Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

ARCHYTAS

 

FRAGMENTS.

 

 

 

FRAGMENTS MÉTAPHYSIQUES.[1]

 

FRAGMENT 1.

Il y a nécessairement deux principes des êtres, l'un renfermant la série des êtres ordonnés et finis, l'autre la série des êtres désordonnés et infinis. L'une susceptible d'être exprimée par la parole, et dont on peut rendre compte,[2] embrasse les êtres, et en même temps détermine et ramène à l'ordre le non être.

Car toutes les fois qu'elle s'approche des choses du devenir, elle les amène à l'ordre et à la mesure, et les fait participer à l'essence et à la forme de l'universel.[3] Au contraire la série des êtres qui se dérobent à la parole et à la raison, porte atteinte aux choses ordonnées, détruit celles qui aspirent à l'essence et au devenir ; car toutes les fois qu'elle s'approche d'elles, elle les assimile à sa propre nature.

Mais puisqu'il y a deux principes des choses de genre contraire, l'un principe du bien, l'autre principe du mal, il y a nécessairement aussi deux raisons, l'une de la nature bienfaisante, l'autre de la nature malfaisante.

C'est pourquoi[4] et les choses qui doivent leur naissance à l'art et celles qui la doivent à la nature doivent avant tout participer de ces deux principes : la forme et la substance.[5]

La forme est la cause de l'essence:[6] la substance est le substrat qui reçoit la forme. Ni la substance ne peut par elle-même participer à la forme, ni la forme par elle-même s'appliquer à la substance ; il est donc nécessaire qu'il y ait une autre cause qui meuve la substance des choses et l'amène à la forme. Cette cause est première au point de vue de la puissance, et la plus excellente de toutes. Le nom qui lui convient est Dieu. Il y a donc trois principes, Dieu, la substance des choses, la forme. Dieu est l'artiste, le moteur; la substance est la matière,[7] le mobile; l'essence est comme l'art et ce à quoi la substance est amenée par le moteur. Mais puisque le mobile contient des forces qui lui sont contraires à lui-même, — ce sont celles des corps simples—et que les contraires ont besoin d'un principe qui établisse en eux l'harmonie et l'unité, il doit nécessairement recevoir les vertus efficaces et les proportions des nombres, et tout ce qui se manifeste dans les nombres et les formes géométriques, vertus et proportions capables de lier et d'unir dans la forme les contraires qui existent dans la substance des choses. Car, par elle-même, la substance est informe : ce n'est qu'après avoir été mue vers la forme, qu'elle devient I formée et reçoit le rapport rationnel de l'ordre. De même, si le mouvement existe, outre la chose mue, il faut qu'il existe un premier moteur:[8] Il y a donc nécessairement trois principes, la substance des choses, la forme et le principe qui se meut soi-même, et qui est par sa puissance le premier;[9] ce principe non seulement doit être une intelligence: il doit être au-dessus de l'intelligence, et ce qui est au-dessus de l'intelligence, nous l'appelons Dieu.[10]

Il est donc évident que le rapport d'égalité s'applique à l'être qui peut être défini par le langage et par la raison. Le rapport d'inégalité s'applique à l'être irrationnel, et qui ne peut être fixé par le langage : c'est la substance; voilà pourquoi tout devenir et toute destruction se produisent dans la substance et ne se produisent pas sans elle.

FRAGMENT 2.[11]

Les philosophes, en résumé, ne commençaient que par des principes pour ainsi dire contraires, mais au-dessus de ces deux éléments ils en connaissaient un autre supérieur, comme l'atteste Philolaüs qui dit que Dieu a produit, ὑουστῆσαι, réalisé, le fini et l'infini, et montré qu'à la limite se rattache toute la série qui a une plus grande affinité avec l'Un, et à l'infinité, celle qui est au-dessous. Ainsi, au-dessus des deux principes ils ont placé une cause unifiante et supérieure à tout. Cette cause c'est, dit Archénète,[12] la cause avant la cause, αἰτίαν πρὸ αἰτίας, et, dit Philolaüs, le principe universel.

FRAGMENT 3.[13]

De quelle unité veux-tu parler? est-ce de l'unité suprême ou de l'unité infiniment petite qui se montre dans les parties? En un mot, les pythagoriciens distinguent l'unité et la monade dont un grand nombre des anciens pythagoriciens ont parlé, par exemple, Archytas qui dit : L'un et la monade ont une affinité de nature; mais cependant ils diffèrent entre eux.

FRAGMENT 3 bis.[14]

Archytas[15] et Philolaüs donnent indifféremment à l'unité le nom de monade, et à la monade le nom d'unité. La plupart cependant ajoutent au mot de monade, la détermination de première monade, parce qu'il y a une monade qui n'est pas première, et qui est postérieure à la monade en soi et à l'unité.[16]

FRAGMENT 3 ter.[17]

L'âme de l'homme, dit Pythagore, est un tétragone à angles droits. Archytas, au contraire, au lieu de donner la définition de l'âme par le tétragone, la mettait dans le cercle, par la raison que l'âme est ce qui se meut soi-même, et est, par une conséquence nécessaire, le premier moteur : or, le premier moteur est un cercle ou une sphère.[18]

FRAGMENT 3 quater.[19]

Platon et Archytas et les autres pythagoriciens prétendent qu'il y a trois parties dans l'âme, qu'ils divisent en raison, courage et désir.[20]

FRAGMENT 4.[21]

Le commencement de la connaissance des êtres, est dans les choses qui se produisent en eux. De ces choses qui se produisent en eux, les unes sont intelligibles, les autres sont sensibles ; celles qui sont intelligibles sont immobiles ; les autres qui sont sensibles sont mues. Le critérium des choses intelligibles est le monde, ὁ κόσμος;[22] le critérium des choses sensibles est la sensation.

Des choses qui ne se manifestent pas dans les êtres mêmes, les unes sont la science, les autres l'opinion ; la science est immobile, l'opinion est muable.

Il faut en outre admettre ces trois choses : le sujet qui juge, l'objet qui est jugé, la règle d'après laquelle cet objet est jugé. Ce qui juge, est l'esprit ( νόος), ou la sensation; ce qui est jugé, est l'essence rationnelle, ( λόγος);[23] la règle du jugement est l'acte même qui se produit dans l'être,[24] qui est ou intelligible ou sensible. L'esprit est juge de l'essence, soit qu'il se porte vers un être intelligible, soit qu'il se porte vers un être sensible. Lorsque la raison recherche les choses intelligibles, elle se porte vers l'élément intelligible ; quand elle recherche les choses sensibles, elle se porte vers l'élément des choses sensibles. Voilà d'où viennent ces fausses représentations graphiques dans les figures et dans les nombres qu'on voit en géométrie, ces recherches sur les causes et les fins probables, qui ont pour objet les êtres sujets au devenir et les actes moraux, et qu'on poursuit dans la physiologie et dans la politique. C'est en se portant vers l'élément intelligible que la raison connaît que l'harmonie[25] est dans le rapport double; mais ce fait que le rapport double est consonnant ne nous est attesté que par la sensation. Dans la mécanique, la science a pour objet des figures, des nombres, des proportions, c'est-à-dire des éléments rationnels; les effets sont perçus par la sensation : car on ne peut les étudier et les connaître en dehors de la matière et du mouvement. En un mot, il est impossible de connaître le pourquoi, διὰ τί, d'une chose individuelle, si l'on n'a pas d'abord saisi par l'esprit l'essence de la chose individuelle, τὸ τί ἐντι ἔκσατον. La connaissance de l'existence, ὅτι ἔντι, et de la qualité, οὕτως χει, appartient à la raison et à la sensation : à la raison, toutes les fois que nous exposons la démonstration d'une chose par un syllogisme qui conclut nécessairement ; à la sensation, tontes les fois que nous faisons attester l'essence d'une chose par la sensation.[26]

FRAGMENT 5.[27]

La sensation se produit dans le corps, la raison dans l'âme. L'une est le principe des êtres sensibles, l'antre le principe des êtres intelligibles. Car la multitude a pour mesure le nombre, la longueur, le pied, la pesanteur et l'équilibre, la balance; la règle et la mesure de la rectitude dans le sens vertical comme dam le sens longitudinal, c'est l'angle droit.

Ainsi la sensation est le principe et la mesure des corps; la raison, le principe et la mesure des êtres intelligibles. L'une est le principe des êtres intelligibles et premiers par nature; l’autre, le principe des choses sensibles et secondes par nature. Car la raison est le principe de notre âme; la sensation, le principe de notre corps.[28] L'esprit est le juge des objets les plus nobles; la sensation, des plus utiles. La sensation a été créée en vue du corps, et pour le servir ; la raison en vue del l'âme, et pour y faire naître la, sagesse. La raison est le principe de la science; la sensation de l'opinion, δόξα. L'une tire son activité des choses sensibles, l'autre des choses intelligibles. Les objets sensibles participent au mouvement et au changement, les objets intelligibles participent de l'immuabilité et de l'éternité.[29] Il y a analogie entre la sensation et la raison : car la sensation a pour objet le sensible, et le sensible se meut, change, et n'est jamais identique à lui-même : aussi, comme on peut le voir, il devient plus et moins, meilleur et pire. La raison a pour objet l'intelligible : or l'intelligible est par essence immobile ; c'est pourquoi on ne peut concevoir dans l'intelligible, ni plus ni moins, ni meilleur ni pire ; et de même que la raison voit l'être premier et le paradigme, de même la sensation voit l'image et le second. La raison voit l'homme en soi ; la sensation voit en eux et le cercle du soleil, et les formes des objets artificiels.[30] La raison est parfaitement simple et indivisible, comme l'unité et le point ; il en est de même de l'être intelligible. L'idée[31] n'est ni la limite ni la borne du corps : elle n'est que la figure de l'être, ce par quoi l'être est, tandis que la sensation a des parties et est divisible.

Des êtres, les uns sont perçus par la sensation, les autres par l'opinion, une troisième catégorie par la science, une dernière par la raison.

Les corps qui offrent de la résistance sont sensibles ; l'opinion connaît ceux qui participent aux idées, et en sont comme les images. Ainsi tel homme participe de l'idée d'homme, tel triangle de l'idée de triangle. La science a pour objet les accidents nécessaires des idées; ainsi la géométrie a pour objet les propriétés des figures ; la raison connaît les idées elles-mêmes et les principes des sciences et de leurs objets, par exemple : le cercle, le triangle, la sphère en soi. Il y a de même en nous, dans notre âme, quatre sortes de connaissances : la pensée pure, ὁ νόος, la science, l'opinion, la sensation : deux sont principes du savoir : ce sont la pensée et la sensation ; deux en sont la fin : ce sont la science et l'opinion.

C'est toujours le semblable qui est capable de connaître le semblable ; la raison sait les choses intelligibles; la science, les choses connaissables ; l'opinion, les choses conjecturales; la sensation, les choses sensibles.[32]

C'est pourquoi[33] il faut que la pensée s'élève des choses sensibles aux choses conjecturales, des choses conjecturales aux choses connaissables, des choses connaissables aux choses intelligibles ; et celui qui veut connaître la vérité sur ces objets, doit réunir dans un ensemble harmonieux tous ces moyens et objets de la connaissance.[34] Ceci établi, on peut se les représenter sous l'image d'une ligne divisée en deux parties égales, et dont chacune de ces parties est à son tour divisée de la même manière : séparons donc ainsi le sensible, et divisons-le en deux parties dans la même proportion ; ces deux parties se distingueront l'une par la clarté, l'autre par l'obscurité. L'une des sections du sensible renferme les images des choses, et celles qu'on aperçoit dans les eaux, et celles qu'on voit dans les miroirs; la seconde section représente les plantes et les animaux dont la première donne les images. L'intelligible reçoit une division analogue où les diverses espèces de sciences représentent les images : car les géomètres commencent par établir par hypothèse l'impair et le pair, les figures, les trois espèces d'angles, et tirent de ces hypothèses leur science ; quant aux choses elles-mêmes, ils les laissent de coté, comme s'ils les connaissaient, quoiqu'ils n'en puissent rendre compte ni à eux-mêmes ni aux autres; ils emploient les choses sensibles comme images, mais ces choses ne sont ni l'objet ni la lin qu'ils se proposent dans leurs recherches et leurs raisonnements, qui ne poursuivent que le diamètre et le carré en soi. La seconde section est celle de l'intelligible, objet de la dialectique : elle ne fait pas véritablement d'hypothèses : elle pose des principes d'où elle s'élève pour arriver jusqu'à l'inconditionné, jusqu'au principe universel : ensuite, par un mouvement inverse, s'attachant à ce principe, elle descend jusqu'au terme du raisonnement, sans employer un objet sensible, et se servant uniquement d'idées pures. On peut aussi, par ces quatre divisions, analyser les états de l'âme, et donner le nom de Pensée au plus élevé, de Raisonnement au second, de Foi au troisième, d'Imagination au quatrième.

FRAGMENT 6.[35]

Archytas, tout au commencement de son livre sur la Sagesse donne ces conseils : Dans toutes les choses humaines la sagesse est aussi supérieure, que la vue est supérieure aux autres sens du corps, que l'esprit est supérieur à l'âme, que le soleil est supérieur aux astres ; sur la vue est de tous les sens celui qui étend le plus loin son action, et nous donne les idées les plus nombreuses. L'esprit, placé au rang suprême, accomplit son opération légitime, par la raison et le raisonnement; il est comme la vue et comme la puissance[36] des objets les plus nobles; le soleil est l'œil et l'âme des choses de la nature : car c'est par lui que toutes elles sont vues, engendrées, pensées; c'est par lui que les êtres qui viennent de racines ou qui viennent d'une semence[37] se nourrissent, se développent, et sont doués de la sensation.

De tous les êtres l'homme est de beaucoup le pi lissage, car il est en état de contempler les êtres, et d'acquérir de tout science et connaissance. C'est pour cela que la divinité a gravé en lui et lui a révélé le système de la parole qui s'étend à tout, système dans lequel se trouvent classés tous les genres de l'être,[38] et les significations des noms et des verbes. Car les sons de la voix ont pour sièges déterminés, le pharynx, la bouche, le nez. De même que l'homme est naturellement organisé pour produire les sons, par lesquels s'expriment et se forment les noms et les verbes, de même il est naturellement destiné à contempler les notions que renferment les objets visibles : et telle est, suivant moi, la fin pour laquelle l'homme est né et a été fait, et pour laquelle il a reçu de Dieu ses organes et ses facultés.

L'homme est né, il a été créé pour connaître l’essence de la nature universelle; et la fonction de la sagesse est précisément de posséder et de contempler l'intelligence qui se manifeste dans les êtres.

La sagesse n'a pas pour objet un être quelconque déterminé, mais absolument tous les êtres, et il ne faut pas qu'elle commence à chercher les principes d'un être individuel, mais bien les principes communs à tous les êtres. La sagesse a pour objet tous les êtres, comme la vue a pour objet toutes les choses visibles. Voir dans leur ensemble et connaître les attributs universels de tous les êtres, c'est le propre de la sagesse, et voilà comment la sagesse découvre les principes de tous les êtres.

Celui qui est capable d'analyser tous les genres, et de les ramener et de les réunir,[39] par une opération inverse, en un seul et même principe, celui-là me parait être le plus sage, le plus proche de la vérité : il semble avoir trouvé cet observatoire sublime du haut duquel il pourra voir Dieu, et toutes les choses qui appartiennent à la série et à l'ordre du divin : maître de cette route royale son esprit pourra s'élancer tout droit en avant, et arriver au bout de la carrière, en liant les principes aux fins des choses, et en connaissant que Dieu est le principe, le milieu, la fin de toutes les choses faites d'après les règles de la justice et de la droite raison.[40]

 

FRAGMENTS PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES.

