table des matières de la morale d'Aristote
table des matières de l'œuvre d'Aristote
ARISTOTE
LA GRANDE MORALE.
LIVRE I
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LA GRANDE MORALE.
LIVRE 1.
De la nature de la morale. Elle fait partie de la politique. — Il faut étudier la vertu surtout à un point de vue pratique, afin de la connaître et de l'acquérir. — Travaux antérieurs : Pythagore, Socrate, Platon ; défauts de leurs théories. L'auteur essaiera de les compléter. -- Principes généraux sur le bien. -- La politique qui est le premier des arts, doit étudier le bien applicable à l'homme. De l'idée du bien. Du bien réel et commun dans les choses. — Rôle de la définition et de l'induction dans cette étude. -- La politique et la morale n'ont point à s'occuper de l'idée absolue du bien : le bien est dans toutes les catégories, et chaque bien spécial est l'objet d'un art spécial. — Erreur de Socrate qui prenait la vertu pour une science.
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§ 1. Notre intention étant de traiter ici des choses morales, la première recherche que nous ayons à faire, c'est de savoir précisément de quelle science la morale fait partie. Pour le dire en peu de mots, la morale, à mon avis, ne peut faire partie que de la politique. Il n'y a pas moyen en politique de faire quoi que ce soit sans d'abord être doué de certaines qualités ; et je m'explique, sans être honnête. Mais être honnête, c'est posséder des vertus. § 2. Il faut donc, si l'on veut faire en politique quelque chose, être moralement vertueux. § 3. C'est là ce qui fait que l'étude de la morale parait être une partie et le début même de la politique ; et je soutiens, non sans raison, que l'ensemble de toute cette étude devrait plutôt avoir la dénomination de politique que celle de morale. § 4. Il faut donc, je pense, traiter d'abord de la vertu, et montrer ce qu'elle est et comment elle se forme ; car il n'y aurait pas le moindre profit à savoir ce qu'est la vertu, si l'on ne connaissait pas aussi comment elle naît et par quels moyens on l'acquiert. On aurait tort de jamais l'étudier pour savoir seulement ce qu'elle est; il faut l'étudier de plus pour savoir comment on se la procure ; car ici nous voulons tout à la fois, et savoir la ces, et nous y conformer nous-mêmes. Mais nous en serons tout à fait incapables si nous ignorons à quelle source on la puise, et comment elle peut se produire. § 5. D'ailleurs, c'est un point essentiel aussi de savoir ce qu'est la vertu, parce qu'il ne serait pas facile de connaître comment on la forme et on l'acquiert, si l'on ignorait sa nature, pas plus qu'une question de ce genre ne serait facile à résoudre dans toutes les autres sciences. Un second point non moins nécessaire, c'est de connaître ce que d'autres avant nous ont pu dire sur ce sujet. § 6. C'est Pythagore qui, le premier, a essayé d'étudier la vertu ; mais il n'a pas réussi, parce que, voulant rapporter les vertus aux nombres, il ne faisait pas une théorie spéciale des vertus; et la justice, quoiqu'il en dise, n'est pas un nombre également égal, un nombre carré. § 7. Socrate, venu longtemps après lui, a beaucoup mieux et plus spécialement traité le sujet ; mais lui non plus n'a pas réussi fort bien. Des vertus il a voulu faire des sciences ; et il est absolument impossible que ce système soit vrai. Les sciences ne se forment jamais qu'avec l'aide de la raison ; et la raison est dans la partie intelligente de l'âme. Par suite, toutes les vertus se forment suivant Socrate, dans la partie raisonnable de notre âme. Ainsi, en faisant des vertus autant de sciences, il supprime la partie irraisonnable de l'âme ; et du même coup, il détruit dans l'homme la passion et le moral. Socrate n'a. donc pas, sous ce rapport du moins, fort bien étudié les vertus. § 8. Après eux, Platon a fort justement divisé l'âme en deux parties, l'une qui est raisonnable, l'autre qui est sans raison ; et il attribue à chacune de ces parties les vertus qui lui sont réellement propres. Jusque-là c'est très bien ; mais plus tard il n'est plus dans le vrai. Il mêle l'étude de la vertu à son traité sur le bien, et en cela il a tort ; car ce n'est pas là certainement sa place. Il n'avait point, en parlant des êtres et de la vérité, à traiter de la vertu ; au fond, ces deux sujets n'ont rien de commun l'un avec l'autre. § 9. Voilà donc comment nos devanciers ont touché ces matières, et jusqu'à quel point ils sont allés. C'est continuer leur oeuvre que d'exposer ce que nous avons nous-même à dire sur ce sujet. § 10. D'abord, il faut bien savoir que toute science, toute faculté exercée par l'homme a un but, et que ce but c'est le bien. Il n'y a ni science ni faculté qui ait le mal pour son objet. Si donc la fin de toutes les facultés humaines est bonne, il est incontestable que la meilleure fin appartiendra à la meilleure faculté. Mais c'est la faculté sociale et politique qui est la meilleure faculté dans l'homme ; et par conséquent, son but est aussi le bien par excellence. Nous avons donc, ce semble, à parler du bien. Mais ce n'est pas du bien pris d'une manière absolue ; ç'est du bien qui s'applique spécialement à nous. Il ne s'agit pas ici du bien des Dieux ; et pour ce bien-là, c'est une tout autre étude, une tout autre recherche. § 11. Le bien dont il nous faut parler, c'est le bien au point de vue politique. Et d'abord, il est bon de faire une distinction. De quel bien entend-on parler? car ce mot de bien n'est pas un terme simple. On appelle également bien ou ce qui est le meilleur dans chaque espèce de choses, et c'est en général ce qui est préférable par sa propre nature ; ou ce dont la participation fait que les autres choses sont bonnes, et c'est alors l'Idée du bien. § 12. Faut-il nous occuper de cette Idée du bien ? Ou devons-nous la négliger, et ne considérer que le bien qui se trouve réellement dans tout ce qui est bon ? Ce bien effectif et réel est très distinct de l'Idée du bien. L'Idée est quelque chose de séparé, et qui subsiste de soi isolé ment, tandis que le bien commun et réel, dont nous voulons parler, se trouve dans tout ce qui existe. Ce bien-là n'est pas du tout la même chose que cet autre bien qui est séparé des choses, attendu que ce qui est séparé et ce qui par sa nature subsiste de soi, ne peut jamais se trouver dans aucun des autres êtres. § 13. Faut-il donc nous occuper bien plutôt de l'étude de ce bien, qui se trouve et subsiste réellement dans les choses ? Et si nous ne pouvons pas le négliger, pourquoi devons-nous l'étudier? C'est que ce bien est commun aux choses, comme nous le prouvent la définition et l'induction. Ainsi, la définition qui vise à expliquer l'essence de chaque chose, nous dit d'une chose qu'elle est bonne, ou qu'elle est mauvaise, ou qu'elle est de telle autre façon. Or, ici la définition nous apprend que le bien, à le prendre d'une manière toute générale, est ce qui est désirable en soi, et par soi ; et le bien qui se trouve dans chacune des choses réelles est pareil à celui de la définition. § 14. Mais si la définition nous dit ce qu'est le bien, il n'y a pas une science, pas une faculté qui dise de son propre but que ce but est bon. C'est l'ouvre d'une autre science d'examiner cette question supérieure ; et par exemple, ni le médecin, ni l'architecte, né nous disent que la santé ou la maison soient de bonnes choses ; ils se bornent à nous dire, celui-ci qu'il fait la santé et comment il l'a fait; et celui-là, qu'il construit la maison et comment il la construit. § 15. Ceci nous montre encore bien nettement que ce n'est pas à la politique de nous expliquer le bien qui est commun à toutes choses ; car elle non plus n'est qu'une science comme toutes les autres ; et nous avons dit qu'il n'appartient à aucune science, ni à aucune faculté, de traiter du bien comme de sa fin propre. Ce n'est donc pas à la politique de parler de ce bien commun que nous fait comprendre la définition. § 16. Elle ne pourrait pas même traiter de ce bien commun que nous révèle le procédé de l'induction. Et pourquoi? C'est que quand nous voulons indiquer spécialement un bien quelconque en particulier, nous pouvons le faire de deux façons. D'abord, en rappelant la définition générale, nous pouvons montrer que la même explication qui convient au bien en général, convient également à cette chose que nous voulons désigner spécialement comme bonne. En second lieu, nous pouvons prendre le procédé de l'induction ; et par exemple, si nous voulons démontrer que la grandeur d'âme est un bien, nous pouvons dire que la justice est un bien, que le courage est un bien, et en général que toutes les vertus sont des biens; or, la grandeur d'âme est une vertu ; donc, la grandeur d'âme est un bien. § 17. On le voit donc, la science politique n'a pas davantage à s'occuper de ce bien commun que nous connaissons par induction, parce que les mêmes impossibilités, signalées plus haut, se représenteront pour celui-là, comme pour le bien commun donné par la définition; car là aussi, la science arriverait à dire que son propre but est un bien. Donc, la politique doit traiter du bien le plus grand ; mais j'ajoute, du bien le plus grand par rapport à nous. § 18. En résumé, on peut voir sans peine qu'il n'appartient ni à une seule science, ni à une seule faculté de parler du bien dans sa totalité et en général. Et d'où vient cela ? C'est que le bien se retrouve dans toutes les catégories : dans la substance, dans la qualité, la quantité, le temps, la relation, le lieu, en un mot dans toutes sans exception. § 19. Mais quant au bien qui ne se rapporte qu'à un moment donné du temps, dans la médecine c'est le médecin seul qui le connaît ; dans l'art nautique, le nautonnier ; et dans chaque science, chaque savant. En effet, le médecin sait le moment où il faut amputer ; le nautonnier, le moment où il faut mettre à la voile. Chacun, dans chaque sphère, connaîtra le moment qui est bon pour ce qui le concerne. Mais le médecin ne saura pas le bon moment dans l'art nautique, pas plus que le marin ne saura le bon moment dans la médecine. Ce n'est donc pas non plus de cette façon qu'il faut parler du bien commun en général ; car le bien relatif an temps est un bien commun dans toutes les sciences. § 20. De même encore, le bien qui se rapporte à la catégorie de la relation et qui est aussi dans le reste des catégories, est commun à toutes. Mais il n'appartient ni à une seule science, ni à une seule faculté de traiter du bien relatif au temps qui se trouve dans chacune des catégories ; pas plus que la politique ne doit, encore . une fois, s'occuper du bien en général ; elle ne doit étudier que le bien réel et le meilleur des biens, mais le meilleur relativement à nous. § 21. J'ajoute que quand on veut démontrer quelque chose, il faut éviter de se servir d'exemples qui ne soient pas parfaitement clairs. Il faut des exemples évidents pour éclaircir des choses qui ne le sont pas ; il faut des exemples matériels et sensibles pour les choses de l'entendement; car ces exemples sont bien plus nets ; et voilà pourquoi, quand on prétend expliquer le bien, il ne faut pas parler de l'Idée du bien. § 22. Cependant il y a des gens qui s'imaginent que, pour parler dignement du bien, c'est une obligation de parler d'abord de son Idée. Il faut, disent-ils, parler de ce bien qui est le bien par excellence ; or, comme c'est l'essence qui dans chaque genre a ce caractère éminent, ils en concluent que c'est l'Idée du bien qui est le bien suprême. § 23. Je ne nie pas que ce raisonnement n'ait du vrai. Mais la science, l'art politique dont il est ici question, ne regarde pas à ce bien là ; elle ne recherche, je le répète, que le bien relatif à nous. Comme aucune science, aucun art ne dit du but qu'il poursuit que ce but soit bon, la politique ne le dit pas davantage du sien ; aussi ne disserte-t-elle pas sur le bien qui ne se rapporte qu'à l'Idée. § 24. Mais peut-être dira-t-on qu'il est possible de partir de ce bien idéal comme d'un principe solide, et de traiter ensuite de chaque bien particulier. Je désapprouve même encore cette méthode, parce qu'il ne faut jamais prendre que des principes propres au sujet qu'on étudie. Et par exemple, il serait absurde pour démontrer qu'un triangle a ses trois angles égaux à deux droits, de partir de ce principe que l'âme est immortelle. Ce principe n'a rien à faire en géométrie, et un principe doit toujours être propre et enchaîné au sujet; et dans l'exemple que je viens de prendre, on peut fort bien démontrer qu'un triangle a ses trois angles égaux à deux droits sans ce principe de l'immortalité de l'âme. § 25. Tout de même, on peut fort bien étudier les autres biens sans s'inquiéter du tout du bien qui ne se rapporte qu'à l'Idée, parce que l'Idée n'est pas le principe propre de ce bien spécial qu'on étudie. § 26. Socrate poursuivait également une chimère quand des vertus il faisait autant de sciences. Il avait beau soutenir cet autre principe que rien n'est fait en vain, il ne voyait pas que si les vertus sont des sciences comme il le dit, il en résulte nécessairement que les vertus sont parfaitement vaines. Et pourquoi ? C'est que pour toutes les sciences, du moment même qu'on sait d'une science ce qu'elle est, on y est savant et on la possède. Par exemple, si l'on sait ce que c'est que la médecine, du même coup aussi l'on est médecin ; et de même pour les autres sciences. § 27. Mais il n'y a rien de pareil pour les vertus ; et l'on a beau savoir ce qu'est la justice, on n'est pas juste pour cela sur le champ ; et de même pour tout le reste. Ainsi donc, les vertus seraient parfaitement vaines dans cette théorie ; et il faut dire qu'elles ne consistent pas uniquement dans la science. |
