LYCINUS ET THÉOMNESTE.
1. LYCINUS. L'amoureux plaisir, voilà,
mon cher Théomneste, la conversation dont tu as rempli depuis ce matin mes
oreilles fatiguées d'affaires sérieuses, car j'avais vraiment soif d'un
semblable délassement, quand a coulé fort à propos la source gracieuse de tes
discours. Notre esprit est trop faible pour soutenir une application sans
relâche, et les travaux opiniâtres demandent que, de temps en temps, on
interrompe les réflexions graves pour se livrer aux plaisirs. Le charme et la
douceur de tes histoires un peu libertines me divertissent tellement depuis le
point du jour, que je m'imagine être presque un autre Aristide (02),
enchanté des fables milésiennes. Je suis seulement fâché, j'en jure par tes
amours, aux traits desquels tu as offert un large but, que tu en aies déjà
terminé le récit. Aussi, je te supplie, au nom de Vénus, si tu as encore à me
raconter quelqu'une de tes amoureuses aventures avec un garçon ou bien, par
Jupiter, avec une femme, de l'évoquer doucement dans ton souvenir. D'ailleurs,
nous célébrons aujourd'hui une fête des plus solennelles : nous sacrifions à
Hercule. Tu n'ignores pas combien ce dieu était ardent aux plaisirs de Vénus.
Il me semble que tes discours seront pour lui d'agréables victimes.
2. THÉOMNESTE. Tu compterais plutôt, Lycinus, les vagues de la mer et les
flocons de neige qui tombent du ciel, que le nombre de mes amours. Je pense que
j'ai vidé tout leur carquois, et que, quand ils voudront voler vers quelque
autre, il se rira de leur main désarmée. Depuis le jour où je suis sorti de
l'enfance pour être rangé parmi les adolescents, je me joue de désir en désir.
Les amours se succèdent sans interruption, et le premier n'a pas pris fin que
déjà le second commence, têtes de Lerne plus entrelacées que celles de l'hydre,
toujours renaissantes, et contre lesquelles ne peut rien le secours de Iolas. Ce
n'est pas, en effet, dans le feu que le feu va s'éteindre. Je ne sais quel
humide attrait habite dans mes yeux, qui ravit à soi, sans se lasser jamais,
toute espèce de beauté. Souvent il m'est venu à la pensée que c'était un effet
du courroux de Vénus. Je ne suis point pourtant une fille du Soleil, je n'ai pas
commis le crime des Lemniennes (03), et l'on ne me
voit pas la sauvage fierté d'Hippolyte, pour avoir allumé l'implacable colère de
la déesse.
3. LYCINUS. Cesse, Théomneste, cette dissimulation affectée que je ne puis
souffrir. Quoi ! tu serais fâché que le sort t'eût donné en partage un pareil
genre de vie ? Il te paraît dur de vivre dans la société de femmes charmantes,
de jeunes garçons florissants de beauté ? Ah ! sans doute, il faudra quelque
sacrifice expiatoire pour te délivrer d'un si grand mal. C'est une
affection dangereuse. Laisse donc là tout ce badinage, et regarde-toi comme
heureux de n'être pas condamné par les dieux à l'agriculture, ennemie de la
propreté, au commerce, qui nous expose à des courses fatigantes, à la milice
toujours en armes. Les exercices onctueux de la palestre sont ta seule
occupation. Une robe élégante descend somptueusement à tes pieds.
Ton unique soin est d'entretenir ta chevelure séparée. Le tourment même
des désirs amoureux est rempli de charmes, et le plaisir te fait sentir ses
morsures pleines de douceur. La poursuite te conduit à l'espoir, et la conquête
à la jouissance, en sorte que tu trouves une volupté toujours égale dans le
présent et dans l'avenir. Tout à l'heure, lorsque tu me faisais le dénombrement,
aussi long que le catalogue d'Hésiode, de toutes les beautés que tu as aimées
depuis ta première jeunesse, les traits joyeux de tes regards nageaient dans une
humide mollesse, ta voix s'attendrissait, douce comme celle de la fille de
Lycambe (04), et l'on voyait clairement, à ton
maintien, que le souvenir de tes amours ne t'est pas moins cher que tes amours
mêmes. Allons, s'il te reste encore quelque chose à me dire de ta navigation
faite sous les auspices de Vénus, ne me cache rien, offre un sacrifice complet à
Hercule.
4. THÉOMNESTE. Ce dieu, Lycinus, avale des bœufs entiers, et il n'aime point,
comme on dit, les victimes sans fumée. Puisque nous avons résolu d'honorer sa
fête annuelle par des discours, je crains que mes récits, qui durent depuis ce
matin, n'engendrent la satiété, prolongés davantage. Il faut que ta muse, à ton
tour, quittant ses occupations accoutumées, se plie à d'autres chants et passe
gaiement la journée en l'honneur du dieu. Sois aujourd'hui mon arbitre
impartial. Je ne te vois aucun penchant pour l'une des deux passions.
Dis-moi lesquels tu estimes le plus, les philopèdes ou ceux qui se plaisent au
commerce des femmes. Pour moi, qui ressens l'une et l'autre flamme, je reste
dans un équilibre parfait, semblable à une balance égale dans ses deux plateaux.
Mais toi, sans intérêt dans la cause, guidé par la seule raison, tu peux te
prononcer pour le meilleur parti. Dépouille donc, mon doux ami, toute
dissimulation, et le suffrage que t'inspire le récit de mes amours, porte-le
sans hésiter.
5. LYCINUS. Crois-tu donc, Théomneste, que la question puisse se décider en
badinant et en jouant ? Rien n'est plus grave. J'ai essayé, il y a quelque
temps, de la résoudre, et je sais combien elle est sérieuse, surtout depuis que
j'ai entendu naguère deux hommes la traiter avec chaleur, dans une dispute dont
le bruit me remplit encore les oreilles. Leurs sentiments n'étaient pas moins
différents que leurs discours. Ils n'avaient pas, comme toi, l'âme assez
bien trempée pour pouvoir, à leur gré, invincibles au sommeil, recevoir un
double salaire,
L'un en paissant des bœufs et l'autre des moutons (05).
Le premier de ces hommes mettait sa volupté suprême dans l'amour des garçons. Il
regardait la Vénus femelle comme un gouffre sans issue. L'autre, chaste sur
l'amour masculin, était passionné jusqu'à la fureur pour les femmes. Ils me
prirent pour juge de leur dispute, née de goûts opposés. Je ne puis te dire le
plaisir que j'en ressentis. La trace de leurs paroles est, pour ainsi
dire, empreinte dans mes oreilles, comme si elles venaient d'être prononcées.
Aussi, pour que tu n'aies rien à me reprocher, je vais te rapporter avec
exactitude ce que j'ai entendu dire à l'un et à l'autre.
THÉOMNESTE. Moi, je vais me lever d'ici et m'asseoir vis-à-vis de toi,
En attendant qu'Achille ait mis fin à ses chants (06).
Et toi, chante-nous, sur un air mélodieux, l'antique gloire de cette amoureuse
dispute.
6. LYCINUS. J'avais formé le dessein de m'embarquer pour l'Italie, et l'on
m'avait préparé un de ces vaisseaux légers à deux rangs de rames, dont se
servent les Liburniens (07), peuple qui habite le
golfe Ionique. Après avoir adoré, comme je le devais, tous les dieux de la
patrie, et supplié Jupiter hospitalier d'étendre une main propice sur cette
expédition dans un pays étranger, je descendis de la ville à la mer sur un char
attelé de mules. Je serrai la main de ceux qui me faisaient la conduite, foule
nombreuse de savants avec lesquels j'avais lié société et qui se séparaient de
moi avec quelque regret, je montai sur le vaisseau et m'assis à la poupe à côté
du pilote. Bientôt les efforts des rameurs nous éloignent de la terre. Un
vent favorable gonfle les flots derrière notre esquif. On dresse le mât au
milieu du navire, on attache l'antenne à la hune, on déploie les voiles roulées
confusément sur les cordages. Peu à peu la brise emplit la toile.
Nous volons avec la rapidité d'un trait, la vague bouillonne et frémit sous la
proue qui la fend.
7. Il est inutile d'allonger mon récit par le détail de tous les événements
sérieux ou plaisants qui nous arrivèrent durant la traversée. Après avoir côtoyé
le littoral de la Cilicie, nous entrons dans le golfe de Pamphylie, et, passant
ensuite avec quelque difficulté les îles Chélidonées (08),
ces limites fortunées de l'ancienne Grèce, nous relâchons à chacune des
principales villes de Lydie, où nous prenons plaisir aux légendes qui s'y
racontent, car on n'y trouve plus aucun reste de leur splendeur. Touchant alors
à Rhodes, la ville du Soleil (09), nous jugeons
convenable d'interrompre quelque temps notre navigation, qui jusque-là avait été
continue.
8. Les rameurs tirent le navire sur le sable et dressent leurs tentes auprès.
Moi je m'étais fait préparer un logis de passage en face du temple de Bacchus.
Je m'y rends tranquillement et en goûtant un plaisir extrême. Rhodes est, en
effet, la ville du Soleil, et sa beauté est digne du dieu qui la protège. Je
fais le tour des portiques consacrés à Bacchus, et j'admire en détail les
peintures dont la vue me charme et me remet en mémoire les fables héroïques.
Deux ou trois habitants, accourus vers moi, m'en expliquent le sens pour un
léger salaire, et j'avais d'ailleurs compris presque tout par conjecture.
9. Ma curiosité satisfaite, et lorsque je songeais déjà à retourner à mon logis,
le plaisir le plus flatteur qu'on puisse goûter à l'étranger vient s'offrir à
moi. J'aperçois deux hommes avec lesquels j'étais lié d'une vieille amitié.
