Aristote : Physique

ARISTOTE

PHYSIQUE.

TOME DEUX : LIVRE VI. DE LA DIVISIBILITÉ DU MOUVEMENT. CHAPITRE ΙI
 

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

chapitre I - chapitre III

paraphrase du livre VI

 

 

 

LEÇONS DE PHYSIQUE

 

LIVRE VI.


DE LA DIVISIBILITÉ DU MOUVEMENT.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE II.
L'Instant, limite du passé et de l'avenir, est indivisible et identique; conséquences absurdes si l'on soutient que l'instant est divisible. — Il n'y a ni mouvement ni repos dans la durée d'un instant; démonstration de ces deux propositions.

1  Ἀνάγκη δὲ καὶ τὸ νῦν τὸ μὴ καθ' ἕτερον ἀλλὰ καθ' αὑτὸ καὶ πρῶτον λεγόμενον ἀδιαίρετον εἶναι, καὶ ἐν ἅπαντι τὸ τοιοῦτο χρόνῳ ἐνυπάρχειν. Ἔστιν γὰρ ἔσχατόν τι τοῦ γεγονότος, [234a] οὗ ἐπὶ τάδε οὐθέν ἐστι τοῦ μέλλοντος, καὶ πάλιν τοῦ μέλλοντος, οὗ ἐπὶ τάδε οὐθέν ἐστι τοῦ γεγονότος· ὃ δή φαμεν ἀμφοῖν εἶναι πέρας.  2 Τοῦτο δὲ ἐὰν δειχθῇ ὅτι τοιοῦτόν ἐστιν [καθ' αὑτὸ] καὶ ταὐτόν, ἅμα φανερὸν ἔσται καὶ ὅτι ἀδιαίρετον. 3 Ἀνάγκη δὴ τὸ αὐτὸ εἶναι τὸ νῦν τὸ ἔσχατον ἀμφοτέρων τῶν χρόνων· εἰ γὰρ ἕτερον, ἐφεξῆς μὲν οὐκ ἂν εἴη θάτερον θατέρῳ διὰ τὸ μὴ εἶναι συνεχὲς ἐξ ἀμερῶν, εἰ δὲ χωρὶς ἑκάτερον, μεταξὺ ἔσται χρόνος· πᾶν γὰρ τὸ συνεχὲς τοιοῦτον ὥστ' εἶναί τι συνώνυμον μεταξὺ τῶν περάτων. Ἀλλὰ μὴν εἰ χρόνος τὸ μεταξύ, διαιρετὸν ἔσται· πᾶς γὰρ χρόνος δέδεικται ὅτι διαιρετός. Ὥστε διαιρετὸν τὸ νῦν. Εἰ δὲ διαιρετὸν τὸ νῦν, ἔσται τι τοῦ γεγονότος ἐν τῷ μέλλοντι καὶ τοῦ μέλλοντος ἐν τῷ γεγονότι·

4 καθ' ὃ γὰρ ἂν διαιρεθῇ, τοῦτο διοριεῖ τὸν παρήκοντα καὶ τὸν μέλλοντα χρόνον. 5 Ἅμα δὲ καὶ οὐκ ἂν καθ' αὑτὸ εἴη τὸ νῦν, ἀλλὰ καθ' ἕτερον· ἡ γὰρ διαίρεσις οὐ καθ' αὑτό. Πρὸς δὲ τούτοις τοῦ νῦν τὸ μέν τι γεγονὸς ἔσται τὸ δὲ μέλλον, καὶ οὐκ ἀεὶ τὸ αὐτὸ γεγονὸς ἢ μέλλον. Οὐδὲ δὴ τὸ νῦν τὸ αὐτό· πολλαχῇ γὰρ διαιρετὸς ὁ χρόνος. Ὥστ' εἰ ταῦτα ἀδύνατον ὑπάρχειν, ἀνάγκη τὸ αὐτὸ εἶναι τὸ ἐν ἑκατέρῳ νῦν.