La Grande Morale. Il serait difficile de dire pourquoi ce traité a été nommé La Grande Morale. Il est le moins étendu des trois; et les théories qu'il développe n'ont pas plus d'importance, puisque sauf la forme elles sont tout à fait les mêmes. J'ai dû conserver un titre consacré par la tradition, tout inexact qu'il peut être. Ch. 1. Morale à Nicomaque, livre 1, ch. 1 et 3 ; Morale à Eudème, livre I, ch,. 6 et 8. § 1. La morale fait partie. J'ai réfuté dans les notes de la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 1, cette théorie qui met la politique au-dessus de la morale. Je crois que c'est une erreur d'Aristote. Il n'a pas dit seulement que le domaine de la politique est plus vaste que celui de la morale, en ce que la morale s'adresse uniquement à l'individu, tandis que la politique se rapporte à l'État et à la société; il a en outre subordonné comme science la morale à la politique; et c'est en cela qu'il s'est trompé. La morale doit régir la politique, et par conséquent elle la domine théoriquement. -- Sans d'abord être doué. La pensée n'a pas toute la clarté désirable dans le texte ; et j'ai dû en conserver l'obscurité dans ma traduction. L'auteur peut vouloir dire qu'il n'y a pas moyen en politique de faire quoique ce soit des hommes, s'ils n'ont préalablement certaines qualités morales. Il peut vouloir dire aussi que l'homme d'État pour réussir doit posséder certaine vertu. Ce second sens, bien qu'il résulte plus particulièrement des ex-pressions du texte, me parait cependant le moins probable. § 2. Si l'on veut faire quelque chose en politique. Soit comme citoyen, soit comme homme d'État § 3. La dénomination de politique. Même idée dans la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 1, § 13. En finissant ce dernier ouvrage, Aristote ajoute qu'il va traiter de la politique et qu'il complétera par « la philosophie des choses humaines. » § 4. Traiter d'abord de la vertu. Dans la Morale à Nicomaque, la première théorie dont s'occupe Aristote, c'est celle du bonheur. La théorie de la vertu ne vient qu'ensuite, au second livre. Cet ordre est suivi aussi dans la Morale à Eudème. Par quels moyens on l'acquiert. Voir la Morale à Nicomaque, livre II, ch. 2, § 4. Aristote s'est toujours défendu et avec raison de ne faire en morale que de pures théories ; son but principal, c'est la pratique; et il veut avant tout que ses conseils puissent être utiles aux hommes. § 5. Ce que d'autres avant nous. C'est bien la méthode ordinaire d'Aristote ; mais on peut trouver que l'auteur n'est pas ici très fidèle au programme qu'il se trace; et ce qu'il va dire de ses devanciers sera bien incomplet. § 6. C'est Pythagore. Dans la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 3, Aristote a dit un mot aussi de la théorie Pythagoricienne ; mais il y parle des Pythagoriciens en général, et non pas de Pythagore en particulier comme ici. Un nombre carré. J'ai ajouté cette expression, qui n'est que la paraphrase de celle qui précède. § 7. Il a voulu faire des sciences. C'est une théorie qu'Aristote a souvent réfutée dans la Morale à Nicomaque, en ce sens que la vertu ne consiste pas surtout à savoir; elle consiste principalement à faire des actes vertueux. Voir un peu plus loin à la fin de ce chapitre, et dans la Morale à Eudème, livre I, ch. 3. D'un autre côté, Socrate et Platon, tout en soutenant que la vertu est une science, ont pensé cependant qu'elle ne peut pas être enseignée. Voir le Ménon. Dans la partie intelligente de l'âme. Dans la Morale à Nicomaque, Aristote établit une distinction profonde entre les vertus morales et les vertus intellectuelles, livre 1, ch. 14 ; livre II, ch. 1 ; livre VI, ch. 1. Les premières appartiennent à cette partie de l'âme qui ne possède pas la raison en propre, mais qui est capable d'y obéir. Ainsi donc, Socrate, en ne reconnaissant que les vertus de l'intelligence, supprime, au point de vue d'Aristote, toutes les vertus morales ; et c'est en cela que sa théorie parait insuffisante et fausse. Dans la partie raisonnable. Et les vertus morales, qui se forment dans la partie non raisonnable, sont supprimées du même coup. § 8. Divise l'âme en deux parties. Et Aristote a emprunté cette théorie à son maître. Les vertus qui lui sont réellement propres. On ne trouve pas cependant dans Platon la distinction des vertus morales et des vertus intellectuelles; elle est peut-être implicitement dans son système; mais c'est Aristote qui l'en a tirée. Il mêle l'étude de la vertu. Voir la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 3, § 15, où la théorie de Platon sur l'idée du bien est réfutée tout au long, sans qu'Aristote lui adresse d'ailleurs le reproche qui est formulé ici contre lui. Ces deux sujets n'ont rien de commun. L'un appartient à la Métaphysique, et l'autre à la Morale. § 9. Nos devanciers. Dans la Morale à Nicomaque, Aristote indique encore d'autres théories antérieures aux siennes, celles de Speusippe et d'Eudoxe par exemple. Le résumé qui est fait ici doit paraître bien insuffisant § 10. D'abord il faut bien savoir. Un peu plus haut, l'auteur avait annoncé qu'il commencerait par la théorie de la vertu ; il n'en commence pas moins par la théorie du bien et du bonheur, comme dans la Morale à Nicomaque et la Morale à Eudème. Ce but c'est le bien. Voir la Moraie à Nicomaque, livre 1, ch. 1, § 1 ; et le début de la Politique. D'une manière absolue. Critique indirecte du système de Platon. Une tout autre étude. Réservée à la Métaphysique. § 11. Au point de vue politique. C'est-à-dire le bien que l'homme peut atteindre, et qu'il doit pratiquer dans l a société de ses semblables. Et c'est alors ridée du bien. On dirait que l'auteur revient aux idées Platoniciennes. Il vient d'en emprunter le langage en parlant de « participation ». § 12. Faut-il nous occuper de cette Idée du bien ? Dans la Morale à Nicomaque Aristote se prononce plus affirmativement. Il condamne la théorie du bien en soi, et il la déclare fausse et inutile. Quelque chose de séparé. On peut trouver que la pensée de Platon est ici assez mal reproduite. Ne peut jamais se trouver. Platon dit au contraire formellement que l'idée du bien se retrouve en partie dans toutes les choses bonnes ; et que ces choses ne sont bonnes qu'autant qu'elles participent de l'Idée du bien, qui les fait ce qu'elles bout. Ou peut voir dans un ouvrage de M. Cousin une défense des Idées de Platon contre Aristote ; Du Vrai, du Beau et du Bien, p. 73, 2e édition, 1854. § 13. Bien plutôt... réellement. Le texte n'est pas tout à fait aussi précis. La définition et l'induction On peut trouver que cet argument est un peu brusque et que rien ne l'a préparé. Voir la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 2, § 7; et ch. 3, § 14. Qu'elle est bonne ou qu'elle est mauvaise. La définition se bornant à l'essence des choses, a bien rarement à s'occuper de leurs qualités. § 14. Qui dise de son propre but. Il semble que la morale a le droit et mime le devoir de démontrer que le but qu'elle poursuit est bon. Les exemples qu'on cite un peu plus loin ne prouvent rien, quoiqu'ils soient vrais ; et l'on devait faire une exception pour les sciences philosophiques. § 15. Ce n'est pas a la politique. Ceci semble contredire ce qui a été dit un peu plus haut de la politique. Comme toutes les autres. Loin de là ; dans les théories d'Aristote, la politique est la science fondamentale, et comme il dit : la science architectonique. Morale à Nlcomaque livre I, ch. 1, § 9. Parler de ce bien commun. Id., ibid. Aristote fait de la politique la science du bien suprême. § 16. Et pourquoi ? Ces locutions interrogatives qui sont ici assez fréquentes, et qui donnent au style des allures déclamatoires et peu graves, ne sont guère dans les habitudes d'Aristote. De deux façons. Par la définition et par l'induction. § 17. La science politique n'a point à s'occuper. Les idées se suivent bien, mais elles ne sont pas claires. Les mêmes impossibilités. On explique un peu plus bas ce que sont ces impossibilités ; la politique ne peut pas plus qu'aucune autre science démontrer que son but est bon. Cet argument ne parait pas acceptable; ou bien, si la morale n'a pas le droit de se prononcer sur le but qu'elle poursuit, Platon avait donc toute raison de faire une théorie générale du bien ; et d'assigner le rôle de chaque science relativement à cette Idée commune. § 18. En résumé on peut voir. Cette conclusion ne ressort pas de tout ce qui précède. D'où vient cela? Voir un peu plus haut la remarque que j'ai faite sur une tournure de phrase analogue. Le bien se retrouve dans toutes les catégories. C'est une des objections principales faites dans la Morale à Nicomaque contre la théorie de Platon sur le bien en soi, Morale à Nicomaque, livre I, ch. 3, § 3. Dans la substance. Il n'y a d'énuméré ici que les sis premières catégories; les quatre autres sont omises. § 19. A un moment donné du temps. C'est particulariser encore davantage l'idée du bien, et c'est descendre à des détails trop petits et peu utiles. § 20. Dans la catégorie de la relation. C'est-à-dire, le bien relatif et non plus le bien absolu. Cette distinction est vraie encore comme celle qui précède, et elle est plus pratique; mais la pensée reste obscure parce qu'elle n'est pas assez développée. Il eût été bon de démontrer comment une chose bonne en soi peut devenir mauvaise relativement à telle autre chose ou à tel individu. Encore une fois. J'ai ajouté ces mots pour atténuer la répétition, cette même idée venant d'être exprimée dans les mêmes termes à peu près quelques lignes plus haut. § 21. J'ajoute... Nouvelle critique contre la théorie des Idées, qui n'est pas assez claire. Des exemples matériels et sensibles. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. Je ne crois pas que le conseil donné ici soit très profitable. Les exemples matériels, quand on les applique aux choses de l'entendement, sont peu exacts ; et l'on court grand risque, en voulant éclaircir sa pensée, de l'obscurcir encore davantage de cette façon. C'est là ce qui fait qu'Aristote a proscrit la métaphore en philosophie, et avec grande raison. § 22. Il y a des gens. Platon et son école. Voir la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 3, § 2. C'est l'Idée du bien qui est le bien suprême. Je ne crois pas que cette théorie puisse être imputée justement à Platon. Le bien suprême pour lui n'est que la vertu. Seulement l'Idée du bien est la plus haute et la meilleure de toutes les Idées, dans la hiérarchie qui les subordonne les unes aux autres. § 23. Je le répète. J'ai ajouté ces mots par le même motif que plus haut Que ce but soit bon. Répétition. Ne le dit pas davantage du sien. Elle en aurait le droit cependant, à titre de science morale, où la réflexion apparemment n'est pas interdite. § 24. Que des principes propres. Voir les Derniers Analytiques, livre 1, ch. 9 et 10, p. 51 et suiv. de ma traduction. § 26. Socrate poursuivait. Répétition de ce quia été dit un peu plus haut, § 7. Que rien n'est fait en vain. Principe des causes finales, dont Aristote a fait lui-même te plus grand et le plus heureux usage. Et pourquoi ? Voilà trois fois que cette locution se représente dans ce chapitre. Ce n'est pas le style ordinaire d'Aristote. § 27. Il n'y a rien de pareil pour les vertus. C'est-à-dire que pour être vertueux, il ne suffit pas de savoir, et que de plus il faut agir, principe très vrai qu'Aristote a répété très souvent. La foi sans les oeuvres ne justifie pas, contrairement à ce que croit plus d'un mysticisme. |
Division ordinaire des biens : biens précieux et honorables; biens louables; biens qui ne sont qu'en puissance ; biens conservatifs; biens désirables partout et toujours ; biens qui sont des fins; biens qui ne sont pas des fins. — De la méthode à suivre pour étudier le bien suprême. Difficultés et incertitudes de cette recherche.