Je crois qu'ils ne te sont pas inconnus, tu les as vus souvent ici et dans ma
maison. C'était Chariclès de Corinthe, jeune homme dont la beauté naturelle est
rehaussée par une parure recherchée, qui annonce son désir de plaire aux femmes.
Il était accompagné de Callicratidas l'Athénien, homme simple dans son
extérieur, qui s'est mis à la tête des orateurs politiques, et s'est fait un nom
dans l'éloquence populaire, adonné d'ailleurs aux exercices du gymnase, moins,
je crois, par goût de la palestre, que par amour pour les jeunes garçons. Il est
tout feu sous ce rapport, et sa haine contre le sexe féminin s'emporte jusqu'à
maudire Prométhée (10). Du plus loin qu'ils me
virent, l'un et l'autre accoururent à ma rencontre d'un air tout joyeux. Nous
nous serrons la main, suivant l'usage et chacun d'eux m'invite à venir chez lui,
mais moi, les voyant se disputer assez vivement à qui m'emmènerait :
"Aujourd'hui, leur dis-je, Callicratidas et Chariclès, il vaut mieux que vous
veniez chez moi, pour ne pas vous fâcher. Les jours suivants, car j'ai résolu
d'en passer ici trois ou quatre, vous me traiterez chacun à votre tour. Le sort
nommera celui qui doit commencer." Ce fut chose convenue.
10. Ce jour-là, je les régalai. Puis, le lendemain, je fus reçu chez
Callicratidas, et le surlendemain, chez Chariclès. Durant le festin, je
remarquai chez chacun de mes hôtes les preuves manifestes de leur passion.
L'Athénien n'était servi que par de jolis garçons. Pas un de ses esclaves
n'avait de barbe. Ils ne restaient chez lui que jusqu'au moment où leur
menton commençait à s'ombrager, et, dès que leurs joues se garnissaient d'un
léger duvet, il les envoyait en Attique pour avoir soin de ses campagnes.
Chariclès, au contraire, était entouré d'un chœur nombreux de danseuses et de
musiciennes : toute sa maison était pleine de femmes, comme dans les
Thesmophories (11). On n'y voyait pas l'ombre d'un
homme, si ce n'est peut-être quelque enfant ou quelque vieux cuisinier, dont
l'âge excluait tout soupçon de jalousie. C'étaient, comme je l'ai dit, des
indices suffisants de l'inclination de ces deux hommes. Souvent ils se livraient
sur la différence de leurs goûts de légères escarmouches, mais elles duraient
trop peu pour terminer la question. Lorsque le temps de remettre en mer fut
venu, ils voulurent tous les deux m'accompagner, ayant formé comme moi le
dessein de voyager en Italie.
11. Nous résolûmes de relâcher au port de Cnide, pour y voir le temple et la
fameuse statue de Vénus, ouvrage dû à l'élégant ciseau de Praxitèle, et vraiment
plein de vénusté (12). Nous fûmes doucement poussés
vers la terre par un calme délicieux, que fit naître, je crois, la déesse qui
dirigeait notre navire (13). Je laisse à mes autres
compagnons le soin des préparatifs ordinaires, et, prenant de chaque main notre
couple amoureux, je fais le tour de Cnide, en riant de tout mon cœur des figures
lascives de terre cuite (14), qu'il est naturel de
rencontrer dans la ville de Vénus. Nous visitons d'abord le portique de Sostrate
(15) et tous les endroits qui pourraient nous
procurer quelque agrément, puis nous nous rendons au temple de Vénus. Nous y
entrons, Chariclès et moi, avec un grand plaisir, mais Callicratidas, à
contrecœur, comme si cette vue sentait trop la femme. Je crois qu'il eût échangé
volontiers la Vénus de Cnide pour l'Amour de Thespies (16).
12. A peine étions-nous dans la première enceinte, que nous sommes caressés par
la douce haleine des zéphyrs amoureux. Le sol de la cour n'est point stérile ni
revêtu de dalles de pierres ; il abonde, ainsi qu'il convient à un lieu consacré
à Vénus, en arbres fruitiers, dont la tête verdoyante, s'élevant jusqu'aux
cieux, enferme l'air sous un épais berceau. En outre, le myrte, chargé de
fruits, pousse un abondant feuillage, sous l'influence de la déesse, tandis que
les autres arbres déploient à l'envi leurs beautés naturelles. Jamais la
vieillesse ne vient les dessécher et les blanchir ; une verdure éternelle règne
sur leurs jeunes rameaux toujours gonflés de sève. Il s'y mêle bien quelques
arbres qui ne produisent point de fruits, mais leur beauté les dédommage. Le
cyprès et le platane s'élèvent au plus haut des airs, et parmi eux, l'on voit se
réfugier aux pieds de Vénus le laurier, l'arbre de Daphné, qui, jadis, se
dérobait à la déesse. Le lierre amoureux rampe autour de chaque tronc, qu'il
tient embrassé. Des vignes entrelacées et touffues sont chargées de raisins, car
Vénus unie à Bacchus a plus de volupté (17).
On doit allier les plaisirs qu'ils procurent. Séparés, ils flattent moins
nos sens. Dans les endroits où le bocage épaissit l'ombre, des lits de verdure
offrent un doux repos à ceux qui voudraient y faire un festin. Les citoyens
distingués y viennent quelquefois, mais le peuple s'y porte en foule aux jours
de solennité, et fête réellement Vénus.
13. Après avoir suffisamment goûté la douceur de ces ombrages, nous rentrons
dans le temple même. La déesse en occupe le milieu. C'est une statue du
marbre de Paros, de la plus parfaite beauté. Sa bouche s'entrouvre par un
gracieux sourire. Ses charmes se laissent voir à découvert, aucun
voile ne les dérobe, elle est entièrement nue, excepté que de l'une de ses mains
elle cache furtivement sa pudeur (18). Le talent de
l'artiste se montre ici avec tant d'avantage, que le marbre, naturellement dur
et roide, semble s'amollir pour exprimer ses membres délicats. A cette vue,
Chariclès, transporté d'une espèce de délire, ne put s'empêcher de s'écrier :
"Heureux Mars, entre tous les dieux, d'avoir été enchaîné pour cette déesse !"
En disant cela, il court à la statue, et, serrant les lèvres, tendant le cou
autant qu'il le pouvait, il lui donne un baiser. Callicratidas regardait en
silence et concentrait son admiration. Le temple a une seconde porte pour ceux
qui veulent examiner avec attention la déesse, la voir par le dos et l'admirer
tout entière. En entrant par cette autre porte, on peut aisément
contempler sa beauté postérieure.
14. Ayant dessein de voir la déesse en entier, nous faisons le tour de
l'enceinte. Une femme, à qui la garde des clefs est confiée, nous eut à peine
ouvert la porte, qu'un étonnement subit s'empara de nous à la vue de tant de
beautés. L'Athénien qui, jusque-là, avait regardé avec indifférence, considérant
les parties de la déesse conformes à son goût, s'élève avec un enthousiasme plus
violent que celui de Chariclès : "Par Hercule ! que ce dos est bien proportionné
! Que ces flancs charnus offrent une agréable prise ! Comme ces chairs (19)
s'arrondissent avec grâce ! Elles ne sont point trop maigres ni sèchement
étendues sur les os. Elles ne se répandent pas non plus en un embonpoint
excessif ! Mais qui pourrait exprimer le doux sourire de ces deux petits trous
creusés sur les reins ? Quelle pureté de dessin dans cette cuisse et dans cette
jambe qui se prolonge en ligne droite jusqu'au talon? Tel Ganymède, dans les
cieux, verse le doux nectar à Jupiter. Car, pour moi, je ne voudrais pas
le recevoir de la main d'Hébé." À cette exclamation passionnée de Callicratidas,
peu s'en fallut que Chariclès ne demeurât immobile de surprise, et ses yeux,
flottant dans une langueur humide, trahirent son émotion.
15. Quand notre admiration satisfaite se fut un peu refroidie, nous aperçûmes,
sur l'une des cuisses de la statue, une tache semblable à celle d'un vêtement.
La blancheur éclatante du marbre faisait ressortir encore plus ce défaut.
D'abord, je me figurai, avec quelque vraisemblance, que ce que nous voyions
était naturel à la pierre. Les plus belles pièces ne sont point à l'abri de ce
défaut, et souvent un accident nuit à la beauté d'œuvres qui, sans cela,
seraient parfaites. Croyant donc que cette tache noire était un défaut naturel,
j'admirai l'art de Praxitèle, qui avait su dissimuler cette difformité du marbre
dans l'endroit où l'on pouvait le moins l'apercevoir. Mais la prêtresse qui nous
accompagnait nous détrompa en nous racontant une histoire étrange et vraiment
incroyable : "Un jeune homme, d'une famille distinguée, nous dit-elle, mais dont
le crime a fait taire le nom, venait fréquemment dans ce temple ; un mauvais
génie le rendit éperdument amoureux de la déesse. Comme il passait ici des
journées entières, on attribua d'abord sa conduite à une vénération
superstitieuse. En effet, dès la pointe du jour, avant le lever de l'aurore, il
accourait en cet endroit et ne retournait à sa demeure que malgré lui et
longtemps après le coucher du soleil. Durant tout le jour, il se tenait assis
vis-à-vis de la déesse. Ses regards étaient continuellement fixés sur
elle. Il murmurait tout bas je ne sais quoi de tendre, et lui adressait en
secret des plaintes amoureuses.