 

FRAGMENT 7.[41]

Archytas,[42] à ce que rapporte Eudème, faisait cette question : Je me suppose placé à la limite extrême et immobile du monde; pourrai-je ou non étendre la main ou une baguette au dehors? Dire que je ne le puis pas, est absurde : mais si je le puis, il y a donc quelque chose en dehors du monde, soit corps, soit lieu. Et peu importe comment nous raisonnerons : il reviendra toujours par le même raisonnement à cette limite; il s'y posera toujours, et demandera encore : y a-t-il quelque autre chose sur quoi puisse porter la baguette? alors évidemment l'infini existe. Si c'est un corps, notre proposition est démontrée. Est-ce un lieu? Mais le lieu est ce en quoi un corps est ou pourrait être : et il faut alors, s'il existe en puissance, le placer au nombre des choses éternelles, et l'infini serait alors un corps d’un lieu.[43]

FRAGMENT 8.[44]

Le propre du lieu est que toutes les autres choses sont en lui, tandis que lui-même n'est en rien. Car s'il était dans un lieu, il y aurait un lieu dans un lieu, et cela irait à l'infini. Il est donc nécessaire que toutes les autres choses soient dans le lieu, et que le lieu ne suit en rien. Il est aux choses dans le même rapport que la limite est aux choses limitées : car le lieu du monde entier est la limite de toutes les choses

FRAGMENT 9.[45]

Les uns disent que le temps est la sphère du monde : tel était le sentiment des pythagoriciens, d'après ce que rapportent ceux qui avaient sans doute entendu Archytas donner du temps cette définition générale : Le temps est l'intervalle de la nature du tout.

FRAGMENT 9 bis.[46]

Le divin Iamblique, dans le premier livre de ses Commentaires sur les Catégories, dit qu'Archytas définissait ainsi le temps : Le temps est comme le nombre du mouvement, ou en général l'intervalle de la nature du tout.[47]

FRAGMENT 9 ter.[48]

Il faut réunir ces deux définitions en une seule, et faire le temps à la fois continu et discret, quoiqu'il soit plus proprement continu. C'est ainsi qu'Iamblique prétend qu'Archytas enseignait la distinction du temps physique et du temps psychique[49].... C'est ainsi du moins qu'Iamblique interprétait Archytas; mais il faut reconnaître que là et souvent ailleurs, il ajoute beaucoup dans son commentaire afin de faciliter l'intelligence des choses.[50]

FRAGMENT 10.[51]

Le quand, et le temps, ont en général pour essence propre d'être indivisibles et insubstantiels. Car le temps présent, étant indivisible, s'est écoulé en même temps qu'on l'exprime et qu'on le pense : il n'en subsiste plus rien; devenant continuellement le même, il ne subsiste jamais numériquement, mais seulement spécifiquement. En effet le temps actuellement présent et le futur ne sont pas identiques au temps antérieur. Car l'un est écoulé et n'est plus; l'autre s'écoule en même temps qu'il est produit et est pensé. Et ainsi le présent n'est jamais qu'un lien : il devient, change et périt perpétuellement ; mais il reste cependant identique en son espèce.

En effet, tout présent est sans parties et indivisible : c'est le terme du temps passé, le commencement du temps à venir : de même que dans une ligne brisée, le point où se produit la brisure devient le commencement d'une ligne et la fin de l'autre. Le temps est continu, et non point discret comme le sont le nombre, la parole, l'harmonie.

Dans la parole, les syllabes sont des parties, et des parties distinctes; dans l'harmonie ce sont les sons; dans le nombre, les unités. La ligne, l'endroit, le lien sont des continus : en effet si on les divise, leurs parties forment des sections communes. Car la ligne se divise en points; la surface en lignes; le solide en surfaces. Donc le temps est continu. En effet il n'y avait pas de nature, quand le temps n'était pas; il n'y avait pas de mouvement, quand le présent n'était pas. Mais le présent a toujours été, il sera toujours, et ne fera jamais défaut ; il change perpétuellement et devient autre suivant le nombre, mais reste le même selon l'espèce. La ligne diffère des autres continus, en ce que si l'on divise la ligne, l'endroit et le lieu, les parties en subsistent : mais dans le temps, le passé a péri; le futur périra. C'est pourquoi ou le temps n'est absolument pas, ou il est à peine et n'a qu'une existence insensible. Car de ses parties l'une, le passé, n'est plus, l'avenir n'est pas encore; comment le présent sans parties, et indivisible pourrait-il avoir une vraie réalité?[52]

FRAGMENT 11.[53]

Platon dit que le mouvement est le grand et le petit, le non être, l'inégal, et tout ce qui revient à ces mêmes caractères : il vaut mieux dire comme Archytas, que c'est une cause.[54]

FRAGMENT 12.[55]

Pourquoi tous les corps naturels prennent-ils la forme sphérique? Est-ce, comme le disait Archytas, parce que dans le mouvement naturel se trouve la proportion de l'égalité? car tout se meut avec proportion ; et cette proportion de l'égalité est la seule[56] qui, lorsqu'elle se produit, engendre des cercles et des sphères, parce qu'elle revient sur elle-même.

FRAGMENT 13.[57]

Celui qui sait doit avoir appris d'un autre ou trouvé seul ce qu'il sait. La science qu'on apprend d'un autre, est, pour ainsi dire, extérieure: ce qu'où trouve seul, nous appartient à nous-mêmes et en propre. Trouver sans chercher est chose difficile et rare ; trouver ce qu'on cherche est commode et facile ; ignorer et chercher (ce qu'on ignore), est impossible.[58]

FRAGMENT 14.[59]

L'opinion (des pythagoriciens) sur les sciences me paraît juste, et ils me semblent avoir porté un jugement exact sur l'essence de chacune d'elles. Ayant su se former une idée juste de la nature du tout, ils devaient également bien voir la nature essentielle des parties. De l'arithmétique, de la géométrie, de la sphérique, ils nous ont laissé des théories certaines et évidentes : il en est de même de la musique. Car toutes ces sciences paraissent être sœurs : en effet les deux premiers genres de l'être reviennent l'un sur l'autre.[60]

FRAGMENT 15.[61]

Les premières lignes reproduisent presque textuellement le fragment précédent :

L'opinion (des pythagoriciens) sur les sciences me semble juste, et ils ont porté un jugement exact sur chacune. Ayant su se former une idée juste de la nature du tout, ils devaient bien voir aussi la nature essentielle des parties. Sur la vitesse des mouvements des astres, sur leurs levers et leurs couchers, ils nous ont laissé une science, ainsi que sur la géométrie, l'arithmétique et de même sur la musique : car ces sciences paraissent être sœurs.

D'abord ils ont vu qu'il n'était pas possible qu'il y eût bruit, s'il ne se produisait un choc de corps l'un contre l'autre : il y a choc, disaient-ils, lorsque des corps en mouvement se rencontrent et frappent l'un contre l'autre. Les corps mus dans l'air dans une direction opposée, et ceux qui sont mus avec une vitesse inégale (il faut sous-entendre dans une même direction), ces derniers lorsque ceux qui les suivent les rejoignent,[62] produisent un bruit, parce qu'ils sont frappés. Beaucoup de ces bruits ne sont pas susceptibles d'être perçus par nos organes : les uns à cause de la faiblesse du choc, les autres à cause de leur trop grand éloignement de nous, quelques-uns par l'excès même de leur intensité : car les bruits trop grands ne s'introduisent pas dans nos oreilles, comme on ne peut rien faire entrer dans les vases à goulot étroit, quand on veut y verser trop à la fois.

De ceux qui tombent sous la prise de nos sens, les uns — ce sont ceux qui nous parviennent rapidement des corps choqués — paraissent aigus; ceux qui nous arrivent lentement[63] et faiblement, paraissent graves. En effet, si quelqu'un agite un objet lentement et faiblement, le choc produit un son grave : s'il l'agite vivement et fortement, il est aigu. Ce n'est pas la seule preuve de ce fait, dont nous pouvons nous assurer encore quand nous parlons et chantons : quand nous voulons parler fort et haut, nous employons une grande force de souffle. Il en est ici comme des traits qu'on lance : si on les lance fort, ils vont loin ; si on les lance sans force, ils tombent près, car l'air cède plus aux corps mus d'un mouvement fort, et moins à ceux mus d'un mouvement faible. Ce phénomène se reproduit également dans les sons de la voix : car les sons produits par un souffle énergique sont aigus, ceux qui sont produits par un souffle faible sont faibles et graves. Nous pouvons encore reconnaître la vérité de cette observation dans la force du signal donné d'un lieu quelconque:[64] si on prononce fort, nous l'entendons de loin, si on prononce le même signal bas, nous ne l'entendons pas même de près. Et encore dans les flûtes, le souffle poussé de la bouche et qui se présente aux trous les plus voisins de l'embouchure, produit un son plus aigu, parce que la force d'impulsion est plus grande ; plus loin, ils sont plus graves. Il est donc évident que la vitesse du mouvement produit l'acuité, la lenteur la gravité du son. La même chose se manifeste encore dans les toupies magiques[65] qu'on fait tourner dans les Mystères : celles qui se meuvent lentement font un bruit grave; celles qui se meuvent vite et fort font un bruit aigu. Citons encore le roseau : si l'on bouche l'extrémité intérieure et qu'on soûl fie dedans, il rendra un certain son:[66] et si on le bouche jusqu'à la moitié ou à l'extrémité antérieure, ce son sera aigu. Car le même souffle en parcourant un plus long espace s'affaiblit, et en en parcourant un plus court reste fort. Et après avoir développé cette opinion, que le mouvement de la voix est mesuré par des intervalles, il résume sa discussion, en disant : que les sons aigus soient le résultat d'un mouvement plus vite, les sons graves, d'un mouvement plus lent, c'est un fait que de nombreuses expériences nous rendent évident.

FRAGMENT 15 bis.[67]

Eudoxus et Archytas oui cru que la raison des symphonies[68] était dans les nombres; ils s'accordent à penser que ces raisons consistent dans les mouvements: le mouvement aigu étant vile, parce que l'agitation de l'air est continue et la vibration plus rapide; le mouvement grave étant lent, parce qu'il est plus calme.[69]

FRAGMENT 16.[70]

Archytas s'expliquant sur les moyens, écrit ceci : Il y a dans la musique trois moyens : le premier est le moyen arithmétique, le second est le moyen géométrique, le troisième est le moyen subcontraire qu'on appelle harmonique.[71] Le moyen est arithmétique lorsque les trois termes sont dans un rapport analogue excédant, c'est-à-dire tels que la quantité dont le premier surpasse le second soit précisément celle dont le second surpasse le troisième;[72] dans cette proportion, il se trouve que le rapport des plus grands termes est plus petit, le rapport des plus petits plus grand.[73] Il y a moyen géométrique lorsque le premier terme est au second comme le second est au troisième;[74] ici le rapport des plus grands est identique au rapport des plus petits termes. Le moyen subcontraire que nous appelons harmonique existe lorsque le premier terme dépasse le second d'une fraction de lui-même, identique à la fraction de lui-même dont le second dépasse le troisième : dans cette proportion[75] le rapport des plus grands termes est plus grand, celui des plus petits, plus petit.[76]

 

FRAGMENTS DE MORALE.

 

FRAGMENT 17.[77]

1. Il faut savoir d'abord que l'homme de bien[78] n'est pas nécessairement par cela même heureux, mais que l'homme heureux est nécessairement un homme de bien : car l'homme heureux est celui qui mérite des éloges et des félicitations; l'homme de bien ne mérite que des éloges.

On loue un homme à cause de sa vertu ; on le félicite à cause de ses succès. L'homme de bien est tel à cause des biens qui viennent de la vertu ; l'homme heureux est tel à cause des biens qui viennent de la fortune. On ne peut enlever à l'homme de bien sa vertu : il arrive à l'homme heureux de perdre son bonheur. La puissance de la vertu ne dépend de personne, celle du bonheur, au contraire, est dépendante. Les longues maladies, la perte de nos sens fanent la fleur de notre bonheur.[79]

2. Dieu diffère de l'homme de bien en ce que Dieu, non seulement possède une vertu parfaite,[80] pure de toute affection mortelle, mais jouit d'une vertu dont la puissance est indéfectible, indépendante, comme il convient à la majesté et à la magnificence de ses œuvres.

L'homme, au contraire, non seulement possède une vertu inférieure, à cause de la constitution mortelle de sa nature ; mais encore tantôt par l'abondance même des biens, tantôt par la force de l'habitude,[81] par le vice de la nature, par d'autres causes encore, il est incapable d'atteindre à la vraie perfection du bien.

3. L'homme de bien, suivant moi, est celui qui sait agir comme il faut dans les circonstances et les occasions graves : il saura donc bien porter la bonne et la mauvaise fortune; dans une condition brillante et glorieuse, il se montrera digne d'elle, et si la fortune vient à changer, il saura accepter comme il faut son sort actuel. Pour exprimer ma pensée brièvement et la résumer, l'homme de bien est celui qui, en toute occasion et suivant les circonstances, joue bien son rôle et sait non seulement bien se disposer à cela lui-même, mais y disposer aussi ceux qui ont confiance en lui et sont associés à sa vie.

4. Puisque parmi les biens les uns sont désirables pour eux-mêmes et non pour autre chose, les autres sont désirables pour autre chose et non pour eux-mêmes, il doit y avoir nécessairement une troisième espèce de biens, qui sont à la fois désirables pour eux-mêmes et pour autre chose.[82] Quels sont donc ces biens[83] qui sont naturellement désirables pour eux-mêmes et non pour autre chose? Il est évident que c'est le bonheur; car c'est la fin en vue de laquelle nous recherchons toute chose, tandis que nous le recherchons uniquement pour lui-même et non en vue de rien autre. En second lieu, quels sont les biens qu'on choisit pour une autre chose et non pour eux-mêmes? Il est évident que ce sont ceux qui sont utiles[84] et qui sont les moyens de nous procurer[85] les vrais biens, qui deviennent ainsi les causes des biens en soi désirables : par exemple les fatigues corporelles, les exercices, les épreuves qui nous procurent la santé; la lecture, la méditation, l'étude qui nous procurent la vertu et les qualités de l'honnête homme.[86] Enfin, quels sont les biens qui sont à la fois désirables pour eux-mêmes et pour autre chose? Ce sont les vertus et la possession habituelle des vertus, les résolvions de l'âme, les actions et, en un mot, tout ce qui lient à l’essence du beau. Ainsi donc ce qui est à désirer pour lui-même et non pour autre chose, c'est là le seul, l'unique bien, Maintenant ce qu'on recherche et pour lui-même et pour autre chose se divise en trois classes : l'une qui a pour objet l'âme; l'autre le corps; la troisième les choses extérieures.[87] La première comprend les vertus de l'âme, la seconde les avantages du corps, la troisième les amis, la gloire, l'honneur, la richesse. Il en est de même des biens qui ne sont désirables que pour autre chose : une partie d'entre eux procure des biens à l'âme; l'autre, qui concerne le corps, des biens au corps; les biens du dehors nous fournissent la richesse, la gloire, l'honneur, l'amitié. Que c'est le propre de la vertu d'être désirable pour elle-même, on peut le prouver comme il suit : en effet si les biens naturellement inférieurs, je parle de ceux du corps, sont recherchés par nous pour eux-mêmes, et si l'âme est meilleure que le corps, il est évident que nous aimons les biens de l'âme pour eux-mêmes et non pour les effets qu'ils peuvent produire.