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§ 1. Après en avoir fini avec ces préliminaires, essayons de distinguer les différentes acceptions du mot de bien. Parmi les biens, les uns sont vraiment estimables et précieux ; les autres ne sont que louables ; quelques autres enfin ne sont même que des facultés que l'homme peut employer dans un sens ou dans l'autre. J'entends par estimables et précieux ce qui, par exemple, est divin, ce qui est meilleur que tout le reste, comme l'âme, l'entendement. J'entends aussi par là ce qui est plus ancien, et antérieur, ce qui est le principe, et telles autres choses de ce genre ; car les biens précieux sont ceux auxquels s'attache un grand prix, un grand honneur ; et tout ce qu'on vient d'énoncer est d'un grand prix et d'un grand honneur. C'est ainsi que la vertu est quelque chose de très précieux, lorsque, grâce à elle, on devient honnête ; car alors l'homme qui la possède est arrivé à la dignité et à la considération de la vertu. § 2. Il y a d'autres biens qui ne sont que louables ; et telles sont encore, par exemple, les vertus ; car la louange est provoquée par les actions qu'elles inspirent. D'autres biens ne sont que de simples puissances et de simples facultés, comme le pouvoir, la richesse, la force,, la beauté ; car ce sont là des biens dont également l'homme honnête peut faire un bon usage, et dont le méchant peut se servir fort mal. Et voilà pourquoi je dis que ce ne sont des biens qu'en puissance. § 3. Cependant ce sont des biens aussi, parce que chacun d'eux est estimé par l'usage qu'en fait l'homme de bien et non par l'usage qu'en fait le méchant. De plus, les biens de ce genre ne doivent fort souvent leur origine qu'à un effet du hasard qui les produit. La richesse, le pouvoir, n'ont pas d'autre cause fréquemment, non plus que tous les biens qu'on doit mettre au rang de simples puissances. § 4. On peut compter encore une dernière et quatrième espèce de biens ; ce sont ceux qui contribuent à maintenir et à faire le bien ; comme, par exemple, la gymnastique pour la santé, et telles autres choses analogues. § 5. Les biens peuvent être divisés encore d'une autre façon. Ainsi, l'on peut distinguer des biens qui sont toujours et partout désirables ; et d'autres biens qui ne le sont pas. La . justice et en général toutes les vertus sont toujours et partout désirables. La force, la richesse, la puissance et les choses de cet ordre ne sont pas à désirer toujours et à tout prix. § 6. Voici encore une division différente. Parmi les biens, on peut distinguer ceux qui sont des fins et ceux qui ne le sont pas. Ainsi, la santé est une fin, un but ; mais ce qu'on fait pour elle n'est pas un but. Dans tous les cas analogues, la fin est toujours meilleure que les choses au moyen desquelles on la poursuit; et, par exemple, la santé vaut mieux que les choses qui la doivent procurer. En un mot, cet objet universel en vue duquel on fait tout le reste, est toujours fort au-dessus des autres choses qui ne sont faites que pour lui. § 7. Parmi les fins elles-mêmes, la fin qui est complète est toujours meilleure que la fin incomplète. J'appelle complet ce qui, une fois que nous l'avons, ne nous laisse plus le besoin de quoi que ce soit ; et incomplet, ce qui, même étant obtenu par nous, nous laisse encore le besoin de quelque autre chose. Ainsi, par exemple, avec la justice, nous avons encore besoin de bien d'autres choses qu'elle ; mais avec le bonheur,- nous n'avons plus besoin de rien absolument. Le bien suprême que nous cherchons est donc celui qui est une fin finale et complète ; or, c'est la fin finale et complète qui est la bonne ; et d'une manière générale, la fin c'est le bien. § 8. Ceci une fois posé, comment faut-il nous y prendre pour étudier et connaître le bien suprême ? Est-ce par hasard en supposant qu'il doit faire compte, lui aussi, avec d'autres biens ? Mais ce serait absurde, et voici comment. Le bien suprême, le bien le meilleur, est une fin finale et parfaite ; et la fin parfaite de l'homme, pour le dire d'un seul mot, ne peut pas être autre chose que le bonheur. Mais comme d'autre part nous composons le bonheur d'une foule de biens réunis, si en étudiant le bien le meilleur vous le comprenez aussi dans le reste du compte, alors le meilleur sera meilleur que lui-même puisqu'il est le meilleur de tout. Je prends un exemple : si, en étudiant les choses qui donnent la santé et la santé elle-même, on regarde ce qui est dans tout cela le meilleur, et qu'on trouve que le meilleur évidemment c'est la santé, il en résulte que la santé qui est la meilleure de toutes ces choses, est aussi la meilleure en comparaison d'elle-même ; ce qui n'est qu'un non-sens. § 9. Peut-être aussi n'est-ce pas par cette méthode qu'il convient d'étudier la question du bien suprême, du bien le meilleur. Mais faut-il d'ailleurs l'étudier en l'isolant pour ainsi dire de lui-même ? Et cette seconde méthode ne serait-elle pas également absurde ? Ainsi, le bonheur se compose de certains biens ; mais rechercher s'il est encore le meilleur en dehors des biens dont il se compose, c'est absurde puisque sans ces biens le bonheur n'est rien séparément, et qu'il n'est que ces biens mêmes. § 10. Mais ne pourrait-on pas trouver la vraie méthode en essayant d'apprécier le bien le meilleur par comparaison? Je m'explique : ne pourrait-on pas, par exemple, en comparant le bonheur, composé de tous les biens que nous savons, aux autres choses qui ne sont pas comprises en lui, rechercher quel est le bien le meilleur, et par là découvrir la vérité ?
§ 11. Mais ce
bien le meilleur que nous recherchons en ce moment n'est pas simple
; et c'est comme si l'on prétendait que la prudence est le meilleur
de tous les biens, qui lui auraient été comparés un à un. Mais ce
n'est peut-être pas de cette façon qu'il faut étudier le bien le
meilleur, puisque nous cherchons le bien final et complet ; et la
prudence prise à elle toute seule n'est pas complète. Ce n'est donc
pas là le bien le meilleur que nous demandons, pas plus que tout
autre bien qui serait réputé le meilleur au même titre. |
Ch. II. Morale à Nicomaque, livre I, ch. 6, et livre lI, ch. 4. § 1. Parmi les biens. La division des biens donnée ici n'est pas tout à fait celle qu'on trouve dans la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 6, § 2 ; et dans la Morale à Eudéme, livre lI, ch. 4. La distinction faite ici, quoiqu'un peu plus subtile, n'en est pas moins très exacte. Ce qui est divin. C'est ce que Platon appelle les biens divins, en comparaison des biens purement humains. Ce qui est plus ancien, et antérieur. J'ai ajouté ces deux derniers mots. Cette nouvelle pensée ne se lie pas d'ailleurs très bien aux précédentes. § 2. D'autres biens qui ne sont que louables. Cette seconde espèce de biens pourrait se confondre très aisément avec la première. - De simples puissances. C'est-à-dire qu'ils peuvent être indifféremment des biens ou des maux, suivant l'usage qu'on en fait, tandis que la vertu ne peut jamais être qu'un bien. § 3. Ce sont des biens aussi. Voir un argument tout à fait semblable, et dont Aristote a fait un principe très important et très juste dans la Politique, livre I, ch. 2, p. 9 de ma traduction, 2e édition. § 4. Qui contribuent.... â faire le bien. C'est peut-être pousser trop loin la division. La gymnastique se confond avec la santé qu'elle donne. § 5. Et â tout prix. On ne peut désirer la richesse au prix de l'honneur, tandis qu'on peut désirer l'honneur au prix de la richesse. § 6. Ceux qui sont des fins. Ce sont les biens qu'on recherche pour eux seuls. Voir la Morale à Nicomaque livre I, ch. 4, § 3. § 7. La fin complète... La fin incomplète. Id. ibid. livre I, ch. 1 et 4. Que nous cherchons. L'auteur n'a pas annoncé que ce fût là l'objet de ses recherches. La fin finale. Cette espèce de tautologie est dans le texte § 8. Pour étudier et connaître le bien suprême. Dans la Murale à Nicomaque, livre 1, ch. 4, 2 et 3, et dans la Morale à Eudème livre 1, ch. 6, la question de la méthode à suivre en-morale est également discutée. Autre chose que le bonheur. C'est bien là aussi la doctrine d'Aristote dans la Morale à Nicomaque. Mais on peut répondre à cette théorie que la fin véritable et dernière de l'homme, c'est la vertu. Il est vrai qu'Aristote semble très souvent confondre la vertu avec le bonheur, et ce ne serait plus alors qu'une question de mots. Mais trop sauvent aussi, il place le bonheur, du moins en partie, dans les biens extérieurs; et alors la différence est immense. Le meilleur sera meilleur. C'est un argument bien subtil ; et l'auteur lui-même semble le condamner ; mais peut-être cet argument venait-il d'une autre école. § 9. En l'isolant... de lui-même Cette critique s'adresse sans doute à l'école de Platon. § 10. Trouver la vraie méthode. La vraie méthode serait l'étude de l'âme humaine d'abord; et l'on comparerait ensuite les principes obtenus par la psychologie avec les faits et la réalité extérieure. C'est à peu près la méthode dont Platon donnait l'exemple à son disciple.
§ 11. N'est pas simple.
Il semble au contraire qu'il l'est ; et que, si l'on faisait
consister le bonheur dans la vertu, la recherche ne serait pas aussi
compliquée, si d'ailleurs la pratique en était difficile. Dans la
Morale à Nicomaque et dans la Morale à Eudème, ces questions de
méthode sont exposées bien plus nettement. |
Autre division des biens : biens de l'âme biens du corps; biens extérieure. — La fin est toujours double. — L'usage et la simple possession. --- L'acte est supérieur à la faculté.
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§ 1. Il faut ajouter que les biens peuvent encore être classés d'une autre manière. Les uns sont dans l'âme, ce sont les vertus ; les autres, dans le corps, comme la santé, la beauté ; d'autres nous sont tout à fait extérieurs comme la richesse, le pouvoir, les honneurs, et autres avantages analogues. De tous ces biens, ceux de l'âme sont les plus précieux sans contredit. § 2. Les biens de l'âme se divisent eux-mêmes en trois classes : pensée, vertu, plaisir. La conséquence et la suite de tous ces biens divers, c'est ce que tout le monde appelle et qui est réellement la fin même de tous les biens, et le plus complet de tous, c'est-à-dire le bonheur; et, selon nous, le bonheur est la même chose identiquement que bien faire et se bien conduire. § 3. Mais la fin n'est jamais simple ; elle est double. Dans certaines choses, c'est l'acte même, c'est l'usage qui est leur fin, comme pour la vue l'usage actuel est préférable à la simple faculté. L'usage est la vraie fin, et personne apparemment ne voudrait de la vue, à la condition de ne pas voir et de fermer perpétuel lement les yeux. Même observation pour les sens de l'ouïe, et pour tous les autres sens. § 4. Dans les cas où il y a usage tout ensemble et faculté, c'est l'usage qui est toujours meilleur et plus souhaitable que la faculté et la simple possession; car l'usage et l'acte sont eux-mêmes une fin, tandis que la faculté, la possession n'existe qu'en vue de l'usage. § 5. Si l'on veut bien regarder en outre à toutes les sciences, on verra, par exemple, que ce n'est pas une certaine science qui fait la maison, puis une certaine autre science qui fait la bonne maison, mais que c'est l'architecture uniquement qui les fait toutes deux. Le mérite de l'architecte consiste précisément à bien faire l'oeuvre même qu'il fait ; et de même pour tout le reste. |
Ch. III. Morale à Nicomaque, livre I, ch. 6; Morale à Eudème, livre II, ch. 1. § 1. Les uns sont dans l'âme. Cette division des biens est celle qu'on rencontre le plus généralement dans la Morale à Nicomaque et la Morale à Eudème. § 2. Les biens de l'âme Cette subdivision des biens de l'âme est tout à fait péripatéticienne, quoiqu'Aristote ne l'exprime point d'ordinaire avec autant de précision. On a vu par une foule de passages dans la Morale à Nicomaque qu'il n'exclut pas le plaisir du rang des biens. Et se bien conduire. Le texte dit : « bien vivre. » § 3. Elle est double. C'est-à-dire qu'elle peut être ou l'usage de la faculté qu'on possède, en la simple faculté. Sur cette dlfférence, voir la Morale à Nicomaque, livre 1, ch. 6, § 8, où cette idée est développée beaucoup plus clairement. § 4. Dans les cas où il y a usage. Il eût été bon de citer des exemples qui auraient éclairci la pensée, comme on vient de le faire un peu plus haut. La faculté et la simple possession. II n'y a qu'un seul mot dans le texte.
§ 5. Si l'on veut bien regarder. La remarque est vraie, et on
l'a trouvée déjà dans la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 4, § 14.
Mais les idées se suivent peu ici ; et l'on ne voit pas comment
celle-ci se rattache à ce qui précède. |
La vertu est dans l'âme, et c'est l'âme qui constitue l'homme essentiellement. — Définition du bonheur. Ses conditions nécessaires en lui-même, et dans les êtres qui peuvent le posséder. -- Le bonheur consiste surtout dans l'acte. — Digression sur les facultés diverses de rame, et spécialement sur la faculté nutritive.