16. Voulait-il donner le change à sa passion, il disait quelques mots à la
statue, comptait sur une table quatre osselets de gazelle, et faisait dépendre
son destin du hasard. S'il réussissait, si surtout il amenait le coup de Vénus (20);
aucun dé ne tombant dans la même position, il se mettait à adorer son idole,
persuadé qu'il jouirait bientôt de l'objet de ses désirs. Mais si, au contraire,
ce qui n'arrive que trop souvent, le coup était mauvais, et si les dés tombaient
dans une position défavorable, il maudissait Cnide entière, s'imaginant éprouver
un mal affreux et sans remède. Puis, bientôt après, reprenant les dés, il
essayait, par un autre coup, de corriger son infortune. Déjà, la passion
l'irritant de plus en plus, il en avait gravé des témoignages sur toutes les
murailles. L'écorce délicate de chaque arbre était devenue comme un héraut
proclamant la beauté de Vénus. Il honorait Praxitèle à l'égal même de Jupiter.
Tout ce qu'il possédait de précieux chez lui, il le donnait en offrande à la
déesse. Enfin la violence de sa passion dégénéra en frénésie, et son audace lui
procura les moyens de la satisfaire. Un jour, vers le coucher du soleil, à
l'insu des assistants, il se glisse derrière la porte, et, se cachant dans
l'endroit le plus enfoncé, il y demeure immobile et respirant à peine. Les
prêtresses, suivant l'usage, tirent du dehors la porte sur elles, et le nouvel
Anchise est enfermé dans le temple. Qu'est-il besoin de vous dire le crime que
cette nuit vit éclore ? Ni personne ni moi ne pourrais l'essayer. Le lendemain
on découvrit des vestiges de ses embrassements amoureux, et la déesse portait
cette tache comme un témoin de l'outrage qu'elle avait subi. À l'égard du jeune
homme, l'opinion commune est qu'il se précipita contre des rochers ou qu'il
s'élança dans la mer. Le fait est qu'il disparut pour toujours."
17. La prêtresse parlait encore, que Chariclès, l'interrompant, s'écria : "Une
femme se fait donc aimer, même lorsqu'elle est de pierre ? Eh ! que serait-ce,
si l'on voyait vivante une beauté si parfaite ? Ne préférerait-on pas une seule
de ses nuits au sceptre de Jupiter ?" Alors Callicratidas se mettant à sourire :
"Nous ne savons pas encore, Chariclès, dit-il, si, en arrivant à Thespies, nous
n'apprendrons pas une foule d'histoires semblables. En attendant, ceci est une
preuve manifeste, qui dépose contre la Vénus que tu préfères. - Comment donc ?"
repartit Chariclès. Callicratidas lui répondit avec assez de raison, ce me
semble : "Ce jeune homme amoureux, dit-il, avait le loisir d'une nuit entière et
pleine liberté pour satisfaire complètement sa passion ; cependant il s'est
approché de la statue à la manière philopédique, et il eût voulu, je pense, ne
point trouver de femme de l'autre côté. " Quelques propos semblables, jetés au
hasard et sans ordre, ayant soulevé une dispute assez vive : "Mes bons amis,
leur dis-je, pour apaiser la querelle, traitez donc la question avec plus de
méthode, comme il convient entre gens instruits. Cessez une discussion qui,
n'étant point réglée, ne finirait jamais, et que chacun de vous, à tour de rôle,
soutienne son opinion. Il n'est pas encore temps de retourner au vaisseau.
Profitons de ce loisir pour nous livrer à la gaieté et à une recherche, qui peut
joindre l'utilité au plaisir. Sortons donc du temple, allons nous asseoir dans
quelqu'une des salles de festin et là nous pourrons, à notre aise, écouter et
dire tout ce qu'il nous plaira. Souvenez-vous seulement que celui qui sera
vaincu en ce jour ne doit plus, par la suite, revenir à la charge sur de pareils
objets."
18. Mon avis est approuvé. Nous sortons, moi gaiement et sans aucune
arrière-pensée, eux avec un air rêveur et roulant dans leur esprit mille
réflexions profondes, comme s'il se fût agi de disputer à qui conduirait la
pompe des Platéens (21). Arrivés dans un endroit
couvert, où régnait un épais ombrage, siège fort commode pour la saison d'été :
"Voici, leur dis-je, un lieu charmant. Du faîte de ces arbres les cigales
font entendre leurs chants mélodieux. " En même temps je m'assieds, comme un
juge, entre nos deux antagonistes, portant l'Héliée (22)
lui-même sur mes sourcils. Je leur présente à tirer au sort pour savoir
qui parlerait le premier, et la chance ayant désigné Chariclès, je lui ordonne
de commencer sur-le-champ son discours.
19. Celui-ci, passant la main sur son visage, après un instant de silence,
commence à peu près en ces termes (23) : "O toi, ma
souveraine, ô Vénus, dont je vais plaider la cause, mes prières invoquent ton
appui. Tout acquiert une perfection suprême, dès que tu daignes y répandre la
moindre goutte de ta douceur persuasive. Mais ce sont surtout les propos
d'amour qui te réclament. Tu en es la véritable mère. Femme, viens
défendre les droits des femmes et accorde aux hommes la grâce de rester dans le
sexe où la nature les a fait naître. En commençant ce discours, je prends à
témoin de ma sincérité la mère de tous les êtres, la source première de toute
génération, je veux dire la sainte nature de l'univers, qui, consolidant les
principes élémentaires du monde, l'air, le feu, la terre et l'eau, a, par leur
mélange, donné la vie à tout ce qui respire. Elle savait que nous sommes un
composé de matière périssable, renfermé par le destin dans des bornes étroites
où chaque être doit vivre. Aussi a-t-elle fait en sorte que la
décomposition de l'un produisît la naissance de l'autre, et qu'à la mortalité
correspondît la reproduction, afin que tout vécût enchaîné dans une succession
éternelle. Mais comme il n'était pas possible que d'un seul être il naquît
quelque chose, elle a formé, dans chaque espèce, deux sexes différents : le
mâle, auquel elle a donné la puissance génératrice, et la femelle, dont elle a
fait comme le dépositaire du trésor de la génération. Elle inspire donc à tous
deux un penchant réciproque, elle les unit sous le joug sacré de la nécessité,
et, prescrivant à chacun de rester fidèle à sa propre nature, elle défend à la
femelle d'affecter les facultés du mâle, et au mâle de se dégrader par une
indigne mollesse. C'est ainsi que l'union de l'homme avec la femme a conservé
jusqu'à ce jour la race humaine par d'immortelles successions. Aucun homme ne
peut se vanter d'avoir été produit par un seul homme, mais deux noms
respectables obtiennent également nos hommages, et nous révérons une mère aussi
bien qu'un père.
20. Lorsque, voisins encore de leur origine, les hommes pensaient en héros, ils
respectaient la vertu qui nous rapproche des dieux, obéissaient aux lois de la
nature, et, s'unissant à des femmes d'un âge proportionné, ils devenaient pères
d'enfants vertueux. Peu à peu la société tomba de cette hauteur dans le gouffre
des voluptés, et se mit à creuser de nouvelles routes pour varier ses
jouissances. Bientôt la luxure osa tout et viola la nature même. Le premier
homme qui jeta sur son semblable un regard fait pour la femme, employa ou une
violence tyrannique ou une persuasion indigne. Un seul sexe entra dans un seul
lit. Deux infâmes amants osèrent se regarder sans rougir de leurs actes et
de leurs complaisances, et semant, comme on dit, parmi des pierres stériles, ils
échangèrent contre un léger plaisir une éternelle honte.
21. Quelques-uns poussèrent leur violence tyrannique jusqu'à oser mutiler la
nature avec un fer sacrilège, et privant des hommes de leur virilité, ils
cherchèrent à reculer les bornes du plaisir. Mais si ces victimes infortunées
demeurent plus longtemps dans l'enfance, c'est pour cesser d'être hommes et
devenir des monstres ambigus d'une double nature, qui, sans conserver le sexe
dans lequel ils sont nés, n'en ont pas davantage celui dans lequel ils sont
passés. La fleur de leur jeunesse, après avoir duré quelques instants, se
flétrit dans une vieillesse prématurée. On les compte presque à la fois
parmi les enfants et parmi les vieillards, et ils ne connaissent pas l'âge mûr.
Ainsi, la détestable luxure, qui enseigne à se souiller de tous les crimes,
imagine mille infâmes voluptés et se plonge dans le vice odieux que la pudeur me
défend de nommer, pour n'ignorer aucun genre de turpitude.
22. Si chacun restait fidèle aux lois que la Providence nous a prescrites, nous
nous contenterions de la société des femmes, et notre vie pure serait exempte de
toute infamie. Voyez les animaux, qui ne peuvent rien corrompre par une
disposition vicieuse. Ils observent dans toute sa pureté la loi de la
nature. Les lions ne brûlent point pour les lions, mais, dans la saison de leurs
amours, Vénus réveille en eux le désir de s'unir à leur femelle. Le taureau,
conducteur des troupeaux, saillit la génisse. Le bélier remplit toutes les
brebis de la substance fécondante. Quoi donc encore ? Le sanglier ne poursuit-il
pas la laie dans sa bauge ? Le loup ne court-il pas après la louve ? Pour tout
dire en un mot, ni les oiseaux qui sillonnent les airs, ni les poissons destinés
à nager dans les eaux, ni les quadrupèdes qui vivent sur la terre, ne
recherchent la société du mâle. Pour eux, les décrets de la Providence
sont immuables. Et vous, dont on a tort de vanter la sagesse, vous, hommes,
animaux vraiment pervers, comment se fait-il que, violant les lois de la nature,
dans un emportement étrange, vous vous souilliez d'une mutuelle infamie ?
Pourquoi, répandant sur votre âme une aveugle insensibilité, fuir ce que vous
devriez poursuivre et poursuivre ce qu'il vous faudrait fuir ? Si tous les
hommes prenaient le parti de vous imiter, il n'y aurait plus personne.
