Aristote : Physique

ARISTOTE

PHYSIQUE.

TOME DEUX : LIVRE II : DE  LA NATURE : CHAPITRE VII

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

chapitre VI - chapitre VIII

paraphrase du livre II

 

 

 

LIVRE II

DE LA NATURE.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE VII.

Le physicien, en étudiant le pourquoi des phénomènes, doit considérer quatre sortes de causes : l'essence, le mouvement, la fin et la matière ; il y a dans la physique trois recherches principales, sur l'immobile, sur le mobile impérissable et sur le périssable. Le moteur peut être de deux genres, primitif ou intermédiaire.
 

1  Ὅτι δὲ ἔστιν αἴτια, καὶ ὅτι τοσαῦτα τὸν ἀριθμὸν ὅσα φαμέν, δῆλον· τοσαῦτα γὰρ τὸν ἀριθμὸν τὸ διὰ τί περιείληφεν· ἢ γὰρ εἰς τὸ τί ἐστιν ἀνάγεται τὸ διὰ τί ἔσχατον, ἐν τοῖς ἀκινήτοις (οἷον ἐν τοῖς μαθήμασιν· εἰς ὁρισμὸν γὰρ τοῦ εὐθέος ἢ συμμέτρου ἢ ἄλλου τινὸς ἀνάγεται ἔσχατον), ἢ εἰς τὸ κινῆσαν πρῶτον (οἷον διὰ τί ἐπολέμησαν; ὅτι ἐσύλησαν), ἢ τίνος ἕνεκα (ἵνα ἄρξωσιν), ἢ ἐν τοῖς γιγνομένοις ἡ ὕλη.

2 Ὅτι μὲν οὖν τὰ αἴτια ταῦτα καὶ τοσαῦτα, φανερόν· ἐπεὶ δ' αἱ αἰτίαι τέτταρες, περὶ πασῶν τοῦ φυσικοῦ εἰδέναι, καὶ εἰς πάσας ἀνάγων τὸ διὰ τί ἀποδώσει φυσικῶς, τὴν ὕλην, τὸ εἶδος, τὸ κινῆσαν, τὸ οὗ ἕνεκα.

3 Ἔρχεται δὲ τὰ τρία εἰς [τὸ] ἓν πολλάκις· τὸ μὲν γὰρ τί ἐστι καὶ τὸ οὗ ἕνεκα ἕν ἐστι, τὸ δ' ὅθεν ἡ κίνησις πρῶτον τῷ εἴδει ταὐτὸ τούτοις· ἄνθρωπος γὰρ ἄνθρωπον γεννᾷ – καὶ ὅλως ὅσα κινούμενα κινεῖ (ὅσα δὲ μή, οὐκέτι φυσικῆς· οὐ γὰρ ἐν αὑτοῖς ἔχοντα κίνησιν οὐδ' ἀρχὴν κινήσεως κινεῖ, ἀλλ' ἀκίνητα ὄντα. 4 Διὸ τρεῖς αἱ πραγματεῖαι, ἡ μὲν περὶ ἀκινήτων, ἡ δὲ περὶ κινουμένων μὲν ἀφθάρτων δέ, ἡ δὲ περὶ τὰ φθαρτά). 5 Ὥστε τὸ διὰ τί καὶ εἰς τὴν ὕλην ἀνάγοντι ἀποδίδοται, καὶ εἰς τὸ τί ἐστιν, καὶ εἰς τὸ πρῶτον κινῆσαν. Περὶ γενέσεως γὰρ μάλιστα τοῦτον τὸν τρόπον τὰς αἰτίας σκοποῦσι, τί μετὰ τί γίγνεται, καὶ τί πρῶτον ἐποίησεν ἢ τί ἔπαθεν, καὶ οὕτως αἰεὶ τὸ ἐφεξῆς. 6 Διτταὶ δὲ αἱ ἀρχαὶ αἱ κινοῦσαι φυσικῶς, ὧν ἡ ἑτέρα οὐ φυσική· οὐ [198b] γὰρ ἔχει κινήσεως ἀρχὴν ἐν αὑτῇ. Τοιοῦτον δ' ἐστὶν εἴ τι κινεῖ μὴ κινούμενον, ὥσπερ τό τε παντελῶς ἀκίνητον καὶ [τὸ] πάντων πρῶτον καὶ τὸ τί ἐστιν καὶ ἡ μορφή· τέλος γὰρ καὶ οὗ ἕνεκα. 7 Ὥστε ἐπεὶ ἡ φύσις ἕνεκά του, καὶ ταύτην εἰδέναι δεῖ,.

