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table des matières de l'œuvre d'Aristote

ARISTOTE

 LES TOPIQUES

livre I 

table des matières des topiques

 

texte grec

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livre VI - livre VIII

(avec l'aimable autorisation du traducteur)

Traduction : Yvan Pelletier (né en 1946) est professeur titulaire à la Faculté de philosophie de l'Université Laval, où il enseigne depuis 1975 et où il a complété sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant à l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abbé Jasmin Boulay et de MM. Warren Murray, Alphonse Saint-Jacques et quelques autres professeurs d'une tradition aristotélico-thomiste initiée à cette faculté par M. Charles De Koninck. Son enseignement est agencé de façon à offrir aux étudiants du baccalauréat une présentation des principes fondamentaux et de la méthode de chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective aristotélicienne : éthique, politique, physique, métaphysique - et aux étudiants de maîtrise et doctorat une réflexion critique sur les éléments du credo contemporain - démocratie, nouvelle morale, logique symbolique, dissociation de l'être et du devoir, primauté de la conscience, etc. - à partir de ces principes fondamentaux.



Aristote, Les Topiques, livre I et Livre VIII 

 

 

 

Chapitre I

[100a18] Le propos de notre travail [sera de] découvrir une méthode grâce à laquelle d'abord nous pourrons raisonner [01] [à partir] d'endoxes [02] sur tout problème proposé; [grâce à laquelle] aussi, au moment de soutenir nous-mêmes une raison [03], nous ne dirons rien de contraire. En premier, bien sûr, on doit dire ce qu'est un raisonnement et par quoi ses espèces se différencient de manière à ce qu'on obtienne le raisonnement dialectique. Car c'est là que nous cherchons, dans le travail que nous nous proposons.
[100a25] Un raisonnement, c'est donc une raison [04] dans laquelle, une fois qu'on a posé quelque chose, autre [chose] que ce qu'on a posé s'ensuit nécessairement à cause de ce qu'on a posé [05]. C'est une démonstration, bien sûr, quand le raisonnement est issu de [principes] vrais et premiers, ou de [principes] de nature à ce qu'on ait obtenu leur propre principe de connaissance par des [principes] premiers et vrais. [100a30] Est raisonnement dialectique celui qui raisonne [à partir] d'endoxes. [100b18] Or est vrai et premier ce qui trouve créance non par autre chose mais par soi-même (car dans les principes scientifiques, il ne faut pas rechercher le pourquoi, mais que chacun des principes soit croyable en lui-même et par lui-même). [Est] endoxal ce à quoi tous s'attendent [06], ou la plupart, ou les sages, et parmi eux tous, ou la plupart, ou les plus connus et endoxaux. Par ailleurs, est un raisonnement chicanier le [raisonnement issu] de ce qui a tout l'air endoxal mais ne l'est pas, [100b25] et celui qui[, sans l'être,] a l'air issu d'endoxes ou de ce qui a l'air d'endoxes. Car tout ce qui a l'air endoxal n'est pas de ce fait endoxal. En effet, rien de ce qu'on dit [légitimement] endoxal n'a tout à fait manifeste son [aspect de pure] apparence [07], comme c'est le cas pour les principes des raisons chicanières. C'est sur-le-champ, en effet, et la plupart du temps, [100b30] pour les gens capables d'apercevoir aussi les subtilités, qu'est très évidente en eux la [101a1] nature de la fraude. Le premier, bien sûr, des raisonnements chicaniers dont nous avons parlé, appelons-le aussi un raisonnement ; mais l'autre, [appelons-le] raisonnement chicanier mais non raisonnement, puisqu'il a tout l'air de raisonner, mais ne raisonne pas.
[101a5] À côté de tous les raisonnements mentionnés s'ajoutent les paralogismes [08] effectués à partir des principes touchant proprement certaines sciences, comme c'est le cas pour la géométrie et ses congénères. Cette façon-là [de raisonner] semble en effet différer des raisonnements mentionnés. Car ce n'est ni de [principes] vrais et premiers [101a10] que raisonne le pseudo­graphe; ni d'endoxes, puisque [ses principes] ne tombent pas sous notre définition. En effet, ce qu'il obtient est quelque chose à quoi ne s'attendent ni tous ni la plupart ni les sages et, parmi ceux-là, ni tous ni la plupart ni les plus endoxaux; bien à l'opposé, il fait son raisonnement à partir des prémisses propres à la science, mais non vraies. [101a15] C'est en effet en traçant les demi-cercles non comme il faut ou en tirant des lignes non comme elles devraient l'être qu'il fait son paralogisme.
Ainsi donc, mettons, pour les embrasser sommairement, que les espèces des raisonnements soient celles que nous avons mentionnées. Pour parler universellement, d'ailleurs, sur tout ce que nous avons mentionné [101a20] et sur ce dont nous parlerons par après, tenons-nous-en à ce niveau de distinction. C'est que sur rien de cela nous ne voulons fournir la définition exacte; nous voulons à l'opposé discourir de cela aussi sommairement que possible, estimant tout à fait suffisant, pour la méthode que nous nous proposons, de pouvoir reconnaître chaque chose de quelque manière.

Chapitre II [09]

[101a25] À la suite de ces considérations, il conviendrait de dire à combien et quelles utilités [sert] notre travail. Il sert à trois [utilités] : à l'exercice, aux entretiens et aux sciences de caractère philosophique. Qu'il serve à l'exercice, bien sûr, c'est de soi très manifeste : en effet, tenant une méthode, nous pourrons plus facilement attaquer ce [10] qu'on proposera. Aux entretiens aussi, [101a30] du fait que, lorsque nous aurons dénombré les endoxes des gens [11], c'est non point à partir d'impressions qui leur sont étrangères mais à partir des leurs propres que nous nous en prendrons [12] à eux pour faire saillir ce qu'ils nous auront tout l'air de ne pas dire correctement [13]. Aux sciences de caractère philosophique, enfin, parce que, si nous pouvons créer de l'embarras à l'une et l'autre [contradictoire], nous discernerons plus facilement [101a35] le vrai et le faux en chaque [matière]. Et de plus [notre travail sert] aux [principes] premiers pour chaque science. C'est qu'il est impossible d'en dire quoi que ce soit à partir des principes appropriés à la science qu'on se propose, puisque ces principes-là viennent en premier de tous; [101b1] aussi est-il nécessaire d'en discourir par le biais des endoxes qui circulent sur chacun. Or c'est là quelque chose de propre ou du moins de surtout approprié à la dialectique; du fait de sa [nature] investigatrice, elle tient une voie aux principes de toutes les méthodes.

Chapitre III

[101b5] Cette méthode, par ailleurs, nous en rejoindrons la perfection d'une manière semblable à celle dont elle nous est accessible pour la rhétorique, la médecine et les puissances de cette nature, c'est-à-dire pour autant que nous réaliserons ce que nous voulons compte-tenu des [principes] disponibles. Car l'orateur ne va pas persuader, ni le médecin guérir de toute façon; mais si [chacun] ne néglige aucun des [principes] disponibles, [101b10] nous dirons qu'il tient sa science de manière satisfaisante.

Chapitre IV

On doit regarder en premier, bien sûr, de quoi [est constituée] la méthode. Si nous pouvions saisir le nombre et la nature de ce à quoi [mènent] les raisons, [saisir] aussi de quoi elles [procèdent], puis comment nous nous en munirons en abondance, nous tiendrions déjà notre propos de manière suffisante. Or ce de quoi [sont issues] les raisons et ce sur quoi [portent] les raisonnements sont égaux en nombre et identiques. En effet, les raisons s'effectuent à partir des propositions, [101b15] et ce sur quoi [portent] les raisonnements, ce sont les problèmes. Or toute proposition et tout problème manifeste ou le propre, ou le genre, ou l'accident [du sujet]. Car la différence aussi, tant qu'elle est générique, on doit la ranger auprès du genre. Puisque, par ailleurs, le propre tantôt signifie ce que [la chose] est au juste, [101b20] tantôt ne le signifie pas, divisons le propre en les deux parties que nous venons de mentionner : appelons celle qui signifie ce que [la chose] est au juste sa définition, et appelons l'autre son propre, selon leur dénomination commune. De nos considérations s'ensuit donc avec évidence, selon la présente division, la production de quatre [éléments] en tout : [101b25] la définition, le propre, le genre, l'accident. Que personne, toutefois, ne nous soupçonne de dire que chacun d'eux, dit en lui-même, est une proposition ou un problème; [nous disons] plutôt que c'est en partant d'eux que sont produits et les problèmes et les propositions. Le problème et la proposition diffèrent, eux, par leur tournure. Car si on parle ainsi : [101b30] «Est-ce que l'animal terrestre [14] bipède est [la] définition d[e l]'homme?» et : «Est-ce que l'animal est [le] genre de l'homme?», c'est une proposition qu'on produit; tandis que si [c'est ainsi]: «Mais est-ce que l'animal terrestre bipède est la définition de l'homme ou pas?», on produit un problème [15]. Et il en va semblablement pour les autres [cas], de sorte qu'il est bien raisonnable que restent égaux en nombre les problèmes [101b35] et les propositions. En effet, de toute proposition on fera un problème, simplement en en modifiant la tournure.