23. Mais, ici les disciples de Socrate font valoir une excuse admirable, qui
surprend les oreilles de la jeunesse, encore peu accoutumée à la justesse des
raisonnements, car un esprit mûr n'en pourrait être séduit. Ils feignent de
n'aimer que l'âme, et, rougissant d'être amoureux de la beauté du corps, ils
s'appellent eux-mêmes amants de la vertu. Cette pudeur m'a souvent fait éclater
de rire. D'où vient, vénérables philosophes, qu'un homme qui, pendant une longue
vie, a donné des preuves certaines de son mérite et de sa vertu, desquels la
vieillesse et les cheveux blancs rendent témoignage, vous trouve si dédaigneux,
tandis que votre chaste amour s'allume pour un enfant, dont la raison est à
peine éclose, et qui ne peut encore distinguer le parti qu'il doit prendre ?
Est-ce donc une loi, que toute difformité doit être taxée de perversité, et que
la beauté doit être estimée bonne sans examen ? Cependant, suivant Homère (24),
ce grand oracle du vrai:
L'un n'a pas la beauté, mais le ciel le couronne
De ces appas brillants que l'éloquence donne
Tout un peuple enchanté ressent, à son aspect,
Des transports de plaisir, d'amour et de respect.
D'une aimable pudeur les invincibles armes
A son génie encor semblent prêter des charmes.
S'il marche par la ville, on le prend pour un dieu.
Et ailleurs (25)
Chez vous, à la beauté ne s'unit point l'esprit.
En effet, le prudent Ulysse a plus obtenu d'éloges que le beau Nirée.
24. Comment donc se fait-il que jamais la sagesse, la justice, et les autres
vertus, qui sont l'apanage ordinaire de l'âge accompli, ne soient l'objet de vos
poursuites, et que la beauté qui éclate chez des enfants excite en vous les
passions les plus impétueuses? Eh quoi, Platon, fallait-il aimer Phèdre, pour
avoir trahi Lysias ? Convenait-il d'aimer la vertu d'Alcibiade, parce qu'il
avait mutilé les statues des dieux, et qu'au milieu d'une débauche, sa voix
indiscrète avait révélé les mystères d'Éleusis ? Qui donc osera s'avouer pour
son amant, lorsque Athènes est trahie, et Décélie fortifiée, lorsque sa conduite
n'aspire qu'à la tyrannie ? En effet, pour parler avec le divin Platon (26),
tant que ses joues ne furent point ombragées de barbe, il était aimable à tous
les yeux ; mais quand il eut passé de la puberté à l'âge viril, et que sa raison
jusqu'alors imparfaite eut acquis sa pleine maturité, il devint l'objet de la
haine générale. Pourquoi donc, imposant des noms honnêtes à des sentiments
honteux, appellent-ils vertu de l'âme ce qui n'est que beauté du corps, ces
hommes plus épris de la jeunesse que de la sagesse ? Mais de peur de paraître ne
rappeler ici le souvenir de ces illustres personnages que pour les rendre
odieux, je n'en dirai pas davantage sur leur compte.
25. Je descends de ces reproches à l'examen de l'espèce de volupté que vous
prétendez goûter, Callicratidas, et je vais prouver que l'usage d'une femme est
en cela bien préférable à celui d'un jeune garçon. D'abord je pense que plus
notre jouissance est de longue durée, plus elle est agréable. Un plaisir trop
prompt s'envole rapidement. Il a cessé avant qu'on ait pu le connaître.
C'est en se prolongeant qu'il devient plus délectable. Et plût aux dieux que la
Parque avare nous eût filé de plus longs jours, qu'une inaltérable santé en eût
rempli la durée, sans que jamais aucun chagrin eût empoisonné notre joie ! Tout
le temps de notre vie n'eût alors été qu'une fête, qu'une solennité. Mais
puisqu'un démon jaloux nous a refusé ces biens trop grands pour l'homme, parmi
les plaisirs présents, les plus doux sont ceux qui durent le plus. Or, une
femme, depuis sa puberté virginale jusqu'au milieu de son âge, et avant que les
dernières rides de la vieillesse aient sillonné ses attraits, est un objet digne
des embrassements et de la tendresse des hommes, et, quand elle a passé l'époque
de la beauté, son expérience peut encore parler plus éloquemment que les jeunes
garçons.
26. Mais celui qui s'adresse à un jeune homme de vingt ans me paraît lui-même un
coureur de jouissances infâmes, qui poursuit une Vénus ambiguë. Les membres d'un
tel mignon, formés comme ceux d'un homme, sont robustes et nerveux. De
délicat qu'était son menton, il est devenu rude par la barbe dont il est garni,
et ses cuisses arrondies se sont hérissées de poils. Je vous laisse, à vous gens
d'expérience, le soin de connaître ce qui est plus caché. Une femme, au
contraire, brille toujours, dans sa totalité, de couleurs gracieuses. Les
boucles multipliées des cheveux qui couronnent sa tête ressemblent aux festons
empourprés de la fleur d'hyacinthe : les uns flottent sur son dos pour embellir
ses épaules, les autres tombent le long des oreilles et des tempes, plus frisés
que l'ache qui croît dans nos prairies. Tout le reste de son corps, que
n'enlaidit aucun duvet, est, comme on dit, plus transparent que l'ambre, plus
brillant que le cristal de Sidon.
27. Mais parmi les plaisirs, pourquoi ne pas rechercher de préférence ceux qui
sont réciproques, ceux qui réjouissent également et celui qui les procure et
celui qui les reçoit ? L'homme ne se plaît point à mener une vie solitaire,
comme les animaux privés de raison. Liés, au contraire, par les rapports intimes
de la société, nous trouvons nos plaisirs plus grands et nos peines plus légères
quand d'autres les partagent avec nous. De là l'invention d'une table commune.
On la dresse pour être le centre d'une réunion amie, et si nous accordons à
notre estomac la mesure de jouissance qui lui est due, ce n'est point en buvant
seuls, par exemple, le vin de Thase (27), et en
nous gorgeant sans témoins de mets somptueux, mais chacun n'y trouve de volupté
qu'autant qu'un autre les partage avec lui, et c'est en communiquant nos
plaisirs qu'ils deviennent plus délicieux. Or, le commerce des femmes procure
une jouissance réciproque, et, après s'être également comblés, on se retire
également satisfaits, à moins qu'il ne faille s'en rapporter au jugement de
Tirésias, qui a déclaré que le plaisir de la femme est double de celui de
l'homme. Il convient donc, selon moi, que les hommes, quand ils recherchent une
jouissance, ne calculent point, par un excès d'égoïsme, comment ils en
retireront un avantage exclusivement personnel et recevront d'un autre toute la
somme du plaisir, mais par quel moyen ils pourront partager celui qu'ils goûtent
et rendre volupté pour volupté. C'est ce qui ne peut arriver avec les jeunes
garçons. Personne n'est assez fou pour le prétendre. Le philopède s'en va
après avoir goûté, à ce qu'il croit, une volupté parfaite, mais celui qui subit
cet outrage, commence par la douleur et par les larmes. Puis lorsque, avec
le temps, la souffrance est devenue moins cuisante, vous ne lui causez que de
l'importunité, sans une ombre de plaisir. Si même il est permis de pousser les
choses plus loin, et cela doit être dans un lieu consacré à Vénus, muliere
quidem, Callicratida, etiam puerilem in morem utenti oblectari licet, duplici
fructus aperta via, sed femineum fructum nullo modo mas praebere potest.
28. J'en conclus que, si la femme peut aussi vous plaire, nous devons à jamais
nous abstenir les uns des autres, ou bien, si le commerce d'un homme avec son
semblable est honnête, qu'à l'avenir les femmes puissent s'aimer entre elles.
Allons, homme de la génération nouvelle, législateur d'étranges voluptés,
inventeur de routes nouvelles à la lubricité des hommes, accorde donc aux femmes
une égale licence. Qu'à votre exemple elles s'unissent les unes aux autres. Que,
ceinte de ces instruments infâmes inventés par le libertinage, monstrueuse
imitation faite pour la stérilité, une femme embrasse une autre femme, comme le
ferait un homme ! Que ce mot, qui frappe si rarement vos oreilles et que j'ai
honte de prononcer, que l'obscénité de nos Tribades triomphe sans pudeur ! Que
nos gynécées se remplissent de Philénis (28), qui
se déshonorent par des amours androgynes ! Et combien encore ne vaudrait-il pas
mieux qu'une femme poussât la fureur de sa luxure jusqu'à vouloir faire l'homme,
que de voir celui-ci se dégrader au point de jouer le rôle d'une femme ?"
29. Après avoir prononcé ces mots avec chaleur et d'un ton élevé, Chariclès se
tut et lança des regards terribles et farouches. On eût dit qu'il venait
d'employer une conjuration expiatoire contre tous les amours masculins. Pour
moi, jetant doucement les yeux sur l'Athénien, je lui dis avec un léger sourire
: "En m'asseyant ici, Callicratidas, je m'attendais à ne juger qu'une bagatelle,
une plaisanterie, mais la véhémence de Chariclès a rendu, je ne sais comment, ma
fonction bien plus sérieuse. Il s'est passionné presque autant que s'il eût eu à
plaider, en plein Aréopage, sur un meurtre, sur un incendie, ou, par Jupiter,
sur un empoisonnement. Voici l'instant, ou jamais, d'appeler Athènes à ton
secours. Que l'éloquence persuasive de Périclès, que la langue des dix orateurs
armés contre la Macédoine viennent fortifier ta parole, et rappelle-nous
quelqu'une des fameuses harangues prononcées dans le Pnyx."
30. Callicratidas, après quelques moments de silence, pendant lesquels on lisait
sur son front la vive agitation de son esprit, commença sa réponse en ces mots :
"Si les femmes avaient le droit d'assister à l'Assemblée du peuple, de siéger
aux tribunaux et de participer à l'administration des affaires de l'État, elles
ne manqueraient pas, Chariclès, de te nommer prostate (29),
ou général d'armée, et de t'élever sur toutes les places des statues d'airain.
