Cicéron
DES SUPRÊMES BIENS ET DES SUPRÊMES MAUX (1)
LIVRE PREMIER CHAPITRE PREMIER Préambule. Cicéron se propose de traiter en latin les sujets déjà traités par les philosophes grecs. Réponse à diverses objections contre la philosophie.
Je n'ignorais pas, Brutus, en confiant à
la langue latine des sujets déjà traités en grec par des philosophes d'un grand
génie et d'un profond savoir, que mon travail allait encourir des reproches
divers. Les uns, sans être absolument dépourvus d'instruction, ne peuvent
souffrir qu'on s'applique à la philosophie. Les autres ne la désapprouvent pas à
ce point, pourvu qu'on s'en occupe avec modération ; mais ils voudraient qu'on y
consacrât un peu moins d'étude et de peine. Il y en aura d'autres qui, sachant
le grec et méprisant leur propre langue, diront qu'ils aiment mieux prendre la
peine de lire les grecs. Enfin, la n'en doute point, quelques-uns me
rappelleront à d'autres études : ce genre d'écrire, diront-ils, quel qu'en soit
le charme, ne convient pas assez à votre rang et à votre caractère. CHAPITRE II. Préambule (suite). Réponse à ceux qui aiment mieux lire les mêmes choses écrites en grec que traduites en latin.
Il n'est pas peut-être si aisé de bien
répondre à ceux qui ne font nul cas de ce qu'on traduit dans notre langue (4),
quoiqu'on ait sujet de s'étonner que des gens qui ne laissent pas de prendre
plaisir à des tragédies latines, traduites du grec mot pour mot, ne puissent pas
souffrir la langue de la patrie dans le développement des sujets les plus graves
(5). CHAPITRE III Préambule (suite). Cicéron écrit en latin afin d'écrire pour tout le monde. Éloge de la langue latine. Et quand même je ne ferais que traduire Platon ou Aristote, comme nos poètes ont traduit les tragédies grecques, mes concitoyens me sauraient-ils peu de gré de leur faire connaître de la sorte des esprits sublimes et presque divins ? Mais c'est ce que je n'ai point encore fait : et toutefois, quand l'occasion s'offrira de traduire quelques endroits des deux grands hommes que je viens de nommer, de même qu’Ennius a traduit quelques endroits d'Homère, et Afranius (20) de Ménandre, je ne m’interdis pas cette liberté. Je ne veux point ressembler à notre Lucilius (21), qui n’écrit pas, dit-il, pour tout le monde. Eh ! que ne puis-je avoir pour lecteurs Persius (22), Scipion l’Africain, et Rutilius (23), dont il craignait tant le jugement, qu’il disait que ce n’était que pour les Tarentins, pour les habitants de Consente et pour les Siciliens qu'il écrivait (24) ! C'est une de ses ingénieuses plaisanteries : mais il n'y avait pas alors beaucoup de savants personnages, de l'approbation desquels il dût se mettre fort en peine ; et dans tout ce qu'il a écrit, il y a plus d'agrément que de savoir. Pour moi, quel lecteur aurais-je à redouter, puisque c'est à vous, qui ne le cédez pas aux Grecs mêmes, que j'adresse mon ouvrage, en retour de votre excellent livre sur la Vertu (25) ? Mais je crois que, s'il en est qui n'aiment pas ces ouvrages en langue vulgaire, c'est qu'ils sont tombés sur des livres mal écrits en grec, et encore plus mal traduits. Alors, je suis de leur avis, pourvu qu'ils pensent de même des originaux. Quant aux ouvrages remarquables par l'excellence de la pensée, la gravité et l'ornement de la diction, qui pourra refuser de les lire, à moins de vouloir passer tout à fait pour Grec, comme Albucius, que Mucius Scévola, préteur, salua en grec à Athènes (26) ? Lucilius, qui a ici beaucoup de grâce et d'esprit, fait dire à Mucius :
"Albucius, vous comptez donc pour rien Mucius avait sans doute raison ; et je ne saurais assez m'étonner de voir le peu de cas que certaines personnes font de notre langue. Ce n'est pas ici le lieu de traiter un pareil sujet ; mais j'ai toujours cru, et je m'en suis souvent expliqué, que la langue latine non seulement n'est point pauvre, comme ils se l'imaginent, mais qu'elle est même plus riche que la langue grecque (27). A-t-on jamais vu, par exemple, sans prétendre me citer moi-même, nos bons orateurs ou nos bons poètes, depuis qu'ils ont eu des modèles à imiter, manquer de termes pour exprimer élégamment tout ce qu'ils ont voulu dire ? CHAPITRE IV Préambule (suite). Cicéron veut être utile à sa patrie par ses études et par ses écrits comme il lui a été utile par sa parole et par ses actions. - Utilité de la philosophie et surtout de la morale.
Quant à moi, qui, au milieu des fatigues,
des travaux et des périls du forum, n'ai jamais abandonné le poste où le peuple
romain m'avait placé, je dois sans doute, autant qu'il est en moi, travailler
aussi à éclairer mes concitoyens par mes études et mes veilles. Sans vouloir
m'opposer au goût de ceux qui aiment mieux lire les Grecs, pourvu
qu'effectivement ils les lisent et ne se contentent pas de le faire croire, je
serai du moins utile et à ceux qui voudront cultiver les deux langues, et à ceux
qui pourront s'en tenir maintenant à la langue de leur patrie. CHAPITRE V DÉBUT DU DIALOGUE. Pourquoi Cicéron n'approuve pas Épicure.
Pour commencer par le plus aisé, je vais
examiner l'opinion d'Épicure, si connue de tout le monde (30)
; et je l'exposerai avec autant do soin et d'impartialité que pourraient le
faire ceux qui la soutiennent ; car je ne songe qu'à chercher la vérité, et
nullement à combattre ni à vaincre un adversaire. PREMIÈRE PARTIE. Exposition et critique provisoires du système d'Épicure CHAPITRE VI CRITIQUE DE LA PHYSIQUE D'ÉPICURE. Emprunts d'Épicure à Démocrite. - L'atomisme, la déclinaison des atomes.
Encore une fois, reprit-il, sur quoi
Épicure ne vous contente-t-il pas ? - D'abord, dis-je, sa physique, dont il est
le plus fier, est toute d'emprunt (42). Il répète
ce que dit Démocrite (43), et quand il change
quelque chose, il me semble que c'est toujours en mal. CHAPITRE VII
CRITIQUE DE LA LOGIQUE D'ÉPICURE. Faiblesse d'Épicure dans la logique. Il supprime les définitions. Il n'enseigne ni à faire des analyses ni à tirer des conclusions. Il fait les sens juges de toute vérité. - Dans la morale, il répète Aristippe. Exemples de Manlius et de Torquatus invoqués contre la morale d'Épicure.
Quant à la logique, qui est la seconde
partie de la philosophie destinée à former le raisonnement et à lui servir de
guide, votre Épicure est entièrement dépourvu et dénué de tout ce qui peut y
servir : il ôte toutes les définitions ; il n'enseigne ni à distinguer, ni à
diviser, ni à tirer une conclusion, ni à résoudre un argument captieux, ni à
développer ce qu'il peut y avoir d'ambigu dans un raisonnement ; et enfin il
fait les sens tellement juges de tout (61), qu'il
pense que, si une fois ils ont pris une chose fausse pour une vraie, on ne peut
plus s'assurer de pouvoir juger sainement de rien (62). CHAPITRE VIII. RÉPONSE AUX CRITIQUES ADRESSÉES A ÉPICURE. Cicéron est trop sévère à l'égard d'Épicure. Une exposition de tout le système d'Épicure serait la meilleure réponse à ses critiques. Torquatus se charge d'exposer du moins la partie de ce système qui concerne la morale.
Après que j'eus parlé de la sorte, plutôt
pour les faire parler eux-mêmes que dans un autre dessein, Triarius dit en
souriant : SECONDE PARTIE. Exposition de la morale d'Épicure. CHAPITRE IX
LE SOUVERAIN BIEN EST LE PLAISIR.
1° La tendance primitive et instinctive
de tous les êtres, c'est de rechercher le plaisir : le plaisir est donc la fin
naturelle des êtres.