6 Ἀλλὰ μὴν εἰ ταὐτό, φανερὸν ὅτι καὶ ἀδιαίρετον· εἰ γὰρ διαιρετόν, πάλιν ταὐτὰ συμβήσεται ἃ καὶ ἐν τῷ πρότερον.

7 Ὅτι μὲν τοίνυν ἔστιν τι ἐν τῷ χρόνῳ ἀδιαίρετον, ὅ φαμεν εἶναι τὸ νῦν, δῆλόν ἐστιν ἐκ τῶν εἰρημένων· 8 ὅτι δ' οὐθὲν ἐν τῷ νῦν κινεῖται, ἐκ τῶνδε φανερόν ἐστιν. Εἰ γάρ, ἐνδέχεται καὶ θᾶττον κινεῖσθαι καὶ βραδύτερον. Ἔστω δὴ τὸ νῦν ἐφ' ᾧ Ν, κεκινήσθω δ' ἐν αὐτῷ τὸ θᾶττον τὴν ΑΒ. Οὐκοῦν τὸ βραδύτερον ἐν τῷ αὐτῷ ἐλάττω τῆς ΑΒ κινηθήσεται, οἷον τὴν ΑΓ. Ἐπεὶ δὲ τὸ βραδύτερον ἐν ὅλῳ τῷ νῦν κεκίνηται τὴν ΑΓ, τὸ θᾶττον ἐν ἐλάττονι τούτου κινηθήσεται, ὥστε διαιρεθήσεται τὸ νῦν. Ἀλλ' ἦν ἀδιαίρετον. Οὐκ ἄρα ἔστιν κινεῖσθαι ἐν τῷ νῦν. 9 Ἀλλὰ μὴν οὐδ' ἠρεμεῖν· ἠρεμεῖν γὰρ λέγομεν τὸ πεφυκὸς κινεῖσθαι μὴ κινούμενον ὅτε πέφυκεν καὶ οὗ καὶ ὥς, ὥστ' ἐπεὶ ἐν τῷ νῦν οὐθὲν πέφυκε κινεῖσθαι, δῆλον ὡς οὐδ' ἠρεμεῖν.

10 Ἔτι δ' εἰ τὸ αὐτὸ μέν ἐστι τὸ νῦν ἐν ἀμφοῖν τοῖν χρόνοιν, [234b]  ἐνδέχεται δὲ τὸν μὲν κινεῖσθαι τὸν δ' ἠρεμεῖν ὅλον, τὸ δ' ὅλον κινούμενον τὸν χρόνον ἐν ὁτῳοῦν κινηθήσεται τῶν τούτου καθ' ὃ πέφυκε κινεῖσθαι, καὶ τὸ ἠρεμοῦν ὡσαύτως ἠρεμήσει, συμβήσεται τὸ αὐτὸ ἅμα ἠρεμεῖν καὶ κινεῖσθαι· τὸ γὰρ αὐτὸ ἔσχατον τῶν χρόνων ἀμφοτέρων, τὸ νῦν. 11 Ἔτι δ' ἠρεμεῖν μὲν λέγομεν τὸ ὁμοίως ἔχον καὶ αὐτὸ καὶ τὰ μέρη νῦν καὶ πρότερον· ἐν δὲ τῷ νῦν οὐκ ἔστι τὸ πρότερον, ὥστ' οὐδ' ἠρεμεῖν.

12 Ἀνάγκη ἄρα καὶ κινεῖσθαι τὸ κινούμενον ἐν χρόνῳ καὶ ἠρεμεῖν τὸ ἠρεμοῦν.

suite

 

