Chapitre I
[100a18] Le propos de notre travail [sera de] découvrir une méthode grâce à
laquelle d'abord nous pourrons raisonner [01] [à
partir] d'endoxes [02] sur tout problème proposé;
[grâce à laquelle] aussi, au moment de soutenir nous-mêmes une raison [03],
nous ne dirons rien de contraire. En premier, bien sûr, on doit dire ce qu'est
un raisonnement et par quoi ses espèces se différencient de manière à ce qu'on
obtienne le raisonnement dialectique. Car c'est là que nous cherchons, dans le
travail que nous nous proposons.
[100a25] Un raisonnement, c'est donc une raison [04]
dans laquelle, une fois qu'on a posé quelque chose, autre [chose] que ce qu'on a
posé s'ensuit nécessairement à cause de ce qu'on a posé [05].
C'est une démonstration, bien sûr, quand le raisonnement est issu de [principes]
vrais et premiers, ou de [principes] de nature à ce qu'on ait obtenu leur propre
principe de connaissance par des [principes] premiers et vrais.
[100a30] Est raisonnement dialectique celui qui raisonne [à partir]
d'endoxes. [100b18] Or est vrai et premier ce qui
trouve créance non par autre chose mais par soi-même (car dans les principes
scientifiques, il ne faut pas rechercher le pourquoi, mais que chacun des
principes soit croyable en lui-même et par lui-même). [Est] endoxal ce à quoi
tous s'attendent [06], ou la plupart, ou les sages,
et parmi eux tous, ou la plupart, ou les plus connus et endoxaux. Par ailleurs,
est un raisonnement chicanier le [raisonnement issu] de ce qui a tout l'air
endoxal mais ne l'est pas, [100b25] et celui qui[,
sans l'être,] a l'air issu d'endoxes ou de ce qui a l'air d'endoxes. Car tout ce
qui a l'air endoxal n'est pas de ce fait endoxal. En effet, rien de ce qu'on dit
[légitimement] endoxal n'a tout à fait manifeste son [aspect de pure] apparence
[07], comme c'est le cas pour les principes des
raisons chicanières. C'est sur-le-champ, en effet, et la plupart du temps,
[100b30] pour les gens capables d'apercevoir aussi les subtilités, qu'est
très évidente en eux la [101a1] nature de la fraude.
Le premier, bien sûr, des raisonnements chicaniers dont nous avons parlé,
appelons-le aussi un raisonnement ; mais l'autre, [appelons-le] raisonnement
chicanier mais non raisonnement, puisqu'il a tout l'air de raisonner, mais ne
raisonne pas.
[101a5] À côté de tous les raisonnements mentionnés s'ajoutent les
paralogismes [08] effectués à partir des principes
touchant proprement certaines sciences, comme c'est le cas pour la géométrie et
ses congénères. Cette façon-là [de raisonner] semble en effet différer des
raisonnements mentionnés. Car ce n'est ni de [principes] vrais et premiers
[101a10] que raisonne le pseudographe; ni d'endoxes, puisque [ses
principes] ne tombent pas sous notre définition. En effet, ce qu'il obtient est
quelque chose à quoi ne s'attendent ni tous ni la plupart ni les sages et, parmi
ceux-là, ni tous ni la plupart ni les plus endoxaux; bien à l'opposé, il fait
son raisonnement à partir des prémisses propres à la science, mais non vraies.
[101a15] C'est en effet en traçant les demi-cercles non comme il faut ou
en tirant des lignes non comme elles devraient l'être qu'il fait son
paralogisme.
Ainsi donc, mettons, pour les embrasser sommairement, que les espèces des
raisonnements soient celles que nous avons mentionnées. Pour parler
universellement, d'ailleurs, sur tout ce que nous avons mentionné
[101a20]
et sur ce dont nous parlerons par après, tenons-nous-en à ce niveau de
distinction. C'est que sur rien de cela nous ne voulons fournir la définition
exacte; nous voulons à l'opposé discourir de cela aussi sommairement que
possible, estimant tout à fait suffisant, pour la méthode que nous nous
proposons, de pouvoir reconnaître chaque chose de quelque manière.
Chapitre II [09]
[101a25] À la suite de ces considérations, il conviendrait de dire à
combien et quelles utilités [sert] notre travail. Il sert à trois [utilités] : à
l'exercice, aux entretiens et aux sciences de caractère philosophique. Qu'il
serve à l'exercice, bien sûr, c'est de soi très manifeste : en effet, tenant une
méthode, nous pourrons plus facilement attaquer ce [10]
qu'on proposera. Aux entretiens aussi, [101a30] du
fait que, lorsque nous aurons dénombré les endoxes des gens [11],
c'est non point à partir d'impressions qui leur sont étrangères mais à partir
des leurs propres que nous nous en prendrons [12] à
eux pour faire saillir ce qu'ils nous auront tout l'air de ne pas dire
correctement [13]. Aux sciences de caractère
philosophique, enfin, parce que, si nous pouvons créer de l'embarras à l'une et
l'autre [contradictoire], nous discernerons plus facilement
[101a35] le vrai et le faux en chaque [matière]. Et de plus [notre travail
sert] aux [principes] premiers pour chaque science. C'est qu'il est impossible
d'en dire quoi que ce soit à partir des principes appropriés à la science qu'on
se propose, puisque ces principes-là viennent en premier de tous;
[101b1] aussi est-il nécessaire d'en discourir par le biais des endoxes
qui circulent sur chacun. Or c'est là quelque chose de propre ou du moins de
surtout approprié à la dialectique; du fait de sa [nature] investigatrice, elle
tient une voie aux principes de toutes les méthodes.
Chapitre III
[101b5]
Cette méthode, par ailleurs, nous en rejoindrons la perfection d'une
manière semblable à celle dont elle nous est accessible pour la rhétorique, la
médecine et les puissances de cette nature, c'est-à-dire pour autant que nous
réaliserons ce que nous voulons compte-tenu des [principes] disponibles. Car
l'orateur ne va pas persuader, ni le médecin guérir de toute façon; mais si
[chacun] ne néglige aucun des [principes] disponibles,
[101b10] nous dirons qu'il tient sa science de manière satisfaisante.
Chapitre IV
On doit regarder en premier, bien sûr, de quoi [est constituée] la méthode. Si
nous pouvions saisir le nombre et la nature de ce à quoi [mènent] les raisons,
[saisir] aussi de quoi elles [procèdent], puis comment nous nous en munirons en
abondance, nous tiendrions déjà notre propos de manière suffisante. Or ce de
quoi [sont issues] les raisons et ce sur quoi [portent] les raisonnements sont
égaux en nombre et identiques. En effet, les raisons s'effectuent à partir des
propositions, [101b15] et ce sur quoi [portent] les
raisonnements, ce sont les problèmes. Or toute proposition et tout problème
manifeste ou le propre, ou le genre, ou l'accident [du sujet]. Car la différence
aussi, tant qu'elle est générique, on doit la ranger auprès du genre. Puisque,
par ailleurs, le propre tantôt signifie ce que [la chose] est au juste,
[101b20] tantôt ne le signifie pas, divisons le propre en les deux parties
que nous venons de mentionner : appelons celle qui signifie ce que [la chose]
est au juste sa définition, et appelons l'autre son propre, selon leur
dénomination commune. De nos considérations s'ensuit donc avec évidence, selon
la présente division, la production de quatre [éléments] en tout :
[101b25] la définition, le propre, le genre, l'accident. Que personne,
toutefois, ne nous soupçonne de dire que chacun d'eux, dit en lui-même, est une
proposition ou un problème; [nous disons] plutôt que c'est en partant d'eux que
sont produits et les problèmes et les propositions. Le problème et la
proposition diffèrent, eux, par leur tournure. Car si on parle ainsi :
[101b30] «Est-ce que l'animal terrestre [14]
bipède est [la] définition d[e l]'homme?» et : «Est-ce que l'animal est [le]
genre de l'homme?», c'est une proposition qu'on produit; tandis que si [c'est
ainsi]: «Mais est-ce que l'animal terrestre bipède est la définition de l'homme
ou pas?», on produit un problème [15]. Et il en va
semblablement pour les autres [cas], de sorte qu'il est bien raisonnable que
restent égaux en nombre les problèmes [101b35] et
les propositions. En effet, de toute proposition on fera un problème, simplement
en en modifiant la tournure.
Chapitre V
On doit maintenant dire ce que sont une définition, un propre, un genre, un
accident. Une définition, c'est une raison [16],
celle qui signifie ce que [la chose [17]] est au
juste. Or on donne [102a1] ou une raison pour un
nom, ou une raison pour une raison, car il est parfois possible aussi de définir
ce qu'on signifie sous une raison. Toutefois, il est évident que tous ceux qui,
de quelque manière, rendent [la chose] par un nom [unique] ne donnent pas, eux,
la définition de la chose, puisque toute [102a5]
définition est une raison. Néanmoins, on doit aussi poser comme définitionnel ce
qui se présente de la manière suivante : Le beau, c'est le convenable. Il en va
semblablement aussi pour la demande à savoir si sensation et science c'est la
même [chose] ou autre [chose]. Et de fait, concernant les définitions, la
demande à savoir si c'est la même [chose] ou autre [chose] occupe la plus grande
partie de la discussion. Simplement alors, appelons définitionnel tout ce qui se
range sous la même [102a10] méthode [18]
que les définitions. Or que tout ce dont nous venons de parler est de cette
nature, c'est de soi évident. Une fois capables, en effet, de discuter que [ce
soit] la même [chose] et que [ce soit] autre [chose][19],
nous saurons de la même façon attaquer en abondance contre les définitions, car
après avoir montré que ce n'est pas la même [chose], nous nous trouverons avoir
détruit la définition [20]. Toutefois, ce qu'on
vient de dire ne se convertit pas : [102a15] en
effet, il ne suffit pas, pour ce qui est d'établir la définition, de montrer que
c'est la même [chose] [21], tandis que pour ce qui
est de [la] renverser, il suffit très bien de montrer que ce n'est pas la même
[chose].