"Je commencerai d'abord, dit-il, par
garder la méthode d'Épicure, dont nous examinons la doctrine ; et j'établirai ce
que c'est que le sujet de notre dispute, non pas que je croie que vous
l'ignoriez, mais afin de procéder avec ordre (72). CHAPITRE X.
LA PEINE PEUT ÊTRE UN MOYEN POUR
OBTENIR LE PLAISIR. Épicure complète la doctrine du plaisir, à laquelle s'était arrêté Aristippe, par la doctrine de l'utilité durable ou du bonheur. L'homme ne recherche pas seulement tel ou tel plaisir, mais la plus grande somme de plaisirs, constituant le plus grand bonheur. De là vient que l'homme peut et doit éviter tel plaisir particulier, si ce plaisir a pour conséquence la peine, et au contraire rechercher telle douleur particulière, si cette douleur a pour conséquence le plaisir. - Essai d'explication psychologique, par l'idée d'intérêt, des notions de Manlius et de Torquatus citées plus haut par Cicéron.
Pour vous faire mieux connaître d'où
vient l'erreur de ceux qui blâment la volupté, et qui louent en quelque sorte la
douleur (79), je vais entrer dans une explication
plus étendue, et vous faire voir tout ce qui a été dit là dessus par l'inventeur
de la vérité, et, pour ainsi dire, par l'architecte de la vie heureuse (80). CHAPITRE XI QU'EST-CE QUE LE PLAISIR. Il n'y a pas de milieu entre le plaisir et la douleur ; du moment où la douleur cesse, le plaisir naît. Privation de la douleur, telle est l'essence du plaisir.
Mais c'est assez parler, en ce moment,
des glorieuses actions des grands personnages : ce sera bientôt le lieu de faire
voir que toutes les vertus en général tendent à la volupté. CHAPITRE XII. NOUVEL ESSAI POUR DÉMONTRER RATIONNELLEMENT QUE LE PLAISIR EST LE SOUVERAIN BIEN. Le plaisir tel que l'entend Épicure une fois défini, Torquatus s'efforce encore de prouver que c'est là la bien suprême. En effet, on ne peut concevoir et désirer un état supérieur à celui d'un homme qui n'aurait aucune douleur, n'éprouverait aucune crainte, jouirait à la fois du plaisir présent, passé, à venir. Au contraire, on ne peut concevoir et craindre un sort plus malheureux que celui d'un homme affligé à la fois de toutes les douleurs du corps et de toutes les peines de l'âme.
Que la volupté soit le suprême bien, on
peut aisément le démontrer. Supposons, par exemple, qu'un homme jouît
continuellement de toutes sortes de voluptés, tant du corps que de l'esprit,
sans qu'aucune douleur ni aucune crainte le troublât le moins du monde,
pourrait-on s'imaginer un état plus heureux et plus désirable (90)
? car il faudrait qu'un tel homme eût l'âme ferme, et qu'il ne craignit ni la
mort ni la douleur : qu'il ne craignit point la mort, parce que c'est la
privation de toute sensibilité (91) ; qu'il ne
craignît point la douleur, parce que, si elle dure longtemps, elle est légère,
et que, si elle est grande, elle dure peu ; et qu'ainsi l'excès en est
contre-balancé par le peu de durée, et la longueur par le peu de souffrance (92).
A cela, si vous joignez que l'homme dont nous parlons ne se laisse point
inquiéter par la crainte des dieux (93), et que
même il sache jouir des voluptés passées en les rappelant sans cesse dans son
souvenir (94), encore une fois, que pourrait-il y
avoir à ajouter à un état si heureux (95) ? CHAPITRE XIII.
LES VERTUS ONT LEUR FIN DANS LE
PLAISIR. Comme la médecine et tous les autres arts, l'art de la vie ou la sagesse a pour unique but de procurer à l'homme le plaisir. - Tandis que l'ignorance est une cause de trouble et de peine, la sagesse modère les passions et les fait servir au plus grand plaisir : de là son utilité, - Division des désirs en désirs naturels et nécessaires, naturels et non nécessaires, ni naturels ni nécessaires.
Ceux qui font consister le souverain bien
dans la vertu, et qui, séduits par le seul éclat du nom, ne comprennent pas ce
que la nature demande, se trouveraient délivrés d'une grande erreur s'ils
voulaient croire Épicure. Pour vos vertus, qui sont si excellentes et si belles,
qui pourrait les trouver belles et les désirer si elles ne produisaient pas la
volupté ? Ce n'est point à cause de la médecine même qu'on estime la science de
la médecine, mais à cause de la santé qu'elle procure ; et, dans un pilote, ce
n'est point l'art de naviguer dont on fait cas, mais l'utilité qu'on en retire :
il en est de même de la sagesse, qui est l'art de la vie ; si elle n'était bonne
à rien, on n'en voudrait point ; on n'en veut que parce qu'elle nous procure
l'acquisition et la jouissance de la volupté (98). CHAPITRE XIV.
LES VERTUS ONT LEUR FIN DANS LE
PLAISIR. La tempérance, vertu essentielle dans la doctrine épicurienne, n'est pas l'ennemie du plaisir, Elle ne le modère parfois qu'afin de l'accroître.
Si toute la vie des hommes est troublée
par l'erreur et par l'ignorance, et si la sagesse seule peut nous exempter de la
guerre des passions, nous délivrer de toute sorte de terreur, nous apprendre à
supporter les injures de la fortune, et nous enseigner tous les chemins qui vont
au repos et à la tranquillité, pourquoi ferons-nous difficulté de dire qu'il
faut rechercher la sagesse à cause de la volupté, et qu'il faut éviter
l'ignorance et la folie à cause des maux qu'elles entraînent avec elles (105)
? CHAPITRE XV.
LES VERTUS ONT LEUR FIN DANS LE
PLAISIR. Le courage ne peut avoir sa raison on lui-même : il consiste à ne laisser troubler son plaisir intérieur par nulle inquiétude et nulle crainte. Je dis à peu près la même chose de la force d'âme ; car ni l'exercice du travail ni la souffrance des douleurs ne sont à rechercher pour eux-mêmes (112), non plus que la patience, ni les soins ni les veilles, ni même la vertu active, objet des louanges, ni enfin le courage ; mais il n'est rien qu'on ne brave pour vivre ensuite sans inquiétude et sans crainte, et pour se délivrer, autant qu'il est possible, le corps et l'esprit de tout ce qui peut faire de la peine. Et comme la crainte de la mort trouble la tranquillité de la vie ; comme c'est un misérable état de succomber à la douleur, ou de la supporter avec faiblesse ; comme, par une semblable lâcheté, plusieurs ont abandonné leurs parents, leurs amis, leur patrie, et se sont enfin perdus eux-mêmes : ainsi, tout au contraire, un esprit ferme et élevé s'affranchit de toute idée pénible lorsqu'il méprise la mort qui remet tous les hommes dans l'état où ils étaient avant de naître ; lorsqu'il est préparé à la douleur, sachant que les extrêmes douleurs finissent bientôt par la mort, que si elles sont légères, elles comportent plusieurs intervalles de relâche, et que, pour les autres, selon que nous les trouvons tolérables ou non, nous sommes maîtres, ou de les supporter, ou de nous en délivrer en sortant de la vie comme d'un théâtre (113). Nous ne croyons donc point que ce soit pour elles-mêmes qu'on blâme la timidité et la faiblesse, ou qu'on loue l'intrépidité et la force ; niais on rejette les unes parce que la douleur en est inséparable, on estime les autres parce que la volupté les suit. CHAPITRE XVI
LES VERTUS ONT LEUR FIN DANS LE
PLAISIR. Les hommes justes ne sont tels que par intérêt : 1° parce qu'ils ne veulent pas encourir les châtiments sociaux; 2° parce qu'ils veulent obtenir l'estime et les honneurs. - Trouble de l'homme injuste. Bonheur du juste. - Union de toutes les vertus dans le plaisir, fin suprême.
