene temperet vehementerque tueatur. Inde Athenas degredior, Minervam genibus nixus obsecro atque oro, siquid ego umquam litterarum sciam, ut id potissimum ex Frontonis ore in pectus meum commigret. Nunc redeo Romam, deosque viales et promarinos votis inploro, uti mihi omne iter tua praesentia comitatum sit, neque ego tam saepe tam saevo desiderio fatiger. Postremo omnis omnium populorum praesides deos, atque ipsum lucum, qui Capitolium montem strepit, quaeso tribuat hoc nobis, ut istum diem, quo mihi natus es, tecum firmo te laetoque concelebrem. Vale, mi dulcissime et carissime magister. Rogo, corpus cura, ut quom venero videam te. Domina mea te salutat.
 

LETTRE IX

SALUT, MON TRES BON MAITRE

Je le sais, il est d'usage au jour anniversaire de la naissance d'un ami de faire des vœux pour lui ; moi cependant qui t'aime comme moi-même, je ne veux, dans ce jour de ta naissance, prier que pour moi. J'implore donc tous les dieux qui, par le monde, répandent sur les hommes leur salutaire et visible influence, les dieux tutélaires et puissants des songes, des mystères, de la médecine et des oracles. J'invoque chacune de ces divinités à son tour ; et, selon la nature de mon voeu, je me transporte par la pensée au lieu même où le dieu consacré à l'objet de ma prière pourra m'entendre plus facilement. Et d'abord je monte à la citadelle de Pergame ; là, je supplie Aesculapius d'entretenir avec soin la santé de mon maître, et de le mettre sous son efficace protection. De là je descends à Athènes, et je conjure Minerva ; je lui demande à genoux que, si jamais je fais quelque progrès dans les lettres, ce soit aux leçons de Fronto que je le doive. Puis je reviens à Rome, et j'implore les dieux des chemins et des mers pour que ta présence soit la compagne de tous mes voyages, et que je n'aie plus si souvent à m'affliger du cruel regret de ton absence. Enfin je m'adresse à tous les dieux protecteurs de tous les peuples, à ce bois sacré, qui frémit sur la montagne du Capitole ; je leur demande la grâce de célébrer avec toi le jour où tu es né pour moi, et d'avoir à me réjouir de ta santé et de ton bonheur. Adieu, mon très doux et très cher maître ; je t'en prie, soigne-toi bien, et que je puisse te voir en arrivant. Ma souveraine te salue.

EPISTOLA X.

Domino meo.

Omnia nobis prospera sunt, quom tu pro nobis optas : neque enim quisquam dignior alius te, qui a dis, quae petit, inpetret; nisi quod ego cum pro te precor, nemo alius te dignior est pro quo impetretur. Vale, domine dulcissime. Dominam saluta.

LETTRE X

A MON SEIGNEUR

Tout nous est prospère lorsque tu fais des vœux pour nous. Et en effet nul autre ne mérite plus que toi d'obtenir des dieux ce que je leur ai demandé, si ce n'est pourtant, lorsque je prie pour toi, que nul autre ne mérite davantage que la prière soit accomplie. Adieu, seigneur très doux, salue la souveraine.

EPISTOLA XI.

Domino meo.

Gratia ad me heri nocte venit. Sed pro Gratia mihi fuit, quod tu gnomas egregie convertisti : hanc quidem, quam hodie accepi, prope perfecte ; ut poni in libro Sallustii possit, nec discrepet aut quicquam decedat. Ego beatus, hilaris, sanus, juvenis denique fio, quom tu ita proficis. Est grave, quod postulabo ; sed quod ipse mihimet profuisse memini, non potest quin a te quoque postulem. Bis et ter eandem convertito, ita ut fecisti in illa gnome brevicula. Igitur longiores quoque bis ac ter converte naviter, audacter : quodcumque ausus fueris, cum isto ingenio perficies. At enim cum labore laboriosum quidem negotium concupisti, sed pulcrum et re(ctum) et paucis inpetratum.  De... in me re... fabula d... perfecte absolveris. Plurimum tibi in oratione facienda... tum certe quidem cottidie... ex Jugurtha aut ex Catilina. Diis propitiis quom Romam reverteris, exigam a te de(nuo ver)sus diurnos. Dominam matrem saluta.

