Diogène Laërce

DIOGÈNE DE LAERTE



LIVRE IV

 

CHAPITRE IV. CRATÈS - ΚΡΑΤΗΣ

LIVRE IV (3 Polémon - LIVRE IV (5 Crantor)

Autre traduction - Traduction Genaille sur le site de Ugo Bratelli

 

 

 

 

 

DIOGENE DE LAERTE.

 

LIVRE IV.

CHAPITRE IV.

CRATÈS.

ΚΡΑΤΗΣ

 

[21] Κς τη% ΟΒ S Ε * ν Α Τ r Ο *r S































SUIt LA PRISE ÙE TROIE. 2 t$£ toute l'expédition de Troie, sins leur rien cacher. Quelques-uns disent ( a ) qu'il y retrouva Hélène qui y étoit TOU¬jours demeurée. Ils ajoutent, ce qui est le plus inconcevable, qu'on n'a voit eu à Troie que le pbantôme de cette Princesse, et que ce sut pour ce phan-tôme qu'on SIT LA guerre durant dix ans.
Hscmère semble avoir iu le voyage de Menélas en Egypte, et en avoir parlé énigmatiquement, lorsqu'IL a dit ( b ) que Menélas après SA mort sut envoyé par les Dieux dans les champs Elisées , où il n'y a NI neige, NI hy-ver; où l'air est toujours doux et so-rein. Le climat de L'Egypte est tel en esset. Il semble auisi que quelques Poê¬les postérieurs ont entrevu la vérité des choies. Car un Poète tragique (r) repréiênte Oreste voulant aslâssiner Hé¬lène qui court AU devant du coup; mais leà srères d'Hélène apparoislsent , et sclle disparoît tout-à-coup. Or ce Poète n'auroit pas avancé ce sait., s'il étoit
( Ό Voyex la Tragédie d'Hélène par Euripide. \h) Voyex le iVe. Uv. de l'Odysl'ée. (c) Euripid. in ûresl. Art, W.saulU • Apollon çiuiskitdissatoîrre Hétcne.
I(?4 DISCOURS'
vrai qu'on vit depuis Hélène vivre et
Grèce avec Ménélas.
Depuis la guerre , les assaires des Grèce se trouvèrent dans un état de soiblesle et de décadence : les Troyens au contraire devinrent plus slorilsans et plus glorieux que jamais. Ausli vit-on Enéç, envoyé par.Heétor avec une slotte et des troupes nombreuses, s'em-
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arer de l'Italie, le plus beau pays de 'Europe ; Hélenus aborder au milieu de la Grèce, et se saire Roi des Mo-losses et de l'Epire près de la Thessalie. Lequel des deux eu le plus probable #
S
ue les vaincus paisent dans le pays es vainqueurs et y sondent des Royau¬mes , ou que ce soit plutôt les vain¬queurs dans le pays des vaincus ? Si ceux qui suivirent Enée 9 Anténor, Hélenus, étoient des sugitiss échappés des débris de Troie , pourquoi ne se résugioient-ils pas par-tout ailleurs qu'en Europe et en Grèce s Pourquoi ne préséroient-ils pas quelque contrée deJ'Asie . au lieu d'aborder chez des ennemis qui venoient tout récemment de les détruire ? Comment vinrent-ils à bout de se Eure tous Souverains, et
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SUR LA PRISE TDE'TÏIOÎE.
non pas de pays peu vastes, ou peu célèbres ; car il ne tint qu'à eux de se rendre maîtres de la Grèce ; mais ils s'en abstinrent pour ne pas violer les traités ? Hélénus ne laiiïa pas cepen-dant d'en occuper une bonne partie, » l'Epire ; Anténor s'empara du pays des Hénetes, et de Pexcellent terrein autour d'Adria(ii) ; Enée régna su* toute l'Italie , et y sonda la plus grande Ville qu'il y ait dans l'Univers.
Assurément il n'est point vtsaisem-bhble que des sugitiss , après avoir, esiuyé les plus grands malheurs dans leur Patrie , aient pu sormer des éta-bliisemens de cette nature j ils auroient dû être trop heureux que quelqu'un eût voulu leur accorder retraite. D'ail-leurs avec quels sonds ., avec: quelles troupes partirent-ils, eux qui s'embar¬quaient au milieu de leurs ennemis, au milieu de Troie en slammes, ayant tout perdu (e)9 se trouvant dans des <:onjonétures où, loin de pouvoir s'em--barqueravec leurs pères, leurs ensansj