Chapitre V

On doit maintenant dire ce que sont une définition, un propre, un genre, un accident. Une définition, c'est une raison [16], celle qui signifie ce que [la chose [17]] est au juste. Or on donne [102a1] ou une raison pour un nom, ou une raison pour une raison, car il est parfois possible aussi de définir ce qu'on signifie sous une raison. Toutefois, il est évident que tous ceux qui, de quelque manière, rendent [la chose] par un nom [unique] ne donnent pas, eux, la définition de la chose, puisque toute [102a5] définition est une raison. Néanmoins, on doit aussi poser comme définitionnel ce qui se présente de la manière suivante : Le beau, c'est le convenable. Il en va semblablement aussi pour la demande à savoir si sensation et science c'est la même [chose] ou autre [chose]. Et de fait, concernant les définitions, la demande à savoir si c'est la même [chose] ou autre [chose] occupe la plus grande partie de la discussion. Simplement alors, appelons définitionnel tout ce qui se range sous la même [102a10] méthode [18] que les définitions. Or que tout ce dont nous venons de parler est de cette nature, c'est de soi évident. Une fois capables, en effet, de discuter que [ce soit] la même [chose] et que [ce soit] autre [chose][19], nous saurons de la même façon attaquer en abondance contre les définitions, car après avoir montré que ce n'est pas la même [chose], nous nous trouverons avoir détruit la définition [20]. Toutefois, ce qu'on vient de dire ne se convertit pas : [102a15] en effet, il ne suffit pas, pour ce qui est d'établir la définition, de montrer que c'est la même [chose] [21], tandis que pour ce qui est de [la] renverser, il suffit très bien de montrer que ce n'est pas la même [chose].
Un propre, par ailleurs, c'est ce qui ne manifeste pas ce que [la chose] est au juste, mais appartient au [sujet] seul et se contre-attribue [avec lui] à la chose. [22] Par exemple, c'est le propre [102a20] de l'homme d'être susceptible de lire et d'écrire. En effet, si on est un homme, on est susceptible de lire et d'écrire, et si on est susceptible de lire et d'écrire, on est un homme. Effectivement, personne ne dit propre ce qui peut appartenir à une autre [chose][23], à la manière dont dormir, par exemple, [appartient] à l'homme[24], pas même s'il se trouve que pour un temps ce [lui] appartienne à elle seule. Et si [102a25] on vient à dire propre quelque chose de cette nature, ce ne sera pas absolument qu'on [le] dira propre, mais pour un temps et en relation à [autre] chose. En effet, d'être à droite est propre pour un temps et bipède se trouve dit propre en relation à [autre] chose, par exemple [propre] à l'homme en relation au cheval et au chien. Que d'ailleurs de ce qui peut appartenir à une autre [chose], rien ne se contre-attribue [avec le sujet à la chose], c'est évident. En effet, [102a30] si on dort, on n'est pas nécessairement un homme.
Un genre, c'est ce qui s'attribue en regard de ce qu'elles sont à nombre de choses différentes dans leur espèce. Disons que s'attribue en ce que [la chose] est tout ce qui convient comme réponse quand on nous demande ce qu'est le propos. Ainsi, pour l'homme, [102a35] si on nous demande ce qu'il est, il convient de dire qu'[il est] un animal. Cela a trait au genre aussi de [demander] si une chose, [en regard d']une autre, est dans le même genre ou dans un autre. Car [une demande] de cette nature tombe encore sous la même méthode [25] que le genre. En effet, une fois qu'on aura discuté que l'animal soit le genre de l'homme, et semblablement aussi du bœuf, on se trouvera à avoir discuté aussi que ce soit dans le [102b1] même genre. Et quand on aura montré que c'est le genre de l'un, mais que ce n'est pas le genre de l'autre, on aura aussi discuté que ces choses ne soient pas dans le même genre. L'accident, c'est ce qui n'est rien de cela, ni [102b5] définition ni propre ni genre, mais appartient à la chose; c'est aussi ce qui peut appartenir et ne pas appartenir à une seule et même chose quelconque. Par exemple, être assis peut appartenir et ne pas appartenir à une seule et même chose. Il en va semblablement aussi pour le blanc; en effet, rien n'empêche la même chose tantôt d'être blanche et tantôt de ne pas être blanche. [102b10] Toutefois, c'est notre deuxième définition de l'accident qui est la meilleure. Car lorsqu'on dit la première, il est nécessaire, si on doit la comprendre, de savoir auparavant ce qu'est une définition, un propre et un genre. Tandis que la deuxième est complète en elle-même pour ce qui est de connaître ce que peut bien être ce dont elle parle. Rattachons à l'accident aussi, de fait, [102b15] les comparaisons entre les choses faites de quelque façon sur la base d'un accident à elles. Par exemple, si [c'est] le beau ou l'utile qui est préférable, et si [c'est] celle selon la vertu ou celle selon le plaisir qui est la vie plus agréable, et toute autre [demande] qu'on se trouve à faire avec une certaine ressemblance à celles-là. Car, dans toutes les [demandes] de cette nature, [102b20] la recherche se préoccupe de savoir pour laquelle des choses ce qui est attribué est davantage un accident. Par ailleurs, il est évident de soi que rien n'empêche l'accident de devenir un propre temporaire et relatif. Par exemple, être assis, bien que ce soit un accident, sera toutefois un propre, lorsqu'on est seul assis, et, si on n'est pas seul assis, sera un propre en relation à ceux qui ne sont pas assis. De sorte que, tant en relation à [autre] chose que [102b25] pour un temps, rien n'empêche l'accident de devenir un propre; de manière absolue, néanmoins, il ne sera pas un propre.

Chapitre VI

Qu'il ne nous échappe pas que tout ce qui peut se dire contre[26] le propre, le genre et l'accident, conviendra aussi contre les définitions. En effet, quand nous aurons montré que la [chose signifiée] sous la définition [27] n'appartient pas au seul [sujet], [102b30] comme [on le fait] aussi pour le propre, ou que ce qu'on donne dans la définition n'est pas genre [du sujet], ou que l'un des [éléments] mentionnés dans la raison n'appartient pas [au sujet], ce que précisément on pourrait dire aussi pour l'accident, nous nous trouverons à avoir détruit la définition. Par conséquent, pour la raison que nous [en] avons fournie auparavant, tout ce que nous avons énuméré pourrait de quelque façon se trouver définitionnel. [102b35] Mais on ne doit pas pour cela chercher une méthode unique [applicable] à tout universellement. Car d'abord cela n'est pas facile à découvrir; et si on [en] découvrait une, elle serait tout à fait obscure et inutile pour le travail que nous nous proposons. En donnant plutôt une méthode propre pour chacun des genres [de problèmes] que nous avons définis, [103a1] le développement de ce que nous nous sommes proposé devrait s'effectuer plus facilement à partir de ce qui est approprié à chacun. Aussi doit-on diviser sommairement, comme on l'a dit plus haut; quant à ce qui reste, on doit le rattacher à ce qui lui est le plus approprié et l'appeler définitionnel et générique. Ce dont on a parlé est d'ailleurs déjà à peu près rattaché [103a5] à chacun [des genres de problèmes].

Chapitre VII

En premier de tout, on doit définir, à propos de la même [chose], de combien de manière cela se dit. Or cela tiendrait lieu d'endoxe qu'à le prendre sommairement, on divise de trois manières le fait d'[être] la même [chose]; de fait, nous avons coutume d'attribuer numériquement, spécifiquement ou génériquement d'[être] la même [chose]. Numériquement, c'est à ce pour quoi il y a des noms divers alors que la chose [signifiée] est [103a10] unique, par exemple une pelisse et un manteau. Spécifiquement, par ailleurs, c'est tout ce qui, pour divers que ce soit, demeure indifférent quant à son espèce, comme: un homme [est la même chose] qu'un homme, un cheval qu'un cheval; en effet, tout ce qui est de nature à se retrouver sous la même espèce est dit la même [chose] spécifiquement. Semblablement encore, la même [chose], génériquement, c'est tout ce qui se retrouve sous le même genre; par exemple : un cheval [est la même chose] qu'un homme. Cela tiendrait bien lieu d'endoxe, encore, que [103a15] l'eau provenant de la même source, quand elle est dite la même [chose], comporte quelque différence avec les façons mentionnées. Rangeons malgré tout ce qui est de cette nature dans la même [façon] que ce qu'on dit de quelque manière d'après une espèce unique. Car tout ce qui est de cette nature semble être congénère et entretenir une certaine ressemblance réciproque. Du fait d'[y] avoir quelque similitude, toute eau se dit déjà [103a20] la même [chose] que toute [eau] spécifiquement. Or l'eau qui provient de la même source ne diffère d'aucune autre [28], sinon par le fait que la similitude soit plus prochaine encore. C'est pourquoi nous ne la séparons pas de ce qui se dit de quelque manière [la même chose] d'après une espèce unique. Toutefois, on l'accordera unanimement, c'est surtout ce qui est un numériquement dont tous s'attendent qu'il soit dit la même [chose]. [103a25] Néanmoins, même cela a coutume de s'attribuer de plusieurs manières. Principalement et premièrement, c'est quand d'[être] la même [chose] est attribué à un nom ou à une définition, comme : le manteau [est la même chose] que la pelisse et l'animal terrestre bipède [est la même chose] que l'homme. Deuxièmement, c'est quand c'est [attribué] au propre, comme : le susceptible de science [est la même chose] que l'homme et le porté de nature vers le haut [est la même chose] que le feu. Troisièmement, c'est quand [l'attribution part] de [103a30] l'accident, par exemple : celui qui est assis ou le musicien [c'est le même] que Socrate. Tout cela veut signifier ce qui [est] un numériquement. Que ce que nous venons de dire est vrai, on pourra s'en convaincre au mieux à regarder les fois où l'on change les appellations. Souvent, en effet, en ordonnant avec son nom d'appeler quelqu'un qui est assis, nous changeons [l'appellation], [103a35] s'il arrive que celui à qui nous en faisons l'ordre ne comprenne pas, dans l'idée qu'il comprendra plus si nous partons de son accident, et nous ordonnons d'appeler celui qui est assis ou celui qui discute. C'est évident, nous sommes sûrs [alors] de signifier la même [personne].

Chapitre VIII

[103b1] Reconnaissons donc trois divisions, ainsi qu'on l'a dit, pour ce qui est d'[être] la même [chose]. Que maintenant les raisons [soient issues] de ce, par ce et contre ce dont nous avons parlé auparavant[29], une première preuve en est celle par l'induction. Car si on examinait chacune des propositions et chacun des problèmes, [103b5] ils tireraient manifestement origine de la définition, du propre, du genre ou de l'accident. Mais une autre preuve en est celle par raisonnement [30]. Nécessairement, en effet, tout ce qui s'attribue à un [sujet] ou bien se contre-attribue [31] [avec lui] à la chose, ou pas. Et s'il se contre-attribue, ce pourra être une définition ou un propre : [103b10] une définition, en effet, s'il signifie ce que [la chose] est au juste, et un propre, s'il ne [le] signifie pas. Car c'était cela un propre, ce qui se contre-attribue, tout en ne signifiant pas ce que [la chose] est au juste. Si par ailleurs il ne se contre-attribue pas à la chose, ou bien il fait partie de ce qu'on dit dans la définition du sujet, ou pas. Et s'il fait partie de ce qu'on dit dans la définition, ce pourra être un genre [103b15] ou une différence, puisque la définition est [issue] du genre et des différences. Si par ailleurs il ne fait pas partie de ce qu'on dit dans la définition, il est évident que ce pourra être un accident. En effet, on disait accident ce qui n'est ni définition ni propre ni genre et appartient toutefois à la chose.