Un propre, par ailleurs, c'est ce qui ne manifeste pas ce que [la chose] est au
juste, mais appartient au [sujet] seul et se contre-attribue [avec lui] à la
chose. [22] Par exemple, c'est le propre
[102a20]
de l'homme d'être susceptible de lire et d'écrire. En effet, si on est
un homme, on est susceptible de lire et d'écrire, et si on est susceptible de
lire et d'écrire, on est un homme. Effectivement, personne ne dit propre ce qui
peut appartenir à une autre [chose][23], à la
manière dont dormir, par exemple, [appartient] à l'homme[24], pas même s'il se
trouve que pour un temps ce [lui] appartienne à elle seule. Et si
[102a25] on vient à dire propre quelque chose de cette nature, ce ne sera
pas absolument qu'on [le] dira propre, mais pour un temps et en relation à
[autre] chose. En effet, d'être à droite est propre pour un temps et bipède se
trouve dit propre en relation à [autre] chose, par exemple [propre] à l'homme en
relation au cheval et au chien. Que d'ailleurs de ce qui peut appartenir à une
autre [chose], rien ne se contre-attribue [avec le sujet à la chose], c'est
évident. En effet, [102a30] si on dort, on n'est
pas nécessairement un homme.
Un genre, c'est ce qui s'attribue en regard de ce qu'elles sont à nombre de
choses différentes dans leur espèce. Disons que s'attribue en ce que [la chose]
est tout ce qui convient comme réponse quand on nous demande ce qu'est le
propos. Ainsi, pour l'homme, [102a35] si on nous
demande ce qu'il est, il convient de dire qu'[il est] un animal. Cela a trait au
genre aussi de [demander] si une chose, [en regard d']une autre, est dans le
même genre ou dans un autre. Car [une demande] de cette nature tombe encore sous
la même méthode [25] que le genre. En effet, une
fois qu'on aura discuté que l'animal soit le genre de l'homme, et semblablement
aussi du bœuf, on se trouvera à avoir discuté aussi que ce soit dans le
[102b1] même genre. Et quand on aura montré que c'est le genre de l'un,
mais que ce n'est pas le genre de l'autre, on aura aussi discuté que ces choses
ne soient pas dans le même genre. L'accident, c'est ce qui n'est rien de cela,
ni [102b5] définition ni propre ni genre, mais
appartient à la chose; c'est aussi ce qui peut appartenir et ne pas appartenir à
une seule et même chose quelconque. Par exemple, être assis peut appartenir et
ne pas appartenir à une seule et même chose. Il en va semblablement aussi pour
le blanc; en effet, rien n'empêche la même chose tantôt d'être blanche et tantôt
de ne pas être blanche. [102b10] Toutefois, c'est
notre deuxième définition de l'accident qui est la meilleure. Car lorsqu'on dit
la première, il est nécessaire, si on doit la comprendre, de savoir auparavant
ce qu'est une définition, un propre et un genre. Tandis que la deuxième est
complète en elle-même pour ce qui est de connaître ce que peut bien être ce dont
elle parle. Rattachons à l'accident aussi, de fait,
[102b15] les comparaisons entre les choses faites de quelque façon sur la
base d'un accident à elles. Par exemple, si [c'est] le beau ou l'utile qui est
préférable, et si [c'est] celle selon la vertu ou celle selon le plaisir qui est
la vie plus agréable, et toute autre [demande] qu'on se trouve à faire avec une
certaine ressemblance à celles-là. Car, dans toutes les [demandes] de cette
nature, [102b20] la recherche se préoccupe de savoir
pour laquelle des choses ce qui est attribué est davantage un accident. Par
ailleurs, il est évident de soi que rien n'empêche l'accident de devenir un
propre temporaire et relatif. Par exemple, être assis, bien que ce soit un
accident, sera toutefois un propre, lorsqu'on est seul assis, et, si on n'est
pas seul assis, sera un propre en relation à ceux qui ne sont pas assis. De
sorte que, tant en relation à [autre] chose que [102b25]
pour un temps, rien n'empêche l'accident de devenir un propre; de manière
absolue, néanmoins, il ne sera pas un propre.
Chapitre VI
Qu'il ne nous échappe pas que tout ce qui peut se dire contre[26] le propre, le
genre et l'accident, conviendra aussi contre les définitions. En effet, quand
nous aurons montré que la [chose signifiée] sous la définition [27]
n'appartient pas au seul [sujet], [102b30] comme
[on le fait] aussi pour le propre, ou que ce qu'on donne dans la définition
n'est pas genre [du sujet], ou que l'un des [éléments] mentionnés dans la raison
n'appartient pas [au sujet], ce que précisément on pourrait dire aussi pour
l'accident, nous nous trouverons à avoir détruit la définition. Par conséquent,
pour la raison que nous [en] avons fournie auparavant, tout ce que nous avons
énuméré pourrait de quelque façon se trouver définitionnel.
[102b35] Mais on ne doit pas pour cela chercher une méthode unique
[applicable] à tout universellement. Car d'abord cela n'est pas facile à
découvrir; et si on [en] découvrait une, elle serait tout à fait obscure et
inutile pour le travail que nous nous proposons. En donnant plutôt une méthode
propre pour chacun des genres [de problèmes] que nous avons définis,
[103a1] le développement de ce que nous nous sommes proposé devrait
s'effectuer plus facilement à partir de ce qui est approprié à chacun. Aussi
doit-on diviser sommairement, comme on l'a dit plus haut; quant à ce qui reste,
on doit le rattacher à ce qui lui est le plus approprié et l'appeler
définitionnel et générique. Ce dont on a parlé est d'ailleurs déjà à peu près
rattaché [103a5] à chacun [des genres de problèmes].
Chapitre VII
En premier de tout, on doit définir, à propos de la même [chose], de combien de
manière cela se dit. Or cela tiendrait lieu d'endoxe qu'à le prendre
sommairement, on divise de trois manières le fait d'[être] la même [chose]; de
fait, nous avons coutume d'attribuer numériquement, spécifiquement ou
génériquement d'[être] la même [chose]. Numériquement, c'est à ce pour quoi il y
a des noms divers alors que la chose [signifiée] est
[103a10] unique, par exemple une pelisse et un manteau. Spécifiquement, par
ailleurs, c'est tout ce qui, pour divers que ce soit, demeure indifférent quant
à son espèce, comme: un homme [est la même chose] qu'un homme, un cheval qu'un
cheval; en effet, tout ce qui est de nature à se retrouver sous la même espèce
est dit la même [chose] spécifiquement. Semblablement encore, la même [chose],
génériquement, c'est tout ce qui se retrouve sous le même genre; par exemple :
un cheval [est la même chose] qu'un homme. Cela tiendrait bien lieu d'endoxe,
encore, que [103a15] l'eau provenant de la même
source, quand elle est dite la même [chose], comporte quelque différence avec
les façons mentionnées. Rangeons malgré tout ce qui est de cette nature dans la
même [façon] que ce qu'on dit de quelque manière d'après une espèce unique. Car
tout ce qui est de cette nature semble être congénère et entretenir une certaine
ressemblance réciproque. Du fait d'[y] avoir quelque similitude, toute eau se
dit déjà [103a20] la même [chose] que toute [eau]
spécifiquement. Or l'eau qui provient de la même source ne diffère d'aucune
autre [28], sinon par le fait que la similitude
soit plus prochaine encore. C'est pourquoi nous ne la séparons pas de ce qui se
dit de quelque manière [la même chose] d'après une espèce unique. Toutefois, on
l'accordera unanimement, c'est surtout ce qui est un numériquement dont tous
s'attendent qu'il soit dit la même [chose].
[103a25] Néanmoins, même cela a coutume de s'attribuer de plusieurs
manières. Principalement et premièrement, c'est quand d'[être] la même [chose]
est attribué à un nom ou à une définition, comme : le manteau [est la même
chose] que la pelisse et l'animal terrestre bipède [est la même chose] que
l'homme. Deuxièmement, c'est quand c'est [attribué] au propre, comme : le
susceptible de science [est la même chose] que l'homme et le porté de nature
vers le haut [est la même chose] que le feu. Troisièmement, c'est quand
[l'attribution part] de [103a30] l'accident, par
exemple : celui qui est assis ou le musicien [c'est le même] que Socrate. Tout
cela veut signifier ce qui [est] un numériquement. Que ce que nous venons de
dire est vrai, on pourra s'en convaincre au mieux à regarder les fois où l'on
change les appellations. Souvent, en effet, en ordonnant avec son nom d'appeler
quelqu'un qui est assis, nous changeons [l'appellation],
[103a35] s'il arrive que celui à qui nous en faisons l'ordre ne comprenne
pas, dans l'idée qu'il comprendra plus si nous partons de son accident, et nous
ordonnons d'appeler celui qui est assis ou celui qui discute. C'est évident,
nous sommes sûrs [alors] de signifier la même [personne].
Chapitre VIII
[103b1] Reconnaissons donc trois divisions, ainsi qu'on l'a dit, pour ce
qui est d'[être] la même [chose]. Que maintenant les raisons [soient issues] de
ce, par ce et contre ce dont nous avons parlé auparavant[29], une première
preuve en est celle par l'induction. Car si on examinait chacune des
propositions et chacun des problèmes, [103b5] ils
tireraient manifestement origine de la définition, du propre, du genre ou de
l'accident. Mais une autre preuve en est celle par raisonnement [30].
Nécessairement, en effet, tout ce qui s'attribue à un [sujet] ou bien se
contre-attribue [31] [avec lui] à la chose, ou pas.
Et s'il se contre-attribue, ce pourra être une définition ou un propre :
[103b10] une définition, en effet, s'il signifie ce que [la chose] est au
juste, et un propre, s'il ne [le] signifie pas. Car c'était cela un propre, ce
qui se contre-attribue, tout en ne signifiant pas ce que [la chose] est au
juste. Si par ailleurs il ne se contre-attribue pas à la chose, ou bien il fait
partie de ce qu'on dit dans la définition du sujet, ou pas. Et s'il fait partie
de ce qu'on dit dans la définition, ce pourra être un genre
[103b15]
ou une différence, puisque la définition est [issue] du genre et des
différences. Si par ailleurs il ne fait pas partie de ce qu'on dit dans la
définition, il est évident que ce pourra être un accident. En effet, on disait
accident ce qui n'est ni définition ni propre ni genre et appartient toutefois à
la chose.
Chapitre IX
[103b20] Après cela, il faut donc définir les genres des attributions dans
lesquelles interviennent les quatre [modalités] dont nous avons parlé. Or elles
sont au nombre de dix : ce que [la chose] est, en quelle quantité, de quelle
qualité, en relation à quoi, où, quand, [qu'elle] est disposée, a, fait, subit.
