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FRONTON

 

LETTRES

 

LETTRES DE M. С. FRONTO

A M. CAESAR,

ET DE M. CAESAR A M. C. FRONTO

LIVRE DEUXIÈME

Oeuvre numérisée et mise en page par Thierry Vebr

 

 

 

 

M. CORNELII FRONTONIS

EPISTULAE

AD M. CAESAREM

ET INVICEM

LIBER SECUNDUS

EPISTOLA I.

Domino meo.

Accepi, Caesar, litteras tuas, quibus quanto opere laetatus sim, facile aestimabis, si reputaveris singula. Primum, quod caput est omnis mei gaudii, cum te bene valere cognovi ; tum, quod ita amantem mei sensi, finem ut amori nullum neque modum statuas, quin cottidie aliquid reperias, quod circa me jucundius atque amicius facias. Ego denique olim jam me puto satis amari, tibi autem nondum, etiam quantum me diligas satis est; ut non mare ullum tam sit profundum, quam tuus adversus me amor. Sane, ut illud queri possim ; cur me nondum ames tantum, quantum plurimum potest : namque in dies plus amando efficis, ne id, quod ante diem amaveris, plurimum fuerit. Consulatum mihi putas tanto gaudio fuisse, quanto tua tot in una re summi amoris indicia?

Orationis meae particulas, quas excerpseram. recitasti patri tuo ipse, studiumque ad pronuntiandum adhibuisti : qua in re et oculos mihi tuos utendos, et vocem, et gestum, et inprimis animum accomodasti. Nec video quis veterum scriptorum quisquam me beatior fuerit, quorum scripta Aesopus ad populum pronuntiavit aut Roscius. Meae vero orationi M. Caesar actor contigit et pronuntiator : tuaque ego opera et voce audientibus placui, cum audiri a te ac tibi placere, omnibus summe sit optabile. Non miror itaque, quod placuerit oratio oris tui dignitate exornata. Nam pleraque propria venustate carentia, gratiam sibimet alienam extrinsecus mutuantur. Quod evenit etiam in plebis istis edulibus: nullum adeo vile aut volgatum est holus aut pulpamentum, quin elegantius videatur vasis aureis adpositum. Idem evenit floribus et coronis: alia dignitate sunt quom a coronariis veneunt, alia, quom a sacerdotibus porriguntur. Tantoque ego fortunatior, quam fuit Hercules atque Achilles, quorum arma et tela gestata sunt a Patricole et Philocteta, multo viris virtute inferioribus. Mea contra oratio mediocris, ne dicam ignobilis, a doctissimo et facundissimo hominum Caesare inlustrata est. Nec ulla umquam scena tantum habuit dignitatis: M. Caesar actor, Titus imperator !Quid amplius cuiquam contingere potest, nisi unum quod in caelo fieri poetae ferunt, quo, Jove patre audiente Musae cantant?

Enimvero quibus ego gaudium meum verbis exprimere possim, quod orationem istam meam tua manu descriptam misisti mihi? Verum est profecto, quod ait noster Laberius : ad amorem iniciendum delenimenta esse deleramenta, beneficia autem veneficia. Quo poculo aut veneno quisquam tantum flammae ad amandum incussisset, praeut me dulci facto hoc stupidum et attonitum ardente amore tuo reddidisti. Quot litterae istic sunt, totidem consulatus mihi, totidem laureas, triumphos, togas pictas arbitror contigisse. Quid tale M. Porcio, aut Quinto Ennio, aut C. Graccho, aut Titio poetae ? quid Scipioni, aut Numidico ? quid M. Tullio tale usuvenit? quorum libri pretiosiores habentur et summam gloriam retinent, si sunt a Lampadione aut Staberio, aut ...vi aut (Tirone) aut Aelio... aut Attico, aut Nepote. Mea oratio extabit M. Caesaris manu scripta. Qui orationem spreverit, litteras concupiscet; qui scripta contempserit, scriptorem reverebitur. Ut si simiam aut volpem Apelles .. tet bestiae...pretium adderet. Aut quod M. Cato... 

LETTRES DE M. С. FRONTO

A M. CAESAR,

ET DE M. CAESAR A M. C. FRONTO

LIVRE DEUXIÈME

LETTRE I

A MON SEIGNEUR

J'ai reçu ta lettre, Caesar, et tu jugeras facilement de tout le plaisir qu'elle m'a fait, si ton attention se porte sur ce qui suit. La première cause de tout mon bonheur est de te savoir en bonne santé ; la seconde de voir que tu m'aimes tellement que lu ne mets ni fin, ni mesure à ton amour, au point que tu trouves chaque jour ce qui pouvait m'être le plus agréable et le plus doux. Enfin, tandis que depuis longtemps je pense que je suis assez aimé, toi, tu en es encore à croire que tu ne m'aimes pas assez ; en sorte que l'océan même n'est pas aussi profond que ton amour pour moi. Tu veux sans doute m'arracher cette plainte : pourquoi ne m'aimes-tu pas autant qu'il est possible d'aimer ? car, en aimant plus chaque jour, ce que lu donnes d'amour la veille n'est pas le plus que tu en puisses donner. Penses-tu que le consulat m'ait causé autant de joie que tant de marques de ton amour extrême, dans une seule circonstance ?

J'avais extrait quelques passages de mon discours : tu les as récités toi-même à ton père, et tu en avais si bien étudié la prononciation, que tes yeux, ces yeux dont j'envie l'usage, ta voix, ton geste et toute ton âme s'y prêtèrent. Non, je ne vois aucun de ces anciens écrivains dont AEsopus et Roscius récitèrent les ouvrages devant le peuple, qui ait eu plus de bonheur que moi ; car il est arrivé à mon discours d'avoir un Caesar pour acteur et pour organe. C'est par ton action et par ta voix que j'ai charmé mes auditeurs, et cela, quand la suprême ambition de chacun est d'être écouté par toi et de te plaire. Je ne m'étonne donc pas que mon discours ait plu, embelli qu'il était par la dignité de ta parole. Souvent en effet ce qui n'a pas une beauté propre emprunte du dehors une grâce étrangère. C'est ce qui arrive même dans nos repas plébéiens : là nul légume à si bon marché, nulle viande si commune qui ne paraisse plus délicate servie sur des vases d'or. La même chose arrive encore aux fleurs et aux couronnes ; autre est leur dignité, quand elles sont vendues par des fleuristes, autre quand elles sont présentées par les pontifes. Et j'ai été infiniment plus heureux qu'Herculès et Achillès, dont l'armure et les flèches furent portées par Philoctétès et Patroclès, qui valaient moins en vertu que ces héros. Mon discours, quoique médiocre, pour ne pas dire trivial, a été ennobli par le plus éclairé et le plus éloquent des Caesars. Jamais scène n'a eu autant de dignité : Marcus Caesar acteur, et Titus empereur, spectateur ! que peut-il arriver de plus glorieux à un mortel que ce qui, selon les poètes, n'a lieu que dans le ciel où les Muses chantent, pendant que Jupiter, leur père, écoute ? En quels termes aussi pourrai-je t'exprimer ma joie à la vue de mon discours, écrit tout entier de ta main, et que tu m'envoies ; c'est une grande vérité que cette parole de notre Labérius, que, pour faire naître l'amour, les douceurs sont des amorces et les bienfaits des enchantemensis. Non jamais ni breuvage ni philtre n'ont embrasé d'autant de feux un amant pour son amante, que n'en ont allumé pour toi dans mon cœur l'étonnement et la stupeur où m'a jeté ton dernier bienfait. Autant de lettres, autant pour moi de consulats, autant de lauriers, de triomphes, et de toges peintes. Est-il arrivé rien de pareil à M. Porcius, à Quintus Ennius, à C. Gracchus, ou au poète Titius ? rien de pareil à Scipio, ou au Numidique ? à M. Tullius, dont les livres acquièrent le plus grand prix, et atteignent la plus haute gloire, s'ils ont été transcrits par Lampadion, ou Stabérius... (Tiro) ... ou Aelius, ou Atticus, ou Népos ? Écrit de la main de M. Caesar, mon discours restera. Qui méprisera le discours voudra en garder les caractères ; qui dédaignera l'écrit respectera l'écrivain. ***
 

EPISTOLA II

M. Aurelius Caesar consuli suo et magistro, salutem

Postquam ad te proxime scripsi, postea nihil opera pretium, quod ad te scriberetur, aut quod monitum ad aliquem modum juvaret. Nam διὰ τῶν αὐτῶν fere dies tramisimus. Idem theatrum, idem odium, idem desiderium tuum. Quid dico idem? immo id cottidie novatur et gliscit. Et quod ait Laberius de amore, suo modo καὶ ἐπὶ ἰδίᾳ μούσῃ : Amor tuus tam cito crescit quam porrus, tam firme quam palma ; hoc igitur ego ad desiderium verto, quod ille de amore ait. Volo ad te plura scribere, sed nihil suppetit. Ecce quod in animum venit. Encomiographos istos audimus, graecos scilicet, sed miros mortales : ut ego, qui a graeca litteratura tantum absum, quantum a terra Graecia mons Caelius meus abest, tamen me sperem illis comparatum etiam Theopompum aequiparare posse : nam hunc audio apud Graecos disertissimum natum esse. Igitur paene me Opicum animantem ad graecam scripturam perpulerunt homines, ut Caecilius ait, incolumi scientia.

Caelum Neapolitanum plane commodum, sed vehementer varium. In singulis scripulis horarum frigidius aut tepidius aut torridius fit. Jam primum media nox tepida, Laurentina : tum autem gallicinium frigidulum, Lanuvinum : jam conticinnum atque matutinum atque diluculum usque ad solis ortum, gelidum, ad Algidum maxime : exin antemeridie apricum, Tusculanum : tum meridies fervida, Puteolana. At enim ubi sol lautum ad oceanum profectus, fit demum caelum modestius, quod genus Tiburtinum. Id vespera et concubia nocte, dum se intempesta nox, ut ait M. Porcius, praecipitat, eodem modo perseverat.

 Sed quid ego, me qui paucula scripturum promisi, deliramenta Masuriana congero? Igitur vale, magister benignissime, consul amplissime, et me, quantum amas, tantum desidera.

