Denys l'Aréopagite

Denys l'Aréopagite

 

Une autobiographie syriaque

Traduction française : Dr. M. A. Kugener

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

Oriens Christianus.

Römische Halbjahrhefte

für die Kunde des christlichen Orients

Mit Unterstützung der Goerresgeselschaft

Herausgegeben

vom

Priestercollegium des deutschen Campo Santo

unter der Schriftleitung

von

Dr. FRANZ CÖLN

Siebenter Jahrgang

(Erstes u. zweites Heft)

 

 

Preis des Jahrgangs: M. 20.

Kommissionsverleger

 

ERMANNO LOESCHER & C° OTTO HARRASSOWITZ

(BRETSCHNEIDER UND REGENBERG)

ROM LEIPZIG

 

ROM

TIPOGRAFIA POLIGLOTTA

DELLA 8. 0. DR PROPAGANDA FIDE

 

 

1907.


 

Une autobiographie syriaque

de

Denys l'Aréopagite.

Traduit du syriaque par

Dr. M. A. Kugener.

 

INTRODUCTION.

 

I. Les manuscrits. — L'autobiographie syriaque de Denys l'Aréopagite, que nous publions et traduisons aujourd'hui pour la première fois, est conservée, à notre connaissance, dans trois manuscrits: l’add. 12. 151 du British Museum (= L), qui est daté de l'an 1115 des Grecs, c.-à-d. de l'an 804 de notre ère[1] ; l’add. 14. 645 (= M), qui est daté de l'an 1247 des Grecs, c.-à-d. de l'an 936[2] ; enfin, le manuscrit syriaque 235 de la Bibliothèque nationale (= P), qui a été exécuté au XIIIe siècle.[3]

II. Deux recensions de l'autobiographie de Denys. — Ces trois manuscrits, L, M et P, représentent deux recensions de l'autobiographie de Denys. La première, A, est contenue dans L et reproduit le plus fidèlement, à nos yeux, la rédaction primitive X ; la seconde, B, est contenue dans M et P et constitue, à notre avis, un remaniement de X. Tout en dérivant d'une source commune, M et P offrent de nombreuses variantes. Nous avons essayé de reconstruire la forme première de la recension B d'après les principes suivants : lorsque M et P ne donnent pas le même texte, nous avons reproduit, le cas échéant, celui des deux textes qui se rap proche le plus de la recension A, sinon, le texte de M, comme étant celui du manuscrit le plus ancien de la recension B.[4] Pour ne pas trop encombrer l'apparat critique de la recension B, nous avons introduit dans le corps même du texte, entre [ ], les additions propres à M, et, entre < >, celles qui sont propres à P.

III. Une rédaction copte de l'autobiographie. — A la recension B, remonte l'autobiographie copte de Denys l'Aréopagite, dont M. O. von Lemm a publié et traduit, en 1900, un fragment d'après le codex copticus 12918 de la Bibliothèque Nationale, qui date du XVe siècle.[5] Ce fragment copte donne à peu près le dernier tiers de l'autobiographie de Denys.[6] Les nombreuses divergences que son récit présente avec celui de la recension B, proviennent, quelques-unes, du mauvais état du texte de la rédaction copte, la plupart, de ce que la rédaction copte, selon toute apparence, ne remonte pas directement à la recension syriaque B, mais indirectement, par l'intermédiaire d'une rédaction grecque.

IV. Une notice biographique syriaque de Denys. — De la recension A dérive, d'autre part, la courte notice biographique de Denys qui se lit dans le Vaticanus syriaque 155, exécuté en 1515.[7] Cette notice n'offre que peu d'intérêt.

V. Quand et par qui a été composée l'autobiographie. — Il y a un rapport manifeste entre l'autobiographie de Denys et le traité astronomique et météorologique qui nous est parvenu sous son nom.[8] Les questions scientifiques qui ne sont que mentionnées dans l'autobiographie, sont presque toutes exposées longuement dans le traité.[9] A notre avis, le rédacteur de l'autobiographie s'est inspiré du traité astronomique. Celui-ci datant du milieu du VIe siècle de notre ère,[10] l'autobiographie, qui en dépend, aura vraisemblablement été composée à la fin du VIe siècle ou au commencement du VIIe. Comme le traité astronomique, elle aura été écrite par un Syrien en langue syriaque. La pureté de la langue, qui est exempte de tout hellénisme, semble d'ailleurs l'indiquer.[11] Devenue bientôt populaire, l'autobiographie de Denys aura été transcrite souvent et dès lors fatalement remaniée. L'un de ces remaniements, la recension B, aura été traduite librement en grec, et la rédaction grecque, aujourd'hui perdue, semble-t-il, aura été traduite à son tour en copte.[12]

VI. Notre traduction. — Nous avons traduit, aussi fidèlement que possible, les deux recensions syriaques de l'autobiographie de Denys, afin de faciliter l'étude de la rédaction copte et des autres rédactions que l'on pourra encore découvrir. Comme pour le texte syriaque, nous avons donné, dans la traduction de la recension B, entre [ ], les additions propres à M, et, entre < >, celles qui sont propres à P. Pour plus de clarté, nous avons suppléé, dans la traduction des deux recensions, un certain nombre de mots, qui sont imprimés en caractères italiques, et nous avons placé des sommaires en tête des divers paragraphes dans lesquels nous avons subdivisé l'autobiographie. Dans les notes qui terminent notre édition de l'autobiographie de Denys, nous nous sommes surtout proposé de faire ressortir les points communs à l'autobiographie de Denys et à son traité astronomique et météorologique.

M. E. W. Brooks a eu l'extrême obligeance de collationner pour nous le ms. M (= add. 14, 645) de l'autobiographie de Denys ; nous lui exprimons ici nos vifs sentiments de gratitude.


 

Traduction de la Recension A.

 

Voici ensuite l'histoire de saint Denys, l’ex-juge d’Arios Pagos.

 

1. Comment Denys devient un serviteur des dieux païens. — Moi, ô amis de la science, de la sagesse, dès le ventre de ma mère, je fus voué à être sacrifié au prince (ἄρχων) des démons. Lorsque je fus âgé de sept ans, mes parents me prirent et me firent monter au temple (ναός) où les païens servaient le maître des dieux. Les prêtres ayant vu que j'étais distingué et que je brillais par un bel aspect, s'abstinrent de m'immoler sur l'autel, et persuadèrent à mes parents de me laisser en vie, afin que je servisse les dieux. Les dieux eux-mêmes, disaient-ils, étaient d'avis que je devinsse leur serviteur plutôt que leur victime. Mes parents acceptèrent cela avec joie, me laissèrent dans le temple des idoles, et descendirent en ville.