§ 1. Il faut également que l'instant considéré non d'une manière relative, mais en soi et dans le sens absolu, soit indivisible, et qu'il demeure indivisible dans un temps quelconque. C'est une extrémité du passé au delà de laquelle il n'y a aucune portion de l'avenir, et une extrémité de l'avenir en deçà de laquelle il n'y a aucune portion du passé. C'est donc, comme nous l'avons dit, la Limite des deux.  § 2. Et si l'on démontre qu'une telle limite existe en soi et qu'elle reste identique, il sera démontré du même coup qu'elle est indivisible. § 3. Or, il y a nécessité que l'instant soit identique, puisqu'il est l'extrémité des deux temps; car s'il était différent, l'un des instants ne serait pas à la suite de l'autre, parce qu'il n'y a pas de continu qui soit composé d'indivisibles sans parties; et si l'un et l'autre sont séparés, il y a du temps entre les deux, puisque tout continu doit être tel qu'il y ait quelque chose de synonyme et d'homogène entre les limites. Mais si c'est le temps qui est intermédiaire, ce temps sera divisible, puisqu'il est démontré que le temps peut toujours se diviser. Par conséquent, l'instant est divisible. Mais si l'instant est divisible, il y aura quelque chose du passé dans le futur, et quelque chose du futur dans le passé ; et alors, cela même qui divisera l'instant, délimitera le temps présent et le temps futur.

§ 4. Par la même raison, l'instant ne serait pas en soi; mais il serait relatif et par un autre ; car la division ne peut pas atteindre ce qui est en soi. § 5. De plus, l'instant se partagera ; une certaine partie sera du passé et une autre partie de l'avenir ; et ce ne sera pas toujours le même passé ni le même futur. L'instant évidemment ne sera pas davantage le même ; car le temps est divisible de bien des manières. Par conséquent, si l'instant ne peut avoir ces caractères, il faut nécessairement que l'instant qui est dans l'un et dans l'autre temps soit le même.

§ 6. Mais si c'est le même, il est clair aussi qu'il est indivisible; car s'il était divisible, il en résulterait les mêmes conséquences qu'on vient d'énumérer plus haut.

§ 7. Ainsi il est démontré qu'il y a dans le temps quelque chose que nous appelons l'instant, et qui est indivisible comme ou vient de le voir. § 8. Voici maintenant ce qui prouvera qu'il n'y a pas de mouvement possible dans la durée de l'instant. S'il y a mouvement en effet, le mouvement peut alors y être on plus rapide ou plus lent. Soit l'instant N ; et que le mouvement plus rapide en lui soit AB. Le mouvement moins rapide qui a lieu dans le même instant, parcourra une distance moindre que AB : soit la distance AC. Comme le mouvement le plus lent ne parcourt dans tout l'instant que la distance AC, le mouvement plus rapide la parcourra en un temps moindre. Doncl'instant sera divisé. Or, on le supposait indivisible. Donc le mouvement est impossible dans la durée de l'instant. § 9. Mais il ne se peut pas davantage que dans cette durée, il y ait du repos. Quand on dit repos, cela s'entend d'un corps qui, par nature, doit se mouvoir, et qui ne se meut pas quand naturellement il le doit, là où il doit et de la façon qu'il doit. Mais comme rien ne peut naturellement se mouvoir dans la durée de l'instant, rien ne peut non plus s'y reposer.

§ 10. Que si l'on prétend que l'instant étant le même dans les deux temps, [234b] il se peut alors que dans l'un tout entier il y ait mouvement, et que dans l'autre il y ait repos, et que ce qui se meut dans le temps tout entier, sera mu aussi dans l'un quelconque de ses éléments où naturellement il doit se mouvoir, ce qui est en repos y étant aussi dans la même condition, il en résultera que la même chose sera tout à la fois en mouvement et en repos, puisque l'instant est la même extrémité de l'un et l'autre temps.  § 11. Enfin, on dit d'une chose qu'elle est en repos quand elle-même et ses parties sont dans l'instant actuel ce qu'elles étaient auparavant. Mais dans un instant il n'y a pas d'auparavant; et par conséquent, il n'y a pas de repos.

§ 12. Donc nécessairement, c'est dans un certain temps que doit se mouvoir ce qui se meut; et se reposer, ce qui se repose.

suite

Ch. Il, § 1. L'instant considéré, voir plus haut, Livre IV, ch. 19, §§ 14 et suiv., la définition de l'instant. La définition du § 14 est la définition de l'instant en soi ; les autres ne sont que des acceptions voisines de celle-là.