LETTRE II

M. AURELIUS CAESAR A SON CONSUL ET MAITRE, SALUT

Depuis ma dernière lettre je n'ai rien trouvé d'intéressant ou de curieux à t'écrire : nos journées se ressemblent presque toutes ; même théâtre, même loisir, même regret de ton absence. Que dis-je, même regret ? mieux que cela : chaque jour il se renouvelle et redouble, et ce que Labérius disait de l'amour à sa manière et avec le tour original de sa muse :

Ton amour grandit aussi vite que le porreau, aussi ferme que le palmier,

moi, je l'applique à mon regret. Je veux t'écrire plusieurs choses, mais il ne me vient rien. Voici cependant ce qui me revient à l'esprit : nous allons entendre nos faiseurs de panégyriques ; ce sont des Grecs, il est vrai, mais de merveilleux mortels ; enfin, croirais-tu que moi qui suis aussi étranger à la littérature grecque que le mont Caelius, qui m'a vu naître, est étranger à la terre de la Grèce, j'espère, grâce à leurs leçons, égaler un jour Théopompus, lui, je le sais, un des fils les plus éloquents de la Grèce. Me voilà donc moi ! moi l'être le plus grossier, engagé dans les lettres grecques par ces hommes d'une robuste ignorance, comme dit Caecilius.
Le ciel de Naples est délicieux, mais singulièrement variable ; à chaque heure, à chaque minute, il est ou plus froid ou plus tiède, ou plus orageux. D'abord la première moitié de la nuit est douce, c'est une nuit de Laurente ; au chant du coq, c'est la fraîcheur de Lanuvium ; entre le chant du coq, l'aube du matin et le lever du soleil : c'est tout Algide ; plus tard, avant midi, le ciel s'échauffe comme à Tusculum ; à midi, c'est la chaleur brûlante de Puteoli. Mais quand le soleil se plonge dans le vaste Océan, le ciel s'adoucit, on respire l'air de Tibur. Cette température se soutient le soir et aux premières heures de la veillée, tandis que la nuit paisible, comme dit M. Porcius, se précipite des cieux.

Mais où vais-je ? je t'avais promis quelques lignes, et je radote à plaisir comme un Masurius. Adieu donc, maître très bienveillant, très illustre consul, regrette-moi autant que tu m'aimes.
 

EPISTOLA III.

M. Aurelius Caesar consuli suo et magistro salutem.

...deatur. Polemona ante hoc triduum declamantem audivimus, ἵνα τι καὶ περὶ ἀνθρώπων λαλήσωμεν. Si quaeris quid visus sit mihi, accipe: Videtur mihi agricola strenuus, summa sollertia praeditus, latum fundum in sola segete frumenti et vitibus occupasse, ubi sane et fructus pulcherrimus et reditus uberrimus. Sed enim nusquam in eo rure ficus Pompejana, vel holus Acrinum, vel rosa Tarentina, vel nemus amoenum, vel densior lucus, vel platanus umbrosa: omnia ad usum magis quam ad voluptatem, quaeque magis laudare oporteat, amare non libeat. Satisne ego audaci consilio et judicio temerario videar, cum de tantae gloriae viro existimo? Sed quom me recordor tibi scribere, minus me audere, quam tu velis, arbitror.

Nos istic vehementer aestuamus.

Habes et hendecasyllabum ingenuum. Igitur priusquam poetaei incipio, pausan tecum facio. Vale, desiderantissime homo, et tuo Vero carissime, consul amplissime, magister dulcissime. Vale, mi semper, anima dulcissima.

LETTRE III

(VÉRUS, A FRONTO SON MAITRE)

*** J'ai entendu, il y a trois jours, déclamer Polémon, car je veux aussi te parler des hommes. Si tu désires savoir ce que j'en pense, voici ma réponse : il ressemble, selon moi, à un agriculteur laborieux, d'une haute expérience, qui ne demande à son vaste fonds que du blé et de la vigne, et qui en recueille les fruits les plus beaux et les plus abondantes moissons. Mais nulle part en ce champ ni le figuier Pompéien, ni le légume d'Aricium, ni la rose de Tarente ; pas un seul bocage riant, pas un seul bois épais et touffu, pas un platane et son ombrage ; tout est donné à l'utile plutôt qu'à l'agrément ; et il faut qu'on loue, sans avoir le plaisir d'aimer. Ne vais-je pas te paraître bien audacieux dans mes jugements, bien téméraire dans mes arrêts, de me prononcer ainsi sur une si grande gloire ? Mais lorsque je me souviens que c'est à toi que j'écris, je me persuade que je n'ai pas encore assez d'audace à ton gré.

Nos istic vehementer aestuamus.

Voilà un hendécasyllabe heureusement venu. Avant de faire le poète, je me repose avec toi. Adieu, homme si regretté, si cher à ton Vérus, très noble consul, très doux maître. Adieu, âme très douce, à moi pour toujours.
 

EPISOLA IV

(INEDITA IN CODICE VATICANO.)

Domino meo Caesari, Fronto.

Posterioribus litteris tuis, cur orationem in senatu non recitaverim, requisisti. At ego et edicto gratias agere domino meo patri tuo debeo ; sed edictum quidem circensibus nostris proponam, cujus principium id ipsum erit: Qua die primum beneficio maximi principis ederem spectaculum gratissimum populo maximeque populare, tempestivum duxisse gratiae agere ut idem dies. Hic aliqua sequatur Tulliana conclusio. Orationem autem in senatu recitabo Augustis Idibus. Quaeras fortasse, cur tarde : quoniam ego numquam quam primum officio sollemni quoquo modo fungi propero. Sed, ut tecum agere debeo sine fuco et sine ambagibus, dicam, quid cum animo meo reputem. Divum Hadrianum avum tuum laudavi in senatu saepenumero studio inpenso et propenso quoque : et sunt orationes istae frequentes in omnium manibus. Hadrianum autem ego, quod bona venia pietatis tuae dictum sit, ut Martem Gradivum, ut Ditem patrem, propitium et placatum magis volui, quam amavi. Quare? quia ad amandum fiducia aliqua opus est et familiaritate: quia fiducia mihi defuit, eo, quem tantopere venerabar, non sum ausus diligere. Antoninum vero ut solem, ut diem, ut vitam, ut spiritum amo, diligo, amari me ab eo sentio. Hunc nisi ita laudo, ut laudatio me non in actis senatus abstrusa lateat, sed in manibus hominum oculisque versetur, ingratus sum etiam adversus te. Tum, quod cursorem fugitivom ferunt dixisse : domino sexagena currebam,  mihi centena, ut fugiam, curram ; ego quoque quom Hadrianum laudabam domino currebam; hodie autem mihi curro, mihi, inquam, meoque ingenio hanc orationem conscribo. Ad meum igitur commodum faciam lente, otiose, clementer.

Tu si et valde properas, aliter te interim oblecta: basia patrem tuum, amplectere, postremo ipse eum lauda. Ceterum quidem in Idus Augustas tibi expectandum est, ut quidvis, qualevis audias. Vale, Caesar, et patrem promerere; et si quid scribere vis, lente scribe.

LETTRE IV

(A MON SEIGNEUR CAESAR, FRONTO)

Dans ta dernière lettre tu m'as demandé pourquoi je n'avais pas prononcé de discours dans le sénat. Sans doute je dois par un édit rendre grâces à mon seigneur, ton père ; mais c'est à nos jeux du Cirque que je publierai cet édit, qui commencera en ces termes :

Que le jour où, par le bienfait du très grand prince, je donnais pour ta première fois un spectacle très agréable au peuple et très populaire, j'avais pensé qu'il serait à propos de lui rendre des actions de grâces, afin que le même jour...

puis une conclusion Cicéronienne. Pour le discours au sénat, je le prononcerai aux Ides d'Auguste.Tu demanderas peut-être pourquoi ce retard : parce que je ne me presse jamais de remplir, le premier, de manière ou d'autre, un devoir solennel. Mais comme je dois agir avec toi sans déguisement et sans détour, je te dirai ce que je pense au fond de l'âme. Le divin Hadrianus, ton aïeul, je l'ai loué fort souvent dans le sénat, et toujours avec autant d'épanchement que de penchant ; et ces discours assez nombreux sont dans les mains de tout le monde. Or ce même Hadrianus, ceci soit dit sans offenser ta piété filiale, je l'ai plutôt désiré propice et doux, comme Mars Gradivus, comme Dis Pater, que je ne l'ai aimé. Pourquoi ? parce que pour aimer il est besoin de quelque confiance et de quelque familiarité : or, comme la confiance m'a manqué, celui que je vénérais si fort, je n'ai point osé le chérir. Antoninus, au contraire, je l'aime, je le chéris, comme le soleil, comme le jour, comme la vie, comme le souffle, et je sens que je suis aimé de lui. Celui-là, si je le loue, son éloge ne doit point s'enfouir ignoré dans les actes du sénat ; et si mon panégyrique ne passe entre les mains et sous les yeux des hommes, je suis un ingrat, même envers toi. Comme ce coureur fugitif qui, à ce qu'on raconte, disait : J'en courais soixante pour mon maître ; j'en courrai cent pour moi, afin de m'échapper : moi aussi, lorsque je louais Hadrianus, je courais pour un maître ; mais aujourd'hui, je cours pour moi, oui pour moi, et c'est avec mon âme que j'écris ce discours. Je travaillerai donc à mon aise, lentement, à loisir, tranquillement. Pour toi, si tu es bien pressé, récrée-toi autrement dans l'intervalle ; baise, embrasse ton père, enfin, toi-même, fais son éloge. Du reste, tu attendras jusqu'aux Ides d'Auguste, si tu veux entendre quelque chose qui soit a ton gré. Adieu, Caesar, et sache mériter un tel père ; et si tu as envie d'écrire quelque chose, écris lentement.
 

LETTRE V

Mi Fronto consul amplissime.

Manus do: vicisti : tu plane omnis, qui umquam amatores fuerunt, vicisti amando. Cape coronam : atque etiam praeco pronuntiet palam pro tuo tribunali victoriam istam tuam: Μ. Κορνήλιος Φρόντων ὕπατος νικᾷ, στεφανοῦται τὸν ἀγῶνα τῶν μεγάλων φιλοτησίων. At ego quamquam superatus tamen nihil de mea prothymia decessero aut defecero. Igitur tu quidem me magis amabis, quam ullus hominum ullum hominem amat; ego vero te, qui minorem vim in amando possideo, magis amabo, quam ullus hominum te amat : magis denique, quam tu temet ipsum amas. Jam mihi cum Gratia certamen erit, quam timeo, ut superare possim. Nam illius quidem, ut Plautus ait, amoris imber grandibus guttis non vestem modo permanavit sed in medullam ultro fluit.