2. Arios Pagos ordonne aux prêtres idolâtres d'instruire Denys avec soin. — Comme mon père était le commandant et le gouverneur de tout Athènes, les prêtres m'élevèrent avec grand honneur et avec douceur. Un jour, à la fête des idoles, Arios Pagos entra dans le temple (ναός) des dieux avec toutes ses troupes — cet Arios Pagos est le prince (ἄρχων) des démons — et m'ayant vu à l'intérieur du temple des idoles, il me parla et me dit: « D'où es-tu, jeune homme, quel est ton nom et le fils de qui es-tu? » Je répondis et lui dis: « Je suis de la ville d'Athènes, fils du grand Socrate, le commandant et le gouverneur. Mes parents m'ont voué à être un serviteur des dieux ». Lorsqu'il eut entendu ces mots, il ordonna aussitôt aux prêtres de m'initier aux sciences de la sagesse et de m'instruire avec soin.

3. Ce que Denys apprend. — Les prêtres me confièrent à Diocratès, le philosophe et le chef des sages, et celui-ci s'occupa de moi avec zèle et m'instruisit excellemment dans toute la sagesse des philosophes. J'obtins aussi le don et l'intelligence des philosophes, et j'appris à connaître toutes les formes de la sagesse : les entrées, les sorties et les cours des étoiles ; les lieux de passage du Soleil ; les portes de lumière; les tableaux des heures ; les variétés et les magasins du vent ; le mouvement circulaire du firmament ; le souffle de l'air (ἀήρ); la révolution du Chariot ; l'époque de la Balance ; les rôles des Pléiades ; le service des Hyades ; les variétés des vents; la révolution des années ; l'époque de l'obscurcissement du Soleil et de la Lune; les changements des saisons ; la révolution des signes du zodiaque ; les lois de la sphère céleste ; les changements des eaux supérieures et inférieures ; les époques du tremblement de la terre ; pourquoi et quand s'ouvrent les portes des lieux de passage des signes du zodiaque et ce que font les étoiles qui courent dans le ciel.

4. Denys reçoit des philosophes le « Livre des sphères ». — Lorsqu'on m'eut instruit dans toutes ces choses, et que les prêtres virent que j'étais arrivé à la perfection dans la science des calculs, ils prièrent tous les philosophes de mettre entre mes mains le « Livre des sphères », celui de l'astronomie. Ayant vu que j'étais jeune, ils ne consentirent d'abord pas à me le donner, puis me le donnèrent à cause de la considération dont jouissaient mes parents. Après avoir reçu des éclaircissements au sujet de tout ce qui y était contenu, je fus finalement aussi jugé digne de l'honneur de siéger avec eux.

5. Construction du tribunal d'Arios Pagos. Denys est mis λ la tête des quatre juges institués par ordre d'arios Pagos pour gouverner son royaume. — En ces jours, Arios Pagos ordonna aux Athéniens de construire[13] un nouveau tribunal. Ils firent comme il leur avait été dit, dépensèrent pour lui de grandes sommes,[14] et lui donnèrent le nom de tribunal d'Arios Pagos. Un certain jour que les païens sacrifiaient leurs fils et leurs filles aux démons, tous les Athéniens se réunirent au tribunal d'Arios Pagos, et Arios Pagos entra dans le temple des idoles qui était appelé temple du « Maître des dieux ». Au-dessus de l'autel de ce temple (ναός), était écrit ainsi : « Dieu caché et maître des dieux ». Entrant dans la demeure des prêtres, il leur dit : « Descendez en hâte au tribunal auprès des foules de la ville et dites-leur: le prince (ἄρχων) qui a le commandement du monde entier, vous ordonne de lui instituer[15] quatre juges, qui auront le commandement de tout son gouvernement,[16] et à Denys, voici, il lui a donné[17] le commandement sur[18] tous les juges et les prêtres. Qu'il ait soin d'eux, afin qu'il ne leur manque rien ». Lorsque les Athéniens eurent entendu cela, ils furent remplis d'une grande joie, parce que la direction du commandement de tout le grand domaine du royaume d'Arios Pagos avait été donnée à leur ville seulement. Ils firent avec joie comme les prêtres le leur avaient dit.

6. Un prêtre d'Héliopolis renverse la statue du dieu Sérapis et Denys est envoyé pour le juger. — Peu de temps après que nous eûmes reçu le pouvoir de ce gouvernement païen, en l'année qui fut l'année de la fin de l'ère athénienne, pendant que les prêtres de la ville du Soleil, c'est-à-dire de la ville de Baalbek, se disputaient et se querellaient l'un avec l'autre, une grande statue appelée le dieu Sérapis tomba et eut le cou brisé. Il y eut alors une grande agitation et un grand tumulte dans la ville et parmi les prêtres. Ils ne pouvaient pas tuer le prêtre qui avait renversé la statue, et l'enfermèrent en prison; ils appelaient ce prêtre: « assassin des dieux ». Ils écrivirent et envoyèrent une lettre à Athènes au sujet de cette affaire. Lorsque le prince (ἄρχων) eut entendu la lecture de la lettre, il ordonna à Denys de descendre là-bas et de juger le prêtre.

7. Denys à Héliopolis; il convoque la foule au théâtre. — Moi, j'obéis selon l'ordre donné, et descendis sans retard à Héliopolis, la ville du Soleil. Lorsque j'y fus entré, toute la ville s'agita, et les prêtres et les grands de la ville et des localités environnantes se réunirent pour entendre le jugement que je rendrais sur le prêtre-assassin des dieux. J'ordonnai alors à mes cohortes et à mes serviteurs d'annoncer aux habitants de la ville que les rues fussent balayées et que des « velaria » c'est-à-dire des voiles y fussent suspendus, et j'ordonnai que des hérauts annonçassent que tout le peuple se réunît le lendemain au théâtre (θέατρον). Les multitudes infinies du peuple s'y réunirent. Ceci eut lieu sous l'impulsion de Dieu.

8. Lorsque la foule est réunie au théâtre, la terre tremble et le Soleil s'obscurcit. — Tandis que j'étais assis sur le trône d'or, que tous les prêtres et les grands de la ville se tenaient debout devant moi, que toutes les multitudes étaient étonnées que les prêtres et les grands n'eussent pas été invités par moi à s'asseoir selon le règlement du royaume, qu'un grand silence planait au-dessus du peuple, qu'il écoutait pour entendre le jugement que je rendrais au sujet du prêtre — il était alors six heures, heure à laquelle le Soleil se trouve à la moitié de son parcours — tout à coup, la terre trembla, ses fondements furent ébranlés et toutes les idoles de la ville du Soleil tombèrent et se brisèrent. Il y eut un grand tremblement et une grande frayeur, le Soleil s'obscurcit et toutes les étoiles apparurent. La voix de la terre se faisait entendre comme une voix de lamentations, de pleurs, de gémissements et de cris[19] de douleur. Tous les prêtres tombèrent sur leur face de crainte, et tout le peuple pleurait et criait. Il y eut des ténèbres lugubres sur la terre depuis six jusqu'à neuf heures. Alors la lumière se fit, le tremblement cessa, et tous les prêtres et les grands se relevèrent et tombèrent devant moi en se pleurant et en me suppliant de leur faire connaître la cause de cet événement.