LETTRE XI

A MON SEIGNEUR

Hier, à la nuit, Gratia m'est venue voir. Mais ce qui a été pour moi une Gratia, c'est que tu as traduit fort bien ces maximes, et notamment celle que j'ai reçue aujourd'hui ; elle approche de la perfection, si bien qu'elle se pourrait mettre dans le livre de Sallustius, où elle ne ferait ni dissonance ni disparate. Vraiment je suis heureux, gai, bien portant, je rajeunis même à te voir faire de tels progrès. Il est un exercice pénible que j'exigerai de toi ; mais, quand je me rappelle qu'il m'a servi à moi-même, il n'est pas possible que je ne l'exige pas aussi de toi. Traduis la même maxime deux et trois fois comme tu as fait pour cette courte, maxime ; les plus longues aussi traduis-les deux ou trois fois soigneusement, hardiment : tout ce que tu oseras avec un esprit comme le tien, tu l'accompliras. En effet, tu as désiré achever à force de labeur une œuvre laborieuse, mais belle, noble, et qu'il fut donné à peu d'atteindre *** Lorsque, par la faveur des dieux, tu seras de retour à Rome, j'exigerai encore de toi des vers tous les jours. Salue la souveraine ta mère.

EPISTOLA XII.

Magistro meo.

Duas per id tempus epistulas tuas accepi. Earum altera me increpabas et temere sententiam scripsisse arguebas : altera vero tuere studium meum. Laudet te Baius. Adjuro tamen tibi meam, meae matris, tuam salutem, mihi plus gaudii in animo coortum esse illis tuis prioribus litteris ; me saepius exclamasse inter legendum. O me felicem! Ita ne dicet aliquis felicem te, si est, qui te doceat, quomodo γνώμην sollertius, dilucidius, brevius, politius scribas? non hoc est, quod me felicem nuncupo. Quid est igitur? quod verum dicere ex te disco. Ea res, verum dicere prorsum diis hominibusque ardua: nullum denique tam veriloquium oraculum est, quin aliquid ancipitis vel obliqui vel inpediti habeat, quo inprudentior inretiatur.  Et... olunt captiosum dictum opinatus captionem post tempus ac neget...sen... tua.... a tantum.... errore quantum...atius u... confestim ipsam... am ostendunt sine fraude et inventis verbis. Itaque haberem etiam gratias agere sive... simul et audire verum me doces. Duplex igitur... ne valeam set re quom tibi... exp... nisi... qui sint... tamen mihi minorem gloriam tum... die... vacui (l)icuit me... bene et... exerpere.  paulatim... n mi.... est enim... qui. laborem hic rect... oria per... Vale, mi... ne... et optime...  orator sic m... venisse gaudeo. Domina mea te salutat.
 

LETTRE XII

A MON MAITRE

J'ai reçu deux lettres de toi à la fois : dans l'une tu m'adresses des reproches, tu m'accuses d'avoir mal exprimé une pensée ; dans l'autre tu encourages mes études. Que Baius fasse ton éloge ! -Eh bien ! je te le jure sur ma vie, sur celle de ma mère, sur la tienne, la première de tes lettres m'a mis plus de joie dans l'âme. Je me suis écrié mille fois en la lisant : O que je suis heureux ! Eh quoi ! me dira-t-on, heureux qu'un maître t'enseigne à rendre une pensée avec plus d'art, de clarté, de précision ou d'élégance ? Non, ce n'est point à ce titre que je suis heureux. Et auquel donc ? J'ai appris de toi à dire la vérité, la vérité, cet écueil des dieux et des hommes. En effet, quel oracle si vrai qui n'offre un doute, une obscurité, un piège, où l'imprudence s'embarrasse et se perd ? ***

EPISTOLA XIII.

Domino meo.