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§ 1. On peut observer, après cela, que nous ne vivons réellement par aucun autre principe que par notre âme. Or, la vertu est dans l'âme ; et quand nous disons que l'âme fait quelque chose, cela revient absolument à dire que c'est la vertu de l'âme qui la fait. Mais la vertu dans chaque genre fait que la chose dont elle est la vertu, est bonne comme elle peut l'être ; or, l'âme est soumise comme le reste à cette règle ; et puisque nous vivons par l'âme, c'est par la vertu de l'âme que nous vivons bien. § 2. Mais bien vivre et bien faire n'est pas autre chose que ce que nous appelons être heureux. Ainsi donc, être heureux, ou le bonheur ne consiste qu'à bien vivre ; mais bien vivre, c'est vivre en pratiquant les vertus. En un mot, c'est, là la vraie fin de la vie, le bonheur et le bien suprême. § 3. Le bonheur, par conséquent, se trouvera dans un certain usage des choses, et dans un certain acte ; car, ainsi que nous l'avons dit, toutes les fois qu'il y a en même temps faculté et usage, c'est l'usage et l'acte qui sont la fin véritable des choses. La vertu n'est qu'une faculté de l' âme ; mais, pour elle, il y a de plus l'usage et l'acte des vertus qu'elle possède ; et par suite, c'est l'acte et l'usage de ces vertus qui sont aussi sa vraie fin. Donc, le bonheur consiste à vivre selon les vertus. § 4. D'autre part, comme le bonheur est le bien par excellence, et qu'il est une fin en acte, il s'ensuit qu'en vivant suivant les vertus, nous sommes heureux, et que nous jouissons du bien suprême. § 5. Par suite encore, comme le bonheur est le bien final et la fin de la vie, il est bon de remarquer qu'il-ne peut se trouver que dans un être complet et parfaitement fini.- Je m'explique, et je dis, par exemple, que le bonheur ne sera pas dans l'enfant ; l'enfant n'est pas heureux ; mais le bonheur sera exclusivement dans l'homme fait, qui seul est un être complet. J'ajoute qu'il ne se trouvera pas non plus dans un temps incomplet et inachevé, mais bien dans un temps complet et consommé ; et par temps complet, je comprends celui qu'embrasse la vie entière de l'homme. A mon avis, on a bien raison de dire qu'il ne faut juger du bonheur des gens que sur le temps le plus long de leur vie ; et le vulgaire, en répétant ce propos, semble penser que tout ce qui est complet doit être et dans un temps complètement révolu, et dans un homme complet. § 6. Voici une autre preuve qui démontre bien que le bonheur est un acte. Si par hasard quelqu'un dormait durant toute sa vie, nous ne voudrions certainement pas l'appeler un être heureux, pendant ce long sommeil. Pourtant, il vit encore en cet état ; mais il ne vit pas selon les vertus ; ce qui est seul, comme nous l'avons dit, vivre en acte, vivre en réalité. § 7. Après ces considérations, nous allons traiter une question qui ne paraîtra ni tout à fait propre ni tout à fait étrangère à notre sujet. Nous dirons donc qu'il y a dans l'âme, à ce qu'il semble, une partie par laquelle nous nous nourrissons, et nous l'appelons la partie nutritive de l'âme. La raison peut comprendre cela sans peine. Comme les choses inanimées, les pierres, évidemment sont incapables de se nourrir, il en résulte que se nourrir est une fonction des êtres qui sont animés, qui ont une âme ; et si cette fonction n'appartient qu'aux êtres doués d'une âme, c'est l'âme qui en est cause. § 8. Or, parmi les parties dont l'âme se compose, il en est qui ne sauraient être cause de la nutrition : par exemple, la partie qui raisonne, la partie passionnée, la partie concupiscente ; et après ces parties diverses, il reste unique ment dans l'âme cette autre partie que nous ne pouvons mieux nommer qu'en l'appelant la partie nutritive. § 9. Eh quoi ! pourrait-on demander : Est-ce que par hasard cette partie de l'âme peut, elle aussi, avoir la vertu ? Si elle le peut, il est évident qu'il faudra que l'âme agisse aussi par elle, puisque l'acte de la vertu complète est le bonheur. Qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de la vertu dans cette partie de l'âme, c'est une question d'un autre ordre; mais s'il y en a par hasard, il n'y a pas du moins d'acte pour elle. Et voici pourquoi : Les êtres qui n'ont pas de mouvement propre ne peuvent pas non plus avoir d'acte qui leur soit propre. Or, il ne semble pas qu'il y ait de mouvement spontané dans cette partie. On dirait bien plutôt qu'elle a quelque chose de la nature du feu. Le feu dévorera tout ce que vous jetterez dedans ; mais si vous ne lui jettez pas des aliments, il n'a pas de mouvement pour aller les prendre. De même, aussi pour cette partie de l'âme : si l'on y jette de la nourriture, elle nourrit le corps ; et si on ne lui en jette pas, elle n'a pas spontanément le pouvoir propre de le nourrir. Il n'y a pas d'acte là ou il n'y a pas de spontanéité; et par conséquent, cette partie ne contribue en rien au bonheur. § 10. Après ce qui précède, nous devons expliquer la nature propre de la vertu, puisque c'est l'acte de la vertu qui est le bonheur. On pourrait tout d'abord, et d'une manière générale, dire que la vertu est la faculté et la disposition la meilleure de l'âme. Mais peut-être une définition aussi concise ne suffirait-elle pas ; et il faut la développer pour la rendre plus claire. |
Ch. IV. Morale-à Nicomaque, livre I, ch. 4; Morale à Eudème, tout le premier livre, et spécialement, ch. 7; et livre II, ch. 1. § 1. Que nous vivons réarment. C'est le résumé exact de la doctrine du Traité de l'Âme. § 2. Bien faire... être heureux. On peut identifier ces deux choses comme on le fait ici ; mais elles ne sont pas absolument pareilles, du moins dans le langage ordinaire; et l'on peut se conduire très vertueusement et n'être point heureux. Bien vivre. Ou se bien conduire. J'ai pris indifféremment tantôt l'une de ces expressions, et tantôt l'autre. C'est ici la vraie fin de la vie. Dans la Morale à Nicomaque, Aristote a confondu, comme on le fait ici, la vertu et le bonheur; c'est une confusion fâcheuse La vertu est ordinairement heureuse ; mais le fût-elle même toujours, il faudrait encore la distinguer du bonheur qui n'en est que la conséquence. § 3. Ainsi que nous l'avons dit. Dans le chapitre précédent, § 4. Le bonheur consiste à vivre selon les vertus. Voilà bien la vérité; mais il ne s'ensuit pas que la. vert» et le bonheur se confondent. Ceci même sert au contraire à les distinguer profondément. § 4. Le bonheur est le bien par excellence. C'est la vertu, et non le bonheur, qui doit occuper cette place supérieure. § 5. Le bonheur est... la fin de la vie. C'est une erreur ; la fin de la vie, c'est la vertu, le devoir, le bien. L'enfant n'est pas heureux. Voir la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 7, § 10. La vie entière de l'homme. Id. ibid. § 6. Voici une autre preuve. Cette pensée est certainement d'Aristote, et on la retrouve plusieurs fois dans la Morale à Nicomaque, notamment livre X, ch. 8, § 7 ; mais la forme sous laquelle cette pensée est présentée ici peut paraître assez singulière. Comme nous l'avons dit. Un peu plus haut dans ce chapitre même. § 7. Ni tout à fait propre.... à notre sujet. Voir la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 11, § 11. - Des êtres animés. -- Voir le traité de l'Aine, livre II, ch. 2, § 7, de ma traduction. § 8. La partie nutritive, C'est le nom qu'Aristote lui donne aussi dans le Traité de l'Âme. § 9. Eh quoi ! Locution en peu déclamatoire comme quelques autres que j'ai déjà signalées, et qui ne sont guère dans les habitudes d'Aristote. C'est une question d'un autre ordre. Il semble au contraire que la question est tellement évidente qu'il n'est pas même besoin de la poser. Mais du moment que l'on fait de l'aine la cause de la nutrition, comme on la fait cause de la vertu, le problème peut être soulevé. Il semble du reste ici même être résolu négativement. Quelque chose de la nature du feu. Voir la même pensée exprimée dans les mêmes termes à peu près, Traité de l'Âme. livre II, ch. 6, § 8, p. 191 de ma traduction. Seulement dans ce dernier ouvrage, Aristote attribue la nutrition exclusivement à rame; et il repousse le système des philosophes qui accordaient à l'action du feu une trop grande part dans la nutrition. Où il n'y a pas de spontanéité. Dans le Traité de l'Ame aussi, le mouvement est attribué à l'âme toute-seule. § 10. La disposition la meilleure de l'âme. Voir dans la Morale à Nicomaque, livre I. ch. 4, § 15 ; et Morale à Eudème, livre II, ch. 1. |
Division
de l'âme en deux parties : l'une raisonnable; l'autre irrationnelle.
Vertus de l'une et de l'autre. -- L'excès, soit en plus, soit en
moins, détruit la vertu. Exemples divers. Exemple spécial du
courage. |
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§ 1. En premier lieu, il faut parler de l'âme dans laquelle réside la vertu. Mais ici nous n'avons pas à dire ce qu'est essentiellement l'âme; car cette question est traitée ailleurs, et il faut nous borner à en esquisser les traits principaux. L'âme, ainsi que nous venons de le rappeler, se divise en deux parties, l'une raisonnable, et l'autre irraisonnable. Dans la partie qui est douée de la raison, on peut distinguer la prudence, la sagacité, la sagesse, l'instruction, la mémoire et autres facultés de ce genre. C'est dans la partie irraisonnable que se trouve ce qu'on appelle les vertus : la tempérance, la justice, le courage, et toutes les autres vertus morales qui semblent dignes d'estime et de louanges. § 2. C'est grâce à elles, quand nous les possédons, que l'on dit de nous que nous méritons l'estime et l'éloge. Mais jamais on ne reçoit de louanges pour les vertus de la partie de l'âme qui a la raison ; et ainsi; on ne loue pas quelqu'un directement parce qu'il est sage, ni parce qu'il est prudent, ni en général pour aucune des vertus de cet ordre. Je veux dire qu'on loue uniquement la partie irraisonnable de l'âme, en tant qu'elle peut servir et qu'elle sert la partie raisonnable en lui obéissant. § 3. Mais la vertu morale se détruit et se perd à la fois et par le défaut et par l'excès. Que le défaut et l'excès détruisent les choses, c'est ce qu'il est facile de voir dans toutes les affections morales. Mais comme pour des choses obscures, il faut se servir d'exemples parfaitement clairs, je cite les exercices gymnastiques, où l'on peut aisément se convaincre de cette vérité. La force se détruit également, et quand on fait trop d'exercices, et quand on n'en fait pas assez. De même pour le boire et le manger : pris en trop grande quantité, la santé s'y perd; si l'on en prend trop peu, elle n'y périt pas moins ; et ce n'est que par une juste mesure que l'on conserve et la force et la santé. § 4. On peut faire une remarque toute pareille pour la tempérance, pour le courage, et en général pour toutes les vertus. Par exemple, si l'on suppose quelqu'un qui soit si peu accessible à la crainte, qu'il ne craindrait même pas les Dieux, ce ne sera plus là du courage, ce sera de la folie. Si vous supposez au contraire qu'il craint tout, vous en faites un lâche. Le coeur vraiment courageux ne sera, ni celui qui craint tout, ni celui qui ne craint absolument rien. § 5. Ce sont donc les mêmes causes, qui augmentent ou qui détruisent la vertu. Ainsi, les craintes, quand elles sont trop fortes et qu'elles s'adressent à tout indistinctement, détruisent le courage, de même que le détruisent les aveuglements qui n'ont jamais crainte de rien. Or, le courage est relatif aux craintes ; et les craintes modérées ne font qu'augmenter le courage véritable. On voit, je le répète, que ce sont les mêmes causes qui augmentent et détruisent le courage ; car ce sont toujours des craintes qui produisent en nous ces sentiments divers. Même observation sur les autres vertus. |
Ch. V. Morale à Nicomaque, livre 1, ch. 2, et livre II, ch. 2 ; Morale à Eudème, livre II, ch. 3 et 4.. § 1. Cette question est traitée ailleurs. Dans le Traité de l'Âme. Et l'autre irraisonnable. Dans le sens où l'a expliqué la Morale à Nicomaque, cette seconde partie n'a pas la raison en partage ; mais elle peut obéir à la raison, quand la raison lui parle. C'est dans la partie irraisonnable. Que se trouvent les vertus morales proprement dites. Les vertus intellectuelles sont dans la partie de l'âme qui est douée de la raison. Quelle que soit la valeur de ces théories, on voit qu'Aristote s'adresse d'abord à le psychologie pour approfondir la morale. § 2. L'estime et l'éloge. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. On ne loue pas quelqu'un directement. J'ai ajouté ce dernier mot pour atténuer ce que cette proposition a de choquant. En effet on loue très justement quelqu'un parce qu'il est prudent et sage, aussi bien qu'on le loue parce qu'il est tempérant. Les vertus intellectuelles sont dignes de louange, en ce qu'elles ont dû être cultivées aussi pour se développer. Les germes les plus féconds accordés par le ciel risquent d'avorter, si celui qui les a reçus de Dieu ne les soigne pas avec sollicitude. L'homme a donc sa part dans les vertus intellectuelles, tout comme dans les vertus morales, quoiqu'un peu moins grande peut-être. § 3. Dans toutes les affections morales. M. Spengel propose de changer le texte et de lire d'après un passage de Stobée : Dans toute, les sensations. Je ne crois pas cette modification nécessaire. Seulement, il faut admettre qu'il n'est pas question dans le texte d'une citation de la Morale, et il faut traduire comme je l'ai fait. Voir le mémoire de M. Spengel, Sur les ouvrages Moraux d'Aristote, Mémoires de l'Académie des sciences de Bavière, tome II, p. 513. Comme pour des choses obscures. Principe tout péripatéticien, et qu'il est excellent d'appliquer dans une foule de cas. Les exercices gymnastiques... Le boire et le manger. Voir les mènes idées dans la Morale à Nicomaque, livre ll, ch. 2, § 6; et ch. 6, § 7. § 4. Pour le courage. Dans la Morale à Nicomaque, id. ibid; c'est aussi le courage qui est cité le premier comme exemple du milieu qui constitue la vertu; mais cette partie de la théorie y est beaucoup plus développée. § 5. Et les craintes modérées. Il est certain que la crainte dans une certaine mesure, ou du moins la connaissance du danger, est un élément indispensable du courage. Quand on ne sait pas qu'il y a du péril, soit par ignorance, soit par insensibilité, il n'y a point de mérite à le braver. Voir la théorie spéciale du courage avec tous ses développements, dans la Morale à Nicomaque, livre III, ch. 8, § 2. |
De l'influence du plaisir et de la douleur sur la vertu. ---- De l'influence de l'habitude. — La morale tire son nom de l'habitude, dans la langue grecque.