{
d ) Aujourd'hui l'Etat de Venise. e ) J'ai suivi les conjèâures de Casaubon , et kl porreâions sournie! par le Manuicnt de Morel. ;
Tome II. M
£66 D IS C Ο Υ R S
leurs semmes, leurs essets* les-plu jeunes et les plus vigoureux pouvoient 4 peine sauver leurs vies ; dans les cir-„ consiances d'une Ville surprise, oà Son n'a pas, comme dans le cas d'ut» capitulation, un temps pour ie reti-*esr s Si ces suppositions sont, impossi* bles , ^1 eisc três-poslible au 4 contraire que les choses soient arrivées comme J'ai dit qu'esseetivement elles ont été. On raconte en esset qu'après le dé-
§
art dés Grecs, Heélor voyant que >oîe étoit remplie de monde, et tjuô „sceux qui étosent venus la désendre y Voilloieiit réster j sèntant d'ailleurs qu'Ènée éxigerôit qu'on lui cédât la jpârt du Royaume que Priam lui avoit promise pour sécompense d'avoir n> poussé les ennetois * prit le parti de k saire Ghes d'une Colonie. Il ne H épargna pas l*ârgént, et lui donna de ton xœur autahtde monde qull vou¬lut. E'née étoit digne de régner, ds-soit Heétor , 4c ittéritoit un Empi» <φιΐ tie slk'jpas Màtièst que le sesi^ mais il conyenoit qu'il allât le? chercher >4ANS unetérteétsangere. Iln'ètoitsi impossible qu'il s'emparât de PEurcpe tsitiere ; 4£ alors ils pourtwgntHse slat¬ter qu'ils seroient matsreet(/) des deux çontinens tant que leur rçtce iubslste-s roit. On ajoute qu'Enéé se prêta aux desirs d'Heâor , tant pour lui saire plaisir, *que daps l'esperance ,de s'en trouver mieux. Ainsi la sorce iSc 1* prudence se réunirent clans -ceitte entrée prise , qu'un peuple aussi slorissant étoit en état d'exécuter sur le champ, 6c de répéter plus d'une ibis.
Ce sut ce qui arriva ; car Anténor ayant vu partir Enée desira de se saire ausii un Etat^II Europe, et demanda qu^n m^sipnât une notse semblaibie* D'autre côté , Hélénus se plaignait de ^e qu'on le considéroit moins que Déï-
;
)hobus, obtint -de son pere aes vais-eaux et des troupes , paOa dans la partie de la Gse<£ qui luiiseietMpsl: dest
tpit pas a^rî* <dans-te teméi - •
ι ,Ôn dit encore q*e Diomede,: chaslsit d'Airgos , Layapt. appris des nouvelle^-tsEnée, vint ver*lui avec une slotte,
. ;(/) I**ai*«t tWJ*sa*^ C'iÛ ainsi <pe ih Greea désiçnoient l'Europe ÎcVAûe. J'ai déjà remarqué sa; mejne Ççmsumio* i4e sctuc exprèsljpn «bat Ù*¬le priant dei^sec^urii^en coniîiquenoè do traité dç paix et dscmirié qui étoTt enttVuK, et ki «conta ses malheurs et ceux d'Agamemnon. Enée reçut bien Dioraede , et le peu de vaisseaux
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îl amenait y et lui<lonna unpartie se troupes apcès qu'il se sut emparé de toute la contrée. JSnsuite ceux des OrecS qui avoient été cbaslés par les Doriçns, nelàchant où se retirer , vin¬rent en Asie comme dans un pays ami et allié, et S'établirent dans le lieu que - leur- cédèrent Priam et Heïtor., qui -par amitié leur donnèrent 'Paras,' (:σ) et piôsièurs autres endroits consi¬dérable \ }- - -
Quiconque ne croit pas ces choses précisément parcequ'eMes ne sont p*$ consormes à; l'ancienne opinion , doit stvbii- ψΤύ «st imposslbté- qu'A -sort ja¬mais triséd'eœmn rii ptsislê tsiet tinguer le vttk dis saux, yhe^ opinion n'acquiert audm'4eg*é 4èrdh <sc plus, pour avoir; été pendant long-temps adc»tée par Acs gens etns discer-nemens* Xes mensoap^as^ne cirent au-
{g ) J'ai soivi iar la restieetioû «ie'ce'palTtre b #ODJeôure 4e Cabotai; Jtt**; 15. ... Γ
SUR £À/PRISE DE TRûtt.
bruits publics. Je