Toujours, en effet, l'accident, le genre, le propre et la définition
[103b25] se trouvera dans l'une de ces attributions. Car toutes les
propositions [qui se font] par eux signifient ce que [la chose] est, ou en
quelle quantité [elle est], ou de quelle qualité [elle est], ou l'une des autres
attributions. Par ailleurs, il est évident de soi que celui qui signifie ce que
[la chose] est signifie tantôt une substance, tantôt en quelle quantité [une
chose est], tantôt de quelle qualité [une chose est], tantôt l'une des autres
attributions. Car, quand, à propos d'un homme, [103b30]
on dit que c'est un homme ou [que c'est] un animal, on dit ce qu'il est
et on signifie une substance; quand, par ailleurs, à propos d'une couleur
blanche, on dit que c'est blanc ou [que c'est] une couleur, on dit ce qu'elle
est et on signifie de quelle qualité [une chose est]. Semblablement encore, si,
à propos d'une grandeur d'une coudée, on dit que c'est long d'une coudée [ou que
c'est] une grandeur, on dit ce qu'elle est et [103b35]
on signifie en quelle quantité [une chose est]. Et il en va semblablement aussi
pour les autres [attributions]. En effet, chacune des [attributions] de cette
nature, pour autant qu'elle-même se trouve dite d'elle-même, ou que c'est son
genre qui s'en trouve dit, signifie ce que [la chose] est; quand, par ailleurs,
c'est d'autre chose [qu'elle se trouve dite], elle ne signifie pas ce que [la
chose] est, mais en quelle quantité ou de quelle qualité [la chose est], ou
l'une des autres attributions. En conséquence, sur quoi portent les raisons et
de quoi elles sont issues, [104a1] c'est cela et de
ce nombre. Comment, par ailleurs, nous l'obtiendrons et par quoi nous en
abonderons, c'est ce qu'on doit dire par après.
Chapitre X
En premier, cependant, définissons ce qu'est une proposition dialectique et ce
qu'[est] un problème dialectique. C'est qu'on ne doit pas poser toute
proposition ni [104a5] tout problème [comme]
dialectique. Personne de sensé, en effet, ne proposerait ce qui ne tient lieu
d'endoxe pour personne [32], ni ne ferait un
problème de ce qui est manifeste à tous ou à la plupart. Car avec ceci on ne se
trouve pas dans une impasse; et l'autre, personne ne le poserait. Or une
proposition dialectique, c'est une demande endoxale pour tous, pour la plupart
ou pour les sages et, chez ceux-ci, [104a10] pour tous, pour la plupart ou pour
les plus connus. [Ce n'est] jamais [une demande] paradoxale : on peut poser, en
effet, ce qui tient lieu d'endoxe auprès des sages, à la condition que ce ne
soit pas contraire aux endoxes [reçus par] la plupart. Est aussi proposition
dialectique ce qui est semblable aux endoxes; de même ce qui contredit le
contraire des endoxes les plus courants [33]; de
même encore tous
[104a15] les endoxes conformes aux arts déjà découverts. Si, en effet, il
est endoxal que c'est la même science qui porte sur les contraires, cela aura
tout l'air endoxal aussi que c'est le même sens qui porte sur les contraires. De
même, [s'il est endoxal] que l'art d'écrire est numériquement un, [il le sera]
aussi que l'art de jouer de la flûte est un, et s'[il est endoxal] qu'il y a
plusieurs arts d'écrire, [il le sera] aussi qu'il y a plusieurs arts de jouer de
la flûte. En effet, tout cela [104a20] semble être
semblable et congénère. Semblablement aussi, par ailleurs, ce qui contredit le
contraire des endoxes aura tout l'air endoxal. S'[il est] endoxal, en effet,
qu'il faut faire du bien à ses amis, [il sera] endoxal aussi qu'il ne faut pas
[leur] faire de mal; le contraire, c'est qu'il faut faire du mal à ses amis et
ce qui contredit cela, c'est qu'il ne faut pas [leur]
[104a25] faire de mal. Semblablement encore, s'il faut faire du bien à ses
amis, il ne le faut pas à ses ennemis. Cela aussi contredit le contraire. En
effet, le contraire, c'est qu'il faut faire du bien à ses ennemis. Et il en va
de même aussi pour les autres [cas]. En comparaison encore, cela aura tout l'air
[endoxal] aussi [d'attribuer] le contraire au contraire; par exemple, s'il faut
faire du bien à ses amis, [104a30] il faut aussi
faire du mal à ses ennemis. Car faire du bien à ses amis a tout l'air contraire,
aussi, à faire du mal à ses ennemis. Est-ce que de fait il en est aussi ainsi en
vérité ou non, nous en parlerons dans ce que nous dirons sur les contraires. Il
est évident, par ailleurs, que tous les endoxes conformes à des arts sont des
propositions dialectiques. Car on posera [volontiers]
[104a35] ce qui tient lieu d'endoxes auprès de ceux qui ont déjà investigué
ce [dont on parle]; par exemple, à propos de médecine, [on posera] comme le
médecin, et en matière de géométrie, comme le géomètre; et il en va
semblablement aussi pour autre [chose].
Chapitre XI
[104b1] Un problème dialectique, c'est une considération visant à un choix
et à un rejet, ou à une vérité et à une connaissance; [elle y vise] déjà en
elle-même ou alors c'est à titre instrumental, pour autre chose de cette nature;
[elle porte de plus] sur ce quant à quoi aucune des contradictoires ne tient
lieu d'endoxe ou [sur ce quant à quoi] c'est le contraire [qui tient lieu
d'endoxe] [104b5] chez les sages et chez la plupart
ou de chacun à chacun à l'intérieur de chaque groupe. Certains problèmes,
effectivement, sont utiles à résoudre pour ce qui est de choisir ou de rejeter;
par exemple, si le plaisir est préférable ou pas. D'autres [le sont] simplement
pour connaître; par exemple, si le monde est éternel ou pas. D'autres, enfin,
[ne sont] en eux-mêmes et par eux-mêmes [utiles à résoudre] ni pour l'une ni
pour l'autre [fin] mais [le] sont néanmoins à titre instrumental
[104b10] pour quelque chose de cette nature. [Il en existe] beaucoup, en
effet, [que] nous ne voulons pas résoudre en eux-mêmes et pour eux-mêmes, mais
en vue d'autre [chose], i.e. de manière à résoudre autre chose par leur
intermédiaire. Fait aussi problème ce sur quoi il existe des raisonnements
contraires; on se trouve alors dans une impasse, à savoir si c'est ainsi ou [si
ce n'est] pas ainsi, du fait de tenir des raisons persuasives en l'un et l'autre
[sens]. [Fait] aussi [problème] ce sur [104b15]
quoi nous ne tenons pas de raisons tant c'est vaste et tant il nous semble
difficile de dire pourquoi [nous affirmerions ou nierions]; par exemple, si le
monde est éternel ou pas. En effet, on peut mener une recherche sur quelque
chose de cette nature.
Les problèmes, donc, et les propositions, divisons-les comme on a dit. Dans ce
contexte, une position [34], c'est une prétention [35]
paradoxale [venant] de [104b20] quelqu'un de connu
en philosophie, par exemple : qu'on ne peut pas contredire, comme l'a dit
Antisthène, ou que tout se meut, d'après Héraclite, ou que l'être est un, comme
le dit Mélissos. Mais il serait simpliste de se préoccuper de ce que le premier
venu dit de contraire aux endoxes. [C'est] encore un paradoxe pour lequel nous
tenons une raison, [104b25]
comme de nier que tout ce que l'on est ou bien on le soit devenu ou bien
[on l'ait été] éternellement, comme disent les sophistes; car si l'on est
musicien tout en étant grammairien, on ne l'est pas devenu, et [on ne l'a] pas
[été] éternellement. Même si pour quelqu'un, en effet, [la chose] ne tient pas
[en soi] lieu d'endoxe, elle [lui] en tiendra éventuellement lieu, du fait qu'on
tienne une raison.
La position, bien sûr, est elle aussi un problème. Cependant, tout problème
[104b30] n'est pas une position, puisque certains problèmes sont de nature
à ce que ni l'une ni l'autre de leurs contradictoires ne tiennent lieu d'endoxe
pour nous. Mais que la position est elle aussi un problème, [c'est] évident. En
effet, [il ressort] nécessairement de ce que nous avons dit que sur la position
la plupart sont en contestation ou bien avec les sages ou bien entre eux de
quelque manière, puisque la position est une prétention paradoxale.
[104b35] Actuellement, toutefois, presque tous les problèmes dialectiques
sont appelés des positions. Peu importe, d'ailleurs, comment on les nomme. Car
ce n'est pas dans la volonté de créer des noms que nous leur avons fait ces
distinctions, mais pour que [105a1] ne nous
échappent pas les différences réelles qui peuvent exister entre eux.
D'ailleurs, il ne faut pas examiner tout problème ni toute position, mais ce qui
mettrait quelqu'un en impasse par manque de raison et non [par manque]
[105a5]
de correction ou de sens. Car ceux qui se trouvent dans une impasse devant le
fait de savoir s'il faut ou non honorer les dieux et aimer ses parents ont
besoin de correction; et ceux [qui le sont devant le fait de savoir] si la neige
est blanche ou non [manquent] de sens. [Il ne faut pas] non plus [examiner] ce
dont la démonstration est trop prochaine, ni ce dont elle est trop éloignée. Car
le premier ne met pas dans une impasse et l'autre trop pour un exercice.
Chapitre XII
[105a10]
Ceci défini, il faut déterminer combien il y a d'espèces de raisons
dialectiques. Or il y a d'abord l'induction, et puis le raisonnement. Pour le
raisonnement, ce qu'il est, on l'a dit antérieurement. Quant à l'induction,
c'est, partant des singuliers, l'irruption [36] à
l'universel; par exemple, si c'est celui qui s'y connaît le meilleur pilote,
[105a15] et de même [le meilleur] cocher, c'est aussi, de manière absolue,
celui qui s'y connaît qui est le meilleur en chaque [matière]. Par ailleurs,
l'induction est plus persuasive, plus claire, plus accessible au sens et commune
à la plupart, tandis que le raisonnement est plus contraignant et plus efficace
contre les spécialistes de la contradiction.