Il reste à parler de la justice, et nous
aurons parlé de toutes les vertus. Mais ce qui a été dit des trois autres
convient encore à celle-ci; et ce que j'ai déjà montré de la sagesse, de la
tempérance et de la force d'âme, qu'elles étaient tellement jointes avec la
volupté, qu'on ne les en pouvait séparer, il faut l'appliquer à la justice, qui
non seulement ne nuit à personne, mais qui toujours donne confiance et calme les
esprits, et par elle-même, et par cette espérance qu'on ne manquera d'aucune des
choses qu'une nature non corrompue peut désirer. De même que l'imprudence, le
désir passionné et la lâcheté (114) sans cesse
tourmentent l'âme, sans cesse l'agitent et y apportent le trouble; ainsi
l'injustice, dès qu'elle réside dans l'esprit, par sa seule présence y met le
trouble; et si, de plus, elle a formé quelque entreprise, l'eût-elle accomplie
secrètement, elle ne peut prendre confiance et croire que la chose restera
toujours secrète (115). Le méchant ne peut cacher
ses actions : le soupçon, l'opinion publique, la renommée les poursuit; vient
ensuite l'accusateur, le juge; plusieurs enfin, comme sous votre consulat, se
dénoncent eux-mêmes (116). CHAPITRE XVII PLAISIRS DE L'ESPRIT ET PLAISIRS DU CORPS. Les plaisirs de l'esprit proviennent de ceux du corps ; mais ils sont plus grands et doivent être recherchés de préférence. - Les plaisirs du corps sont bornés au présent ; ceux de l'âme embrassent la passé et l'avenir. - Par las peines de l'âme, l'insensé ne peut pas ne pas être malheureux ; par les plaisirs de l’âme, le sage ne peut pas ne pas être heureux.
J'expliquerai en peu de mots ce qui est
inséparable de cette doctrine si juste et si vraie. CHAPITRE XVIII ÉLOGE D’ÉPICURE Épicure a ouvert à tous une route facile et droite vers le bonheur - Tableau des misères de l'humanité avant la venue d'Épicure.
O route du bonheur facile, directe,
ouverte à tous ! Si le sort le plus désirable est de vivre sans douleur et sans
chagrin, et de jouir des plus grands plaisirs du corps et de l'esprit, peut-on
dire que nous ayons rien oublié ici de tout ce qui peut rendre la vie agréable
et conduire au souverain bien que nous cherchons ? Cet homme que vous dites
esclave de la volupté, Épicure vous crie qu'il n'est point de bonheur sans
sagesse, honnêteté, vertu ; ni de sagesse, d'honnêteté, de vertu, sans bonheur (124). CHAPITRE XIX
LE SAGE STOÏCIEN ET LE SAGE ÉPICURIEN Les épicuriens ne sont pas si éloignés qu'il le semble du stoïcisme. Points d'accord des deux doctrines. - Si Épicure a négligé la dialectique, à laquelle s'attachent les épicuriens et les académiciens, c'est qu'il l’a jugée peu utile au bonheur de la vie. - S'il accorde tant d'importance à la physique, c'est qu'elle fonde sa morale, en supprimant à la fois la crainte du caprice des dieux et de la nécessité des choses.
Ce n'est pas que les stoïciens ne
puissent avancer une pareille doctrine, non seulement sans que nous nous y
opposions, mais même avec approbation de notre part : car voici quel est le
sage, suivant Épicure. Le sage est borné dans ses désirs ; il méprise la mort ;
il pense des dieux immortels ce qu'il en faut croire, mais sans aucune mauvaise
frayeur ; et s'il faut sortir de la vie, il n'hésite pas (128).
C'est ainsi qu'il est toujours dans la volupté, parce qu'il n'y a aucun temps où
il n'ait plus de voluptés que de douleurs. Il se souvient agréablement des
choses passées ; il jouit des plaisirs présents, et mesure par la réflexion leur
quantité et leur qualité ; il n'est pas comme suspendu aux futurs événements :
il les attend avec calme ; comme il est très éloigné de tous les défauts et de
toutes les erreurs dont nous venons de parler, il sent une volupté inconcevable
quand il compare sa vie avec celle des fous (129)
; et lorsqu'il lui survient des douleurs, il sait en faire la compensation (130),
et il trouve qu'elles ne sont jamais si grandes qu'il n'ait toujours plus à
jouir qu'à souffrir. CHAPITRE XX THÉORIES ÉPICURIENNES DE L'AMITIÉ.
Importance de l'amitié dans la doctrine
épicurienne.
Il me reste maintenant à parler d'une
chose qui appartient nécessairement à la question que nous traitons ; c'est
l'amitié, qui, selon vous, est anéantie, s'il est vrai que la volupté soit le
plus grand des biens. Mais, loin qu'Épicure donne aucune atteinte à l'amitié, il
a dit au contraire que, "de tout ce que la sagesse peut acquérir pour rendre la
vie heureuse, l'amitié est ce qu'il y a de plus excellent, de plus fécond, de
plus avantageux (140)."Ce qu'il a enseigné par
ses discours, il l'a confirmé par sa vie et par ses mœurs et on appréciera mieux
ce mérite, si l'on se souvient des anciennes fables, où, en remontant d'Oreste
jusqu'à Thésée, on trouve à peine trois couples d'amis (141).
Quelle nombreuse troupe d'amis (142), étroitement
liés l'un à l'autre, Épicure n'avait-il point rassemblés dans une seule maison
de peu d'étendue (143) ! Tous les épicuriens ne
suivent-ils pas encore son exemple ? Mais revenons à notre sujet ; ce ne sont
point les hommes dont nous avons à parler. CHAPITRE XXI Conclusion. Clarté de la doctrine d'Épicure. - Si Épicure paraît peu savant à Cicéron, il possédait du moins la seule science vraiment utile, la science du bonheur.
Si les principes que je viens de
développer sont plus clairs et plus lumineux que le soleil même ; s'ils sont
puisés à la source de la nature ; s'ils sont confirmés par le témoignage
infaillible des sens ; si les enfants, si les bêtes mêmes, dont le jugement ne
peut être corrompu ni altéré, nous crient, par la voix de la nature, que rien ne
peut rendre heureux que la volupté, et que rien ne peut rendre malheureux que la
douleur, quelles actions de grâces ne devons-nous pas à celui gui, sensible à
cette voix, a si bien entendu et pénétré tout ce qu'elle veut dire, qu'il a mis
tous les sages dans le chemin d'une vie heureuse et tranquille ? Si même Épicure
vous paraît peu savant, c'est qu'il a cru qu'il n'y avait de science utile que
celle qui apprend à pouvoir vivre heureusement (150). (1) Le titre De finibus bonorum et malorum est traduit d'ordinaire par Des bornes des biens et des maux, ou Des vrais biens et des vrais maux. C'est là, semble-t-il, une traduction peu exacte. En effet, Cicéron ne s'occupe proprement, dans ce livre, ni de délimiter les biens et les maux, ni de distinguer les biens et les maux apparents des biens et des maux véritables. L'objet qu'il se propose ont nettement indiqué l. I, ch, XX : Quaerimus quid sit extremum, quid ultimum bonorum, quod omnium philosophorum sententia tale debet esse, ut ad id omnia, referri oporteat; ipsum autem nusquam. Ce ne sont donc pas seulement les vrais biens et les vrais maux que Cicéron recherche : il poursuit avec toute l'antiquité le souverain bien, to telos, to hou heneka (v. PLATON, Lysis ; ARIS TOTE, Éthique à Nicomaque, init.; J. STOBÉE, Eclogae Ethicae, p. 278, éd. Heeren ; SEXTUS EMPIRICUS, Pyrrh. Hypotyp., I, 25). Cicéron ne fait que traduire en latin le titre des traités grecs Peri telous et Peri telôn, Ce qui a longtemps embarrassé les commentateurs, c'est le mot malorum. J. Scaliger (De sublil. exerc., CCL) et Muret (Var. Lect., XVII, 1) blâment tons deux Cicéron d'avoir employé l'expression fines malorum. Mais, comme le remarquent Devies et Madvig, Cicéron n'a fait, ici encore, que traduire le grec telika kaka (v. DIOG. LAER., II, 97). Une fois le telos ou le finis conçu comme le terme suprême auquel vient te rattacher toute la série des biens, quoi de plus naturel que de supposer un autre terme placé, en quelque sorte, à l'autre bout de la série, et auquel viendraient se rapporter tous les maux ? L’idée de suprême bien appelle logiquement l'idée contraire de suprême mal. Voir à ce sujet Académiques, II, ch. XLII : "Fines constituendi sunt ad quos et bonorum et malorum summa referatur." Par suprême mal Cicéron n'entend pas d’ailleurs un mal réel qui existerait en dehors de la pensée humaine et s'opposerait à la réalisation du bien ; il entend simplement la notion logiquement contraire à celle du bien suprême. Le finis bonorum, c'est ce que, dans notre conduite, nous devons poursuivre à tout prix; le finis malorum, c'est ce que nous devons à tout prix éviter : "Quid sequatur natura ut summum ex rebus expetendis, quid fugiat ut extremum malorum."(I, IV.) En résumé, la titre de Cicéron est parfaitement plausible et peut être rendu assez exactement en français. (2) Ce livre avait pour titre : Hortensius (v. De divinat., II, Tusc, II et III). Il a été perdu. (3) Heautontimorumenos, I, X, 17. (4) Il n'était pas, en effet, aussi aisé de leur répondre, parce qu'il y avait une part de vérité dans ce qu'ils disaient. Les simples traductions ne valent-elles pas toujours moins que l'original ? (5) Même argument dans les Académiques I, 3. (6) L'Antiope était une tragédie d'Euripide traduite par Pacuvius. Quelques fragments nous en restent. (V. RIBBECK, Trag. lat. reliq., p. 62.) (7) Les Synèphèbes, ou les jeunes camarades, comédie de Ménandre traduite par Cécilius. Il nous en reste quelques fragments. (V. RIBBECK, p. 58). (8) Atilius, vieux poète. Un vers d'une de ses comédies est cité pat Cicéron (Ad Att., xiv, 20) (9) On ne sait quel est ce Licinius.