5. Il y a dans la vie humaine trois circonstances : celle de la prospérité, celle de l'adversité et une intermédiaire. Puisque l'homme de bien qui possède la vertu et la pratique, la met en pratique dans ces trois circonstances, à savoir : ou dans l'adversité, ou dans la prospérité, ou dans une situation intermédiaire; puisqu'en outre dans l'adversité il est malheureux, dans la prospérité il est heureux, dans l'état mixte il n'est pas heureux ; — il est évident que le bonheur n'est autre chose que l'usage de la vertu dans la prospérité.[88] Je parle ici du bonheur de l'homme. L'homme n'est pas seulement une âme; c'est aussi un corps : l'être vivant est incomposé des deux, et l'homme également; car si le corps est un instrument de l'âme, il est aussi une partie de l'homme, comme l'âme. C'est pourquoi, parmi les biens, les uns appartiennent à l'homme, les autres aux parties qui le composent. Le bien de l'homme est le bonheur; — parmi ses parties intégrantes, l'âme a pour biens la prudence, le courage, la justice, la tempérance; le corps a la beauté, la santé, la bonne disposition des membres, l'état parfait de ses sens.[89] Les biens externes sont la Les biens externes sont la richesse, la gloire, l'honneur, la noblesse, naturellement avantages de surcroît de l'homme, et naturellement subordonnés aux biens supérieurs.

Les biens inférieurs servent de satellites aux biens supérieurs : l'amitié, la gloire, la richesse, sont les satellites du corps et l'âme ; la santé, la force, la perfection des sens sont les satellites de l'âme; la prudence, le courage, la tempérance, la justice, sont les satellites de la raison de l'âme; la raison est le satellite de Dieu : celui-ci est le Tout-Puissant, le maître suprême. C'est pour ces biens que les autres doivent exister ; car l'armée obéit au général, les matelots au pilote, le monde à Dieu, l'âme à la raison, la vie heureuse à la prudence. Car la prudence n'est autre chose que la science de la vie heureuse, ou la science des biens qui appartiennent à la nature de l'homme.

6. A Dieu appartiennent le bonheur et la vie parfaite : l'homme ne peut posséder qu'un ensemble de la science, de la vertu et de la prospérité formant comme un seul corps.[90] J'appelle sagesse, σοφίαν, la science des dieux et des démons; prudence, la science des choses humaines, la science de la vie ; car il faut appeler science les vertus qui s'appuient sur des raisons et sur des démonstrations, et vertu morale, l'habitude excellente de la partie irrationnelle de rame, qui nous fait donner le nom de certaines qualités correspondantes à nos mœurs, c'est·à-dire les noms de libéraux, de justes, de tempérants; et j'appelle prospérité cette affluence des biens qui nous arrivent sans la raison, et sans que la raison en soit cause.[91] Puis donc que la vertu et la science dépendent de nous, et que la prospérité n'en dépend pas, puisque le bonheur consiste dans la contemplation et la pratique des belles choses, et que la contemplation et l'action, quand elles rencontrent des obstacles, nous prêtent un appui nécessaire, quand elles vont par une route facile, nous apportent la distraction elle bonheur; puisqu'enfin c'est la prospérité qui nous donne ces bienfaits, il est évident que le bonheur n'est pas autre chose que l'usage de la vertu dans la prospérité.

7. L'honnête homme est dans ses rapports avec la prospérité,[92] comme un homme d'un corps sain et robuste : car lui aussi est en état de supporter le chaud et le froid, de soulever un grand fardeau et d'endurer facilement beaucoup d'autres misères.

8. Puis donc que le bonheur est l'usage de la vertu dans la prospérité, parlons de la vertu et de la prospérité, et d'abord de la prospérité. Des biens, les uns ne sont pas susceptibles d'excès, par exemple la vertu ; car il n'y a jamais d'excès dans la vertu, et on n'est jamais trop homme de bien; la vertu, en effet, a pour mesure le devoir et est l'habitude du devoir dans la vie pratique.[93] La prospérité peut pécher par excès et par défaut; cet excès engendre certains maux, il fait sortir l'homme de son assiette naturelle, de façon à le mettre dans un état contraire à la vertu; et il en est ainsi non seulement de la prospérité, mais d'autres causes plus nombreuses encore produisent cet effet. Il ne faut donc pas s'étonner de voir dans l'Aulétique certains artistes impudents, négligeant l'art véritable, séduire par une fausse image les ignorants ; mais croit-on que cette race n'existe pas en ce qui concerne la vertu? Au contraire, plus la vertu est grande et belle, plus il y a de gens qui feignent de s'en parer. Il y a en effet bien des choses qui déshonorent l'apparence de la vertu : l'une est la race des gens faux qui la simulent; les autres sont les passions de la nature qui l'accompagnent, et parfois ploient en sens contraire les dispositions de l'âme; d'autres encore sont les mauvaises habitudes que le corps a enracinées ou qu'ont déposées en nous la jeunesse, ou la vieillesse, ou la prospérité, ou l'adversité, ou mille autres circonstances. De sorte qu'il ne faut pas du tout s'étonner si on juge quelquefois tout de travers, parce que la vraie nature de l'âme a été faussée en nous. De même que nous voyons un artiste, qui parait excellent, se tromper dans les ouvrages exposés à nos yeux; et de même le général, le pilote, le peintre et tous les autres en général, se peuvent tromper, sans que pour cela nous leur enlevions le talent acquis ; de même il ne faut pas compter parmi les malhonnêtes gens celui qui a eu un instant de faiblesse, ni parmi les honnêtes gens celui qui a fait une seule bonne action; mais il faut tenir compte pour les méchants du hasard, pour les bons de l'erreur, et pour porter un jugement équitable et juste, ne pas regarder une seule circonstance ni une seule période de temps, mais la vie tout entière.[94]

De même que le corps souffre et de l'excès et du défaut, mais que cependant l'excès et ce qu'on appelle les superfluités engendrent naturellement de plus grandes maladies ; de même l'âme souffre et de la prospérité et de l'adversité quand elles arrivent à contretemps, et cependant les maux les plus grands lui viennent de ce qu'on appelle une prospérité absolue, parce que, semblable au vin, elle jette dans l'ivresse la raison des honnêtes gens.

9. C'est pour cela que ce n'est pas l'adversité mais la prospérité qu'il est le plus difficile de supporter comme il faut. Tous les hommes, quand ils sont dans l'adversité, pour la plupart du moins, paraissent être modérés et modestes; et dans la bonne fortune, ambitieux, orgueilleux, superbes. Car l'adversité sait rabattre l'âme et la ramener en elle-même; la prospérité, au contraire, l'élève et l'enfle; c'est pourquoi tous les misérables sont dociles aux conseils et prudents de conduite, le gens heureux sont hardis et aventureux.

10. Il y a donc une mesure, une limite de prospérité, c'est celle que l'honnête homme doit désirer avoir pour auxiliaire dans l'accomplissement de ses actions; de même qu'il y a une mesure à la grandeur du navire, et à la longueur du gouvernail : c'est celle qui permet au pilote expérimenté de traverser une immense étendue -de mer, et de mener à bonne fin un grand voyage.

L'excès de la prospérité fait que, même chez les honnêtes gens, l'âme n'est pas la maîtresse, mais au contraire que la prospérité est la maîtresse de l'âme : de même qu'une trop vive lumière éblouit les yeux, de même une prospérité trop grande éblouit la raison de l'âme. En voilà assez sur la prospérité.

FRAGMENT 18.[95]

Je soutiens que la vertu est suffisante pour ne pas être malheureux, que la méchanceté est suffisante pour empêcher d'être heureux, si nous savons bien juger du véritable état de l'âme dans ces deux conditions; car nécessairement le méchant est toujours malheureux, qu'il soit dans l'abondance[96] — car il sait mal en user, — ou qu'il soit dans l'indigence; comme un aveugle est toujours aveugle, qu'il soit dans la clarté et la lumière, ou dans l'obscurité. Mais l'homme de bien n'est pas toujours heureux : car ce n'est pus la possession de la vertu qui constitue le bonheur, c'est l'usage qu'on en fait; en effet, celui qui a la vue ne voit pas toujours : si la lumière ne l'éclaire pas, il ne verra pas.

Deux chemins sont comme percés dans la vie : l'un plus rude, que suivit le patient Ulysse, l'autre plus agréable où marcha Nestor : je dis que la vertu désire l'un, mais peut aussi suivre l'autre. Mais la nature crie bien haut que le bonheur c'est la vie en soi désirable et dont l'état est assuré, parce qu'on y peut réaliser ses desseins; en sorte que si la vie est traversée par des choses qu'on n'a pas désirées, on n'est pas heureux sans être cependant absolument malheureux.[97] Qu'on n'ait donc pas la hardiesse de soutenir que l'homme de bien est exempt de la maladie, de la souffrance ; qu'on n'ose pas dire qu'il 'ne connaît pas la douleur;[98] car si nous laissons quelques causes de douleur au corps, nous en devons laisser aussi à l'âme. Les chagrins des insensés sont dépourvus de raison et de mesure; tandis que ceux des sages sont renfermés dans la mesure que la raison donne à toute chose;[99] mais cette insensibilité tant vantée[100] énerve le caractère de générosité de la vertu, quand elle brave les épreuves, les grandes douleurs, quand elle s'est exposée à la mort, à la souffrance, à la pauvreté; car il est facile de supporter les petits malheurs. Il faut donc pratiquer la métriopathie, de manière à éviter l'insensibilité comme la trop grande sensibilité à la douleur, et ne pas enfler en paroles notre force au-dessus de la mesure de la nature humaine.[101]

FRAGMENT 19.[102]

On peut dire que la philosophie est le désir de savoir et de comprendre les choses elles-mêmes, uni à la vertu pratique, inspirée par l'amour de la science et réalisée par elle. Le commencement de la philosophie est la science de la nature; le milieu, la vie pratique; le terme, la science même. C'est une chance heureuse d'être bien né, d'avoir reçu une bonne éducation, d'avoir été habitué à obéir à une règle juste, et d'avoir des mœurs conformes à la nature. Il faut en outre avoir été exercé à la vertu, avoir été entre les mains de parents, de gouverneurs, de maîtres sages. Il est beau de s'imposer aussi à soi-même la règle du devoir, de n'avoir pas besoin d'une contrainte, d'être docile à ceux qui nous donnent de bons conseils en ce qui concerne la vie et la science. Car une heureuse disposition de la nature, une bonne éducation, sont souvent plus puissantes que les leçons pour nous conduire au bien : il n'y manque que la lumière efficace de la raison, que la science nous donne.[103] Il y a deux directions rivales de la vie qui se disputent la préférence : la vie pratique et la vie philosophique.[104] La plus parfaite de beaucoup est celle qui les réunit toutes deux et, dans chaque voie différente, se prête et s'harmonise aux circonstances. Nous sommes nés pour une activité rationnelle, que nous appelons pratique. La raison pratique nous conduit à la politique; la raison théorique, à la contemplation de l'universalité des choses. L'esprit lui-même, qui est universel, embrasse ces deux puissances nécessaires au bonheur, que nous définissons l'activité de la vertu dans la prospérité : ce n'est exclusivement ni une vie pratique qui exclurait la science, ni une vie spéculative qui exclurait la pratique. La raison parfaite incline vers ces deux principes tout-puissants, pour lesquels l'homme est né, le principe de la société et le principe de la science; car si ces principes opposés paraissent dans leur développement se choquer l'un contre l'autre, les principes politiques détournant de la politique, les principes spéculatifs détournant de la spéculation pour nous persuader de vivre dans le repos, néanmoins la nature rapprochant les fins de ces deux mouvements nous les montre unis en un seul; car les vertus ne sont pas contradictoires et antipathiques les unes aux autres : nulle harmonie n'est plus harmonieuse que l'harmonie des vertus. Si l'homme, dès sa jeunesse, s'est soumis aux principes des vertus et à la loi divine de l'harmonie du monde, il mènera une vie d'un cours facile; et si, par son propre penchant, il incline vers le mal, et qu'il ait le bonheur de rencontrer des guides meilleurs, il pourra, rectifiant sa course, arriver au bonheur, comme des passagers favorisés par le sort achèvent une heureuse traversée, grâce au pilote; et l'heureuse traversée de la vie, c'est le bonheur. Mais s'il ne peut connaître par lui-même ses vrais intérêts, s'il n'a pas la chance de rencontrer des directeurs prudents, qu'importe qu'il ait d'immenses trésors; car l'insensé, eût-il pour lui toutes les autres chances, est éternellement malheureux. Et puisqu'en toute chose il faut avant tout considérer la fin — (c'est ce que font les pilotes qui ont toujours présent à l'esprit le port où ils doivent faire aborder le vaisseau, les cochers qui ont toujours l'œil sur le terme de la course, les archers et les frondeurs qui regardent le but — car c'est le but, où doivent concourir tous leurs efforts), il faut nécessairement que la vertu se propose un certain but, un certain objet, qui soit comme l'art de vivre ; et c'est le nom que je lui donne dans les deux directions qu'elle peut prendre. Ce but, c'est, pour la vie pratique, le meilleur ; pour la vie philosophique,[105] le bien parfait, que les sages, dans les affaires humaines, appellent le bonheur. Ceux qui sont dans la misère ne sont pas capables de juger du bonheur suivant des idées exactes, et ceux qui ne le voient pas clairement ne sauraient le choisir. Ceux qui placent le souverain bien dans le plaisir en sont punis par la folie, ceux qui recherchent avant tout l'absence de la douleur, reçoivent aussi leur châtiment, et pour tout dire en un mot, c'est s'exposer à tous les tourbillons de la tempête que de mettre le bonheur de la vie dans les jouissances du corps ou dans un état de l'âme où elle ne réfléchit plus. Ils ne sont pas beaucoup plus heureux, ceux qui suppriment le Beau moral, en écartant toute discussion, toute réflexion à ce sujet, et recherchant, en les honorant comme le beau même, le plaisir, l'absence de la douleur, les jouissances physiques primitives et simples,[106] les inclinations irréfléchies du corps comme de l'âme ; car ils commettent une double faute, en rabaissant le bien de l'âme et ses fonctions supérieures au niveau de celui du corps, et en élevant le bien du corps au haut degré que doit occuper la jouissance de l'âme. Par un discernement exact de ces biens, il faut mesurer à l'élément divin et à la nature, à chacun sa part. Pour eux, ils n'observent pas ce rapport de dignité du meilleur au moins bon. Mais nous le faisons, nous, en disant que si le corps est l'organe de l'âme, la raison est le guide de l'âme tout entière, la maîtresse du corps, cette tente de l'âme, et que tous les autres avantages physiques ne doivent servir que d'instruments à l'activité intellectuelle, si l'on veut qu'elle soit parfaite en puissance, en durée, en richesse.[107]

FRAGMENT 20.[108]

Voici quelles sont les conditions les plus importantes pour devenir un homme sage : d'abord, il faut avoir reçu du sort un esprit doué de facilité à comprendre, de mémoire et ami du travail; il faut ensuite exercer son intelligence, dès la jeunesse, par la pratique de l'argumentation, par les études mathématiques et les sciences exactes.[109] Puis on doit étudier la saine philosophie ; après quoi on peut aborder la connaissance des dieux, des lois et de la vie humaine. Car il y a deux moyens d'arriver à cet état qu'on appelle la sagesse : l'un est d'acquérir l'habitude du travail intellectuel et le goût du savoir ; l'autre est de chercher à voir beaucoup de choses, de se mêler fréquemment aux affaires et de les connaître, soit directement et par soi-même, soit par quelque autre moyen. Car ni celui qui, dès sa jeunesse, a exercé sa raison par les raisonnements dialectiques, les études mathématiques et les sciences exactes, n'est encore apte à la sagesse, ni celui qui a négligé ces travaux et n'a fait qu'écouter les autres et se plonger dans les affaires. L'un est devenu aveugle, quand il s'agit de juger des faits particuliers; l'autre, quand il s'agit de saisir le général. De même que dans les calculs, c'est en combinant les parties qu'on peut obtenir le tout ; de même, dans la pratique des affaires, la raison peut bien vaguement ébaucher la formule générale; mais l'expérience seule peut nous permettre de saisir les détails et les faits individuels.