8 Καὶ πάντως ἀποδοτέον τὸ διὰ τί, οἷον ὅτι ἐκ τοῦδε ἀνάγκη τόδε (τὸ δὲ ἐκ τοῦδε ἢ ἁπλῶς ἢ ὡς ἐπὶ τὸ πολύ), καὶ εἰ μέλλει τοδὶ ἔσεσθαι (ὥσπερ ἐκ τῶν προτάσεων τὸ συμπέρασμα), καὶ ὅτι τοῦτ' ἦν τὸ τί ἦν εἶναι, καὶ διότι βέλτιον οὕτως, οὐχ ἁπλῶς, ἀλλὰ τὸ πρὸς τὴν ἑκάστου οὐσίαν.

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§ 1. Il est donc manifeste qu'il y a des causes, et que le nombre de ces causes est bien tel que nous l'avons établi, puisque la recherche de la cause embrasse précisément ce nombre de questions. Ainsi, la cause d'une chose se ramène : soit à l'essence même de l'objet, terme dernier dans les choses où il n'y a pas de mouvement, et par exemple, dans les mathématiques, où la recherche extrême vient aboutir à la définition de la ligne droite, ou à celle de la proportion ou de telle autre idée ; soit au moteur primordial ; et, par exemple, d'où vient que tel peuple a fait la guerre ? C'est qu'on l'avait pillé ; soit au but qu'on se propose ; et, par exemple encore, pourquoi tel peuple a-t-il fait la guerre ? C'est afin d'obtenir la domination ; soit enfin à la matière, clans les objets qui naissent et sont produits. Ainsi, la nature et le nombre des causes sont bien ce que nous venons de dire.

§ 2. Du moment qu'il y a quatre causes, le physicien doit les connaître toutes les quatre ; et c'est en rapportant le pourquoi des phénomènes à ces quatre causes qu'il rendra compte en vrai physicien, et d'après les lois naturelles, de la matière, de la forme, du mouvement et du but final des choses.

§ 3. Souvent trois de ces causes se réduisent à une seule. Ainsi l'essence et la fin se réunissent ; et de plus, la cause d'où vient le mouvement initial se confond spécifiquement avec ces deux-là ; comme, par exemple , l'homme engendre l'homme ; ce qui a lieu généralement dans toutes les choses qui, après avoir reçu le mouvement, le transmettent à leur tour. Quant à celles qui ne transmettent point le mouvement pour l'avoir reçu, elles ne sont plus du domaine de la Physique ; car ce n'est pas parce qu'elles ont en elles-mêmes un mouvement qui leur soit propre ou un principe de mouvement, qu'elles peuvent le communiquer : mais elles le donnent tout en étant immobiles elles-mêmes. § 4. Il y a donc ici trois études distinctes : l'une sur ce qui est immobile ; l'autre sur ce qui est mobile, mais impérissable; et la dernière sur toutes les choses qui périssent. § 5. Par conséquent, la cause des choses se trouve, soit en étudiant leur matière, soit en étudiant leur essence qui les fait ce qu'elles sont, soit enfin en étudiant le moteur initial. C'est par cette méthode, en effet, quand il s'agit de la génération des choses qu'on en recherche surtout les causes en se demandant quel phénomène se produit après tel autre, quel a été le premier agent, quel effet a éprouvé l'être que l'on considère, et eu se posant toujours des questions analogues à celles-là. § 6. Il y a deux principes qui, dans la nature, peuvent mouvoir les choses ; l'un n'est pas du domaine de la Physique, attendu qu'il n'a pas [198b] en lui-même l'origine du mouvement ; et tel est l'être, s'il en est un, qui peut mouvoir sans être mu, comme le ferait l'être absolument immobile, et antérieur à tous les êtres ; l'autre principe, c'est l'essence et la forme, parce que la forme est la fin en vue de laquelle est fait tout le reste. § 7. Et, par suite, comme la nature agit en vue d'une certaine fin, il faut aussi que le physicien l'étudie et la connaisse sous ce rapport.

§ 8. En résumé, le physicien doit expliquer de toutes les façons la cause des choses, et démontrer, par exemple, que telle chose vient nécessairement de telle autre, qu'elle en vienne d'ailleurs soit d'une manière absolue et constante, soit dans la pluralité des cas ; il faut qu'il puisse prévoir que telle chose aura lieu, comme des prémisses on augure et on tire la conclusion ; enfin il doit dire ce qu'est l'essence de la chose qui la fait ce qu'elle est, et expliquer pourquoi elle est mieux de telle façon que de telle autre, non pas absolument, mais eu égard à la substance de chacune des choses.

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Ch. III, § 1. Qu'il y a des causes, entre l'opinion de ceux qui veulent attribuer tout au hasard ; voir plus haut, ch. 4, § 7.

- Tel que nous l'avons établi, voir plus haut, ch. 3, § 10, où l'on a expliqué le nature et les différences des quatre espèces de causes.