Quas tu litteras te ad me existimas scripsisse! Ausim dicere, quae me genuit atque aluit, nihil umquam tam jucundum tamque mellitum eam ad me scripsisse. Neque hoc fit facundia aut eloquentia: alioqui non modo mater mea, sed omnes, qui spirant, quod faciant confestim tibi cesserint : sed istae litterae ad me tuae neque disertae neque doctae, tanta benignitate scatentes, tanta adfectione abundantes, tanto amore lucentes, non satis proloqui possum, ut animum meum gaudio in altum sustulerint, desiderio fraglantissimo incitaverint ; postremo, quod ait Naevius, animum amore capitali conpleverint.

Illa alia epistula tua, qua indicabas, cur tardius orationem, qua laudaturus es dominum meum in senatu, prolaturus esses, tanta me voluptate adfecit, ut temperare non potuerim ; et videris tu, an temere fecerim ; quin eam ipsi patri meo recitarem. Quanto opere autem eum juverit, nihil me oportet persequi, quom tu et illius summam benevolentiam, et tuarum litterarum egregiam elegantiam noris. Sed ex ea re longus sermo nobis super te exortus est multo multoque longior, quam tibi et quaestori tuo de me. Itaque nec tibi dubito ibidem in foro diu tinnisse auriculas. Comprobat igitur dominus meus et amat causas, propter quas recitationem tuam in longiorem diem protulisti ...
 

LETTRE V

MON FRONTO, TRES GRAND CONSUL

Je me rends, tu as vaincu ; oui, tu as vaincu en amour tout ce qui a jamais aimé. Prends la couronne, et que, devant ton tribunal, le héraut proclame au peuple ta victoire : M. Cornelius Fronto consul a vaincu ; il a remporté la couronne dans le combat des grandes amitiés. Cependant, quoique vaincu, je ne ferai point défaut, je ne mentirai point à ma gaîté. Ainsi donc, tu m'aimeras, il est vrai, plus qu'aucun homme n'aime un autre homme ; mais moi, qui possède, dans un moindre degré, la puissance d'aimer, je t'aimerai plus qu'aucun homme ne t'aime, plus enfin que tu ne t'aimes toi-même. Je n'aurai plus à lutter qu'avec Gratia, et j'ai bien peur encore de la vaincre ; car la pluie abondante d'un pareil amour, comme dit Plautus, a non seulement de ses larges gouttes percé les vêtements, mais elle a pénétré jusqu'à la moelle.

Quelle lettre penses-tu m'avoir écrite ! j'oserai le dire ; celle qui m'a enfanté, qui m'a nourri, ne m'a jamais rien écrit d'aussi aimable, d'aussi doux : et ce n'est pas un effet de ton savoir ou de ton éloquence : autrement, non seulement ma mère, mais tous ceux qui respirent se hâteraient de le céder à ton mérite ; mais ta lettre, ni diserte, ni savante, source jaillissante de bonté, trésor d'affection, foyer d'amour, a élevé mon âme à un si haut degré de joie que mes paroles ne suffisent point à le redire ; elle m'a embrasé du plus ardent désir ; enfin elle m'a rempli, comme dit Névius, d'un amour à mort.
Cette autre lettre où tu m'expliques pourquoi tu as différé le discours où tu devais faire l'éloge de mon seigneur, dans le sénat, m'a causé tant de plaisirque je n'ai pu m'empêcher, et tu jugeras toi si c'est une indiscrétion, de la réciter à mon père. Je n'ai pas besoin non plus d'ajouter combien elle lui a plu, puisque tu connais son extrême bienveillance et l'heureuse élégance de tes lettres ; mais, à cette occasion, il s'est établi entre nous deux, à ton sujet, une conversation beaucoup plus longue que celle que tu as eue sur moi avec ton questeur. C'est pourquoi je ne doute pas que tes oreilles n'aient tinté longtemps à la même heure dans le forum. Mon seigneur approuve donc et aime les raisons pour lesquelles tu as remis ton discours à un jour plus éloigné ....
 

EPISTOLA VI.

(INEDITA IN CODICE VATICANO.)

Aurelius Caesar, Frontoni.

Sane siquid Graeci veteres tale scripserunt, viderint, qui sciunt : ego, si fas est dicere, nec M. Porcium tam bene vituperantem, quam tu laudasti usquam advorti. O si dominus meus satis laudari posset, profecto a te satis laudatus esset! Τοῦτο τὸ ἔργον οὐ γίνεται νῦν. Facilius quis Phidian, facilius Apellen, facilius denique ipsum Demosthenen imitatus fuerit, aut ipsum Catonem, quam hoc tam effectum et elaboratum opus. Nihil ego umquam cultius, nihil antiquius, nihil conditius, nihil latinius legi. O te hominem beatum hac eloquentia praeditum! o me hominem beatum huic magistro traditum! O ἐπιχειρήματα ! o τάξις ! o elegantia ! o lepos ! o venustas ! o verba ! o nitor ! o argutiae ! o charites ! o ἄσκησις ! o omnia! Ne valeam, nisi aliqua die virga in manibus tibi tradenda erat, diadema circumponendum, tribunal ponendum ; tum praeco omnis nos citaret : quid nos dico? omnis, inquam, philologos et disertos istos: eos tu singulos virga perduceres, verbis moneres. Mihi adhuc nullus metus hujus admonitionis erat ; multa supersunt, ut in ludum tuum pedem introferam. Haec cum summa festinatione ad te scribo : nam quom domini mei ad te epistulam mitterem tam benignam, quid meis longioribus litteris opus erat? Igitur vale, decus eloquentiae romanae, amicorum gloria, μέγα πρᾶγμα, homo jucundissime, consul amplissime, magister dulcissime.

Postea cavebis de me, praesertim in senatu, tam multa mentiri. Horribiliter scripsisti hanc orationem. O si ad singula capita caput tuum basiare possem! ἰσχυρῶς πάντων καταπεφρόνηκας. Hac oratione lecta, frustra nos studemus, frustra laboramus, frustra nervos contendimus. Vale semper, magister dulcissime.
 

LETTRE VI

(AURÉLIUS CAESAR, A FRONTO)

Les anciens Grecs ont-ils jamais rien écrit de semblable ? en juge qui le sait : pour moi, s'il m'est permis de le dire, je n'ai jamais trouvé M. Porcius aussi admirable dans l'invective que toi dans l'éloge. Ah ! si mon seigneur pouvait être assez loué, sans doute il l'eût été par toi ! mais cette œuvre reste encore à faire. Plus facilement on imiterait Phidias, plus facilement Apellès, plus facilement enfm Démosthénès lui-même ou Cato, que ce chef-d'œuvre de l'étude et de l'art. Je n'ai, moi, rien lu de plus élégant, rien de plus antique, rien de plus piquant, rien de plus latin ! que tu es un homme heureux de posséder ainsi l'éloquence ! que je suis plus heureux moi-même d'avoir eu un tel maître ! Quels arguments ! quel ordre ! quelle élégance ! quel charme ! quel enchantement ! quelles expressions ! quelle clarté ! quelle finesse ! quelle grâce ! quel éclat ! O tout ce que je ne puis dire ! Que je meure si tu ne mérites quelque jour de porter la redoutable baguette, de ceindre le diadème, de siéger au tribunal ; alors le héraut nous y citerait tous : mais que dis-je ? nous et tous nos savans et tous nos orateurs. Oui, tous ils fléchiraient sous ta baguette, ils obéiraient à ta parole. Pour moi, je n'ai pas encore à craindre tes sévères enseignements : tant il me reste à faire avant de mettre le pied dans ton école. Je t'écris en toute hâte : car, lorsque je t'envoie une lettre si bienveillante de mon seigneur, qu'est-il besoin que je t'en écrive une plus longue ? Adieu donc, honneur de l'éloquence romaine, gloire de l'amitié, merveille de la nature, homme aimable, illustre consul, et le plus doux des maîtres !
Aie soin dorénavant de ne plus tant mentir à mon sujet, surtout en plein sénat. C'est horrible à toi d'avoir écrit ce discours. Oh ! si j'eusse pu à tous les chapitres baiser ta tête ! Tu es le plus grand de tous les menteurs ! Mais, après la lecture de ce discours, vaines études, vains travaux, vains efforts que les nôtres ! Adieu, encore une fois, ô le plus doux des maîtres !
 

EPISTOLA VII.

Caesari Aurelio domino meo consul tuus Fronto.

Quae sint aures hominum hoc tempore, quanta in spectandis orationibus elegantia, ex Aufidio nostro scire poteris: quantos in oratione mea clamores concitarit, quantoque concentu laudantium sit exceptum omnibus tunc imago patriciis pingebatur insignis. At ubi genus nobile ignobili comparans dixi: Ut si quis ignem e rogo et ara accensum similem putet, quoniam aeque luceat, ad hoc pauca admurmurati sunt.  Quorsum hoc rettuli? uti te, domine, ita conpares ubi quid in coetu hominum recitabis, ut scias auribus serviendum; plane non ubique nec omni modo, attamen nonnumquam et aliquando. Quod ubi facies, simile facere te reputato, atque illud facitis, ubi eos qui bestias stenue interfecerint, populo postulante, ornatis aut manumittitis ; nocentes etiam homines aut scelere damnatos, sed populo postulante, conceditis. Ubique igitur populus dominatur et praepollet. Igitur ut populo gratum erit, ita facies atque ita dices.

Hic summa illa virtus oratoris atque ardua est, ut non magno detrimento rectae eloquentiae auditores oblectet; eaque delenimenta, quae mulcendis volgi auribus conparat, ne cum multo ac magno dedecore fucata sint :  ut in conpositionis structuraeque aeque mollitia sit delictum quam in sententia inpudentia ? Vestem quoque lanarum mollitia delicatam malo, quam colore muliebri, filo tenui aut serico; purpuream ipsam, non luteam nec crocatam. Vobis praeterea, quibus purpura et cocco uti necessarium est, eodem cultu nonnumquam oratio quoque est amicienda. Facies istud, et temperaberis et moderaberis optimo modo ac temperamento. Sic enim auguror: quicquid egregie umquam in eloquentia factum sit, te id perfecturum: tanto ingenio es praeditus, tantoque te studio exerces et labore ; quom in aliis vel sine ingenio studium, vel sine studio solum ingenium, egregiam gloriam pepererit.

