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FRONTON

 

ÉLOGE DE LA FUMÉE ET DE LA POUSSIÈRE

 

Oeuvre numérisée et mise en page par Thierry Vebr

 

 

 

 

M. CORNELII FRONTONIS

LAUDES

FUMI ET PULVERIS

Caesari suo Fronto.

Plerique legentium forsan rem de titulo contemnant, nihil serium potuisse fieri de fumo et pulvere : tu pro tuo excellenti ingenio profecto existimabis, lusa sit opera ista an locata. Sed res poscere videtur de ratione scribendi pauca praefari, quod nullum hujuscemodi scriptum romana lingua exstat satis nobile, nisi quod poetae in comoedis vel atellanis adtigerunt. Qui se in ejusmodi rebus scribendis exercebit, crebras sententias conquiret, easque dense conlocabit, et subtiliter conjunget, neque verba multa geminata supervacanea inferciet : tum omnem sententiam breviter et scite concludet. Aliter in orationibus judiciariis, ubi sedulo curamus, ut pleraeque sententiae durius interdum et incomptius finiantur.

Sed contra istic laborandum (est) ne quid inconcinnum vel hiulcum relinquatur ; quin omnia ut in tenui veste oris detexta et revimentis sint cincta. Postremo ut novissimos in epigrammatis versus habere oportet aliquid luminis, sententia clavi aliqua vel fibula terminanda est. In primis autem sectanda est suavitas. Namque hoc genus orationis non capitis defendendi, nec suadendae legis, nec exercitus adhortandi, nec inflammandae contionis scribitur, sed facetiarum et voluptatis. Ubique vero ut de re ampla et magnifica loquendum, parvaeque res magnis adsimulandae comparandaeque. Summa denique in hoc genere orationis virtus est adseveratio. Fabulae deum vel heroum tempestive inserendae, item versus congruentes et proverbia accommodata et non inficete conficta mendacia, dum id mendacium argumento aliquo lepido juvetur. Cum primis autem difficile est argumenta ita disponere, ut sit ordo eorum rite conexus. Quod ille Plato Lusiam culpat in Phaedro, sententiarum ordinem ab eo ita temere permixtum, ut sine ullo detrimento prima in novissimum locum transferantur, et novissima in primum. Eeam culpam ita devitabimus, si divisa generatim argumenta nectemus, non sparsa nec sine discrimine aggerata, ut (ea quae per saturam feruntur, sed ut praecedens sententia in sequentem laciniam aliquam porrigat et oram praetendat ; ubi prior sit finita sententia, inde ut sequens ordiatur : ita enim transgredi potius videbimur quam transilire. Verum hi non... Variatio vel cum detrimento aliquo gratior est in oratione, quam recta continuatio... ria austere, fordiora.. dicenda...

... Modo dulce illud incorruptum sit et pudicum tusculanum et ionicum, id est Catonis et Herodoti... In omni re facilius est rationem docendi nosse, quam vim agendi obtinere ... est multus... sic est qui... sicuti bene velle ac bene precari, quae res voce animoque sine opibus perpetrantur. Igitur ut quisque se benignissimum praestabit, ita is plurimos laudabit. Nec tantum eos, quos alii quoque laudibus ante decoraverint, verum conquiret deos et homines a ceterorum laudibus relictissimos, ibique signum benignitatis expromet. Ut agricola, agrum intactum si conserat, laboriosus est ; sacerdos, si apud fanum desertum vel apud fanum avium sacrificet, religiosus est.

Laudabo igitur deos infrequentes quidem a laudibus, verum in usu cultuque humano frequentissimos, fumum et pulverem, sine quis neque asae neque foci neque viae, quod volgo ajunt, nec semitae usurpantur. Quod si quis hoc primum ambigit habendusne sit fumus in deum numero, cogitet ventos quoque in deum numero haberi : quaeque sunt fumo simillimae, nebulas nubesque putari deas, et in caelo conspici ; et, ut poetae ferunt, amiciri deos nubibus, et Jovi Junonique cubantibus nubem ab arbitris obstitisse. Quod si nunc divinae naturae proprium est, nec fumum manu prehendere nec solem queas, neque vincire, neque verberare, neque detinere, neque, vel minimum rimae si dehiscat, excludere...