Chapitre IX

[103b20] Après cela, il faut donc définir les genres des attributions dans lesquelles interviennent les quatre [modalités] dont nous avons parlé. Or elles sont au nombre de dix : ce que [la chose] est, en quelle quantité, de quelle qualité, en relation à quoi, où, quand, [qu'elle] est disposée, a, fait, subit. Toujours, en effet, l'accident, le genre, le propre et la définition [103b25] se trouvera dans l'une de ces attributions. Car toutes les propositions [qui se font] par eux signifient ce que [la chose] est, ou en quelle quantité [elle est], ou de quelle qualité [elle est], ou l'une des autres attributions. Par ailleurs, il est évident de soi que celui qui signifie ce que [la chose] est signifie tantôt une substance, tantôt en quelle quantité [une chose est], tantôt de quelle qualité [une chose est], tantôt l'une des autres attributions. Car, quand, à propos d'un homme, [103b30] on dit que c'est un homme ou [que c'est] un animal, on dit ce qu'il est et on signifie une substance; quand, par ailleurs, à propos d'une couleur blanche, on dit que c'est blanc ou [que c'est] une couleur, on dit ce qu'elle est et on signifie de quelle qualité [une chose est]. Semblablement encore, si, à propos d'une grandeur d'une coudée, on dit que c'est long d'une coudée [ou que c'est] une grandeur, on dit ce qu'elle est et [103b35] on signifie en quelle quantité [une chose est]. Et il en va semblablement aussi pour les autres [attributions]. En effet, chacune des [attributions] de cette nature, pour autant qu'elle-même se trouve dite d'elle-même, ou que c'est son genre qui s'en trouve dit, signifie ce que [la chose] est; quand, par ailleurs, c'est d'autre chose [qu'elle se trouve dite], elle ne signifie pas ce que [la chose] est, mais en quelle quantité ou de quelle qualité [la chose est], ou l'une des autres attributions. En conséquence, sur quoi portent les raisons et de quoi elles sont issues, [104a1] c'est cela et de ce nombre. Comment, par ailleurs, nous l'obtiendrons et par quoi nous en abonderons, c'est ce qu'on doit dire par après.

Chapitre X

En premier, cependant, définissons ce qu'est une proposition dialectique et ce qu'[est] un problème dialectique. C'est qu'on ne doit pas poser toute proposition ni [104a5] tout problème [comme] dialectique. Personne de sensé, en effet, ne proposerait ce qui ne tient lieu d'endoxe pour personne [32], ni ne ferait un problème de ce qui est manifeste à tous ou à la plupart. Car avec ceci on ne se trouve pas dans une impasse; et l'autre, personne ne le poserait. Or une proposition dialectique, c'est une demande endoxale pour tous, pour la plupart ou pour les sages et, chez ceux-ci, [104a10] pour tous, pour la plupart ou pour les plus connus. [Ce n'est] jamais [une demande] paradoxale : on peut poser, en effet, ce qui tient lieu d'endoxe auprès des sages, à la condition que ce ne soit pas contraire aux endoxes [reçus par] la plupart. Est aussi proposition dialectique ce qui est semblable aux endoxes; de même ce qui contredit le contraire des endoxes les plus courants [33]; de même encore tous [104a15] les endoxes conformes aux arts déjà découverts. Si, en effet, il est endoxal que c'est la même science qui porte sur les contraires, cela aura tout l'air endoxal aussi que c'est le même sens qui porte sur les contraires. De même, [s'il est endoxal] que l'art d'écrire est numériquement un, [il le sera] aussi que l'art de jouer de la flûte est un, et s'[il est endoxal] qu'il y a plusieurs arts d'écrire, [il le sera] aussi qu'il y a plusieurs arts de jouer de la flûte. En effet, tout cela [104a20] semble être semblable et congénère. Semblablement aussi, par ailleurs, ce qui contredit le contraire des endoxes aura tout l'air endoxal. S'[il est] endoxal, en effet, qu'il faut faire du bien à ses amis, [il sera] endoxal aussi qu'il ne faut pas [leur] faire de mal; le contraire, c'est qu'il faut faire du mal à ses amis et ce qui contredit cela, c'est qu'il ne faut pas [leur] [104a25] faire de mal. Semblablement encore, s'il faut faire du bien à ses amis, il ne le faut pas à ses ennemis. Cela aussi contredit le contraire. En effet, le contraire, c'est qu'il faut faire du bien à ses ennemis. Et il en va de même aussi pour les autres [cas]. En comparaison encore, cela aura tout l'air [endoxal] aussi [d'attribuer] le contraire au contraire; par exemple, s'il faut faire du bien à ses amis, [104a30] il faut aussi faire du mal à ses ennemis. Car faire du bien à ses amis a tout l'air contraire, aussi, à faire du mal à ses ennemis. Est-ce que de fait il en est aussi ainsi en vérité ou non, nous en parlerons dans ce que nous dirons sur les contraires. Il est évident, par ailleurs, que tous les endoxes conformes à des arts sont des propositions dialectiques. Car on posera [volontiers] [104a35] ce qui tient lieu d'endoxes auprès de ceux qui ont déjà investigué ce [dont on parle]; par exemple, à propos de médecine, [on posera] comme le médecin, et en matière de géométrie, comme le géomètre; et il en va semblablement aussi pour autre [chose].

Chapitre XI

[104b1] Un problème dialectique, c'est une considération visant à un choix et à un rejet, ou à une vérité et à une connaissance; [elle y vise] déjà en elle-même ou alors c'est à titre instrumental, pour autre chose de cette nature; [elle porte de plus] sur ce quant à quoi aucune des contradictoires ne tient lieu d'endoxe ou [sur ce quant à quoi] c'est le contraire [qui tient lieu d'endoxe] [104b5] chez les sages et chez la plupart ou de chacun à chacun à l'intérieur de chaque groupe. Certains problèmes, effectivement, sont utiles à résoudre pour ce qui est de choisir ou de rejeter; par exemple, si le plaisir est préférable ou pas. D'autres [le sont] simplement pour connaître; par exemple, si le monde est éternel ou pas. D'autres, enfin, [ne sont] en eux-mêmes et par eux-mêmes [utiles à résoudre] ni pour l'une ni pour l'autre [fin] mais [le] sont néanmoins à titre instrumental [104b10] pour quelque chose de cette nature. [Il en existe] beaucoup, en effet, [que] nous ne voulons pas résoudre en eux-mêmes et pour eux-mêmes, mais en vue d'autre [chose], i.e. de manière à résoudre autre chose par leur intermédiaire. Fait aussi problème ce sur quoi il existe des raisonnements contraires; on se trouve alors dans une impasse, à savoir si c'est ainsi ou [si ce n'est] pas ainsi, du fait de tenir des raisons persuasives en l'un et l'autre [sens]. [Fait] aussi [problème] ce sur [104b15] quoi nous ne tenons pas de raisons tant c'est vaste et tant il nous semble difficile de dire pourquoi [nous affirmerions ou nierions]; par exemple, si le monde est éternel ou pas. En effet, on peut mener une recherche sur quelque chose de cette nature.
Les problèmes, donc, et les propositions, divisons-les comme on a dit. Dans ce contexte, une position [34], c'est une prétention [35] paradoxale [venant] de [104b20] quelqu'un de connu en philosophie, par exemple : qu'on ne peut pas contredire, comme l'a dit Antisthène, ou que tout se meut, d'après Héraclite, ou que l'être est un, comme le dit Mélissos. Mais il serait simpliste de se préoccuper de ce que le premier venu dit de contraire aux endoxes. [C'est] encore un paradoxe pour lequel nous tenons une raison, [104b25] comme de nier que tout ce que l'on est ou bien on le soit devenu ou bien [on l'ait été] éternellement, comme disent les sophistes; car si l'on est musicien tout en étant grammairien, on ne l'est pas devenu, et [on ne l'a] pas [été] éternellement. Même si pour quelqu'un, en effet, [la chose] ne tient pas [en soi] lieu d'endoxe, elle [lui] en tiendra éventuellement lieu, du fait qu'on tienne une raison.
La position, bien sûr, est elle aussi un problème. Cependant, tout problème [104b30] n'est pas une position, puisque certains problèmes sont de nature à ce que ni l'une ni l'autre de leurs contradictoires ne tiennent lieu d'endoxe pour nous. Mais que la position est elle aussi un problème, [c'est] évident. En effet, [il ressort] nécessairement de ce que nous avons dit que sur la position la plupart sont en contestation ou bien avec les sages ou bien entre eux de quelque manière, puisque la position est une prétention paradoxale. [104b35] Actuellement, toutefois, presque tous les problèmes dialectiques sont appelés des positions. Peu importe, d'ailleurs, comment on les nomme. Car ce n'est pas dans la volonté de créer des noms que nous leur avons fait ces distinctions, mais pour que [105a1] ne nous échappent pas les différences réelles qui peuvent exister entre eux.
D'ailleurs, il ne faut pas examiner tout problème ni toute position, mais ce qui mettrait quelqu'un en impasse par manque de raison et non [par manque] [105a5] de correction ou de sens. Car ceux qui se trouvent dans une impasse devant le fait de savoir s'il faut ou non honorer les dieux et aimer ses parents ont besoin de correction; et ceux [qui le sont devant le fait de savoir] si la neige est blanche ou non [manquent] de sens. [Il ne faut pas] non plus [examiner] ce dont la démonstration est trop prochaine, ni ce dont elle est trop éloignée. Car le premier ne met pas dans une impasse et l'autre trop pour un exercice.

Chapitre XII

[105a10] Ceci défini, il faut déterminer combien il y a d'espèces de raisons dialectiques. Or il y a d'abord l'induction, et puis le raisonnement. Pour le raisonnement, ce qu'il est, on l'a dit antérieurement. Quant à l'induction, c'est, partant des singuliers, l'irruption [36] à l'universel; par exemple, si c'est celui qui s'y connaît le meilleur pilote, [105a15] et de même [le meilleur] cocher, c'est aussi, de manière absolue, celui qui s'y connaît qui est le meilleur en chaque [matière]. Par ailleurs, l'induction est plus persuasive, plus claire, plus accessible au sens et commune à la plupart, tandis que le raisonnement est plus contraignant et plus efficace contre les spécialistes de la contradiction.