Certum habeo te, domine, aliquantum temporis etiam prosae orationi scribendae impertire. Nam (etsi) aeque pernicitas equorum exercetur, sive quadripedo currant atque exerceantur, sive tolutim ; attamen ea, quae magis necessaria, frequentius sunt experiunda. Jam enim non ita tecum ago, ut te duos et viginti annos natum cogitem. Qua aetate ego vix dum quicquam veterum lectione attigeram, deorum et tua virtute, profectum tantum in eloquentia adsecutus es, quantum senioribus ad gloriam sufficiat ; et, quod est difficillimum, in omni genere dicendi.

Nam epistulae tuae, quas adsidue scripsisti, mihi satis ostendunt, quid etiam in istis remissioribus et Tullianis facere possis. Pro Polemone rhetore, quem mihi tu in epistula tua proxime exhibuisti tullianum, ego in oratione, quam in senatu recitavi, philosophum reddidi, nisi me opinio fallit, peratticum. Ain, quid judicas, Marce? quemadmodum tibi videtur fabula Polemonis descripta. Plane multum mihi facetiarum contulit istic Oratius Flaccus memorabilis poeta, mihique propter Mecenatem ac mecenatianos hortos meos non alienus. Is namque Oratius sermonum libro secundo fabulam istam Polemonis inseruit, si recte memini, hisce versibus:

Mutatus Polemon ; ponas insignia morbi,
Fasciolas, cubital, focalia, potus ut ille
Dicitur ex collo furtim carpsisse coronas,
Postquam est inpransi correptus voce magistri.

Versus, quos mihi miseras, remisi tibi per Victorinum nostrum, atque ita remisi: chartam diligenter lino transui, et ita linum obsignavi, ne musculus iste aliquid aliqua rimari possit. Nam mihi ipse de tuis hexametris numquam quicquam impertivit : ita est malus ac malitiosus : sed ait te de industria cito et cursim hexametros tuos recitare: eo se memoriae mandare non posse. Remuneratus est igitur a me mutuo. (Paria) habet, ne ullum hinc versum audiret. Memini etiam te frequenter, ne cuiquam versus tuos ostenderem, admonuisse.

Quid est, domine? Certo hilaris es, certe bene vales, omnium rerum certe sanus es. Vale; dum similiter, ne umquam ita nos perturbes, ut natali tuo perturbasti, cetera minus laboro. Εἴ τί σοι κακόν, εἰς Πυρραίων κεφαλήν. Vale, meum gaudium, mea securitas, hilaritas, gloria. Vale, et me, obsecro, omnimodo ames qua joco qua serio.

Epistulam matri tuae scripsi, quae mea inpudentia est, graece, eamque epistulae ad te scriptae inplicui. Tu prior lege : et siquis insit barbarismus, tu, qui a graecis litteris recentior es, corrige, atque ita matri redde : nolo enim me mater tua ut opicum contemnat. Vale, domine, et matri savium da, cum epistulam dabis, quo libentius legat.

LETTRE VII

A СAESАR AURÉLIUS, MON SEIGNEUR, TON CONSUL FRONTO

Tu pourras savoir par notre Aufidius ce que sont les oreilles des hommes de ce temps, et ce qu'elles exigent d'élégance dans le discours. Il te dira les acclamations que mon discours a excitées et avec quel concert de louanges on a accueilli : Alors aux yeux de tous les patriciens s'offrait la brillante image... Mais lorsque, comparant le genre noble à l'ignoble, j'ai dit : C'est comme si on prétendait que le feu d'un bûcher et le feu qui brûle aux autels se ressemblent, parce qu'ils brillent également, il s'est fait un léger murmure. Or, pourquoi rapporté-je cela ? c'est afin, seigneur, que tu sois bien préparé, lorsque tu parleras devant les hommes assemblés ; afin que tu saches qu'il faut servir les oreilles, non pas, certes, toujours, ni de toutes manières, mais en certains cas et quelquefois. Lorsque tu agiras ainsi, pense agir comme vous agissez, quand, à la demande du peuple, vous accordez des honneurs ou l'affranchissement à ceux qui ont bravement tué des bêtes ; quand vous faites grâce même à des hommes coupables ou condamnés pour crimes, mais à la demande du peuple. Ainsi donc, partout le peuple domine et l'emporte ; ainsi donc, c'est sur le goût du peuple que tu régleras tes actions et tes paroles.

La suprême, la difficile vertu de l'orateur est de plaire aux auditeurs, sans trop blesser la saine éloquence : mais que ces adoucissements qu'il emploie à flatter les esprits de la multitude n'aillent pas non plus jusqu'à une fadeur honteuse et déshonorante. La mollesse dans la contexture de la composition est un délit, comme l'impudence dans les pensées. J'aime mieux un vêtement d'une laine délicate et moelleuse que d'une teinte efféminée, que d'une fine étoffe de lin ou de soie ; je le veux pourpre, non jaunâtre ou safran. Vous qui, par nécessité, employez la pourpre et l'écarlate, vous devez quelquefois revêtir vos discours de la même parure. Tu le feras sans doute et avec tous les tempéraments de la prudence, tous les ménagements de la modération ; car, je puis le prédire, tout ce qui a jamais été fait de bien dans l'éloquence, tu le perfectionneras, tant est grand ton génie, tant aussi tu l'exerces par l'étude et le travail ; au lieu qu'aux autres c'est de l'étude sans génie, ou seulement du génie sans étude qui leur produit une belle gloire.

Je suis persuadé, seigneur, que tu donnes quelque temps à écrire de la prose ; car bien que la vitesse des chevaux se maintienne également, lorsqu'on les exerce à courir ou le galop ou l'amble, néanmoins, c'est toujours dans ce qui est le plus nécessaire qu'il faut s'exercer le plus souvent. Tu vois que je n'agis pas avec toi comme si je pensais que tu as vingt-deux ans. A cet âge à peine avais-je lu quelque chose des anciens ; et toi, par la vertu des Dieux et la tienne, tu as fait dans l'éloquence de si immenses progrès qu'ils suffiraient aux plus âgés pour la gloire, et encore, ce qu'il y a de plus difficile, dans toutes les parties de l'art de bien dire.

Les lettres que tu m'as écrites assidûment me montrent assez ce que tu peux faire dans ce genre moins élevé et cicéronien. Quant à Polémon le rhéteur, que ta dernière lettre m'a dépeint sous des couleurs cicéroniennes, moi, dans un discours que j'ai prononcé devant le sénat, j'en ai fait, si mon sentiment ne m'abuse, un philosophe de trempe attique. Qu'en dis tu, Marcus ? que te semble de cet épisode de Polémon ? A vrai dire, presque toutes les plaisanteries de cette fable m'ont été inspirées par Horatius Flaccus, poète digne de mémoire, et qui, grâce à Mécenas et à mes jardins mécénatiens, n'est pas pour moi un étranger. En effet, cet Horatius, au livre second de ses discours, a rapporté cette fable de Polémon, si j'ai bonne mémoire, en ces vers :

Iras-tu, comme un jour Polémon corrigé,
Déposer mantelet, bandelette et frisure,
La honte et sa livrée ? On dit, l'histoire est sûre,
Qu'il arracha les fleurs de son front aviné,
A la voix d'un docteur qui n'avait pas dîné.

Je t'ai renvoyé par notre Victorinus les vers que tu m'avais adressés ; et je les ai renvoyés de cette manière : j'ai soigneusement cousu de lin mon papier, et j'ai scellé le lin de façon qu'il fût impossible à ce souriceau d'y pénétrer par la moindre ouverture ; car jamais il ne m'a rien communiqué de tes hexamètres ; tant il est méchant et malin ! mais il dit que tu récites tes hexamètres, à dessein, très vite et en courant ; ce qui fait qu'il ne peut les retenir. J'ai donc pris ma revanche, et je lui ai rendu la pareille ; il n'a pu parvenir à entendre un seul de tes vers. Je me souviens aussi que tu m'as souvent recommandé de ne montrer tes vers à personne.

Eh bien, seigneur ? assurément tu es gai, assurément tu te portes bien, assurément tu es sain de tout point. Adieu ; pourvu que tu ne nous jettes jamais dans un trouble pareil à celui où tu nous a jetés le jour de ta naissance, je me mets moins en peine du reste. Si quelque malheur te menace, qu'il retombe sur la tête des Pyrrhéens. Adieu, ma joie, ma sécurité, ma gaîté, ma gloire. Adieu et aime-moi, je t'en prie, de toute manière, d'esprit et de cœur.

J'ai écrit une lettre à ta mère, et, vois mon impudence, une lettre en grec ; je l'ai enfermée dans celle que je t'adresse. Lis-la d'abord, et, s'il s'y est glissé quelque barbarisme, comme tu es plus frais que moi sur le grec, corrige-le et remets-la ainsi à ta mère ; car je ne veux pas que ta mère me méprise comme un barbare. Adieu, seigneur, donne un baiser à ta mère, en lui donnant la lettre, afin qu'elle la lise avec plus de plaisir.
 

ΕΠΙΣΤΟΛΗ  VIII.

Μητρὶ Καίσαρος.

Πῶς ἂν ἀπολογησάμενος συγγνώμης παρὰ σοῦ τύχοιμι, ὅτι σοι τούτων τῶν ἡμερῶν οὐκ ἐπέστειλα; ἢ δῆλον, ὅτι τὴν ἀληθῆ τῆς ἀσχολίας εἰπὼν αἰτίαν; λόγον γάρ τινα συνήγαγον περὶ τοῦ μεγάλου βασιλέως. Ἡ δὲ τῶν Ῥωμαίων παροιμία, φίλου τρόπον μὴ μισεῖν, ἀλλ᾽ εἰδέναι φησὶ δεῖν. Οἷος δ᾽ οὑμὸς τρόπος φράσω καὶ οὐκ ἀποκρύψομαι.