Quod poetis concessum est ὀνοματοποιεῖν (verba nova fingere), quo facilius, quod sentiunt exprimant, id mihi necessarium est ad gaudium meum expromendum. Nam solitis et usitatis verbis non sum contentus : ita a(man)tius gaudeo, quam ut sermone volgato significare laetitiam animi mei possim ; tot mihi a te in tam pau(cis diebus) epistulas scriptas, easque tam eleganter, tam amice, tam blande, tam effuse, tam fraglanter conpositas ; cum jam tot negotiis quot officiis, quot rescribendis per provincias litteris distringerere. At enim proposueram ; nihil enim mihi a te occultum aut dissimulatum retinere fas est ; ita, inquam, proposueram vel desidiae culpam a te subire rarius scribendo tibi, potius, quam te multis rebus occupatum epistulis meis onorarem, et ad rescribendum provocarem ; quom tu cotidie ultro scripsisti mihi. Sed quid dico cotidie? ergo jam hic mihi ὀνοματοποιίας opus est. Nam cotidie foret, si singulas epistulas per dies singulos scripsisses; quom vero plures epistulae sint quam dies, verbum istud cottidie minus significat. Nec est, domine, quod mihi tristior sis, cur omnino veritus sim, ne tibi litterae meae crebriores oneris essent: nam quo mei amantior es, tanto me laborum tuorum parcioremn, et occupationum tuarum modestiorem esse oportet.

Quid est mihi osculo tuo suavius ? ille mihi suavis odor, ille fructus in tuo collo atque osculo situs est. Adtamen proxime cum proficiscere, cum jam pater tuus vehiculum conscendisset, te salutantium et exosculantium turba diutius moraretur, prope fuit ut te solus ex omnibus non complecterer nec exoscularer. Item in ceteris aliis rebus omnibus, numquam equidem mea commoda tuis utilitatibus anteponam; quin, si opus sit, meo gravissimo labore atque negotio tuum levissimum otium redimam. Igitur cogitans quantum ex epistulis scribendis laboris caperes, proposueram parcius te appellare ; quom tu cotidie scripsisti mihi. quas ego epistulas quom acciperem, simile patiebar, quod amator patitur, qui delicias suas videat currere ad se per iter asperum et periculosum. Namque is simul advenientem gaudet, simul periculum veretur. Unde displicet mihi fabula histrionibus celebrata, ubi amans amantem puella juvenem nocte lumine accenso stans in turri natantem in mare opperitur. Nam ego potius te caruero, tametsi amore tuo ardeo, potius quam te ad hoc noctis natare tantum profundi patiar, ne luna occidat, ne ventus lucernam interemat, ne quid ibi ex frigore inpliciscar ; ne fluctus, ne vadus, ne piscis aliquo noxsit. Haec oratio amantibus decuit, et melior et salubrior fuit ; non alieno capitali periculo sectari voluptatis usuram brevem ac paenitendam. Nunc ut a fabula ad verum convertar, id ego non mediocriter anxius eram ne necessariis laboribus tuis ego insuper aliquod molestiae atque oneris inponerem, si praeter eas epistulas, quas ad plurimos necessario munere cotidie rescribis, ego quoque ad rescribendum fatigarem. Nam me carere omni fructu amoris tui malim, quam te ne minimum quidem incommodi voluptatis meae gratiae subire.