FRAGMENT 21.[110]

La vieillesse est dans le même rapport[111] à la jeunesse. La jeunesse rend les hommes énergiques, la vieillesse les rend prudents; elle ne laisse jamais échapper par imprudence une pensée; elle réfléchit sur ce qu'elle a fait; elle considère mûrement ce qu'elle doit faire, afin que cette comparaison de l'avenir avec le présent et du présent avec l'avenir lui permette de bien se conduire. Elle applique au passé la mémoire, au présent la sensation, à l'avenir la prévoyance; car notre mémoire a toujours pour objet le passé, la prévoyance l'avenir, la sensation le présent. Il faut donc que celui qui veut mener une vie honnête et belle ait non seulement des sens, de la mémoire, mais encore de la prévoyance.

 

FRAGMENTS POLITIQUES.

 

FRAGMENT 22.[112]

1. Aux lois[113] des méchants et des athées s'opposent les lois non écrites des dieux, qui infligent des maux et des châtiments terribles à ceux qui ne leur obéissent pas. Ce sont ces lois divines qui ont engendré et qui dirigent les lois et les maximes écrites qui sont données aux hommes.

2.[114] La loi est, par rapport à l'âme et à la vie de l'homme, ce que l'harmonie est par rapport à l'ouïe et à la voix ; car la loi instruit l'âme, et par là règle la vie, comme l'harmonie, en faisant l'éducation de l'oreille, règle la voix. Toute société, suivant moi, est composée de celui qui commande, de celui qui est commandé et en troisième lieu des lois. Parmi les lois, l'une est vivante, c'est le roi; l'autre est inanimée, c'est la lettre écrite. La loi est donc l'essentiel; c'est par elle que le roi est légitime, que le magistrat est régulièrement institué, que celui qui est commandé conserve sa liberté, que la communauté tout entière est heureuse. Quand elle est violée, le roi n'est plus qu'un tyran, le magistrat est sans droit, celui qui est commandé tombe en esclavage, la communauté tout entière dans le malheur. Les actes humains sont comme un tissu mêlé et formé du commandement, du devoir, de l'obéissance et de la force capable de vaincre la résistance. Le commandement appartient essentiellement au meilleur; être commandé est le fait de l'inférieur : la force appartient à tous deux ; car la partie raisonnable de l'âme commande et ι la partie irrationnelle est commandée : toutes les deux ont la force de vaincre les passions. C'est de la coopération harmonieuse de ces deux parties que naît la vertu, qui, en la détournant des plaisirs et des tristesses, conduit l'âme au repos et à l'apathie.[115]

3.[116] Il faut que la loi soit conforme à la nature, qu'elle exerce une puissance effective sur les choses et soit utile à la communauté politique; car si l'un de ces caractères, ou deux, ou tous lui manquent, ce n'est plus une loi, ou du moins ce n'est plus une loi parfaite. Elle est conforme à la nature, si elle est l'image du droit naturel, qui se proportionne, et attribue à chacun suivant son mérite ; elle est puissante, si elle est en harmonie avec les hommes qui lui doivent être soumis; car il y a beaucoup de gens qui ne sont pas aptes à recevoir ce qui est par nature le premier des biens, et qui ne sont en état de pratiquer que le bien qui est en rapport avec eux et possible pour eux;[117] car c'est ainsi que les gens malades et souffrants doivent être soignés. La loi est utile à la société politique, si elle n'est pas monarchique, si elle ne constitue pas des privilèges, si elle est faite dans l'intérêt de tous, et s'impose également à tous. Il faut aussi que la loi ait égard aux pays et aux lieux, car tous les sols ne sont pas en état de donner les mêmes fruits, ni toutes les âmes humaines les mêmes vertus. C'est pourquoi les uns fondent le droit aristocratique, les autres le droit démocratique, les autres le droit oligarchique. Le droit aristocratique, fondé sur la proportion subcontraire, est le plus juste, car cette proportion donne aux plus grands termes les plus grands rapports et aux plus petits termes les plus petits rapports. Le droit démocratique est fondé sur la proportion géométrique, dans laquelle les rapports des grands et des petits sont égaux. Le droit oligarchique et tyrannique est fondé sur la proportion arithmétique qui, opposée de la subcontraire, attribue aux plus petits termes les plus grands rapports et aux plus grands termes les plus petits rapports. Telles sont les espèces de proportions,[118] et l'on en aperçoit l'image dans les constitutions politiques et dans les familles; car, ou bien les honneurs, les châtiments, les vertus sont attribués également aux grands et aux petits, ou bien ils le sont inégalement, d'après la supériorité, soit en vertu, soit en richesse, soit en puissance. La répartition égale est le fait de la démocratie ; la répartition inégale, celui de l'aristocratie et de l'oligarchie.

4.[119] La loi et la constitution la meilleure doit être un composé de toutes les autres constitutions et avoir quelque chose de démocratique, quelque chose d'oligarchique, quelque chose de monarchique et d'aristocratique, comme cela avait lieu à Lacédémone; car les rois y étaient l'élément monarchique, les gérontes y représentaient l'aristocratie, les éphores l'oligarchie, les généraux de la cavalerie et les jeunes hommes la démocratie. Il faut donc que la loi soit non seulement belle et bonne, mais encore que ses différentes parties se fassent mutuellement opposition ; c'est ainsi qu'elle sera puissante et durable; et par cette opposition, j'entends qu'une môme magistrature commande et soit commandée, comme dans les sages lois de Lacédémone; car la puissance des rois y.est balancée par les éphores, celle des éphores par les gérontes, et entre ces deux puissances se placent les généraux de la cavalerie et les jeunes hommes,[120] qui, aussitôt qu'ils voient prendre trop de prépondérance à un parti, vont se porter de l'autre côté.

Il faut que la loi statue d'abord sur ce qui concerne les dieux, les démons, les parents, en un mot sur tout ce qui est honnête et estimable; en second lieu, sur ce qui est utile. Il est de l'ordre que les règlements secondaires viennent après les meilleurs et que les lois soient inscrites, non dans les maisons et sur les portes, mais dans les profondeurs de l'âme des citoyens. Car même à Lacédémone, qui a des lois excellentes, on n'administre pas l'État par de nombreuses ordonnances écrites. La loi est utile à la communauté politique, si elle n'est pas monarchique et n'a pas pour but un intérêt privé, si elle est utile à tous, étend à tous son obligation, et dans les châtiments vise à faire honte au coupable et à le marquer d'infamie, plutôt qu'à lui enlever ses richesses. Si, en effet, c'est par l'ignominie qu'on cherche à punir le coupable, les citoyens s'efforcent de mener une vie plus sage et plus honnête, pour ne pas encouru le châtiment de la loi ; si c'est par les amendes pécuniaires, ils estimeront par-dessus tout les richesses, comprenant que c'est le meilleur moyen de réparer leurs fautes. Le mieux serait que l'État fût organisé tout entier de telle sorte qu'il n'eût besoin en rien des étrangers, en ce qui concerne sa vertu et sa puissance, ni pour quelque autre cause que ce soit. De même que la bonne constitution d'un corps, d'une maison, d'une armée, c'est d'avoir en soi-même et non en dehors de soi le principe de son salut; car par là le corps est plus vigoureux, la maison mieux ordonnée, l'armée n'est ni mercenaire ni mal exercée. Les êtres ainsi organisés sont supérieurs aux autres; ils sont libres, affranchis de la servitude, s'ils n'ont pas besoin, pour se conserver, de beaucoup de choses, mais n'ont que peu de besoins faciles à satisfaire. Par là l'homme vigoureux devient en état de porter de lourds fardeaux, l'athlète de résister au froid ; car les événements et les malheurs exercent les hommes. L’homme tempérant, qui a mis à l'épreuve son corps et son âme, trouve agréables, toute nourriture, tout breuvage, même un lit de feuilles. Celui qui a mieux aimé vivre dans les délices et comme un sybarite, finit par dédaigner et rejeter loin de lui, même la magnificence du grand roi. Il faut donc que la loi pénètre profondément dans les âmes, dans les mœurs des citoyens ; elle les rendra contents de leur sort et donnera à chacun, suivant son mérite, ce qui lui appartient. C'est ainsi que le soleil, en parcourant le cercle du zodiaque, distribue à tout ce qui est sur la terre la génération, la nourriture, la vie, dans la mesure qui convient, et institue cette sage législation qui règle la succession des saisons. C'est pourquoi on donne à Jupiter les noms de Νόμιος, de Νεμήῖος, et on appelle Νομεύς; (pâtre), celui qui distribue leur nourriture aux brebis; c'est pourquoi on appelle Νόμοι les vers chantés des citharèdes, car ces vers mettent l'ordre dans l'âme, parce qu'ils sont chantés suivant les lois de l'harmonie, du rythme, de la mesure.

FRAGMENT 23.[121]

Le vrai chef doit non seulement avoir la science et la puissance de bien commander, il faut encore qu'il aime les hommes; car il est contradictoire qu'un berger haïsse son troupeau et soit animé de sentiments hostiles pour ceux qu'il élève. Il faut, en outre, qu'il soit légitime; c'est seulement ainsi qu'il pourra soutenir la dignité du chef. Sa science lui permettra de bien discerner, sa puissance de punir, sa bonté de faire du bien, et la loi de tout faire suivant la raison. Le meilleur chef serait celui qui se rapprocherait le plus de la loi, car il n'agirait jamais dans son intérêt et toujours dans l'intérêt des autres, puisque la loi n'existe pas pour elle-même, mais pour ceux qui lui sont soumis.

FRAGMENT 24.

V. plus haut : Fragm. 22. 1.

FRAGMENT 25.[122]

L'art de réfléchir, quand on l'eut découvert, a fait cesser les dissensions et augmenter la concorde; lorsqu'on le possède, l'orgueil de la prédominance fait place au sentiment de l'égalité. C'est par la réflexion que nous arrivons à nous réconcilier dans les conventions à l'amiable; car c'est par elle que les pauvres reçoivent des riches, que les riches donnent aux nécessiteux, chacun ayant confiance qu'il possède l'égalité des droits.

FRAGMENT 26.

La réflexion est comme une règle, qui empêche et détourne les gens qui savent réfléchir de commettre des injustices, parce qu'elle les convainc qu'ils ne pourront rester ignorés s'ils exécutent leurs projets; et la peine qui frappe ceux qui n'ont pas su s'abstenir, les fait réfléchir et les empêche de récidiver.[123]

 

FRAGMENTS LOGIQUES.

 

FRAGMENT 27.[124]

La logique,[125] comparée aux autres sciences, l'emporte de beaucoup sur elles, et réussit mieux même que la géométrie à démontrer ce qu'elle se propose ; là où la démonstration géométrique échoue, la logique y arrive; et, en outre, la logique, si elle traite des genres, traite aussi des accidents du genre.[126]

FRAGMENT 28.[127]

C'est, à mon sens, une erreur complète de soutenir qu'il y a sur toute chose deux opinions contraires l'une à l'autre et qui sont également vraies. Et d'abord, je considère comme impossible que, si les deux opinions sont vraies, elles soient contraires l'une à l'autre, et que le beau soit contraire au beau, le blanc au blanc. Il n'en peut être ainsi; mais le beau et le laid, le blanc et le noir, voilà des contraires. De même, le vrai est contraire au faux, et l'on ne peut pas produire deux opinions (contraires) ou vraies ou fausses : l'une est vraie, l'autre est fausse. En effet, celui qui loue l'âme de l'homme et accuse son corps ne parle pas du même objet, à moins qu'on ne prétende que parler du ciel, soit la même chose que parler de la terre. Mais non, ce sont là deux termes et non un seul. Que veux-je donc ici montrer? C'est que celui qui dit que les Athéniens sont des gens habiles, de beaucoup d'esprit, et celui qui dit qu'ils ne sont pas reconnaissants, ne soutiennent pas des opinions contraires, car les contraires sont opposés l'un à l'autre sur un même objet, et ici il γ a deux objets.[128]

FRAGMENT 29.

Les dix notions universelles d’Archytas.[129] — D'abord toute espèce d'art porte sur cinq choses : la matière, l'instrument, la partie, la définition, la fin. La première notion, la substance, est une chose existant et subsistant par soi-même, et n'a pas besoin d'une autre chose pour son essence, quoiqu'elle soit soumise à la génération, en tant qu'elle est une chose qui naît; car le divin seul est incréé et véritablement subsistant par lui-même; c'est parce que les autres notions sont considérées par rapport à la substance que celle-ci, par opposition à elles, est dite une chose subsistant par elle-même; mais elle ne l'est pas par rapport au divin. Les neuf notions paraissent et disparaissent sans entraîner la perte du sujet, du substrat, et c'est là ce qu'on appelle l'accident, l'accident universel. Car un même objet, qui devient grand ou petit selon la quantité, ne perd pas pour cela sa propre nature. Ainsi, un trop bon régime donne au corps un développement et une grosseur excessifs; la sobriété et la privation de nourriture l'amaigrissent; mais c'est toujours le même corps, le même substrat. De même encore, les hommes qui de l'enfance passent à la jeunesse sont toujours les mêmes quant à la substance, et ne diffèrent que de quantité. Le même objet qui devient tantôt blanc, tantôt noir, change pour la vue de qualité,[130] sans changer d'essence. Le même homme, tantôt mon ami, tantôt mon ennemi, change dans ses dispositions et dans ce qu'on appelle la relation, mais ne change pas dans son essence; être aujourd'hui à Thèbes, demain à Athènes, ne change rien à l'être substantiel. De même encore, on reste aujourd'hui le même, sans changement quant à l'essence, qu'on était hier : le changement n'a eu lieu que dans le rapport du temps;[131] l'homme qui est debout est le même qui était assis, il n'a changé que de situation;[132] être en armes, être sans armes, n'est qu'un changement de possession ; celui qui frappe et qui coupe est toujours le même homme quant à l'essence, il n'a changé que d'acte ; celui qui est frappé ou coupé — ce qui appartient à la catégorie de la passion — garde, sans changement, son essence.

Les différences des autres catégories sont plus claires ; celles de la qualité, de la possession, de la passion présentent quelques difficultés dans les différences, car on hésite sur la question de savoir si avoir la fièvre, frissonner, se réjouir appartiennent à la catégorie de la qualité, de la possession ou de la passion. Il faut distinguer: si nous disons, c'est la fièvre, c'est le frisson, c'est la joie, nous exprimons la qualité; si nous disons, il a la fièvre, le frisson, il a de la joie, c'est la possession. La possession diffère à son tour de la passion, en ce que la possession peut se concevoir par elle-même sans l'agent. La passion est un rapport à l'agent et ne se comprend que par celui qui la produit; si nous disons, il est coupé ou battu, nous exprimons le patient; si nous disons, il souffre, nous exprimons la possession.

