Aristote : Physique

ARISTOTE

PHYSIQUE.

TOME DEUX : LIVRE VI. DE LA DIVISIBILITÉ DU MOUVEMENT. CHAPITRE XVI
 

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

chapitre XV - livre VII chapitre I

paraphrase du livre VI

 

 

 

LEÇONS DE PHYSIQUE

 

LIVRE VI.


DE LA DIVISIBILITÉ DU MOUVEMENT.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XVI.

De l'infinitude du changement; tout changement a nécessairement des limites; exemples divers. Le changement dans l'espace ne peut pas être infini ; mais le mouvement peut l'être sous le rapport du temps. Du mouvement circulaire; indication d'une théorie sur ce sujet.

1 1. Μεταβολὴ δ' οὐκ ἔστιν οὐδεμία ἄπειρος· ἅπασα γὰρ ἦν ἔκ τινος εἴς τι, καὶ ἡ ἐν ἀντιφάσει καὶ ἡ ἐν ἐναντίοις.

2 Ὥστε τῶν μὲν κατ' ἀντίφασιν ἡ φάσις καὶ ἡ ἀπόφασις πέρας (οἷον γενέσεως μὲν τὸ ὄν, φθορᾶς δὲ τὸ μὴ ὄν), 3 τῶν δ' ἐν τοῖς ἐναντίοις τὰ ἐναντία· ταῦτα γὰρ ἄκρα τῆς μεταβολῆς, 4 ὥστε καὶ ἀλλοιώσεως πάσης (ἐξ ἐναντίων γάρ τινων ἡ ἀλλοίωσις), 5 ὁμοίως δὲ καὶ αὐξήσεως καὶ φθίσεως· αὐξήσεως μὲν γὰρ τὸ πέρας τοῦ [241b] κατὰ τὴν οἰκείαν φύσιν τελείου μεγέθους, φθίσεως δὲ ἡ τούτου ἔκστασις. 6 Ἡ δὲ φορὰ οὕτω μὲν οὐκ ἔσται πεπερασμένη· οὐ γὰρ πᾶσα ἐν ἐναντίοις· ἀλλ' ἐπειδὴ τὸ ἀδύνατον τμηθῆναι οὕτω, τῷ μὴ ἐνδέχεσθαι τμηθῆναι (πλεοναχῶς γὰρ λέγεται τὸ ἀδύνατον), οὐκ ἐνδέχεται τὸ οὕτως ἀδύνατον τέμνεσθαι, οὐδὲ ὅλως τὸ ἀδύνατον γενέσθαι γίγνεσθαι, οὐδὲ τὸ μεταβαλεῖν ἀδύνατον ἐνδέχοιτ' ἂν μεταβάλλειν εἰς ὃ ἀδύνατον μεταβαλεῖν. Εἰ οὖν τὸ φερόμενον μεταβάλλοι εἴς τι, καὶ δυνατὸν ἔσται μεταβαλεῖν.

7 Ὥστ' οὐκ ἄπειρος ἡ κίνησις, οὐδ' οἰσθήσεται τὴν ἄπειρον· 8 ἀδύνατον γὰρ διελθεῖν αὐτήν. Ὅτι μὲν οὖν οὕτως οὐκ ἔστιν ἄπειρος μεταβολὴ ὥστε μὴ ὡρίσθαι πέρασι, φανερόν. Ἀλλ' εἰ οὕτως ἐνδέχεται ὥστε τῷ χρόνῳ εἶναι ἄπειρον τὴν αὐτὴν οὖσαν καὶ μίαν, σκεπτέον. Μὴ μιᾶς μὲν γὰρ γιγνομένης οὐθὲν ἴσως κωλύει, οἷον εἰ μετὰ τὴν φορὰν ἀλλοίωσις εἴη καὶ μετὰ τὴν ἀλλοίωσιν αὔξησις καὶ πάλιν γένεσις· οὕτω γὰρ αἰεὶ μὲν ἔσται τῷ χρόνῳ κίνησις, ἀλλ' οὐ μία διὰ τὸ μὴ εἶναι μίαν ἐξ ἁπασῶν. Ὥστε δὲ γίγνεσθαι μίαν, οὐκ ἐνδέχεται ἄπειρον εἶναι τῷ χρόνῳ πλὴν μιᾶς· αὕτη δ' ἐστὶν ἡ κύκλῳ φορά.

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§ 1. Mais il n'y a pas de changement qui puisse jamais être infini. Nous avons vu, en effet, que tout changement est le passage d'un état à un autre, que ce soit d'ailleurs un changement dans la contradiction, ou le changement dans les contraires.

§ 2. Pour les changements par contradiction, c'est l'affirmation ou bien la négation qui est la limite ; et, par exemple, c'est l'être pour la génération des choses; c'est le non-être pour leur destruction. § 3. Quant aux changements par contraires, ce sont les contraires mêmes qui servent de limites, puisqu'ils sont les points extrêmes du changement.  § 4. Ainsi, les contraires sont les limites de toute espèce d'altération; car l'altération procède toujours de certains contraires. § 5. De même encore pour l'accroissement et la décroissance; car, la limite de l'accroissement [241b] est l'acquisition même de la grandeur que la chose doit atteindre d'après sa nature propre ; et la limite de la décroissance est la disparition de cette même grandeur.  § 6. Mais le déplacement dans l'espace n'est pas fini et limité de cette manière ; car il ne se fait pas toujours dans les contraires. Mais comme on dit d'une chose qu'elle ne peut pas avoir été coupée de telle manière, parce qu'elle ne peut pas, en effet, l'avoir été du tout, le mot d'impossible ayant bien des acceptions diverses, ce qui est ainsi impossible ne peut pas être actuellement coupé; et d'une manière absolue, ce qui ne peut pas être arrivé n'arrive jamais, et ce qui ne peut pas du tout changer ne change jamais en la chose dans laquelle il ne peut changer. Si donc le corps qui se déplace change en quelque chose, c'est qu'il peut avoir changé. Donc le mouvement n'est pas infini, et il ne parcourra pas une ligne infinie, puisqu'en effet il est impossible de la parcourir.