cun avantage de leur ancienneté. Ce n'est pas d'ailleurs sur les seuls saits; dont jki parlé que les hommes nè-sont pas d'accord ; .ils se, contredisèiit suq quantité d'autres. etur la guerre de Pe*\ se, pa$ exemple * les: uns disent quelet combat; navas de Salamine sut postésr rieur à la bataillé dse Platée j les autres^ sôutiennent que 1a bataille de Platée sut la dernière, opération de cettç gue*: vû ; et eependast ces ; cBosôs. ont r été éèrite^.knirjédktembnt ( -^prlès J'és* vençinemy -Ί!η£Β y. a peuidç .gens scsen instsum, twtilrest ordmabsedsi
parle des Ecrivains contemporains. Ceux qui viennent àpnès,* ic plus tard encore, ne savent^bsoiueientrien,jet reçoivent a virement jcxur ce $£'ύet]en¬tendent dite j çotœne Ietrsipi'ijb don* nent le nom de Scyrites (i) à un corps

( ι ) Lés Scyritee étaient un peuple sabuleux dont parle Pline { * ) » qui* le p«aec parmi les Indiens. Selon lui, les Scyrites ri'avbient point de nex , Se leurs jambes avoient la "siscure d'un serpent. Thucy¬dide n'a jamais dit » comme les Auteurs que reprend* sci Xttori , que les Lacédëmoniees euslent de pareils