Chapitre XIII
[105a20]
Divisons comme on l'a dit auparavant les genres sur quoi [s'effectuent]
les raisons et de quoi [elles sont issues]. Quant aux instruments grâce auxquels
nous abonderons en raisonnements, il y en a quatre : l'un consiste à obtenir des
propositions; le second, c'est de pouvoir distinguer en combien de manières
chaque [chose] se dit; le troisième, c'est de découvrir les différences et le
[105a25] quatrième, c'est l'investigation du semblable. D'ailleurs, d'une certaine
manière, les trois [derniers consistent] aussi [à obtenir] des propositions, car
il y a moyen de faire d'après chacun d'eux une proposition; par exemple, qu'est
préférable le bon ou l'agréable ou l'utile; et que diffère la sensation de la
science du fait que l'une, une fois perdue, peut s'obtenir de nouveau,
[105a30] tandis que l'autre ne le peut pas; et qu'il en va semblablement
du sain pour la santé comme du revigorant pour la vigueur. La première
proposition est [issue] de ce qui est dit de plusieurs façons, la seconde des
différences et la troisième des semblables.
Chapitre XIV
Bien sûr, on doit [retenir] autant de critères pour le choix des propositions
qu'on a effectué de distinctions [105a35] [en parlant] de [la] proposition et se
mettre ainsi en mains les endoxes de tous, ceux de la plupart ou ceux des sages
et, parmi les leurs, [ceux] de tous, de la plupart ou des plus connus, pour
autant qu'ils ne soient pas [37] le contraire des
[105b1] [endoxes] les plus courants [38];
tous les endoxes aussi qui sont conformes à des arts. Par ailleurs, il faut
encore proposer ce qui contredit le contraire des endoxes les plus courants,
comme on l'a dit auparavant [39]. Il est encore
utile de forger soi-même des propositions, en faisant choix non seulement de
celles qui sont déjà de fait endoxales, mais [105b5]
aussi de celles qui leur sont semblables. Par exemple, c'est la même sensation
qui porte sur les contraires, puisque c'est le cas aussi pour la science. Aussi
: nous voyons par réception en nous et non par émission de quelque chose, car il
en va ainsi pour les autres sens; nous entendons, en effet, par réception en
nous et non par émission de quelque chose, et nous goûtons de la même manière.
Et il en va semblablement aussi pour [105b10] autre
[chose]. En outre, tout ce qui a l'air [tel [40]]
pour tous [les sujets] ou la plupart, on doit [viser à] l'obtenir comme principe
et position tenant lieu d'endoxe; car on les pose, quand on ne voit pas pour
quel [sujet] il n'en serait pas ainsi. Par ailleurs, il faut aussi faire choix à
partir des raisons écrites, et se faire des listes sur chaque genre, en titrant
séparément, comme sur le bien ou sur [105b15] le
vivant, et sur tout bien, en commençant par ce que [la chose] est. Aussi,
signaler en outre les endoxes de chacun, par exemple : Empédocle a dit qu'il y a
quatre éléments pour les corps. En effet, on pose ce qui est dit par quelqu'un
d'endoxal. [41]
À circonscrire [les choses] sommairement, il y a trois sections pour les
propositions et les [105b20] problèmes. En effet,
certaines propositions sont morales, d'autres naturelles, d'autres rationnelles.
Les morales, bien sûr, ce sont celles de la nature de celle-ci, à savoir s'il
faut, quand il y a discordance, obéir à ses parents plutôt qu'aux lois; [les]
rationnelles, par exemple, si c'est ou non la même science qui porte sur les
contraires; et [les] naturelles, par exemple, si [105b25] le monde est ou non
éternel. De quelle qualité, parmi celles mentionnées est chaque [proposition ou
problème], il n'est pas facile de le justifier pour chaque cas par une
définition. On doit, [en prenant appui] sur la coutume [développée] grâce à
l'induction, tenter de reconnaître [la qualité de] chaque [proposition ou
problème] en en faisant l'examen d'après les exemples mentionnés.
[105b30] Bien
sûr, quand c'est à la philosophie qu'on vise, on doit traiter des choses en
conformité avec la vérité; mais quand[, comme ici, on se propose d'en traiter]
dialectiquement, c'est à l'endoxe qu'on vise. [42]
Par ailleurs, on doit [viser à] obtenir toutes les propositions sous la forme la
plus universelle possible, et d'une en faire plusieurs. Par exemple, [proposer]
que c'est la même science qui porte sur les opposés; ensuite, qu'[il en va de
même] pour les contraires, et [de même pour] les relatifs.
[105b35] On doit aussi diviser celles-là à nouveau de la même façon, tant
qu'il est possible de [les] diviser et, par exemple,[proposer] qu'[il en va de
même pour] le bien et le mal, et le blanc et le noir, et le froid et le chaud.
Et il en va semblablement pour autre chose.
Chapitre XV
[106a1] En ce qui concerne [l'obtention] des propositions [43],
bien sûr, ce qu'on a dit est suffisant. Pour ce qui est maintenant de
[distinguer] en combien de manières [chaque chose se dit][44],
on doit non seulement relever tout ce qui se dit d'une façon différente, mais
aussi tenter d'en donner les définitions. Par exemple, [on ne doit] pas
seulement [relever] que [106a5]
la justice et le courage, d'une part, et le revigorant et le sain,
d'autre part, se disent bons d'une façon différente, mais aussi que les premiers
c'est du fait d'être en eux-mêmes de quelque qualité, tandis que les autres
c'est du fait de produire une chose [de quelque qualité] et non du fait d'être
en eux-mêmes de [cette] qualité. Et il en va de la même manière aussi pour autre
chose.
Toutefois, [le problème [45] de déterminer] si
c'est de plusieurs manières, spécifiquement, ou d'une seule qu'[une chose][46]
se dit
[106a10] doit être considéré à l'aide des [lieux]
suivants. D'abord, regarder le contraire [de la chose] et investiguer s'il se
dit de plusieurs manières et si la discordance éventuelle est seulement
spécifique ou aussi nominale. Parfois, en effet, les [contraires d'une même
chose] se trouvent tout de suite différents, déjà dans leurs noms. Par exemple,
c'est le grave qui est le contraire de l'aigu en matière de son vocal, et c'est
l'arrondi en matière de solide. Cela rend évident que le contraire de l'aigu se
dit de plusieurs manières. [106a15] Et si c'est son
cas, c'est aussi celui de l'aigu, car pour chaque chose ci-dessus le contraire
sera différent. Ce n'est effectivement pas le même aigu qui sera le contraire de
l'arrondi et du grave et pourtant pour chacun c'est l'aigu qui est le contraire.
Inversement, c'est l'aigu qui est le contraire du grave en matière de son vocal,
mais en matière de solide, c'est le léger. En conséquence, le grave se dit de
plusieurs manières, puisque c'est le cas aussi
[106a20] de son contraire. Il en va semblablement aussi du beau : c'est le
laid [le contraire] du [beau] en matière de vivant, mais du [beau] en matière de
maison, c'est le désagréable. Par conséquent, le beau est homonyme.
D'autres fois, il n'y a, entre les [contraires d'une même chose], aucune
discordance nominale, mais la différence spécifique, entre eux, est tout de
suite évidente, comme [106a25] pour le clair et le
sombre. En effet, un son vocal se dit clair et sombre, et semblablement aussi
une couleur. Bien sûr, cela ne fait pas aucune discordance nominale, mais la
différence spécifique entre eux est tout de suite évidente. Car ce n'est pas de
semblable manière qu'on dit clairs la couleur et le son vocal. C'est évident
aussi par le sens, car
[106a30] c'est le même sens qui porte sur ce qui est la même [chose]
spécifiquement; or ce n'est pas par le même sens que nous jugeons le clair en
matière de son vocal et de couleur, mais c'est l'un par la vue et l'autre par
l'ouïe. Il en va semblablement aussi du piquant et du doux [47]
en matière de saveurs et de solides, où c'est l'un par le toucher, l'autre par
le goût. Et là, il n'y a pas de discordance nominale, ni pour les [choses] mêmes
en question, ni [106a35] pour leurs contraires,
puisque c'est le doux le contraire de chacun.
[Investiguer] en outre, si tantôt il existe un contraire de la [chose] et tantôt
absolument aucun. Par exemple, du plaisir qui vient de boire, le contraire c'est
la peine qui vient de la soif, mais du plaisir qui vient de considérer que le
diamètre n'est en rien commensurable au côté, [106b1]
il n'en existe aucun. En conséquence, le plaisir se dit de plusieurs manières.
De même, haïr est le contraire d'aimer de cœur, mais d'aimer de corps il n'en
existe aucun. Il devient donc évident qu'aimer est homonyme. En outre, regarder
les intermédiaires et [investiguer] si tantôt les [contraires] ont un
[106b5]
intermédiaire, tantôt pas. Ou s'ils en ont un les deux fois, mais pas le même;
par exemple, entre clair et sombre, en matière de couleurs il y a le terne, mais
en matière de son vocal, il n'y a rien, ou à la rigueur [l']âpre, comme on dit
qu'un son vocal âpre est intermédiaire. Par conséquent, le clair est homonyme et
le sombre semblablement. [Investiguer] encore si des [contraires] ont tantôt
plusieurs intermédiaires, [106b10]
tantôt un seul, comme [il en est] du clair et [du] sombre, puisqu'en
matière de couleurs il existe plusieurs intermédiaires mais en matière de son
vocal un seul, l'âpre. Encore, regarder l'opposé [de la chose] par contradiction
et investiguer s'il se dit de plusieurs manières; car s'il se dit de plusieurs
manières, [106b15]
son opposé se dira aussi de plusieurs manières. Par exemple, ne pas voir se dit
de plusieurs manières, dont l'une est ne pas avoir la vue, l'autre ne pas se
servir de la vue; or s'il se dit de plusieurs manières, nécessairement aussi
voir se dit de plusieurs manières, car à chaque manière dont on ne voit pas va
s'opposer quelque chose : à ne pas avoir la vue, [106b20]
l'avoir, et à ne pas se servir de la vue, s'en servir. Tourner en outre l'examen
vers ce qui s'oppose comme privation et habitus, car si l'un se dit de plusieurs
manières, l'autre aussi. Par exemple, si sentir se dit de plusieurs manières,
selon qu'il s'agit de l'âme et du corps, demeurer insensible
[106b25] se dira aussi de plusieurs manières selon qu'il s'agira de l'âme
et du corps. Maintenant, que ce que nous venons de mentionner s'oppose comme
privation et habitus, c'est évident, puisque c'est par nature que les êtres
vivants possèdent l'une et l'autre sensibilité, celle de l'âme et celle du
corps.
