LUCIEN
XLIII.
JUPITER CONFONDU.
CYNISCUS ET JUPITER.
1.
CYNlSCUS. Moi,
je ne viens pas ici, Jupiter, t'importuner de mes vœux, te demander richesses,
trésors, puissance, tout ce que souhaite le commun des hommes, et qu'il n'est
pas très facile de leur accorder ; car je te vois souvent faire semblant de ne
pas les entendre ; mais je ne désire de toi qu'une seule chose, et on ne peut
plus aisée.
JUPITER. Qu'est-ce donc, Cyniscus ? Tu
seras exaucé, surtout si ta demandé est aussi modeste que tu le dis.
CYNlSCUS. Réponds-moi donc, je te prie, à
une question tout à fait simple.
JUPITER. Vraiment, tes vœux sont modérés
et faciles à satisfaire. Fais-moi toutes les questions qu'il te plaira.
CYNlSCUS. Voici ce dont il s'agit, Jupiter.
Tu as lu probablement les Poèmes d'Homère et ceux d'Hésiode ; dis-moi si l'on
doit regarder comme vrai ce qu'ils chantent dans leurs rhapsodies au sujet de la
Destinée et des Parques, qu'il est impassible d'éviter le sort, qu'elles ont
filé à chacun au moment de si naissance (01).
JUPITER. C'est très vrai. Il n'est rien
qui ne soit ordonné par les Parques : tout ce qui arrive est l'œuvre de leur
fuseau, et l'événement est toujours tel qu'elles l'ont filé dès l'origine :
il n'est pas possible qu'il en soit autrement.
2. CYNlSCUS.
Ainsi, lorsque Homère dit dans une autre partie de son poème (02)
:
Afin que, résistant aux lois
fixes du sort,
Tu ne descendes pas au séjour de la mort,
et le reste, nous pouvons affirmer que c'est un radotage tout pur.
JUPITER. Certainement. Rien de pareil ne
peut arriver sans l'ordre des Parques et contrairement à leur fil. Tout ce que
les poètes chantent sous l'inspiration des Muses est conforme à la vérité.
Mais quand ces déesses les abandonnent, et qu'ils n'écrivent que de leur
propre fonds, alors ils se trompent et débitent le contraire de ce qu'ils ont
dit auparavant. Il faut d'ailleurs les excuser : ils sont hommes, et la vérité
leur échappe, dès qu'ils n'ont plus ce souffle divin, qui inspirait leurs
rhapsodies.
CYNlSCUS. Eh bien, supposons qu'il en soit
ainsi. Réponds encore à cette question. Les Parques ne sont-elles pas au
nombre de trois, Clotho, Lachésis, je crois, et Atropos ?
JUPITER. Sans doute.
3. CYNlSCUS.
Qu'est-ce donc que la Destinée et la Fortune, dont on parle tant ? Quelle est
la puissance de chacune d'elles ? Est-elle égale ou supérieure à celle des
Parques ? J'entends dire à tous les hommes que rien n'est plus puissant que la
Fortune et la Destinée.
JUPITER. Il ne t'est pas permis de tout
savoir, Cyniscus. Mais pourquoi me fais-tu cette question à propos des Parques
?
4. CYNlSCUS.
Je te le dirai, quand tu auras répondu à ceci : ces trois sœurs vous
commandent-elles aussi, Jupiter, et êtes- vous contraints d'être suspendus à
leur fuseau ?
JUPITER.
Nous y sommes contraints, Cyniscus. Qu'as-tu donc à rire ?
CYNlSCUS.
C'est que je me rappelle certains vers d'Homère, où le poète te représente
haranguant dans l’assemblée des dieux, en les menaçant de suspendre
l'univers à une chaîne d'or. Tu dis que tu jetteras du ciel une chaîne, à
laquelle tous les dieux attachés s'efforceraient en vain, s'ils le voulaient,
de t'entraîner en bas, mais que toi, tu pourrais, à ton gré, les enlever
tous,
Avec la terre entière et
l'abîme des mers (03).
Tu me parus alors d'une force étonnante ; je frissonnais au seul récit de
ces vers : maintenant, au contraire, je te vois avec ta chaîne et tes menaces
suspendu, suivant ton aveu, à un léger fil. Il me semble que Clotho a plus
raison que toi d'être fière de son pouvoir, puisqu'elle t'enlève et te
suspend à son fuseau, comme les pécheurs enlèvent les petits poissons avec
leur ligne.