.Oit'i α:σ tr * s » de trouper Laeédémonienes ; ce que n'a jamais sût Thucydide» . Les Athéniens rendent les plut grands honneurs à Harmodius et a Àrissogiton, comnaô ayant tué le ty-> ran, Se rendu la liberté* leur Ville (x). Mais pourquoi citer ici des saits paisés parmi les hommes ? Ne croit-on pas, n'a-t-on pas la hardiesse de dire, qu'U-janus (lytux indignement traité par Saturne, et Saturne ensuke par Jupi-ter? Le premier de ces (aies une sois* admis, comme c*est l'ordinaire, il se-toit hors de place de ne pas ajouter soi au sécond.
Mais je veux justisîer Homère , 8S seire voir que ses sables méritoient bien d'être répétées. Eri premier lieu » elles ne sont gueres plus incroyabtes 'que eeiks qu'on débke sur les L>ieùx« En
DE SCYRITES QUI SAISOIR PARTIE DE LEURS TROUPES. OR CET SCYRITES ETOIENT HABITANS DE LA LACONIEde on LES AVOIR SANS DOUTE CONSONDUS MAL-A-PROPOS AVEC LE* SCYRITES DE PLINE. Scyez Tbu:yd. Liv. v. p*g* i66. 3 S s. 0"c. NAOGEORGUS ^ POUR N'AVOIR PAS RE* MARQUE CETTE DJTSIREACE , N'A RIEN ENTENDU AU PAISTGGI DE DION.
(^) CE QU'ILS NE SIRENT PAS CEPENDANT; CAR OA, SAIT QU'ILS N'EXECUTERENT QN'A DEMI ICUT CAOTTPQSAG
et QU'ILS Y PERIRENT.
' SUR LA s%ISEDï ΤΚΟΪΒ.' *Jt sécond lieu, elles avoient un but utile aux* Grecs de son siecle ; c'etoit de les empêcher de redouter les peuples d'A-sie, sl ceux-ci leur sirisoient la guerre, tomme on le prévôyoïe. On ne peuc km doute trouver mauvais qu'Homère qui étoit Grec, ait cherché toutes let voies poisibles de servi* ses compastrio* tés. Bien d'autres ont mis en usage des moyens semblables. Pour moi, j'ai ouï dire à un Mede que les Perses ne con-* viennent de rien de tout ce que dîseiwi les Grecs sur les guerres qu?ik ont{ eues contr'eux. Les Perses prétende©» que Darius envoya les troupes qui etoïént sous les ordres «de Daris et sl'Anapherne, contre Nax<ps et Eté* ttk ; qu^après s'en ê*re emparés, cee Généraux retournèrent vers leur Mai* tre ; que tandis qu*ils voguoient vers TEubee , quelques-uns de leurs vais* séaux, au nombre de vingt au plus * avoient été jettes sur les côte* de VAu tique, et que les. Matelots avoient eu quelque assaire avec les habitans de ce* côtes ; que cependant Xerxès mari-.chant vers la Qrece avec son arpée, les Lacédémonitns avoient été vaincus
Miv
'α,η* D ι $ c Q υ κ s
aux Therraopyles, où leur Roi Léo->
nidas avoit été tué ; que Xerxès avoit
pris et détruit Athènes ; qu'il avoit
sait enlever tous ceux que la suite ne
lui avoit pas dérobés ; qu'après de si
glorieux avantages , et après avoir
imposé un tribut sur la Grèce, il étoit
ensin retourné enAsie. Ces saits sont
évidemment saux ; mais il n'est pas
impossible que le Roi de Perse n'ait
lui-même (m) accrédité de pareils
bruits dans l'intérieur de ses Etats,
pour y contenir les esprits. Si Homère
en a tait autant, il est juste qu'on lui
pardonne. .
Quelqu'un peut-être , me prenant; I par mes. propres paroles , me dira: Vous avez donc tort de rabaisler les Grecs.. Mais nous ne sommes plus dans les mêmes circonstances qu'Ho¬mère. Il n'y a plus aujourd'hui lieu de craindre que les peuples d'Asie vien¬nent porter la guerre en Grèce. La Grèce et Γ A sie sont toutes deux asler-vies à une domination étrangère ; et la vérité ne mérite pas peu d'égards.
" (m) J'adopte ici quelques correâioni de Caiàe-boa. yîi. Diatrib. paet. 16%. ,


ίϋκLA PJIISRM TROIE; 27J ~ SI P'ailleurs, SI J'avois cru que mon «discours eût été capable de pçrsaader, saurpis peut-être balancé à rompre 1er SILENCE. Jç puis- cependant assurer que Jes saits qoe J'enlève aux Grecs leur sont bien plus désavantagscux,que ceux QUE JE rapporte. Il n'y a rien d'extraor¬dinaire à ne PPIN;,prendre UNE Ville, i se retirer après avoir sait LA paix,ayec des ennemie QU'on avoit ats a[q^lm^s-'temént. Il ti'est point Bqslseu^ ir'^p ïrave'.Homme d^êtretué par/BRT sem*-blable. Tout homme SUR de mourir seBoisiroit la mort que dési ré Achille 'SORSQUW. LUI sait drçe : .« PUJ{sé-jé * $ud. //I. .expirer sous les coups d^HEetBR^ le y y*r£ jglus'braveJJes Ttoyens* »]( / 'τ ! Maisî.IL est ^siqmeht;. honxeipt QUJE le plus .vaillant des Grscs^çit tué'PJP: le plus vil;des ennemis. Il est seonteuk ,que celui QUI passoit pour LE plus (âge M le PLUS modéré des Grecs égorge desbeeuss^k des imputons croyant ma£-sacrèr des^OIS* IJSC/IE tue eniuite <sc jiéph £Ç cequ'onne lui accorcle psjs 3e* armes <ju'iWcmande; qu'Astyanax, £1^ d'un Héros , soit si inhumainement Mjnis> à mort, en LE précipitant du haut - - M ν ' 1 **
27% • D r s e ο tr it y d'une muraille, et cela par l'avis una-itsmedes ^tjïsetde Parmée; quePo-iyxene soit égorgée siir un tombeau s et qu'on sasse un saçrisicd sunèbre de cette nâtuWatï sus d'une Déeslè ; que la beHe Carsandre, Prêtresse d>Apoi-, Ion, soit violée dans le Temple même y tenant dans ses bras la statue de Mi¬nerve, 8rque ce crime soit commp. "non par un homme mépriiàbleet vil» Triais par un des prinripàuk Chese die Sarmée Grecque ; que5 Pri*éet > Ror dse SAsieparvenu à un extrême. vieUle£-se, soit percé de coups, maslacré au pied des; Atstels-de Jupirer dont il tt-ioitsoïr origine, Se que l'^titertr d'une telle aetiori; soit ',. non pas quelqu'un ΐΡύη nom obscur, mais le sils dseAchille même, dont le pere avoit reçu Prianv ^ sa table, et respeeté les jours de ce Prince ; qu'Hécùbe, malhedreuse mere :ge tant d'etrsatss, sort donnée et lÂyslse-
5
" our lui servir de jouet y et qu'à cause e l'excès de ses malheurs, elle soit si-dicuîement teéantitpittâêé en chiéa* îre : qu'ensin le Jtoi dés Gvecs ait ïa HardieslSe d'épotises urte sille consacrée à Apollon r i lamelle nul jx'ûsoiç:
Vin
STTR LA PRISE DE TROIE. 2js ' tcruclierv par respeâ pour ce Dieu ; audace dont ce Prince semblà jgste-ment puni par mort. Ne vaut-il pas bien mieux pour les Grecs de n'avoir point pris Troie, que d'avoir sait tout *çla ?