Chapitre XIII

[105a20] Divisons comme on l'a dit auparavant les genres sur quoi [s'effectuent] les raisons et de quoi [elles sont issues]. Quant aux instruments grâce auxquels nous abonderons en raisonnements, il y en a quatre : l'un consiste à obtenir des propositions; le second, c'est de pouvoir distinguer en combien de manières chaque [chose] se dit; le troisième, c'est de découvrir les différences et le [105a25] quatrième, c'est l'investigation du semblable. D'ailleurs, d'une certaine manière, les trois [derniers consistent] aussi [à obtenir] des propositions, car il y a moyen de faire d'après chacun d'eux une proposition; par exemple, qu'est préférable le bon ou l'agréable ou l'utile; et que diffère la sensation de la science du fait que l'une, une fois perdue, peut s'obtenir de nouveau, [105a30] tandis que l'autre ne le peut pas; et qu'il en va semblablement du sain pour la santé comme du revigorant pour la vigueur. La première proposition est [issue] de ce qui est dit de plusieurs façons, la seconde des différences et la troisième des semblables.

Chapitre XIV

Bien sûr, on doit [retenir] autant de critères pour le choix des propositions qu'on a effectué de distinctions [105a35] [en parlant] de [la] proposition et se mettre ainsi en mains les endoxes de tous, ceux de la plupart ou ceux des sages et, parmi les leurs, [ceux] de tous, de la plupart ou des plus connus, pour autant qu'ils ne soient pas [37] le contraire des [105b1] [endoxes] les plus courants [38]; tous les endoxes aussi qui sont conformes à des arts. Par ailleurs, il faut encore proposer ce qui contredit le contraire des endoxes les plus courants, comme on l'a dit auparavant [39]. Il est encore utile de forger soi-même des propositions, en faisant choix non seulement de celles qui sont déjà de fait endoxales, mais [105b5] aussi de celles qui leur sont semblables. Par exemple, c'est la même sensation qui porte sur les contraires, puisque c'est le cas aussi pour la science. Aussi : nous voyons par réception en nous et non par émission de quelque chose, car il en va ainsi pour les autres sens; nous entendons, en effet, par réception en nous et non par émission de quelque chose, et nous goûtons de la même manière. Et il en va semblablement aussi pour [105b10] autre [chose]. En outre, tout ce qui a l'air [tel [40]] pour tous [les sujets] ou la plupart, on doit [viser à] l'obtenir comme principe et position tenant lieu d'endoxe; car on les pose, quand on ne voit pas pour quel [sujet] il n'en serait pas ainsi. Par ailleurs, il faut aussi faire choix à partir des raisons écrites, et se faire des listes sur chaque genre, en titrant séparément, comme sur le bien ou sur [105b15] le vivant, et sur tout bien, en commençant par ce que [la chose] est. Aussi, signaler en outre les endoxes de chacun, par exemple : Empédocle a dit qu'il y a quatre éléments pour les corps. En effet, on pose ce qui est dit par quelqu'un d'endoxal. [41]
À circonscrire [les choses] sommairement, il y a trois sections pour les propositions et les [105b20] problèmes. En effet, certaines propositions sont morales, d'autres naturelles, d'autres rationnelles. Les morales, bien sûr, ce sont celles de la nature de celle-ci, à savoir s'il faut, quand il y a discordance, obéir à ses parents plutôt qu'aux lois; [les] rationnelles, par exemple, si c'est ou non la même science qui porte sur les contraires; et [les] naturelles, par exemple, si [105b25] le monde est ou non éternel. De quelle qualité, parmi celles mentionnées est chaque [proposition ou problème], il n'est pas facile de le justifier pour chaque cas par une définition. On doit, [en prenant appui] sur la coutume [développée] grâce à l'induction, tenter de reconnaître [la qualité de] chaque [proposition ou problème] en en faisant l'examen d'après les exemples mentionnés. [105b30] Bien sûr, quand c'est à la philosophie qu'on vise, on doit traiter des choses en conformité avec la vérité; mais quand[, comme ici, on se propose d'en traiter] dialectiquement, c'est à l'endoxe qu'on vise. [42]
Par ailleurs, on doit [viser à] obtenir toutes les propositions sous la forme la plus universelle possible, et d'une en faire plusieurs. Par exemple, [proposer] que c'est la même science qui porte sur les opposés; ensuite, qu'[il en va de même] pour les contraires, et [de même pour] les relatifs. [105b35] On doit aussi diviser celles-là à nouveau de la même façon, tant qu'il est possible de [les] diviser et, par exemple,[proposer] qu'[il en va de même pour] le bien et le mal, et le blanc et le noir, et le froid et le chaud. Et il en va semblablement pour autre chose.