Quand on accorderait aux plus habiles d'entre elles la liberté de parler en
public, je ne crois pas qu'elles défendissent leur cause avec autant de chaleur.
Ni Télésilla, armée contre les Spartiates, et dont le courage fait compter Mars
parmi les divinités des femmes (30) . Ni
Sapho, cette douce gloire de Lesbos, ni la sage Théano, fille du sage Pythagore,
ni peut-être Périclès pour Aspasie n'eussent parlé avec tant d'éloquence. Mais
s'il sied à des hommes de prendre la défense des femmes, parlons à notre tour
pour notre sexe. O Vénus, sois-moi propice. Et nous aussi nous adorons
l'Amour.
31. Je croyais d'abord que notre différend ne passerait pas les bornes de la
plaisanterie, mais puisque mon adversaire appelle la philosophie au secours des
femmes, je saisis volontiers cette occasion de lui prouver que l'amour masculin
est le seul qui puisse allier la volupté à la vertu. Je souhaiterais, s'il était
possible, d'être assis sous le platane qui écoutait les discours de Socrate (31),
arbre plus heureux que l'Académie et que le Lycée, ombrage heureux sous lequel
reposait Phèdre, ainsi que nous l'apprend l'auteur divin que les Grâces ont
comblé de leurs faveurs. Sans doute, comme le hêtre de Dodone, il ferait sortir
de ses rameaux une voix sacrée, pour bénir nos amours masculins, au souvenir du
beau Phèdre. Vain souhait,
Puisque entre nous s'étend l'ombrage des montagnes (32),
Et le flot murmurant...
puisque nous sommes relégués sur une terre étrangère, et que Cnide favorise
Chariclès. Cependant on ne me verra pas trahir lâchement la vérité.
32. Seulement, viens à mon aide, génie céleste, confident de l'amitié,
hiérophante de ses mystères, Amour, non le perfide enfant que le pinceau des
peintres s'amuse à représenter, mais celui que le principe de toute génération
produisit parfait dès sa naissance. C'est toi qui, tirant l'univers de son
obscure difformité, l'as revêtu de sa forme brillante. Tu as soulevé,
comme la pierre d'un tombeau, le chaos ténébreux où gisait le monde et tu l'as
précipité dans les gouffres profonds du Tartare, où sont réellement
Et des portes de fer et des seuils tout d'airain (33)
;
afin qu'enchaîné dans une prison sans issue, il ne puisse en revenir jamais.
Puis, ton brillant flambeau dissipant la nuit obscure, tu es devenu le
fabricateur suprême de tous les êtres animés ou inanimés. Mais tu t'es plu
surtout à unir les hommes par les liens de la concorde, afin d'allumer dans les
cœurs le feu sacré de l'amitié, et pour qu'une âme innocente et tendre, élevée
sous l'abri de la bienveillance, parvînt à une parfaite virilité.
33. Le mariage est un remède inventé pour la perpétuité de l'espèce humaine.
L'amour masculin exerce seul un noble empire sur le cœur d'un philosophe. De
toutes les inventions, celles qui ont pour objet le luxe et le superflu sont
plus estimées que celles qui sont le fruit du besoin, et partout la beauté
l'emporte sur le nécessaire. Tant que les hommes furent ignorants et qu'ils
n'eurent pas le loisir de chercher ce qu'il y a de meilleur au-delà de
l'expérience de chaque jour, contents du présent, ils ne s'attachaient qu'au
nécessaire. L'urgence du temps les empêchait de trouver une plus heureuse
manière de vivre. Mais quand les besoins les plus pressants furent satisfaits,
le génie de la postérité, délivré des entraves du nécessaire, se sentit assez à
l'aise pour inventer quelque chose de plus parfait. De là le développement
progressif des arts, dont nous pouvons juger par ceux qui sont encore dans
l'enfance. Les premiers hommes étaient à peine nés, qu'ils cherchèrent un remède
contre la faim de chaque jour. Pressés par ce besoin toujours présent, et
l'indigence ne leur permettant pas de choisir une nourriture plus délicate, ils
vivaient de la première herbe venue, arrachaient quelques racines tendres ou
mangeaient le plus souvent le fruit du chêne. Bientôt après, ces aliments furent
abandonnés aux animaux sans raison, et les soins du laboureur se tournèrent vers
les semailles du froment et de l'orge, qu'il avait vu se renouveler tous les
ans. Et qui serait assez fou pour préférer un gland à un épi ?
34. En outre, dans cette enfance du monde, le besoin de se couvrir ne
commença-t-il pas par faire imaginer aux hommes d'écorcher des animaux pour se
vêtir de leurs dépouilles ? Les cavernes des montagnes ne leur servaient-elles
point d'asile contre le froid, ou bien quelque. amas de vieilles racines,
quelques creux d'arbres desséchés ? Peu à peu, ils perfectionnèrent ces modèles,
se tissèrent des vêtements, se construisirent des maisons, et insensiblement,
ces sortes d'arts, formés par les leçons du temps, produisirent, au milieu
d'un tissu grossier, des broderies élégantes. Les humbles cabanes furent
remplacées par des toits élevés, par des pierres superposées à grands frais, et
l'informe nudité des murailles brilla de la peinture fleurie des couleurs. C'est
ainsi que chacune de ces industries ingénieuses condamnées d'abord au silence,
et plongées dans un profond oubli, sortit, si l'on peut dire, d'un long coucher,
pour éclairer peu à peu son lever des plus brillants rayons. Ce qu'un artiste
avait inventé, il le transmit à son successeur, et cette chaîne héréditaire,
ajoutant sans cesse à ce qu'elle avait appris, finit par combler toutes ses
lacunes.
35. Il ne faut pas attendre de ces temps reculés quelque amour philopédique.
Force était de s'unir à des femmes, pour ne pas laisser l'espèce humaine
s'anéantir faute de reproduction. Mais la variété des connaissances et les
désirs de la vertu, qu'allume en nous l'amour du beau, ne devaient éclore qu'à
la longue, dans un siècle qui a porté ses investigations sur tous les points,
afin que la philopédie fleurît avec la divine philosophie. Garde-toi donc,
Chariclès, de condamner comme une mauvaise invention ce qui n'a point été trouvé
tout d'abord, et ne méprise point nos amours parce que le commerce des femmes
remonte à une antiquité plus haute. Songeons que les premières découvertes sont
le fruit de la nécessité, et que les inventions plus récentes du génie de
l'homme, fécondé par les loisirs, doivent avoir plus de prix à nos yeux.
36. Il m'a pris envie de rire, quand j'entendais tout à l'heure Chariclès faire
l'éloge des animaux et des déserts de la Scythie. On eût dit, à la chaleur de
ses discours, qu'il se repentait d'être Grec, et comme s'il n'eût rien avancé de
contraire à l'opinion qu'il avait prise en main, au lieu de parler à mi-voix,
pour nous dérober sa pensée, il élevait le ton et criait à plein gosier : "Les
lions, les ours , les sangliers ne s'aiment point entre eux, mais l'amour de
leur femelle est le seul qui les domine." Qu'y a-t-il d'étonnant ? Un sentiment,
qui appartient à la raison la plus élevée, peut-il exister chez des êtres que
leur aveuglement empêche de raisonner. Si Prométhée ou quelque autre dieu eût
départi à chacun d'eux une intelligence semblable à celle de l'homme, ils ne
mèneraient pas une vie sauvage au milieu des déserts, ils ne se dévoreraient pas
les uns les autres. Comme nous, ils se construiraient des temples,
habiteraient au milieu de leurs foyers, et seraient gouvernés par des lois et
des institutions publiques. Peut-on trouver extraordinaire que des animaux,
condamnés par leur nature même à ne recevoir de la Providence aucune des
prérogatives que donne la raison, soient privés, entre autres jouissances, des
plaisirs de l'amour masculin ? Les lions n'aiment pas les lions, mais ils ne
sont pas philosophes. Les ours n'aiment pas les ours, mais ils ne
connaissent pas les douceurs de l'amitié. Chez les hommes, au contraire, la
raison, guidée par le savoir, choisissant ce qu'il y avait de plus beau, après
de fréquentes expériences, a sanctionné, comme étant les plus solides, les
amours philopédiques.
37. Cesse donc, Chariclès, de puiser tes exemples dans la vie dissolue des
courtisanes. Ne viens plus, par des discours sans retenue, insulter à
notre gravité, et ne confonds plus un simple enfant avec l'Amour céleste.
Réfléchis, quoiqu'il soit un peu tard pour désapprendre à ton âge, réfléchis
pourtant, si tu ne l'as point encore fait, qu'il existe deux Amours, divinités
qui ne suivent pas la même route, et qui ne soufflent point le même feu dans nos
âmes. L'un, selon moi, ne s'occupe que de jeux puérils. La raison ne peut
tenir en bride aucune de ses pensées. Il règne avec violence sur les
hommes insensés. C''est de lui que viennent les désirs qui les entraînent
vers les femmes Il accompagne cette fougue éphémère qui les précipite avec
emportement vers l'objet de leur passion. L'autre Amour, plus ancien que les
siècles d'Ogygès, offre à tous un aspect grave, un spectacle vénérable.
Dispensateur des sentiments honnêtes, son souffle pénètre doucement dans nos
âmes, et quand ce dieu nous est propice, nous goûtons la volupté mêlée à la
vertu. Car, comme le dit le poète tragique (34),
l'amour a deux souffles différents, et, sous un même nom, il produit deux
passions opposées. C'est ainsi que la Pudeur est une double divinité, tout à la
fois utile et pernicieuse :
Une double pudeur sert ou perd les mortels (35),
Et ce combat sans fin se partage la terre :
L'une par ses bienfaits mérite des autels;
L'autre, fléau des cœurs, ne vit que de leur guerre.