(10) C'est
le commencement d'un vers d'Ennius : (11) C'est ce que fait trop souvent Cicéron dans ses ouvrages philosophiques, et ses concitoyens avaient raison de le lui reprocher. (12) Pourquoi préférera-t-on Aristote ou Platon à Cicéron ? (13) Chrysippe, disciple de Cléanthe, qui était lui-même disciple et successeur de Zénon. C'est le philosophe de l'antiquité qui à le plus écrit. Cicéron a dit lui emprunter beaucoup dans le De finibus. (14) Diogène le Babylonien fut disciple de Chrysippe. Du temps de le seconde guerre punique, les Athéniens l'envoyèrent à Rome avec Carnéade l'académicien et Critolaüs la péripatéticien. (15) Antipater, disciple de ce Diogène, précepteur du vieux Caton, ou du moins son ami. (V. de Offic., III.) (16) Sur Mnésarque, disciple de Panétius, v. De Orat., I, XLX ; Acad, II, XCVI. On n'en sait que ce que Cicéron en a dit. (17) Panétius, stoïcien, de Rhodes, disciple d'Antipater, précepteur de Scipion. Cicéron l'admire ; il fait mieux, il le copie. Le De Officiis est une imitation du Peri tou kathêkontos, de Panétius.
(18)
Posidonius d'Apamée, disciple de Panétius, ami et maître de Cicéron. On a
conservé de lui un mot célèbre. V. DIOGENE LAERCE, X, 3 : "Pompée, à son retour
de Syrie, passant par Rhodes où était Posidonius, eut la dessein d'aller
entendre un philosophe de cette réputation. Étant venu à la porte de la maison,
on lui défendit, contre la coutume ordinaire, de frapper : le portier, jeune
homme, lut apprit que Posidonius était incommodé de la goutte ; mais cela ne put
empêcher Pompée de rendre visite au philosophe. Après avoir été introduit, il
lui témoigna quelle peine il ressentait de ne pouvoir l'entendre. - Vous le
pouvez, reprit Posidonius; et il ne sera pas dit qu'une douleur corporelle soit
cause qu'un aussi grand homme ait inutilement pris la peine de se rendre chez
moi. Ensuite ce philosophe, dans son lit, commença à discourir avec gravité et
éloquence sur ce principe : Qu'il n'y a de bon que ce qui est honnête. A
diverses reprises, dans le moment où la douleur s'élançait avec plus de force
"Douleur, s'écriait-il, tu as beau faire; quelque importune que tu sois je
n'avouerai jamais que tu sois un mal. - On a rapporté que, lorsqu'en s'en allant
Pompée lui demanda s'il n'avait rien à lui dire, Posidonius répondit par ce vers
d'Homère : (19) Théophraste était de Lesbos. Il entendit Platon, fut disciple d'Aristote, et succéda à ce dernier. Un peu avant sa mort, ses disciples lui demandèrent une derniers pensée ; il leur dit d'après Diogène Laërce, V, 2 : "L'amour de la gloire fait qu'on méprise les douceurs de la vie ; nous mourons quand nous commençons de vivre, et rien n'est plus vain que la passion de la gloire. Soyez heureux, et prenez le parti, ou de quitter l'étude de la sagesse, car elle donne bien de la peine, ou de vous y attacher entièrement, car elle vous acquerra un grand honneur. Du reste, il y a plus de frivolité que d'agrément dans la vie."
(20)
Afrianus, poète comique, traduisit plusieurs comédies grecques. - HORACE, Ep. II
:
(21) V.
De Orat. II, 25 : C. Lucilius, homo doctus
et perurbanus, dicere solebat, ea quae scriberet, neque ab indoctissimis se
neque ab doctissimis legi velle, quod alteri nihil intelligerent, alteri plus
fprtasse quam ipse ; de quo etiam scripsit : Lucilius fut le premier des grands satiristes romains. On a conservé de lui de beaux vers, qui eussent pu, quoi qu’on en dise, être lus et admirés de tous : ceux-ci par exemple sur la vertu : "la vertu, Albinus, c’est de pouvoir apprécier à leur véritable valeur les choses qui nous entourent, et au sein desquelles nous vivons ; la vertu, pour l’homme, c’est de savoir ce que chaque chose est en elle-même. La vertu, pour l’homme, c’est de discerner ce qui est droit, utile, ce qui est honnête, quel est le bien, quel est aussi le mal, ce qui est inutile, honteux, déshonnête ; la vertu c’est de connaître la borne et la mesure du besoin d’acquérir ; la vertu, c’est de pouvoir peser les richesses à leur prix ; la vertu, c’est d’accorder ce qui est réellement dû aux honneurs ; c’est d’être l’adversaire public et l’ennemi privé des hommes méchants et des mauvaises moeurs ; d’être le défenseur, au contraire, de ce qui est bon, hommes ou moeurs, de glorigier les gens de bien, de leur être tout dévoué, de vivre leur ami ; c’est de mettre au premier rang, dans son coeur, les avantages de la patrie, au second ceux de nos aprents, au troisième et dernier les nôtres. (22) Persius, cet érudit dont on vient de aprler. V. Brutus, 99. (23) Publius Rutilius Rufus, habile jurisconsulte. V. Brutus, 25. C’est lui qui, après avoir réprimé les concussions des chevaliers romains publicains dans la province d’Asie, fut accusé lui-même injustement une fois revenu à Rome, et condamné à la perte de ses biens. (24) Lucilius récuse comme jugea Persius, Scipion, Rutilius, parce qu'ils savent trop. Il demande pour juges ces peuples qui, habitant pour ainsi dire sur les confins de la langue grecque et de la langue latine, ne recherchent ni l'une ni l'autre dans leur pureté : bilingues brutales, dit Ennius. V. Madvig., p. 20. (25) Le traité de Brutus sur la Vertu était estimé en effet. Il avait encore écrit un traité De Officio (v. SÉNÈQUE, Epist. XIV). (26) "Titus Albucius, dit Cicéron dans le Brutus, était si savant en grec qu'il passait presque pour grec : il était venu très jeune Athènes et il y était devenu épicurien. Ce fut alors qu'étant allé voir Mucius Scévola, prêteur de l'Achaïe, Scévola le salua en grec ; tous ceux qui étaient avec Scévola l’imitèrent, et même ses licteurs : Albucius en conserva un tel ressentiment, qu’à son retour il accusa Scévola de concussion." (27) Le patriotisme de Cicéron le rend partial pour la langue latine. Cf. De finibus, III, 6; Tusc., II, 36 ; de Nat. deorum, I, 8. (28) P. Scévola, le même sans doute que Mucius Scévola dont Cicéron vient de parler (ch. III). C'est un des interlocuteurs des livres de l'Orateur, où Crassus, après avoir fait la définition du bon Jurisconsulte, donne pour exemple Publius Mucius et M. Manilius. Aulu-Gelle (XVII, VII) parle aussi d'eux et de Marcus Brutus, comme de trois grands jurisconsultes de leur temps. (29) Précisément, ce qu'on peut reprocher à Cicéron, c’est de ne