 

OBSERVATIONS

Sur le Discours dans lequel Dion combat l'opinion de la prise de Troie par les Grecs.

Depuis Homère , c'est-à-dire, depuis environ vingt-cinq siècles , on a constamment placé au nombre des saits réels la prise de Troie par les Grecs. Cette opinion généralement reçue avait au moins huit cents ans d'antiquité, lorsque Dion entreprit de la combattre dans un Discours qu'il adressa aux Troyens mêmes (1). C'est le premier de ceux dont je donne la traduction.

On est porté naturellement à croire qu'un pareil projet ne peut avoir rien 164 de sérieux. Cependant quelques savants modernes ont été ébranlés par les raisonnements de Dion. Cluvier , Adamus Rupertus, Thomasius , se sont laissés séduire par l'art avec lequel il a soutenu son sentiment ; et j'avoue que j'ai moi-même été d'abord séduit comme eux.

S'il est dissicile, disais-je, de prouver sans réplique qu'Homère n'a point eu de garants des événements qu'il a racontés dans ses poèmes, il semble encore plus dissicile de prouver qu'il ait eu des garants bien instruits et non suspects. Josèphe a remarqué que les Grecs ne se proposèrent que sort tard le dessein d'écrire l'Histoire ; et qu'ils se trouvèrent, par leur ignorance même, dans une pleine liberté, lorsqu'ils commencèrent à vouloir parler des choses passées. Ils n'avaient rien d'écrit parmi eux sur les événements anciens ; et pour y suppléer, ils se livrèrent aux notions avec d'autant plus de sécurité, qu'il n'existait rien , au moins en leur langue, qui pût les convaincre de mensonge. Ils eurent seulement soin de tourner leurs sictions à l'avantage de 165 leur nation, asin de les saire mieux recevoir. Or la prise de Troie peut sort bien être une de ces sables imaginées à plaisir pour couvrir l'ignorance des Grecs en sait d'Histoire, et pour slatter leur vanité.

Bochart a démontré dans une dissertation (2) demeurée sans réponse, que l'Enéide de Virgile était une pure sable, non seulement dans les épisodes, mais même dans son sujet sondamental. Si Virgile a entrepris de composer un Poème sur un sait saux, pourquoi ne croira-t-on pas qu'Homère en a pu saire autant ? Si le premier s'est proposé pour objet principal de son Enéide l'établissement d'Enée en Italie, quoique ce Troyen n'y ait jamais mis le pied ; pourquoi le second n'aurait-il pas pu supposer dans ses Poèmes que Troie sût prise par les Grecs, quoiqu'essectivement le siège ait été levé ?