9. Denys recherche la cause du tremblement de terre et de l'obscurcissement du Soleil. — Je pris alors aussi tôt les nombres sacrés, et parcourus les cours supérieurs des lieux de passage du Soleil, toutes les portes de lumière, les degrés de la sphère (σραϊρα) du Soleil, le service des signes du zodiaque, la révolution des étoiles et la rotation de l'axe; j'entrai ensuite dans les voies du Soleil, celles de la demeure de l'été et de l'hiver; je fis le tour de tous les magasins des vents ; je repassai ensuite par les cours inférieurs, et je vis la mer inférieure tranquille, les vents silencieux et leurs magasins fermés. Le Soleil n'avait pas été contrarié par le vent qui se trouve au-dessus de sa sphère (σραϊρα), et les portes de lumière n'avaient pas été bouleversées.[20] Ce n'était pas le jour de la naissance de la Lune, Orion n'était pas proche de l'Etable,[21] les Pléiades n'étaient pas dépourvues de leur nombre, le Joug n'avait pas dompté les Hyades, le Chariot n'était pas sorti des cercles de la sphère céleste, les signes du zodiaque n'avaient pas troublé la rotation de l'axe, les magasins du vent n'étaient pas ouverts parce que la Lune était pleine, enfin, la mer inférieure n'est bouleversée qu'une fois tous les cinq cents ans par les vents qui sont sous la mer de feu — elle est alors troublée et bouleversée et fait trembler toute la terre — et je calculai et je vis que ce n'était pas son moment. De plus le prince (ἄρχων) n'avait pas fait de guerre et le sang de gens tués n'avait pas été versé.

10. Le « Livre des Sphères » révèle cette cause à Denys. — Frappé d'étonnement et de stupeur en recherchant quelle était la cause du tremblement et des ténèbres qui avaient eu lieu alors qu'aucun des cours supérieurs n'avait été bouleversé, j'ordonnai à Asclépios, mon notaire, de m'apporter le « livre des sphères », que les Grecs appellent, dans leur langue, livre de l'astronomie. L'ayant parcouru, et ayant fait passer toute la terre devant moi, pour apprendre et voir quelle était la cause du tremblement qui avait eu lieu, je vis, avec l'œil de l'esprit, le Christ suspendu à la croix dans le pays de Judée. Il était écrit au-dessus de lui en trois langues : « Voici le roi des Juifs ». Les Juifs l'avaient crucifié et voici qu'ils l'insultaient. J'appris qu'il était le destructeur des idoles et le dieu qui s'était incarné et avait vécu avec les hommes, et aussitôt je saisis la tunique (χλανίδιον) dont j'étais revêtu, je la déchirai de haut en bas et je pleurai.

11. Denys fait connaître cette cause aux prêtres et retourne à Athènes. — Les prêtres ayant vu ce que j'avais fait, furent dans une grande crainte. Je pris la parole et leur dit : « A partir de maintenant, sachez donc, ô prêtres et serviteurs des dieux, que la divinité qui était dissimulée et cachée à tous les hommes, et dont personne ne pouvait arriver à approfondir le mystère, est descendue en cachette sur la terre de Judée, a revêtu ouvertement un corps et est semblable à un homme. En ce jour de l'année, les Juifs s'en sont emparés et l'ont suspendue à la croix dans l'une des régions de la Judée. Et voici qu'ils s'en moquent, ne sachant pas ce qu'ils font ». Lorsque les prêtres eurent entendu ces paroles, ils furent stupéfaits.

Je notai aussitôt le jour, l'heure et le moment où le tremblement de la terre et l'obscurcissement du Soleil avaient eu lieu, le quantième du mois et le quantième de la Lune c était, et je gardai ceci sur moi. Le peuple se retira, et chacun retourna chez soi. Le prêtre-assassin des dieux sortit de la prison, et ne reçut pas de châtiment, parce que tous les dieux sculptés étaient tombés. Moi et ceux qui étaient avec moi, nous retournâmes ensuite à la ville d'Athènes, et je plaçai la notice que j'avais écrite à Héliopolis dans les archives des Athéniens.

12. Arrivée de saint Paul à Athènes; il prêche contre les dieux du paganisme. — Quatorze ans après, l'apôtre Paul vint et monta à la ville d'Athènes : c'était un homme d'aspect imposant et de belle apparence, éloquent et sage; il prêchait au sujet du Christ qu'il était Dieu. Lorsque les Athéniens eurent entendu ces paroles, ils se moquèrent et rirent de lui. Les grands de la ville vinrent auprès de moi et me dirent : « Un étranger, vieux, éloquent et philosophe, prêche aux foules de la ville des discours qui contredisent[22] notre doctrine, en disant : Que personne ne sacrifie aux dieux ».

13. Denys fait comparaître saint Paul au tribunal d'Arios Pagos. — Lorsque j'eus entendu ces paroles de leur bouche,[23] j'ordonnai aux grands de la ville de se réunir à la pointe du jour au tribunal d'Arios Pagos. A l'apparition de l'aurore, le tribunal se remplit d'une foule infinie de gens. J'ordonnai qu'on me dressât une grande tribune, ornée en haut de degrés élevés. Je montai, je m'assis et j'ordonnai aux juges, aux sages et aux philosophes de s'asseoir chacun à sa place. Lorsqu'ils furent assis, j'envoyai chercher l'étranger appelé Paul. Il vint et s'avança auprès de moi. Quand un grand silence régna parmi le peuple, j'ordonnai à Paul de parler. Il prêcha alors avec une grande franchise (παρρησία) la prédication au sujet du Christ. Il commença son discours courageusement et sans crainte, en criant et en disant: « Citoyens athéniens, écoutez: je vois que vous excellez dans tout ce qui concerne le culte des démons » — si la crainte que nous leur inspirions ne les avait pas dominés, les Athéniens le lapidaient en l'entendant dire ces mots ; Paul continua et dit: « En faisant le tour des autels des idoles de votre ville, j'ai trouvé un autel au-dessus duquel était écrit: « Dieu caché ». Celui que vous adorez sans le connaître, c'est celui que je vous annonce aussi. Il est descendu du ciel, est devenu homme, a détruit les idoles, a attiré les peuples à son culte, a vécu avec les hommes et a accompli par son incarnation[24] tous les miracles. Le peuple juif s'est rebellé contre lui et l'a crucifié par envie. Après qu'il l'eut cloué sur la croix, le Soleil s'obscurcit, les étoiles apparurent, les rochers se fendirent, la terre trembla, les ténèbres couvrirent la terre depuis six heures jusqu'à neuf heures, les statues tombèrent, les idoles se brisèrent et de nombreux morts ressuscitèrent. Le Dieu qui mourut dans la chair, ressuscita du tombeau le troisième jour et apparut à tous ses disciples. Quarante jours après sa résurrection, il monta au ciel et s'assit sur le trône (θρόνος) resplendissant de sa gloire. Il est éternel et sans fin et doit venir juger les vivants et les morts ».