Nous disons qu'il a dix notions universelles et pas davantage,[133] comme on peut s'en convaincre par la division suivante : l'être est dans un sujet (une substance) ou n'est pas dans un sujet; celui qui n'est pas dans un sujet forme la substance;[134] celui qui est dans un sujet ou est conçu par lui-même, ou n'est pas conçu par lui-même; celui qui n'est pas conçu par lui-même constitue la relation, car les êtres relatifs, qui ne sont pas conçus par eux-mêmes, mais qui amènent forcément l'idée d'un autre être, sont ce qu'on appelle les rapports, σχέσεις;. Ainsi, le terme de fils amène forcément la notion de père, celui d'esclave celle de maître, et de même tous les êtres relatifs, πρός τι, sont conçus dans un lien nécessaire avec autre chose, et non par eux-mêmes. L'être qui est conçu par soi-même ou bien est divisible, et alors il constitue la quantité ; ou il est indivisible, et alors il constitue la qualité. Les six autres notions sont produites par le mélange des premières. La substance mêlée à la quantité, si elle est vue dans le lieu, constitue la catégorie du où; si elle est vue dans le temps, constitue celle du quand. Mêlée à la qualité, la substance, ou bien est active et forme la catégorie de l'action, ou elle est passive, et forme celle de la passion. Combinée avec la relation, ou bien elle est posée dans un autre, et c'est ce qu'on appelle la situation, ou elle est attribuée à un autre, et c'est ce qu'on appelle la possession. Quant à l'ordre des catégories, la quantité est placée après la substance et avant la qualité, parce que, par une loi naturelle, toute chose qui reçoit la qualité, reçoit aussi la masse, et que c'est d'une chose ainsi déterminée[135] qu'on peut affirmer et exprimer la qualité. A son tour, la qualité précède la relation, parce que l'une est par soi-même, l'autre par un rapport ; et il faut d'abord concevoir et exprimer une chose par elle-même, avant dé la concevoir et de l'exprimer dans un rapport. A la suite de ces universaux viennent les autres. L'action précède la passion, parce qu'elle est une force plus grande; la catégorie de la situation précède celle de la possession, parce qu’être posé est une chose plus simple qu'être attribué, et qu'on ne peut concevoir une chose attribuée à une autre, sans concevoir la première comme posée quelque part. Celui qui est posé est aussi dans une situation, dans une situation quelconque, soit debout, soit assis, soit couché. Le propre de la substance est de ne pas admettre le plus et le moins, — l'homme n'est pas plus animal que le cheval par la substance, — et de ne pas admettre les contraires. Le propre de la qualité est d'admettre le plus et le moins, car on dit : plus et moins blanc, plus et moins noir. Le propre de la quantité, c'est d'admettre l'égal et l'inégal, car la palme n'est pas égale à l'arpent, et trois fois quatre doigts[136] valent la palme ; cinq n'est pas- égal à dix et deux fois cinq est égal à dix. Le propre de la relation est de réunir les contraires, car s'il y a un père, il y a un fils, et s'il y a un maître, il y a un esclave. Le propre du où est d'envelopper, du quand de ne pas demeurer, de la situation d'être posé, de la possession d'être attribué. Le composé de la substance et de la quantité est antérieur au composé de la qualité ; le composé de la substance et de la qualité est à son tour antérieur à celui de la substance et de la relation. Le où précède le quand, parce que le où suppose le lieu qui a fixité et permanence ; le quand se rapporte au temps, et le temps, toujours en mouvement, n'a aucune fixité, et le repos est antérieur au mouvement. L'action est antérieure à la passion, la situation à la possession.

1. Catégorie de la substance.

La substance se divise en substance corporelle et substance incorporelle ; la substance corporelle en corps animé et corps inanimé; les corps animés en corps doués de sensation et corps privés de sensation; les corps doués de sensation en animaux et zoophytes, lesquels ne se divisent plus par des différences opposées.[137] Cependant l'animal se divise en raisonnable et irraisonnable ; l'animal raisonnable en mortel et immortel; le mortel dans les subdivisions enfermées sous l'espèce, telles que homme, bœuf, cheval et le reste. Les espèces se divisent en individus qui n'ont aucune valeur propre.[138] Chacune des sections que nous avons obtenues plus haut par des divisions opposées est susceptible d'être également divisée à son tour, jusqu'à ce qu'on arrive aux individus indivisibles et qui ne sont d'aucun prix.[139]

2. Catégorie de la quantité.

La quantité se divise en sept parties : la ligne, la surface, le corps, le lieu, le temps, le nombre, le langage. La quantité est ou continue ou discrète; il y a cinq quantités continues et deux discrètes, le nombre et le langage. Dans la quantité, on distingue celle qui est composée de parties ayant position les unes par rapport aux autres,[140] telles que la ligne, la surface, le corps, le lieu ; et celles dont les parties n'ont pas de position, comme le nombre, le langage et le temps ; car, quoique le temps soit une quantité continue, cependant ses parties n'ont pas de position, parce qu'il n'est pas permanent, et que ce qui n'a pas de permanence ne saurait avoir de position. La quantité a donné naissance à quatre sciences : la quantité continue immobile constitue la géométrie ; mobile, l'astronomie; la quantité discrète immobile constitue l'arithmétique; mobile, la musique.

3. Catégorie de la qualité.

La qualité se divise[141] en manière d'être, ἕξιν, et affection, διάθεσιν, qualité passive et passion, puissance et impuissance, figure et forme. La manière d'être est l'affection à un état de tension énergique, c'est la permanence, la fixité provenant delà continuité et de l'énergie de l'affection ; c'est l'affection devenue pour ainsi dire la nature, une seconde nature enrichie. On appelle aussi manière d'être, les qualités que la nature nous donne, et qui ne viennent ni de l'affection, ni du progrès naturel de l'être, comme la vue et les autres sens. La qualité passive comme la passion, est accroissement, intensité, affaiblissement. On rapporte à la qualité passive et à la passion, la colère, la haine, l'intempérance, les autres passions vicieuses, les affections maladives, la chaleur et le froid : mais tantôt on les range dans la catégorie de la manière d’être et de l'affection, tantôt de la qualité passive et de la passion.[142] On peut dire qu'en tant que l'affection est communicable, on peut l'appeler manière d'être ; en tant qu'elle cause une passion, on peut l'appeler qualité passive, mot qui se rapporte à sa permanence et à sa fixité. Car une modification renfermée dans la mesure s'appelle passion, πάθος. Ainsi, de celui à qui elle est communiquée, la chaleur tirerait le nom de manière d'être : ἕξιν; de la cause qui produit la modification,[143] on dira que c'est la qualité passive ou la puissance de la passion, comme lorsqu'on dit de l'enfant : qu'il est coureur en puissance, philosophe en puissance, et, en un mot, lorsqu'à un moment donné l'être n'a pas la force d'agir, mais qu'il est possible qu'après une période[144] de temps écoulée cette puissance lui appartienne. L'impuissance c'est lorsque la nature se refuse à la possibilité d’accomplir certains actes, comme l’homme est impuissant à voler, le cheval à parler, l’aigle à vivre dans l’eau, et toutes les impossibilités naturelles.

On appelle figure, une conformation d’un caractère déterminé; forme, la qualité se montrant extérieurement par la couleur, ou la beauté ou la laideur se montrant à la surface par la couleur, et, en un mot, toute forme apparente déterminée sautant aux yeux. Il y en a qui limitent la figure aux choses inanimées, et réservent la forme aux êtres vivants. Les uns disent que le mot figure donne l’idée de la dimension de profondeur; et que la forme ne s’applique qu’à l’apparence superficielle: mais vous avez été instruits de tout cela.[145]

4. Catégorie de la relation.

Les relatifs se divisent d’une manière générale en quatre classes: la nature, l’art, le hasard, la volonté. C’est une relation de nature que celle du père au fils, d’art que celle du maître au disciple, de hasard que celle de l’esclave au maître, de volonté que celle de l’ami à l’ami et de l’ennemi à l’ennemi, quoi qu’on puisse dire aussi qu’elles sont toutes naturelles.[146]

5. Catégorie du .

La vision la plus simple est en six : le haut, le bas, en avant, par derrière, à droite, à gauche. Chacune de ces subdivisions a des variétés: ainsi dans le haut, il y a de nombreuses différences, dans l'air, dans les astres, jusqu'au pôle, au delà du pôle; et ces différences se répètent dans le bas; les lieux eux-mêmes infiniment divisés sont soumis en outre à une infinité de différences : mais ce point très ambigu sera expliqué.

6. Catégorie du quand.

Le quand se divise en présent, passé, futur. Le présent est indivisible, le passé se divise en neuf subdivisions, le futur en cinq : nous en avons parlé plus haut.

7. Catégorie de l'action.

L'action se divise en acte, discours, pensée; l'action en œuvre des mains, œuvre des broches[147] et outils, œuvre des pieds : et, chacune de ces divisions se divise elle-même en œuvres propres qui ont aussi leurs parties. Le langage se divise en langue grecque, et langue barbare, et chacune de ces divisions a ses variétés, c'est-à-dire ses dialectes. La pensée se divise en un monde infini de pensées qui ont pour objet, les unes le monde, les autres, les choses hypercosmiques. Le langage et la pensée appartiennent vraiment à l'action,[148] car ce sont des actes de la nature raisonnable; en effet si on nous dit : que fait un tel? nous répondons : il cause, il converse, il pense, il réfléchit et ainsi du reste.

8. Catégorie de la passion.

La passion se divise en passions de l'âme et passions du corps, et chacune en passions qui proviennent de l'action d'un autre, comme par exemple lorsque quelqu'un est frappé; et en passions qui naissent sans l'intervention active d'un autre, lesquelles reçoivent mille formes diverses.

9. Catégorie de la situation.

La situation se divise en trois : être debout, assis, couché:[149] et chaque division est à son tour subdivisée par les différences de place. Car on est debout ou sur ses pieds, ou sur le bout des doigts; ou le jarret tendu, ou le genou courbé ; la station diffère encore soit que les pas sont égaux, ou qu'ils soient inégaux ; qu'on marche sur ses deux pieds ou sur un seul. Etre assis a les mêmes différences ; car étant assis on peut être droit, penché, renversé ; la position des genoux peut faire un angle droit ou un angle obtus; les pieds peuvent être posés l'un par-dessus l'autre, ou autrement. Etre couché de même : car on est couché à la renverse, la tête penchée en avant, ou de côté, le corps étendu, ou présentant soit une figure courbe, soit une figure angulaire. Ces divisions sont loin d'être uniformes ; elles sont au contraire très variées. La position est encore sujette à d'autres divisions : car un objet peut être répandu comme le blé, le sable, l'huile, l'eau, et tous les autres solides, susceptibles de position, et tous les liquides que nous connaissons. Cependant être étendu appartient à la position, comme la toile et les filets.

10. Catégorie de la possession.

Avoir, se dit des choses qu'on met sur soi, comme se chausser, s'armer, se couvrir; des choses qu'on met dans d'autres, et on l'applique au boisseau, à la bouteille, aux autres vases : car on dit que le boisseau a de l'orge, que la bouteille a du vin; il se dit aussi de la richesse, des possessions; on dit : qu'il a de la fortune, des champs, des bestiaux et autres choses de même nature.[150]

FRAGMENT 30.[151]

L'ordre des catégories est le suivant : au premier rang est placée la substance, parce qu'elle seule sert de substrat à toutes les autres, qu'on peut la concevoir seule et par elle-même, et que les autres ne peuvent être conçues sans elle : car tous les attributs ont en elle leur sujet, ou sont affirmés d'elle. La seconde est la qualité : car il est impossible qu'une chose ait une qualité sans avoir une essence.

FRAGMENT 31.[152]

Toute substance physique et sensible par sa nature même, doit, pour être conçue par l'homme, ou bien être placée dans les catégories, ou être déterminée par elles, et ne peut être conçue sans elles.

FRAGMENT 32.[153]

La substance a trois différences : l'une consiste dans la matière, l'autre dans la forme, la troisième dans le mixte de l'une et de l'autre.[154]

FRAGMENT 33.[155]

Ces notions, ces catégories ont des caractères communs et des caractères propres. Je dis que ce sont des caractères communs à la substance, de ne pas recevoir le plus et le moins ; car il n'est pas possible qu'on soit plus ou moins homme, Dieu ou plante ; de ne pas avoir de contraires; car l'homme n'est pas le contraire de l'homme, ni le Dieu d'un Dieu ; il n'est pas non plus contraire aux autres substances, d'être par soi, et de ne pas être dans un autre, comme la couleur glauque ou bleue est le propre de la substance de l'œil, puisque toute substance est par soi. Toutes les choses qui lui appartiennent intimement, ou les accidents sont en elle ou ne peuvent être sans elle.... à la qualité conviennent plusieurs des caractères delà substance, par exemple de ne pas recevoir le plus ou moins.

FRAGMENT 34.[156]

C'est le propre de la substance de rester identique à elle-même, une en nombre, et d'être susceptible des contraires. La veille est contraire au sommeil, la lenteur à la vitesse, la maladie à la santé; et le même homme, un numériquement, est susceptible de toutes ces différences. Car il s'éveille, dort, se meut lentement ou vite, est bien portant, malade, peut, en un mot, recevoir tous les contraires semblables, pourvu que ce ne soit pas en même temps.

FRAGMENT 35.[157]

La quantité a trois différences : l'une consiste dans la pesanteur, comme le talent; l'autre dans la grandeur, comme la double coudée, l'autre dans la multitude, comme dix.

FRAGMENT 36.[158]

La substance est nécessairement première, ainsi que ses accidents : — et c'est ainsi qu'ils sont dans un certain rapport à autre chose ; après la substance viennent les rapports des qualités accidentelles.[159]

FRAGMENT 37.[160]

Une propriété commune qu'il faut ajouter à la qualité, c'est d'admettre certains contraires et la privation.... La relation reçoit le plus et le moins ; car c'est être plus, que d'être plus grand et plus petit qu'une autre chose, et cependant l'être reste toujours le même; mais tous les relatifs n'en sont pas susceptibles;[161] car on ne peut pas être plus ou moins père, frère, fils; par où je n'entends pas exprimer les sentiments des deux parents, ni quel degré de tendresse les êtres du même sang et les fils des mêmes parents ont les uns pour les autres:[162] je veux parler uniquement de la tendresse qui est dans la nature de ces rapports.

FRAGMENT 38.[163]

La qualité a certains caractères communs, par exemple, de recevoir les contraires et la privation : le plus et le moins se retrouvent dans les passions. C'est pour cela que les passions sont marquées du caractère de l’indétermination, parce qu'elles sont dans une mesure indéterminée plus ou moins forte.

FRAGMENT 39.[164]

La relation est susceptible de conversion, et cette conversion, est fondée ou bien sur la ressemblance, comme l'égal et le frère, ou sur la dissemblance, comme le plus grand et le plus petit.... Il y a des relatifs qui ne se convertissent pas, par exemple, la science et la sensation; car on dit[165] la science de l'intelligible, la sensation du sensible;[166] et la raison, c'est que l'intelligible et le sensible peuvent exister indépendamment de la science et de la sensation, et que la science et la sensation ne peuvent exister sans l'intelligible et le sensible.... Le propre des relatifs, c'est d'exister simultanément les uns dans les autres, et d'être causes les uns des autres : car si le double existe, nécessairement existe la moitié; si la moitié existe, nécessairement existe le double, cause de la moitié, comme la moitié est cause du double.

FRAGMENT 40.[167]

Puisque toute chose mue se meut dans un lieu, que l'action et la passion sont des mouvements en acte, il est clair qu'il faut qu'il y ait un lieu premier dans lequel soient et l'objet agissant et l'objet patient.

FRAGMENT 41.[168]

Le propre de l'agent est d'avoir en lui-même la cause du mouvement ; le propre de la chose faite, du patient, est de l'avoir dans un autre. Car le statuaire a en soi la cause de faire la statue, le bronze a la cause de la modification qu'il subit, et en lui-même et dans le statuaire. Il en est de même des passions de l'âme : car il est dans la nature de la colère qu'elle s'éveille à la suite d'une autre chose, qu'elle soit excitée par une autre chose externe, par exemple par le mépris, le déshonneur, l'outrage : et celui qui agit ainsi envers un autre, a en lui-même la cause de son action.

FRAGMENT 42.[169]

Le degré le plus élevé de l'action est l'acte : il y a trois différences à observer dans l'acte : car ou il s'accomplit dans la contemplation des astres ; ou dans le faire, ποιέν, comme de guérir, de construire ; ou dans l'agir, πράσσεν, comme de commander une armée, d'administrer les affaires de l'État. L'acte a lieu même sans raisonnement, comme dans les animaux sans raison. Ce sont là les contraires les plus généraux.

FRAGMENT 43.[170]

La passion diffère de l'état passif; car la passion est accompagnée de sensation, comme la colère, le plaisir, la crainte ; tandis qu'on peut souffrir quelque chose sans sensation : par exemple la cire quand elle se fond, la boue quand elle se sèche. De même l'œuvre faite diffère aussi de l'état passif : car la chose faite a subi une certaine action ; mais tout ce qui a subi une certaine action, n'est pas une chose faite : car une chose peut être dans un état passif par suite de manque et de privation.