Les raisons de seindre étaient égales dans ces deux poètes. Tous deux avoient pour but de saire honneur à leur patrie : Virgile en attribuant aux 166 sondateurs de Rome une origine illustre : Homère en attribuant aux anciens Rois de la Grèce la conquête d'une des plus puissantes villes de l'Asie. Homère , comme Virgile, put trouver cette opinion déjà établie, sans qu'elle sût pour cela plus vraie. La slatterie avait pu dès avant lui l'imaginer. L'orgueil des Grecs devait avoir pris plaisir à la croire ; et leur politique avait peut-être contribué à autoriser une sable qui servait à élever leurs âmes, parce qu'elle rehaussait leur gloire.

J'ajoutais à ces réslexions la variation singulière que je remarquais dans les témoignages des Anciens sur les principales circonstances du siège et de la prive de Troie. Malala et Cédrénus certisient qu'Homère a raconté l'histoire de ce siège tout autrement que n'avait sait Dictys.

Photius observe que, selon Darès, Hector ne tua point Patrocle; et cependant la mort de Patrocle par Hector sorme un des principaux ressorts du poème d'Homère.

Hérodote soutient contre Homère 167 que jamais Hélène n'a été à Troie. Euripide suppose aussi que cette princesse demeura en Egypte ; que Pâris croyant enlever Hélène n'enleva que son santôme, avec lequel il vécut bien des années , comme avec une véritable semme: imagination plus solle que merveilleuse, et qui ne laisse pas de se trouver aussi dans Stésichore , Lycophron, et Tzetzès.

On lit dans Servius que non seulement Hélène ne sut point conduite à Troie, mais qu'elle ne sut en aucune saçon le sujet de la guerre des Grecs  et des Troyens, comme Homère le suppose. Que le motis de cette guerre sut uniquement l'ancienne querelle d'Hercule et de Laomédon ; et que  ce sut Thésée qui mena Hélène en Egypte, où Ménélas alla l'épouser.

Ensin, selon Homère, les Grecs surent introduits dans Troie, cachés dans les slancs d'un grand cheval de bois. Mais, selon Pausanias, ce cheval n'était autre chose qu'une machine de guerre, une espèce de bélier, dont les Grecs se servirent pour abattre les murailles ; et selon d'autres encore  la  168 ville (3) sut livrée aux Grecs par la trahison d'Enée et d'Antênor.

Ce qu'Homère a raconté du siège de Troie a paru si éloigné du vraisemblable, que plusieurs auteurs anciens sont convenus qu'il étoait dissicile d'y ajouter soi. Origène reconnaît qu'on ne peut guère justisier les récits de ce poète ; et Lucien dans un de ses Dia'logues plaisante agréablement sur le peu de consiance qu'on doit avoir au témoignage d'Homère.

Les doutes que saisaient naître tant d'opinions dissérentes redoublaient encore, lorsque je comparais le récit d'Homère avec celui de Dion. Je trouvais dans la narration du poète bien des désauts de vraisemblance. Au contraire chez l'Orateur tout me paraissait probable. Ensin, si j'opposais déposition â déposition, celle d'Homère me semblait peu considérable ; car outre qu'elle pouvait être regardée comme unique, Homère me paraissait un témoin récusable sur un sait qui slattait sa nation. Dion au contraire s'appuyait sur 169 la soi des Prêtres d'Egypte, qui passaient pour de sidèles dépositaires des anciens monuments historiques, et qui dans cette occasion semblaient trop désintéressés pour être suspects.

Ces consédérations avoient sait d'abord sur moi une impression d'autant plus sorte, qu'elles avaient été secondées par ce penchant naturel qu'on se sent pour les opinions d'un auteur sur lequel on travaille, et par je ne sais quel attrait qu'on trouve à imaginer l'erreur dans les opinions les plus générales. Un plus mûr examen m'a sait voir que je m'étais trompé. J'en ai la première obligation aux lumières d'un avant ami , critique aussi judicieux que sincère ;et grâce à ses sages avis, je ne publie aujourd'hui mes doutes que pour les détruire.