LETTRE XIII

A MON SEIGNEUR

Le privilège accordé aux poètes de faire des onomatopées (de créer de nouveaux mots) pour exprimer leurs pensées, me devient nécessaire pour rendre ma joie ; car les termes ordinaires et usités ne nie satisfont point. C'est si bien par excès d'amour que je me réjouis que je ne puis avec la langue usuelle exprimer l'allégresse de mon cœur. En si peu de jours, tant de lettres de toi à moi, et des lettres écrites avec tant d'élégance, tant d'affection, tant de bienveillance, tant d'abandon, tant de chaleur, tandis que, au fond, tu étais absorbé par tant de devoirs, d'affaires et de rescrits à envoyer dans les provinces ! Cependant j'étais décidé, car je ne dois rien avoir de caché ou de dissimulé pour toi, j'étais décidé, en t'écrivant moins souvent, à subir de ta part jusqu'au reproche de paresse plutôt que d'aggraver, par mes lettres, le poids d'occupations dont tu es surchargé, et de te provoquer à me répondre, lorsque de toi-même tu m'as écrit tous les jours. Mais, que dis-je, tous les jours ? c'est ici pour le coup que j'ai besoin d'onomatopée ; car ce serait tous les jours, si tu n'avais écrit qu'une lettre par jour ; mais comme il y a plus de lettres que de jours, le mot tous les jours est insuffisant. Il n'y a pas de quoi te fâcher, seigneur, si j'ai craint que mes lettres trop fréquentes ne te fussent à charge ; car plus tu me montres d'affection, plus je dois être avare de tes travaux et ménager de tes occupations.
Quoi de plus suave pour moi que ton baiser ? Ce parfum suave, ce fruit, c'est sur ton cou, c'est dans ton baiser qu'ils résident pour moi. Dernièrement néanmoins, lorsque tu partais, lorsque déjà ton père était monté en voiture, que tu étais retenu par la foule de ceux qui te saluaient, qui t'embrassaient, il s'en est peu fallu que, seul de tout ce monde, je ne t'aie ni embrassé ni baisé.De même que, en toute autre chose, jamais je ne préférerai mes aises à tes intérêts, je rachèterais même, s'il en était besoin, au prix du plus pénible, du plus long travail, ton plus léger repos. Pensant donc combien tant de lettres à écrire te coûtaient de peine, je m'étais proposé d'être plus sobre en provocations avec toi, lorsque tu t'es mis à m'écrire tous les jours. Aussi lorsque je recevais ces lettres, je souffrais tout ce que souffre un amant qui voit courir à lui ses délices par un chemin rude et périlleux ; en effet, s'il se réjouit de la voir arriver, il tremble en même temps de son danger. De là vient que je n'aime point du tout cette fable, jouée par nos histrions, dans laquelle, pendant la nuit, debout sur une tour avec un flambeau allumé, une jeune amante attend son jeune amant qui traverse la mer a la nage ; car j'aimerais mieux être privé de toi, quoique je t'aime ardemment, que de te voir ainsi, la nuit, nager sur de telles profondeurs. Je tremblerais que la lune ne défaillît, que le vent n'éteignît le fanal, que le moindre froid n'engourdît tes membres ; qu'une vague, un banc de sable, un poisson ne te fût fatal. Une leçon plus convenable, meilleure et plus salutaire à donner à ceux qui aiment est de ne pas chercher, au péril de la vie d'autrui, un plaisir court suivi du repentir. Maintenant, pour revenir de la fable à la vérité, je n'étais pas médiocrement agité par la crainte d'ajouter à tes occupations indispensables un surcroît de peine et d'embarras, si, outre les lettres que ta place t'oblige de répondre tous les jours à tant de monde, je te fatiguais encore à me récrire ; car j'aimerais mieux être privé de tous les fruits de ton amour que de te voir éprouver la moindre gêne pour mou plaisir.

EPISTOLA XV.

Magistro meo.

Epistula Ciceronis mirifice adfecit animum meum. Miserat Brutus Ciceroni librum suum corrigen(dum)...
 

LETTRE XIV

A MON MAITRE

La lettre de Brutus a merveilleusement louché mon âme. Brutus avait envoyé son livre à Cicéron pour qu'il le corrigeât ***

EPISTOLA XV.

(Domino meo.)

... Molliantur, atque ita efficacius sine ulla ad animos offensione audientium penetrent. Haec sunt profecto, quae tu putas obliqua et insincera et anxia, et verae amicitiae minime adcommodata. At ego sine istis artibus omnem orationem absurdam et agrestem et incognitam, denique inertem atque inutilem puto. Neque magis oratoribus arbitror necessaria ejusmodi artificia quam philosophis. In ea re non oratorum domesticis, quod dicitur, testimoniis utar, sed philosophorum eminentissimis, poetarum vetustissimis excellentissimisque, vitae denique cotidianae usu atque cultu artiumque omnium experimentis. Quidnam igitur tibi videtur princeps ille sapientiae simul atque eloquentiae Socrates? huic enim primo ac potissimo testimonium apud te denuntiavi ; eo ne usus genere dicendi in quo nihil est oblicum, nihil interdum dissimulatum? Quibus ille modis Protagoram et Polum et Thrasymachum et sophistas ceteros versare atque inretire solitus? quando autem aperta arte congressus est? quando non ex insidiis adortus? quo ex homine nata inversa oratio videtur, quam Graeci εἰρωνείαν appellant. Alcibiaden vero ceterosque adulescentis genere aut fama aut opibus feroces, quo pacto appellare atque adfari solebat? per jurgium, an per πολιτείαν ? exprobrando acriter, quae delinquerent, an leniter arguendo? Neque deerat Socrati profecto gravitas aut vis, quantum cynicus Diogenes volgo saeviabat : sed vidit profecto ingenia partim hominum ac praecipue adulescentium facilius comi adque adfabili oratione leniri quam acri violentaque superari. Itaque non viniis neque arietibus errores adulescentium expugnabat, sed cuniculis subruebat : neque umquam ab eo auditores discessere lacerati, sed nonnumquam lacessiti. Est enim genus hominum natura insectantibus indomitum, blandientibus conciliatum. Quam ob rem facilius precariis decedimus, quam violentis deterremur : plusque ad corrigendum promovent consilia quam jurgia. Ita comitati monentium obsequimur, inclementiae objurgantium obnitimur.