Ὑπὸ τῆς πολλῆς ἀφυίας καὶ οὐθενείας ὅμοιόν τι πάσχω τῇ ὑπὸ Ῥωμαίων ὑαίνῃ καλουμένῃ, ἧς τὸν τράχηλον κατ᾽ εὐθὺ τετάσθαι λέγουσιν, κάμπτεσθαι δὲ ἐπὶ θάτερα τῶν πλευρῶν μὴ δύνασθαι· κἀγὼ δὴ ἐπειδάν τι συντάττω προθυμότερον, ἀκαμπής τίς εἰμι, καὶ τῶν ἄλλων πάντων ἀφέμενος, ἐπ᾽ ἐκεῖνο μόνον ἵεμαι ἀνεπιστρεπτεί . Κατὰ τὴν ὕαιναν ἕξ καὶ τοὺς ὄφεις δέ φασιν τὰ ἀκόντια οὕτως πως ᾄττειν κατ᾽ εὐθύ· τὰς δὲ ἄλλας στροφὰς μὴ στρέφεσθαι. Καὶ τὰ δόρατα δὲ καὶ τὰ τόξα τότε μάλιστα τυγχάνει τοῦ σκοποῦ, ὅταν εὐθεῖαν ᾄξῃ, μήτε ὑπ᾽ ἀνέμου παρωσθέντα, μήτε ὑπὸ χειρὸς Ἀθηνᾶς ἢ Ἀπόλλωνος σφαλέντα, ὥσπερ τὰ ὑπὸ Τεύκρου ἢ τὰ ὑπὸ τῶν μνηστήρων βληθέντα. Ταύτας μὲν δὴ τρεῖς εἰκόνας ἐμαυτῷ προσείκασα, τὰς μὲν δύο ἀγρίας καὶ θηριώδεις, τὴν τῆς ὑαίνης καὶ τὴν τῶν ὄφεων· τρίτην δὲ τὴν τῶν βελῶν καὶ αὐτὴν ἀπάνθρωπον οὖσαν καὶ ἄμουσον. Εἰ δὲ δὴ καὶ τῶν ἀνέμων φαίην ἐπαινεῖσθαι μάλιστα τὸν οὔριον, ὅτι δὴ ἐπ᾽ εὐθὺ φέροι τὴν ναῦν· ἀλλὰ μὴ εἰς τὰ πλάγια ἀπονεύειν νέω, ἡ τετάρτη ἂν εἴη αὕτη εἰκὼν καὶ αὐτὴ βιαία. Εἰ δὲ προσθείην καὶ τὸ τῆς γραμμῆς, ὅτι πρεσβυτάτη τῶν γραμμῶν ἡ εὐθεῖά ἐστιν, πέμπτην ἂν εἰκόνα λέγοιμι, μὴ μόνον ἄψυχον, ὥσπερ τὴν τῶν δοράτων, ἀλλὰ καὶ ἀσώματον ταύτην οὖσαν.

Τίς οὖν εἰκὼν εὑρεθείη πιθανή, μάλιστα μὲν ἀνθρωπίνη, ἄμεινον δὲ εἰ καὶ μουσική. εἰ δ᾽ αὖ καὶ φιλίας ἢ ἔρωτος αὐτῇ μετεῖλη, μᾶλλον ἂν εἰ ἡ εἰκὼν ἐοίκοι. Τὸν Ὀρφέα φασὶν οἰμῶξαι ὀπίσω ἐπιστραφέντα· εἰ δὲ κατ᾽ εὐθὺ ἔβλεπέν τε καὶ ἐβάδιζεν, οὐκ ἂν ᾤμωξεν. Ἅλις εἰκόνων. Καὶ γὰρ αὕτη τις ἀπίθανος ἡ τοῦ Ὀρφέως εἰκὼν ἐξ ᾅδου ἀνιμημένη.

Ἀπολογήσομαι δὲ τοὐντεῦθεν ἤδη ὅθεν ἂν ῥᾷστα συγγνώμης τύχοιμι. Τί δὴ τοῦτό ἐστιν; ὅτι συγγράφων τὸ τοῦ βασιλέως ἐγκώμιον ἔπραττον μὲν, ὃ μάλιστα σοί τε καὶ τῷ σῷ παιδὶ κεχαρισμένον ἐστίν. Ἔπειτα δὲ καὶ ὑμῶν ἐμεμνήμην καὶ ὠνόμαζόν τε ὑμᾶς ἐν τῷ συγγράμματι, ὥσπερ οἱ ἐρασταὶ τοὺς φιλτάτους ὀνομάζουσιν ἐπὶ πάσῃ κύλικι. Ἀλλὰ γὰρ ἀτεχωῶς τὸ τῶν εἰκόνων ἐπεισρεῖ καὶ ἐπιφύεται. Αὕτη γοῦν παρεφάνη, ἣν ἐπὶ πάσαις λέγω, ἥτις καὶ δικαιότατα εἰκὼν ἂν προσαγορεύοιτο οὖσα ἐκ ζωγράφου. Τὸν Πρωτογένη τὸν ζωγράφον φασὶν ἕνδεκα ἔτεσιν τὸν Ἰάλυσον γράψαι, μηδὲν ἕτερον ἐν τοῖς ἕνδεκα ἔτεσιν ἢ τὸν Ἰάλυσον γράφοντα. Ἐμοὶ δὲ οὐχ εἷς, δύο δὲ ἅμα Ἰαλύσω ἐγραφέσθην, οὐδὲ τοῖν προσώποιν οὐδὲ ταῖν μορφαῖν μόνον, ἀλλὰ καὶ τοῖν τρόποιν καὶ ταῖν ἀρεταῖν οὐ μετρίω ὄντε (ἀμφὶ οὐ δεῖ γράφεσθαι ῥᾳδίω)· ἀλλ᾽ ὁ μέν ἐστιν μέγας βασιλεὺς ἄρχων πάσης τῆς γῆς καὶ θαλάττης, ὁ δὲ ἕτερος υἱὸς μεγάλου βασιλέως, ἐκείνου μὲν οὕτω παῖς, ὥσπερ Ἀθάνα τοῦ Διός, σὸς δὲ υἱὸς ὡς τῆς Ἥρας ὁ Ἥφαιστος· ἀπέστω δὲ τὸ τῶν ποδῶν ταύτης τῆς τοῦ Ἡφαίστου εἰκόνος. Ἡ μὲν οὖν ἀπολογία αὕτη ἂν εἴη πάνυ τις εἰκαστικὴ γενομένη καὶ γραφικὴ εἰκόνων ἔκπλεως αὐτὴ μάλα.

Ἔτι κατὰ τοὺς γεωμέτρας αἰτήσομαι· τὸ ποῖον; εἴ τι τῶν ὀνομάτων ἐν ταῖς ἐπιστολαῖς ταύταις εἴη ἄκυρον ἢ βάρβαρον ἢ ἄλλως ἀδόκιμον ἢ μὴ πάνυ ἀττικόν· ἀλλὰ τοῦ ὀνόματος σ᾽ ἀξιῶ τήν δὲ διάνοιαν σκοπεῖν αὐτὴν καθ᾽ αὑτήν· οἶσθα γὰρ ὅτι ἐν αὐτοῖς ὀνόμασιν καὶ αὐτῇ διαλέκτῳ διατρίβω. Καὶ γὰρ τὸν Σκύθην ἐκεῖνον τὸν Ἀνάχαρσιν οὐ πάνυ τι ἀττικίσαι φασίν, ἐπαινεθῆναι δ᾽ ἐκ τῆς διανοίας καὶ τῶν ἐνθυμημάτων. Παραβαλῶ δ' ἐμαυτὸν Ἀναχάρσιδι οὐ μὰ Δία κατὰ τὴν σοφίαν, ἀλλὰ κατὰ τὸ βάρβαρος ὁμοίως εἶναι. ἦν γὰρ ὁ μὲν Σκύθης τῶν νομάδων Σκυθῶν, ἐγὼ δὲ Λίβυς τῶν Λιβύων τῶν νομάδων. Κοινὸν δὲ ἦν τὸ νέμεσθαι ἐμοί τε καὶ Ἀναχάρσιδι· κοινὸν οὖν ἔσται καὶ τὸ βληχᾶσθαι νεμομένοις, ὅπως ἄν τις βληχήσηται. οὕτως μὲν δὴ καὶ τὸ βαρβαρίζειν τῷ βληχᾶσθαι προσῄκασα. οὐκοῦν παύσομαι μηδὲν ἕτερον γράφων ἀλλὰ εἰκόνας.

LETTRE VIII

A LA MÈRE DE CAESAR

Comment pourrai-je me justifier, et me faire pardonner de ne t'avoir pas écrit, pendant ces derniers jours, à moins que je ne te déclare franchement ce qui m'a pris tout mon temps ? Je composais l'éloge d'un grand roi. Un proverbe des Romains ditqu'il ne faut pas haïr, mais étudier le caractère de son ami ; je te dirai donc, sans te rien cacher, quel est mon caractère.

Par faiblesse et par impuissance, je suis dans le même état que cet animal appelé hyène par les Romains, et dont le col étendu en droite ligne ne peut, dit-on, se tourner ni à droite ni à gauche. Moi aussi, lorsque je travaille avec ardeur à une chose, je ne puis me tourner d'aucun côté ; je me sépare de tout ce qui n'est pas elle, et j'y suis tout entier attaché. On dit aussi que, semblables à l'hyène, les serpents à dard marchent en ligne droite, et ne vont jamais autrement. Les javelots et les traits atteignent plus sûrement le but lorsqu'ils sont lancés droit, sans être écartés par le vent ou détournés par la main de Minerva ou d'Apollo, comme ceux de Teucer ou des amants de Pénélope. De ces trois images sous lesquelles je viens de me représenter, il en est deux qui ont quelque chose de farouche et de sauvage, l'hyène et les serpents ; la troisième, celle des traits a encore quelque chose d'inhumain et de bien fait pour effrayer les Muses. Si je parlais du souffle des vents qui pousse le vaisseau en droite ligne, et ne l'entraîne point vers l'abîme, cette quatrième image offrirait encore quelque chose de violent. Si, ajoutant encore une image tirée des lignes, je donnais la préférence à la ligne droite, parce qu'elle est la plus noble, la plus antique des lignes, j'aurais choisi là une image non seulement inanimée, comme celle des javelots, mais qui serait même incorporelle.