Ainsi, l'on ne doit pas s'étonner qu'on ait donné à la passion la dénomination
qui ne convient qu'à la vertu, et que l'on ait appelé amour la volupté déréglée
et la tendresse honnête.
38. Et le mariage, dis-tu, n'est-ce donc rien ? Si vous proscrivez la race
entière des femmes, comment le genre humain subsistera-t-il ? Il serait à
désirer, comme l'a dit le sage Euripide (36),
qu'affranchis du commerce des femmes, les hommes pussent aller dans les
sanctuaires et dans les temples acheter avec de l'argent et de l'or des enfants
destinés à perpétuer leur lignée. En effet, la nécessité, courbant nos cous sous
le poids de son joug, nous contraint d'obéir à son empire. Puisque la
raison veut que nous choisissions ce qui est juste, l'utilité doit céder à la
nécessité. Nous admettons donc les femmes pour donner des enfants, mais pour le
reste, point de femmes, je n'en veux pas. Et quel homme sensé pourrait soutenir
le commerce d'une femme, qui, dès le matin, ne songe qu'à relever ses charmes
par mille artifices, dont la laideur est la forme caractéristique, et qui
corrige par des ornements étrangers ce que la nature offre en elle de révoltant
?
39. Si l'on voyait les femmes sortir le matin de leur lit, on s'apercevrait
qu'elles sont plus dégoûtantes que ces animaux (37)
dont on craint de prononcer le nom sinistre durant la matinée. Voilà pourquoi
elles s'enferment exactement et fuient les regards des hommes. Un laid troupeau
de vieilles et de servantes environnent leur laide maîtresse. Mille
drogues sont employées pour dissimuler sa vilaine figure, car ce n'est point
dans un ruisseau d'eau limpide qu'elle efface les traces d'un lourd sommeil,
avant de se mettre à quelque sérieux ouvrage, mais je ne sais combien d'espèces
de fards conspirent pour rehausser son teint désagréable. Les ministres de sa
toilette, rangées comme dans une procession publique, ont toutes quelque chose à
la main, bassins d'argent, aiguières, miroirs, bottes aussi nombreuses que dans
la boutique d'un pharmacopole, vases où sont renfermées mille compositions,
perfides trésors de l'art dont la puissance blanchit les dents ou noircit les
paupières (38).
40. Mais ce qui dépense le plus de temps, c'est la frisure des cheveux. Les
unes, au moyen de drogues qui rendent les boucles aussi étincelantes que le
soleil à son midi, les teignent comme de la laine, et leur donnent un éclat
blond qui leur fait perdre leur nuance naturelle. Celles qui croient qu'une
chevelure noire leur sied mieux, épuisent à les parfumer la fortune de leurs
époux. Leur tête exhale l'Arabie tout entière. Des instruments de fer,
chauffés à une flamme douce, contraignent les cheveux à se rouler en longs
anneaux, dont les boucles, conduites avec un soin minutieux jusqu'aux sourcils,
ne laissent au front qu'un étroit intervalle, tandis que les tresses de derrière
flottent fièrement sur le dos et sur les épaules.
41. On met ensuite une chaussure aux couleurs fleuries, qui presse le pied au
point de pénétrer dans les chairs. Un tissu fin et léger, qu'on appelle
vêtement, sert à ne point paraître nue. L'œil, à travers ce voile
diaphane, distingue mieux ce qu'il couvre que le visage même. Il n'y a que
les femmes dont la gorge est déformée qui la retiennent prisonnière. Que
dirai-je de leur luxe ruineux, de ces pierres rouges (39)
qui pendent à leurs oreilles et valent plusieurs talents, de ces serpents d'or
roulés autour de leurs poignets et de leurs bras ? Plût aux dieux que ce fussent
des serpents véritables ! Une couronne, toute brillante de pierres indiennes,
luit sur leur front étoilé. Des colliers d'un prix immense descendent de
leur cou. L'or est condamné à ramper sous leurs pieds, pour entourer la
partie du talon qu'elles laissent découverte. Il vaudrait mieux, sans doute, que
leurs jambes fussent enchaînées dans des ceps de fer. Lorsqu'elles ont ainsi
falsifié tout leur corps par les charmes trompeurs d'une beauté factice, elles
ont encore l'impudence de peindre leurs joues , de les rougir avec le fard, afin
d'animer la blancheur mate de leur peau par l'éclat fleuri de la pourpre.
42. Après tant de préparatifs, que font-elles ? Elles sortent de la maison,
provoquent des regards qui font mourir leurs maris de jalousie, et vont adorer
des divinités dont les hommes n'ont pas le bonheur de connaître les noms.
Ce sont des Coliades, je crois, des Génétyllides (40),
une déesse de Phrygie, une fête où l'on célèbre un amour malheureux pour un
berger (41). Viennent ensuite des initiations
secrètes, des mystères suspects, dont sont exclus les hommes. Mais qu'ai-je
besoin de détailler la corruption de leurs mœurs ? À peine de retour, elles
entrent dans un bain interminable. On dresse une table somptueuse et
délicate, où l'on voit éclater leur coquetterie avec les hommes. Quand elles ont
satisfait leur gourmandise, et que leur gosier ne peut plus recevoir d'aliments,
elles touchent aux mets du bout des doigts, afin de goûter à tous, devisant
cependant entre elles de leurs nuits, de leurs songes aux mille couleurs, de
leur lit où tout respire une voluptueuse mollesse, et dont on ne peut sortir
sans avoir besoin d'un bain.
43. Telle est pourtant la vie des plus sages. Mais qui voudrait scruter avec
exactitude et en détail la conduite de celles qui sont plus acariâtres, ne
pourrait s'empêcher d'éclater en imprécations contre Prométhée et de s'écrier
avec Ménandre (42) :
N'est-ce pas bien de montrer Prométhée
Sur le rocher du Caucase enchaîné ?
N'est-ce pas bien qu'une torche enfumée
Soit le seul don qui lui soit assigné ?
Les dieux, je crois, le haïssent dans l'âme
Pour le méfait d'avoir créé la femme.
La femme ! Est-il plus sotte invention ?
On se marie ; hélas ! quelle union !
Alors, Lachès, arrive la misère;
Autour du lit rôde maint adultère,
Et les poisons, et le tourment jaloux,
Qui mord au cœur et l'épouse et l'époux.
Qui voudra poursuivre de pareils biens ?
À qui cette vie misérable pourra-t-elle plaire ?
44. Opposons maintenant à la perversité des femmes les mœurs innocentes d'un
jeune garçon. Dès la pointe du jour, il quitte son lit qu'il ne partage avec
personne. Un bain d'eau pure lave le sommeil épanché sur ses yeux.
Il revêt sa tunique, il agrafe sa chlamyde sur son épaule. Bientôt il sort de la
maison paternelle, le front baissé, sans regarder en face aucun de ceux qu'il
rencontre. Ses esclaves et ses pédagogues l'accompagnent et lui font un honnête
cortège. Ils tiennent entre les mains les instruments de sa vertu.
Ce ne sont point les dentelures découpées d'un peigne destiné à caresser ses
cheveux ni des miroirs où son portrait se reflète sans le secours de la
peinture, mais de nombreuses tablettes marchent à sa suite, ou des livres,
précieux dépôt des vertus des vieux âges, ou sa lyre harmonieuse, s'il se rend
chez son maître de musique.
45. Après avoir fortifié son âme par les préceptes de la philosophie, rameuté
son esprit du cercle des connaissances, il développe son corps par de nobles
exercices. Les chevaux de Thessalie sont l'objet de ses soins, et après avoir
lui-même dompté sa jeunesse, comme un jeune coursier, il médite la guerre au
sein de la paix, lançant des javelots ou décochant des traits d'une main sûre (43).
Puis ce sont les palestres onctueuses, la poussière sous la chaleur d'un soleil
de midi, la sueur que font ruisseler les efforts de la lutte, un bain de
quelques instants, une table frugale qui prépare à de nouvelles occupations. En
effet, d'autres maîtres lui expliquent les faits de l'Antiquité, et prennent
soin de graver dans sa mémoire quel héros s'est distingué par son courage, quel
autre fut un exemple de prudence, quels sont ceux qui ont embrassé la justice et
la tempérance. Quand il a, pour ainsi dire, versé cette rosée sur sa jeune âme,
et que, le soir, mettant un terme à ses travaux, il a payé à son estomac le
tribut qu'il exige, il va goûter, dans un sommeil agréable, le repos dû aux
fatigues de la journée.
46. Qui ne serait l'amant d'un pareil jeune homme ? Qui serait assez aveugle,
assez insensé ? Qui n'aimerait ce Mercure dans les gymnases, cet Apollon jouant
de la lyre, ce Castor domptant les coursiers, ce mortel qui marche sur la trace
des dieux ? Pour moi, divinités célestes, puissé-je couler de longs jours, assis
en face d'un pareil ami , entendre de près son doux langage (44),
l'accompagner quand il sort, et partager tous ses travaux ! Il me resterait à
souhaiter que l'objet de ma tendresse, après une vie exempte de malheur et de
trouble, parvînt, libre de soucis, à la vieillesse, sans avoir jamais éprouvé
les traits jaloux de la fortune. Mais puisque telle est la loi de la nature
humaine, si quelque maladie l'afflige, je veux être malade avec lui. Je
veux l'accompagner sur une mer orageuse. Si quelque tyran le charge de
fers, je porterai les mêmes chaînes. Quiconque le détestera encourra ma haine,
et j'aimerai tous ceux qui lui témoigneront de la bienveillance. Si je vois des
brigands ou des ennemis l'attaquer, je le défendrai même au-delà de mes forces.