5. JUPITER.
Je ne sais pas où tu veux en venir avec tes questions.
CYNlSCUS. Le voici, Jupiter ; et je te
supplie, au nom des Parques et de la Destinée, de m'entendre, sans humeur et
sans colère, te dire franchement la vérité. Si les choses sont comme nous
l'avons dit, si les Parques sont tellement nos souveraines, que l'on ne puisse
rien changer à ce qu'elles ont une fois résolu, pourquoi donc, nous autres
hommes, vous offrons-nous des sacrifices, pourquoi vous immolons-nous des
hécatombes, vous demandant en échange toutes sortes de biens ? Je ne vois pas
quel profit nous pouvons retirer de ce culte, si nos prières ne peuvent obtenir
l'éloignement des maux, ni aucune des faveurs que les dieux dispensent.
6. JUPITER.
Je sais où tu vas chercher toutes ces questions : c'est à l'école de ces
maudits philosophes, qui nient notre providence sur les hommes. C'est leur
impiété qui leur inspire de pareilles demandes, et ils cherchent à détourner
les autres de nous adresser des sacrifices et des prières, tout cela étant
fort inutile, vu que nous ne prenons nul soin de ce qui se passe chez vous, et
que nous n'avons aucune influence sur les affaires terrestres. Mais ils ne se
réjouiront pas toujours de leurs démonstrations.
CYNlSCUS. Non, Jupiter, j'en jure par le
fuseau de Clotho, ce ne sont pas eux qui m'ont inspiré ces questions ; c'est
notre propos même, sans que nous nous en doutions, qui nous amène au point de
dire que les sacrifices sont inutiles. Or, si tu veux le permettre, je
t'adresserai encore quelques petites demandes ; réponds-y sans hésiter, et
avec le plus de fermeté possible.
JUPITER. Interroge, puisque tu as du temps
à perdre à ces niaiseries.
7. CYNlSCUS.
Tu dis que tout arrive par ordre des Parques.
JUPITER. Oui.
CYNlSCUS. Qu'il ne vous est pas possible de
rien changer à leurs décrets et de dérouler leur fuseau.
JUPITER. Nous n'y pouvons rien.
CYNlSCUS. Veux-tu que je te tire de là une
conséquence, ou te paraît-elle assez évidente pour que je n'aie pas besoin de
la dire ?
JUPITER. Elle est évidente. Ceux qui
sacrifient ne le font pas par besoin, payant ce qu'ils ont reçu de nous et nous
achetant en quelque sorte les biens, mais seulement pour honorer la
supériorité de notre nature.
CYNlSCUS. Cela suffit ; tu avoues toi-même
que les sacrifices n'ont aucun but utile, et que c'est par bonté d'âme que les
hommes honorent la supériorité de votre nature. Cependant, si quelqu'un de nos
sophistes était ici, et qu'il te demandât sur quoi tu prétends que les dieux
sont d'une nature supérieure, étant d'ailleurs soumis au même esclavage que
les hommes et aux mêmes maîtresses, qui sont les Parques, il ne suffirait pas
d'alléguer que les dieux sont immortels pour prouver l'excellence de leur être
; car c'est en cela même que consiste leur infériorité, attendu que la mort,
au défaut de tout autre moyen, nous rend libres, tandis que votre malheur dure
à l'infini, et que votre esclavage éternel est dévidé par un fil qui ne
s'arrête jamais.
8. JUPITER.
Cependant, Cyniscus, cette éternité, cet infini, c'est là notre bonheur, et
nous y vivons sans cesse au sein des plaisirs.
CYNlSCUS. Pas tous, Jupiter ; niais chez
vous les affaires des uns ne sont pas celles des autres, et il y a là une
grande confusion. Toi, tu es heureux, tu es le roi, tu peux enlever la terre et
la mer, comme au bout d'une corde à puits ; mais Vulcain est boiteux, artisan
et forgeron de son métier. Prométhée a jadis été mis en croix. Que dirai-je
de ton père, qui est encore enchaîné dans le Tartare ? On dit que vous pouvez
être amoureux, sujets à recevoir des blessures, réduits parfois à
l'esclavage chez les hommes, comme ton frère chez Laomédon, comme Apollon chez
Admète. Tout cela ne me paraît pas du bonheur. Quelques-uns d'entre vous me
paraissent heureux et bien partagés, mais pour les autres c'est tout le
contraire. Je ne parle pas des voleurs qui vous attaquent aussi bien que nous,
des sacrilèges qui vous dépouillent, et qui, de riches, vous réduisent, en un
clin d'œil, à la dernière pauvreté. Ajoutons que plusieurs d'entre vous sont
passés à l’état de lingot, pour avoir été d'or ou d'argent, parce que c’était
un décret de la Destinée.