Il est bien vrai qu'il est des traditions vagues et populaires qui ne prouvent pas ; mais il en aussi. des traditions universelles, et soutenues d'âge en âge, qui prouvent autant que des auteurs contemporains. Plus ces traditions varient dans les détails, moins on a droit de conclure qu'elles n'ont aucun objet 170 réel. Le concert unanime sur un sait principal, au milieu de circonstances contradictoires , ne peut jamais convenir à un sait chimérique. Les auteurs anciens varient sur les circonstances du siège de Troie, sur les moyens par lesquels cette ville sut prise par les Grecs : mais tous excepté Dion seul, conviennent que les Grecs la prirent. Ce sait a été non seulement connu des Grecs, mais des Egyptiens et des Perses. Il est attesté par l'usage de dater de cette époque, qui se remarque non-seulement dans les anciens auteurs de la Grèce, mais sur ces marbres si précieux à la chronologie.

Sans entrer dans des discussions épineuses sur les auteurs qui ont rapporté ce sait avant Homère, et sur les monuments qui l'attestent , tenons-nous en au témoignage d'Homère seul.  Il était éloigné de la prise de Troie d'environ quatre cents ans ; mais par la saçon ont il parle de cet événement, on ne saurait douter que la tradition n'en sût accréditée bien avant lui. Il saut donc saire remonter cette tradition à des temps assez peu éloignés de l'époque 171 du sait même. Or comment dans ces temps aurait-on pu établir une tradition sausse sur un sait de cette nature ?

En esset, il est des événements qui peuvent être déguisés par de sausses traditions dans le temps même qu'ils arrivent ;  mais les destructions des villes célèbres ne peuvent être de ce nombre. Troie sut une des plus sameuses villes de l'Asie. Comment aurait-on pu persuader aux Grecs qu'ils devaient détruite, s'ils avaient été contraints de lever le siège, et si elle était devenue plus puissante que jamais ? Son existence seule aurait sait tomber une tradition semblable , ou plutôt aurait empêché qu'elle ne s'établît. Il a donc sallu que les ruines de Troie déposassent en saveur de la tradition dont Homère a sait usage, et qu'elles servissent de témoins irréprochables du succès du siège des Grecs.

Dira-t-on que Troie depuis ce siège avait été détruite pour quelque cause que nous ignorons, et que les poètes de la Grèce attribuèrent cette destruction aux armes de leur patrie ? Mais on ne put ignorer parmi les Grecs les 172 causes de la destruction d'un royaume aussi considérable et aussi voisin que celui de Troie. Avancera-t-on qu'on avait oublié ces événements lorsque la sslatterie établit à ce sujet une sausse opinion ? Mais cette opinion précéda Homère , comme je l'ai dit. Elle se serait donc accréditée à peu près dans le siècle même de l'événement qu'on suppose la démentir; ce qui ne peut assurément avoir été.

Dion a trop exagéré la licence que les anciens poètes ont prise de débiter quelquesois des saits sans garants et sans sondement. On remarque en lisant Homère, que c'est un poète sage qui use.avec discrétion du droit que son art lui -donne d'embellir les saits par des sictions de détail. Ses peintures sont vraies. Les Villes, les peuples, les Princes, les mœurs, tout dans ses Poèmes se trouve consorme aux monuments. Puisque nous le trouvons exact et vrai dans ces points., pourquoi ne le jugerions-nous pas tel par rapport aux autres saits qu'il raconte ? Les sables même qu'il emploie , il est très-probable qu'il les a plutôt recueillies qu'inventées.

173 Je ne prétends pas nier qu'il n'y ait dans les détails que renserment ses poèmes quelques traits peu vraisemblables. Je conviens que Dion en a relevé assez heureusement plusieurs de cette espèce. Mais il saut convenir aussi que ce critique traite quelquesois Homère avec injustice. Par exemple, n'est-ce pas, à tort qu'il sait un crime à ce poète de ne pas suivre régulièrement dans l'Iliade la marche chronologique de l'Histoire ?