Chapitre XV

[106a1] En ce qui concerne [l'obtention] des propositions [43], bien sûr, ce qu'on a dit est suffisant. Pour ce qui est maintenant de [distinguer] en combien de manières [chaque chose se dit][44], on doit non seulement relever tout ce qui se dit d'une façon différente, mais aussi tenter d'en donner les définitions. Par exemple, [on ne doit] pas seulement [relever] que [106a5] la justice et le courage, d'une part, et le revigorant et le sain, d'autre part, se disent bons d'une façon différente, mais aussi que les premiers c'est du fait d'être en eux-mêmes de quelque qualité, tandis que les autres c'est du fait de produire une chose [de quelque qualité] et non du fait d'être en eux-mêmes de [cette] qualité. Et il en va de la même manière aussi pour autre chose.
Toutefois, [le problème [45] de déterminer] si c'est de plusieurs manières, spécifiquement, ou d'une seule qu'[une chose][46] se dit [106a10] doit être considéré à l'aide des [lieux] suivants. D'abord, regarder le contraire [de la chose] et investiguer s'il se dit de plusieurs manières et si la discordance éventuelle est seulement spécifique ou aussi nominale. Parfois, en effet, les [contraires d'une même chose] se trouvent tout de suite différents, déjà dans leurs noms. Par exemple, c'est le grave qui est le contraire de l'aigu en matière de son vocal, et c'est l'arrondi en matière de solide. Cela rend évident que le contraire de l'aigu se dit de plusieurs manières. [106a15] Et si c'est son cas, c'est aussi celui de l'aigu, car pour chaque chose ci-dessus le contraire sera différent. Ce n'est effectivement pas le même aigu qui sera le contraire de l'arrondi et du grave et pourtant pour chacun c'est l'aigu qui est le contraire. Inversement, c'est l'aigu qui est le contraire du grave en matière de son vocal, mais en matière de solide, c'est le léger. En conséquence, le grave se dit de plusieurs manières, puisque c'est le cas aussi [106a20] de son contraire. Il en va semblablement aussi du beau : c'est le laid [le contraire] du [beau] en matière de vivant, mais du [beau] en matière de maison, c'est le désagréable. Par conséquent, le beau est homonyme.
D'autres fois, il n'y a, entre les [contraires d'une même chose], aucune discordance nominale, mais la différence spécifique, entre eux, est tout de suite évidente, comme [106a25] pour le clair et le sombre. En effet, un son vocal se dit clair et sombre, et semblablement aussi une couleur. Bien sûr, cela ne fait pas aucune discordance nominale, mais la différence spécifique entre eux est tout de suite évidente. Car ce n'est pas de semblable manière qu'on dit clairs la couleur et le son vocal. C'est évident aussi par le sens, car [106a30] c'est le même sens qui porte sur ce qui est la même [chose] spécifiquement; or ce n'est pas par le même sens que nous jugeons le clair en matière de son vocal et de couleur, mais c'est l'un par la vue et l'autre par l'ouïe. Il en va semblablement aussi du piquant et du doux [47] en matière de saveurs et de solides, où c'est l'un par le toucher, l'autre par le goût. Et là, il n'y a pas de discordance nominale, ni pour les [choses] mêmes en question, ni [106a35] pour leurs contraires, puisque c'est le doux le contraire de chacun.
[Investiguer] en outre, si tantôt il existe un contraire de la [chose] et tantôt absolument aucun. Par exemple, du plaisir qui vient de boire, le contraire c'est la peine qui vient de la soif, mais du plaisir qui vient de considérer que le diamètre n'est en rien commensurable au côté, [106b1] il n'en existe aucun. En conséquence, le plaisir se dit de plusieurs manières. De même, haïr est le contraire d'aimer de cœur, mais d'aimer de corps il n'en existe aucun. Il devient donc évident qu'aimer est homonyme. En outre, regarder les intermédiaires et [investiguer] si tantôt les [contraires] ont un [106b5] intermédiaire, tantôt pas. Ou s'ils en ont un les deux fois, mais pas le même; par exemple, entre clair et sombre, en matière de couleurs il y a le terne, mais en matière de son vocal, il n'y a rien, ou à la rigueur [l']âpre, comme on dit qu'un son vocal âpre est intermédiaire. Par conséquent, le clair est homonyme et le sombre semblablement. [Investiguer] encore si des [contraires] ont tantôt plusieurs intermédiaires, [106b10] tantôt un seul, comme [il en est] du clair et [du] sombre, puisqu'en matière de couleurs il existe plusieurs intermédiaires mais en matière de son vocal un seul, l'âpre. Encore, regarder l'opposé [de la chose] par contradiction et investiguer s'il se dit de plusieurs manières; car s'il se dit de plusieurs manières, [106b15] son opposé se dira aussi de plusieurs manières. Par exemple, ne pas voir se dit de plusieurs manières, dont l'une est ne pas avoir la vue, l'autre ne pas se servir de la vue; or s'il se dit de plusieurs manières, nécessairement aussi voir se dit de plusieurs manières, car à chaque manière dont on ne voit pas va s'opposer quelque chose : à ne pas avoir la vue, [106b20] l'avoir, et à ne pas se servir de la vue, s'en servir. Tourner en outre l'examen vers ce qui s'oppose comme privation et habitus, car si l'un se dit de plusieurs manières, l'autre aussi. Par exemple, si sentir se dit de plusieurs manières, selon qu'il s'agit de l'âme et du corps, demeurer insensible [106b25] se dira aussi de plusieurs manières selon qu'il s'agira de l'âme et du corps. Maintenant, que ce que nous venons de mentionner s'oppose comme privation et habitus, c'est évident, puisque c'est par nature que les êtres vivants possèdent l'une et l'autre sensibilité, celle de l'âme et celle du corps.
On doit aussi tourner l'examen vers les flexions. En effet, si ce [qu'on fait] justement [106b30] se dit de plusieurs manières, le juste se dira aussi de plusieurs manières. De fait, à chacune des [choses faites] justement correspond une [chose] juste. Par exemple, si [en attribuant] de juger justement, on dit tantôt qu'on le fait selon sa conscience, tantôt [qu'on le fait] comme il faut, il en va semblablement aussi pour le [jugement] juste. De même aussi, si le sain [se dit] de plusieurs manières, sainement aussi se dira de plusieurs manières. [106b35] Par exemple, si [le sain], c'est tantôt ce qui produit la santé, tantôt ce qui [la] garde, tantôt ce qui [en] est signe, on dira sainement aussi [à propos de ce qui se fera] de manière à produire [la santé], à [la] garder ou à [en] être signe. Et il en va semblablement pour autre chose : chaque fois que la [chose] même se dit de plusieurs manières, [107a1] la flexion qu'on en fait se dira de plusieurs manières, et si sa flexion [se dit de plusieurs manières], elle aussi.
Investiguer aussi les genres des attributions faites d'après le nom [48], [pour voir] si ce sont les mêmes pour toutes; car si ce ne sont pas les mêmes, [il est] évident [107a5] que ce qu'on dit est homonyme. Par exemple, le bon, en matière de nourriture, c'est ce qui produit du plaisir; en matière de médecine, c'est ce qui produit la santé; appliqué à une âme, c'est qu'elle soit de quelque qualité, par exemple tempérante, courageuse ou juste; et appliqué à un homme il en va semblablement aussi. Parfois, par ailleurs, [c'est] d'être en quelque temps; par exemple, ce [qui vient] à propos [est] bon et de fait on dit bon [107a10] ce [qui vient] à propos. Souvent encore, [c'est] d'être en quelque quantité, par exemple selon la mesure; et de fait, on dit bon aussi ce qui est mesuré. Par conséquent, le bon est homonyme. De même aussi, le clair, appliqué à un solide, [c'est] une couleur; appliqué à un son vocal, [c'est] de bien s'entendre. Et c'est presque pareil pour l'aigu; là encore, la même chose ne se dit pas de la même manière en regard de tous [les sujets] : [107a15] en effet, le son vocal aigu, c'est le [son vocal] rapide, comme l'affirme la théorie mathématique de l'acoustique; l'angle aigu, [c'est] l'[angle] inférieur à un droit; la lame aiguë, [c'est] la [lame] taillée à angles aigus.
Investiguer aussi les genres des [choses qu'on trouve] sous le même nom [49], [pour voir] s'ils ne sont pas différents et non subordonnés entre eux. Par exemple, le bélier [50], c'est à la fois l'animal et [107a20] la machine de guerre et pour eux, effectivement, la définition qui correspond au nom est différente : l'animal sera dit chose de telle qualité et la machine de guerre, chose de telle qualité. Cependant, si les genres sont subordonnés entre eux, les définitions ne seront plus nécessairement différentes. Par exemple, tant l'animal que l'oiseau est genre du corbeau; or bien sûr, quand nous disons que le corbeau est un oiseau, nous disons aussi qu'il est un animal de telle qualité. [107a25] Par conséquent, l'un et l'autre lui sont attribués. Semblablement encore, quand nous disons [que] le corbeau [est] un animal ailé bipède, nous disons qu'il est un oiseau; de cette manière aussi, bien sûr, l'un et l'autre genres sont attribués au corbeau, et [avec eux] leur définition. Mais cela ne s'ensuit pas, quand les genres ne sont pas subordonnés entre eux. [107a30] De fait, quand nous disons machine de guerre, nous ne disons pas animal; ni non plus, quand [nous disons] animal, ne [disons-nous] machine de guerre.
Par ailleurs, ne pas investiguer seulement pour le propos si ses genres sont différents et non subordonnés entre eux, mais aussi pour son contraire; car si le contraire se dit de plusieurs manières, il est évident que [107a35] le propos aussi.
Il peut être utile aussi d'observer la définition que l'on effectue de ce qui est composé, par exemple du solide clair et du son vocal clair; car une fois retranché ce qui leur est propre, il faut rester avec la même définition. Or cela ne s'ensuit pas pour les homonymes, par exemple [107b1] pour ceux qu'on vient de mentionner. Le premier, en effet, sera un solide de telle couleur et le second un son vocal qui s'entend bien. Ainsi donc, une fois retranchés le solide et le son vocal, ce qui reste ne sera pas la même chose dans chaque cas; or il le fallait, si précisément le clair était synonyme, [107b5] appliqué à chaque cas.
Souvent, toutefois, c'est jusque dans les définitions mêmes que se glisse l'homonyme, à notre insu; aussi doit-on investiguer même les définitions. Par exemple, si on dit que ce qui est signe de la santé et ce qui la produit, c'est ce qui entretient une relation convenable avec la santé, on ne doit pas abandonner là, mais [107b10] examiner ce qu'on dit convenable quant à chacun; [examiner] par exemple si l'un [est] ce [qui est] de nature à produire la santé et l'autre ce [qui est] de nature à être signe de celle qu'on a.
[Investiguer] en outre si ce n'est comparable ni de plus [à moins] ni de semblable à semblable; par exemple, un son vocal clair et un manteau clair, une saveur aigre [51] et [107b15] un son aigre. De fait, cela ne se dit ni semblablement clair ou aigre, ni plus clair ou plus aigre l'un que l'autre. Par conséquent, le clair et l'aigre sont homonymes. Tout synonyme, en effet, est comparable; de fait, on se dira [tel] semblablement ou plus l'un que l'autre.
Par ailleurs, pour les genres différents et non subordonnés entre eux, [107b20] les différences aussi sont spécifiquement différentes; pour animal et science, par exemple, les différences sont effectivement différentes. Aussi, investiguer si ce qui se retrouve sous le même nom constitue des différences pour des genres différents et non subordonnés entre eux; par exemple, l'aigu pour le son vocal et le corps; de fait, un son vocal est différent d'un son vocal par le fait d'être aigu et un corps [est différent] d'un corps de manière semblable. Par conséquent, [107b25] l'aigu est homonyme, car il constitue des différences pour des genres différents et non subordonnés entre eux.
[Investiguer] à l'inverse si, pour cela même [qui se retrouve] sous le même nom, les différences [sont] différentes; par exemple, pour la couleur, en ce qui concerne les solides et en ce qui concerne la musique. De fait, en ce qui concerne les solides, [ses différences sont] dissociateur [107b30] et compresseur de la vision; en musique, ce ne sont pas les mêmes différences. La couleur est par conséquent homonyme : pour les mêmes choses, ce doivent être les mêmes différences.
En outre, puisque l'espèce n'est jamais la différence de quoi que ce soit, investiguer si pour ce qui se retrouve sous le même nom l'un est espèce et l'autre différence. [107b35] Le clair, par exemple, en matière de solides est une espèce de couleur; mais en matière de son vocal, c'est une différence : de fait, un son vocal se différencie d'un autre son vocal du fait d'être clair.

Chapitre XVI

Pour ce qui est, donc, de [distinguer qu'une chose se dit] de plusieurs manières, on doit investiguer avec ces [lieux] et d'[autres] de cette nature. [108a1] Quant aux différences [52], on doit comparer [les choses] entre elles dans les mêmes genres; par exemple, [examiner] en quoi la justice diffère du courage et la prudence de la tempérance, car tout cela est issu du même genre. [Les comparer] aussi d'un [genre] à l'autre, tant que ce ne soit pas trop éloigné; par exemple, [examiner] en quoi [la] sensation [diffère] de [la] science. [108a5] Car pour ce qui est trop éloigné les différences [sont] tout à fait évidentes.

Chapitre XVII

La similitude, par ailleurs, on doit l'investiguer pour ce qui appartient à des genres différents, sur ce modèle : la relation qu'une [chose entretient] avec une autre, une autre l'[entretient] de même avec une autre. Par exemple, la relation que la science entretient avec ce qui est su, la sensation l'[entretient] de même avec ce qui est senti. [108a10] Et sur ce modèle : la situation qu'une [chose occupe] dans une autre, une autre l'[occupe] de même dans une autre. Par exemple, la situation qu'[occupe] la vue dans l'œil, l'intellect [l'occupe] dans l'âme, et celle de la sérénité dans la mer, la tranquillité [l'occupe] dans l'air. D'ailleurs, c'est surtout dans ce qu'il y a de plus distant qu'il faut s'exercer. Quant au reste, en effet, nous pourrons plus facilement apercevoir ce qu'il y a de semblable. Toutefois, on doit investiguer aussi ce qui appartient au même [108a15] genre, [et voir] si tous [ses éléments] sont la même [chose sous] quelque [rapport], par exemple l'homme, le cheval et le chien. En effet, c'est dans la mesure où on est la même [chose sous] quelque [rapport] qu'on est semblable. 