9. JUPITER. Prends garde, Cyniscus, tes
discours deviennent insolents, et tu pourrais bien t'en repentir.
CYNlSCUS. Trêve de menaces, Jupiter ; tu
sais qu'il ne peut m'arriver que ce que les Parques auront décidé avant toi :
et puis je vois que les sacrilèges mêmes, loin d'être punis, vous échappent
presque tous. La Destinée, je pense, ne veut pas qu'ils soient pris.
JUPITER. Ne disais-je pas que tu es un de
ces impies, qui, par leurs raisonnements, cherchent à détruire la Providence ?
CYNlSCUS. Tu en as terriblement peur,
Jupiter, et je ne vois pas trop pourquoi. Ainsi, tu t'imagines que tout ce que
je te dis émane de leurs doctrines ?
10. Pour ma part (car de quel autre que de
toi-même puis-je apprendre la vérité ?) je te ferai volontiers encore cette
question : qu'est-ce que votre Providence ? Est-ce une Parque, ou bien une
divinité supérieure, qui ait sur elles quelque autorité ?
JUPITER. Je t’ai déjà dit, Cyniscus,
qu'il ne t'est pas permis de tout savoir. Dans le principe, tu prétendais
n'avoir qu'une chose à me demander, et tu ne cesses de me poursuivre d'une
foule d'arguties. Je vois que le but principal de ton entretien est de prouver
que notre providence ne règle pas les affaires humaines.
CYNlSCUS. Ce n'est pas moi qui l'ai dit,
c'est toi qui as avoué tout à l'heure que les Parques sont les souverains
arbitres de l'univers, à moins que tu ne te repentes de cet aveu, et que tu ne
veuilles te rétracter ; ou peut-être vous disputez-vous ce soin, et
cherchez-vous à en écarter la Destinée.
11. JUPITER.
Pas du tout. Seulement, c'est par nous que la Parque accomplit ses décrets.
CYNlSCUS. J'entends. Vous êtes les
serviteurs et les ministres des Parques, vous l'avouez. Mais alors ce seraient
elles qui exerceraient la providence : vous ne seriez que leurs instruments et
leurs outils.
JUPITER. Que dis-tu ?
CYNlSCUS. Le voici : de même que la hache
et la tarière servent au charpentier, mais ne doivent pas être confondues avec
cet artisan, et qu'un navire n'est pas l'œuvre de la hache et de la tarière,
mais celle du charpentier, ainsi le grand charpentier de l'univers c'est la
Destinée, et vous, vous n'êtes que les tarières et les haches des Parques. Il
me semble, d'après cela, que les hommes doivent offrir leurs sacrifices à la
Destinée et lui demander les biens, tandis qu'ils s'adressent à vous et vous
honorent par des processions et des victimes. Et cependant ils honoreraient la
Destinée, qu'ils ne seraient pas encore tenus de le faire, puisqu'il est
impossible, je crois, aux Parques mêmes de changer ou de modifier en rien ce
qu'elles ont ordonné de chacun, dès l'origine. Par exemple, Atropos ne
souffrirait pas que l'on voulût tourner son fuseau en sens inverse, et
détruire l'ouvrage de Clotho.
12. JUPITER. Tu prétends donc, Cyniscus,
que les Parques n'ont aucun droit aux honneurs des hommes, et tu as l'air de
brouiller tOut dans une confusion générale. Mais nous n'aurions pas d'autres
titres à ces honneurs, qu'il nous resterait encore celui de prédire l'avenir
et de révéler tout ce qui a été décidé par les Parques.
CYNlSCUS. En somme, Jupiter, il est inutile
de prévoir ce qui doit être, quand il est impossible de l'éviter, à moins
que tu ne veuilles dire par là que celui qui sait d'avance qu'il mourra par le
fer d'une lance peut se soustraire à la mort, en s'enfermant dans une prison.