14. Conversion de Denys. — Lorsque j'eus entendu ces paroles, je me souvins de ce que j'avais noté à Héliopolis au sujet des ténèbres qui avaient eu lieu, et j'ordonnai à Asclépios, mon notaire, de m'apporter la notice. Quand il me l'eut apportée, je la lus. Ainsi que Paul avait dit au sujet des ténèbres, du tremblement, du quantième du mois et de la Lune, de l'heure à laquelle ces phénomènes avaient eu lieu et combien d'heures ils avaient duré, ainsi il était écrit dans ce mémoire. J'ordonnai qu'il fût lu devant toutes les foules de la ville. Moi, je crus aussitôt que celui que Paul annonçait était le Dieu qui ne passe pas et ne cesse pas. « Je fus baptisé par l'apôtre Paul lui-même, et après, je reçus également de lui l'ordination de l'épiscopat dans ma ville d'Athènes.

15. Conclusion. — Je sais, mes amis, que ce ne sont pas les hommes qui m'ont sauvé du paganisme idolâtre, mais Dieu lui-même au moyen de la science de la sagesse. La sagesse m'a donné les grades de l'honneur dans le paganisme et dans le christianisme. Et je sais qu'il n'y a pas d'autre richesse que la sagesse, et tous les jours de ma vie, j'adore et je loue le donateur de la sagesse, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.

Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Amen.


 

Traduction de la Recension B.

 

Histoire de saint Denys, ex-juge d’Arios Pagos, évêque de la ville d'Athènes.[25]

 

1. Comment Denys devient un serviteur des dieux païens. — Moi ô [mes frères] amis de la sagesse et défenseurs de la vérité>, dès le ventre de ma mère, je fus voué à être sacrifié <aux dieux impurs, c'est-à-dire> au prince (ἄρχων) des démons. Lorsque je fus âgé de sept ans, mes parents me firent monter au temple (ναός) où les païens servent[26] le maître des dieux. Les prêtres des idoles ayant vu que je brillais par un bel aspect,[27] s'abstinrent <eux-mêmes> de m'immoler sur l'autel, et <les prêtres> persuadèrent à mes parents[28] de me laisser en vie, afin que je servisse les dieux. Les dieux eux-mêmes, disaient-ils, étaient <fortement> d'avis que je devinsse leur serviteur, plutôt que leur victime. Mes parents acceptèrent cette proposition[29] avec <une grande> joie, me laissèrent dans le temple des idoles et descendirent en ville.[30]

2. Arios Pagos ordonne aux prêtres idolâtres d'instruire Denys avec soin. — Comme mon père était[31] <en ce temps-là> le commandant et le gouverneur de tous les Athéniens et de tout [Athènes], la ville [des sages], on tenait mon père en grand honneur, et <à cause de cela>, les prêtres m'élevèrent aussi avec beaucoup de douceur. Un jour, à la fête des idoles, Arios Pagos entra dans le temple (ναός) des dieux, lui et toutes ses troupes — Arios Pagos était le prince des démons,[32] — <étant entré> et m'ayant vu à l'intérieur du temple des idoles,[33] il me parla et me dit: « D'où es-tu et le fils de qui es-tu? » Je lui dis: « Je suis de la ville[34] d'Athènes, fils de Socrate. Mes parents m'ont voué à être un serviteur[35] des dieux ». Et <le prince> ordonna aux prêtres de m'initier à toute la science de leur sagesse,[36] et je fus instruit[37] avec grand soin.

3. Ce que Denys apprend. — Les prêtres me confièrent à Diocritès, le sage philosophe, et celui-ci s'occupa de moi avec zèle,[38] et m'instruisit <avec beaucoup de soin> dans toute la sagesse de la philosophie. J'obtins aussi le don[39] <élevé> des philosophes,[40] et j'appris à connaître toutes les entrées et les sorties de la sagesse[41] ; le cours des étoiles ; le lieu de passage du Soleil ; les portes de lumière[42] ; les tableaux des heures ; <toutes> les variétés[43] et les magasins du vent; <le mouvement circulaire du Soleil et de la Lune ; tout le changement des saisons>; le mouvement circulaire du firmament;[44] le souffle de l'air (ἀήρ); la révolution du Chariot ; le temps de la Balance ; le rôle des Pléiades ; le service des Hyades; les variétés[45] du vent; le mouvement circulaire du ciel ; les époques de l'obscurcissement du Soleil et de la Lune ; le changement des saisons[46] ; la révolution des signes du zodiaque;[47] les lois de la sphère céleste[48] ; le changement des eaux inférieures et supérieures ; les époques du tremblement de la terre[49] ; pourquoi[50] et quand s'ouvrent les portes des lieux de passage[51] des signes du zodiaque, et ce que font les étoiles qui courent flans le ciel.

4. Denys reçoit des philosophes le « Livre des sphères ». — Lorsque j'eus été instruit dans toutes ces choses, et que <tous> les prêtres virent que <toute> cette science m'avait été communiquée, ils prièrent tous les philosophes de me donner le « Livre des sphères », celui de l'astronomie. Voyant que j'étais jeune, les philosophes s'y refusèrent d'abord; mais à la fin, je fus aussi jugé digne de leur assemblée, et je parcourus sans crainte devant eux, en maître,[52] les sphères de l'astronomie. Peu de temps après, je fus aussi jugé digne de siéger avec eux.

5. Construction du tribunal d'Arios Pagos. Denys est mis à la tête des quatre juges institués par ordre d'Arios Pagos pour gouverner son royaume. — En ces jours, le prince (ἄρχων) des démons, Arios Pagos,[53] ordonna aux Athéniens de construire[54] un nouveau tribunal.[55] Ils se construisirent un nouveau tribunal,[56] dépensèrent pour lui de grandes sommes,[57] et lui donnèrent le nom de tribunal[58] d'Arios Pagos. Un certain jour que les païens sacrifiaient leurs fils et leurs filles aux démons, tous les Athéniens se réunirent au tribunal d'Arios Pagos, eux, leurs femmes et leurs enfants. Lorsqu'ils furent tous réunis, Arios Pagos entra[59] dans le temple des idoles qui était appelé temple du « Maître des Dieux ». Au-dessus de l'autel de ce temple (ναός), était écrit : « Dieu caché et maître des dieux ». Etant entré auprès des prêtres,[60] il leur dit: « Descendez en hâte au tribunal auprès des foules[61] de <toute> la ville et dites-leur: Le prince (ἄρχων) qui a le commandement du monde entier, vous ordonne de lui instituer quatre juges, qui auront le commandement du gouvernement[62] de tout le royaume,[63] et à Denys <sachez que>, voici, il lui a donné[64] le commandement sur[65] tous les juges et <tous> les prêtres ; qu'il ait soin qu'il ne leur manque rien ! »

Lorsque les Athéniens eurent entendu cet ordre, ils se réjouirent grandement,[66] parce que la direction du commandement avait été donnée à leur ville seulement.[67] Ils s'instituèrent des gouverneurs avec joie, comme les prêtres le leur avaient dit.[68]