Chapitre XVIII

C'est pour la clarté qu'il est utile d'examiner de combien de manières [une chose] se dit; car on pourra voir davantage ce qu'on pose, [108a20] une fois manifesté de combien de manières cela se dit. [C'est] aussi pour que les raisonnements soient effectués d'après la chose même et non d'après son nom, car, tant que ne devient pas évident de combien de manières [ce dont on parle] [53] se dit, il reste possible au répondeur et au demandeur de ne pas faire porter leur pensée sur la même [chose]; tandis que, dès que devient manifeste de combien de manières [cela] se dit et [108a25] se portant sur quoi on prend position, le demandeur aura tout l'air ridicule, s'il n'effectue pas son raisonnement en relation à cela. C'est utile encore pour ne pas se faire paralogiser et pour paralogiser, car sachant, en effet, de combien de manières [ce dont on parle] se dit, nous ne serons pas paralogisés; nous saurons au contraire si ce n'est pas en relation à la même [chose] que le demandeur effectue son raisonnement. Et nous-mêmes, [108a30] en demandant, nous pourrons paralogiser, s'il se trouve que le répondeur ne sache pas de combien de manières [cela] se dit. Toutefois, cela n'est pas possible à tout propos, mais [seulement] quand ce qui se dit de plusieurs manières est vrai d'une manière, faux de l'autre. Cette façon, cependant, n'est pas appropriée à la dialectique. C'est pourquoi les dialecticiens doivent éviter de toute manière [108a35] un [procédé] de cette nature, discuter contre le nom, à moins qu'on soit incapable de discuter autrement sur le propos.
Quant à découvrir les différences, c'est utile pour les raisonnements qui concluent que [c'est] la même [chose] et [que c'en est une] autre, et pour connaître [108b1] ce que chaque [chose] est. Que cela soit utile pour les raisonnements qui concluent que [c'est] la même [chose] et [que c'en est] une autre, c'est bien sûr évident, car dès que nous découvrirons une différence quelconque entre les propos, nous nous trouverons à avoir montré que ce n'est pas la même chose. Mais [c'est utile aussi] pour connaître ce que [chaque chose] est, parce que [108b5] nous avons coutume de distinguer la raison propre de l'essence de chaque [chose] au moyen des différences appropriées à chacune.
La considération du semblable, quant à elle, est utile en vue des raisons inductives, des raisonnements [procédant] par supposition et de la production des définitions. En vue des raisons inductives, bien sûr, [108b10] parce que c'est à force d'induction de singuliers semblables que nous venons à réclamer d'induire l'universelle. Effectivement, il n'est pas facile d'induire sans savoir ce qu'il y a de semblable. En vue, aussi, des raisonnements [procédant] par supposition, parce qu'il est endoxal que comme il en va, éventuellement, de l'un de [cas] semblables, ainsi [en va-t-il aussi] du reste. En conséquence, dès que nous aurons en abondance de quoi [108b15] discuter contre l'un d'eux, nous nous ferons concéder que comme il en va, éventuellement, de ce [54] [cas semblable] ainsi en va-t-il du propos; aussi, en ayant montré celui-là, nous nous trouverons à avoir montré le propos par supposition. Puisque nous aurons supposé, en effet, que comme il en va, éventuellement, de ce [cas semblable], ainsi en va-t-il aussi du propos, nous aurons fait la démonstration. En vue, enfin, de la [108b20] production des définitions, parce que du fait de pouvoir apercevoir ce qui en chaque [matière] est la même [chose], cela ne nous mettra pas en impasse, au moment de définir, [de devoir déterminer] en quel genre poser le propos. C'est en effet parmi les [attributs] communs celui qui s'attribue le plus en ce que [la chose] est qui pourra être son genre. C'est semblablement aussi en ce qui est très éloigné que la considération du semblable [est] utile pour les définitions. Par exemple, que c'est la même [chose] [108b25] la sérénité dans la mer et la tranquillité dans l'air, car chacune est un calme; de même le point dans la ligne et l'unité dans le nombre, car chacun est principe. Par conséquent, c'est en produisant à titre de genre ce qu'il y a de commun à tous [les cas semblables] qu'il fera figure d'endoxe que nous ne définissons pas étrangement. C'est à peu près ainsi, d'ailleurs, que ceux qui définissent ont coutume de produire [leurs définitions]. On dit en effet que l'unité [108b30] est principe du nombre et que le point est principe de la ligne. Il est donc évident qu'on pose le genre dans ce qu'il y a de commun aux deux.
Voilà donc les instruments grâce auxquels les raisonnements [sont effectués]. Quant aux lieux en relation auxquels ce qu'on a dit sera utile, les voici.