Mais cela même est impossible. La Destinée l'en fera sortir pour aller à la
chasse et le livrera au fer meurtrier. Adraste, en lançant son javelot contre
un sanglier, manquera l'animal, et tuera le fils de Crésus; car l'arrêt
inévitable des Parques dirige le fer contre le jeune homme (04).
13. Et cet oracle donné à Laius
n'est-il pas bien risible (05) :
Garde-toi d'engendrer, malgré
l'ordre des dieux ;
Tes jours seraient tranchés pat un fils odieux.
Ce n'était pas la peine, je pense, de donner cet avis, puisque l'événement
devait, de toute nécessité, s'accomplir, En effet, malgré cet oracle, il
engendra, et son fils le tua. Je ne vois donc pas à quel titre vous réclamez
le salaire de vos prédictions.
14. Je pourrais ajouter que vous avez
l'habitude de faire au vulgaire des réponses ambiguës, qu'ainsi vous
n'expliquez pas nettement si celui qui passera l'Halys (06)
détruira son propre empire ou celui de Cyrus. L'oracle a ces deux sens.
JUPITER. Apollon, Cyniscus, avait un motif
d'être en colère contre le roi de Lydie, qui l'avait éprouvé en faisant
cuire dans un même vase de la chair de mouton et de tortue.
CYNlSCUS. Un dieu ne devait pas se fâcher.
Je crois plutôt qu'il était écrit que le Lydien serait trompé par un oracle,
et qu'en outre la Destinée lui avait filé la chance de n'en pas comprendre le
sens : d'où je conclus que votre divination appartient encore à la Destinée.
15. JUPITER.
Mais tu ne nous laisses rien. Nous ne sommes donc plus des dieux que pour rire,
si notre providence n'a aucun pouvoir sur les affaires humaines, et, si nous ne
méritons pas plus de sacrifices que des tarières ou des haches ? Je crois, ma
foi, que tu te moques de moi, en me voyant, moi qui suis prêt à lancer la
foudre, supporter patiemment de tels propos.
CYNlSCUS. Frappe, Jupiter ; s'il est écrit
que je dois être frappé de la foudre, je ne t'accuserai pas du coup, mais
Clotho qui m'aura blessé par ton bras ; car je ne pourrais pas m'en prendre à
la foudre même de ma blessure. Cependant, il faut que je vous demande à toi et
à la Destinée, pour laquelle je te prie de me répondre, une chose dont tes
menaces me font souvenir.
16. Pourquoi, laissant en paix les
sacrilèges et les brigands, tant d'hommes effrontés, violents et parjures,
foudroyez-vous la plupart du temps un chêne, une pierre, le mât d'un navire
qui n'en peut mais, quelquefois même un vertueux et honnête voyageur ?
Pourquoi ne réponds-tu pas, Jupiter ? Est-ce qu'il ne m'est pas permis de
savoir cela ?
JUPITER. Non, Cyniscus ; tu es trop
curieux, et je ne sais pas où tu as pris tout ce que tu viens entasser contre
moi.
CYNlSCUS. Alors je ne vous demanderai pas,
ni à toi, ni à la Providence, ni à la Destinée, pourquoi le vertueux Phocion
est mort dans une si grande pauvreté, dans une disette absolue du nécessaire,
et Aristide avant lui, tandis que Callias et Alcibiade, jeunes libertins, furent
comblés de richesses, ainsi que l'insolent Midias, et Charops d'Éginète
infâme débauché, qui fit mourir de faim sa propre mère. Je ne vous
demanderai pas non plus pourquoi Socrate fut livré aux Onze, et non pas
Mélitus ; pourquoi l'efféminé Sardanapale fut roi, tandis que tant de braves
Perses furent mis en croix par ses ordres pour n'avoir pas approuvé tous ses
actes (07).
17. Enfin je n'entre pas dans le détail de
ce qui se passe ici bas, où nous voyons prospérer les méchants et les
cupides, tandis que les honnêtes gens sont en proie à la pauvreté, accablés
par les maladies et par des maux sans nombre (08).
JUPITER. Tu ne sais donc pas, Cyniscus,
quelles punitions attendent les scélérats après leur vie, et de quelle
félicité jouiront les justes ?