6. Un prêtre d'Héliopolis renverse la statue du dieu Sérapis et Denys est envoyé pour le juger. — Peu de temps après que nous eûmes reçu le pouvoir du gouvernement du paganisme,[69] en l'année qui fut l'année de la fin de l'ère des Athéniens,[70] pendant que tous les prêtres de la ville du Soleil, qui est Baalbek, étaient réunis et se disputaient l'un avec l'autre,[71] la statue du dieu Sérapis[72] tomba[73] et eut le cou brisé. Il y eut à cause de cela une grande[74] agitation parmi les prêtres <et la ville du Soleil tout entière fut troublée par cette affaire>. Ils ne pouvaient pas tuer[75] le prêtre qui avait renversé la statue, mais[76] ils appelaient ce prêtre[77] <assassin des dieux [de la ville]>. Ensuite ils enfermèrent[78] ce prêtre en prison, écrivirent et envoyèrent une lettre[79] à Athènes à ce sujet en grande hâte.[80] <Après qu'on eut fait entrer le messager dans le temple du Maître des dieux>, le prêtre du Maître des dieux[81] fit un sacrifice et évoqua le prince. Lorsqu'il se fut manifesté à lui,[82] le prêtre lui raconta l'affaire de l'idole de Sérapis qui s'était brisée, et le prince ordonna que Denys descendît là-bas[83] et jugeât ce procès.[84]

7. Denys à Héliopolis ; il convoque la foule au théâtre. — Aussitôt, moi <Denys>, comme un serviteur obéissant, je descendis sans retard à la ville du Soleil <Baalbek>. Lorsque j'y fus entré, toute la ville s'agita,[85] et les prêtres et les grands [de la ville] et de toutes[86] les localités environnantes se réunirent auprès de moi, pour entendre le jugement que je rendrais[87] au sujet de ce prêtre. [Les yeux de tous étaient fixés sur moi]. Je promulguai des règlements et des lois (νόμοι) justes, pour que des voiles (velaria) fussent suspendus dans toutes les rues de la ville. Des hérauts sortirent, faisant des proclamations dans toute la ville ; ils criaient à haute voix et disaient: « Que tout le peuple qui est dans la ville se réunisse au théâtre (θέατρον) ». Aussitôt les multitudes de nombreux peuples s'y réunirent.[88] Ceci eut lieu sous l'impulsion du Dieu[89] [vivant et vrai].

8. Lorsque la foule est réunie au théâtre, la terre tremble et le soleil s'obscurcit. — Tandis que j'étais assis sur le trône d'or, que tous les prêtres et les grands[90] de [toute] la ville se tenaient debout devant moi <dans une grande crainte>, que toutes les multitudes étaient étonnées que les prêtres et les grands n'eussent pas été invités[91] à s'asseoir selon le règlement et la loi du théâtre (θέατρον), que leurs oreilles étaient tendues pour entendre le jugement qui serait rendu au sujet du prêtre, que les yeux et le regard de tous[92] étaient fixés sur moi : à la sixième heure, à laquelle le Soleil se trouve sur le degré du milieu, <et s'enflamme au sommet de l'arc du firmament>, tout à coup la terre trembla, toutes les idoles tombèrent sur leur face et se brisèrent. Il y eut un grand et terrible tremblement,[93] les fondements de la terre furent ébranlés,[94] <il y eut des ténèbres>, le Soleil, la Lune et toutes[95] les étoiles s'obscurcirent, et un voile <lugubre> de ténèbres se répandit sur leur face. La voix de la terre se faisait entendre comme une voix de lamentations, de pleurs et de gémissements.[96] Un cri montait de l'intérieur de la terre[97] [et remplissait les pierres de douleur, de larmes, de crainte et d'épouvante; les habitations tremblaient] et les pierres <et les rochers et les montagnes> se fendaient <en deux>. Des cris de douleur se faisaient entendre de l'intérieur de la terre[98] [comme ceux d'une mère qui pleure sur son fils, d'une veuve affligée qui se lamente sur son enfant unique qui meurt]. Les prêtres, les grands et toutes les multitudes tombèrent sur leur face à cause de la crainte qu'ils avaient éprouvée et du tremblement qui avait eu lieu.[99] Il y eut des ténèbres <et un tremblement> terribles sur toute la terre depuis six jusqu'à neuf heures. Alors la lumière se fit, le tremblement cessa et les prêtres et les grands[100] <et toutes les foules> se relevèrent et tombèrent devant moi en me suppliant[101] de leur dire la cause[102] du <grand> tremblement qui avait eu lieu.

9. Denys recherche la cause du tremblement de terre et de l'obscurcissement du Soleil. — Je pris aussitôt les nombres sacrés,[103] et parcourus les cours supérieurs, les lieux[104] de passage du Soleil, toutes les portes de lumière, les degrés de la sphère[105] (σφαϊρα) <du Soleil>, le service des signes du zodiaque, les révolutions des étoiles dans le firmament, et la rotation de l'axe;[106] j'entrai ensuite dans les voies[107] du Soleil, celles de la demeure[108] de l'été et de l'hiver; je fis le tour de tous les magasins du vent, je passai par[109] les cours inférieurs,[110] et je vis la mer inférieure tranquille, les vents silencieux et les magasins fermés. Le Soleil n'avait pas été contrarié par le vent d'en haut, les portes de lumière n'avaient pas été fermées[111] devant lui, et les cours[112] des heures n'avaient pas été bouleversés. Ce n'était pas le jour de la naissance de la Lune, Orion n'était pas proche de l'Etable,[113] les Pléiades n'étaient pas dépourvues de leur nombre, le Joug n'avait pas dompté les Hyades,[114] le Chariot n'était pas sorti du cercle de la sphère céleste,[115] les signes du zodiaque ne troublaient pas la rotation de l'axe, les magasins du vent[116] n'étaient pas ouverts, parce que la Lune était pleine, enfin[117] la mer inférieure[118] « est bouleversée qu'une fois tous les cinq cents ans — elle fait alors trembler toute la terre — et je vis <moi, Denys> que ce n'était pas son moment. De plus,[119] le prince (ἄρχων) n'avait pas fait de guerre, et beaucoup de sang de [gens] tués[120] n'avait pas été versé.

10. Le « Livré des Sphères » révèle cette cause A Denys. — Frappé d'étonnement et de stupeur, pris de vertige, en recherchant pour quelle cause la terre avait tremblé, le Soleil s'était obscurci <et toutes ces choses étonnantes avaient eu lieu>, alors qu'aucun des cours supérieurs n'avait été bouleversé, je dis[121] à Asclépios, mon disciple, de m'apporter le « livre des sphères », celles de l'astronomie.[122] Ayant parcouru ces <sphères>, et ayant fait passer toute la terre devant moi, afin de voir quel était le tremblement qui avait eu lieu, je vis <moi, Denys> le Christ suspendu à la croix. Le livre de l'Esprit était ouvert[123] au-dessus de lui et il y était écrit <ainsi> : « Voici le dieu caché, voici le sauveur des créatures, voici celui qui est descendu sur la terre en cachette, et a revêtu un corps de la Vierge, fille de David.[124] [Des hommes l'ont pris] et les Juifs[125] l'ont crucifié <aujourd'hui sur la croix>, et voici qu'ils l'insultent <ne sachant pas ce qu'ils font> ». Après avoir lu ce livre, je saisis la tunique[126] (χλανίδιον) dont j'étais revêtu, et je la déchirai en deux.