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§ 1. L'excès et le défaut ne sont pas d'ailleurs les seules limites qu'on puisse donner à la vertu ; on peut la limiter et la déterminer encore par la douleur et le plaisir. Souvent c'est le plaisir qui nous pousse au mal, comme la douleur nous empêche souvent de faire le bien ; en un mot, on ne saurait trouver en aucun cas, ni la vertu, ni le vice, sans qu'il n'y ait en même temps peine ou plaisir. § 2. Ainsi, la vertu se rapporte aux plaisirs et aux douleurs ; et voici d'où la vertu morale tire le nom qui la désigne, si toutefois l'on peut prétendre dans la lettre même d'un mot découvrir la vérité, et y trouver ce qu'elle est réellement, moyen qui peut-être n'est pas plus mauvais qu'un autre. Le moral, qui se dit dans la langue grecque éthos, par un é long, est ainsi dénommé de l'habitude qui se dit éthos, par un é bref ; et la morale, éthiké, ne s'appelle ainsi en grec que parce qu'elle résulte d'habitudes ou de moeurs, éthidzesthai.
§ 3. Ceci doit
encore nous montrer clairement qu'aucune des vertus de la partie
irraisonnable de l'âme ne nous est innée par l'action seule de la
nature. Il n'y a pas une chose de nature qui puisse, par l'habitude,
devenir autre qu'elle n'est. Ainsi, par exemple, la pierre et en
général tous les corps pesants, tous les graves sont naturellement
portés en bas. On a donc beau jeter une pierre en l'air et
l'habituer en quelque sorte à y monter, elle n'ira pas pour cela
jamais d'elle même en haut; elle ira toujours en bas. Et de
même pour tous les autres cas de ce genre. |
Ch. VI. Morale à Nicomaque, livre II, ch. 4. et 3; Morale à Eudème, livre II, ch. 4.. § 1. La limiter et la déterminer. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte.
§ 2.
Et voici d'où la vertu morale... « Voici
»
annonce que l'explication va suivre; mais dans le grec, il
semblerait que la vertu morale tire sa désignation des plaisirs et
des peines, dont on vient de parler dans la phrase précédente. Qui
se dit dans la langue grecque. J'ai dû paraphraser le texte pour
faire bien D'habitudes ou de moeurs. Il n'y a qu'un mot dans l'original ; mais j'ai dû mettre le second pour que la ressemblance et la dérivation fussent aussi frappantes dans notre langue qu'elles le sont en grec. § 3. Innée par l'action seule de la nature. A la différence des vertus intellectuelles, que la nature nous donne, et que l'habitude seule ne pourrait pas nous procurer.
La
pierre... Exemple cité aussi dans la Morale à Nicomaque, livre
ll, ch. 4, § 2, et qu'Aristote a bien souvent répété dans ses divers
ouvrages. |
Des
divers phénomènes de l'âme : les affections, les facultés, les
dispositions. — Définition de ces trois choses. — La bonne
disposition est également éloignée de l'excès en plus et du défaut
en moins. — Exemples divers. |
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§ 1. Après cela, il faut, puisque nous voulons étudier la nature de la vertu, savoir tout ce qu'il y a dans l'âme et tous les phénomènes qui s'y produisent. Or, il y a trois choses dans l'âme : des affections ou passions, des facultés, des dispositions, de telle sorte que la vertu doit être une de ces trois choses-là. Les passions ou affections sont, par exemple, la colère, la crainte, la haine, le désir, l'envie, la pitié et tous les autres sentiments de ce genre, qui d'ordinaire ont pour suites inévitables la peine ou le plaisir. § 2. Les facultés sont les puissances intimes d'après lesquelles on. peut nous dire capables de ces passions diverses ; et, par exemple, ce sont les puissances qui nous rendent capables de nous mettre en colère, de nous affliger, de nous apitoyer, et de ressentir telles autres affections analogues. § 3. Enfin, les dispositions sont les conditions particulières qui font que nous sommes bien ou mal disposés par rapport à tous ces sentiments. Ainsi, pour ce qui regarde la faculté de se mettre en colère, si l'on s'y met avec une excessive facilité, c'est une mauvaise disposition en ce qui regarde la colère ; et si nous ne nous y mettons pas du tout, même pour les choses qui peuvent provoquer très légitimement notre courroux, c'est encore également une mauvaise disposition en fait de colère. La disposition moyenne entre ces deux extrêmes consiste à ne pas s'emporter par trop violemment, et à n'être pas non plus par trop insensible; et quand nous sommes disposés ainsi, nous sommes disposés comme il faut. On pourrait faire une observation pareille pour tous les cas analogues. § 4. C'est qu'en effet la modération, qui ne se met en colère qu'avec raison, et la douceur, tiennent le milieu entre l'irritabilité qui nous jette sans cesse dans la colère, et l'indifférence qui fait que nous ne nous irritons jamais. Même remarque pour la fanfaronnade, qui se vante de tout, et la dissimulation, qui ne dit pas les choses. Feindre d'avoir plus qu'on a, c'est de la fanfaronnade ; feindre d'avoir moins, c'est de la dissimulation. Le milieu entre ces extrêmes est précisément la vérité et la franchise. |
Ch. VIl. Morale à Nicomaque, livre II, ch. 5 ; Morale à Eudème, livre II, ch. 2. § 1. Après cela. Cette locution revient très fréquemment dans le texte, surtout au début des chapitres. C'est une négligence que commet rarement Aristote, quoique assez peu soucieux de son style en général. Affections ou passions. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. Il faut se rappeler qu'il ne s'agit ici que de la partie irraisonnable de l'âme, et par conséquent, des seules vertus morales. § 2. Les facultés. Même remarque. On voit qu'il n'est pas question de toutes les facultés de l'âme.
§ 3. Bien ou mal disposés.
Suivant le caractère, le tempérament; ou les habitudes des
individus, les dispos¬tions sont très variables. |
Des
dispositions : bonnes, elles sont dans une sorte de milieu;
mauvaises, elles sont dans l'excès ou dans le défaut. --- Objections
sur les biens qui ne sont ni dans le défaut ni dans l'excès. --
Réfutation de cette objection. |
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§ 1. De même encore pour tous les autres sentiments. Pour eux aussi, la fonction propre de la disposition morale, c'est de faire que nous soyons bien ou mal à l'égard des choses diverses que ces sentiments concernent. Être bien disposé, c'est n'être, ni dans l'excès en trop, ni dans le défaut en moins. Ainsi, la disposition est bonne à l'égard des choses qui peuvent nous mériter la louange, quand elle se tient dans une sorte de milieu. La disposition est mauvaise, quand on est dans l'excès ou dans le défaut. § 2. Puis donc que la vertu est le milieu dans les affections de l'âme, et que les affections, ou en d'autres termes les passions de l'âme, sont ou des peines ou des plaisirs, il n'y a pas de vertu sans peine ou sans plaisir. Cela même nous prouve encore, d'une manière générale, que la vertu se rapporte aux peines et aux plaisirs de l'âme. § 3. On pourrait objecter à cette théorie qu'il y a encore d'autres passions pour lesquelles le vice n'est ni dans l'excès ni dans le défaut ; par exemple, l'adultère ; l'homme qui le commet, ne peut pas séduire plus ou moins les femmes libres qu'il perd. Mais on ne voit pas, en faisant cette objection, que ce vice même et tout autre vice analogue qu'on pourrait citer, est compris dans le plaisir coupable de la débauche ; et que, présentant à ce point de vue, soit un excès, soit un défaut, il est blâmable au même titre que tous les autres. |
Ch. VIII. Morale à Nicomaque, livre II, ch. 5 et 8; Morale à Eudème, livre II, ch. 2 et 4. § 1. Que nous soyons bien ou mal. Répétition de ce qui vient d'être dit au chapitre précédent. § 2. Ou en d'autres termes les passions. Paraphrase du mot qui précède, et qui est seul dans le texte. § 3. On pourrait objecter. Cette objection contre la théorie des milieux est d'Aristote lui-même, allant ainsi au devant des critiques. On la trouvera développée dans la Morale à Nicomaque, livre II, ch. 8, § 18; et dans la Morale à Eudème, livre II, eh. h, vers la fin.
Dans le plaisir coupable
de la débauche. Et qu'Il rentre ainsi dans la théorie générale
des milieux. |
Le contraire du milieu, qui est la vertu, est tantôt le défaut, tantôt l'excès. Exemples divers et opposés. — Les deux extrêmes peuvent être contraires au milieu. -- Deux méthodes pour distinguer le contraire. Voir quel est le contraire le plus éloigné. Voir aux penchants naturels. — Difficulté et mérite de la vertu.
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§ 1. La suite nécessaire de ceci, c'est d'expliquer quel est le contraire de ce milieu qui fait la vertu. Est-ce l'excès? est-ce le défaut? Il est certains milieux dont le contraire est le défaut; il en est d'autres pour lesquels c'est l'excès. Ainsi, le contraire du courage, ce n'est pas la témérité, qui est un excès ; c'est la lâcheté, qui est un défaut. Loin de là, pour la tempérance, qui est le milieu entre la débauche sans frein et l'insensibilité, eu ce qui concerne le plaisir, le contraire n'est pas l'insensibilité qui est un défaut ; c'est la débauche, laquelle est un excès. § 2. Au reste, les deux extrêmes peuvent à la fois être contraires au milieu, l'excès comme le défaut ; car le milieu est en défaut relativement à l'excès, et il est en excès relativement au défaut. Ceci nous explique pourquoi les prodigues trouvent que les gens généreux n'ont pas de générosité, et pourquoi les gens qui n'ont pas de générosité traitent les gens généreux de prodigues. Ceci nous explique encore comment les téméraires et les imprudents appellent les gens courageux des lâches, et comment les lâches appellent les gens courageux des téméraires et des fous. § 3. Il y a deux motifs pour qu'on doive considérer ainsi l'excès et le défaut, comme les contraires du milieu. D'abord, on peut ne regarder qu'à la chose même et voir quelle est des deux extrémités celle qui est la plus éloignée ou la plus proche du milieu. Ainsi, par exemple, on peut se demander si c'est la prodigalité ou l'avarice qui est le plus éloignée de la générosité véritable ; et comme la prodigalité semblerait être de la générosité plutôt que l'avarice, cette dernière paraîtrait plus éloignée du milieu. Or, les choses les plus éloignées du milieu semblent aussi les plus contraires. Ainsi donc, en ne s'en tenant qu'à la chose même, le défaut dans ce cas paraîtrait plus contraire au milieu que l'autre extrême. § 4. Mais il est encore un second moyen d'apprécier ces nuances ; et le voici. Les penchants auxquels nous sommes le plus portés par la nature, sont aussi les plus contraires au milieu : par exemple, la nature nous pousse au dérèglement et à la débauche plus qu'à la réserve et à la tempérance. Les penchants qui nous sont naturels ne font que s'accroître de plus en plus ; et les choses auxquelles nous ajoutons sans cesse, deviennent aussi de plus en plus contraires. Or, nous donnons et nous inclinons bien plus à la débauche qu'à la tempérance ; et c'est alors l'excès, et non le défaut, qui parait être plus contraire au milieu ; car la débauche est le contraire de la sagesse, et elle est un coupable excès. § 5. Nous avons donc étudié la nature de la vertu ; et nous voyons que c'est une sorte de milieu dans les passions de l'âme. Aussi, l'homme qui veut acquérir par sa moralité une véritable considération, doit rechercher avec soin le milieu dans chacune des passions qu'il peut ressentir.
§ 6. Voilà
pourquoi c'est une grande oeuvre que d'être vertueux et bon. Car, en
toute chose, il est difficile de trouver le milieu ; et, par
exemple, s'il est donné à tout le monde de tracer un cercle, il est
très difficile de trouver le vrai milieu de ce cercle une fois
tracé. Cette comparaison ne s'applique pas moins aux sentiments
moraux. Il est aussi très facile de se mettre toujours en colère, et
il ne l'est pas moins de rester dans l'état contraire de celui-là.
Mais se tenir dans un milieu convenable est chose fort mal aisée. En
général, on peut voir, pour toutes les passions indistinctement,
qu'il est facile de tourner autour du milieu, mais que le milieu qui
mérite véritablement la louange est difficile à rencontrer ; et
aussi la vertu est-elle |
Ch. IX. Morale à Nicomaque, livre II, ch. 7; Morale à Eudème, livre II, ch. 5. § 1. La suite nécessaire de ceci. J'ai varié les formules par lesquelles débutent les chapitres; mais dans le teste, c'est presque toujours la même, ainsi que je l'ai déjà remarqué plus haut, dans la note 4, sur le ch. 7. J'ai cru devoir éviter cette monotonie et celte négligence. C'est la lâcheté... C'est la débauche. Ces exemples sont aussi ceux que l'on trouve dans la Morale à Nicomaque, et dans la Morale à Eudème ; et ils sent très justes. § 2. Les gens qui n'ont pas de générosité. Toutes ces répétitions sont dans le texte. Il eût peut-être été plus exact et plus clair de dire : « les avares. » § 8. Le défaut dans ce cas. J'ai ajouté ces derniers mots pour éclaircir la pensée, puisqu'il est des cas où c'est l'excès et non pas le défaut qui est le plus éloigné du milieu, et qui est son vrai contraire, comme pour la débauche, qu'on cite un peu plus bas. § 9. Et le voici. L'original est moins net que ma traduction. J'ai dû tacher d'éclaircir la pensée. § 6. De tracer un cercle,... Une rois tracé. J'ai dû ajouter ces derniers mots pour que la pensée fût juste. Il faut entendre qu'il s'agit de trouver le centre du cercle par des moyens géométriques; car autrement la chose serait parfaitement aisée avec l'ouverture même du compas qui vient de servir à tracer le cercle. La comparaison d'ailleurs pouvait être mieux choisie ; elle se retrouve, ainsi que toutes ces idées de ce chapitre, dans la Morale à Nicomaque, livre Il, ch. 9, § 2. |
La vertu
dépend de l'homme ; elle est volontaire, ainsi que le vice. — Erreur
de Socrate. — Les législations, l'estime et le mépris des hommes
prouvent que la vertu dépend de notre libre arbitre. -- Autres
preuves à l'appui de cette théorie. — L'homme, comme le reste de la
nature, a la .force de produire certaines choses et certains actes.