On doit aussi tourner l'examen vers les flexions. En effet, si ce [qu'on fait]
justement [106b30] se dit de plusieurs manières, le
juste se dira aussi de plusieurs manières. De fait, à chacune des [choses
faites] justement correspond une [chose] juste. Par exemple, si [en attribuant]
de juger justement, on dit tantôt qu'on le fait selon sa conscience, tantôt
[qu'on le fait] comme il faut, il en va semblablement aussi pour le [jugement]
juste. De même aussi, si le sain [se dit] de plusieurs manières, sainement aussi
se dira de plusieurs manières. [106b35] Par
exemple, si [le sain], c'est tantôt ce qui produit la santé, tantôt ce qui [la]
garde, tantôt ce qui [en] est signe, on dira sainement aussi [à propos de ce qui
se fera] de manière à produire [la santé], à [la] garder ou à [en] être signe.
Et il en va semblablement pour autre chose : chaque fois que la [chose] même se
dit de plusieurs manières,
[107a1] la flexion qu'on en fait se dira de plusieurs manières, et si sa
flexion [se dit de plusieurs manières], elle aussi.
Investiguer aussi les genres des attributions faites d'après le nom [48],
[pour voir] si ce sont les mêmes pour toutes; car si ce ne sont pas les mêmes,
[il est] évident [107a5] que ce qu'on dit est
homonyme. Par exemple, le bon, en matière de nourriture, c'est ce qui produit du
plaisir; en matière de médecine, c'est ce qui produit la santé; appliqué à une
âme, c'est qu'elle soit de quelque qualité, par exemple tempérante, courageuse
ou juste; et appliqué à un homme il en va semblablement aussi. Parfois, par
ailleurs, [c'est] d'être en quelque temps; par exemple, ce [qui vient] à propos
[est] bon et de fait on dit bon [107a10] ce [qui
vient] à propos. Souvent encore, [c'est] d'être en quelque quantité, par exemple
selon la mesure; et de fait, on dit bon aussi ce qui est mesuré. Par conséquent,
le bon est homonyme. De même aussi, le clair, appliqué à un solide, [c'est] une
couleur; appliqué à un son vocal, [c'est] de bien s'entendre. Et c'est presque
pareil pour l'aigu; là encore, la même chose ne se dit pas de la même manière en
regard de tous [les sujets] : [107a15] en effet, le
son vocal aigu, c'est le [son vocal] rapide, comme l'affirme la théorie
mathématique de l'acoustique; l'angle aigu, [c'est] l'[angle] inférieur à un
droit; la lame aiguë, [c'est] la [lame] taillée à angles aigus.
Investiguer aussi les genres des [choses qu'on trouve] sous le même nom [49],
[pour voir] s'ils ne sont pas différents et non subordonnés entre eux. Par
exemple, le bélier [50], c'est à la fois l'animal
et
[107a20] la machine de guerre et pour eux,
effectivement, la définition qui correspond au nom est différente : l'animal
sera dit chose de telle qualité et la machine de guerre, chose de telle qualité.
Cependant, si les genres sont subordonnés entre eux, les définitions ne seront
plus nécessairement différentes. Par exemple, tant l'animal que l'oiseau est
genre du corbeau; or bien sûr, quand nous disons que le corbeau est un oiseau,
nous disons aussi qu'il est un animal de telle qualité.
[107a25] Par conséquent, l'un et l'autre lui sont attribués. Semblablement
encore, quand nous disons [que] le corbeau [est] un animal ailé bipède, nous
disons qu'il est un oiseau; de cette manière aussi, bien sûr, l'un et l'autre
genres sont attribués au corbeau, et [avec eux] leur définition. Mais cela ne
s'ensuit pas, quand les genres ne sont pas subordonnés entre eux.
[107a30] De fait, quand nous disons machine de guerre, nous ne disons pas
animal; ni non plus, quand [nous disons] animal, ne [disons-nous] machine de
guerre.
Par ailleurs, ne pas investiguer seulement pour le propos si ses genres sont
différents et non subordonnés entre eux, mais aussi pour son contraire; car si
le contraire se dit de plusieurs manières, il est évident que
[107a35] le propos
aussi.
Il peut être utile aussi d'observer la définition que l'on effectue de ce qui
est composé, par exemple du solide clair et du son vocal clair; car une fois
retranché ce qui leur est propre, il faut rester avec la même définition. Or
cela ne s'ensuit pas pour les homonymes, par exemple [107b1]
pour ceux qu'on vient de mentionner. Le premier, en effet, sera un
solide de telle couleur et le second un son vocal qui s'entend bien. Ainsi donc,
une fois retranchés le solide et le son vocal, ce qui reste ne sera pas la même
chose dans chaque cas; or il le fallait, si précisément le clair était synonyme,
[107b5] appliqué à chaque cas.
Souvent, toutefois, c'est jusque dans les définitions mêmes que se glisse
l'homonyme, à notre insu; aussi doit-on investiguer même les définitions. Par
exemple, si on dit que ce qui est signe de la santé et ce qui la produit, c'est
ce qui entretient une relation convenable avec la santé, on ne doit pas
abandonner là, mais [107b10] examiner ce qu'on dit
convenable quant à chacun; [examiner] par exemple si l'un [est] ce [qui est] de
nature à produire la santé et l'autre ce [qui est] de nature à être signe de
celle qu'on a.
[Investiguer] en outre si ce n'est comparable ni de plus [à moins] ni de
semblable à semblable; par exemple, un son vocal clair et un manteau clair, une
saveur aigre [51] et [107b15]
un son aigre. De fait, cela ne se dit ni semblablement clair ou aigre, ni plus
clair ou plus aigre l'un que l'autre. Par conséquent, le clair et l'aigre sont
homonymes. Tout synonyme, en effet, est comparable; de fait, on se dira [tel]
semblablement ou plus l'un que l'autre.
Par ailleurs, pour les genres différents et non subordonnés entre eux,
[107b20] les différences aussi sont spécifiquement différentes; pour animal
et science, par exemple, les différences sont effectivement différentes. Aussi,
investiguer si ce qui se retrouve sous le même nom constitue des différences
pour des genres différents et non subordonnés entre eux; par exemple, l'aigu
pour le son vocal et le corps; de fait, un son vocal est différent d'un son
vocal par le fait d'être aigu et un corps [est différent] d'un corps de manière
semblable. Par conséquent, [107b25] l'aigu est
homonyme, car il constitue des différences pour des genres différents et non
subordonnés entre eux.
[Investiguer] à l'inverse si, pour cela même [qui se retrouve] sous le même nom,
les différences [sont] différentes; par exemple, pour la couleur, en ce qui
concerne les solides et en ce qui concerne la musique. De fait, en ce qui
concerne les solides, [ses différences sont] dissociateur
[107b30] et compresseur de la vision; en musique, ce ne sont pas les mêmes
différences. La couleur est par conséquent homonyme : pour les mêmes choses, ce
doivent être les mêmes différences.
En outre, puisque l'espèce n'est jamais la différence de quoi que ce soit,
investiguer si pour ce qui se retrouve sous le même nom l'un est espèce et
l'autre différence. [107b35] Le clair, par exemple,
en matière de solides est une espèce de couleur; mais en matière de son vocal,
c'est une différence : de fait, un son vocal se différencie d'un autre son vocal
du fait d'être clair.
Chapitre XVI
Pour ce qui est, donc, de [distinguer qu'une chose se dit] de plusieurs
manières, on doit investiguer avec ces [lieux] et d'[autres] de cette nature.
[108a1] Quant aux différences [52], on doit
comparer [les choses] entre elles dans les mêmes genres; par exemple, [examiner]
en quoi la justice diffère du courage et la prudence de la tempérance, car tout
cela est issu du même genre. [Les comparer] aussi d'un [genre] à l'autre, tant
que ce ne soit pas trop éloigné; par exemple, [examiner] en quoi [la] sensation
[diffère] de [la] science. [108a5] Car pour ce qui
est trop éloigné les différences [sont] tout à fait évidentes.
Chapitre XVII
La similitude, par ailleurs, on doit l'investiguer pour ce qui appartient à des
genres différents, sur ce modèle : la relation qu'une [chose entretient] avec
une autre, une autre l'[entretient] de même avec une autre. Par exemple, la
relation que la science entretient avec ce qui est su, la sensation
l'[entretient] de même avec ce qui est senti. [108a10]
Et sur ce modèle : la situation qu'une [chose occupe] dans une autre, une autre
l'[occupe] de même dans une autre. Par exemple, la situation qu'[occupe] la vue
dans l'œil, l'intellect [l'occupe] dans l'âme, et celle de la sérénité dans la
mer, la tranquillité [l'occupe] dans l'air. D'ailleurs, c'est surtout dans ce
qu'il y a de plus distant qu'il faut s'exercer. Quant au reste, en effet, nous
pourrons plus facilement apercevoir ce qu'il y a de semblable. Toutefois, on
doit investiguer aussi ce qui appartient au même [108a15]
genre, [et voir] si tous [ses éléments] sont la même [chose sous] quelque
[rapport], par exemple l'homme, le cheval et le chien. En effet, c'est dans la
mesure où on est la même [chose sous] quelque [rapport] qu'on est semblable.
Chapitre XVIII
C'est pour la clarté qu'il est utile d'examiner de combien de manières [une
chose] se dit; car on pourra voir davantage ce qu'on pose,
[108a20] une fois manifesté de combien de manières cela se dit. [C'est]
aussi pour que les raisonnements soient effectués d'après la chose même et non
d'après son nom, car, tant que ne devient pas évident de combien de manières [ce
dont on parle] [53] se dit, il reste possible au
répondeur et au demandeur de ne pas faire porter leur pensée sur la même
[chose]; tandis que, dès que devient manifeste de combien de manières [cela] se
dit et [108a25] se portant sur quoi on prend
position, le demandeur aura tout l'air ridicule, s'il n'effectue pas son
raisonnement en relation à cela. C'est utile encore pour ne pas se faire
paralogiser et pour paralogiser, car sachant, en effet, de combien de manières
[ce dont on parle] se dit, nous ne serons pas paralogisés; nous saurons au
contraire si ce n'est pas en relation à la même [chose] que le demandeur
effectue son raisonnement. Et nous-mêmes, [108a30]
en demandant, nous pourrons paralogiser, s'il se trouve que le répondeur ne
sache pas de combien de manières [cela] se dit. Toutefois, cela n'est pas
possible à tout propos, mais [seulement] quand ce qui se dit de plusieurs
manières est vrai d'une manière, faux de l'autre. Cette façon, cependant, n'est
pas appropriée à la dialectique. C'est pourquoi les dialecticiens doivent éviter
de toute manière
[108a35] un [procédé] de cette nature, discuter contre le nom, à moins
qu'on soit incapable de discuter autrement sur le propos.