Quelle image pourrais-je donc trouver qui fût vraisemblable, prise surtout de l'humanité, de la musique mieux encore ; elle serait pour moi la perfection, si on pouvait y mettre de l'amitié et de l'amour. Orphée pleura, dit-on, pour s'être retourné en arrière ; s'il eût regardé et marché droit devant lui, il n'aurait pas tant pleuré. Mais c'est assez d'images ; car celle d'Orphée elle-même n'est point vraisemblable, puisqu'elle sort des enfers.
Il me reste toujours à trouver une raison qui m'obtienne mon pardon. Quelle sera-t-elle ? C'est qu'en écrivant l'éloge du roi je savais faire quelque chose d'agréable pour toi et pour ton fils ; et, de plus, je me suis souvenu de vous, et j'ai dit vos noms dans mon éloge, comme les amants à chaque coupe redisent les noms de ce qu'ils aiment. Voyez comme les images naissent en foule et se présentent involontairement à mon esprit. Une encore s'offre à moi, que je préfère à toutes les autres, que je trouve la plus juste de celles que je pourrais citer, car je l'emprunte à la peinture. On dit que le peintre Protogénès mit onze années à faire son tableau d'Ialysus, et qu'il ne s'occupa que du tableau d'Ialysus pendant ces onze années. Pour moi, je n'avais pas un seul Ialysus à peindre ; j'en avais deux, et deux non seulement recommandables par leurs visages et la beauté de leurs formes, mais excellents encore et au-dessus de tous les éloges par leurs mœurs et leurs vertus. L'un d'eux est le grand roi, souverain de toute la terre et de la mer ; l'autre est le fils du grand roi, dont il descend, comme Minerva descend de Jupiter, comme Vulcanus de Juno : à part les pieds, c'est l'image parfaite de Vulcanus. Voilà ce que je puis dire pour ma défense ; elle est comme un drame, comme un tableau par l'abondance des images.

Encore une prière à la façon des géomètres ; et laquelle ? Si quelque mot de ma lettre t'a semblé impropre, barbare, peu décent, peu attique, ne fais attention, je t'en prie, qu'à la valeur du mot en lui-même ; car tu sais que je ne m'attache qu'aux mots ça eux-mêmes, et non au dialecte. Le Scythe Anacharsis ne parlait guère le langage attique ; mais il était digne de gloire par la grandeur de sa pensée et de ses inspirations. Je me comparerai donc à Anacharsis, non, par Jupiter ! que je sois aussi sage que lui, mais c'est qu'il était barbare comme moi ; car il était Scythe des Scythes nomades, et moi je suis Libyen des Libyens nomades. J'ai de commun avec Anacharsis d'avoir vécu au milieu des pâturages ; j'ai de commun avec lui d'avoir bêlé, puisque bêler est le langage des pasteurs nomades. J'ai donc comparé mon parler barbare au bêlement, et je termine enfin cette lettre qui ne contient rien autre chose que des images.
 

EPISTOLA IX.

Consuli magistro suo M. Caesar salutem.

... adfinitate sociatum, neque tutelae subditum : praeterea in ea fortuna constitutum, in qua, ut Q. Ennius ait, omnes dant consilium vanum, adque ad voluptatem omnia. Item quod Plautus egregie in Colace super eadem re ait :

Qui data fide firmata fidentem fefellerint,
Subdoli subsentatores regi, qui sunt proximi,
Qui aliter regi dictis dicunt, aliter in animo habent.

Haec enim olim incommoda regibus solis fieri solebant : at enim nunc adfatim sunt “quei et regum filiis”, ut Naevius ait,

Llinguis faveant atque adnutent et subserviant.

Merito ego, mi magister, fraglo; merito unum meum σκοπόν mihi constitui; merito unum hominem cogito, quom stilus in manus venit.

Hexametros meos jucundissime petis, quos ego quoque confestim misissem, si illos mecum haberem. Nam librarius meus, quem tu nosti, Anicetum dico, cum proficiscerer, nihil meorum scriptorum mecum misit. Scit enim morbum meum, et timuit, ne, si venissent in potestatem, quod soleo, facerem, et in furnum dimitterem. Sane istis hexametris prope nullum periculum erat. Ut enim verum magistro meo confitear, amo illos. Ego istic noctibus studeo : nam interdiu in theatro consumitur. Itaque minus ago vespere fatigatus, luce dormitans. Feci tamen mihi per hos dies excerpta ex libris sexaginta in quinque tomis : sed cum leges sexaginta inibi sunt et novianae, et atellaniolae, et Scipionis oratiunculae, ne tu numerum nimis expavescas. Polemonis tui quom meministi, rogo, ne Horatii memineris, qui mihi cum Pollione est emortuus.

Vale, mi amicissime, vale, mi amantissime, consul amplissime, magister dulcissime, quem ego biennio jam non vidi. Nam quod aiunt quidam duos menses interfuisse, tantum, dies numerant. Erit ne quom te videbo?

LETTRE IX

(A MON CONSUL ET TRES BON MAITRE)

*** Attaché par l'alliance, sans être protégé ni sujet, et de plus placé dans un rang où, comme l'a dit Q. Ennius, tout conseil est tromperie, et où toute chose est volupté. Ainsi Plautus, dans le Flatteur, dit en beaux vers, sur le même sujet :

Ils vous donnent leur foi ; croyez-les ; c'est un piège.
Approbateurs rusés qui s'attachent aux rois,
Leur cœur pense autrement que ne parle leur voix.

En effet, ce mal, autrefois, s'attachait d'ordinaire aux rois seuls ; mais aujourd'hui les fils mêmes des rois sont toujours entourés d'une foule qui, selon l'expression de Névius,

Les écoute, applaudit, et rampe à leur service.

J'ai donc raison, mon maître, d'avoir de la colère, raison de ne regarder que le but où je veux marcher, raison de n'avoir les yeux que sur un seul homme, quand je prends le style en main.

Tu me demandes très agréablement mes hexamètres, et je te les enverrais tout de suite, si je les avais avec moi ; mais mon copiste, cet Anicétus que tu connais, n'a laissé partir aucun de mes livres avec moi, car il sait ma maladie, et il a craint que, s'ils me tombaient sous la main, je ne fisse comme de coutume, je ne les jetasse au feu. Cependant le danger n'était pas grand pour ces hexamètres, car, pour confesser la vérité à mon maître, je les aime. Je passe ici les nuits à étudier ; mes jours se dissipent au théâtre. C'est pourquoi j'agis moins, fatigué le soir et sommeillant le jour. Malgré cela, je me suis fait pendant ces jours des extraits de soixante livres, en cinq tomes. Soixante ! mais quand tu liras parmi tout cela du Novius, des Atellanes, de petits discours de Scipio, ce nombre t'effraiera moins. Puisque tu t'es souvenu de ton Polémon, je te prie de ne pas te souvenir d'Horatius, qui m'est mort avec Pollio.

Adieu, mon meilleur, mon plus tendre ami ; adieu, très illustre consul, très doux maître, que, depuis deux ans, je n'ai point vu ; car ceux qui disent qu'il n'y a que deux mois ne comptent que les jours : viendra-t-il le jour où je te verrai ?
 

EPISTOLA X.

Caesari suo consul.

Meum fratrem beatum, qui vos in isto biduo viderit! At ego Romae hereo compedibus aureis vinctus : nec aliter kal. sept. expecto, quam superstitiosi stellam, qua visa jejunium polluant. Vale, Caesar, decus patriae et romani nominis. Vale, domine.

LETTRE X

A SON СAESАR, LE CONSUL

Heureux mon frère qui vous aura vus durant ces deux jours ! mais moi, je reste à Rome, enchaîné de liens dorés, et je n'attends pas les kal. de sept. avec moins de désir que les superstitieux l'étoile dont la vue leur permet de rompre le jeûne. Adieu, Caesar, honneur de la patrie et du nom romain. Adieu, seigneur.
 

EPISTOLA XI.

Magistro meo.

Ego ab hora quarta et dimidia in hanc horam scripsi, et Catonis multa legi, et haec ad te eodem calamo scrbo, et te saluto et, quam commode agas, sciscitor. O quamdiu te non vidi!
 

LETTRE XI

A МОN MAITRE

Depuis la quatrième heure et demie jusqu'à cette heure, j'ai écrit ; j'ai lu beaucoup de Cato, et je t'écris ceci avec la même plume, et je te salue, et te demande comment tu vas. O qu'il y a longtemps que je ne t'ai vu !
 

ΕΠΙΣΤΟΛΗ  XII.

Μητρὶ Καίσαρος.

Ἑκὼν ἑκὼν νὴ τοὺς θεοὺς καὶ πάνυ γε προθυμούμενος τὴν ἐμὴν Κραττίαν ἐξέπεμψα συνεορτάσουσάν σοι τὰ γενέθλια, καὶ αὐτὸς ἂν ἀφικόμενος εἰ ἐξῆν. Ἀλλὰ ἐμοὶ μὲν ἐνποδών ἐστιν ἡ ἀρχὴ γῦρος τῷ ποδὶ ἤδεη οὖσα. Ὀλίγαι γὰρ ἡμέραι λοιπαὶ τῆς ἀρχῆς περιλείπονται, καὶ μᾶλλόν τε ἄσχολοι διὰ τὰς λειτουργίας· ὧν ἀπαλλαγεὶς ἔοικα δραμεῖσθαι πρὸς ὑμᾶς τῶν τὸν στάδιον τρεχόντων πολὺ προθυμότερον· ὡς ἐκεῖνοί γε βραχύτατον χρόνον ἐπὶ τῆς ὕσπληγος ἐπιστάντες, ἔπειτα ἀφεῖνται τρέχειν, ἐγὼ δὲ τοῦτον ἤδη μῆνα δεύτερον εἴργομαι τοῦ πρὸς ὑμᾶς δρόμου.

Ἐχρῆν δὲ ἄρα πάσας τὰς πανταχόθεν γυναῖκας ἐπὶ ταύτην τὴν ἡμέραν ἁθροίζεσθαι, καὶ ἑορτάζειν τὰ σὰ γενέθλια· πρώτας μὲν τῶν γυναικῶν τὰς φιλάνδρους καὶ φιλοτέκνους καὶ σώφρονας· δευτέρας δὲ ὅσαι ἄπλαστοι καὶ ἀψευδεῖς εἰσίν· τρίτας δὲ ἑορτάζειν τὰς εὐγνώμονας καὶ εὐπροσίτους καὶ εὐπροσηγόρους καὶ ἀτύφους. Πολλαὶ δ᾽ ἂν καὶ ἄλλαι γυναικῶν τάξεις γένοιντο τῶν σοὶ μέρους τινὸς ἐπαίνου καὶ ἀρετῆς μετεχουσῶν, σοῦ μὲν ἁπάσας τὰς γυναικὶ πρεπούσας ἀρετὰς καὶ ἐπιστήμας κεκτημένης καὶ ἐπισταμένης, ὥσπερ ἡ Ἀθηνᾶ τέχνας ἁπάσας κέκτηταί τε καὶ ἐπίσταται· τῶν ἄλλων δὲ γυναικῶν ἕν τι τῆς ἀρετῆς μέρος ἑκάστης ἐπισταμένης, καὶ κατὰ τοῦτο ἐπαινουμένης, οἷος ὁ τῶν Μουσῶν ἔπαινος ἐκ μιᾶς τέχνης καὶ καθ᾽ ἑκάστην διῃρημένος.