11. Denys fait connaître cette cause aux prêtres et retourne à Athènes. — Les prêtres <les grands et toutes les multitudes> ayant vu ce que j'avais fait, furent dans une grande crainte. Je pris la parole et leur dis,[127] <après que j'eus vu les choses terribles et étonnantes qui avaient eu lieu>: « Sachez, <vous>, prêtres et serviteurs des dieux <et tout le peuple ensemble>, que la divinité qui était dissimulée et cachée à tous les hommes,[128] et dont personne ne pouvait arriver à approfondir[129] le mystère, est descendue sur la terre en cachette[130] et a revêtu un corps humain. En ce jour, des <hommes> impies <et audacieux> s'en sont emparés et l'ont suspendue à la croix dans l'une des régions. Et voici qu'ils l'insultent, ne sachant pas ce qu'ils font. Le tremblement qui a eu lieu, a eu lieu à cause d'elle ».

Je notai aussitôt[131] le jour, l'heure et le moment[132] le tremblement de la terre et l'obscurcissement du Soleil avaient eu lieu, le quantième c'était du mois et de la Lune, et je plaçai cette notice dans les archives des Athéniens,[133] afin que ce mémoire fût conservé pour ceux qui auraient le pouvoir[134] après ma mort.

12. Arrivée de saint Paul a Athènes; il prêche contre les dieux du paganisme. — Quatorze ans après, l'apôtre Paul vint et monta à la ville d'Athènes. Lorsque les Athéniens eurent entendu qu'il leur prêchait au sujet du Christ, ils se moquèrent de lui. Les grands de la ville vinrent[135] auprès de moi et me dirent: < Un étranger, homme distingué et éloquent et le style de ses discours[136] nous fait croire qu'il a été instruit dans la philosophie - prêche aux foules de notre ville des discours qui contredisent[137] notre doctrine. Pour cette raison, les prêtres[138] nous ont envoyés saluer Ta Grandeur. Il prêche en effet[139] : Que personne ne sacrifie aux dieux >.

13. Denys fait comparaître saint Paul au tribunal d'Arios Pagos. Discours de saint Paul. — Lorsque moi <Denys> j'eus entendu ces paroles, j'ordonnai[140] à des hérauts de sortir dès le soir dans toute la ville et de proclamer que[141] tous ceux qui ne se trouveraient pas, à la pointe du jour et au lever du Soleil, au tribunal d'Arios Pagos, seraient condamnés à la peine de mort.[142] A l'apparition de l'aurore, le tribunal se remplit d'une foule infinie[143] de gens. J'ordonnai qu'on me dressât[144] une grande tribune au-dessus des degrés élevés. Je montai, je m'y assis, j'ordonnai à tous les grands, les sages et les philosophes de la ville de s'asseoir, et j'envoyai chercher Paul. Il entra[145] au tribunal et toutes les multitudes observèrent un silence tel qu'on n'entendait même pas le bruit de la respiration de quelqu'un.

J'ordonnai à Paul de se justifier au sujet de sa prédication <devant toutes les multitudes de la ville>. Cet homme inspiré de Dieu, vase de la prédication du Christ[146] et demeure du saint Esprit, commença [alors] son discours courageusement, avec une franchise (παρρησία) sans crainte, en criant à haute voix et en disant:[147] « Citoyens athéniens, écoutez: je vois qu'en toute chose vous excellez dans le culte des démons ». Il ne dit pas en les flattant: « dans la sagesse, ou la philosophie ou dans la science[148] » mais « dans le culte des démons », et si la crainte que nous leur inspirions ne les avait pas dominés, ils le lapidaient immédiatement. Paul leur dit ensuite:[149] « En faisant le tour des autels de votre ville,[150] j'ai trouvé un autel au-dessus duquel est écrit : « Dieu caché ». Celui que vous adorez sans le connaître, c'est celui que je vous annonce.[151] Il est descendu du ciel et a revêtu un corps <saint de la Vierge Marie> ».

14. Conversion de Denys. — Quand Paul fut parvenu dans son discours jusqu'à la crucifixion et la mort[152] du Christ, et qu'il eut dit que le Soleil s'était obscurci, que la terre avait tremblé, que les statues étaient tombées et que les idoles s'étaient renversées, qu'il y avait eu un tremblement <et des ténèbres sur toute la terre>, alors[153] <moi, Denys> », je me souvins de ce qui avait eu lieu dans la ville du Soleil <qui est Baalbek>. Et quand il eut dit le jour où ces phénomènes avaient eu lieu, l'heure, le quantième c'était du mois et de la Lune,[154] aussitôt je crus [en lui] <et je fus convaincu> que celui que Paul annonçait était le dieu de vérité, le fils du Dieu vivant.[155] J'envoyai alors[156] Asclépios, le disciple qui avait été avec moi à Héliopolis,[157] me chercher le mémoire que j'avais écrit, et je le lus devant toutes les multitudes de la ville. Et moi je crus aussitôt <en ce moment>, et je fus baptisé par Paul, le <divin> apôtre, et je reçus de lui l'ordination de l'épiscopat.[158]

15. Conclusion. — Je sais <en vérité> que ce ne sont pas les hommes qui m'ont sauvé du paganisme et du péché,[159] mais la sagesse qui <m'a été donnée> par Dieu, laquelle m'a donné les grades[160] de l'honneur[161] et les dons de la gloire dans le paganisme et dans le christianisme.[162] Et écoutez[163] <maintenant, ô mes frères prudents et> amis de la sagesse ce que la sagesse a fait envers moi, et croyez <et soyez convaincus, mes frères> qu'il n'y a pas d'autre] richesse meilleure qu'elle[164] ; elle donne, en effet,[165] les grades de l'honneur et les dons de la gloire.[166] Et moi, je loue Dieu [le maître de toute chose] et le donateur de la sagesse, qui nous a vivifiés par l'intermédiaire de son fils, Jésus-Christ, et de son saint Esprit.[167] A lui gloire et honneur de la part de toutes les créatures[168] dans les siècles des siècles. Amen. Fin de l'histoire de [saint] Denys [l’ex-juge d'Arios Pagos, au sujet du spectacle qu'il vit dans la ville du Soleil, qui est Héliopolis en Egypte].

 

 

APPENDICE

Notice biographique du Vaticanus 155 fol. 4r°a.

Traduction de la Notice biographique.