LETTRE XV

(A MON SEIGNEUR)

*** Qu'ils soient adoucis ; et de la sorte ils pénétreront plus efficacement et sans froissement dans l'esprit des auditeurs. Ce sont là sans doute de ces procédés où tu ne trouves ni droiture, ni sincérité, ni rien de positif, rien qui s'accorde avec la véritable amitié. Pour moi, sans ces moyens, tout discours me semble absurde, agreste, étrange, inerte enfin et inutile ; et je ne crois pas ces sortes d'artifices plus nécessaires aux orateurs qu'aux philosophes. Sur ce point, je n'emploierai pas les témoignages domestiques, comme on dit, des orateurs, mais ceux des philosophes les plus éminents, des poètes les plus anciens et les plus sublimes, l'usage et la pratique de la vie de tous les jours, et les expériences de tous les arts. Ainsi, que te semble de ce prince de la sagesse et de l'éloquence, Socratès ? car c'est à celui-là, comme au premier et au meilleur de tous, que j'ai déféré le témoignage auprès de toi. A-t-il usé de ce genre de discours où il n'y a rien d'oblique, rien de dissimulé ? Par quels moyens aimait-il à dérouter, à enlacer dans ses filets un Protagoras, un Polus, un Thrasymachus, et d'autres sophistes ? Quand s'est-il présenté au combat à découvert ? quand a-t-il commencé l'attaque autrement que par des embûches ? De cet homme semble né ce discours à rebours que les Grecs appellent ironie. Mais comment s'y prenait-il pour reprendre, pour blâmer Alcibiadès et ces autres jeunes gens si fiers de leur naissance, de leur figure et de leur richesse ? Était-ce avec un ton grondeur ou insinuant ? par le reproche amer de leurs fautes, ou par de douces remontrances ? Et certes la gravité et la vigueur ne manquaient pas plus à Socratès qu'à Diogénès le cynique quand il se déchaînait contre le peuple ; mais il avait reconnu que les hommes en général et les jeunes gens surtout se rendaient plus facilement à un langage doux, affable, qu'à des propos violents et amers. Aussi n'était-ce point avec des béliers et des balistes qu'il assaillait les erreurs de la jeunesse ; il les ruinait en les minant ; et jamais ses auditeurs ne le quittèrent meurtris et déchirés, mais presque toujours ébranlés. En effet, l'homme, par nature, est revêche à la critique, et se laisse gagner par les caresses. C'est pourquoi nous sommes plus facilement persuadés par la prière qu'intimidés par la violence ; pour corriger, les conseils sont plus puissants que les querelles. Ainsi nous déférons à de douces insinuations, et nous nous raidissons contre la dureté des reproches.

EPISTOLA XVI.

Domino meo.

Quod tu me putes somnum cepisse, totam paene noctem pervigilavi mecum ipse reputans, num forte nimio amore tui remissius et clementius delictum aliquod tuum aestumarem ? num tu ordinatior, perfectior jam in eloquentia esse debueris, sed ingenium tuum vel desidia vel indiligentia claudat. Haec mecum anxie volutans inveniebam te multum supra aetatem quanta est, multum supra tempus, quo operam his studiis dedisti, multum etiam supra opinionem meam, quamquam ego de te sperem inmodica, in eloquentiam promovisse.