pas avoir exprimé dans ce traité une opinion qui lui soit propre. (30) L'épicurisme était populaire à Rome : "Commota multitude contulit se ad eamdem potissimum disciplinam.". Tusc., IV, III. La religion une fois détruite, on se tourna naturellement vers la morale utilitaire, qui était, après tout, le fond même de la religion, et qui restait seule une fois les dogmes enlevés. Les premiers écrits philosophiques, ceux d’Amafinius, de Rabirius, de Catus, furent des expositions de l'épicurisme. V. le Brutus, les Lettres familières, XV ; les Tusculanes, II, III ; les Académiques, I, II. (31) Cf. Brutus, ch. LXXVI : "L. Torquatus était un homme d'une grande et profonde érudition, et d'une mémoire admirable ; il parlait avec beaucoup de dignité et d'élégance, et ce qui ajoutait un grand prix à tout cela, c'était la sagesse et l'intégrité de sa vie." Cicéron plaida contre Torquatus la cause de Publius Sylla. (32) Triarius, stoïcien, reste simple spectateur dans cette exposition et dans cette critique de la philosophie épicurienne. Cicéron a dit de Triarius dans le Brutus : "Je voyais en lui avec plaisir, dans un âge peu avancé, l'éloquence mure de la vieillesse. Quels n'étaient point la gravité de son air et le poids de ses paroles ! Jamais il n'eut à se repentir d'un seul mot." (33) "Le seul qui ait connu la vérité." Les épicuriens rendaient à leur maître un culte exclusif. Tout ce qui avait été dit avant lui était non avenu : sa parole avait fixé la vérité. "Unius ductu et auspiciiis dicta," dit Sénèque en parlant de la doctrine épicurienne (Lettre XXXIII) . V. à la fin de ce volume les Extraits de Lucrèce. (34) Surtout des erreurs de la superstition. V. les Extraits de Lucrèce. (35) "Bene beateque vivendum." Selon Épicure, la vertu et le bonheur sont inséparables : on cherche le bonheur, et en le trouvant on trouve nécessairement la vertu. V. Les Extraits d’Épicure. (36) "Ut ea quae senserit ille, tibi non vera videantur." C’est bien là la conviction sincère, mais un peu affectée, qu’inspirait à ses adeptes la doctrine d’Épicure. Ils ne pouvaient croire qu’elle ne contînt pas la vérité, et que cette vérité n’apparût pas à tous les yeux. (37) Pas toujours. Il y a des passages fort obscurs dans les lettres d’Épicure et même dans les Kuriai doxai que Diogène Laërce nous a conservées. Cicéron n’a pas toujours compris Épicure. (38) "Quot homines, tot sententiae"" V. TERENCE, Phorm., IV, XIV. (39) Phèdre était un épicurien distingué de ce temps. Cicéron encore enfant l’entendit à Rome, plus tard à Athènes. Cf. Nat. Deor., l. XCIII : Cicéron a fait des emprunts à ce Phèdre dans le De Natura deorum, comme le montrent les manuscrits découverts récemment à Herculanum. (40) Ce Zénon, qu’il ne faut pas confondre avec Zénon d’Élée ou Zénon de Cittium, était un épicurien remarquable de ce temps. V. Nat. D., XLIII ; Tusc., III, XXXVIII. - On a retrouvé aussi quelques fragments de Zénon dans les papyrus d'Herculanum. (41) Atticus lui-même était épicurien. (42) "In physicis, quibus maxime gloriatur, totus est alienus." Aucun traducteur français ne semble avoir compris cette phrase; V. Le Clerc, par exemple, traduit : "II n'entend rien à la physique," et ce sens, généralement accepté depuis, est devenu en quelque sorte classique. Cela se comprendrait s'il y avait eu dans le texte : physicis alienus. Mais alors totus n'aurait plus guère de sens, et il faudrait le remplacer par un adverbe, comme omnino. Si l'on fait attention à la suite du passage, on verra d'ailleurs que Cicéron ne prétend pas qu'Épicure soit étranger à la physique ; - cela serait absurde on effet ; - il soutient seulement que la physique d'Épicure ne lui appartient pas, qu'il l'emprunte à Démocrite. Le seul sens plausible de la phrase semble donc être la suivent : "Épicure, dans la physique, n'a rien qui ne soit emprunté. Sa physique est tout entière à autrui.". Ainsi l'on dit on latin : aes alienum, aliena virtus. - Cf. Cicéron, Acad., l. 6 : "Si Epicurum, id est, si Democritum probarem.." Les Épicuriens eux-mêmes étaient loin de nier ces emprunts de leur maître à Démocrite ; Métrodore, le disciple et l'ami d'Épicure, disait: Ei mê kathêgêsato Dêmokritos, ouk an proêlthen Epikouros epi tên sophian. PLUTARQUE, Adv. Colot, III, V. aussi De finibus, IV, V. (43) Démocrite d'Abdère, contemporain de Socrate et de Platon, un des plus grands physiciens de l'antiquité, partisan d'un mécanisme universel. Sur sa vie et sa doctrine, v. les Extraits. (44) "Ille atomos quas appellat." Ille désigne évidemment Démocrite : c'est à Démocrite que se rapporte tout ce passage, quoique les traducteurs français l'aient rapporté à Epicure.
(45) Cf.
LUCRECE, I, 85 : (46) Les anciens ne distinguent pas entre le vide et l'espace. (47). C'était, comme l'observe Aristote (De coel., III, 2, faire reposer son système sur une contradiction : car le mouvement ne se comprend pas sans quelque chose qui meuve, et tout système mécaniste est forcé d'admettre un mouvement antérieur au mouvement même. (48) Cette critique vaut contre Démocrite, qui réduit tout à un pur mécanisme ; elle vaut moins contre Épicure : pour lui, la cause efficiente du monde est le mouvement spontané des atomes, qui devient chez l'homme la liberté d'indifférence. V. notre Histoire de la morale utilitaire, t. I. (49) Ce mouvement de haut en bas (deorsum, katô phora) à travers un espace infini qui n'a conséquemment ni haut ni bas (nec summum, nec infimum) est ce qu'il y a da vraiment incompréhensible et contradictoire dans la doctrine d'Épicure. (50) Sur la théorie de la formation du monde par le mouvement spontané des atomes, - théorie qui n'est pas aussi puérile que le dit Cicéron, - voir les Extraits de Lucrèce. (51) La cause qu'il allègue est la spontanéité. (52) Ce n'est plus seulement de la physique, c'est de la métaphysique et un métaphysicien est toujours forcé d'alléguer, pour expliquer les phénomènes physiques, une dernière cause qui ne soit pas physique elle-même. (53) Ni Démocrite ni Épicure n’ont l'idée de la cause finale ; mais du moins Épicure a quelque idée de la cause efficiente réelle, de la liberté (to eph'hêmin) ; Démocrite, au contraire, réduit tout dans le monde à un pur mécanisme. V. notre Histoire de la morale utilitaire, t. I.