- Soit à l'essence même de l'objet, c'est la cause essentielle ou formelle.

 - Suit au moteur primordial, la cause motrice, d'où est parti le principe de tout ce qui a suivi.

-Soit au but qu'on se propose, la cause finale, le pourquoi et le but où tend la chose.

 - A la matière, la cause matérielle.

 - Qui naissent et sont produits, soit par le fait de la nature, soit par l'art de l'homme.

§ 2. En vrai physicien, et d'après les lois naturelles, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

§ 3. L'homme engendre l'homme, par cet exemple, qui est ici assez brusquement jeté. Aristote veut dire sans doute que l'homme quand il engendre l'homme peut être considéré comme réunissant les trois espèces de causes, puisqu'il est il la fois la forme, la matière, et le principe moteur, relativement à l'être qui doit sortir de lui, et qui est de la même espèce.

 - Quant à celles... ce sont les êtres immobiles d'où vient le mouvement pour tout le reste, mais qui ne sont pas eux-mêmes en mouvement ; par excellence, c'est le premier moteur ou Dieu.

 - Elles ne sont plus du domaine de la Physique, elles appartiennent à la Métaphysique plus spécialement.

- Un mouvement qui leur soit propre, ces êtres ne peuvent pas avoir de mouvement en eux, précisément parce qu'ils sont immobiles, tout en donnant le mouvement au reste des êtres.

- Ou un principe de mouvement, en ce sens où l'on dit de l'homme, par exemple, et des autres animaux, qu'ils ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement, et qu'ils peuvent se mouvoir.

- Mais elles le donnent, sans l'avoir elles-mêmes. Il faut, sur toute cette théorie, consulter l'admirable XIIe livre de la Métaphysique ; le premier moteur est nécessairement immobile, et le reste des êtres attirés par lui et vers lui en reçoivent par là même le mouvement.

§ 4. Sur ce qui est immobile, le premier moteur, c'est-à-dire, Dieu.

- Sur ce qui est mobile, mais impérissable, le ciel et tous les grands phénomène qui s'y passent. Voir plus loin, Livre VIII, ch. 14, où la question du premier moteur est touchée plutôt encore qu'approfondie, attendu qu'elle est renvoyée à la Métaphysique.

§ 5. Le moteur initial, appliqué à la chose même dont on s'occupe, et non plus à l'universalité des choses ; et pour reprendre l'exemple cité au § 1 : Quel a été le premier motif de la guerre que tel peuple a fait à tel autre peuple ? On répond : le premier motif de la guerre a été dans les déprédations que ce peuple avait souffertes de ses voisins.

- De la génération des choses, non pas dans le sens de création, mais dans le sens de simple production naturelle ou artificielle.

 - Quel phénomène se produit après tel autre, c'est la question de la forme.

- Quel a été le premier agent, c'est la cause motrice.

- Quel effet a éprouvé l'être, c'est la question de la matière et de la forme.

§ 6. L'un n'est pas du domaine de la Physique, je crois pouvoir traduire ce passage ainsi, en m'appuyant sur le § 3.

- Il n'a pas en lui-même l'origine du mouvement, voir plus haut le § 3. Ceci signifie que l'être immobile n'a pas un mouvement propre ; ce qui est évident.

- C'est l'être, s'il en est un, qui peut mouvoir, par une sorte d'attraction.

- Et antérieur à tous les êtres, en d'autres termes, Dieu.

- L'autre principe, le texte n'est pas aussi précis, il est évident, d'après le contexte, que le premier des deux principes auxquels Aristote réduit les quatre espèces de causes, est la matière, qui, par elle-même, n'a pas le mouvement, et qui, à ce titre, ne fait pas partie de la physique. L'autre principe est la réunion de l'essence, de la fin et du mouvement initial, d'après le § 3. Il est d'ailleurs assez étrange d'assimiler ici la matière au premier moteur, à Dieu, le moteur immobile de l'univers ; mais c'est une simple comparaison pour dire que la matière joue, à l'égard des trois autres causes, un rôle analogue à celui que le premier moteur joue dans le monde. On peut voir aussi plus haut que l'être se réduit à la matière et à la forme, Livre 1, ch. 8, § 11.

§ 7. La connaisse sous ce rapport, la connaissance des causes finales ne doit pas être exclue de la physique.

§ 8. De toutes les façons, c'est-à-dire d'après les quatre points de vue énumérés plus haut au § 2.

-Telle chose vient nécessairement de telle autre, c'est la cause motrice.

- Que telle chose aura lieu, c'est la cause matérielle comme le prouve l'exemple des prémisses, d'où vient la conclusion.

- L'essence de la chose, c'est la cause essentielle ou formelle.

 - Elle est mieux de telle façon, c'est la cause finale.

 - A la substance, ou à la nature.

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