FRAGMENT 44.[171]

Il y a d'un côté, l'agent, de l'autre le patient ; par exemple, dans la nature, Dieu est l'être qui fait ; la matière l'être qui souffre: les éléments sont l'un et l'autre.

FRAGMENT 45.[172]

Le propre de la possession est d'être une chose adventice, d'être une chose corporelle séparée de l'essence : ainsi la voile, les chaussures sont distinctes de celui qui les possède ; et ce ne sont pas là des propriétés naturelles, ni des accidents essentiels, comme la couleur bleue des yeux et la raréfaction : car ce sont là deux propriétés incorporelles, tandis que la possession se rapporte à une chose corporelle et adventice.

FRAGMENT 46.[173]

Puisque les signes et les choses signifiées ont un but, que l'homme qui se sert de ces signes et de ces choses signifiées, doit remplir la fonction parfaite du discours, achevons ce que nous avons dit en établissant, que l'ensemble harmonieux de toutes ces catégories n'appartient pas à l'homme en soi, mais à un certain homme déterminé. Car de toute nécessité c'est un homme déterminé et qui existe quelque part, qui a qualité, et quantité, et relation, et action, et passion, et situation, et possession, qui est dans un lieu et dans un temps. Quant à l'homme en soi, il ne reçoit que la première de ces expressions : je veux dire l'essence et la forme; mais il n'a pas de qualité, il n'a pas d'âge, il n'est pas vieux, il ne fait ni ne souffre rien, il n'a pas de situation, il ne possède rien, il n'est pas dans le lieu, il n'existe pas dans le temps. Tout cela ce sont des accidents de l'être physique et corporel, mais non de l'être intelligible, immobile et enfin indivisible.

FRAGMENT 47.[174]

Parmi les contraires les uns sont dits opposés l'un à l'autre par convention et par nature : ainsi le bien au mal, le malade à l'homme sain, la vérité à l'erreur; les autres comme la possession est opposée à la privation : tels que la vie et la mort, la vue et la cécité, la science et l'ignorance; les autres comme les relatifs, ainsi le double et la moitié, celui qui commande et celui qui est commandé, le maître et l'esclave; les autres, comme l'affirmation et la négation, comme être homme et n'être pas homme, être honnête et ne l'être pas.

FRAGMENT 48.[175]

Les relatifs naissent et disparaissent nécessairement simultanément : il est impossible que le double soit, et que la moitié ne soit pas, ni que la moitié soit et que le double ne soit pas; et si quelque chose devient double, il faut qu'en même temps la moitié devienne, et si le double est détruit, que la moitié soit aussi détruite.

FRAGMENT 49.[176]

Des relatifs, les uns se répondent l'un à l'autre dans les deux sens : comme le plus grand, le plus petit, le frère, le semblable : les autres se répondent, mais non pas dans les deux sens. Car on dit également la science de l'intelligible, et la sensation du sensible, mais on ne dit pas la réciproque, l'intelligible de la science, le sensible de la sensation. La raison c'est que l'objet du jugement peut exister indépendamment de celui qui juge; par exemple, le sensible peut exister sans sensation, l'intelligible sans la science ; tandis qu'il n'est pas possible que le sujet qui porte un jugement existe sans l'objet dont il juge : par exemple, il ne peut y avoir de sensation sans objet sensible, ni de science sans objet intelligible. Des relatifs qui se répondent réciproquement, les uns se répondent indifféremment, comme le semblable, l'égal, le frère. Car celui-ci est le semblable de celui-là, comme celui-là est le semblable de celui-ci, celui-ci est l'égal de celui-là, comme celui-là est l'égal de celui-ci. Il en est qui se répondent réciproquement, mais non pas indifféremment : car celui-ci est plus grand que celui-là, et celui-là est plus petit que celui-ci; celui-ci est le père de celui-là, et celui-là est le fils de celui-ci.

FRAGMENT 50.[177]

Ces opposés se divisent en espèces qui se tiennent les unes aux autres : car, des contraires, les uns sont sans terme moyen, ἄμεσα, les autres en ont un. Il n'y a pas de moyen terme entre la maladie et la santé, le repos et le mouvement, la-veille et le sommeil, le droit et le courbe, et les autres contraires. Mais entre le beaucoup et le peu, il y a la juste mesure ; entre l'aigu et le grave, le consonnant; entre le rapide et le lent, l'égalité de vitesse ; entre le plus grand et le plus petit, l'égalité de mesure. Des contraires universels, il faut qu'il y en ait un qui appartienne à ce qui les reçoit : car ils n'admettent pas de moyen terme. Ainsi, il n'y a pas de moyen terme entre la santé et la maladie : tout être vivant est nécessairement ou malade ou bien portant; ni entre la veille et le sommeil : il faut nécessairement que tout être vivant soit ou éveillé ou endormi; ni entre le repos et le mouvement : il faut nécessairement que tout être vivant soit en repos ou en mouvement. Les opposés dont ni l'un ni l'autre ni l'un des deux n'appartient pas nécessairement au sujet qui les peut recevoir, ont des termes moyens : entre le blanc et le noir, il y a le fauve, et il n'est pas nécessaire qu'un animal soit ou blanc ou noir; entre le grand et le petit, il y a l'égal, et il n'est pas nécessaire qu'un être vivant soit ou grand ou petit; entre le rude et le mou, il y a le doux au toucher, et il n'est pas nécessaire qu'un être vivant soit ou rude ou mou. Il y a dans les opposés trois différences : les uns sont opposés comme le bien l'est au mal, par exemple la santé à la maladie; les autres comme le mal l'est au mal, par exemple, l'avarice à la débauche; les autres, comme n'étant ni l'un ni l'autre ; par exemple, comme le blanc est opposé au noir, le pesant au léger. Des opposés, les uns ont lieu dans les genres de genres;[178] car le bien est l'opposé du mal, et le bien est le genre des vertus, le mal celui des maux. D'autres ont lieu dans les genres des espèces; la vertu est l'opposé du vice, et la vertu est le genre de la prudence et de la tempérance, le vice est le genre de la folie et de la débauche. D'autres ont lieu dans les espèces : le courage est l'opposé de la lâcheté, la justice de l'injustice, et la justice et le courage sont des espèces de la vertu,[179] l'injustice et la débauche des espèces du vice. Les genres premiers, que nous appelons genres de genres, peuvent être divisés : les dernières espèces, qui se rapprochent immédiatement de l'objet sensible, ne sauraient plus être genres et ne sont qu'espèces. Car le triangle est le genre du rectangle, de l'équilatère et du scalène....[180] l'espèce du bien....[181].

FRAGMENT 51.[182]

51. Les opposés diffèrent les uns des autres en ce que pour les uns, les contraires, il n'est pas nécessaire qu'ils naissent en même temps et qu'ils disparaissent en même temps. Car la santé est le contraire de la maladie, le repos celui du mouvement: cependant chacun d'eux ne naît ni ne périt en même temps que son opposé. La possession et la privation de la production diffèrent en ceci : c'est qu'il est dans la nature des contraires qu'on passe de l'un à l'autre, par exemple, de la santé à la maladie, et de la maladie à la santé; il n'en est pas ainsi de la possession et de la privation : de la possession on passe bien à la privation, mais la privation ne revient pas à la possession : le vivant meurt, mais le mort ne revit jamais. En un mot, la possession[183] est la persistance de ce qui est suivant la nature, la privation en est le défaut, la défaillance. Les relatifs naissent et disparaissent nécessairement en même temps; car il est impossible que le double existe, et que la moitié n'existe pas; que la moitié existe et que le double n'existe pas: si quelque double vient à naître, il est impossible qu'il ne naisse pas la moitié, et si quelque double est détruit, que la moitié ne soit pas détruite. L'affirmation et la négation sont des formes de proposition, et elles expriment éminemment le vrai et le faux. Etre homme est une proposition vraie, si la chose existe, fausse si elle n'existe pas. Il faut en dire autant de la négation : elle est vraie ou fausse suivant la chose exprimée.[184]

En outre, entre le bien et le mal il y a un milieu, ce qui n'est ni bien ni mal ; entre le beaucoup et le peu, la juste mesure; entre le lent et le vite, l'égalité de vitesse ; entre la possession et la privation, il n'y a pas de milieu. Car il n'y a rien entre la vie et la mort, entre la vue et la cécité. A moins qu'on ne dise que le vivant qui n'est pas encore né, mais qui naît, est entre la vie et la mort, et que le petit chien qui ne voit pas encore est entre la cécité et la vue. En s'exprimant ainsi on répond par un terme moyen accidentel, et non suivant la vraie et propre définition des contraires.

Les relatifs ont des termes moyens : car entre le maître et l'esclave, il y a l'homme libre, entre le plus grand et le plus petit, il y a l'égalité ; entre le large et l'étroit la proportion convenable: on pourrait trouver de même entre les autres contraires un milieu, qu'il ait ou n'ait pas de nom.

Entre l'affirmation (et la négation[185]), il n'y a pas de contraires, par exemple, entre être homme et n'être pas homme, être musicien et n'être pas musicien. En un mot, il est nécessaire d'affirmer ou de nier. On appelle affirmer lorsqu'on montre de quelque chose qu'elle est un homme, par exemple, ou un cheval, ou un attribut de ces êtres, comme de l'homme, qu'il est musicien, du cheval, qu'il est belliqueux ; on appelle nier, lorsqu'on montre de quelque chose qu'elle n'est pas quelque chose, pas homme, pas cheval, ou qu'elle n'a pas un attribut de ces êtres, par exemple, que l'homme n'est pas musicien, que le cheval n'est, pas belliqueux; et, entre cette affirmation et cette négation, il n'y a rien.

FRAGMENT 52.[186]

La privation et être privé est pris dans trois sens: car ou l'on n'a pas du tout la chose, comme l'aveugle n'a pas la vue, le muet la voix, l'ignorant la science ; ou bien on ne l'a qu'en quelque sorte, comme l'homme qui a l'oreille dure a l'ouïe, l'homme qui a les yeux malades a la vue; ou bien on peut dire qu'en quelque sorte on ne l'a pas, comme on dit d'un homme qui a les jambes torses qu'il n'a pas de jambes, d'un homme qui a une mauvaise voix, qu'il n'a pas de voix.

 

 


 

[1] Stobée, Elog. Phys., I, 712. Heer. Meineke, t. I, p. 194 du livre περὶ Άρχων....', des Principes.

[2] Λόγον ἔχοισαν, que je crois mal traduit par rationit particeps.

[3] Je lis avec Meineke τῷ au lieu de το καθ' λῳ.

[4] Ce διὰ τοῦτο n'est justifié par rien, et semble annoncer que ce morceau est composé de plusieurs fragments juxtaposés, entre lesquels il y a certaines lacunes. Il n'y a pas de lien entre les deux principes énoncés dans la 1ère partie et les quatre énoncés dans la 2e.

[5] Τᾶς σίας est ici pris pour matière.

[6] Αἰτία τῶ τόδε τι ἤμεν ou εμεν, la quiddité aristotélique : « Ut certum quid sit res. »

[7] Τὰν λαν.

[8] Le texte est corrompu. J'adopte la restitution de Müllach; celle de Meineke, différente dans les mots, donne un sens identique.

[9] Il y a encore ici une restitution de Meineke, que j'accepte. Au lieu d’ἀόρατον δύναμιν (Jacobs conjecture sans raison ἀόριστον), Meineke lit καὶ πράτον, ce qui me paraît plus logique.

[10] Je suis encore ici les ingénieuses et heureuses corrections de Meineke.

[11] Ap. Syrian., au commencement de son commentaire sur la Met. d'Aristote, XII, p. 102. Bœckh (p. 149) ne connaissait pas le texte grec de ce fragment, qui n'a été publié que par Brandis, De perditis Arist. libris, 1823, p. 35. La version latine de Bagolini (Venise, Ald., 1558, f. 202 a) est précédée de ces mots : « Substantiarum enim principia super substantialia esse oportet. »

[12] Bagolini le nomme Archenenis, et Bœckh propose de lire Archytas.

[13] Ap. Syrian., ad Vet. Arist., XIII, 8.

[14] Théon de Smyrne, Arithm., p. 27.

[15] Stob., Ecl. phys., I, p. 58, répétant Plut., Plac. Phil., I, 8 : « Pythagore dit que les principes sont d'abord la monade, qui est Dieu, et le Bien (νόος, Plutarque donne : τοῦ ἑνός), qui est l'essence de l'intelligence même; et ensuite la dyade indéfinie, qui est un démon, le mal, et qui a rapport à la quantité matérielle. » Cependant Théon de Smyrne (Arithm., p. 24) nous affirme que ce sont les pythagoriciens postérieurs qui ont usé de ces mots : la monade et la dyade. Alexandre d'Aphrodise, dans Simplicius (in Arist. Phys., f. 104 b) dit: « Platon posa comme principes de la dyade l'Un, et le grand et le petit. Il prétendait que la dyade indéfinie participait elle-même du grand et du petit. » Et un peu plus loin il ajoute : « Les nombres sont les principes de tous les êtres : en sorte que le principe de tout est l'Un et le grand et le petit, c'est-à-dire la dyade indéfinie; car chaque nombre, en tant qu'il se divise et est une multitude, appartient à la dyade indéfinie. ·

Cf. Sext. Emp., Adv. Math., X, 249-263, qui attribue ces termes et ces idées à Pythagore. Elles ne sont ni de lui ni de Platon : elles paraissent être nées dans l'École des successeurs immédiats de Platon, qui tombaient dans le pythagorisme.

[16] Il n'y a pas positivement de contradiction entre ces deux fragments. Il résulte seulement de là que l'emploi des mots était assez libre, ou, pour mieux dire, encore vague. Archytas semble avoir distingué deux sortes d'unités : l'unité suprasensible, Dieu, la cause avant la cause; et l'unité réelle qui, enveloppant en elle l'infini, porte à trois le nombre de ses principes; à moins qu'on ne veuille admettre que l'Unité suprême contient en soi les deux contraires du fini et de l'infini, du pair et de l'impair.

[17] Joh. Lydus, de Mensibus, VI, p. 21, ed. Schow.

[18] Claudien Mamert, de Statu Anim., II, 7 : · Archytas Tarentinus idemque Pythagoricus in eo opere, quod magnificum de rerum natura produit, post multam de numeris utilissimam (ou subtilissimam) disputationem, “Anima, inquit, ad exemplum unius composite est, quæ sic illocaliter dominatur in corpore, sicut unus in numeris.” Plut., Plac. Phil., IV, 2 : « Pythagore définissait l'âme : un nombre se mouvant lui-même. Il prend le nombre pour l'âme. » Plutarque (de Gen. Anim., I) attribue cette définition à Xénocrate. Cic. (de Nat. D., I, 11 : « Pythagoras.... censuit animum esse per naturam rerum omnem intentum et commeantem (mouvement).... ex quo nostri animi carperentur.

[19] Stob., Ecl. Phys., I, p. 878.

[20] Cic., Tusc, IV, 5: « Veterem illam equidem Pythagoræ primum, deinde Platonis descriptionem sequar : qui animum in duas partes dividunt : alteram rationis participem faciunt, alteram expertem. »

Plut., de Plac. Phil., IV, 4 : « Pythagore et Platon ont deux divisions. Par l'une, ils divisent l'âme en deux parties : l'une raisonnable, et l'autre irraisonnable; mais par une analyse plus attentive et plus exacte, ils la divisent en trois, subdivisant la partie irraisonnable en courage et désir. »

Id., IV, 5, 13 : « Pythagore place le principe vital au cœur; le principe intellectuel et rationnel dans la tête. »

Stobée (Eclog., I, 848) attribue à Arésas cette division de l'âme en νόος, qui produit la pensée et la science; en θύμωσις, qui produit la puissance et la force; en ἐπιθυμία, qui engendre l'amour et le goût du plaisir ; et (Serm., I, p. 9) il la répète comme venant des livres de la pythagoricienne Théano.