(54) Épicure
et Lucrèce ne peuvent en effet expliquer l'ordre et la beauté de l'univers, mais
ils défient leurs adversaires d'en expliquer le désordre et la laideur (LUCRÈCE,
II, 177) "Quand même je ne connaîtrais pas la nature des éléments, le spectacle
du ciel et les phénomènes du monde me prouveraient assez qu'un tout aussi
défectueux ne peut être de l'oeuvre de la Divinité : (55) Les atomes d'Épicure ne sont pas seulement indivisibles parce qu'ils sont petits, mais parce qu'ils sont pleins. A tort ou à raison, les chimistes modernes sont revenus à l'hypothèse des atomes. (56) Polyène, de Lampsaque, disciple d'Épicure : "Cum magnus mathematicus fuisset, postea, Epicuro auctore, totam geometriam falsam esse putavit" (Acad. II, 100.) - Épicure ne voulait de la science qu'autant qu'elle sert à la tranquillité et au bonheur. (57) Épicure cherche à rapetisser les objets extérieurs afin de nous grandir en face d'eux et de nous ôter toute crainte à leur égard. Il diminue la grandeur du soleil comme il a supprimé la puissance des dieux. D'ailleurs, en physique, Épicure affirme généralement peu : que lui importe par quelles causes les phénomènes se produisent, pourvu qu'il soit bien avéré que nulle cause surnaturelle ne les produit ? Aussi il s’en tient, comme dit Plutarque, à "son peut-être" (PLUT. Plac. phil., I. 26), et fait de la physique en baillant, "quas oscitans hallucinatus est. (De nat. deor., 1, 26.) (58) Ce sont les idées-images de Démocrite. (59) Cicéron a tort de ne pas approuver la grande idée de l'infinité des mondes et de l'espace. (60) Les critiques et les plaisanteries d'Épicure sur Démocrite, Aristote et les autres philosophes, sont plus ou moins authentiques. Diogène Laërce les rapporte, mais en doutant qu'elles soient bien d'Épicure. V, les Extraits. (61) V. DIOG. L., X, 31 : En tôi kanoni legei d'Epikouros kritêria tês alêtheias einai tas aisthêseis kai prolêpseis kai pathê. La prolêpsis, ou anticipation, qui dérive des sens et qui est l'attente instinctive d'un phénomène après un autre phénomène auquel on l'a vu lié d'habitude, deviendra, dans la philosophie sensualiste contemporaine, le principe de l'induction. V. la Logique de Stuart-Mill. (62) On a cru voir ici une lacune, quoique aucun manuscrit n'en signale. Avec les plus récents critiques, nous pensons que cette lacune n'existe pas. Il y a seulement un peu de décousu dans les idées, comme cela arrive souvent chez Cicéron. (V. notre édition du texte.) (63) C'est en effet à Aristippe de Cyrène, disciple infidèle de Socrate, qu'appartient la doctrine du plaisir ; mais à Épicure appartient proprement la doctrine du bonheur, qui place le souverain bien, non dans tel ou tel plaisir particulier, mais dans la somme et la continuité des plaisirs. La morale d'Aristippe était voluptueuse, celle d'Épicure est utilitaire. V. les Extraits. (64) "Nihil homine indignius. Ad majora quaedam nos natura genuit et conformavit." Belle idée, que Cicéron ne sait pas approfondir. Il y reviendra plus tard. (65) Voici un exemple au lieu d'une raison. Ce Torquatus s'appelait Titus Manlius. Il reçut le surnom de Torquntus, qui passa à ses descendants, parce que, ayant défié un Gaulois, il le tua en présence des deux armées ennemies et lui arracha son collier (torques). (V. TIT. LIV., VII. X ; GELL., IX, XIII ; FLOR., I XIII.) - Plus tard, ayant le commandement d'une armée romaine contre les Latins, il défendit d'attaquer l'ennemi sans son ordre. Le fils de Torquatus viola la défense, attaqua un chef ennemi et le tua malgré sa victoire, son père irrité le fit mettre à mort pour avoir enfreint les ordres consulaires. De là le proverbe Manliana imperia, pour désigner un commandement sévère. L'exemple de Cicéron est assez mai choisi. (66) Il fut consul vers l'an 105. (VAL. MAX., V, VIII, III.) (67) C'est au contraire ce qu'Épicure et tous les utilitaires répondent. (68) Selon Épicure, en effet, ce n'est pas par elles-mêmes, mais par leurs conséquences, que les actions bonnes et justes donnent le bonheur. De même, c'est par leurs conséquences que les actions mauvaises donnent le malheur. Ainsi l'intempérance, en elle-même(per se, di'hautên) et en tant qu'elle donne du plaisir, serait une bonne chose ; mais, par les conséquences qui s'y attachent (maladies, souffrances de toutes sortes), elle devient mauvaise. Pour juger si une action est bonne ou mauvaise, juste ou injuste, il n'est donc pas besoin de connaître l'intention qui l'a produite, mais les conséquences qui la suivent. V. sur cette doctrine, sur son perfectionnement dans l'histoire de la morale utilitaire et sur son insuffisance finale, notre Histoire et critique de la morale utilitaire. (69) Triarius, stoïcien, prend plaisir à résumer les critiques adressées par Cicéron à Épicure. (70) "Illa perdiscere, ludus est." Cicéron insiste à dessein sur ce point. En effet, Épicure avait dépouillé son enseignement de tout appareil scientifique, et s'était efforcé de rendre sa doctrine accessible à tous. Aussi l'épicurisme était-il en opposition complète avec le stoïcisme, non seulement sous le rapport des idées, mais aussi pour la manière de les exprimer. Les stoïciens usaient d'une foule de termes techniques qu'il fallait une sorte d'initiation pour comprendre; de plus, ils se perdaient dans l'étude aride de la logique. Au contraire, les épicuriens ne se servaient que de la langue habituelle, et avaient sans cesse à la bouche ces mots connus de tous et attrayants pour tous : plaisir, utilité, bonheur. Enfin ils insistaient surtout sur l'étude des moyens pratiques d'obtenir le bonheur. Les disciples Épicure ne tenaient pas à être savants ni subtils, mais à être heureux. Aussi Cicéron se moque d'eux : "Ce sont les meilleures gens du monde, et je ne connais personne qui ait moins de malice." (Tusculanes, III, XXI.) V. aussi plus loin, l. II, ch. XV. (71) Enfin nous entrons dans le vif du sujet. On est trop souvent forcé, en lisant Cicéron, de se rappeler les paroles de Montaigne : "Ses préfaces, définitions, partitions, étymologies consument la plupart de son ouvrage ; ce qu'il y a de vif et de moëlle est étouffé par ses longueries d'apprêt (Ess., II, X.) (72). Cf. DIOG. L., X, 37, et les Extraits. (73) Telos einai, ou charin panta prattomen, auto de oudenos. STOB, p. 278, Heer. Voir plus haut, p. 9. (74). Cf. le même argument dans DIOG. LAERCE, X, 137 (V. Les Extraits), et dans SEXTUS EMPIRICUS, Pyrrh. hypotyp., III, 191. (75) "Il suffit, d'avoir des sens et d'être de chair," disaient les épicuriens, "et le plaisir apparaîtra comme un bien : aisthêsin dei echein kai sarkinon einai, kai phainetai hêdonê agathon." PLUTARQUE, Adv. Colot., 1122 a.) - il suffira donc, pourrait-on répondre, d'être autre chose que de la chair, pour sentir que le plaisir n'est pas le bien suprême. (76) C'est-à-dire : les sens constituent la nature même de l'homme, car, si on les enlève, il ne reste plus rien dans l'homme. Or, la nature seule peut juger de ce qui est conforme ou contraire à la nature. Les sens seuls doivent donc en juger. Mais les sens nous portent à rechercher le plaisir, à fuir la douleur. Le plaisir est donc conforme à la nature, et la douleur lui est contraire. Le plaisir est donc le bien, et la douleur est le mal. Toute cotte argumentation repose sur cette pétition de principe : il ne resterait plus rien de l'homme, si on lui enlevait la sensibilité. Au contraire, pourrait-on dire, il resterait ce qui est vraiment l'homme, la volonté et la pensée. (77) Les épicuriens eux-mêmes reconnaissaient ainsi l'insuffisance du précédent argument. (78) "Quasi naturalem atque insitam in animis nostris inesse notionem, ut alterum esse appetendum, alterum aspernandum sentiamus." A vrai dire, selon Épicure, il n'existe en nos âmes aucune "idée innée", pas plus celle-là que d'autres. Mais il est des idées universelles qui se retrouvent les mêmes chez tous les hommes, parce qu'elles proviennent du souvenir. accumulé des mêmes sensations. (DIOG L., X, 33.) On retrouve cette théorie chez les sensualistes modernes. D'après l'école anglaise contemporaine, les idées prétendues innées se forment dans chaque individu par la sensation, puis se transmettent d'un individu à l'autre par l'hérédité. Ce serait ainsi à la loi d'hérédité que se ramènerait l'innéité. (79) Allusion aux stoïciens. (80) C'est le ton habituel de l'école épicurienne en parlant d'Épicure. V. les Extraits de Lucrèce. (81) Si on n'a point à les blâmer, on n'a point non plus à les louer. (82) C'est là la règle de l'utilitarisme. Ici Épicure se sépare d'Aristippe et oppose la morale de l'utilité durable à celle du plaisir passager. (83) Nul ne prétend qu'ils les aient faites sans motif, mais il s'agit de savoir si leur motif était intéressé ou