(01) Dans le souci d'en rester le plus possible à des termes d'origine latine et d'articuler la traduction avec celle de λόγος par raison (cf. infra, note 3), je rendrai συλλογίζομαι et συλλογισμός par raisonner et raisonnement, plutôt que par syllogiser et syllogisme. Cela aura aussi l'avantage de coller à la manière très large dont Aristote use de ces termes. Tantôt, en effet, Aristote étiquette très globalement comme συλλογισμός tout acte de raisonner, de passer à une connaissance nouvelle en s'appuyant sur une connaissance antérieure, ne fût-ce que par un lien très ténu (ἔστι γὰρ διαίρεσις οἶον ἀσθενός συλλογισμός, Prem. Anal., I, 31, 46a32-33), imparfaitement objectif, (ὁ πολιτικός συλλογισμός, Rhét., II, 22, 1396a5) ou même seulement apparent (= συλλογισμός εὑριστικός, Top., I, 1, 100b24). Tantôt il restreint l'appellation à des raisonnements où existe une inférence effective et distingue ceux-ci en signalant la matière (= ἔνδοξος συλλογισμός, Réf. soph., 9, 170a40; γεωμετρικός, ἰατρικός, Réf. soph., 9, 170a32) ou la voie (= ἐξ ἕπαγωγῆς συλλογισμός, Prem. Anal., II, 23, 68b15; = διὰ τοῦ ἀδυνάτου συλλογισμός, Top., VIII, 2, 157b37; = ἐξ ύποθέσεως συλλογισμός, Top., I, 18, 108b8) qui les spécifie. Enfin, Aristote réserve quelquefois συλλογισμός pour signifier un raisonnement conduit à partir de notions plus universelles, une déduction - reviendra même là, pour son procédé de l'universel au particulier, mais en un sens plus faible, la division (cf. Top., I, 8, 103b7) - en opposition à une induction (ἐπαγωγὼ), raisonnement conduit vers des notions plus universelles. Même là, il distinguera par la matière de leurs prémisses ceux d'entre eux qui procéderont ἐξ ἐνδόξων et ceux qui procéderont ἐξ ἀληθών καὶ πρῶτων. Cette homonymie dans l'usage de συλλογισμός est tellement patente et permanente qu'on ne se rendrait vraiment pas service en limitant arbitrairement l'équivalent français de συλλογισμός à un sens encore plus précis, celui du raisonnement par excellence, la démonstration, ou celui de la voie rationnelle par excellence, la déduction. Dans le même ordre d'idées, d'ailleurs, il est abusif de refuser de traduire par syllogisme en prétendant que « le mot syllogisme a reçu, de la doctrine exposée dans les Premiers Analytiques, un sens technique incompatible avec l'emploi qui est fait du mot συλλογισμός dans les Topiques» (Brunschwig, 113), affirmation d'autant plus étonnante qu'Aristote reprend dans ses Premiers Analytiques exactement la même définition qu'il donne du συλλογισμός en ses Topiques. Et si on est conscient que l'homonymie du συλλογισμός s'étend jusqu'à tout raisonnement, même faible, même apparent, il n'y a plus de scrupule à se faire d'appeler la division un syllogisme (ou un raisonnement, pour prendre la traduction que j'adopterai désormais), comme Aristote le fait en Top., I, 8 et en Prem. Anal., I, 33. Je garderai toutefois, pour παραλογίζομαι, la traduction courante paralogiser, car préterraisonner ferait encore plus l'effet d'un corps étranger inassimilable à la langue française.
(02) Voir La dialectique aristotélicienne (Montréal : Bellarmin, 1991, p. 33) pour la justification de ce néologisme. Partout où je traduis endoxe (v.g. cc. 7 et 10: δοκώ = tenir lieu d'endoxe), je pourrais bien traduire par opinion. Mais ce mot a maintenant un sens trop faible en français, à force d'insister davantage sur la limite et l'incertitude de son contenu (ce n'est qu'une opinion!!!) plutôt que sur son droit à être pensé et affirmé immédiatement. On aura plus de facilité à recevoir endoxe avec une force aussi grande d'adoption que son opposé paradoxe en a une de rejet : dans le contexte qui nous intéresse, il est aussi ridicule et inconvenant de rejeter un endoxe (une opinion ferme) que d'accepter un paradoxe. Pour garder la cohérence dans les termes-clés, j'ai dû traduire aussi δόξα par endoxe.
(03) Λόγος. Comme raison en français, λόγος désigne non seulement la faculté, mais aussi très souvent son fruit, la conception qui en est issue. Mais le λόγος désigne toujours alors plus précisément une conception complexe, sans précision de ce que celle-ci constitue une définition ou une notification de quelque sorte, produite en vue de la représentation d'une nature incomplexe, comme en 101b38ss; ou un énoncé, ordonné à l'expression d'une vérité, d'une opinion ou d'une supposition quelconque, comme en 100a25; ou même encore un argument, rendant compte d'un progrès du connu à l'inconnu, comme ici et tout au long du livre VIII. À noter aussi comme le raisonnement est tout de suite présenté comme quelque chose d'agressif, en donnant ainsi comme corrélatif à l'acte de le former celui de soutenir l'énoncé qu'il tend à détruire. — On traduira souvent plus naturellement raisonnement, et souvent aussi définition.
(04) Λόγος.  Un produit de la raison, un raisonnement en un sens très large, comme lorsqu'on dit:  « Donne-moi une raison.»
(05)
Je traduirai régulièrement le neutre pluriel grec par le neutre singulier français. Cela comportera bien sûr un aspect plus abstrait, mais l'avantage est tellement grand, à la longue, pour ce qui est d'alléger le texte, que je ne puis y renoncer.
(06) Τὰ δοκοῦντα πᾶσιν. Ce verbe δοκεῖν est précieux; c'est sa réitération, tout au long des Topiques, qui garde vie aux termes vite techniques ἔνδοξος ετ δόξα. Δοκεῖν exprime le fait concret d'être attendu, de donner l'impression, d'être spontanément pensé. Aristote définit donc l'endoxe simplement comme ce qui répond à une attente générale : est endoxal ce qui correspond à une attente que tous partagent. Il est difficile de rendre en français l'effet de définition étymologique; cela commanderait qu'on se fixe sur une traduction de racine unique pour la famille ἔνδοξος, δόξα, δοκέω. On pourrait imaginer : attendu, attente, répondre à une attente;  le paradoxal deviendrait l'inattendu. On dirait alors que « le raisonnement dialectique est celui qui est raisonné à partir de ce qui est attendu» (Top., I, 1, 100a30); qu'en ce contexte, « est attendu ce qui répond à l'attente de tous, ou de la plupart, ou des sages, et chez eux ou de tous, ou de la plupart, ou des plus connus et attendus [comme sages]» (ibid., 100b21-24); que « la proposition dialectique est une demande attendue par tous, ou par la plupart, ou par les sages, et chez eux par tous, ou par la plupart, ou par les plus connus, [en tout cas une demande qui n'est] pas inattendue» (ibid., 10, 104a8-11). Cela conviendrait à peu près. En général, néanmoins, le sens paraîtrait moins fort: inattendu fait moins péjoratif que paradoxal  et attente moins contraignant qu'endoxe. En outre, on manquerait d'un mot pour paradoxe. Si, comme je le fais tout au long de cette traduction, on opte pour endoxal, endoxe, paradoxal, paradoxe, la traduction cohérente de δοκεῖν est plus difficile (mais elle reste indispensable, et on ne doit pas imiter Tricot et Brunschwig, qui multiplient indéfiniment les termes équivalents): être endoxal  convient généralement, sauf quand joue l'aspect étymologique, où le verbe doit faire plus concret que le nom et l'adjectif. J'exploiterai alors deux racines latines, selon qu'on aura intérêt à sentir comme sujet la personne qui s'attend à ce que la chose soit telle ou la chose qui lui donne l'impression de l'être. Il ne faudra percevoir aucune couleur péjorative dans l'expression donner l'impression : dans le contexte, elle dit simplement que les faits se présentent de façon que l'option la plus raisonnable, l'option endoxale, soit de se les représenter de telle façon.
(07) L'expression d'Aristote: ἐπιπόλαιον ἔχει παντελῶς τὴν φαντασίαν est difficile à traduire littéralement. La suggestion de Bonitz (Ind. arist., 811b3) d'y voir un équivalent de εὐθὺς φαίνεται ψευδὲς a le mérite d'en donner le contexte, le sens général, mais ne fait pas vraiment comprendre ce que dit Aristote. Cela revient en fait au même que de mettre en relation cette expression avec celle qu'Aristote donne lui-même plus loin en explicitation : κατάδηλος ἐν αὐτοῖς ἡ τοῦ φεύδους ἐστι φύσις. Voir Th. Waitz, Aristotelis Organon graece (II, 440): «
ἐπιπόλαιον ἔχειν τὴν φαντασίαν, c'est κατάδηλον ἔχειν τὴν τοῦ φεύδους φύσιν : en effet, φαντασία ne signifie rien d'autre en ce lieu que τό εὐθὺς φαινόμενον (φανερόν) ψεῦδος.» Pourtant, l'intention d'Aristote est simple et apparaît clairement dès qu'on a l'idée de recevoir φαντασία comme forme substantive de φαίνεσθαι (voir Waitz, ibid., qui réfère à quelques textes aristotéliciens "où φαντασία comporte à peu près la même notion que le verbe φαίνεσθαι») et qu'on tient compte du sens souvent péjoratif de ce verbe, c'est-à-dire opposé à εἶναι, dans le contexte de la dialectique : « Ἐριστικὸς δ´ ἐστὶ συλλογισμὸς ὁ ἐκ φαινομένων ἐνδόξων μὴ ὄντων δέ. (Top., I, 1, 100b24-25) La φαντασία, c'est ici l'apparence sans l'être. Le caractère des principes chicaniers, donc, qui empêche qu'on les dise légitimement endoxaux, c'est qu'on voit trop immédiatement qu'ils ne sont pas ce qu'ils paraissent, c'est-à-dire admis de tous, des sages ou des experts.
(08
Je renonce, en ce cas, à garder la stricte cohérence de famille dans la traduction:  que pourrais-je mettre:  préterraisons?  pararaisonnements?
(09) Sur ce chapitre, voir La conception aristotélicienne du dialogue, pp. 73ss.
(10) Περὶ τοῦ προτεθέντος ἐπιχειρεῖν. Bailly (1518) fait une remarque intéressante sur le sens de Περὶ : « B… II pour, c. à d.: 1 au sujet de (sens qui se rattache au préc. par l'usage primit. de περὶ avec les verbes marquant l'idée de combattre) μάχεσθαι περὶ νηός... ou περὶ θανόντος... combattre autour d'un vaisseau, autour d'un mort, c. à d. pour un vaisseau, pour un mort.»
(11) Τὰς τῶν πολλῶν κατηριθμημένοι δόξας.
(12 ὁμιλήσομεν. Voir Bailly, 1373 : ὁμιλέω I... 3 avec idée d'hostilité, se rencontrer, en venir aux mains... avec qqn; abs. en parlant de deux armées ennemies qui en viennent aux prises.»
(13) L'expression est assez commune pour recouvrir la fin, l'opération caractéristique de toute investigation dialectique. C'est en cela que réside le sens véritable d'entretiens, plutôt qu'en « une discussion avec le premier venu» (Tricot, 5, note 1), descendue de niveau non à cause de l'ignorance et du besoin d'investiguer des deux interlocuteurs, mais de l'un d'eux seulement, l'autre se trouvant déjà en possession de la science, comme on le sent dans la note de Tricot: « Une conversation d'honnêtes gens, où les arguments apodictiques ne seraient pas compris et où il faut se contenter du probable.» (Ibid. )
(14) Πεζόν. Voir la note 5 de Brunschwig, p. 120.
(15) Ἆρά γε et πότερον ... ἢ ou. Ce ne sont certainement pas là des marques absolues de la proposition et du problème, comme le fait remarquer Brunschwig (120, note 6). Mais l'interrogation simple et double, complétée par le ton de la voix, qui n'apparaît bien sûr pas dans le texte, pointe déjà ce par quoi se distinguent plus profondément proposition et problème. Les deux sont des demandes, se présentant grammaticalement comme des interrogations, parce que celui qui les prononce n'a pas d'évidence sur la vérité des contradictoires mises en concurrence. Face à la proposition, toutefois, il y a une attente : le demandeur s'attend à ce que son répondeur choisisse plutôt telle des contradictoires, parce qu'elle est un endoxe, une opinion selon laquelle on se représente spontanément la réalité; d'où une demande simple, qui attend plus vraisemblablement une réponse affirmative, i.e. plus précisément que soit concédée telle contradictoire comme principe légitime de l'argumentation. Face au problème en tant que tel, au contraire, le demandeur n'attend théoriquement pas en réponse une contradictoire plutôt que l'autre; d'où l'interrogation double, qui laisse plus manifestement le choix au répondeur de prendre telle position initiale qui lui sied, quitte à rectifier par la suite, si l'attaque vient à la détruire trop définitivement. En somme, ce τρόπος par lequel Aristote distingue proposition et problème est plutôt de nature logique; c'est cette attente présente ou absente d'une contradictoire plutôt que de l'autre en réponse. Quant aux particules grammaticales, elles ne sont que le signe matériel normal de cette différence, un signe d'ailleurs assez facultatif (exemples chez Brunschwig, 120, n. 6).
(16Cf. supra,  note 1, p. 1.