Diogène de Laërte, VIII, 30, dans son résumé de la doctrine pythagoricienne, qu'il tire probablement d'Alexandre Polyhistor, dit : « Ils divisent l'âme de l'homme en trois parties : la raison, la pensée (αἱ φρένες), le courage. La raison, et le courage appartiennent à tous les animaux; la pensée n'appartient qu'à l'homme. » Il résulterait de cette analyse que la raison aurait été mal distinguée de la sensation. Aristote dit, en effet (Magn. Moral, c. ii), que Platon est le premier qui ait distingué dans la connaissance, la connaissance sensible et la connaissance rationnelle et pure.

Sext. Emp. (adv. Math., VII, 92) dit que la raison, qui vient des mathématiques, et qui est capable de connaître la nature des êtres, a été pour les pythagoriciens le κριτήριον, c'est-à-dire la source et la régie de la connaissance.

[21] Stob., Ed., I, p. 722.

[22] Jacobs conjecture, au lieu de κόσμος, qu'il faut lire ὁ νόος, qui répond mieux à ασθησις. Mais la leçon ordinaire, qu'Orelli et Meineke ne peuvent digérer, suivant le mot d'Hartenstein, s'explique cependant parla théorie pythagoricienne. Le monde est le principe et la règle de la connaissance, parce qu'en dehors de lui il n'y a nul ordre, nulle détermination, nul nombre, nulle fin, et que la connaissance est tout cela. V. Bœckh, Philol., p. 49.

[23] C'est du moins ce que j'entends par le mot ὁ λόγος, qui reçoit dans la phrase suivante un sens nécessairement différent ; car ici il est l’objet du jugement : ἐπικρίνει ὁ νόος τὸν λόγον; et une ligne plus bas, il en est le sujet : περὶ νοητῶν ματεύηται ὁ λόγος. Je croirais volontiers à une fausse leçon. Hartenstein entend par τὸ κρινόμενον, non l'objet du jugement, mais le jugement même, abstraction faite de son sujet et de son objet, le jugement logique, qui se diviserait naturellement en jugements ayant rapport aux choses intelligibles, et jugements ayant rapport aux choses sensibles.

[24] En effet, la réalité même, la nature des choses, est la vraie mesure de la connaissance.

[25] C'est, comme on sait, le nom grec de l'octave.

[26] Οκα έπιμαρτυρώμεθα τὸ λόγσν διὰ τἄς αἰσθάσιος. On pourrait entendre encore : toutes les fois que la sensation vient fournir son témoignage à la raison. Le mot λόγος est fréquemment envoie dans ce passage, et souvent avec des sens très divers. L'emploi du mot syllogisme, inconnu, dans sa forme substantive et son sens logique et technique, même à Platon, les quatre causes d'Aristote qui se présentent ici avec ses propres formules, prouvent évidemment l'origine postérieure du fragment.

[27] Ce fragment est composé de deux extraits tirés, l’un de Stobée (Ecl. Phys., Ι, 784) ; le second, à partir des mots Διόπερ ὤν δεῖ. emprunté à l'ouvrage d'Iamblique, intitulé Περὶ κοινῆς μαθεμ. se trouve dans les Anecdota græca de Villoison, l. II, p. 199). Cette dernière partie n'est presque que la reproduction littérale d'un passage de la République de Platon (l. VI, 509-511). Dans Stobée comme dans Iamblique, l'ouvrage d'Archytas, d'où le fragment est extrait, porte le titre identique : De la raison et de la tentation, dont l'objet, suivant Iamblique, était « de distinguer les critérium des êtres, et d’établir quel est le critérium le plus propre des mathématiques. »

[28] Le texte, tout à fait mutilé, ne peut avoir de sens qu'en rétablissant quelques mots par pure conjecture. J'ai adopté la restitution d'Heeren, acceptée par Meineke.

[29] Je suis les restitutions très intelligentes de Meineke.

[30] Passage mutilé, et qu'aucune restitution n'est parvenue à rendre clair.

[31] Ou plutôt la forme τὸ εδος. On ne sait trop ce que vient foire cette définition de l’εἴδος.

[32] Ici se termine la citation de Stobée.

[33] Ici commence l'extrait d'Iamblique.

[34] Le texte des manuscrits (ταῦτα δὲ σύμφωνα ποιητὰ θεωρονμενα διαὐτῶν ἀλάθειαν) me paraissant inintelligible, j'adopte la restitution de Mullach qui lit : ποιητέα θεωροῦντα.

[35] Tiré d'Iamblique, Προτρεκτικόν, cap. iv, p. 39, éd. Kiessl. Le fragment est cité par Iamblique comme emprunté à un livre d'Archytas, intitulé Περί σοφίας ; et c'est sous ce titre que le désigne égalèrent Porphyre, dans son commentaire sur l'Harmonique de Ptolémée, I, 215. Stobée (Sermon., I, p. 63) nous a conservé quelques extraits d'un ouvrage de la pythagoricienne Périctyoné, qui porte le même titre et reproduit souvent le texte même d'Archytas; mais le tour et ordre des idées n'est pas tout à fait celui que nous rencontrons dans notre fragment.

[36] Δναμις. C'est la théorie d'Aristote : l'esprit est en puissance objet même qu'il saisit et comprend, à moins qu'on n'aime mieux voir, dans les mots ψις καὶ δύναμις, la figure ἐν δι δύοιν, et les traduire ainsi : la faculté de voir.

[37] 'ιζωθέντα ἤ γιννηθέντα.

[38] Εἴδεα τοῦ ἐόντος.

[39] Les manuscrits donnent συναριθμήσασθαι; le fragment de Périctyoné donne εὐρυθμίαασθαι. Müllach corrige et lit συναρθμήσασθαι, que j'adopte.

[40] L'élément platonique qui se manifeste à tous les yeux dans ce morceau, ne suffirait pas à en réfuter l'authenticité, puisqu'Archytas, contemporain et ami de Platon, a dû ne pas être étranger à ses doctrines. Mais l'élément aristotélicien, qui se révèle dans la formule toute scolastique : · l'accident universel de l'être, · τα καθόλβ πᾶσι ξυμβεβακότα, est une preuve irréfutable de la falsification.

[41] Tiré de Simplicius, in Phys. Arist., f. 108 a.

[42] Ici commence le groupe de fragments que Hartenstein classe sous le titre de Fragments Physiques Mathématiques.

[43] Les pythagoriciens admettaient, cela est constant, l'infini bon du monde (Aristot., Phys., III, 4). Aristote. dit Simplicius (l. I, l. 107), dit bien que cet argument était très ancien : Ὁ δὲ ριστοτελη ς ἀρχαιοτέρου μέμνηται τοῦ λόγου. L'autorité d'Eudème semble garantir l'authenticité sinon du texte, du moins de l'argument, qui cependant a un tour bien subtil et bien délié pour un vieux pythagoricien.

[44] Tiré de l'ouvrage Περὶ τοῦ παντός, et cité par Simplicius, in Categ. Aristott., f.135.

[45] Cité par Simplicius, in Phys. Aristt., f. 165 a.

[46] Simplicius reproduit dans le même ouvrage (f. 186 b), mais d'après Iamblique, cette même définition qu'il fait précéder d'une autre tout aristotélique, qu'il attribue également à Archytas (f. 129 b).

[47] C'est-à-dire le principe de distinction, de discrétion.

[48] Simplicius affirme (in Phys., 186 a) que le pythagoricien Archytas est le premier philosophe connu qui ait cherché à définir l'essence du temps. La doctrine des pythagoriciens, qui ramenaient les intervalles à des rapports numériques, permet de considérer ce fragment comme authentique.

[49] Τὸν ψυχικόν.

[50] Ce double temps s'explique, disait-on, par le double infini, l'un sensible, l'autre intelligible, qu'admettaient les pythagoriciens (Simplic., in Phys., 104 b). Mais Aristote (Phys., III, 4), disant que les pythagoriciens mettent l'infini parmi les choses sensibles, — ce qui ne s'accorde guère d'ailleurs avec son interprétation du pythagorisme, contenue dans la Métaphysique, I, 5, — ne justifie pas cette opinion de l'opposition de deux infinis. Toutefois, on semble apercevoir l'idée que l'espace et le temps sont, en tant que notions pures, infinis ; et que, en tant que réalisés dans des choses qui coexistent ou se succèdent, ils rentrent dans la catégorie du fini.

[51] Simplicius, in Phys., f. 186 a, et in Categ., f. 130 b, avec peu de changement. On retrouve dans ce fragment suspect toute la théorie d'Aristote sur la nature du temps (Phys., IV, 14-20).

[52] Il suffit de lire les chap. xiv-xx du IVe livre de la Physique d'Aristote pour rejeter avec toute certitude ce fragment qui en reproduit et les idées et les expressions.

[53] Tiré d'Eudème, dans Simplicius, in Phys., f. 98 b.

[54] Les pythagoriciens s'étaient sans doute occupés du mouvement, puisqu'au dire d'Aristote (Mét., I, 7), διαλέγονται καὶ πραγματεύονται περὶ φύσεων πάντα. Hais leurs principes ne l'expliquaient guère, comme le leur reproche Aristote. S'il faut en croire Eudème (Simpl., in Phys., 98 b), les pythagoriciens, comme Platon, le ramenaient à l'infini. Dans ce cas, Archytas se sera écarté des principes de l'École.

[55] Arist., Probl., XVI, 9.

[56] C'est peut-être en partant de ce principe à priori que les pythagoriciens sont arrivés à leur théorie de la sphère et du mouvement sphérique. Cf. Bœckh, Phil., p. 94.

[57] Tiré de l'ouvrage Περὶ μαθημάτων κονων, cité par Iamblique Villoison, Anecdot. græc, II, p. 202). Stobée le cite également (Floril., XLIII, 135, t II, p. 140, Meineke).

[58] Stobée lie à ce fragment une suite de réflexions morales, qui n'ont pas rapport aux principes posés, et qu'Hartenstein a placées dans une autre catégorie de fragments.

[59] Tiré de Nicomaque, Institut. arithmet., I, 3, p. 70, éd. Ast

[60] Τὰν ἀναστροφὰν ἔχει. Dans Iamblique (Villois., Anecd., p. 197), au lieu de ce texte obscur, on lit : « .... sont sœurs et se tiennent les unes les autres comme les anneaux d'une chaîne. » Platon (Rep., VII. 630 d) atteste que cette image, qui marque si vivement le lien des sciences, appartient aux pythagoriciens: Ως οῖ τε Πυθαγόρειοί φασιν καὶ ἡμεῖς.

[61] Tiré de Porphyre, in Ptolem. Harmon. Wallis, Opp. Math., tom., III, p. 236-238, Oxford, 1699.

[62] Le texte de Müllach et d'Orelli diffère sensiblement de celai d'Hartenstein.

[63] Νωτρῶς, leçon d'Etienne dans les Opuscula Aristot. et Theophrasti, Paris, 1557, p. 80; au lieu de ὀρθῶς, que donnent Orelli et Müllach, et de ὠρθρῶς, que donne Wallis.

[64] Le texte est altéré : Καὶ τοῦτο κατείδομες ἰσχυρ τόπσαμήῳ.

[65] Appelées aussi στρόμβοι (Il., XIV, 413) ou στρόβιλοι (Plat., Legg., IV, 436).

[66] Orelli et Müllach donnent, au lieu de τινά, la conjecture βαρεῖαν, qui est amenée par la nécessité de l'opposition des termes de l'expérience.

[67] Tiré de Théon de Smyrne, de Music., éd. Bouillaud, p. 94.

[68] Des sons qui sont entre eux dans un rapport conformant.

[69] Nicom. (Arithm., l. 1., p. 70), comme on l'a vu, cite ce fragment, en le faisant précéder de ces mots : « Archytas de Tarente au commencement de son traité d'harmonie, dit à peu près : οτω πὼς λέγες. · Porphyre l'amène par ces mots : « comparons maintenant la théorie d'Archytas le pythagoricien, dont les écrits passent en général pour être authentiques. » On voit que si le fond de la doctrine est pythagoricien, le texte de la rédaction pourrait bien appartenir à un auteur plus récent.

[70] Tiré de Porphyre, in Ptolem. Harm., p. 267.

[71] Cf. Bœckh. Philol., p. 84. Iambl. (in Nicom., p. 141) dit que le nom d'harmonique a été donné à cette proportion par Archytas et Hippasus.

[72] Proportion par différence : 6 : 4 : 2, où l'on a 2 pour différence de 6 à 4, comme de 4 à 2.

[73] En effet, 6/4 = 3/2 = 1 + ½

4/2 = 2/1 = 2, plus grand que 1 + ½.

[74] Proposition par quotient, où l'on a les rapports 8/4 = 4/2.

[75] Soit 12, 8, 6.

12 = 8 + 4               8 = 6 + 2

4 = 12/3                  2 = 6/3

[76] En effet,                            12/8 =1 + ½            8/6 = 1+ 1/3            plus petit que 1 + ½.

[77] Cité par Stobée, Sermon., I, p. 12, et tiré de l'ouvrage de Stobée : De l'homme de bien et heureux.

[78] Ce fragment, qui contient la preuve que l'auteur a connu les définitions du bien et du mal des stoïciens et des épicuriens, et où Aristote est largement mis à contribution, est évidemment apocryphe.

[79] Cette distinction, soutenue par les péripatéticiens contre les stoïciens, et marquée par les termes subtilement opposés ἐπαίνετος  et de μακαρίστος, est empruntée à Aristote. (Eth. Nic., I, 12 ; Magn. Mor., I, 1; Eth. Eud., II, 1.)

[80] On sait que les stoïciens faisaient leur sage égal à Dieu : on aperçoit donc encore ici l'opposition à leur doctrine.

[81] Ces mots ne se trouvent pas dans le texte d'Hartenstein, ni dans celui d'Orelli qui, chose singulière, en donne cependant la traduction.

[82] Cette division commune aux péripatéticiens et aux stoïciens, se trouve dans Aristote (Ethic. Nic, I, 5). Zeller, sur ce passage, prétend qu'Aristote l'a emprunté aux pythagoriciens : ce qui est difficile à admettre.

[83] Les manuscrits donnent τίνων ὦν, qu'on ne peut construire. Je lis, avec Müllach, τίνα.

[84] C'est-à-dire qui ont un rapport à une fin.

[85] Hartenstein donne προαιρετικά avec les manuscrits, mais ce mot s'explique mal. Canter lit ποιητικά, qui présente à peu près la même idée que παρεκτικά, préféré par Müllach.

[86] Τῶν καλῶν.

[87] Cette division ternaire se retrouve littéralement dans Aristote (Ethic. Nic, I, 8).

[88] C'est la définition infime rapportée à Aristote par Stobée (Ed., II, 70) : χρῆσις ἀρετῆς ἐν βιῳ τελείῳ, et par Diogène de Laërte (VI, 1, 30) dans les mêmes termes. Aristote lui-même (Ethic. Nic., I, 9) est moins affirmatif.

[89] Ce sont à peu près les mêmes termes et les mêmes classifications que celles que Stobée extrait des platoniciens (II, 60) : Πρῶτα δ' ἐστί κατὰ φσιν περὶ μν τὸ σῶμα, ξις, κίνησις, σχσις, ἐνέργεια, δύναμις, ὄρεξις, ὑγίεια, ἰσχς, εὐεξία, εὐαισθησία, κάλλος, τάχος, ἀρτιότης, αἱ τῆς ζωτικῆς ἁρμονίας ποιότητες περὶ δὲ τν ψυχν, εὐσυνεσία, εὐφυΐα, φιλοπονία, ἐπιμον, μνήαη, τὰ τούτοι; παρακλησία. Cependant il faut bien reconnaître quelques nuances. Cette analyse remontait au moins à Socrate, et il n'est pas certain que ce ne sont pas les pythagoriciens qui l'ont au moins ébauchée.