§ 7. Il est donc évident qu'il n'y a pas de changement infini, en ce sens qu'il soit sans limites qui le déterminent.  § 8. Mais il faut voir s'il n'est pas possible qu'il y ait, sous le rapport du temps, un mouvement infini, un et toujours le même. Rien n'empêche, en effet, qu'il en soit ainsi, quand ce mouvement n'est pas unique, et quand, par exemple, après le déplacement, il y a altération, après l'altération accroissement, et après l'accroissement génération. De cette façon, le mouvement peut bien être perpétuel dans le temps; mais il n'est plus unique, parce que tous ces mouvements n'ont pas un mouvement unique pour résultat. Par suite, en supposant que le mouvement soit un, il ne peut y avoir d'infini dans le temps qu'un seul mouvement ; et ce mouvement spécial est la translation circulaire.

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Ch. XVI, § 1. Mais il n'y a pas de changement, saint Thomas d'Aquin croit que cette nouvelle discussion est dirigée contre le système d'Héraclite, qui pensait que toutes les choses sont dans un mouvement perpétuel, de même que la discussion précédente était destinée à réfuter le système de Démocrite. Cette seconde conjecture n'est pas moins ingénieuse que l'autre; mais elle n'est pas plus démontrée.

Nous avons vu, voir plus haut, Livre V, ch. 2, § 1.

Dans la contradiction, ou : « Par contradiction, » J'ai préféré conserver la formule du texte.

Dans les contraires, c'est surtout dans les contraires que se produit le mouvement, selon qu'il y a altération, accroissement ou déplacement. Voir les Catégories, ch. 17, p. 128 de ma traduction, et ch. 10, p.109.

§ 2. L'être pour la génération des choses, voir plus haut, Livre V, ch. 2, § 3. C'est-à-dire que le changement cesse et est accompli, dès que dans un cas l'être passe au non-être, ou lorsque réciproquement le non-être passe a l'être.

§ 3. Les points extrêmes du changement, le changement ou le mouvement ne peut pas aller plus loin; car lorsqu'une chose blanche, par exemple, est devenue noire, en passant d'un contraire à un contraire, le mouvement est achevé, et il se termine dans les limites mêmes que les contraires lui assignent.

§ 4. De toute espèce d'altération, ou de modification. L'altération est le mouvement ou changement d'une qualité dans une autre. Voir les Catégories, ch. 14, § 3, p. 128 de ma traduction. C'est la première espèce de mouvement.

§ 5. L'accroissement et la décroissance, seconde espèce de mouvement. Voir les Catégories, id., ibid., § 9.

Que la chose doit atteindre, le texte n'est pas aussi formel.

La disparition, partielle ou totale. Voir plus loin, Livre VIII, ch. 11, § 2.

§ 6. Le déplacement dans l'espace, c'est le mouvement proprement dit, et celui qui frappe le plus nos sens.

 — Fini et limité, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

De cette manière, c'est-à-dire, par des contraires.

Il ne se fait pas toujours dans les contraires, en effet, si le mouvement dans l'espace est circulaire, on ne peut pus dire qu'il soit accompli dans les limites des contraires, puisque les contraires n'existent pas dans la ligne circulaire.

Ce qui est ainsi impossible, c'est-à-dire impossible d'une manière absolue.

—.Actuellement, j'ai ajouté ce mot pour rendre toute la force de l'expression grecque. Ce passage est d'ailleurs embarrassé, bien qu'il ne soit pas très obscur. Aristote veut dire que, si une chose peut actuellement coupée, il y aura un temps où l'on pourra affirmer qu'elle a été coupée. Il y aura donc ici une limite au changement ou au mouvement. De même pour le déplacement dans l'espace: si la chose se meut actuellement, il arrivera un temps où l'on pourra affirmer qu'elle a été mue; le mouvement aura donc eu un terme.

Change en quelque chose, c'est-à-dire, éprouve quelque changement.

C'est qu'il peut avoir changé, et il arrivera un temps où l'on pourra dire qu'il a changé, et que, par conséquent, son mouvement a été fini.

Il est impossible de la parcourir, et impossible de la manière la plus absolue.

§ 7. Il n'y a pas de changement infini, voir plus haut, § 1.

Sans limites qui le déterminent, comme les limites aux changements qui viennent d'être indiqués, sont la contradiction et les contraires.

§ 8. Mais il faut voir, ces théories seront exposées dans le Livre VI et spécialement ch. 10 et 11.

 — Sous le rapport du temps, c'est l'éternité du mouvement, à laquelle est consacré tout le Livre VIII.

La translation circulaire, voir plus loin, Livre VIII, ch. 10, 11 et 12, les développements de cette théorie.

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