désintéressé. (84) "D'où il savait que le sien devait dépendre.» Tuer son fils, à ce compte, n'était pour Torquatus qu'un moyen, un peu détourné il est vrai, de pourvoir à son salut personnel. - Les Épicuriens, sentant le besoin d'appuyer leur doctrine morale sur l'analyse psychologique, préludent aux curieuses analyses de sentiments que tenteront plus tard Hobbes, La Rochefoucauld, Helvétius et l'École anglaise contemporaine."Haec ratio late patet," dit Cicéron avec une sorte de prévision des développements successifs que recevra sur ce point la doctrine épicurienne. (85) Torquatus n'a pas prouvé autant qu'il le prétend. Il a prouvé simplement ceci : on peut rechercher son plaisir et son intérêt, alors même qu'on semble agir de la manière la plus désintéressée. Mais suffit-il donc de montrer que l'égoïsme universel est possible pour montrer qu’il est réel ? (86) Horos tou megethous tôn hêdonôn hê pantos tou algountos hupexairesis. (DIOG., X, 130.) V. les Extraits d'Épicure. - Tandis que, selon Aristippe, tout plaisir consistait dans un mouvement des organes (hêdonê en kinêsei), Épicure, s'inspirant. de Platon et d'Aristote, fait consister le plaisir suprême dans le repos (hêdonê en stasei). Or, dès que cesse toute douleur, mais entrons dans le repos. Nous éprouvons donc aussitôt le plaisir; nous possédons le souverain bien. (87) DIOG. L., X,144 : Ouk epauxetai, alla monon poikilletai. V. les Extraits (88) V. DIOG. l. VII, 182. (89) Titillaret sensus. Le mot est d'Épicure (Cic., De Nat. d., 113). En grec : gargalidzein. (90) On pourrait concevoir un autre état, où l'homme ne jouirait pas seulement, mais agirait, et où son bonheur ne proviendrait pas de la succession de ses sensations agréables, mais de la persévérance de sa volonté bonne et consciente d'elle-même. (91) Et que, selon Épicure, la privation de sensibilité ne saurait constituer un mal. To anaisthêtoun ouden pros hêmas. DIOG., X, 139. Voir les Extraits d'Épicure. (92) V. DIOG. L., X, 140 PLU., De aud. poet. Cicéron se moquera plus loin de cette prétendue compensation à la douleur, de ce remède qu'Epicure tire de la "boîte à pharmacie". (93) "Ne pas craindre les dieux, est un point capital dans la doctrine d'Épicure. On doit en partie à l’épicurisme la destruction des superstitions païennes. C'est pour supprimer la crainte des dieux qu'Épicure conseillait l'étude de la physique : cette science, en montrant le lien naturel qui rattache tous les phénomènes l'un à l'autre, empêche de supposer l'intervention dans le monde de puissances capricieuses et menaçantes. - Sur le côté terrible des religions antiques, côté souvent trop méconnu de nos jours et qu'il faut se rappeler pour comprendre la doctrine d'Épicure, v. les Extraits de Lucrèce. (94) Épicure insiste beaucoup sur cette puissance que possède l'homme d'évoquer les jouissances passées et d'en jouir une seconde fois. Il se vantait en mourant, tourmenté par d'horribles souffrances, de jouir cependant d'un bonheur parfait, parce qu'il se rappelait ses inventions et ses titres de gloire : de ce souvenir naissait en lui une joie sans mélange, qui venait s'opposer à la douleur présente. V. plus loin, livre II, et les Éclaircissements. Cf. Tusc., V, 96 ; SÉNÈQUE, de Vita beata, 6. (95). C'est le portrait de l'épicurien idéal que Torquatus vient de faire. (96) Mais on ne loue une action et on ne la trouva honnête que précisément lorsqu'on ne croit pas qu'elle ait été faite en vue du plaisir. (97) Conclusion précipitée. Cicéron a hâte d'en finir. (98) Raisonnement par induction qui est cher à Épicure comme aux utilitaires modernes. V. DIOG. L., X, 138. ATHEN., XII. - L'art de la vie a assurément un but ; reste toujours à savoir si ce but est de rendre la vie agréable ou vertueuse. (99) Aristippe commandait de satisfaire les désirs ; Zénon, de les supprimer ; Épicure veut du moins qu'on les restreigne, et on aura toujours, suivant lui, la force de les restreindre si, au lieu de prendre pour fin exclusive tel ou tel plaisir particulier (tên kata meros hêdonên), on prend pour fin le plaisir prolongé et étendu à la vie entière (tou holou biou makariotêta). En d'autres termes, il faut, selon Épicure, subordonner tons les autres désirs à la tendance générale qui doit dominer et régler la vie, la tendance au bonheur, à la félicité. Cette subordination des désirs et des plaisirs particuliers au désir du bonheur est l'oeuvre de la sagesse (phronêsis), qui est par essence une "raison tempérante" (nêphôn logismos). (100) Par exemple le besoin de manger. (101) Par exemple, le désir de manger des mets délicats, d'entendre de beaux sons, de voir de belles formes. (102) Par exemple, le désir des honneurs, des couronnes et des statues. - Cette distinction des plaisirs en trois classes, qu'Épicure n'a fait qu'emprunter à Aristote et à Platon, est plus ou moins artificielle. Tous les désirs, en définitive, sont naturels : il est, par exemple, quoi qu'en dise Épicure, aussi naturel à l'homme de désirer l’estime de ses semblables que le boire ou le manger. On ne peut donc guère trouver la règle des désirs dans la nature des choses : tout ce qui est, est naturel ; pour régler et diriger la nature même, il faut s'élever au-dessus d'elle, et, par delà ce qui est, chercher ce qui doit être, afin d'y conformer nos désirs et nos volontés.. (103) Pas toujours : par exemple, ceux qui meurent de faim. (104) V. les Extraits d'Épicure. (105) On voit comment l'épicurisme, plaçant le souverain bien et la fin de l'homme dans la sensibilité, se trouve peu à peu forcé, pour atteindre cette fin même, de travailler au perfectionnement de l'intelligence, Épicure vante la science et la sagesse, blâme et rejette l'ignorance. Voir, dans les Extraits d'Épicure, l'éloge de la philosophie. (106) La tempérance est la vertu principale dans toute morale fondue sur l'utilité. C'est en effet cette vertu qui sépare essentiellement l'utilitarisme de la morale du plaisir. (107) Voici la constance stoïque déduite de la tempérance épicurienne la karteria devient un moyen en vue de l'hêdonê. (108) Ainsi la vertu de tempérance n'est pas autre chose pour Épicure que l’art pratique d'échapper à trois grandes sanctions : sanction naturelle (maladie et souffrance), sanction de l'opinion (opprobre); sanction légale (châtiment). Cette vertu reposa on réalité sur la crainte. (109) Volupté singulière : en quoi peut-elle consister, puisque Épicure supprime par hypothèse tout sentiment moral ? (110) Elle ne l'est, suivant Épicure, que par les conséquences pénibles qu'elle entraîne avec elle et par les peines qui s'y attachent. (111) On est alors tempérant par intempérance, suivant la parole de Platon. (112) C'est le contraire de la doctrine cynique et stoïque, qui place le souverain bien dans le travail accompli, dans la souffrance supportée, dans la volonté faisant effort et "peinant " (ponein) (113) C'est là un remède désespéré, dont le sage, selon Épicure, ne doit user qu'à la dernière extrémité. - V. les Extraits. (114) Temeritas et libido et ignavia : ce sont les contraires des trois vertus dont il a été déjà parlé: Sapientia, Temperantia, Fortitudo. (115) Ainsi, en premier lieu, l'injustice par sa seule présence produit le trouble : c'est sans doute parce qu'elle dérange l'équilibre des désirs et l'harmonie de l'âme ; en second lieu, par les actions injustes qu'elle suscite, elle engendre la défiance et la crainte, nouvelle source de trouble et de désordre intérieur. De là cette maxime d'Épicure, bien connue : Ho dikaios ataraktotatos, ho de adikos pleistês tarachês gemôn (DIOG. L., X, 146.) V. les Extraits. (116) C'est encore la sanction légale qui, selon Épicure comme selon tous les utilitaires, est le principal fondement de l’injustice. - V. dans les Extraits d'Épicure la théorie utilitaire du contrat social. Par ce contrat, les hommes s'engagent mutuellement à ne point se nuire, et établissent ainsi dans la société une justice qui, selon Épicure, n'existe point dans la nature. C'est le germe de théories de Hobbes et de Rousseau. (117) Cette crainte des dieux, qu'Épicure invoque pour retenir par un dernier intérêt l’homme injuste, est en contradiction avec le reste de son système. Épicure na-t-il pas précisément pour principal objet de débarrasser l'homme de la crainte des dieux. ? - On retrouve la même contradiction chez les utilitaires modernes, Bentham par exemple. (118) Cet appel à la force physique pour suppléer à la conscience morale est, de la part d'Épicure, un aveu d'impuissance. (119) V., dans les Eclaircissements, les mêmes arguments dont se sert ici Épicure reproduits tour à tour par la plupart des utilitaires. (120) Cette dernière conclusion est assez inattendue, et n'est qu'une répétition de ce qui a été dit plus haut.