Denys, le disciple de Paul, était de la ville d'Athènes et fils de Socrate, le philosophe. Lorsqu'il fut âgé de sept ans, ses parents l'offrirent comme victime, c.-à-d. comme ex-voto aux dieux. Les prêtres ne l'immolèrent pas sur l'autel à cause de sa beauté et de la considération dont jouissaient ses parents, mais le chargèrent de servir les dieux. Ensuite, ils lui firent étudier la sagesse, c.-à-d. la science des philosophes. Lorsqu'il eut été instruit dans la sagesse parfaite,[169] il devint aussitôt le juge des sages du tribunal d'Arios Pagos. — Un jour que tous les sages étaient réunis avec Denys au théâtre (θέατρον), il y eut un grand tremblement, des ténèbres recouvrirent la terre, le Soleil et la Lune s'obscurcirent depuis six heures jusqu'à neuf heures. La lumière se fit alors immédiatement, le tremblement cessa et Denys prit le livre des sphères que les Grecs appellent livre de l'astronomie. Après l'avoir parcouru et après avoir fait passer toute la terre devant lui, il vit le Messie suspendu à la croix dans le pays de Judée. Aussitôt il sut qu'il était le Dieu qui s'était incarné, et qui avait vécu avec les hommes. Il nota de suite le jour, l'heure, le quantième c'était de la Lune, et cacha cette notice. — Quatorze ans après, Paul monta à Athènes, et commença à prêcher au sujet du Messie et de ses miracles. Denys sut aussitôt que ses paroles étaient vraies. Ce qu'il avait vu et noté le jour où les ténèbres avaient eu lieu, tout cela il le prêchait. Denys crut et Paul le baptisa. Denys devint son disciple et Paul lui donna aussitôt la dignité de l'épiscopat en l'an 356 des Grecs, qui est l'an 44 après l'arrivée de Notre Sauveur. Après avoir enseigné tout Athènes, il termina sa vie à Athènes et fut enterré avec grand honneur.


 

[1] Wright, Catalogue of the syriac manuscripls in the British Muséum, t. II, p. 493.

[2] Wright, Catalogue, etc., p. 1111.

[3] Zotenberg, Catalogues des manuscrits syriaques et sabéens (mondaïtes) de la Bibliothèque Nationale. Paris, 1874, p. 185-187.

[4] Dans les deux cas, nous avons, en somme, donné la préférence à la leçon la plus ancienne, ou plutôt à celle qui a le plus de chance de l'être.

[5] Eine dem Dionysius Areopagita zugeschriebene Schrift in koptischer Sprache dans le Bulletin de l'Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, 1900, t. XII, p. 267 et suiv.

[6] Dans l'état ou elle nous est parvenue, la recension copte commence vers le milieu du § 10.

[7] La même notice biographique de Denys est conservée, semble-t-il, dans le manuscrit syriaque Sachau 165 de la Bibliothèque royale de Berlin.

[8] Nous avons publié ce traité dans le t. II des Actes du XIVe Congrès international des Orientalistes (Alger, 1905), p. 137-108.

[9] Cf. les notes consacrées aux §§ 3, 8, 9 et 10.

[10] Cf. Actes du XIVe Congrès international des Orientalistes, t I. p. 140, § 4.

[11] Cf. le passage suivant de la recension A qui ne peut avoir été écrit que par un Syrien, § 10: « j'ordonnai à Asclépios, mon notaire, de m'apporter le « livre des sphères» que les Grecs appellent dans leur langue livre de l'astronomie ».

[12] M. Crum, le distingué coptisant anglais, a bien voulu nous faire savoir qu'a sa connaissance aucun texte copte n'est traduit directement du syriaque. Il est donc tout naturel d'admettre que la rédaction copte remonte à une rédaction grecque. Elle doit y remonter directement, les nombreux mots grecs dont elle fourmille ne permettant guère de supposer entre la rédaction copte et la rédaction grecque un intermédiaire éthiopien ou arabe.

[13] Littéralement : « sortit un ordre de la part d'Arios Pagos, afin que les Athéniens fissent ».

[14] Littéralement : « de grandes dépenses ».

[15] Littéralement : « de m'instituer ».

[16] Littéralement: « de tout mon gouvernement ».

[17] Littéralement: « je lui ai donné ».

[18] Littéralement: « afin qu'il soit au-dessus ».

[19] Le ms. donne ces mots au singulier.

[20] Il faut sans doute lire avec la recension B : « les portes de lumière n'avaient pas été fermées devant lui (Soleil) et les cours des heures n'avaient pas été bouleversés ».

[21] Ou : « de l'Oiseau de proie » (l'Aigle ?).

[22] Littéralement : « qui ne conviennent pas ».

[23] Littéralement : « d'eux ».

[24] Littéralement : « par son οίκονομία », le syriaque  étant l'équivalent de ce mot grec. Cf. Payne Smith, Thesaurus syriacus, col. 818, s. v. 8.

[25] Titre chez M: « Voici ensuite l'histoire de saint Denys, au sujet du spectacle qu'il vit dans la ville du Soleil, qui est Héliopolis d'Egypte ».

[26] P: « que les païens appellent ».

[27] P : « pour l'aspect ».

[28] M : « à mon père ».

[29] M : « consentirent à cela ».

[30] P : « dans leur ville ».

[31] Le texte de M est corrompu ici ; littéralement : « à cause de mon père qui ».

[32] P : « Un jour, à la fête des idoles, le prince des démons entra dans le temple des dieux ».

[33] P omet : « à l'intérieur du temple des idoles ».

[34] M omet : « de la ville ».

[35] M : « à servir ».

[36] M : « de m'initier à la science des sages ».

[37] P omet : « et je fus instruit ».

[38] P : « et (celui-ci) montra un grand zèle à mon égard ».

[39] M : « les dons ».

[40] P : « de la philosophie ».

[41] Le texte est corrompu ici. Voir note du § 3.

[42] M : « les portes des lumières ».

[43] M : « les horloges des variétés ».

[44] M: « du ciel ».

[45] Correxi: M: « la variété ».

[46] P omet depuis: « les variétés du vent » (l. 9) jusqu'ici.

[47] M omet « la révolution des signes du zodiaque ».

[48] P: « la loi de la sphère céleste ».

[49] P omet: « de la terre » ; M : « des tremblements de la terre ».

[50] P omet: « pourquoi ».

[51] P: « du lieu de passage ».

[52] P omet: « en maître ».

[53] M: « le chef des démons, le prince (ἄρχων) »

[54] Littéralement : « sortit un ordre du prince etc., afin que les Athéniens fissent ».

[55] P ajoute: « qui est le théâtre (βίατρον) ».

[56] P omet: « ils se construisirent un nouveau tribunal ».

[57] Littéralement: « de grandes dépenses ».

[58] P omet: « de tribunal d' ».

[59] P omet: « eux, leurs femmes... entra ».

[60] P: « Etant entré là, Arios Pagos dit aux prêtres ».

[61] P: « de la foule ».

[62] M omet: « du gouvernement ».

[63] P: « de tout notre royaume ».

[64] Littéralement: « je lui ai donné ».

[65] Littéralement: « afin qu'il soit au-dessus ».

[66] Littéralement: « d'une grande joie ».

[67] M: « leur avait été donné ».

[68] P: « ils accomplirent cela avec joie, comme (cela) leur avait été ordonné de la part du prince des démons par l'intermédiaire des prêtres ».

[69] M: « j'eus reçu le pouvoir du gouvernement ».