Sed quo mihi tum demum venit nocte media in mentem, qualem ὑπόθεσιν scribas, nimirum ἐπιδεικτικήν, qua nihil est difficilius. Cur? quia, cum sint tria ferme genera ὑποθέσεων δικανικῶν, cetera illa multo sunt proniora, multifaria, procliva vel campestria ; τὸ ἐπιδεικτικὸν in arduo situm. Denique cum aeque tres quasi formulae sint orationis, ἰσχνόν, μέσον, ἁδρόν, prope nullus in epidicticis τῷ ἰσχνῷ locus, qui est in dicia multum necessarius. Omnia ἐν τῷ ἐπιδεικτικῷ ἁδρῶς dicenda, ubique ornandum, ubique phaleris utendum ; pauca τῷ μέσῳ χαρακτῆρι. Meministi autem tu plurimas lectiones, quibus usque adhuc versatus es, comoedias atellanas, oratores veteres ; quorum aut pauci, aut praeter Catone et Gracchum, nemo tubam inflat; omnes autem mugiunt vel stridunt potius. Quid igitur Ennius egit, quem legisti? quid tragoediae ad versum sublimiter faciundum te juverunt? Plerumque enim ad orationem faciendam versus, ad versificandum oratio magis adjuvat. Nunc nuper coepisti legere ornatas et pompaticas orationes: noli postulare statim eas imitari posse. Verum, ut dixi, incumbamus, conitamur : me vade, me praede, me sponsore, celeriter te in cacumine eloquentiae sistam. Dii facient, dii favebunt. Vale, domine, καὶ ἔλπιζε καὶ εὐθύμει καὶ χρόνῳ καὶ ἐμπειρίᾳ πείθου. Matrem dominam saluta. Quom Persarum disciplinam memorares, bene battunt ais.

LETTRE XVI

A MON SEIGNEUR

Cette nuit où tu me croyais livré au sommeil, je l'ai passée presque tout entière à examiner en moi-même si, dans l'excès de mon amour pour toi, je ne m'étais pas montré trop facile et trop indulgent sur quelqu'une de tes fautes ; et si, quand tu devrais être mieux ordonné et plus parfait en éloquence, tu ne l'es pas encore par l'effet de la paresse ou du peu de soin ? En repassant en moi-même cette idée qui me tourmentait, je trouvais cependant que tu avais fait dans l'éloquence des progrès au-dessus de ton âge, bien au-dessus du temps que tu as donné a tes études, bien au-dessus même de mon attente, quoique j'espérasse de toi des merveilles.
Quant à l'idée qui m'est venue au milieu de la nuit de te faire traiter un sujet du genre démonstratif, qui est le plus difficile de tous, en voici la raison : c'est qu'après les trois espèces de sujets judiciaires, le reste est un chemin uni, facile à tous, c'est la pente de la colline, c'est la plaine ; le genre démonstratif, c'est le sommet de la montagne. Enfin parmi les trois espèces de style, le simple, le tempéré, le copieux, il y a rarement lieu dans le démonstratif au style simple, qui est de rigueur dans le genre judiciaire. Tout dans le démonstratif doit être copieux, riche, orné de phalères ; le style tempéré y convient peu. Mais tu te rappelles ces nombreuses lectures auxquelles tu t'es livré jusqu'ici, ces comédies atellanes, les anciens orateurs, dont fort peu, ou, excepté Cato et Gracchus, aucun n'embouche la trompette, mais qui mugissent tous ou glapissent, pour mieux dire. Qu'a donc produit Ennius, que tu as lu ? En quoi t'ont servi les tragédies pour faire des vers sublimes ? car, la plupart du temps, c'est le vers qui aide à composer le discours, et le discours, à versifier. Ensuite, tu t'es mis naguère à lire des discours ornés et pompeux. Ne cherche pas tout de suite à pouvoir les imiter. Plutôt, comme je l'ai dit, appliquons-nous, efforçons-nous, et bientôt, je le promets, j'en réponds, je m'y engage, je t'aurai placé sur le faîte de l'éloquence. Les dieux y mettront la main, les dieux seront favorables. Espère, aie bon courage, fie-toi au temps et à l'expérience. Adieu, seigneur, salue ta mère, ma souveraine. En parlant de la discipline des Perses, tu dis : Ils s'escriment bien.

EPISTOLA XVII.

Have, mi Fronto merito carissime.