Ces actes changent; et avec eux changent aussi les principes par
lesquels l'homme les produit : la volonté; la détermination. La
liberté dans l'homme est incontestable. |
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§ 1. Puisque nous parlons de la vertu, il est bon d'examiner, après ce qui précède, si la vertu peut ou ne peut pas s'acquérir ; ou bien, si comme le prétendait Socrate, il ne dépend pas de nous d'être bons ou mauvais : « Demandez, disait-il, à un homme quel qu'il soit s'il veut être bon ou méchant ; et vous verrez certainement qu'il n'est personne qui préfère jamais être vicieux. Faites la même épreuve pour le courage, pour la lâcheté, et pour toutes les autres vertus ; et vous aurez toujours le même résultat » . § 2. Socrate en concluait que s'il y a des méchants, ils ne sont évidemment méchants que malgré eux ; et, par suite aussi, il n'était pas moins évident pour lui que les hommes sont vertueux sans la moindre intervention de leur part. § 3. Ce système, quoiqu'en dise Socrate, n'est pas vrai. Et pourquoi donc alors le législateur défend-il de commettre de mauvaises actions, et ordonne-t-il d'en faire de bonnes et de vertueuses? Pourquoi impose-t-il des peines à celui qui commet des actions mauvaises, ou qui n'accomplit pas les bonnes qu'il commande ? Le législateur serait bien absurde de nous ordonner, dans ses lois, des choses qui ne dé pendraient pas de nous. § 4. Mais loin de là ; il est certain qu'il dépend des hommes d'être bons ou mauvais ; et, ce qui le prouve encore, ce sont les louanges et le mépris dont les actions humaines sont l'objet. La louange s'adresse à la vertu ; le mépris s'adresse au vice. Mais ni l'un ni l'autre ne pourraient s'appliquer à des actes involontaires. Donc évidemment à ce point de vue encore, il faut qu'il dépende de nous de faire le bien et de faire le mal. § 5. On a fait encore une espèce de comparaison pour prouver que l'homme n'est pas libre : « Pourquoi, dit-on, quand nous sommes malades, ou que nous sommes laids, ne nous blâme-t-on pas ? » Mais ceci est une erreur ; et nous blâmons vivement les gens, quand nous croyons que c'est eux-mêmes qui sont cause de leur maladie ou de leur laideur, parce que nous pensons que, même en cela, il y a quelque chose de volontaire. Mais le volontaire, la liberté s'applique surtout au vice et à la vertu. § 6. En voici une preuve encore plus frappante. Toute chose dans la nature est capable d'engendrer une substance pareille à ce qu'elle est elle-même. Témoins, les animaux et les végétaux, qui les uns et les autres sont capables de se . reproduire. Les choses se reproduisent, grâce à certains principes, comme l'arbre se reproduit de la graine qui en est le principe en quelque sorte. Mais ce qui vient des principes, et après eux, est aussi absolument de même ; et tels sont les principes, telles sont par suite les choses qui en sortent. § 7. On peut voir ceci encore plus clairement dans les choses de géométrie. Là, en effet, certains principes étant posés, les conséquences qui viennent des principes, sont. tout à fait comme les principes eux-mêmes. Et, par exemple, si les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits, et ceux d'un carré égaux à quatre droits, du moment que les propriétés du triangle viendraient à changer, celles du quadrilatère changeraient du même coup. Car ce sont là des propositions qui sont réciproques ; et si le carré n'avait pas ses angles égaux à quatre angles droits, le triangle n'aurait pas non plus les siens égaux à deux. § 8. Ceci se répète également, et avec une similitude parfaite, pour ce qui regarde l'homme. L'homme aussi peut engendrer de la substance ; et c'est d'après certains principes et d'après certains actes qu'il fait, que l'homme peut produire les choses qu'il produit. Comment d'ailleurs en serait-il autrement? Aucun des êtres inanimés ne peut agir, au sens vrai de ce mot ; et même parmi les êtres animés aucun n'agit réellement, excepté l'homme. Donc, évidemment l'homme produit des actes d'un certain genre. § 9. Mais comme les actes de l'homme changent sans cesse sous nos yeux, et que nous ne faisons jamais identiquement les mêmes choses ; comme, d' un autre côté, les actes produits par nous le sont en vertu de certains principes, il est clair que, dès que les actes changent, les principes de ces actes changent aussi, comme nous le disions tout à l'heure dans cette comparaison empruntée de la géométrie. § 10. Or, le principe de l'action, bonne ou mauvaise, c'est la détermination, c'est la volonté, et tout ce qui, en nous, agit d'après la raison. Mais certainement, la raison, la volonté qui inspirent nos actes changent aussi, puisque nous changeons nos actes de notre pleine volonté. Donc, le principe et la détermination changent tout comme eux ; c'est-à-dire que ce changement est parfaitement volontaire. Donc évidemment enfin, il ne dépend que de nous d'être bons ou mauvais. § 11. « Mais, dira-t-on peut-être, puis qu'il ne dépend que de moi d'être bon, je serai, si je le veux, le meilleur des hommes » . Non ; cela n'est pas possible, comme on se l'imagine. Et pourquoi? C'est que cette perfection n'a pas lieu même pour le corps. On a beau vouloir soigner son corps, on n'aura pas pour cela le plus beau corps du monde. Car, non seulement il faut des soins assidus, mais il faut de plus que la nature nous ait donné un corps parfaitement beau et parfaitement sain. Avec des soins, le corps certainement sera beaucoup mieux ; mais il ne sera pas pour cela le mieux organisé entre tous les autres. §12. Il faut admettre qu'il en est de même aussi pour l'âme. Pour être le plus vertueux des hommes, il ne suffira pas de vouloir, si la nature ne vous y aide pas ; mais, néanmoins, on en sera beaucoup meilleur, par suite de cette noble résolution. |
Ch. X. Morale à Nicomaque, livre III, ch. 1 et suiv. ; et notamment, ch. 6 ; Morale à Eudème, livre II, ch. 6 et suiv. § 1. Il ne dépend pas de nous. Socrate et Platon ne s'exprimaient pas aussi précisément. Ils disaient seulement qu'on n'est vicieux que malgré soi, et que nul ne fait le mal de son plein gré. Cette théorie tendait, il faut l'avouer, à contester la liberté dans l'homme. Les autres vertus. Sous-entendu : « et pour les autres vices. » § 2. Socrate en concluait. Cette théorie a été fréquemment combattue dans la Morale à Nicomaque, comme elle l'est ici. Sans la moindre intervention de leur part. C'était une conséquence forcée de ce système. § 3 Pourquoi donc le législateur. Argument très souvent employé depuis Aristote, et qu'on pouvait avec toute raison tourner contre l'auteur des Lois. § 4. Les louanges et le mépris. Autre argument, qui est aussi puissant et qui est devenu aussi commun. Il faut qu'il dépende de nous. J'ai déjà fait remarquer, dans mes notes sur la Morale à Nicomaque, l'importance et la netteté de cette théorie. Jamais la liberté de l'homme n'a été affirmée en termes plus positifs. Il y a un argument supérieur à tous ceux-là, et qui est le témoignage irrésistible de notre conscience; mais c'était déjà beaucoup de voir les autres et de les exprimer si précisément. § 5. On fait encore une... comparaison. La pensée n'est pas assez dégagée ; on veut dire sans doute ici que la vertu et le vice ne sont pas plus volontaires en nous, que la maladie ou la laideur. Le volontaire, la liberté. J'ai ajouté ce second mot, paraphrase du premier. § 6. Encore plus frappante. On peut trouver au contraire que cette preuve n'a rien de frappant, et qu'elle serait propre plutôt à obscurcir la pensée. Ce raisonnement revient à dire que, quand il y a un changement dans les conséquences, c'est qu'un changement préalable a eu lieu dans le principe. Cette observation est vraie; mais on pouvait l'énoncer plus simplement. § 7. Plus clairement dans les choses de géométrie. La géométrie n'est pas plus concluante dans ce cas-ci que l'histoire naturelle, bien que l'axiome cité soit incontestable. § 8. Peut engendrer de la substance. Cette expression assez prétentieuse est dans l'original, et ma traduction est très fidèle. D'ailleurs, il ne faut pas entendre que l'homme est capable d'engendrer des êtres semblables à lui ; mais seulement des actes dont il est la cause unique et spontanée. Excepté l'homme. Ces principes sont très vrais; et c'est se faire une idée juste de la dignité de l'homme, et à la fois de la distance immense qui le sépare du reste des animaux. L'homme produit des actes. Conclusion fort simple d'un raisonnement obscur et embarrassé. § 9. Comme nous le disions tout à l'heure. Un peu plus haut, dans le même chapitre, § 7. § 10. C'est la volonté. Il eût été possible ici d'invoquer le témoignage de la conscience et de la psychologie; mais en parlant de la volonté, c'est y faire implicitement appel. § 11. Et pourquoi ? Locution que l'auteur semble affectionner, et qui revient bien fréquemment, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer. Voir plus haut, ch. 9, § 1. § 12. De cette noble résolution. J'ai ajouté ces mots qui ressortent d'ailleurs du contexte lui-même. |
Théorie de la liberté dans l'homme. — Définition de l'acte volontaire et libre. — Trois espèces d'appétits. — Le plaisir est la suite de tout ce qu'on fait par désir ; la douleur, de tout ce qu'on fait par nécessité. — Objection à cette théorie. — L'intempérance, dit-on, est Involontaire. Réfutation de cette théorie.
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§ 1. Après avoir démontré que la vertu dépend de nous, il est nécessaire de traiter du libre arbitre, et d'expliquer ce qu'est l'acte. libre et volontaire ; car en fait de vertu, c'est le volontaire et libre arbitre qui est le point vraiment essentiel. le mot de volontaire désigne, absolument parlant, tout ce que nous faisons sans y être contraints par une nécessité quelconque. Mais cette définition exige peut-être qu'on l'éclaircisse par des explications. § 2. Le mobile qui nous fait agir, c'est d'une manière toute générale, l'appétit. On peut distinguer trois espèces d'appétits : le désir, la colère, la volonté. Recherchons, en premier lieu, si l'action que nous fait faire le désir est volontaire ou involontaire. Il n'est pas possible qu'elle soit involontaire. Pourquoi cela? et d'où cela vient-il ? Tout ce que nous faisons autrement que par notre libre volonté, nous ne le faisons que par une nécessité qui nous domine. Or, il y a toujours une certaine douleur à la suite de tout ce qu'on fait par nécessité. Le plaisir, au contraire, est une conséquence de ce qu'on fait par désir. Ainsi donc, les choses qui sont faites par désir ne sauraient être involontaires, du moins en ce sens ; et elles sont certainement volontaires. § 3. Il est vrai qu'à cette théorie on pourrait en opposer une autre qu'on fait pour expliquer l'intempérance : « Personne, dit-on, ne fait le mal de son plein gré en sachant que c'est le mal ; et pourtant, ajoute-t-on, l'intempérant incapable de se dominer, tout en sachant bien que ce qu'il fait est mal, ne le fait pas moins ; mais c'est qu'il suit l'impulsion de son désir. Il n'agit donc pas de sa libre volonté ; et il est contraint par une nécessité fatale » . § 4. Mais nous réfuterons cette objection par le même raisonnement que plus haut. Non ; l'acte que provoque le désir n'est point un acte de nécessité ; car le plaisir est la suite du désir, et ce qui se fait par plaisir n'est jamais d'une nécessité inévitable. Mais on pourrait prouver encore autrement que le débauché agit de sa pleine volonté ; car apparemment, on ne niera pas que les hommes injustes sont injustes volontairement. Or, les débauchés sont injustes et commettent une injustice ; et par conséquent, le débauché, qui n'est plus maître de lui, fait volontairement ses actes d'intempérance. |
Ch. XI. Morale à Nicomaque, livre III, ch. 1 et suiv ; Morale à Eudème, livre Il, ch. 7. § 1. Du libre arbitre. Le texte dit simplement : « du volontaire. » Le point vrai ment essentiel. Autrement, il n'y aurait pas de vertu, à proprement parler. § 2. La colère. Il faut entendre ici le mot de « colère » dans le sens large et un peu indéterminé où Platon le prend si souvent. Du reste le désir et la volonté qu'on a fréquemment confondus, sont ici distingues aussi nettement que possible. Pourquoi cela ? Voir la note que j'ai mise un peu plus haut sur des locutions analogues, ch. 10, § 11. § 3. Personne, dit-on. Ceci se rapporte à Platon et à Socrate. § 4. Sont injustes involontairement. On pourrait répondre, dans le système que l'on critique ici, que les actes injustes sont involontaires, comme tous les autres actes vicieux ; et qu'on commet l'injustice malgré soi, comme toute autre faute. Les débauchés sont injustes. On ne voit pas trop comment, si ce n'est de celle injustice que Platon confond avec le désordre de l'âme. |
Suite de la réfutation précédente. -- Autre objection pour prouver que l'intempérance est involontaire. Cette objection s'applique aux actes de la colère et à ceux de la volonté, comme à ceux du désir. -- Réfutation de cette seconde objection. Le mépris qu'on a pour l'intempérant prouve bien qu'il agit volontairement.