Pour dire nettement ce que je pense du Discours où Dion contredit Homère , il me semble que cet orateur s'y occupe uniquement du soin de tourner tout à son avantage avec plus d'adresse que de solidité. Il paraît moins jaloux de convaincre par des raisonnements justes, que d'éblouir par une subtilité ingénieuse, Or ce procédé, bien apprécié , décèle sussisamment, selon moi, que son unique but est de saire voir avec quel art il sait soutenir un paradoxe. Pour mieux saire briller son talent, il s'est proposé d'attaquer parmi les opinions reçues une des plus générales et des plus anciennes. D'ailleurs

perçut de s extrême crédulité des hom¬mes ; et les roéprisànt aslsez pour les jouer, cherchant à slatter les Grecs et les descendigi d'Atrée , il eut la har-dieslê de tout brouiller, et d'avancer précisément le contraire de ce qui étott réellement arrivé. ttiéi. IH. En esset il débute ainsi : « Muse i.r, i. cr m raconte moi le courroux satal d'A-
« chille sils de Pelée , qui sut pour « les Grec; la source de tant de maux, JE et qui causa la mort de tant de
SUR LA ntisE rm TROIE. t$s grands Hommes dont les cadavres » réitèrent en proie aux chiens et aux » oiseaux. Tel devoit être l'açcom- »-• plissement des volontés de Jupiter. * Par-là Homère annonce qu'il parlera seulement du courroux d'Achille, te des maux insinis qu'il causa aux Grecs, dont un si grand nombre périt et de¬meura sanstépulture. Il semble que ce (bit là le sait le plus important, le*su-jet propre du Poème , l'accoropliiTe-ment parsait des décrets de Jupiter, -comme le dit le Poëte, et comme cela sut esseâivement. Il n'annonce rien alors touchant la dernière sace que pri* sent les choses , la mott d'Heétor s ni ensin la ruine de Troie ; pareeque peut-être il ne s'étott pis tout d*aboni proposé de renverser la mérité de tous les saits ; et par cette mémo raison ; lorsqu'il veut remonter aux causes des malheurs qu'il va décrire, il ne cite ni Paris ni Hélène, mais il s'amuse à ilULilu. parler de Chrysès et de sa sille. ' ζ .lu * Pour moi voici ce que j'ai apprit un Prêtre Egyptien de la Ville d'O tiuphis. Il étoit très-savant, et se ιησ> quoit sort des Grecs , qu'il regjrdok
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2O0 i D I S C Ο ITR s comme des peuples qui ne savoient presque rièh de vrai. La principale preuve qu'il en dotinbit, étoit qu'ils croyoient que Troieavok-étéprise par Agamemnon , qu'Hélène semme de Menélas avoit été éprise-de Paris : saits qu'ils ne tenoient que d'un seul hom¬me qui leur .en avoit imposé, et dont ils étoient cependant si persuadés, que .chacun d'eux étoit prêt d'en assurer la vérité par serment. Il ajoûtoit que toute l'Histoire ancienne étoit conservée par¬mi les Egyptiens, ou dans les Tem¬ples, ou lur des colomnes; que la plu¬part de ces colomnes ayant été détrui¬tes, les saits qui y étoient gravés se çonservoient dans la mémoire d'un pe¬tit nombre de personnes^que piusieurs de ces anciens saits étoient devenus sut peets par l'ignorance ou la négligence de ceux qui en avoient perpétué la tra¬dition : mais que les évenemens de l'histoire de Troie étoient regardés par* mi eux comme des évenemens moder¬nes , et qu'ils les tenoient de la bou¬che de Menélas même qui avoit abordé chez eux, et les leur avoit raconté* tels qu'ils étoient.





 

(1)  « La Ville de Troie, qui subsistait du temps de Dion Chrysostome , était un ancien village élevé à la dignité de ville par Alexandre le Grand. Quoique cette Troie nouvelle sût éloignée de plut de 30 stades du lieu où était située l'ancienne, Strabon nous assure que ses habitants avaient la vanité de soutenir que leur ville était cette même Troie que les poèmes d'Homère avaient rendue si sameuse. » Voyez Strab. Géogr. Lib. 13. p. 556, et  seq. Edit  Basil. sol. 1570.

(2) Voyez-la dans les Œuvres de Ségnis, et à la sin de la Geogr. sacrée de Bochart, p. 1063.

(3) Voyez Tom. III, pag. 329. de l'Explict. Histor. des Sables.

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