Intellego istam tuam argutissimam strofam, quam tu quidem benignissime repperisti ; ut quia laudando me, fidem propter egregium erga me amorem tuum non habebas, vituperando laudi fidem quaereres. Sed o me beatum, qui a Marco Cornelio meo, oratore maximo, homine optimo, et laudari et repraehendi dignus esse videor! Quid ego de tuis litteris dicam benignissimis, verissimis, amicissimis? verissimis tamen usque ad primam partem libelli tui : nam cetera, ubi me conprobas, ut ait nescio quis Graecus, puto Thucydides, τυφλοῦται γὰρ τὸ φιλοῦν περὶ τὸ φιλούμενον. Item tu partim meorum prope caeco amore interpretatus es. Sed tanti est, me non recte scribere, et te nullo meo merito, sed solo tuo erga me amore laudare ; de quo tu plurima et elegantissima ad me proxime scripsisti.  Ego, si tu volueris, ero aliquid. Ceterum litterae tuae id effecerunt, ut, quam vehementer me amares, sentirem. Sed quod ad ἀθυμίαν meam attinet, nihilo minus adhuc animus meus pavet et tristiculus est, nequid hodie in senatu dixerim, propter quod te magistrum habere non merear. Vale, mihi, Fronto ; quid dicam, nisi amice optime.
 

LETTRE XVII

SALUT, MON FRONTO, TRES CHER A TANT DE TITRES

Je comprends ta ruse si ingénieuse ; la plus aimable bienveillance te l'a inspirée. Comme tes louanges perdaient de leur prix par l'excès de ton amour pour moi, tu as voulu, à la faveur du blâme, rendre quelque crédit à tes éloges. Mais que je suis heureux d'être jugé digne des louanges et des critiques de mon Marcus Cornélius, le plus grand des orateurs et le meilleur des hommes ! Que dirai-je de tes lettres si bienveillantes, si vraies, si amicales ! Si vraies, je ne parle que de la première partie, car les flatteries de la fin me rappellent cette pensée d'un Grec, je ne sais lequel,Thucydidès, je pense : Celui qui aime s'aveugle sur l'objet aimé. En effet, c'est avec un amour presque aveugle que tu as jugé une partie de mes essais ; mais j'aime autant ne jamais bien écrire que de devoir à ton affection seule des éloges que ne mérite pas mon talent ; c'est elle qui t'inspirait cette dernière lettre, si aimable et si élégante. Pourtant, si tu le veux, je serai quelque chose. Du reste, tes lettres m'ont fait sentir combien vivement tu m'aimais ; mais, s'il faut te parler de mon découragement, oui, mon esprit s'effraie et s'afflige ; j'ai peur de dire aujourd'hui dans le sénat quelque parole qui me rende indigne de t'avoir pour maître. Vis pour moi, Fronto, ô toi, que dirai-je ? ô toi le meilleur de mes amis !

EPISTOLA XVIII.

Magistro suo, Caesar suus.

In quantum me juverit lectio orationum istarum Gracchi, non opus est me dicere, quom tu scias optime, qui me ut eas legerem doctissimo judicio ac benignissimo animo tuo hortatus es. Ne autem sine comite solus ad te liber tuus referretur, libellum istum addidi. Vale, mi magister suavissime, amice amicissime, quoi sum debiturus, quidquid litterarum sciero. Non sum tam ingratus, ut non intellegam, quid mihi praestiteris, quom excerpta tua mihi ostendisti, et quom cotidie non desinis in viam me veram inducere, et oculos aperire, ut volgo dicitur. Merito amo.
 

LETTRE XVIII
А SON MAÎTRE, SON CAESAR
Je n'ai pas besoin de te dire tout le plaisir que m'a fait la lecture de ces discours de Gracchus, puisque tu le sais fort bien, toi dont le goût éclairé et l'extrême bienveillance m'ont exhorté à les lire ; mais pour que ce livre ne te revienne pas seul et sans compagnon, je lui ai joint ce billet. Adieu, mon si aimable maître, le plus ami de tous les amis, à qui je serai redevable de tout ce que je saurai dans les lettres. Je ne suis pas si ingrat que je ne sente tout ce que tu as fait pour moi, lorsque tu m'as laissé voir tes extraits, et lorsque tu ne cesses chaque jour de me mettre dans le vrai chemin, et de m'ouvrir les yeux, comme dit le vulgaire. J'ai bien raison de t'aimer.

EPISTOLA XIX.

Magistro meo.

Qualem mihi animum esse existimas quom cogito quamdiu te non vidi, et quam ob rem non vidi ! et fortassis pauculis te adhuc diebus, cum te necessario confirmas, non videbo. Igitur dum tu jacebis, et mihi animus supinus erit : quom si tu, dis juvantibus, bene stabis, et meus animus bene constabit, qui nunc torretur ardentissimo desiderio tuo. Vale, anima Caesaris tui, amici tui, discipuli tui.
 