Quant à découvrir les différences, c'est utile pour les raisonnements qui
concluent que [c'est] la même [chose] et [que c'en est une] autre, et pour
connaître [108b1] ce que chaque [chose] est. Que cela
soit utile pour les raisonnements qui concluent que [c'est] la même [chose] et
[que c'en est] une autre, c'est bien sûr évident, car dès que nous découvrirons
une différence quelconque entre les propos, nous nous trouverons à avoir montré
que ce n'est pas la même chose. Mais [c'est utile aussi] pour connaître ce que
[chaque chose] est, parce que [108b5] nous avons
coutume de distinguer la raison propre de l'essence de chaque [chose] au moyen
des différences appropriées à chacune.
La considération du semblable, quant à elle, est utile en vue des raisons
inductives, des raisonnements [procédant] par supposition et de la production
des définitions. En vue des raisons inductives, bien sûr,
[108b10] parce que c'est à force d'induction de singuliers semblables que
nous venons à réclamer d'induire l'universelle. Effectivement, il n'est pas
facile d'induire sans savoir ce qu'il y a de semblable. En vue, aussi, des
raisonnements [procédant] par supposition, parce qu'il est endoxal que comme il
en va, éventuellement, de l'un de [cas] semblables, ainsi [en va-t-il aussi] du
reste. En conséquence, dès que nous aurons en abondance de quoi
[108b15] discuter contre l'un d'eux, nous nous ferons concéder que comme il
en va, éventuellement, de ce [54] [cas semblable]
ainsi en va-t-il du propos; aussi, en ayant montré celui-là, nous nous
trouverons à avoir montré le propos par supposition. Puisque nous aurons
supposé, en effet, que comme il en va, éventuellement, de ce [cas semblable],
ainsi en va-t-il aussi du propos, nous aurons fait la démonstration. En vue,
enfin, de la [108b20]
production des définitions, parce que du fait de pouvoir apercevoir ce
qui en chaque [matière] est la même [chose], cela ne nous mettra pas en impasse,
au moment de définir, [de devoir déterminer] en quel genre poser le propos.
C'est en effet parmi les [attributs] communs celui qui s'attribue le plus en ce
que [la chose] est qui pourra être son genre. C'est semblablement aussi en ce
qui est très éloigné que la considération du semblable [est] utile pour les
définitions. Par exemple, que c'est la même [chose]
[108b25] la sérénité dans la mer et la tranquillité dans l'air, car chacune
est un calme; de même le point dans la ligne et l'unité dans le nombre, car
chacun est principe. Par conséquent, c'est en produisant à titre de genre ce
qu'il y a de commun à tous [les cas semblables] qu'il fera figure d'endoxe que
nous ne définissons pas étrangement. C'est à peu près ainsi, d'ailleurs, que
ceux qui définissent ont coutume de produire [leurs définitions]. On dit en
effet que l'unité [108b30] est principe du nombre et que le point est principe de
la ligne. Il est donc évident qu'on pose le genre dans ce qu'il y a de commun
aux deux.
Voilà donc les instruments grâce auxquels les raisonnements [sont effectués].
Quant aux lieux en relation auxquels ce qu'on a dit sera utile, les voici.
(01) Dans
le souci d'en rester le plus possible à des termes d'origine latine et
d'articuler la traduction avec celle de λόγος par raison (cf. infra, note 3), je
rendrai συλλογίζομαι et συλλογισμός par raisonner et raisonnement, plutôt que
par syllogiser et syllogisme. Cela aura aussi l'avantage de coller à la manière
très large dont Aristote use de ces termes. Tantôt, en effet, Aristote étiquette
très globalement comme συλλογισμός tout acte de raisonner, de passer à une
connaissance nouvelle en s'appuyant sur une connaissance antérieure, ne fût-ce
que par un lien très ténu (ἔστι γὰρ διαίρεσις οἶον ἀσθενός συλλογισμός, Prem.
Anal., I, 31, 46a32-33), imparfaitement objectif, (ὁ πολιτικός συλλογισμός,
Rhét., II, 22, 1396a5) ou même seulement apparent (= συλλογισμός εὑριστικός,
Top., I, 1, 100b24). Tantôt il restreint l'appellation à des raisonnements où
existe une inférence effective et distingue ceux-ci en signalant la matière (=
ἔνδοξος συλλογισμός, Réf. soph., 9, 170a40; γεωμετρικός, ἰατρικός, Réf. soph.,
9, 170a32) ou la voie (= ἐξ ἕπαγωγῆς συλλογισμός, Prem. Anal., II, 23, 68b15; =
διὰ τοῦ ἀδυνάτου συλλογισμός, Top., VIII, 2, 157b37; = ἐξ ύποθέσεως συλλογισμός,
Top., I, 18, 108b8) qui les spécifie. Enfin, Aristote réserve quelquefois
συλλογισμός pour signifier un raisonnement conduit à partir de notions plus
universelles, une déduction - reviendra même là, pour son procédé de l'universel
au particulier, mais en un sens plus faible, la division (cf. Top., I, 8, 103b7)
- en opposition à une induction (ἐπαγωγὼ), raisonnement conduit vers des notions
plus universelles. Même là, il distinguera par la matière de leurs prémisses
ceux d'entre eux qui procéderont ἐξ ἐνδόξων et ceux qui procéderont ἐξ ἀληθών
καὶ πρῶτων. Cette homonymie dans l'usage de συλλογισμός est tellement patente et
permanente qu'on ne se rendrait vraiment pas service en limitant arbitrairement
l'équivalent français de συλλογισμός à un sens encore plus précis, celui du
raisonnement par excellence, la démonstration, ou celui de la voie rationnelle
par excellence, la déduction. Dans le même ordre d'idées, d'ailleurs, il est
abusif de refuser de traduire par syllogisme en prétendant que « le mot
syllogisme a reçu, de la doctrine exposée dans les Premiers Analytiques, un sens
technique incompatible avec l'emploi qui est fait du mot συλλογισμός dans les
Topiques» (Brunschwig, 113), affirmation d'autant plus étonnante qu'Aristote
reprend dans ses Premiers Analytiques exactement la même définition qu'il donne
du συλλογισμός en ses Topiques. Et si on est conscient que l'homonymie du
συλλογισμός s'étend jusqu'à tout raisonnement, même faible, même apparent, il
n'y a plus de scrupule à se faire d'appeler la division un syllogisme (ou un
raisonnement, pour prendre la traduction que j'adopterai désormais), comme
Aristote le fait en Top., I, 8 et en Prem. Anal., I, 33. Je garderai toutefois,
pour παραλογίζομαι, la traduction courante paralogiser, car préterraisonner
ferait encore plus l'effet d'un corps étranger inassimilable à la langue
française.
(02)
Voir La dialectique aristotélicienne (Montréal : Bellarmin, 1991, p. 33) pour la
justification de ce néologisme. Partout où je traduis endoxe (v.g. cc. 7 et 10:
δοκώ = tenir lieu d'endoxe), je pourrais bien traduire par opinion. Mais ce mot
a maintenant un sens trop faible en français, à force d'insister davantage sur
la limite et l'incertitude de son contenu (ce n'est qu'une opinion!!!) plutôt
que sur son droit à être pensé et affirmé immédiatement. On aura plus de
facilité à recevoir endoxe avec une force aussi grande d'adoption que son opposé
paradoxe en a une de rejet : dans le contexte qui nous intéresse, il est aussi
ridicule et inconvenant de rejeter un endoxe (une opinion ferme) que d'accepter
un paradoxe. Pour garder la cohérence dans les termes-clés, j'ai dû traduire
aussi δόξα par endoxe.
(03) Λόγος. Comme raison en français, λόγος
désigne non seulement la faculté, mais aussi très souvent son fruit, la
conception qui en est issue. Mais le λόγος désigne toujours alors plus
précisément une conception complexe, sans précision de ce que celle-ci constitue
une définition ou une notification de quelque sorte, produite en vue de la
représentation d'une nature incomplexe, comme en 101b38ss; ou un énoncé, ordonné
à l'expression d'une vérité, d'une opinion ou d'une supposition quelconque,
comme en 100a25; ou même encore un argument, rendant compte d'un progrès du
connu à l'inconnu, comme ici et tout au long du livre VIII. À noter aussi comme
le raisonnement est tout de suite présenté comme quelque chose d'agressif, en
donnant ainsi comme corrélatif à l'acte de le former celui de soutenir l'énoncé
qu'il tend à détruire. — On traduira souvent plus naturellement raisonnement, et
souvent aussi définition.
(04) Λόγος.
Un produit de la raison, un raisonnement en un sens très large, comme lorsqu'on
dit: « Donne-moi une raison.»
(05)
Je traduirai régulièrement le
neutre pluriel grec par le neutre singulier français. Cela comportera bien sûr
un aspect plus abstrait, mais l'avantage est tellement grand, à la longue, pour
ce qui est d'alléger le texte, que je ne puis y renoncer.
(06) Τὰ δοκοῦντα πᾶσιν. Ce verbe δοκεῖν est précieux; c'est sa réitération, tout au
long des Topiques, qui garde vie aux
termes vite techniques ἔνδοξος ετ δόξα. Δοκεῖν
exprime le fait concret d'être attendu, de donner l'impression, d'être
spontanément pensé. Aristote définit donc l'endoxe simplement comme ce qui
répond à une attente générale : est endoxal ce qui correspond à une attente que
tous partagent. Il est difficile de rendre en français l'effet de définition
étymologique; cela commanderait qu'on se fixe sur une traduction de racine
unique pour la famille
ἔνδοξος, δόξα, δοκέω.
On pourrait imaginer : attendu, attente, répondre à une attente;
le
paradoxal deviendrait l'inattendu.
On dirait alors que « le raisonnement dialectique est celui qui est raisonné à
partir de ce qui est attendu» (Top.,
I, 1, 100a30); qu'en ce contexte, « est attendu ce qui répond à l'attente de
tous, ou de la plupart, ou des sages, et chez eux ou de tous, ou de la plupart,
ou des plus connus et attendus [comme sages]» (ibid., 100b21-24); que « la proposition dialectique est une demande
attendue par tous, ou par la plupart, ou par les sages, et chez eux par tous, ou
par la plupart, ou par les plus connus, [en tout cas une demande qui n'est] pas
inattendue» (ibid., 10, 104a8-11).