S'il vient à périr, je ne supporterai plus la vie, et les derniers vœux que
j'adresserai à ceux qui, après lui, me seront chers , c'est qu'ils nous creusent
une tombe commune, qu'ils confondent nos ossements et ne séparent point notre
poussière insensible.
47. Ce n'est pas moi qui, le premier, aurai gravé ces lois pour les objets
dignes de ma tendresse. La vertu héroïque qui se rapproche des dieux, en avait
déjà sanctionné les décrets, qui veulent que l'enthousiasme de l'amitié s'exhale
jusqu'à la mort. La Phocide unit, dès leur enfance, Oreste et Pylade qui,
prenant l'amour pour médiateur de leur tendresse, voguèrent en semble sur le
même vaisseau de la vie. Tous deux tuèrent Clytemnestre, comme s'ils eussent été
fils d'Agamemnon, tous deux firent tomber Égisthe sous leurs coups. Quand Oreste
fut poursuivi par les Furies, Pylade souffrit plus encore que son ami et le
défendit au tribunal. Ce ne fut pas dans les limites de la Grèce qu'ils
renfermèrent leur amitié, mais ils naviguèrent jusqu'aux dernières extrémités de
la Scythie, l'un malade et l'autre le soignant. Quand ils descendirent au rivage
de la Tauride, l'Euménide, vengeresse du sang d'une mère, leur donna
l'hospitalité. Les barbares les enveloppèrent dans un moment où Oreste, tombé
dans ses fureurs ordinaires, était couché sans mouvement.
Pylade le soignait, essuyant l'écume de sa bouche (45),
Et le couvrant d'un voile aux solides tissus.
On remarquait moins en lui la tendresse d'un amant que la sollicitude d'un père.
Lorsqu'il fut arrêté que l'un serait immolé et que l'autre irait à Mycènes
porter la lettre. Chacun d'eux voulut demeurer à la place de l'autre.
Chacun d'eux croyait vivre, si son ami conservait la vie. Oreste refuse de
prendre la lettre, et Pylade, devenant pour ainsi dire l'amant au lieu de
l'objet aimé (46) :
S'il meurt, ah ! c'est pour moi le plus cruel supplice,
Et mon navire emporte un trop pesant fardeau.
Et plus loin (47) :
Donne-lui cette lettre :
Qu'il parte pour Argos, pour seconder tes vœux,
Et tu m'insulteras après, si tu le veux.
48. C'est ainsi que tout va. Quand un amour honnête, nourri dans notre cœur dès
l'enfance, se fortifie jusqu'à l'âge de la raison, alors celui que nous avons
aimé paye de retour notre tendresse. On ne saurait distinguer lequel des
deux est l'amant. Leur affection est un miroir qui réfléchit la
bienveillance de celui qui aime et de celui qui est aimé. Pourquoi, dès lors,
nous reprocher, comme une volupté criminelle, un bien qui nous est accordé par
la volonté des dieux, et dont la succession s'est perpétuée jusqu'à nous ?
Celui-là est heureux, suivant le témoignage des hommes sages (48),
Qui voit à ses côtés de jeunes serviteurs,
Et de qui les coursiers sont brillants de jeunesse :
Rien n'allège les maux de la triste vieillesse,
Comme un essaim d'enfants dont on a tous les cœurs.
La doctrine de Socrate, ce juge si brillant de la vertu, a été consacrée par le
trépied de Delphes, et la Pythie a prononcé l'oracle de la vérité, quand elle a
déclaré Socrate le plus sage de tous les hommes, lui qui, entre mille
découvertes dont il a enrichi son siècle, lui a fait connaître le précieux
trésor de la philopédie.
49. Oui, il faut aimer les jeunes gens de la même manière que Socrate aimait
Alcibiade, avec lequel il reposait comme un frère, sous la même chlamyde (49)
:
Pour moi , je ne puis mieux terminer ce discours que par ces vers de Callimaque
qui contiennent un avis utile à tous :
Vous, qui sur les garçons, fixez d'avides yeux,
Le sage d'Erchios (50) à l'amour vous convie:
Aimez donc : la cité par vous sera remplie
D'excellents citoyens, d'habitants vertueux.
Retenez bien cette maxime, jeunes gens, et recherchez sagement la société des
enfants bien nés. N'allez pas, dans la vue d'un plaisir passager, prodiguer une
longue tendresse ni feindre des sentiments que l'âge mûr verrait s'éteindre.
Adorez le céleste Amour, et gardez jusqu'à la vieillesse un attachement
inaltérable. Quand on aime ainsi, le temps de la vie est plein de douceur, la
voix de la conscience ne reproche aucun crime, et la mort est suivie d'un renom
universel. S'il faut en croire les enfants des philosophes, l'éther reçoit,
après la vie, ceux qui se sont abandonnés à ces penchants. Ils ne meurent
que pour entrer dans un monde meilleur et recevoir le prix immortel de la
vertu."
50. Callicratidas prononça ces paroles avec beaucoup de chaleur et de gravité.
Chariclès allait commencer sa réplique, lorsque je l'arrêtai : "Il est temps,
lui dis-je, de retourner à notre navire." Mais l'un et l'autre me pressant de
donner ma décision, après avoir pesé quelque temps leurs discours : "Il n'est
pas possible, mes amis, leur dis-je, que vous ayez improvisé, sans méditation
antérieure, les paroles que vous venez de prononcer. Par Jupiter, on y sent la
trace d'une réflexion continue et profonde. Vous ne laissez rien à dire à qui
voudrait parler sur le même sujet, et vous avez montré une connaissance parfaite
de la matière, jointe à une éloquence peu commune. Je voudrais être, si cela se
pouvait, Théramène le Cothurne (51) , afin de vous
donner à tous deux le prix de la victoire. Mais puisque vous ne voulez pas de
sursis, et que j'ai décidé que la suite de notre traversée ne serait plus
troublée par de pareilles disputes , je vais prononcer la sentence, qui, pour le
moment, me semble la plus conforme à l'équité.
51. Le mariage est infiniment utile aux hommes. Il rend heureux quand on
rencontre bien. Mais la philopédie, considérée comme la sanction d'une amitié
pure et chaste , n'appartient, selon moi, qu'à la seule philosophie. Je permets
donc à tous les hommes de se marier, mais les philosophes seuls ont droit
d'aimer les jeunes gens. La vertu des femmes n'est pas pour eux assez
parfaite. Ne sois point fâché, Chariclès, si Corinthe le cède à Athènes."
52. Je me hâtai, par un sentiment de pudeur, de prononcer ce jugement, et je me
levai. Je vis, en effet, Chariclès demeurer la tête basse, comme s'il eût
entendu son arrêt de mort. L'Athénien, au contraire, le front radieux, bondit de
joie, et marcha devant nous fier et triomphant. On l'eût pris pour un vainqueur
des Perses après le combat naval de Salamine. Il me récompensa de mon jugement,
en m'invitant le soir même à un brillant festin qu'il donna pour célébrer sa
victoire, car il avait en général le goût de la magnificence. Pour consoler
Chariclès, je le flattai sur son éloquence entraînante, et je lui dis qu'il
avait d'autant plus excité mon admiration, qu'il avait parfaitement défendu la
plus mauvaise cause.
53. Tel fut notre séjour à Cnide, et les discours prononcés devant le temple de
la déesse, tout semés de leçons aimables et d'enjouement érudit, se terminèrent
par la décision que je t'ai fait connaître. Mais toi, Théomneste, qui as rappelé
à mon souvenir ces histoires déjà vieilles, qu'aurais-tu décidé, si l'on t'eût
pris pour juge ?
THÉOMNESTE. Au nom des dieux, Lycinus, me crois-tu donc un Mélitide ou un Corèbe
(52) pour contredire un jugement si bien rendu ?
Ton récit m'a tellement enchanté que je me suis imaginé être à Cnide, et que
j'ai été sur le point de prendre cette petite maison pour le temple de Vénus.
Cependant (car on peut tout hasarder un jour de fête, et la gaieté, même
excessive, convient à la solennité d'aujourd'hui), quoique la gravité relevée
des discours de ton philopède me les fasse admirer, je doute beaucoup qu'il soit
fort agréable de vivre jour et nuit avec un joli garçon qui vous fait endurer le
supplice de Tantale, et d'avoir les yeux inondés de sa beauté, sans pouvoir
étancher, quoique la source soit voisine, la soif qui vous consume. Il ne suffit
pas, en effet, de contempler l'objet qu'on aime, d'être assis en face de lui et
de l'entendre parler. Mais la vue n'est, en quelque sorte, que le premier degré
de plaisir, établi par l'Amour. Après avoir vu et contemplé, le désir
vient de se rapprocher par l'attouchement. (53)
Si enim vel summis tantum digitis attigerit, totum corpus fructus ille
percurrit. Hoc ubi facile consecutus est, tertio tentat osculum, non statim
curiosum illud, sed placide labia admovens labiis, quae, prius etiam quam plane
se contigerint, desistant, nullo suspicionis relicto vestigio. Deinde concedenti
se quoque tempore accommodans, longioribus amplexibus quasi illiquescit,
interdum etiam placide os diducens, nullamque manum otiosam esse patitur : nam
manifestas illae in vestimentis complexiones voluptatem conglutinant, aut
latenter lubrico lapsu dextra sinum subiens, mamillas premit paulum ultra
naturam tumentes, et duriusculi ventris rotunditatem digitis molliter percurrit,
post haec etiam primas lanunginis in pube florem.
Mais pourquoi dévoiler ces mystères secrets (54)
? L'amour, trouvant l'occasion favorable, s'emporte à une entreprise plus
hardie, et frappe enfin, pour parler avec le poète comique (55),
le but qu'il a visé.