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§ 1. Mais il est encore une autre objection qu'on oppose à notre théorie, pour démontrer que l'intempérance n'est pas volontaire : « L'homme tempérant, dit-on, fait de sa propre volonté les actes de tempérance ; car on l'estime pour sa vertu, et jamais l'estime ne s'attache qu'à des actes volontaires. Mais, si ce qu'on fait suivant le désir naturel, est volontaire, tout ce qu'on fait contre ce désir est involontaire. Or, l'homme tempérant agit contre le désir, et il s'ensuit que le tempérant n'est pas volontairement tempérant. » Mais évidemment c'est là une erreur ; donc, ce qui est selon le désir n'est pas non plus volontaire. § 2. On applique encore un système tout pareil aux actes qui se rapportent à la colère ; car les mêmes raisonnements qui valent pour le désir, valent aussi pour elle ; et ils forment une égale difficulté, puis qu'on peut être tempérant et intempérant en fait de colère. § 3. La dernière des espèces que nous avons distinguées parmi les appétits, c'était la volonté ; et il nous reste pour elle à rechercher si elle est libre. Mais les débauchés et les intempérants veulent aussi, jusqu'à un certain point, les actes coupables vers lesquels ils se précipitent ; et l'on peut dire qu'ainsi les débauchés font le mal en le voulant. Mais personne, dira-t-on encore, ne fait volontairement le mal en sachant que c'est du mal. Or, le débauché qui sait bien que ce qu'il fait est mal, n'en agit pas moins avec volonté ; donc il n'est pas libre, et la volonté ne l'est pas avantage. § 4. Avec ce beau raisonnement, on supprime radicalement la débauche et le débauché. Si l'intempérant n'est pas libre, il n'est pas répréhensible ; mais l'intempérant est répréhensible ; donc il agit volontairement, donc la volonté est libre. Du reste, comme il y a dans tout ceci des raisonnements qui semblent contradictoires, il est bon d'expliquer plus clairement ce que c'est que l'acte volontaire et libre. |
Ch. XII. Morale à Nicomaque, livre III, ch. 1; Morale à Eudème, livre II, ch. 8. § 1. Une autre objection. On peut trouver cette objection bien subtile. Dit-on. J'ai ajouté ces mots pour que la forme de l'objection fût plus nette. Donc ce qui est selon le désir. Et qui constitue un vice ou une faute. § 2. Un système tout pareil. C'est-à-dire qu'on cherche à démontrer que la colère est involontaire, tout aussi bien que l'intempérance, et qu'on n'est pas plus coupable dans un cas que dans l'autre. § 3. Que nous avions distinguées. Dans le chapitre précédent, plus haut § 11. Dira-t-on encore. Dans le système de Platon et de Socrate. § 4. L'intempérant est répréhensible. C'est l'argument dont on s'est déjà servi plusieurs fois. Le mépris que s'attire l'intempérant, démontre qu'il est coupable. L'acte volontaire et libre. Il n'y a qu'un seul mot dans l'original. |
Définition de la violence ou force : elle peut agir sur les êtres animés, tout aussi bien que sur les êtres inanimés. Il y a violence toutes les fois que la cause qui fait agir est extérieure aux êtres qu'elle meut. Il n'y a plus violence quand la cause est dans les êtres eux-mêmes.
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§ 1. Expliquons d'abord ce qu'on entend par force ou violence et par nécessité. La violence se trouve même dans les êtres inanimés. Ainsi, on peut voir qu'un lieu spécial a été assigné à chacune des choses inanimées ; et, par exemple, le lieu du feu est en haut ; et celui de la terre est en bas. Mais toutefois, l'on peut contraindre, par une sorte de violence, la pierre à monter et le feu à descendre. § 2. On peut à plus forte raison violenter l'être animé ; et, par exemple, on peut par la force détourner un cheval de la ligne droite où il court, pour lui faire changer son mouvement en revenant sur ses pas. Ainsi donc, toutes les fois qu'il existe, en dehors des êtres, une cause qui leur fait faire ce qui est contre leur nature ou contre leur volonté, on dit que ces êtres font par force ce qu'il font. Au contraire, toutes les fois que les êtres ont en eux-mêmes la cause qui les meut, nous ne disons jamais qu'ils sont forcés de faire ce qu'ils font. § 3. Autrement, le débauché qui ne se maîtrise pas réclamera, et il soutiendra qu'il n'est pas responsable de son vice; car il prétendra qu'il ne commet sa faute que parce qu'il y est forcé par la passion et le désir. Que ce soit donc là pour nous la définition de la violence et de la contrainte : il y a violence toutes les fois que la cause qui oblige les êtres à faire ce qu'ils font, leur est extérieure ; il n'y a plus violence, du moment que la cause est intérieure et dans les êtres mêmes qui agissent. |
Ch. XIII. Morale à Nicomaque, livre III, ch. 1; Morale à Eudème, livre II, ch. 8. § 1. Le lieu du feu est en haut. C'est-à-dire que le feu, ou plutôt la flamme, tend naturellement à toujours monter. § 2. En eux-mêmes la cause qui les meut. Cette distinction n'est peut-être pas aussi juste qu'elle le parait d'abord. Il y a des actes dont la cause est tout intérieure et qui n'en sont pas moins involontaires; tous les actes de folie, par exemple. II fallait donc ajouter cette autre condition que les êtres fussent dans leur état naturel et régulier. |
Définition des
idées de nécessité et de nécessaire. -- Exemples divers. |
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§ 1. Quant à ce qui concerne les idées de nécessité et de nécessaire, il faut dire qu'on ne peut pas appliquer l'idée de nécessaire, ni de toute façon, ni partout. Par exemple, elle ne s'applique jamais à rien de tout ce que nous faisons par plaisir ; car il serait absurde de dire qu'on a été nécessairement forcé par le plaisir à séduire la femme de son ami. § 2. Ainsi, l'idée de la nécessité n'est pas applicable indistinctement à toutes les choses ; elle ne l'est jamais que dans celles qui nous sont extérieures : et par exemple, il y a eu nécessité pour quelqu'un de subir un certain mal afin d'éviter un mal plus grand qui menaçait sa fortune. C'est encore ainsi que je puis dire : « Je suis forcé nécessairement de me rendre en toute hâte à ma campagne; car si je tardais, je n'y trouverais plus que des récoltes perdues ». voilà des cas où l'on peut dire qu'il y a nécessité. |
Ch. XIV. Morale à NIcomaque, livre III, ch. 1; Morale à Eudème, livre II, ch. 8. § 1. Forcé par le plaisir. Observation aussi simple qu'importante. § 2. Il y a en nécessité... afin d'éviter un mal. Dans la Morale à Nicomaque, Aristote démontre fort bien que, pour ce cas même, on ne peut pas dire qu'il y ait nécessité, dans le sens absolu de ce mot. C'est plutôt une contrainte morale. Il faut réserver l'expression de nécessité pour les cas de force majeure. |
De
l'acte volontaire : c'est l'intention qui en fait toute
l'importance. — Exemple de la femme qui empoisonne son amant dans un
philtre, en voulant s'en faire aimer. |
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§ 1. L'acte volontaire ne pouvant consister dans une impulsion aveugle, il reste que l'acte volontaire vienne toujours de la pensée ; car, si l'acte involontaire est ce qui a lieu, et par nécessité, et par force, on peut ajouter, comme troisième condition, que c'est ce qui n'a pas lieu avec réflexion et pensée. Les faits nous montrent bien la vérité de ceci. Quand un homme en frappe, on même en tue un autre, ou bien quand il commet quelqu'acte pareil sans aucune préméditation, on dit qu'il l'a fait contre son gré ; et cela prouve que l'on place toujours la volonté dans une pensée préalable. § 2. C'est ainsi qu'on raconte qu'une femme ayant donné un philtre à boire à son amant, et l'homme étant mort de ce philtre, elle fut absoute par devant l'Aréopage, où elle avait comparu, et le tribunal l'acquitta sur ce simple motif qu'elle n'avait pas agi avec préméditation. Elle avait donné ce breuvage par affection ; seulement, elle s'était trompée. L'acte ne parut pas volontaire, parce qu'elle n'avait pas donné le philtre avec l'intention de tuer celui qui devait le boire. Ainsi donc, on le voit, le volontaire rentre dans ce qui se fait avec intention. |
Ch. XV. Morale à Nicomaque, livre III, ch. 3; Morale à Eudème, livre II, ch.. 6. § 1. Réflexion et pensée. Il n'y a qu'un mot dans le texte. Sans aucune préméditation. Toutes les législations du monde ont consacré ces différences. |
La préférence réfléchie ne se confond, ni avec l'appétit, ni avec la volonté, ni même avec la pensée. Elle est la combinaison de plusieurs facultés. — Définition de la préférence : elle ne s'applique qu'aux moyens, et non au but; elle suppose une délibération antérieure de l'intelligence. -- L'acte volontaire doit se distinguer de l'acte de préférence et de préméditation. Exemples de quelques législateurs qui ont fait cette distinction. -- Il n'y a de préférence possible que dans les choses où l'homme agit. La préférence n'a pas de place dans la science. Elle a lieu dans l'action, parce que l'homme peut s'y tromper en deux sens : ou par excès, ou par défaut.