Cela conviendrait à peu près. En général,
néanmoins, le sens paraîtrait moins fort:
inattendu
fait moins péjoratif que paradoxal
et attente moins contraignant
qu'endoxe. En outre, on manquerait
d'un mot pour paradoxe. Si, comme je
le fais tout au long de cette traduction, on opte pour
endoxal,
endoxe, paradoxal,
paradoxe, la traduction cohérente de δοκεῖν
est plus difficile (mais elle reste indispensable, et on ne doit pas
imiter Tricot et Brunschwig, qui multiplient indéfiniment les termes
équivalents):
être endoxal
convient généralement, sauf quand joue l'aspect étymologique, où le verbe
doit faire plus concret que le nom et l'adjectif. J'exploiterai alors deux
racines latines, selon qu'on aura intérêt à sentir comme sujet la personne qui
s'attend à ce que la chose soit telle ou la chose qui lui donne l'impression de l'être. Il ne faudra percevoir aucune couleur
péjorative dans l'expression donner
l'impression : dans le contexte, elle dit simplement que les faits se
présentent de façon que l'option la plus raisonnable, l'option endoxale, soit de
se les représenter de telle façon.
(07) L'expression d'Aristote:
ἐπιπόλαιον ἔχει παντελῶς τὴν φαντασίαν est difficile à traduire littéralement. La suggestion de
Bonitz (Ind. arist., 811b3) d'y voir un équivalent de εὐθὺς φαίνεται ψευδὲς a le
mérite d'en donner le contexte, le sens général, mais ne fait pas vraiment
comprendre ce que dit Aristote. Cela revient en fait au même que de mettre en
relation cette expression avec celle qu'Aristote donne lui-même plus loin en
explicitation : κατάδηλος ἐν αὐτοῖς ἡ τοῦ φεύδους ἐστι φύσις. Voir Th. Waitz,
Aristotelis Organon graece (II, 440): «
ἐπιπόλαιον
ἔχειν τὴν φαντασίαν, c'est
κατάδηλον ἔχειν τὴν τοῦ φεύδους φύσιν : en effet, φαντασία ne signifie rien
d'autre en ce lieu que τό εὐθὺς φαινόμενον (φανερόν) ψεῦδος.» Pourtant,
l'intention d'Aristote est simple et apparaît clairement dès qu'on a l'idée de
recevoir φαντασία comme forme substantive de φαίνεσθαι (voir Waitz, ibid., qui
réfère à quelques textes aristotéliciens "où φαντασία comporte à peu près la
même notion que le verbe φαίνεσθαι») et qu'on tient compte du sens souvent
péjoratif de ce verbe, c'est-à-dire opposé à εἶναι, dans le contexte de la
dialectique : « Ἐριστικὸς δ´ ἐστὶ συλλογισμὸς ὁ ἐκ φαινομένων ἐνδόξων μὴ ὄντων
δέ. (Top., I, 1, 100b24-25) La φαντασία, c'est ici l'apparence sans l'être. Le
caractère des principes chicaniers, donc, qui empêche qu'on les dise
légitimement endoxaux, c'est qu'on voit trop immédiatement qu'ils ne sont pas ce
qu'ils paraissent, c'est-à-dire admis de tous, des sages ou des experts.
(08) Je renonce, en ce cas, à garder la
stricte cohérence de famille dans la traduction:
que pourrais-je mettre:
préterraisons? pararaisonnements?
(09)
Sur ce chapitre, voir
La conception aristotélicienne du dialogue, pp. 73ss.
(10) Περὶ τοῦ προτεθέντος ἐπιχειρεῖν. Bailly
(1518) fait une remarque intéressante sur le sens de Περὶ : « B… II pour, c. à
d.: 1 au sujet de (sens qui se rattache au préc. par l'usage primit. de περὶ
avec les verbes marquant l'idée de combattre) μάχεσθαι περὶ νηός... ou περὶ
θανόντος... combattre autour d'un vaisseau, autour d'un mort, c. à d. pour un
vaisseau, pour un mort.»
(11)
(12)
ὁμιλήσομεν. Voir Bailly, 1373 : ὁμιλέω I... 3 avec idée d'hostilité, se
rencontrer, en venir aux mains... avec qqn; abs. en parlant de deux armées
ennemies qui en viennent aux prises.»
(13) L'expression est assez commune pour
recouvrir la fin, l'opération caractéristique de toute investigation
dialectique. C'est en cela que réside le sens véritable d'entretiens, plutôt
qu'en « une discussion avec le premier venu» (Tricot, 5, note 1), descendue de
niveau non à cause de l'ignorance et du besoin d'investiguer des deux
interlocuteurs, mais de l'un d'eux seulement, l'autre se trouvant déjà en
possession de la science, comme on le sent dans la note de Tricot: « Une
conversation d'honnêtes gens, où les arguments apodictiques ne seraient pas
compris et où il faut se contenter du probable.» (Ibid. )
(14)
Πεζόν. Voir la note 5 de Brunschwig, p. 120.
(15) Ἆρά γε et πότερον ... ἢ ou. Ce ne sont
certainement pas là des marques absolues de la proposition et du problème, comme
le fait remarquer Brunschwig (120, note 6). Mais l'interrogation simple et
double, complétée par le ton de la voix, qui n'apparaît bien sûr pas dans le
texte, pointe déjà ce par quoi se distinguent plus profondément proposition et
problème. Les deux sont des demandes, se présentant grammaticalement comme des
interrogations, parce que celui qui les prononce n'a pas d'évidence sur la
vérité des contradictoires mises en concurrence. Face à la proposition,
toutefois, il y a une attente : le demandeur s'attend à ce que son répondeur
choisisse plutôt telle des contradictoires, parce qu'elle est un endoxe, une
opinion selon laquelle on se représente spontanément la réalité; d'où une
demande simple, qui attend plus vraisemblablement une réponse affirmative, i.e.
plus précisément que soit concédée telle contradictoire comme principe légitime
de l'argumentation. Face au problème en tant que tel, au contraire, le demandeur
n'attend théoriquement pas en réponse une contradictoire plutôt que l'autre;
d'où l'interrogation double, qui laisse plus manifestement le choix au répondeur
de prendre telle position initiale qui lui sied, quitte à rectifier par la
suite, si l'attaque vient à la détruire trop définitivement. En somme, ce τρόπος
par lequel Aristote distingue proposition et problème est plutôt de nature
logique; c'est cette attente présente ou absente d'une contradictoire plutôt que
de l'autre en réponse. Quant aux particules grammaticales, elles ne sont que le
signe matériel normal de cette différence, un signe d'ailleurs assez facultatif
(exemples chez Brunschwig, 120, n. 6).
(16) Cf.
supra,
note 1, p. 1.
(17) Celle à laquelle renvoie le sujet (τὸ ὑπὸ ὀνόματος σημαινόμενον, comme le suggère l'expression de 102a1), non le sujet
lui-même. Les remarques assez abstraites qui vont suivre commandent qu'on se
représente clairement la situation sous l'aspect précis sous lequel la regarde
Aristote et cela est plus complexe qu'il ne paraît. Il s'agit toujours au départ
d'un sujet (nom ou raison), et d'un attribut par lequel il est question de
représenter ce sujet. On cherche à qualifier le mode de cette représentation :
définition, propre, genre ou accident. Mais il s'agit aussi de la chose (τὸ πράγμα), de la nature signifiée sous ce sujet et sous cet attribut; tantôt c'est
la même pour les deux, tantôt c'en est une autre pour chacun. Par exemple, dans
la remarque qui suit immédiatement, Aristote dira que lorsque l'attribut est une
raison (i.e. une conception complexe), le sujet est tantôt un nom (i.e. une
conception simple), tantôt une raison, ce qu'il justifie en signalant que
quelquefois la chose sous la raison (i.e. signifiée par un sujet complexe) peut
se définir, ce qui implique que le sujet (même complexe) qui la signifie puisse
recevoir l'attribution d'une raison.
(18) La même méthode, i.e. les règles d'un
processus rationnel qui conduit à la même conclusion ou à quelque énoncé qui lui
soit lié immédiatement. Ici, tel attribut n'est pas définition de tel sujet
entretient cette proximité avec tel attribut n'est pas (ou ne signifie pas) la
même chose que ce sujet. Il y aura semblable proximité, en 102a37ss, entre tel
attribut est genre de telle chose et de telle chose et telle chose est de même
genre que telle autre.
(19)
Celle que signifie le sujet et celle que signifie l'attribut qu'on
ambitionne de constituer en définition.
(20) Si le sujet (v.g. l'homme) et son attribut (v.g.
l'animal blanc) ne renvoient pas toujours à la même réalité (i.e. si quelque
homme n'est pas animal blanc ou si quelque animal blanc n'est pas homme), cet
attribut ne saurait s'attribuer comme définition à ce sujet.
(21)
Si l'attribut (v.g. manteau) renvoie
universellement à la même réalité que le sujet (v.g. pelisse; donc si toute
pelisse est manteau et si tout manteau est pelisse), il ne lui convient pas
nécessairement comme définition.
(22) ἀντικατηγορεῖται τοῦ πράγματος :
s'attribue à la chose aussi bien que le nom (ou la raison) par lequel on se la
représente comme sujet face à cet attribut qu'on dit propre. I.e.: s'il y a
propre, il s'attribue à tout ce à quoi s'attribue le nom sous lequel la chose
est représentée comme sujet et, réciproquement, ce nom de la chose s'attribue à
tout ce à quoi le propre s'attribue. De sorte que — mais ce sera là,
contrairement à l'interprétation traditionnelle, non pas ce qu'affirme
directement ici Aristote, mais sa conséquence immédiate — si un attribut est
effectivement un propre, son sujet s'attribue aussi bien à lui que lui à son
sujet. Voir encore Brunschwig 122, n. 1. Voir aussi l'usage de ἀντιστρέφειν,
154a36-b1.
(23) Que
celle signifiée par le sujet.
(24) Et
appartient aussi à autre chose
(25)
Cf.
supra, note 18.
(26) Le contexte sollicite tous les aspects agressif (contre),
relatif (en relation à) et plus
simplement déterminatif (concernant)
de πρός . Les traducteurs s'en tiennent ordinairement au dernier, plus neutre.
Mais il est plus savoureux de suivre l'esprit dialectique, toujours tourné vers
l'attaque; le contexte destructif du passage suivant y invite fortement
d'ailleurs.