CYNlSCUS. Tu veux parler des Enfers, des
Tityus, des Tantales : s'il y a quelque chose comme cela, j'en saurai la
vérité quand je serai mort. Pour le moment je voudrais, quel que soit le peu
le temps que j'ai à vivre, le passer agréablement, au risque d'avoir, après
ma mort, le foie déchiré par seize vautours ; mais je ne voudrais pas, de mon
vivant, avoir soif comme Tantale, dussé-je boire un jour tant qu'il me plaira,
couché avec les héros dans les îles des bienheureux, au milieu des prairies
de l'Élysée.
18. JUPITER. Que dis-tu là ? Tu doutes
peut-être qu'il existe des supplices et des récompenses, un tribunal où l'on
examine là vie de chacun ?
CYNlSCUS. J'ai entendu parler d'un certain
Minos de Crête, qui exerce là-bas les fonctions de juge. Tu peux m'en dire des
nouvelles, puisqu'on prétend qu'il est ton fils.
JUPITER. Que veux-tu savoir sur son compte,
Cyniscus ?
CYNlSCUS. Quels sont ceux qu'il punit,
surtout ?
JUPITER. Les méchants, tels que les
homicides, les sacrilèges.
CYNlSCUS. Et quels sont ceux qu'il envoie
chez les héros ?
JUPITER. Les bons, les saints, ceux qui ont
toute leur vie pratiqué la vertu.
CYNlSCUS. Et pourquoi cela, Jupiter ?
JUPITER. Parce que les uns ont mérité une
récompense et les autres un châtiment.
CYNlSCUS. Et si quelqu'un a commis un crime
involontaire, est-il juste de le punir ?
JUPITER. Non.
CYNlSCUS. Et si, sans le vouloir, on a fait
une bonne action, mérite-t-on d'être récompensé ?
JUPITER. Pas davantage.
CYNlSCUS. Par conséquent, Jupiter, Minos
ne doit punir ni récompenser personne.
JUPITER. Comment, personne ?
CYNlSCUS. Parce que nous autres hommes,
nous ne faisons rien par notre volonté ; nous sommes soumis aux ordres d'une
nécessité inévitable, si du moins le principe établi précédemment est
vrai, à savoir que la Parque est la cause souveraine.
Si quelqu'un commet un meurtre, c'est elle qui le commet ; si l'on est
sacrilège, on ne fait que ce qu'elle a décidé ; d'où il suit que si Minos
veut juger avec équité, il doit punir la Destinée au lieu de Sisyphe, et la
Parque au lieu de Tantale. Quel mal, en effet, ont-ils commis ? Ils ont obéi à
des ordres.
19. JUPITER. Tu ne vaux pas la peine que je
réponde à de pareilles questions; tu n'es qu'un impertinent et un sophiste; je
te laisse et je m'en vais.
CYNISCUS. J'avais pourtant encore quelque
chose à te demander: où habitent les Parques? comment peuvent-elles suffire à
tant de soins minutieux, n'étant que trois? Ce doit être une vie bien
occupée, un lot peu agréable que d'avoir tant de choses à faire, et elles ne
sont pas nées sous un destin propice. Pour moi, si j'avais à choisir, je ne
changerais pas ma vie pour la leur; j'aimerais mieux être encore plus pauvre
que je ne suis, que de vivre assis, occupé à tourner un fuseau, chargé de
choses si compliquées, et l'œil sans cesse à tout. Si tu ne trouves pas
facile de répondre à tout cela, Jupiter, je me contenterai de ce que tu m'as
déjà répondu: cela me suffit pour éclaircir la question de la Destinée et
de la Providence, et il était écrit probablement que je n'en dois pas savoir
davantage.
(01) Cf. Homère, Iliade,
XX, v, 128.
(02) Iliade.
XX, v. 338.
(03) Iliade,
VIII, v. 24.
(04) Voy. cette
histoire dans Hérodote, I, chap. XXXIV, : Cf. Valère Maxime, VII, IV.
(05) Euripide, Phéniciennes, V. 18 et 19.
(06) Fleuve célèbre de l'Asie Mineure, affluent
du Pont-Euxin, aujourd'hui Kizy-Ermak. Voy. pour la réponse de l'oracle,
Hérodote, I, Cicéron, De la divination, II, LVI, cf. Jupiter
tragique, 20.
(07) Cf. Un fragment de Soladès. dans Stobée, Florilegium.
XCVI.
(08) Voy. plus loin, page 91, note 2.