Il demeure indivisible dans un temps quelconque, le temps alors ne peut être composé d'instants, pus plus que la ligne n'est composée de points, puisque le temps est continu, et qu'un continu doit toujours  être composé de parties indéfiniment divisibles. Voir aussi Livre IV, ch. 17.

Dans un sens absolu, le texte dit précisément : Primitif.

Comme nous l'avons dit, Livre IV, ch. 19, § 14.

§ 2. Il sera démontré du même coup, l'instant est indivisible, parce qu'il est identique; il l'ont donc démontrer qu'il est identique en effet, comme on le dit.

§ 3.  Car s'il était différent, l'expression de la pensée est ici un peu trop concise; en voici le développement : « L'instant ne peut qu'être identique ou différent. Si on le suppose différent, il s'ensuit que l'un des deux instants devrait suivre l'autre; mais cela ne se peut, puisque le temps qui est un continu ne peut se composer d'indivisibles. »

Si l'un et l'autre sont séparés, sans se suivre immédiatement. Voir plus bout la définition de ces termes divers, Livre V, ch. 5, § 3 et § 8.

De synonyme et d'homogène, j'ai ajouté ce second mot pour compléter la pensée.

 — L'instant est divisible, dans la supposition qu'il est homogène au temps. — Quelque chose du passé dans le futur, impossibilité manifeste.

Et quelque chose du futur dans le passé, autre impossibilité non moins évidente. Donc l'instant n'est pas divisible.

Cela même qui divisera l'instant, et qui alors serait seul le véritable instant.

§ 4. L'instant ne serait pas en soi, on arriverait à dire que l'instant n'est pas en soi, après avoir soutenu qu'il n'est pus identique.

Et par un autre, c'est-à-dire par ses parties, dont l'une serait dans le passé et l'autre dans le futur,

Ce qui est en soi, et est par conséquent indivisible. Il y a ici une variante admise par quelques éditeurs : » La division n'est pas en soi. » C'est la leçon donnée par l'édition de Berlin.

§ 5. L'instant se partagera, le texte n'est pas tout ta rait aussi précis.

—  Ces caractères ou Ces propriétés, qu'on vient de parcourir, pour essayer de démontrer que l'instant n'est pas en soi et identique.

§ 6. Qu'on vient d'énumérer plus haut, dans les §§ 3, h et 5.

§ 7. Ainsi il est démontré, comme
on l'avait annoncé plus haut, § 7.

§ 8. Il n'y a pas de mouvement possible dans la durée de l'instant, le mouvement est toujours divisible en tant que continu; il ne peut donc pas y avoir de mouvement dans l'instant, puisqu'il est indivisible.

Ou plus rapide ou plus lent, propriété inhérente an mouvement.

Soit l'instant N, le mouvement peut être représenté par une ligne dont les trois lettres seraient ABC.

Donc l'Instant sera divisé, conséquence évidente, et qui contredit le principe posé plus haut que l'instant est indivisible.

§ 9. Il y ait du repos, la conséquence est évidente, puisque les deux idées de mouvement et de repos sont corrélatives.

Dans la durée d'un instant, ce principe n'est peut-être pas aussi certain qu'Aristote semble le croire; mais le mouvement qui a lieu dans un instant nous est imperceptible, et en ce sens nous n'avons point à en tenir compte. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que, dans la théorie d'Aristote, l'instant n'est qu'une limite.

§ 10. Sont à la fois en mouvement et en repos, ce qui est impossible.

De l'un et de l'autre temps, du passé et de l'avenir. Ce § est assez obscur; voir la Paraphrase, où j'ai taché de l'éclaircir.

§ 11.  Ce qu'elles étaient auparavant, il y a donc dans l'idée de repos deux idées, celles d'antériorité et de postériorité, tandis que l'idée de l'instant est simple.

§ 12. Dans un certain temps, distinct de l'instant, qui n'est pas du temps à proprement parler, et qui est seulement la limite du temps.

suite