LETTRE XIX

A MON MAÎTRE

Dans quel état penses-tu que soit mon âme, lorsque je songe combien il y a de temps que je ne t'ai vu, et pourquoi je ne t'ai pas vu ! et il est possible que je ne te voie pas encore de quelques jours, puisque tu m'assures que cela ne peut être autrement. Ainsi donc, tant que tu languiras, mon esprit abattu languira ; que si, les dieux aidant, tu peux enfin te tenir debout, mon esprit sera ferme et debout ; il brûle en ce moment du plus ardent désir de te voir. Adieu, âme de ton Caesar, de ton ami, de ton disciple.
 

 EPISTOLA XX.

Domino meo.

Lectulo me teneo. Si possim, ubi ad Centumcellas ibitis, itineri idoneus esse, VII Idus vos Lorii videbo, deis faventibus. Excusa me domino nostro patri tuo ; quem, iita vos salvos habeam!  magno pondere gravius amo et colo ; quom tam bene in senatu judicatum est, quod et provinciis saluti esset, et reos clementer objurgasset. Ubi vivarium dedicabitis, memento quam diligentissime, si feras percuties, equum admittere. Galbam certe ad Centumcellas produces. An potes octavidus Lorii? Vale, domine : patri placeto, matri dic salutem, me desiderato. Cato quid dicat de Galba absoluto, tu melius scis; ego memini propter fratris filios eum absolutum. Τὸ δὲ ἀκριβὲς ipse inspice. Cato igitur dissuadet, neve suos neve alienos quis liberos ad misericordiam conciliandam producat, neve uxores, neve adfines, vel ullas omnino feminas. Domine matrem saluta.

LETTRE XX

A MON SEIGNEUR

Je me tiens au lit. Si je suis en état de me mettre en chemin lorsque vous irez à Centumcellae, je vous verrai à Lorium le VII des ides, s'il plaît aux dieux. Excuse-moi auprès de ton père, notre seigneur, que je voudrais voir bien portant, ainsi que vous. Je redouble d'amour et de vénération pour lui depuis que je sais qu'il a si bien jugé dans le sénat de ce qui pouvait être salutaire aux provinces, et qu'il n'a adressé qu'une douce réprimande aux coupables. Lorsque tu feras la dédicace de ton parc, aie soin, si on doit tuer les bêtes, de m'envoyer le plus promptement possible un cheval. Tu produiras sans doute le Galba à Centumcellae ; ne le pourrais-tu pas à Lorium le VIII des ides ? Adieu, seigneur, fais la joie de ton père ; salue ta mère et désire-moi. Tu sais mieux que moi ce que doit dire Cato de Galba, absous ; moi je me souviens qu'il fut absous à cause des fils de son frère : vois, du reste, toi-même ce qui est le plus vrai. Ainsi Cato ne veut pas que pour se concilier la pitié on produise ni ses propres enfants, ni ceux des autres, ni son épouse, ni ses parentes, ni aucune autre femme. Salue ma souveraine, ta mère.

EPISTOLA XXI.

Magistro meo.

Mane ad te non scripsi, quia te commodiorem esse audieram, et quia ipse in alio negotio occupatus fueram; nec sustineo ad te umquam quicquam scribere, nisi remisso et soluto et libero animo. Igitur si recte sumus, fac me ut sciam : quid enim optem, scis; quam merito optem, scio. Vale, meus magister, qui merito apud animum meum omnis omni re praevenis. Mi magister, ecce non dormito, et cogo me ut dormiam, ne tu irascaris. Aestimas utique me vespera haec scribere.
 

LETTRE XXI

A MON MAÎTRE

Je ne t'ai pas écrit ce matin, parce que j'ai su que tu te trouvais mieux, et qu'ensuite j'étais moi-même occupé d'une autre affaire. Je ne puis t'écrire avant d'avoir l'esprit reposé, dégagé et libre. Si donc nous sommes dans la bonne voie, fais-le moi savoir ; car tu sais ce que je désire, et je sais, moi, combien j'ai raison de le désirer. Adieu, mon maître, qui, à raison, l'emportes sur tous et en toute chose dans mon cœur. Mon maître, voici que je ne dors pas et que je tâche de dormir, afin que tu ne te fâches pas. Tu juges bien que c'est le soir que j'écris ceci.