Εἰ δ᾽ ἦν ἐγὼ πρὸ θύρας εἰσαγωγεύς τις εἶναι λαχὼν τῶν τῆς ἑορτῆς ἀξίων, πρώτας ἂν Ὁμήρῳ πειθόμενος ἀπέκλεισα τὰς τὴν εὔνοιαν ψευδομένας καὶ πλαττομένας καὶ ἕτερον μέν τι κευθούσας ἐνὶ φρεσίν, ἄλλο δὲ λεγούσας, ἅπαντα δὲ τὰ ἀπὸ γέλωτος μέχρι δακρύων προσποιουμένας· ὅ τοι γέλως οὕτως τὸ πρὶν ἄδολος εἶναι πεφυκὼς ὡς καὶ τοὺς ὀδόντας τῶν γελώντων ἐπιδεικνύειν, εἰς τοσοῦτον ἤδη περιέστηκε κακομηχανίας καὶ ἐνέδρας, ὡς καὶ τὰ χείλη κρύπτειν τῶν ἐξ ἐπιβουλῆς προσγελώντων.

Γυναικεία δή τις αὕτη θεὸς παρὰ ταῖς πλείσταις τῶν γυναικῶν θρησκεύεται ἡ Ἀπάτη. Τίς γοῦν Ἀφροδίτης τόκ(ος) ἐκ πολλῶν τινων καὶ ποικίλων θηλειῶν κατασκευασαμένης...

LETTRE XII

A LA MERE DE CAESAR

C'est de cœur, de tout cœur, par les dieux et dans la plénitude de ma joie, que j'ai envoyé ma Gratia pour célébrer avec toi le jour anniversaire de ta naissance ; et moi-même j'y serais allé, si je l'eusse pu. Mais le consulat enchaîne encore mes pas, et m'enferme comme dans un cercle. Je n'ai plus, il est vrai, que quelques jours à y rester, mais ce sont des jours pleins d'affaires et sans repos. Il me semble qu'une fois libre, je me précipiterai vers vous plus rapide que les coureurs du stade ; eux, en effet, ils ne sont retenus que peu d'instants à la barrière, puis ils s'élancent pour courir ; et moi, voilà deux mois que je suis empêché de voler vers vous.
Je voudrais voir toutes les femmes, en ce jour, se rassembler de toutes parts pour célébrer cet anniversaire. Et d'abord les femmes qui aiment leurs maris, qui aiment leurs enfants, les femmes vertueuses. En second lieu, Jes femmes sans feinte et sans déguisement. En troisième lieu, les femmes bienveillantes, affables, accessibles et sans orgueil. Je pourrais compter encore plusieurs autres ordres de femmes qui atteignent à quelque partie de tes mérites et de tes vertus. Car, toutes les vertus qui sont l'ornement de la femme, tu les possèdes, et les connais comme Minerve possède et connaît tous les arts ; tandis que chacune des autres femmes de la seule vertu qu'elle possède se fait de la gloire, comme chacune des Muses se fait de la gloire du seul art qu'elle a reçu en attribut.
Si, gardien de tes portes, j'étais chargé de n'introduire que les femmes dignes de cette fête, j'écarterais d'abord, selon le conseil d'Homère, celles qui feignent et affectent la bienveillance, qui ont une pensée dans le cœur, une autre sur les lèvres, et en qui tout est mensonge, depuis le rire jusqu'aux larmes. Le rire, qui est si franc de sa nature qu'il laisse voir les dents des rieurs, en est venu a ce degré de malice et de perfidie qu'il déguise aujourd'hui les lèvres qui ne sourient que pour tromper.

Il est une divinité féminine, adorée de la plupart des femmes, la Fausseté, race d'Aphrodite, assemblage emprunté à mille natures de femmes ***
 

EPISTOLA XIII.

Domino meo.

Gratiam meam misi ad diem natalem matris tuae celebrandum eique praecepi ut istic subsisteret quoad ego venirem. Eodem autem momento, quo consulatum ejuravero, vehiculum conscendam, et ad vos pervolabo. Interim Gratiae meae nullum a fame periculum fore fide mea spopondi: mater enim tua particulas a te sibi missas cum clienta communicabit. Neque est Gratia mea, ut causidicorum uxores feruntur, multi cibi : vel osculis solis matris tuae contenta erit. Sed enim quid me fiet? Ne osculum quidem usquam ullum est Romae residuum. Omnes meae fortunae et mea omnia gaudia Neapoli sunt. Oro te, quis iste mos est pridie magistratus ejurandi? Quid quod ego paratus sum, dum ante plures dies ejurem, per plures deos jurare? Quid est autem, quod juraturus sum me consulatu abire? Ego vero etiam illud juravero, me olim consulatu abire cupere, ut M. Aurelium conplectar.

LETTRE XIII

A MON SEIGNEUR

J'ai envoyé ma Gratia pour célébrer le jour de la naissance de ta mère, et je lui ai prescrit de rester jusqu'à mon arrivée. Or, à l'instant où j'aurai prêté le serment, et quitté le consulat, je monterai en voiture, et je volerai vers vous. Cependant j'ai promis, sur ma foi, à Gratia, qu'elle n'aurait rien à craindre de la faim, car ta mère fera partager à sa cliente de petites provisions que tu lui as envoyées, et ma Gratia n'est pas d'un grand appétit, comme le sont, dit-on, les femmes des avocats ; elle se contentera même des baisers de ta mère. Mais moi, que deviendrai-je ? car il ne reste pas aujourd'hui un seul baiser à Rome. Toutes mes fortunes et toutes mes joies sont à Naples. Quel est, je te prie, cet usage de prêter serment la veille du jour où l'on quitte les magistratures ? Ne suis-je pas prêt, moi, pourvu que je jure plusieurs jours d'avance, à jurer par plusieurs dieux ? mais jurer que je sors du consulat, qu'est-ce que cela ? Je jurerai bien aussi que, depuis longtemps, je désire d'en sortir pour embrasser M. Aurélius.
 

EPISTOLA XV.

Consuli et magistro meo optimo.

Hoc sane supererat, ut super cetera, quae insigniter erga nos facis, etiam Gratiam mitteres huc...
 

LETTRE XIV

AU CONSUL, A MON TRÈS BON MAITRE

Il ne restait plus, pour mettre le comble à toutes tes insignes bontés pour nous que d'envoyer ici Gratia ***
 

EPISTOLA XV.

Magistro meo.

Gratia minor effecit quod Gratia major fecit ; et sollicitudinem nostram vel interim minuat vel jam omnino detergeat. Ego tibi de patrono meo M. Porcio gratias ago, quod eum crebro lectitas. Tu mihi de C. Crispo timeo ut umquam gratias agere possis : nam uni M. Porcio me dedicavi atque despondi atque delegavi. Hoc etiam ipsum ATQUE unde putas? ex ipso furore. Perendinus dies meus dies festus erit, si certe tu venis. Vale, amicissime et rarissime homo, dulcissime magister.

Die senatus hujus magis hic futuri quam illuc venturi videmur. Sed utrumque in ambiguo est. Tu modo perendie veni, et fiat quod volt. Semper mi vale, animus meus. Mater mea te tuosque salutat.
 

LETTRE XV

A MON MAITRE

Gratia la jeune fait déja ce qu'a souvent fait Gratia sa mère ; mes inquiétudes, elle les calme sur l'heure, ou les dissipe sans retour. Je te félicite au nom de mon patron, M. Porcius, parce que tu le relis souvent ; mais je crains que tu n'aies pas à me féliciter au nom de C. Crispus, car c'est au seul M. Porcius que je me suis consacré et fiancé, et délégué ; et cet et d'où penses-tu qu'il me vienne ? c'est à lui que je le vole. Après-demain sera mon jour de fête, si vraiment tu viens. Adieu, le plus ami, le plus rare des hommes, le plus chéri des maîtres.

Je crois que, le jour de cette assemblée du sénat, nous resterons plutôt ici que nous n'irons là bas. Aucun de ces projets n'est encore arrêté ; viens seulement après-demain, et arrive que pourra. Adieu encore une fois, mon souffle. Ma mère te salue toi et les tiens.
 

EPISTOLA XVI.

Magistro meo.

Tu, cum sine me es, Catonem legis : at ego cum sine te sum, causidicos in undecimam horam audio. Equidem velim istam noctem, quae sequitur, quam brevissimam esse. Tanti est minus lucubrare, ut te maturius videam. Vale, mi magister dulcissime. Mater mea te salutat. Spiritum vix habeo, ita sum defessus.
 

LETTRE XVI

M. CAESAR A SON MAITRE

Toi, loin de moi, tu lis Cato ; moi, loin de toi, j'écoute les avocats jusqu'à la onzième heure. Je voudrais bien, en vérité, que la nuit qui va suivre fût la plus courte des nuits ; j'aime mieux moins veiller et te voir plus tôt. Adieu, mon très doux maître. Ma mère te salue. A peine si je respire, tant je suis fatigué !
 

EPISTOLA XVII.

Amplissimo consuli magistro suo M. Caesar salutem.

Anno abhinc tertio me commemini cum patre meo a vindemia redeuntem in agrum Pompei Falconis devertere. Ibi me videre arborem multorum ramorum, quam ille suum nomen catachannam nominabat. Sed illa arbor mira et nova visa est mihi in uno trunco omnia omnium ferme germina...