(27) Comme Brunschwig, nous adoptons la leçon
τὸ ὑπὸ τὸν
ὁρισμόν plutôt que τὰ. Voir Brunschwig, n. 1, p. 9.
(28) ...
eau d'une autre source, en tant que dites toutes deux la même chose que la
première eau,...
Contrairement à ce qu'en dit Brunschwig (voir note 3, p. 10), c'est bien
l'eau qui est dite différente. Mais comme c'est dans sa façon d'être dite la
même chose que celle d'une même source, cela ne change pas le sens de parler du cas de cette eau.
(29) I.e. les quatre chefs d'attribution :
définition, propre, genre et accident. De ce (ἐκ τών), i.e. que les propositions
dont sont issues les raisons tirent origine de ces chefs d'attribution; par ce
(διὰ τούτων), i.e. que l'inférence qui s'ensuit de l'agencement de ces
propositions repose aussi sur ces chefs d'attribution et leurs caractéristiques
essentielles; contre ce (πρὸς
ταῦτα), i.e. que les positions que vont chercher à détruire les conclusions, et
donc les conclusions aussi, tirent encore origine des mêmes chefs d'attribution.
(30) Voir
supra, note 1.
(31) Voir
supra, note 22.
(32) Τὸ μηδὲν δοκοῦν. En cohérence avec la
définition donnée en I, 1, 100b21, il faudrait traduire : « ce à quoi personne
ne s'attend». Mais il est plus utile de garder la cohérence avec les prochaines
lignes où il y aura beaucoup opposition avec les endoxes du grand nombre.
(33) Τοῖς δοκοῦσιν ἔνδὸξοις εἶναι : ce
dont il tient lieu d'endoxe que ce soit endoxal, ou ce qui donne bien
l'impression d'être endoxal. Plutôt qu'un pléonasme, il faut le voir comme un
superlatif.
(34) Poser, c'est un acte propre au répondeur,
c'est l'effet de sa réponse. Si la demande est une proposition, la position (ἡ
θῆσις) sera la contradictoire sur laquelle le répondeur met le sceau de
l'endoxal : la position est alors une opinion ferme, un endoxe. Si la demande
est un problème, la position (dite τὸ ἐξ ἀρχῆς κείμενον, la position initiale,
ou ἡ ὑπόθεσις, la supposition ) sera la contradictoire que le répondeur choisit
de soutenir pour bénéfice d'examen, ce qui deviendra la cible de toutes les
agressions du demandeur. Ce qu'Aristote donne ici comme sens à position dérive
du premier cas et en fait comme un intermédiaire entre les deux. En effet, le
répondeur peut, à la demande qui lui est faite, répondre en en posant la partie
paradoxale, si quelque sage notable s'est déjà prononcé en ce sens. Le demandeur
peut toujours, alors, l'utiliser comme proposition (il est intéressant à cet
effet de noter que les exemples de telles positions sont introduits par ὅτι,
signe de la proposition, et non par πότερον , signe ordinaire du problème) et
poursuivre l'attaque en cours; mais l'effet le plus naturel de cette réponse
sera de transformer la demande propositionnelle qui était faite en problème et
de se faire position initiale pour son examen.
(35) ῾Υπόληψις. Λήψις, obtention, désigne la visée
de la demande : obtenir que la proposition soit effectivement posée. Il faut
comprendre
ὑπόληψις dans le même sens, avec une nuance d'arrogance si on peut
dire, due à ce qu'on demande et cherche à obtenir la position de quelque chose
de paradoxal, d'inacceptable, selon les critères ordinaires : une véritable
prétention donc.
(36) ῎Εφοδος. À cause du contexte dialectique,
je préfère le sens plus violent : l'induction dialectique fait effectivement une
certaine violence à la raison en la portant à l'universelle sans une énumération
vraiment satisfaisante, sur le seul fait de ne pas rencontrer d'exception. Voir
14, 105b10-12; VIII, 8, 160b3-5.
(37) Je lis μὴ τὰς ἐναντίας plutôt que ἢ τὰς
ἕναντίας ou ἢ καὶ τὰς ἕναντίας. Je m'accorde assez avec les remarques de
Brunschwig (voir p. 19, n. 5). Toutefois, je préfère garder τὶς; sans doute, le
parallèle avec le μὴ παράδοξος du ch. 10 serait plus complet sans cet article;
toutefois, garder l'article fait moins appel aux conjectures concernant les
corruptions du texte par des copistes ou des éditeurs et permet un lien assez
heureux avec la même expression revenant en 105b2 : ici, il s'agit de refuser
directement le contraire des endoxes courants; là il s'agira d'admettre ce qui
contredit le contraire des endoxes courants. Je ne vois pas de raison de refuser
ce parallèle, d'autant plus qu'en 105a2 Aristote écrira explicitement le
ἐνδόξοις qu'on a besoin de sous-entendre ici.
(38) Ταῖς φαινομέναις. Comme je l'ai déjà fait
remarquer (voir La conception aristotélicienne du dialogue, pp. 154-155),
φαίνεσθαι ne connote pas toujours, loin de là, la fausse apparence : avoir l'air
sans l'être. Bien au contraire, c'est plutôt l'être manifeste qui habite son
sens le plus normal : non seulement être mais même en avoir tout l'air aussi.
Comme il s'agit ici de distinguer ce qui peut faire office de proposition
dialectique, le φαινόμενον, c'est ce qui est manifestement endoxal, ce qui en a
tellement l'air, et aux yeux de tous, que cela ne peut pas ne pas l'être et
qu'on ne peut pas même lui préférer une proposition contraire que quelque sage
verrait comme endoxale. Dans ce contexte, φαινομέναις est synonyme de δοκοῦσαις;
il sous-entend ici δόξαις, ce qui nous amène à traduire comme δοκοῦσιν ἔνδοξοις
en 104a14. Il arrivera encore, par la suite, que φαίνεσθαι signifie la même
chose que δοκεῖν, tenir lieu d'endoxe, avec une nuance de renforcissement :
tenir manifestement lieu d'endoxe (v.g. 105b10).
(39) Voir
supra, 10, 104a13-14
(40) [Οὕτως].
(41) Les actes
du demandeur et du répondeur se chevauchent dans le texte. Aristote règle la
conduite du demandeur (on doit proposer, [chercher à] obtenir, faire choix,
signaler les autorités) sur l'attitude escomptée du répondeur : quand on, i.e.
le demandeur, agit ainsi, on, i.e. le répondeur, [accepte de] poser.
(42) Remarque difficile à cause de son
asymétrie. Mais assez manifestement, il faut opposer Πρὸς φιλοσοφίαν à πρὸς δόξαν et non à διαλεκτικῆς. En somme, Aristote prévient une objection qui
pourrait s'adresser au caractère grossier de la division (purement endoxale)
qu'il vient de proposer. Cette objection vaudrait, concède-t-il, si on visait
une connaissance philosophique; car alors on serait tenu de présenter la vérité
la plus distincte et assurée. Mais ici, on se propose de procéder
dialectiquement; aussi, pas besoin de viser à une division philosophique, qui se
voudrait vraie dans le détail mais le serait sans profit, puisque de toute
manière c'est à classer l'endoxe qu'elle servira. Viser ici à une division
endoxale suffira.
(43)
Comme Brunschwig (p. 21, n. 2), je lis προτάσεων, plutôt que προτάσεως, le
pluriel référant mieux au premier instrument dialectique.
(44) Les expressions par quoi je traduis en 13, 104a23
la description des deux premiers instruments ne sont pas assez consacrées en
français pour que je puisse, comme Aristote ici, y référer de façon abrégée.
(45) Le paragraphe précédent a complété la
description du second instrument comme tel. En effet, la fonction de
l'instrument se limite à fournir le critère immédiat d'abondantes propositions
endoxales. Dès que l'énoncé considéré fait figure de problème, il n'est plus du
ressort de l'instrument, mais du lieu, qui va permettre de sélectionner, parmi
les propositions immédiates issues de l'instrument, celles dont sa solution
pourra s'inférer. Il n'en va pas différemment en matière de distinction de
l'homonymie. Cependant, le problème de l'homonymie a quelque chose
d'instrumental dans sa nature; c'est un problème à résoudre avant et en vue de
la solution de tout autre; déjà comme problème rationnel, mais même avec une
précédence spéciale parmi les problèmes rationnels : car sans le résoudre
d'abord, on ne sera souvent même pas à même de comprendre sur quoi porte au
juste le problème qu'on veut principalement soulever. Aussi Aristote va-t-il en
fournir tout de suite les lieux. Le mot πότερον, par lequel Aristote débute ce
paragraphe, nous indique expressément qu'on passe maintenant à la considération
du problème de l'homonymie, qu'on n'en reste plus à la simple quête de
propositions endoxales immédiates exprimant les différentes manières admises
d'emblée d'attribuer les choses. En effet, Aristote a caractérisé par cette
particule interrogative les problèmes, en 4, 101b32ss, et a été fidèle depuis
lors à la garder pour l'expression de problèmes. La seule exception, en 14,
105b22, 23, 24, se comprend bien, puisqu'il s'agit d'exemples de propositions
dont il dit tout de suite après (105b25) qu'ils pourraient tout autant
exemplifier des problèmes.
(46)
I.e. un attribut.
(47) Piquant et doux traduisent ici ὀξύ et ἀμβλύ,
traduits plus haut par aigu et arrondi. Je n'aurais pu garder l'aigu et
l'arrondi pour ce qui concerne les saveurs.
(48) I.e.
l'attribut dans le problème en vue duquel on doit d'abord déterminer s'il est ou
non homonyme.
(49)
Toujours le nom qui sert d'attribut (ou encore
de sujet) dans le problème dont on se demande, avant de l'investiguer lui-même,
si ce qu'il demande est un ou multiple, synonyme ou homonyme.
(50) ῎Ονος,
littéralement
âne. Comme Brunschwig, je préfère
transposer pour qu'on trouve dans l'exemple un nom qui désigne couramment à la
fois un animal et une machine.
(51)
᾿Οξύς. Il
est difficile en francais de parler de saveur aiguë.
(52) Τὰς διαφοράς, abréviation de τὰς διαφορὰς
εἰρεῖν, nom et description du troisième instrument en 13, 105a24.
(53)
Attribut ou sujet.
(54) Τούτων. Je ne m'explique pas le pluriel.
D'ailleurs, le texte donne ἐκεῖνο à la ligne suivante. Mais τούτων revient en
108a18!!!
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