54. Voilà comment j'entends la philopédie. Que les rêveurs en l'air, que les
soi-disant philosophes, qui froncent gravement le sourcil, repaissent les
ignorants de leurs mots prétentieusement honnêtes. Socrate, qui se connaissait
en amour aussi bien qu'un autre, reposa sous la même chlamyde qu'Alcibiade, qui
ne se leva point franc de ses atteintes. N'en sois pas surpris. Achille n'aimait
point Patrocle pour le seul plaisir de rester as-sis vis-à-vis de lui,
Attendant qu'Éacide eût mis fin à ses chants (56),
Mais leur amitié se doublait par un plaisir commun.
Aussi, lorsque Achille pleure la mort de Patrocle, sa douleur éclate avec
l'accent de la vérité (57) :
Quel commerce plus doux que tes embrassements?
Et ceux que les Grecs appellent comastes (58) ne
sont non plus que des amants de profession. Quelqu'un dira peut-être que tous
ces discours ne sont guère honnêtes, mais ils sont vrais, j'en jure par Vénus de
Cnide.
LYCINUS. Je ne souffrirai pas , mon cher Théomneste, que tu commences un
troisième discours, dont je ne pourrais entendre que l'exorde durant ce jour de
fête, sans que le reste parvînt à mes oreilles. Laissons donc toutes ces paroles
qui nous retardent. Rendons-nous à l'agora. Le moment approche où
l'on va mettre le feu au bûcher d'Hercule. C'est un spectacle agréable , et qui
nous rappelle les souffrances qu'il a endurées sur le mont Oeta.
(01)
" Le plus grand nombre des commentateurs s'accorde à douter que ce traité soit
de Lucien. Le style dont il est écrit paraît, en effet, très éloigné de celui de
notre auteur. On y remarque une affectation sophistique dans le langage et dans
les pensées, une foule de locutions extraordinaires, de termes recherchés, de
métaphores outrées et de mauvais goût. Quel que soit son auteur, le but qu'il
s'est proposé est estimable, quoique les moyens qu'il emploie pour y parvenir ne
soient pas toujours délicats. Il se propose d'attaquer le vice abominable dans
lequel presque tous les Grecs étaient plongés. Plusieurs écrivains de
l'Antiquité se sont exercés sur le même sujet, et sans parler de Platon, de son
Banquet et de son Lysis, Plutarque paraît avoir composé dans la même
intention son Traité sur l'Amour. Achilles Tatius, dans son roman sur les
Amours de Leucippe et de Clitophon, fait, aux chapitres X et XI du 1er
livre, un parallèle semblable à celui de notre auteur. Voy. aussi Clément
d'Alexandrie dans son Pédagogue, livre XI, chap. X, et Maxime de Tyr,
Diss. XXIV et suivantes." BELIN DE BALLU. - Cf. De Pauw, Recherches
philosophiques sur les Grecs, t. I, p. 120. Bourdelot attribue ce dialogue à
Aristénète, sur lequel on peut consulter l'Hist. de la litt. gr. d'Alexis
Pierron, p. 465.
(02) Aristide de Milet, auteur de fables
milésiennes, histoires généralement peu décentes.
(03) Voy. le Dict. de Jacobi, au mot
Hypsipyle.
(04) Néobulé, aimée du poète Archiloque.
(05) Allusion à un vers d'Homère : Odyssée,
X, v. 85.
(06)
Iliade, IX, v, 191.
(07) Voy. Horace, Epodes, 1, v. 1, et
la note d'Orelli.
(08) C'étaient, suivant Strabon, cinq îles
rocailleuses sur la côte de la Lycie, à 63 kilomètres environ à l'E. de l'île de
Rhodes, et à un peu plus d'un kilomètre du promontoire Sacré, aujourd'hui cap
Chelidoni, sur la côte méridionale de l'Anatolie, à l'entrée du golfe de
Batelle. Étienne de Byzance range au nombre de ces îles Coridela et Métanippea.
(09) Le fameux colosse de Rhodes était une
gigantesque statue d'Apollon
(10) Voy. plus loin, 43.
(11) Voy. p. 36, note 1.
(12) Il y a, dans le grec, ἐπαφρόδιτον, qui forme
avec le nom d'᾿Αφροδίτη Vénus, un jeu de mots que le vieux terme vénusté
nous a paru seul capable de rendre.
(13) On comptait à Cnide trois temples de Vénus.
Cette déesse y était adorée sous trois noms différents. Le plus ancien de ces
temples était consacré à Vénus Doritis, le second à Vénus Acrée, et le
troisième, celui dont il s'agit dans ce dialogue, à Vénus Euploia, eëploia,
c'est-à-dire qui donne une heureuse traversée. Cf. Horace, Ode III du
livre 1, v. 1 et suivants.
(14) Cf. Suétone, Tibère, § 43, p. 171 de
la traduction d'Émile Pessonneaux.
(15) Voy. Comment il faut écrire l'histoire,
62.
(16) Ville de la Béotie, à l'ouest de Thèbes, au
pied du mont Hélicon. Elle était consacrée aux Muses, aujourd'hui Néocorio. Les
habitants y célébraient, tous les cinq ans, des têtes en l'honneur de Cupidon.
Praxitèle avait fait de ce dieu une belle statue de marbre.
(17) Sine Cerere et Libero friget Venus,
Térence, Eunuque, acte IV, sc. V, v. 6. Cicéron, De la nature des
dieux, liv. II, 23.
(18) Telle est la belle statue connue sous
le nom de Vénus de Médicis.
(19) Le grec ajoute τῶν γλουτῶν, clunium.
(20) Voy. Ch. Desobry, Rome au siècle
d'Auguste, lettre XIII.
(21) "Chaque année, le seizième jour du mois
maimactérion, qui répond au commencement du mois d'août, les habitants de
Platées célébraient une pompe funèbre en l'honneur de ceux qui avaient perdu la
vie dans la bataille de ce nom." BELIN DE BALLU. - On sait que celle bataille
fut gagnée par les Grecs sur les Perses, l'an 479 avant Jésus-Christ, le même
jour où les Perses étaient également vaincus sur mer auprès de Mycale.
(22) Un des deux sénats d'Athènes.
(23) Cf. Lucrèce, De le nature, 1, v.
1 et suivants.
(24) Odyssée, VIII, v. 469 et
suivants. Nous dormons la traduction de Rochefort.
(25) Odyssée, XVIII, v. 454.
(26) Au commencement du Protagoras.
(27) Ile située près de la côte de Thrace,
dans la mer Égée.
(28) Courtisane perdue de débauche.
(29) Président des juges.
(30) Voy. Milliet, Notice des poètes grecs,
§ 59.
(31) Voy. le commencement du Phèdre
de Platon.
(32) Homère, Iliade, I, v. 156.
(33) Iliade, VIII, v. 15.
(34) Poète Inconnu.
(35) Hésiode, Travaux et Jours, v. 11 et
suivants.
(36) Hippolyte, v. 1118 et suivants.
(37) Les singes. Cf. Pseudologiste,
17.
(38) Voy. Dezobry, Rome au siècle d'Auguste,
lettre XCVI ; Le Monde d'une femme.
(39) Probablement le corail.
(40) "Divinités favorables à la débauche. Vénus
Coliade est ainsi nommée du temple qui lui avait été élevé dans le bourg
d'Anaphlye, en Attique, sur les hauteurs du promontoire Colias, à 20 stades du
port de Phalère. On trouvera dans le scoliaste, sur ce vers, la raison pour
laquelle ce lieu était appelé Colias. Pausanias (Attic., I) parle de ce
temple, de la statue de Vénus Coliade et de celles des déesses Génétyllides,
qu'on y adorait avec Vénus : leur nom parait signifier, qui préside à la
génération. Coliade présidait à l'amour physique, comme l'indique son nom, qui
dérive de κῶλον. Voy. Nuées, v. 51. M. ARTAUD, traduction d' Aristophane,
note sur le 2. vers de Lysistrata.
(41) Adonis. Voy. la XVe Idylle de
Théocrite.
(42) Voy. Ménandre, édition d'Aug. Meineke, p. 493
et 521.
(43) Allusion à l'Hippolyte
d'Euripide.
(44) Allusion à l'Ode de Sapho Voy. Longin,
Traité du Sublime, traduction de Boileau , v 432 de l'édition de Ch. Lahure.
(45) Euripide, Iphigénie en Tauride.
(46) Id., ibid., v. 598.
(47) Id., ibid.,. v. 603,
(48) Vers attribués à Callimaque.
(49) Voy. le discours d'Alcibiade dans le
Banquet
de Platon.
(50) Bourg de l'Attique, duquel était Xénophon.
(51) "L'un des Trente Tyrans. Ce fut
lui qui fit condamner les généraux vainqueurs aux Arginuses. (Xénoph., Hellen.)
Pour exprimer sa vénalité, on le nommait cothurne, chaussure assez large pour
aller bien à tout le monde ou aux deux pieds indistinctement. C'est ainsi que
Napoléon disait de Fouché : Il est toujours prêt à mettre son pied dans le
soulier de tout le monde. Thucydide, VIII, LXVIII, représente Théramène comme un
homme habile. Il fut le maître d'Isocrate. Après avoir été l'un des Trente
Tyrans, il fut mis à mort sur l'accusation de Critias, qui était aussi l'un des
Trente." M. ARTAUD , note sur le vers 540 des Grenouilles
d'Aristophane, p. 431 de sa traduction.
(52) Deux fous célèbres dans l'Antiquité.
Voy. Élien, Hist. liv., XIII, xiv.
(53) Le lecteur comprendra le scrupule qui nous
fait laisser en latin ces lignes, dont la licence excède toutes les hardiesses
où nous avons suivi jusqu'ici notre auteur.
(54) Euripide, Oreste, v. 14.
(55) Auteur inconnu.
(56) Iliade, IX, v.191.
(57) Eschyle.
Myrmidons, fragm CXXI,.
(58) Voy. Théocrite, Idylle III ;
Bion, VIII, v. 4
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