... et meus me alipta faucibus urgebat. Sed quae, inquis, fabula? Ut pater meus a vineis domum se recepit, ego solito more equom inscendi, et in viam profectus sum, et paululum provectus. Deinde ibi in via sic oves multae conglobatae adstabant, ut locus solitarius, et canes quattuor et duo pastores, sed nihil praeterea. Tum pastor unus ad alterum pastorem, postquam plusculos equites vidit : Vide tibi istos equites, inquit, nam illi solent maximas rapinationes facere. Ubi id audivi, calcar equo subpingo, equum in ovis inigo. Oves consternatae disperguntur : aliae alibi palantes balantesque oberrant. Pastor furcam intorquet; furca in equitem, qui me sectabatur, cadit. Nos aufugimus. Eo pacto qui metuebat ne oves amitteret, furcam perdidit. Fabulam existimas? res vera est. At etiam plura erant quae de ea re scriberem, nisi jam me nuntius in balneum arcesseret. Vale, mi magister dulcissime, homo honestissime et rarissime, suavitas et caritas et voluptas mea.
 

LETTRE XVII

AU TRES ILLUSTRE CONSUL SON MAITRE, M. CAESAR, SALUT

Je me souviens qu'il y a trois ans, revenant de la vendange avec mon père, je me détournai pour aller visiter le champ de Pompéius Falco. Je vis là un arbre chargé de branches qu'on appelait de son nom catachanna. Cet arbre merveilleux et nouveau me parut porter sur un seul tronc presque tous les germes de tous *** et quel est ce conte ? diras-tu. Dès que mon père se fut retiré de ses vignes dans son palais, moi, selon ma coutume, je monte à cheval, je pars, et m'avance assez loin sur la route. Bientôt, au milieu du chemin, se présente un nombreux troupeau de moutons ; le lieu était, solitaire ; quatre chiens, deux bergers, mais rien de plus. L'un des bergers dit à l'autre en voyant venir quelques cavaliers : Prends bien garde à ces cavaliers, car ce sont d'ordinaire les plus grands voleurs du monde. A peine ai-je entendu ces mots que je pique de l'éperon mon cheval, et que je le précipite sur le troupeau. Les brebis effrayées se dispersent et s'enfuient pêle-mêle, errantes et bêlantes. Le berger me lance sa houlette ; la houlette s'en va tomber sur le cavalier qui me suit. Nous fuyons au plus vite, et c'est ainsi que le pauvre homme, qui craignait de perdre son troupeau, ne perdit que sa houlette. C'est un conte, diras-tu ; non, c'est la vérité même. J'avais encore là dessus bien d'autres choses à t'écrire ; mais on m'annonce que je puis entrer au bain. Adieu, mon très doux maître, homme très vertueux et très rare, mon bonheur, mon amour et mes délices.
 

LETTRE XVIII.

M. Caesar magistro suo salutem dicit.

Profecto ista tua benignitate magnum mihi negotium peperisti. Nam illa cottidie tua Lorium ventio, illa in serum expectatio...
 

LETTRE XVIII

M. CAESAR SALUE SON MAITRE

Véritablement, ta bonté a été pour moi la cause d'une grande occupation. Car ta visite de chaque jour à Lorium, cette attente du soir ***
 

 EPISTOLA XX.

M. Aurelio, imperatori Fronto.

... mum terminare valent ; tuis autem decretis, imp., exempla publice valitura in perpetuum sanciuntur. Tanto major tibi vis et potestas, quam fatis adtributa est: fata quid singulis nostrum eveniat, statuunt ; tu ubi quid in singulos decernis, ibi universos exemplo adstringis. Quare si hoc decretum tibi procos. placuerit, formam dederis omnibus omnium provinciarum magistratibus, quid in ejusmodi causis decernant. Quid igitur eveniet? illud scilicet, ut testamenta omnia ex longinquis transmarinisque provinciis Romam ad cognitionem tuam deferantur. Filius exheredatum se suspicabitur: Postulabit, ne patris tabulae aperiantur. Idem filia postulabit, nepos, abnepos, frater, consobrinus, patruus, avunculus, amita, matertera: Omnia necessitudinum nomina hoc privilegium invadent, ut tabulas aperiri vetent, ipsi possessione jure sanguinis fruantur. Causa denique Romam remissa quid eveniet? heredes scripti navigabunt, exheredati autem in possessione remanebunt, diem de die ducent, dilationes petent, tempora variis excusationibus trahent: Hiemps est, et crudum mare hibernum est; adesse non potuit. Ubi hiemps praeterierit, vernae tempestates incertae et dubiae moratae sunt. Ver exactum est ? aestas est calida, et sol navigantis urit, et homo nauseat. Autumnus sequitur ? poma culpabuntur, et languor excusabitur. Fingo haec et comminiscor, quia in hac causa non hoc ipsum evenit? Ubi est adversarius, qui jampridem ad agendam causam adesse debuerat? In itinere est. Quo tandem in itinere? ex Asia venit ; et est adhuc in Asia. Magnum iter et festinatum. Navibusne an equis an diplomatibus facit haec tam velocia stativa? Cum interim cognitione proposita, semel a te, Caesar, petita dilatio et impetrata. Proposita cognitione rursum, a te duum mensum petita dilatio. Duo menses exacti sunt ? idibus proximis, et dies medii isti aliquot. Venit tandem? Si nondum venit, saltem adpropinquat; si nondum adpropinquat, saltem profectus ex Asia est ; Si nondum profectus est, at saltem cogitat. Quid ille cogitat aliud quam bonis alienis incubare, fructus diripere, agros vastare, rem omnem dilapidare? Non ille ita stultus est, ut malit venire ad Caesarem et vinci quam remanere in Asia et possidere. Qui mos si fuerit inductus, ut defunctorum testamenta ex provinciis transmarinis Romam mittantur, indignius et acerbius testamentorum periculum erit, quam , si corpora mittantur defunctorum qui  trans maria testantur : nam his quidem nullum fere gravius periculum superveniet. Sepultura cadaveribus in ipsis injuriis praesto est. Sive maria naufragos devorent, sive flumina praecipites trahant, sive harenae obruant, sive ferae lacerent, sive volucres discerpant, corpus humanum, satis sepellitur ubicumque consumitur. At ubi testamentum naufragio submersum est, illa demum et res et domus et familia naufraga et insepulta est. Olim testamenta ex deorum munitissimis aedibus proferebantur, aut tabulariis, aut (lu)cis, aut archiis, aut opisthodomis : at jam testamenta pro(pe) ru... navigaverint inter onera mercium et sarcinas remigum. Id etiam superest, siquando jactu opus est, ut testamenta cum leguminibus jactentur : quin (et naulum) constituendum quod pro testamentis exigatur. Antehac... quae... tenendum. Nam... exe... cum... etiam... roge.. doteas.. ent... item...

LETTRE XIX

A M. AURÉLIUS EMPEREUR, FRONTO

*** Ta force, ta puissance est d'autant plus grande, qu'elle t'a été attribuée par les destins. Les destins règlent ce qui doit arriver à chacun de nous ; toi, lorsque tu rends quelque décret pour des particuliers, tu en fais une règle obligatoire pour tous. Si donc tu approuves le décret du proconsul, tu le donneras à tous les magistrats des provinces comme un modèle de ce qu'ils ont à décider dans les cas semblables. Aussi, qu'arrivera-t-il ? ceci, sans doute, que tous les testaments devront être, de ces provinces lointaines d'au delà des mers, envoyés à Rome, pour être jugés par toi. Le fils qui se soupçonnera déshérité demandera que le testament de son père ne soit point ouvert ; la fille fera la même demande ; le neveu, le petit-neveu, le frère, le cousin, l'oncle paternel et maternel, la tante paternelle et maternelle, enfin tous les degrés de parenté revendiqueront le privilège d'empêcher que les testaments ne soient ouverts, et la faculté de posséder par droit du sang. Enfin, la cause portée à Rome, qu'arrivera-t-il ? les héritiers inscrits se mettront en mer ; les exhérédés cependant resteront en possession ; ils remettront de jour en jour, demandant des délais, et retarderont par mille excuses le jour de l'audience. C'est l'hiver, et la mer n'est pas tenable l'hiver, on n'a pas pu se présenter. L'hiver écoulé, on a été retardé par les temps incertains et variables du printemps. Le printemps est-il fini ? l'été est chaud sur mer, le soleil brûle, et notre homme a des nausées. L'automne arrive : on va s'en prendre aux fruits, et alléguer des malaises. Ce sont là des suppositions ; pourtant rien de plus réel : car n'est-ce pas précisément ce qui arrive dans l'espèce ? Où est l'adversaire qui devrait être ici depuis longtemps pour commencer les débats ? il est en chemin ; et sur quel chemin enfin ? il vient d'Asie, et il est encore en Asie. Grand voyage et fait vite ! est-ce par des navires, des chevaux ou des relais publics qu'il fait route avec tant de célérité ? Cependant la cause appelée une première fois, un délai, Carsar, t'a été demandé, et il a été obtenu. La cause appelée une seconde fois, on te demande une seconde fois un délai de deux mois. Les deux mois sont-ils expirés ? oui, aux ides dernières, plus quelques jours écoulés depuis. L'adversaire est-il enfin venu ? s'il n'est pas venu, au moins il approche ; s'il n'approche pas, au moins il est parti d'Asie ; s'il n'est pas encore parti, au moins il y pense. Mais à quoi pense-t-il, sinon à couver le bien d'autrui, piller les fruits, ravager les champs, dilapider toute la succession ? il n'est pas assez fou pour aimer mieux venir devant Carsar et être évincé que de rester en Asie et posséder. Si l'usage s'introduit d'envoyer les testaments des provinces transmarines à Rome, le péril des testaments sera plus indigne et plus fâcheux que l'envoi à Rome des corps des défunts qui ont testé au-delà des mers ; car pour ceux-là, il ne peut guère arriver rien de plus grave. La sépulture est assurée aux cadavres, même dans les injures du sort. Qu'il soit englouti par les naufrages des mers, emporté par la violence des fleuves, abîmé dans les sables, dévoré par les bêtes ou déchiré par les oiseaux, le corps humain est suffisamment enseveli partout où il est consumé ; mais lorsqu'un testament est englouti dans un naufrage, et la succession, et la maison, et la famille, tout demeure naufragé et sans sépulture. Autrefois les testaments étaient tirés des demeures inaccessibles des dieux, des cabinets des tabellions, des bois sacrés, des archives ou des trésors publics ; mais aujourd'hui, ils naviguent entre les ballots de marchandises et les bagages des rameurs ; il ne leur reste plus qu'à être jetés à la mer, au besoin, avec les légumes, ou à payer un droit de naulage pour leur transport. ***