(17) Celle à laquelle renvoie le sujet (τὸ ὑπὸ ὀνόματος σημαινόμενον, comme le suggère l'expression de 102a1), non le sujet lui-même. Les remarques assez abstraites qui vont suivre commandent qu'on se représente clairement la situation sous l'aspect précis sous lequel la regarde Aristote et cela est plus complexe qu'il ne paraît. Il s'agit toujours au départ d'un sujet (nom ou raison), et d'un attribut par lequel il est question de représenter ce sujet. On cherche à qualifier le mode de cette représentation : définition, propre, genre ou accident. Mais il s'agit aussi de la chose (τὸ πράγμα), de la nature signifiée sous ce sujet et sous cet attribut; tantôt c'est la même pour les deux, tantôt c'en est une autre pour chacun. Par exemple, dans la remarque qui suit immédiatement, Aristote dira que lorsque l'attribut est une raison (i.e. une conception complexe), le sujet est tantôt un nom (i.e. une conception simple), tantôt une raison, ce qu'il justifie en signalant que quelquefois la chose sous la raison (i.e. signifiée par un sujet complexe) peut se définir, ce qui implique que le sujet (même complexe) qui la signifie puisse recevoir l'attribution d'une raison.
(18) La même méthode, i.e. les règles d'un processus rationnel qui conduit à la même conclusion ou à quelque énoncé qui lui soit lié immédiatement. Ici, tel attribut n'est pas définition de tel sujet entretient cette proximité avec tel attribut n'est pas (ou ne signifie pas) la même chose que ce sujet. Il y aura semblable proximité, en 102a37ss, entre tel attribut est genre de telle chose et de telle chose et telle chose est de même genre que telle autre.
(19) Celle que signifie le sujet et celle que signifie l'attribut qu'on ambitionne de constituer en définition.
(20)  Si le sujet (v.g. l'homme) et son attribut (v.g. l'animal blanc) ne renvoient pas toujours à la même réalité (i.e. si quelque homme n'est pas animal blanc ou si quelque animal blanc n'est pas homme), cet attribut ne saurait s'attribuer comme définition à ce sujet.
(21) Si l'attribut (v.g. manteau) renvoie universellement à la même réalité que le sujet (v.g. pelisse; donc si toute pelisse est manteau et si tout manteau est pelisse), il ne lui convient pas nécessairement comme définition.
(22)  ἀντικατηγορεῖται τοῦ πράγματος : s'attribue à la chose aussi bien que le nom (ou la raison) par lequel on se la représente comme sujet face à cet attribut qu'on dit propre. I.e.: s'il y a propre, il s'attribue à tout ce à quoi s'attribue le nom sous lequel la chose est représentée comme sujet et, réciproquement, ce nom de la chose s'attribue à tout ce à quoi le propre s'attribue. De sorte que — mais ce sera là, contrairement à l'interprétation traditionnelle, non pas ce qu'affirme directement ici Aristote, mais sa conséquence immédiate — si un attribut est effectivement un propre, son sujet s'attribue aussi bien à lui que lui à son sujet. Voir encore Brunschwig 122, n. 1. Voir aussi l'usage de ἀντιστρέφειν, 154a36-b1.
(23Que celle signifiée par le sujet.
(24Et appartient aussi à autre chose
(25) Cf. supra, note 18.
(26Le contexte sollicite tous les aspects agressif (contre), relatif (en relation à) et plus simplement déterminatif (concernant) de πρός . Les traducteurs s'en tiennent ordinairement au dernier, plus neutre. Mais il est plus savoureux de suivre l'esprit dialectique, toujours tourné vers l'attaque; le contexte destructif du passage suivant y invite fortement d'ailleurs.
(27) Comme Brunschwig, nous adoptons la leçon τ
ὑπὸ τὸν ὁρισμόν plutôt que τὰ. Voir Brunschwig, n. 1, p. 9.
(28... eau d'une autre source, en tant que dites toutes deux la même chose que la première eau,...  Contrairement à ce qu'en dit Brunschwig (voir note 3, p. 10), c'est bien l'eau qui est dite différente. Mais comme c'est dans sa façon d'être dite la même chose que celle d'une même source, cela ne change pas le sens de parler du cas de cette eau.
(29) I.e. les quatre chefs d'attribution : définition, propre, genre et accident. De ce (ἐκ τών), i.e. que les propositions dont sont issues les raisons tirent origine de ces chefs d'attribution; par ce (διὰ τούτων), i.e. que l'inférence qui s'ensuit de l'agencement de ces propositions repose aussi sur ces chefs d'attribution et leurs caractéristiques essentielles; contre ce (πρ
ς ταῦτα), i.e. que les positions que vont chercher à détruire les conclusions, et donc les conclusions aussi, tirent encore origine des mêmes chefs d'attribution.
(30Voir supra, note 1.
(31Voir supra, note 22.
(32) Τὸ μηδὲν δοκοῦν. En cohérence avec la définition donnée en I, 1, 100b21, il faudrait traduire : « ce à quoi personne ne s'attend». Mais il est plus utile de garder la cohérence avec les prochaines lignes où il y aura beaucoup opposition avec les endoxes du grand nombre.
(33) Τοῖς δοκοῦσιν ἔνδὸξοις εἶναι : ce dont il tient lieu d'endoxe que ce soit endoxal, ou ce qui donne bien l'impression d'être endoxal. Plutôt qu'un pléonasme, il faut le voir comme un superlatif.
(34) Poser, c'est un acte propre au répondeur, c'est l'effet de sa réponse. Si la demande est une proposition, la position (ἡ θῆσις) sera la contradictoire sur laquelle le répondeur met le sceau de l'endoxal : la position est alors une opinion ferme, un endoxe. Si la demande est un problème, la position (dite τὸ ἐξ ἀρχῆς κείμενον, la position initiale, ou ἡ ὑπ
θεσις, la supposition ) sera la contradictoire que le répondeur choisit de soutenir pour bénéfice d'examen, ce qui deviendra la cible de toutes les agressions du demandeur. Ce qu'Aristote donne ici comme sens à position dérive du premier cas et en fait comme un intermédiaire entre les deux. En effet, le répondeur peut, à la demande qui lui est faite, répondre en en posant la partie paradoxale, si quelque sage notable s'est déjà prononcé en ce sens. Le demandeur peut toujours, alors, l'utiliser comme proposition (il est intéressant à cet effet de noter que les exemples de telles positions sont introduits par ὅτι, signe de la proposition, et non par πότερον , signe ordinaire du problème) et poursuivre l'attaque en cours; mais l'effet le plus naturel de cette réponse sera de transformer la demande propositionnelle qui était faite en problème et de se faire position initiale pour son examen.
(35) ῾Υπόληψις. Λήψις, obtention, désigne la visée de la demande : obtenir que la proposition soit effectivement posée. Il faut comprendre
πόληψις dans le même sens, avec une nuance d'arrogance si on peut dire, due à ce qu'on demande et cherche à obtenir la position de quelque chose de paradoxal, d'inacceptable, selon les critères ordinaires : une véritable prétention donc.
(36) ῎Εφοδος. À cause du contexte dialectique, je préfère le sens plus violent : l'induction dialectique fait effectivement une certaine violence à la raison en la portant à l'universelle sans une énumération vraiment satisfaisante, sur le seul fait de ne pas rencontrer d'exception. Voir 14, 105b10-12; VIII, 8, 160b3-5.
(37) Je lis μὴ τὰς ἐναντίας plutôt que ἢ τὰς ἕναντίας ou ἢ καὶ τὰς ἕναντίας. Je m'accorde assez avec les remarques de Brunschwig (voir p. 19, n. 5). Toutefois, je préfère garder τὶς; sans doute, le parallèle avec le μὴ παράδοξος du ch. 10 serait plus complet sans cet article; toutefois, garder l'article fait moins appel aux conjectures concernant les corruptions du texte par des copistes ou des éditeurs et permet un lien assez heureux avec la même expression revenant en 105b2 : ici, il s'agit de refuser directement le contraire des endoxes courants; là il s'agira d'admettre ce qui contredit le contraire des endoxes courants. Je ne vois pas de raison de refuser ce parallèle, d'autant plus qu'en 105a2 Aristote écrira explicitement le ἐνδόξοις qu'on a besoin de sous-entendre ici.
(38) Ταῖς φαινομέναις. Comme je l'ai déjà fait remarquer (voir La conception aristotélicienne du dialogue, pp. 154-155), φαίνεσθαι ne connote pas toujours, loin de là, la fausse apparence : avoir l'air sans l'être. Bien au contraire, c'est plutôt l'être manifeste qui habite son sens le plus normal : non seulement être mais même en avoir tout l'air aussi. Comme il s'agit ici de distinguer ce qui peut faire office de proposition dialectique, le φαινόμενον, c'est ce qui est manifestement endoxal, ce qui en a tellement l'air, et aux yeux de tous, que cela ne peut pas ne pas l'être et qu'on ne peut pas même lui préférer une proposition contraire que quelque sage verrait comme endoxale. Dans ce contexte, φαινομέναις est synonyme de δοκοῦσαις; il sous-entend ici δόξαις, ce qui nous amène à traduire comme δοκοῦσιν ἔνδοξοις en 104a14. Il arrivera encore, par la suite, que φαίνεσθαι signifie la même chose que δοκεῖν, tenir lieu d'endoxe, avec une nuance de renforcissement : tenir manifestement lieu d'endoxe (v.g. 105b10).
(39Voir supra, 10, 104a13-14
(40) [Οὕτως].
(41 Les actes du demandeur et du répondeur se chevauchent dans le texte. Aristote règle la conduite du demandeur (on doit proposer, [chercher à] obtenir, faire choix, signaler les autorités) sur l'attitude escomptée du répondeur : quand on, i.e. le demandeur, agit ainsi, on, i.e. le répondeur, [accepte de] poser.
(42) Remarque difficile à cause de son asymétrie. Mais assez manifestement, il faut opposer Πρὸς φιλοσοφίαν à π
ρὸς δόξαν et non à διαλεκτικῆς. En somme, Aristote prévient une objection qui pourrait s'adresser au caractère grossier de la division (purement endoxale) qu'il vient de proposer. Cette objection vaudrait, concède-t-il, si on visait une connaissance philosophique; car alors on serait tenu de présenter la vérité la plus distincte et assurée. Mais ici, on se propose de procéder dialectiquement; aussi, pas besoin de viser à une division philosophique, qui se voudrait vraie dans le détail mais le serait sans profit, puisque de toute manière c'est à classer l'endoxe qu'elle servira. Viser ici à une division endoxale suffira.
(43) Comme Brunschwig (p. 21, n. 2), je lis προτάσεων, plutôt que προτάσεως, le pluriel référant mieux au premier instrument dialectique.
(44Les expressions par quoi je traduis en 13, 104a23 la description des deux premiers instruments ne sont pas assez consacrées en français pour que je puisse, comme Aristote ici, y référer de façon abrégée.
(45) Le paragraphe précédent a complété la description du second instrument comme tel. En effet, la fonction de l'instrument se limite à fournir le critère immédiat d'abondantes propositions endoxales. Dès que l'énoncé considéré fait figure de problème, il n'est plus du ressort de l'instrument, mais du lieu, qui va permettre de sélectionner, parmi les propositions immédiates issues de l'instrument, celles dont sa solution pourra s'inférer. Il n'en va pas différemment en matière de distinction de l'homonymie. Cependant, le problème de l'homonymie a quelque chose d'instrumental dans sa nature; c'est un problème à résoudre avant et en vue de la solution de tout autre; déjà comme problème rationnel, mais même avec une précédence spéciale parmi les problèmes rationnels : car sans le résoudre d'abord, on ne sera souvent même pas à même de comprendre sur quoi porte au juste le problème qu'on veut principalement soulever. Aussi Aristote va-t-il en fournir tout de suite les lieux. Le mot πότερον, par lequel Aristote débute ce paragraphe, nous indique expressément qu'on passe maintenant à la considération du problème de l'homonymie, qu'on n'en reste plus à la simple quête de propositions endoxales immédiates exprimant les différentes manières admises d'emblée d'attribuer les choses. En effet, Aristote a caractérisé par cette particule interrogative les problèmes, en 4, 101b32ss, et a été fidèle depuis lors à la garder pour l'expression de problèmes. La seule exception, en 14, 105b22, 23, 24, se comprend bien, puisqu'il s'agit d'exemples de propositions dont il dit tout de suite après (105b25) qu'ils pourraient tout autant exemplifier des problèmes.
(46) I.e. un attribut.
(47) Piquant et doux traduisent ici ὀξύ et ἀμβλύ, traduits plus haut par aigu et arrondi. Je n'aurais pu garder l'aigu et l'arrondi pour ce qui concerne les saveurs.
(48I.e. l'attribut dans le problème en vue duquel on doit d'abord déterminer s'il est ou non homonyme.
(49) Toujours le nom qui sert d'attribut (ou encore de sujet) dans le problème dont on se demande, avant de l'investiguer lui-même, si ce qu'il demande est un ou multiple, synonyme ou homonyme.
(50) ῎Ονος, littéralement âne. Comme Brunschwig, je préfère transposer pour qu'on trouve dans l'exemple un nom qui désigne couramment à la fois un animal et une machine.
(51)  ᾿Οξύς. Il est difficile en francais de parler de saveur aiguë.
(52) Τὰς διαφοράς, abréviation de τὰς διαφορὰς εἰρεῖν, nom et description du troisième instrument en 13, 105a24.
(53) Attribut ou sujet.
(54) Τούτων. Je ne m'explique pas le pluriel. D'ailleurs, le texte donne ἐκεῖνο à la ligne suivante. Mais τούτων revient en 108a18!!!