ÉLOGE

DE LA FUMÉE ET DE LA POUSSIÈRE

PAR M. CORNÉLIUS FRONTO

A SON CÉSAR, FRONTO

La plupart des lecteurs mépriseront peut-être ce sujet sur le titre, et diront qu'on n'a pu rien tirer de sérieux de la fumée et de la poussière. Toi, avec ton excellent esprit, tu auras bientôt vu si c'est un jeu ou un ouvrage que -je me suis proposé. Mais, avant tout, il me semble à propos de dire quelque chose sur la manière de traiter ces sortes de sujets, d'autant que la langue romaine n'offre rien d'assez remarquable en ce genre, si ce n'est quelques essais que les poètes en ont laissés dans les comédies ou les atellanes. Celui qui s'exerce à ce genre d'écrire fera une abondante provision de pensées, et les placera l'une près de l'autre, les unissant par des liaisons fines, et évitant les répétitions, les mots inutiles, en un mot toute sorte de redondances. Ainsi il renfermera chaque pensée dans une expression juste et précise, à la différence de ce qui se fait dans les discours judiciaires, où nous avons soin que les pensées se terminent plus durement et avec moins de précaution.
Ici au contraire il faut s'appliquer à ne rien laisser d'inélégant, rien de heurté ; et que tout, comme dans un vêtement léger, soit garni de bordures et ceint de franges. Enfin, de même que les derniers vers d'une épigramme doivent avoir quelque chose d'étincelant, la pensée doit se terminer par une sorte de crochet ou de boucle. Mais de l'agrément avant tout. En effet il ne s'agit pas ici de sauver la tête d'un homme, ni de faire passer une loi, ni d'encourager des troupes, ni d'échauffer une assemblée, mais de badiner et d'amuser. Partout cependant il faut parler comme dans un sujet ample, magnifique, et assimiler et comparer les petites choses aux grandes. Enfin le mérite suprême dans ce genre de composition, c'est d'y jouer avec art le sérieux. Il faut y faire entrer à propos .quelque fable des dieux et des héros, des vers assortis au sujet, des proverbes qui s'y appliquent, des fictions ingénieuses, pourvu que la fiction soit soutenue par quelque raisonnement badin. Mais le plus difficile est de disposer son plan de manière qu'il y ait partout ordre et liaison. Platon reproche dans le Phaeder à Lysias d'avoir tellement confondu l'ordre des idées qu'on pourrait sans inconvénient mettre la première à la place de la dernière, et la dernière à la place de la première. Nous éviterons ce défaut, si, par l'effet d'une bonne distribution, toutes les parties du sujet se trouvent, non dispersées, ni réunies sans distinction, comme des mets divers dans un même plat, mais si bien liées que la pensée qui précède présente à la suivante une sorte de bordure ou de frange par ou celle qui suit semble sortir de celle qui finit ; et ainsi nous paraîtrons plutôt marcher que sauter *** La variété, même avec quelque désordre, est plus agréable dans un discours que la monotonie. *** Il faut donner un tour sérieux aux choses plaisantes *** Pourvu que ce soit ce ton doux, pur et chaste de Tusculum et d'Ionie, c'est-à-dire de Cato et d'Hérodotus *** En toute chose il est plus facile de connaître le moyen d'enseigner que d'obtenir la force d'agir *** comme bien vouloir et bien prier, choses qui se font sans effort, par l'esprit et par la voix. Ainsi donc, selon qu'on se sentira plus de bienveillance, on louera plus de monde ; et on cherchera non seulement ceux qui auront déjà été relevés par des éloges, mais ceux qui, soit parmi les dieux, soit parmi les hommes, auront été le moins loués ; et ce sera là faire preuve de bienveillance ; comme un laboureur, s'il sème une terre en friche, est laborieux ; un prêtre, s'il sacrifie dans un temple désert et écarté, est religieux.
Je louerai donc des dieux peu connus dans les éloges, mais très connus dans tous les usages de la vie, la fumée et la poussière, sans lesquelles on ne peut user de l'autel, du foyer, des routes, des sentiers. Que si quelqu'un doute d'abord que l'on doive mettre la fumée au nombre des dieux, qu'il pense que les vents même sont au nombre des dieux ; que les brumes et les nuées, qui ressemblent fort à la fumée, sont regardées comme des déesses, et se voient au ciel, et que, comme disent les poètes, les dieux se voilent de nuées, et qu'une nuée déroba Jupiter et Juno dans le lit à tous les regards ; et que, ce qui est le propre de la nature divine, on ne peut prendre la fumée avec la main, pas plus que le soleil, ni l'enchaîner, ni la frapper, ni la retenir, ni la repousser pour peu que la moindre ouverture lui donne entrée ***