[70] M: « de la fin athénienne ».

[71] M: « pendant que les prêtres se disputaient l'un avec l'autre dans la ville du Soleil ».

[72] M: « Sérapion ».

[73] P: « l'un d'eux tomba sur le siège de l'idole Sérapis ».

[74] M omet: « grande ».

[75] P: « pour tuer ».

[76] Littéralement: « et ».

[77] P: « et ils l'appelaient ».

[78] P: « Après avoir enfermé ».

[79] M omet: « une lettre ».

[80] P : « au sujet de l'affaire, hâtivement ».

[81] P : « le prêtre de ce temple ».

[82] M: « à eux ».

[83] Au lieu de: « le prêtre lui raconta.... là-bas», M donne: « il leur dit: le prince ordonne que Denys se rende à la ville du Soleil, qui est Héliopolis ».

[84] P: « le procès de Sérapis ».

[85] P: « je descendis sans retard et entrai dans la ville du Soleil, Baalbek, et toute la ville s'agita ».

[86] P: « et toutes ».

[87] M : « qui serait rendu ».

[88] Au lieu de : « Je promulguai des règlements.... s'y réunirent », P donne: « Et moi, selon des lois (νόμοι) et des règlements justes, j'ordonnai que des voiles fussent suspendus dans toutes les rues de la ville, et qu'on criât que tout le peuple se réunît et vint au théâtre (θέατρον) ; et se réunirent et vinrent de nombreux peuples innombrables ».

[89] P : « Ceci fut la providence de Dieu ».

[90] P : « tous les grands et tous les prêtres ».

[91] M : « étaient étonnés que je n'avais pas invité les prêtres etc. ».

[92] P: « de tout le monde ».

[93] M : « Il y eut un grondement, un tremblement violent et une frayeur (il faut sans doute lire : un tremblement violent et terrible) ».

[94] M omet : « les fondements... ébranlés ».

[95] P omet: « toutes ».

[96] P omet : « comme une voix… gémissements » ; M donne les mots « lamentations » etc. au singulier.

[97] P : « avec un grand cri et de nombreux gémissements ».

[98] P: « de tous les côtés »; P ajoute ici: « et de lamentation, de pleurs et de gémissement ».

[99] P: « Les prêtres, les grands et toutes les multitudes se prosternaient sur leur face comme des morts à la suite de leur commotion ».

[100] M omet « les prêtres et les grands ».

[101] Au lieu de : « et tombèrent devant moi en me suppliant », P donne : « effrayés et troublés. Et aussitôt qu'ils se furent redressés, ils commencèrent à me supplier et à me prier ».

[102] M : « de leur parler au sujet de ».

[103] Littéralement: « intérieurs ».

[104] M: « le lieu ».

[105] P: « de sa sphère ».

[106] P: « le mouvement circulaire de la Lune et les révolutions des étoiles dans le firmament ».

[107] P: « dans toutes les voies ».

[108] M omet: « de la demeure ».

[109] P: « et de tous les cours inférieurs » en omettant: « je passai ».

[110] M: « les cours qui sont sous la terre ».

[111] M : « la porte… n'avait pas été fermée ».

[112] M et P : « le cours ».

[113] Ou : « de l'Oiseau de proie » (l'Aigle ?).

[114] M semble plutôt donner : « les Hyades n'avaient pas dompté le Joug.

[115] M : « des sphères célestes ».

[116] P omet : « du vent ».

[117] Littéralement : « et ».

[118] M : « la mer qui est sous la terre ».

[119] Littéralement: « et ».

[120] P omet: « tués ».

[121] Littéralement, M: « alors je dis », P: « en ce moment, j'appelai ».

[122] P: « des astronomes ».

[123] P omet: « était ouvert ».

[124] P: « de la race humaine» (littéralement: « de la maison d'Adam »).

[125] M omet: « les Juifs».

[126] P donne ici un texte corrompu.

[127] P : « et dis aux prêtres et à tout le peuple ».

[128] P : « que la divinité qui était dissimulée à tout le monde, cachée et soustraite aux pensées et aux raisonnements de toutes les créatures, et a l'intelligence et à la sagesse de tout le monde, de sorte que personne ne la connut ».

[129] M: « à scruter ».

[130] P omet : « en cachette ».

[131] M omet : « aussitôt ».

[132] P omet : « et le moment ».

[133] Au lieu de : « et je plaçai... Athéniens », P donne : « et ils montèrent arec moi et je la plaçai dans les archives d'Athènes ».

[134] P : « qui auraient le gouvernement ».

[135] M : « entrèrent ».

[136] P: « Un homme étranger est venu dans notre ville; il est éloquent et versé dans la science - et la sagesse (litt. : saveur) de ses discours ».

[137] Littéralement: « ne conviennent pas pour ».

[138] P : « les prêtres des dieux ».

[139] P: « en disant ».

[140] Le texte de M donne littéralement ici : « j'ordonnai à tous les grands que des hérauts sortissent etc. ».

[141] P : « j'ordonnai à des hérauts de crier dès le soir dans toute la ville que etc. ».

[142] P : « à une peine sévère ».

[143] M : « innombrable ».

[144] P : « j'ordonnai et on m'établit ».

[145] P: « On le fit entrer devant moi ».

[146] Au lieu de: « Cet homme.... du Christ », P donne : « Ce vase élu de l'apostolat ».

[147] M omet : « et en disant ».

[148] P: « Il ne dit pas par flatterie: « dans la crainte de Dieu, la sagesse et la philosophie ».

[149] M omet: « Paul leur dit ensuite ».

[150] P: « dans cette ville ».

[151] P : « que vous adorez sans le connaître. Moi, je vous annonce le Dieu qui est descendu ».

[152] P omet: « et la mort ».

[153] P : « et aussitôt ».

[154] M donne ici un texte corrompu.

[155] Au lieu de : « que celui que… vivant », M donne: « que celui qui était annoncé par lui était Dieu ».

[156] M: « aussitôt ».

[157] Au lieu de: « le disciple.... Héliopolis», P donne simplement: « mon disciple ».

[158] M omet: « de l'épiscopat ».

[159] P: « du péché, de l'erreur et du paganisme ».

[160] P: « ce grade ».

[161] M omet : « de l'honneur ».

[162] Au lieu de: « et les dons de la gloire », P donne: « et le siège de la grandeur ».

[163] P: « Ecoutez ».

[164] P: « meilleure que la sagesse et l'intelligence dans Notre-Seigneur Jésus-Christ ».

[165] P omet : « en effet ».

[166] P : « les grades et les honneurs à ceux qui l'aiment, et il n'y a pas de pauvreté dans le monde, si ce n'est pour ceux qui sont privés de l'amour de Jésus-Christ ».

[167] Au lieu de: « qui nous a vivifiés       saint Esprit», P donne: « et j'adore, j'exalte, je loue son fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ, et son Esprit vivant et saint ».

[168] « Au triple mystère, offrons louange, gloire et adoration maintenant et en tout temps ».

[169] Ou : « parfaitement dans la sagesse ».