(121) Les
épicuriens, n'admettant pas de distinction véritable entre le corps et l'âme,
formés l'un et l'autre d'atomes plus ou moins ronds et lisses, ne pouvaient
admettre que des distinctions secondaires entre les plaisirs du corps et ceux de
l'âme. Selon Épicure, la plaisir de l’âme n'est qu'un souvenir ou une
anticipation (prôtopatheia) plus ou moins déguisée des plaisirs du corps
(CLEM. ALEX., II, Stromat., p, 179). Si les voluptés de l'âme sont
préférables à celles du corps, c'est qu'elles embrassent à la fois le passé et
l'avenir, tandis que celles du corps sont bornées au moment présent. V. les
Extraits d'Epicure. (122) V. plus haut, ch. XI. (123) "Il ne dépend que de nous...". C'est ce que niera plus tard Cicéron. (124) Épicure le dit en effet formellement. V. les Extraits d'Épicure. (125) Ce sont là des idées empruntées aux socratiques et aux platoniciens. Le vice est une discorde intérieure, une lutte perpétuelle des penchants et des passions qui entraînent l'âme en tous sens. La vertu, au contraire, qui consiste dans l'équilibre parfait de nos facultés et dans la modération réciproque de nos désirs, constitue la paix et la santé de l'âme ; elle réalise au-dedans de nous comme au dehors l'harmonie et la justice. (126) PLUTARQUE, De la Superstition, 4 : "La superstition fait sa peur plus longue que sa vie, et attache à la mort une imagination de maux immortels ; et lorsqu'elle achève tous ses ennuis et ses travaux, elle se figure qu'elle on doit commencer d’autres qui jamais ne s’achèveront." (127) "Neque stultorum quisquam beatus, neque sapientum non beatus." (128) Jusque-là le sage stoïcien et le sage épicurien se ressemblent parfaitement, (129) Ce n'est pas une volupté très charitable. - Cf. les Extraits de LUCRÈCE. (130) Il compense les douleurs du corps par les joies de l'âme. (131) V. les Extraits d'Épicure. Cf. Tusc., V, 9. (132) V. les Extraits d'Épicure. (133) "Votre dialectique" : celle de Triarius et de Cicéron, c'est-à-dire des stoïciens et des académiciens. (134) Torquatus va reprendre et retourner contre Cicéron les reproches que ce dernier avait adressés à Épicure au sujet de sa logique et de sa morale. La dialectique subtile des académiciens et des stoïciens ne sert en rien au bonheur de la vie : c'est pour cela qu'Épicure la dédaigne. (135) Cicéron considère ici la logique ou canonique épicurienne comme une simple partie de la physique. En quoi il n'est pas infidèle à l'esprit d'Épicure, qui subordonnait entièrement la logique à la physique, pour les subordonner ensuite toutes deux à la morale. (136) Cette règle, que les sens sont seuls juges du bien et du vrai, et que le souverain bien c'est le plaisir. (137) C'est l'adage sensualiste : "Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu." (138) V. les Extraits d'Épicure (139) Les pyrrhoniens et les académiciens. (140) V. les Extraits d'Épicure. (141) Oreste et Pylade, Achille et Patrocle, Thésée et Pirithoüs. V. PLUT., De amic. multit., p. 93 e ; LUCIEN, Toxaris, 10, (142) Greges amicorum. Les amis d'Épicure, dit Diogène Laërce, étaient si nombreux que des villes entières n'auraient pu les contenir. (V. les Extraits.) - Amitié un peu large pour être vive. (143) Cette maison, placée à l'intérieur d'Athènes, était entourée de jardins, de telle sorte qu'Épicure, au milieu de la ville, habitait la campagne. "Primus hoc instituit Epicurus otii magister, Usque ad eum moris non fuerat in oppidis habitari cura." PLINE, Hist. nat., XIX, 4. (144) "Quelques-uns," ce sont les disciples les plus fidèles d'Épicure. (145) Dans ce curieux passage où Épicure devance les « genèses de sentiments » de l'école anglaise contemporaine, on voit l’amitié, d'abord tout intéressée, se modifier peu à peu sous l'action de l'intérêt même, et tendre au désintéressement. (146) C'est la traduction de cette sentence d'Épicure (DIOG. LAERCE, x, 149 : Hê autê gnômê tharrein te epoiêsen huper tou mêden aiônion eivai deinon mêde poluchronion, kai en autois tois hôrismenois asphaleian philias malista kateinai sunteloumenên. V. les Extraits d'Épicure. (147) Les commentateurs ont donné de nombreuses leçons de ce passage. Nous avons rejeté celle de Boeckel pour adopter une leçon plus conforme aux manuscrits et qui semble offrir en même temps le sens philosophique le plus plausible. Voir notre édition du texte latin. (148) La première opinion, d'après laquelle l'amitié serait tout intéressée, est l'opinion d'Épicure. Cette seconde théorie, selon laquelle on finit par aimer ses amis pour eux-mêmes (non propter voluptatem, sed propter se), est de quelques épicuriens récents (v. plus loin, l. II, ch. XXVI). On sait pourtant avec quel respect les disciples d'Épicure conservaient et répétaient toutes les doctrines du maître, comme des dogmes auxquels c'eût été un sacrilège de rien changer. Il faut que, dès l'origine, l'impossibilité d'aimer autrui, à laquelle nous condamne la doctrine utilitaire, ait semblé bien dure aux épicuriens, pour qu'ils se soient décidés à modifier aussi gravement la doctrine de leur maître. Du reste, qu'on ne s'y trompe pas, même dans cette concession qu'ils ont faite à leurs adversaires, ils sont restés fidèles à l'esprit d'Épicure, à la doctrine de l'égoïsme ; l'amitié telle qu'ils l'entendent est simplement l'effet d'une "habitude"; -les utilitaires plus récents diront d'une "association d'idées". - On prend un ami pour un but d'utilité, comme on prend un chien pour la chasse ; puis, de même qu'en chassant avec le chien on finit par s'attacher au chien, ainsi, en vivant avec son ami, on finit par s’attacher à la personne même de son ami : effet purement mécanique de l'habitude. Derrière ce mécanisme on découvre toujours, comme premier ressort, l'égoïsme. - Cette théorie des épicuriens, qui n'a guère été comprise, se retrouvera dans l'école anglaise contemporaine. (149) D'après cette dernière théorie, l'amitié des individus, comme la société même, reposerait sur une sorte de contrat tacite. Mais qu'est-ce qui empêchera l'épicurien, à un moment donné, de violer ce pacte si l'intérêt l'y engage ? V, plus loin, 1, II, XXVI. (150). Comparer l'éloge d'Épicure dans les Extraits de Lucrèce. |