[90] Stob., Ed., II, 114 : Εν σῶμα πᾶσαι ἀρεταί.

[91] Le pythagoricien Théagès, dont Hartenstein, par une singulière inadvertance, qui ne serait pas pardonnée à un Français, a fait la pythagoricienne Théago, définit la vertu : l'harmonie des parties irrationnelles de l'âme avec la partie raisonnable. (Stob., Serm., A, p. 27, Hein.)

[92] Εὐτυχίαν. Le sens semblerait exiger ἀτυχίαν.

[93] Le même Théagès, cité plus haut, définit aussi la vertu : ἕξις τις τοῦ δοντος (Stob., Serm. A, p. 25, Mein.)

[94] C'est le mot charmant et si connu d'Aristote : un seul beau jour, ou la première hirondelle ne fait pas le printemps. (Ethic. Nic, I, 6.)

[95] Tiré de Stob. (Serm., 1,70) sous le titre : Έκ τοῦ περὶ παιδεύσεως ἠθικῆς. (Mein., 1.1, p. 28.).

[96] Expression assez étrange, αἴτε ἔχη ὕλαν.

[97] 'Ὥστε ἅ μδήληταί τις παριόντα, passage corrompu, qu'on a corrigé de plusieurs manières sans produire un texte plus clair et plus correct.

[98] C'est une évidente allusion à l'apathie stoïcienne : ce qui détruit l'authenticité du morceau.

[99]ρίδδων, pour ὁρίσδων.... ὁρίζων.

[100] Άπαθεία....

[101] Malgré le caractère suspect de ce fragment, il faut cependant reconnaître qu'il s'accorde parfaitement avec les fragments d'Hippodamus de Thurii et d'Euryphamus. Conf. Stob., Serm., A, 103, 27, t. IV, p. 10 et 103, 26, t. IV, p. 6.

[102] Extrait de Stob., Serm. Append., t. IV, p. 206. Mein. e. ms. Flor. Joan. Damascii, sous le titre ; Έκ τοῦ περὶ παιδεύσεως ήθικῆς.

[103] Au lieu de τὸν ἐν τείθη τῆ ἐπιστάμα, que donnent les manuscrits et Hartenstein, je lis, avec Meineke, τον ἐντίθητι ἐπιστάμα.

[104] Ce sont manifestement ici des distinctions empruntées à l'École péripatéticienne.

[105] J'ajoute ici avec Gaisford au texte τῶ δὲ βίω le mot φιλοσόφω qui me semble comme à lui nécessaire au sens.

[106] Ce sont ici les épicuriens qui sont mis à profit et pris à partie.

[107] Ce sont manifestement ici des distinctions empruntées à l'École péripatéticienne.

[108] Extrait de Stob., Serm., 3, 76, t. 1, p. 85. Mein. : Ἐκ τοῦ περ ἀνδρὸς ἀγαθοῦ καὶ εὐδαίμονος.

[109] Κατ' ἀκρίβειαν θεωρίαις.

[110] Extrait de Stob., 115, 27, t. IV, p. 75, Mein., du même ouvrage que le fragment précédent.

[111] Dont on a parlé précédemment, dans une partie de l'ouvrage qui est perdue.

[112] Extrait de Stobée, 43, 120, t. II, p. 135, Mein. ; sans titre. — Le fragment 1 appartient probablement, comme les suivants, à l'ouvrage intitulé Περὶ νόμου καὶ δικαιοσύνης. Il forme le n° 24 dans la collection d'Hartenstein.

[113] J'ai ajouté au texte de Gaisford et de Meineke le mot νόμοις, comme Müllach.

[114] Extrait de Stob., 43, 132, t. II, p. 136, Mein., du même ouvrage.

[115] L'absence de douleurs. C'est le mot et l'idée stoïcienne, que nous avons vus plus haut critiqués.

[116] Extrait de Stob., 43, 138, t. II, p. 136, Heineke. Même titre que le fragment précédent.

[117] Passage très obscur.

[118] Ταὶ μὲν ον ἰδέαι τᾶς διανομᾶς.... Sur quoi Hartenstein : « Ideas quidem earumque imagines largimur Archytæ. An Plato cum eo sua obiter communicaverit. » Quel rapport y a-t-il entre les idées de Platon et ces différentes formes ou espèces de proportions?

[119] Extrait de Stob., 43, 131, t. II, p. 138, Meineke.

[120] Κόρει.

[121] Extrait de Stob., 46, 61, t. II, p. 227, Mein.

[122] Stob., 43,185, t. II, p. 140. Meineke met ce fragment et le suivant à la suite de celui qui forme le n° 13 dans la collection d'Hartenstein, et n'en fait qu'un seul sous le titre Περὶ μαθημάτων. Hartenstein les sépare, trouvant que le commencement s'en lie mal avec le milieu et la fin. C'est, en effet, un lien bien extérieur que celui qui-forme le mot εὑοεθείς, qui rappelle l’ἑχευρόντα du n° 13.

[123] Les fragments politiques n'ont rien de suspect ni dans le fond, ni dans la forme. On pourrait s'étonner peut-être de la précision technique de la classification des trois formes politiques ; mais fondée sur les propriétés essentielles des trois formes de proportions, elle s'explique, et il serait difficile qu'elle ne fût pas d'un pythagoricien.

[124] Extrait de Stobée, Ecl. Phys., I, 4, p. 12, Mein. p. 3, sous le titre ἘEx τῶν διατριβῶν.

[125] Je lis λογικά, au lieu de λογιστικά, qu'on pourrait d'ailleurs conserver en lui donnant le sens de logique.

[126] Tout ceci est peu clair, et encore on n'obtient cette obscure clarté qu'avec des hardiesses d'interprétation dangereuses, et qu'il est de toute nécessité de confesser.

[127] Extrait de Stob., Ed. Eth., II, 4, p. 24, Mein.

[128] Il n'y a rien qui puisse faire suspecter ces deux fragments; et le mot d'Aristote (Met., I, 6), que les philosophes antérieurs à Platon ne s'étaient pas occupés de dialectique ne suffit pas pour en faire rejeter l'authenticité. Ce n'est pas ici une théorie systématique : ce sont des remarques et des observations assez générales pour avoir pu être faites par les pythagoriciens.

[129] On cite une édition de Venise, 1561 ou 1571, sous le titre : Archytæ decem prædicamenta Dom. Pizimentio Vib. interprete, dont l'existence même est mise en doute. Ce texte a été publié par Camérarius, Leipz., 1564, sous le titre : Αρχύτου φερόμενοι δέκα λόγοι καθολικοί, sur un manuscrit donné par Bessarion à Jean Brasiator (J. Frankenstein, le premier docteur en théologie (1410) de Leipzig). Comment Bessarion en était-il devenu possesseur? c'est ce qu'on ignore. Aucun des anciens ne mentionne l'ouvrage, et historiquement, comme au point de vue critique, on n'en peut soutenir un instant l'authenticité.

[130] Il y a dans le texte ποσότατι que conservent Orelli, Hartenstein, Müllach: c'est évidemment une erreur de copiste, amenée par le ποιότατι de la ligne précédente. Je lis ici ποιότατι, ou plutôt ποὁτατι, comme plus loin.

[131] Littéralement du quand, τοῦ πότε λόγου.

[132] Τοῦ κεῖσθαι.

[133] Aristote n'a jamais fixé ce nombre, qu'il ne produit pas toujours complet, comme une loi nécessaire de l'entendement. C'est une exagération qui révèle le fanatisme d'un disciple.

[134] Il est sujet, substrat, substance lui-même.

[135] C'est-à-dire que dans l'ordre logique des déterminations de l'essence, il faut, pour qu'une chose ait qualité, qu'elle soit déjà placée dans la catégorie de la quantité. Cet ordre est tout à fait étranger à Aristote, qui n'en donne et n'en fait pressentir aucun, sauf pour la substance, qui occupe nécessairement et naturellement toujours la première place dans les passages où il énumère les catégories. Hegel seul a essayé d'exposer la génération à la fois logique et réelle des catégories, qui, dans son système, sont à la fois les genres de l'être et les genres de la pensée.

[136] Παλαίοται, petite palme de quatre doigts.

[137] Si je comprends bien οὐκ ἀντιδιαιρούμενος μέν, cela veut «dire qu'on ne peut plus diviser ce genre en espèces ; car c'est l'espèce qui divise le genre par des différences opposées.

[138] L'espèce demeure et subsiste ; les individus meurent et disparaissent.

[139] Il n'y a ici, comme on le voit, aucune discussion sur la nature de la substance : c'est une simple partition des catégories, éclaircie par des exemples. Ces divisions se trouvent déjà dans Porphyre, Introd. à l’Organ. d'Aristote, c. iii.

[140] Tout ceci est tiré d'Aristote, catég. VI : « La quantité est discrète ou continue : l'une est composée de parties qui ont une position les unes par rapport aux autres ; l'autre, de parties qui n'en ont pas. La quantité discrète, c'est par exemple le nombre et le langage ; la quantité continue, c'est par exemple la ligne, la surface, le corps, etc. »

[141] Les manuscrits donnent διακεῖται, que conservent Orelli et Hartenstein. Il me paraît évident, comme à Müllach, que c'est une erreur de copiste pour διαιρεῖται.

[142] Toutes ces définitions sont tirées des Catégories d'Aristote, c. viii.

[143] Müllach substitue sans nécessité ἀλλοιωθέτος à la leçon des manuscrits ἀλλοιοῦντος.

[144] Je lis περιδοις au lieu de παρδοις, que je ne puis comprendre.

[145] Μεμαθήκατε. Ce mot, comme quelques autres qu’on rencontrera plus bas, semble prouver que nous n’avons ici qu’une compilation de professeur, destinée à servir de canevas à des leçons. 

[146] C’est encore la théorie d’Aristote, Cat., c. vii Les relatifs semblent en même temps être naturels, et si cela n’est pas exact de tous, cela l’est de la plupart.

[147] Δι' ὀβέλων.... Hartenstein propose ingénieusement ὅπλων.

[148] Je lis τοῦ ποιεῖν οσιν au lieu de ὑπρ τοῦ

[149] Ce sont aussi les exemples d'Aristote, Catég. 7.

[150] Cf. Arist., Catég. 15. Si nous n'avions que ce texte évidemment falsifié, nous n'aurions aucun doute sur la priorité d'invention et d'exposition systématique des dix catégories. Mais Simplicius et Iamblique, en affirmant qu'Archytas en est le premier auteur, font naître des soupçons plus justifiés, d'autant plus que le premier cite des fragments détachés de l'ouvrage du pythagoricien, qu'il avait certainement sous les yeux et dont il nous fait connaître le titre : « Archytas, dit-il,— et cela dans son Commentaire sur les Catégories d'Aristote, f. 2b, — Archytas a distingué les dix notions générales premières dans le livre intitulé Περὶ τοῦ παντός; il a éclairci la théorie par des exemples, montré l'ordre dans lequel elles sont les unes par rapport aux autres, les différences spécifiques de chacune d'elles, leurs propriétés communes et propres.... Iamblique, aux endroits nécessaires, a cité l'ouvrage d'Archytas, a réuni avec intelligence les fragments dispersés, et en a fait ressortir l'accord avec la théorie d'Aristote. Les différences, — et elles ne sont pas nombreuses, —ont été mises par lui sous les yeux du lecteur.... On peut donc dire que partout Aristote n'a voulu que suivre les traces d'Archytas. » On ne peut pas nier qu'on retrouve dans Platon quelques traces des catégories; mais s'il les avait connues dans ce développement, et avec cette précision technique, il est difficile de croire qu'il ne nous l'eût pas laissé voir. Il est certain, du moins, qu'au temps d'Iamblique, l'ouvrage passait généralement pour être d'Archytas, et jouissait d'une grande autorité, puisque lui et Simplicius lui font l'honneur de le comparer à celui d'Aristote; et assurément l'autorité de ces deux écrivains considérables mérite quelque respect. La question est donc moins certaine qu'on ne le suppose ordinairement, et il reste encore dans l'esprit du critique impartial quelques doutes très légitimes. C'est le sentiment où persiste le savant M. Egger et qu'il avait déjà soutenu dans sa thèse, citée plus haut, p. 192, n. 1.

[151] Simpl., in Categ., f. 28 a.

[152] Simpl., in Categ., f. 28 b.

[153] Simpl., in Categ., f. 34 a.

[154] C’est la théorie si connue et si originale d'Aristote.

[155] Simpl., in Categ., f 34 b.

[156] Simpl., in Categ., f. 43 a.

[157] Simpl., in Categ., f. 48.

[158] Simpl., in Categ., f. 58.

[159] Les accidents essentiels sont susceptibles de rapports; mais ils ne peuvent avoir de rapports qu'en tant qu'ils appartiennent à la substance, συνυπάρχοντα. — Outre les accidents essentiels, il y en a d'accidentels à la substance, επίκτητα, qui évidemment ne peuvent venir qu'en seconde ligne.

[160] Simpl., 1.1., f. 67 a.

[161] Le texte dit : ἄλλως πως ἐχόντων. Il me parait nécessaire de lire, comme dans la ligne précédente : ποτ' ἄλλο πῶς ἐχόντων.

[162] Au lieu de ποτ' ἄλλως, que je ne puis entendre, je lis ποτ' ἀλλήλως.

[163] Simpl., 1.1., f. 106 b.

[164] Simpl., 1.1., f. 68 b.

[165] Il faut sous-entendre : sans pouvoir renverser et convertir les termes. Cf. Fragm. 49.

[166] Je lis encore ici τοῦ αἰσθητοῦ au lieu de τᾶς αἰσθάσιος.

[167] Simpl., 1.1., f. 108 b.

[168] Simpl., 1.1., f. 115 b.

[169] Simpl., 1.1., f. 116 b.

[170] Simpl., 1.1., f. 121 b.

[171] Simpl., 1.1., f. 122 b.

[172] Simpl., 1.1., f. 135 b.

[173] Simpl., 1.1., f. 140 a.

[174] Extrait d'un autre ouvrage d'Archytas, que Simplicius intitule : Περὶ ἀντικειμένων, et dont il dit, in Categ., f. 141 b : « Aristote paraît encore, dans ce chapitre sur les oppositions, avoir profité du livre d'Archytas intitulé Sur les Opposés, que celui-ci n'avait pas fondu avec le Traité sur les catégories, mais dont il avait fait le sujet d'un livre à part. Voici quelle est la division que propose Archytas : Parmi le contraires, etc. »

[175] Simpl., 1.1., f. 142 a.

[176] Simpl., 1.1., f. 142 a.

[177] Simpl., 1.1., 145 a.

[178] L'auteur veut parler des genres généralissimes : πρῶτα εδη, ou γενικώτατα.

[179] Au lieu de εἰ δἁ δικαιοσνα μν καὶ ἀδικία τᾶς ἀρετάς, je lis : εδη δὲ δικαιοσύνα καὶ ἀνδρεία.

[180] Toute cette théorie est d'Aristote, catég. VI et V.

[181] Ce commencement de phrase n'a aucun sens.

[182] Simpl., 1.1., f. 151 b.

[183] . Simplicius (ad cap. xv des Catégories d'Aristote) donne une autre définition d'Archytas : « C'est pour cela qu'Archytas, dans le passage où il traite avec une exactitude rigoureuse du genre, dit que la possession, c'est d'être maître des attributs adventices, κράτησίν τινα τῶν ἐπικτήτων. »

[184] Le texte est incertain, le sens plus incertain encore. On retrouve ici des redites, des puérilités, du moins apparentes: car on ne peut guère juger de ces fragments ainsi détachés et isolés.

[185] Mot que j'ajoute pour compléter le sens.

[186] Simpl., 1. L, 155 a.