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§ 1. Il nous reste encore à examiner si la préférence réfléchie qui détermine notre choix, doit, ou non, passer pour un appétit. L'appétit se retrouve dans les autres animaux comme dans l'homme ; mais la préférence qui choisit, n'y apparaît pas. C'est que la préférence est toujours accompagnée de la raison, et que la raison n'est accordée à aucun autre animal. Ainsi donc, on pourrait conclure que la préférence n'est pas un appétit. § 2. Mais du moins, est-elle la volonté ? Ou bien, n'est-elle même pas davantage la volonté? La volonté peut s'appliquer même aux choses impossibles ; et, par exemple, nous voudrions être immortels. Mais nous ne le préférons pas par un choix réfléchi. En outre, la préférence ne s'applique pas au but lui-même qu'on poursuit, mais aux moyens qui peuvent y mener; et par exemple, on. ne peut pas dire qu'on préfère la santé ; mais on préfère, entre les choses, celles qui la procurent, la promenade, l'exercice, etc. ; et de que nous voulons, c'est la fin même ; car nous voulons la santé. § 3. Cette distinction nous indique évidemment la différence profonde de la volonté, et de la préférence réfléchie, qui décide notre choix. La préférence, comme son nom même l'exprime assez clairement, signifie que nous préférons telle chose à telle autre ; et, par exemple, le meilleur au moins bon. Lorsque nous comparons le moins bon au meilleur, et que nous avons la liberté du choix, c'est en ce sens spécial que l'on peut dire proprement qu'il y a préférence. § 4. Ainsi,. la préférence ne se confond, ni avec l'appétit, ni avec la volonté. Mais la pensée est-elle au fond la préférence ? On bien, la préférence n'est-elle pas non plus la pensée ? Nous pensons, et nous imaginons une foule de choses dans notre pensée. Mais ce que nous pensons, peut-il être aussi l'objet de notre référencé et de notre choix? Ou ne le peut-il pas ? Ainsi, par exemple, nous pensons souvent aux évènements qui se passent chez les Indiens ; pouvons-nous y appliquer notre préférence, comme nous y appliquons notre pensée ? Par là, on voit que la préférence ne se confond pas du tout avec la pensée. § 5. Puis donc que la préférence ne se rapporte isolément à aucune des facultés de l'esprit que nous venons d'énumérer, et que ce sont là tous les phénomènes de l'âme, il faut nécessairement que la préférence soit la combinaison de quelques-unes de ces facultés, prises deux à deux. Mais comme la préférence ou le choix s'applique, ainsi que je viens de le dire, non pas à la fin même qu'on poursuit, mais seulement aux moyens qui y mènent ; comme en outre elle ne s'applique qu'à des choses qui nous sont possibles, et dans les cas où l'on peut se poser la question de savoir si telle ou telle chose doit être choisie, il est clair qu'il faut préalablement penser à ces choses et délibérer sur elles, et que c'est seulement après que l'un des deux partis nous a semblé préférable à l'autre, toute réflexion faite; qu'il se produit en nous une certaine impulsion qui nous porte à faire la chose. Alors, en agissant ainsi, nous paraissons agir par préférence. § 6. Si donc la préférence est une sorte d'appétit et de désir, précédé et accompagné d'une pensée réfléchie, l'acte volontaire n'est pas un acte de préférence. En effet, il est une foule d'actes que nous faisons de notre plein gré, avant d'y avoir pensé et réfléchi. Nous nous asseyons, nous nous levons, et nous accomplissons mille autres actions volontaires, sans y penser le moins du monde, tandis que, d'après ce qu'on vient de voir, tout acte qui se fait par préférence est toujours accompagné de pensée. § 7. Ainsi donc, l'acte volontaire n'est pas un acte de préférence ; mais l'acte de préférence est toujours volontaire ; et si nous préférons faire telle ou telle chose après mûre délibération, nous la faisons de notre pleine et entière volonté. On a même vu des législateurs, en petit nombre il est vrai, distinguer profondément entre l'acte volontaire et l'acte prémédité, qu'ils plaçaient dans une tout autre classe, en établissant de moindres peines pour les actes de volonté que pour ceux de préméditation. § 8. La préférence ne peut donc avoir lieu que dans les choses que l'homme peut faire, et dans les cas où il dépend de nous d'agir ou de ne pas agir, de faire de telle façon ou de telle autre ; en un mot, dans toutes les choses où l'on peut savoir le pourquoi de ce que l'on fait. § 9. Mais le pourquoi, la cause n'est pas du tout simple. En géométrie, quand on dit que le quadrilatère a ses quatre angles aux à quatre angles droits, et qu'on demande pourquoi, on répond : C'est que le triangle a ses trois angles égaux à deux droits. Dans les choses de cette espèce, en remontant à un principe déterminé, on en tire le pourquoi. Mais dans les cas où il faut agir et où il y a possibilité de choix et de préférence, il n'en est plus ainsi ; car aucune préférence n'est déterminée. Mais si l'on demande : Pourquoi avez-vous fait cela? Un ne peut que répondre : Parce que je ne pouvais pas faire autrement ; ou bien : Parce que c'était mieux ainsi. C'est uniquement d'après les circonstances qu'on choisit le parti qui semble le meilleur, et ce sont elles qui nous décident. § 10. Aussi dans les choses de ce genre, la délibération est possible pour savoir comment il faut agir. Mais il en est tout autrement dans les choses que l'on sait de science certaine. On ne va pas délibérer pour savoir comment il faut écrire le nom d'Archiclès, parce que l'orthographe en est déterminée, et qu'on sait positivement comment il faut l'écrire. Si l'on fait une faute, elle n'est pas dans l'esprit ; elle est uniquement dans l'acte même d'écrire. C'est que dans tous les cas où il ne peut y avoir d'erreur possible pour d'esprit, on ne délibère pas ; et c'est seulement dans les choses où la manière dont elles doivent être n'est pas déterminée exactement, qu'il y a possibilité d'erreur. § 11. Mais l'indétermination se trouve dans toutes les choses que l'homme peut faire, et dans toutes celles où la faute peut être double et en deux sens différents. Nous nous trompons donc dans les choses d'action, et par suite également dans les choses qui se rapportent aux vertus. Tout en visant à la vertu, nous nous égarons dans les chemins qui nous sont naturels et ordinaires. La faute alors peut se trouver également et dans l'excès et dans le défaut, et nous pouvons être entraînés à l'un et à l'autre de ces extrêmes par le plaisir ou par la douleur. Le plaisir nous pousse à faire mal, et la douleur nous porte à fuir le devoir et le bien. |
Ch. XVI. Morale à Nicomaque, livre Ill, ch. 4 et 5; Morale à Eudème, livre II, ch. 10. § 1. Pour un appétit. Plus haut, au début du chapitre onzième, il a été établi que le mobile qui fait agite l'homme, c'est, d'une manière générale, l'appétit. La préférence réfléchiefaisant aussi agir l'homme, on peut se demander si elle est également un appétit. N'est pas un appétit. Dans la langue grecque, les deux mots qui signifient la préférence et l'appétit ne sont pas aussi opposés que Ies mots correspondants en français. L'opposition est si évidente dans notre langue, qu'il suffit de poser la question pour qu'elle soit résolue. § 2. Même aux choses impossibles. La distinction est aussi claire qu'elle est vraie. La préférence que nous conseille la raison, ne s'applique jamais à des impossibilités. Par un choix réfléchi. Ici comme pour les mots « de préférence réfléchie » que j'emploie dans tout le cours de cette discussion, je paraphrase le texte afin de le rendre plus intelligible. La préférence ne s'applique pas au but. Cette nuance est difficile à saisir; et la pensée ne semble pas très juste, bien qu'elle se retrouve également dans la Morale à Nicomaque. Il semble qu'on peut fort bien préférer un but à un autre, comme on préfère un moyen à un autre pour atteindre ce but. § 3. La préférence réfléchie qui décide notre choix. Même remarque que plus haut : j'ai dû recourir à la paraphrase. § 4. La préférence n'est-elle pas non plus la pensée. La pensée est prise ici dans le sens le plus général de ce mot; et non pas dans l'acception restreinte et supérieure d'entendement, d'intelligence; ce qui suit le prouve. Aux évènements qui se passent chez les Indiens. Il est assez probable que ceci se rapporte à l'expédition d'Alexandre dans l'Inde ; et si cette conjecture était vraie, la date de la composition de la Grande Morale serait connue d'une manière assez précise. § 5. Ainsi que je viens de le dire. Un peu plus haut au début de ce chapitre, §§ 1 et 2. § 6. N'est pas un acte de préférence. Dans le sens où l'on vient de finir ce dernier acte ; car en soi, l'acte volontaire parait bien un acte de choix et de préférence, si la volonté est libre, comme on l'a établi plus haut. Seulement, il y a une foule d'actes volontaires qui sont spontanés et que la réflexion n'accompagne pas, comme ceux qu'on cite un peu plus bas. § 7. Ainsi donc l'acte volontaire. La distinction est aussi nette que possible et elle est parfaitement juste. On a même vu des législateurs. Ces législateurs, qu'il eût été intéressant de nommer, avaient toute raison ; et il est certain que les actes de préméditation sont toujours plus coupables que les actes simplement volontaires. § 9. N'est pas du tout simple. La cause est fort différente en morale de ce qu'elle est dans les sciences exactes. Il était important de faire cette distinction. § 10. Que l'on sait de science certaine. Comme l'axiome de géométrie qui vient d'être cité un peu plus haut. Si l'on fait une faute. On suppose d'ailleurs ici que celui qui doit écrire sait l'orthographe. § 11. Dans toutes les choses qua l'homme peut faire. Et c'est là ce qui donne du prix à la vertu et aux sages résolutions. |
Suite de
la théorie précédente. — La sensibilité ne délibère pas, parce que
tous ses actes sont spéciaux et déterminés. -- De l'objet que
poursuit la vertu ; c'est le but lui-même, et non les moyens qui
peuvent y mener. |
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§ 1. J'ajoute que la pensée ne ressemble pas du tout à la sensation. La vue ne peut absolument rien faire que de voir; l'ouïe ne peut faire autre chose que d'entendre. Aussi, ne délibérons-nous pas pour savoir s'il faut entendre ou s'il faut voir par l'ouïe. Quant à la pensée, elle est fort différente ; elle peut faire telle chose ou telle autre chose ; et voilà comment c'est dans la pensée qu'il y a délibération. § 2. On peut se tromper dans le choix des biens qui ne sont pas directement le but qu'on poursuit ; car pour le but lui-même tout le monde est parfaitement d'accord ; c'est-à-dire, par exemple, que tout le monde convient que la santé est un bien. Mais on peut se tromper sur les moyens qui mènent à ce but; et ainsi, l'on se demande s'il est bon pour la santé de manger ou de ne pas manger telle ou telle chose, C'est surtout le plaisir ou la peine qui, dans ces cas, nous font commettre des méprises et des fautes, parce que nous fuyons celle-ci, et que nous recherchons celui-là. § 3. Maintenant qu'on sait en quoi et comment l'erreur et la faute sont possibles, il nous faut dire à quoi s'attache et vise la vertu. Est-ce au but lui-même? Est-ce seulement aux choses qui peuvent y mener? Et, par exemple, est-ce au bien lui-même qu'on vise ? Ou simplement, aux choses qui contribuent au bien? § 4. Mais d'abord, que se passe-t-il dans la science à cet égard ? Ainsi, est-ce à la science de l'architecture qu'il appartient de bien définir le but où l'on tend, en faisant une construction? Ou lui appartient-il seulement de connaître les moyens qui mènent à ce but? Si ce but est bien posé, à savoir, de faire une bonne et solide maison, ce ne sera point un autre que l'architecte qui trouvera et procurera tout ce qu'il faut pour atteindre ce but. Une même observation pourrait être faite pour toutes les autres sciences. § 5. Il semble qu'il en devrait être de même aussi pour la vertu, c'est-à-dire que son véritable objet serait de s'occuper de la fin même qu'elle doit toujours se proposer aussi bonne que possible, plutôt que des moyens qui conduisent à cette fin. Il n'y a que l'homme vertueux qui saura procurer et trouver ce qui constitue cette fin, et ce qu'il faut pour y arriver. Il est donc tout naturel que la vertu se propose cette fin qui lui est propre, dans toutes ces choses où le principe du meilleur est à la fois, et ce qui peut l'accomplir, et ce qui peut se la proposer. Par suite, il n'y a rien de mieux au monde que la vertu ; car c'est pour elle que tout le reste se fait ; et c'est elle qui en contient le principe. § 6. Les choses qui contribuent à la fin qu'on se propose, semblent davantage n'être faites que pour cette fin. Au contraire, la fin elle-même représente en quelque sorte un principe, en vue duquel se font chacune des autres choses, dans la mesure même où chacune d'elles s'y rapportent. Donc, évidemment aussi pour la vertu, puisqu'elle est le principe et la cause la meilleure, elle vise au but lui-même plutôt qu'aux choses secondaires qui y mènent. |
Ch. XVII. Morale à Nicomaque, livre III, ch. 5 ; Morale à Eudème, livre II, ch. 10. § 1. La pensée ne ressemble pas à la sensation. La sensation est bornée pour chaque sens à un ordre spécial de fonctions ; la pensée au contraire peut s'appliquer à tout. § 2. Tout le monde est par parfaitement d'accord. Ceci n'est pas très exact ; et la diversité des système sur le but suprême de la vie prouve assez qu'il peut y avoir dissentiment sur le but, aussi bien que sur les moyens qui doivent y conduire. Ce qui est vrai, c'est qu'on s'accorde plus souvent sur le but que sur les moyens. § 3. Est-ce au but lui-même. La question peut paraître assez subtile, et assez peu nécessaire. La vertu évidemment peut s'attacher, tantôt au but, tantôt aux moyens. Dans la Morale à Nicomaque, et dans la Morale à Eudème, locc, laudd., la question est différente; et Aristote se demande si la vertu poursuit le bien réel, ou seulement le bien apparent. § 4. Que se passe-t-il dans la science. Ces comparaisons de la morale avec les sciences ne sont pas très exactes ; et elles reviennent trop fréquemment. § 5. De la fin même. C'est là en effet l'application ordinaire de la vertu ; elle décide du but que l'homme doit se proposer; et' le choix des moyens est réservé à des facultés inférieures, la prudence, l'habileté etc. C'est d'ailleurs la conclusion qui est donnée ici. Il n'y a rien de mieux au monde que la vertu. Ceci paraît un peu contredire les théories du bonheur exposées plus haut. |
La
véritable fin de la vertu, c'est le bien ; mais il faut entendre le
bien pratique et réel. -- On ne peut juger les hommes que sur les
actes et non sur les intentions. --- Théorie des milieux dans les
passions. |
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§ 1. La fin véritable de la vertu, c'est le bien ; et la vertu vise plus à cette fin qu'aux choses qui la doivent produire, attendu que ces choses même font partie de la vertu. Quelque vraie que soit cette théorie, si. l'on voulait la généraliser, elle pourrait devenir absurde ; par exemple, en peinture, on pourrait être un excellent copiste, sans cependant mériter la moindre louange, à moins que l'on se proposât exclusivement pour but de faire des copies parfaites. Mais on peut dire absolument que le propre de la vertu, c'est de se proposer toujours le bien. § 2. «Mais pourquoi, dira-t-on peut-être, avez-vous établi tout à l'heure que l'acte vaut mieux encore que la vertu elle-même? Et pourquoi maintenant accordez-vous à la vertu, comme sa condition la plus belle, non pas ce qui produit l'acte, mais ce dans quoi il n'y a pas même d'acte possible ? »
§ 3. Sans
doute ; et maintenant même, nous le disons encore comme nous le
disions plus haut : Oui, l'acte est meilleur que la simple faculté.
Les autres hommes, en observant un homme vertueux, ne le peuvent
juger que par ses actions, parce qu'il est impossible de voir
directement l'intention que chacun peut avoir. Si nous pouvions
toujours, dans les pensées de nos semblables, connaître où ils en
sont relativement au bien, l'homme vertueux nous paraîtrait tout ce
qu'il est, sans même avoir besoin d'agir. Mais puisque nous avons
énuméré, en comptant les passions, quelques-uns des milieux qui
constituent la vertu, il nous faut dire quelles sont les passions
auxquelles ces milieux s'appliquent. |
Ch. XVIII. Morale à Nicomaque, livre III, ch. 5 ; Morale à Eudème, livre II, ch. 10 et 11. § 1. C'est le bien. Grand principe, emprunté à Platon, et auquel Aristote n'a pas toujours été complètement fidèle. Par exemple en peinture. L'exemple cité n'éclaircit point la pensée, qui reste très obscure. La voici peut-être : pour la vertu, il faut avoir une intention à soi, une volonté toute personnelle de bien' faire, comme en peinture il faut avoir l'idée d'un tableau original et n'être point un simple copiste. C'est de se proposer toujours le bien. Dans la Morale à Nicomaque, livre III, ch. 1, § 4, j'ai rappelé que Kant avait dit que la seule chose absolument bonne au monde, c'est une bonne volonté. § 2. Tout à l'heure. Cette théorie est déjà un peu loin. Voir plus haut, ch. 3, 4 et 5. Cette pensée d'ailleurs n'a pas été précisément formulée ; mais elle ressort de toutes ces discussions. Ce dans quoi il n'y a pas même d'acte possible. La simple intention de bien faire. § 3. Comme nous le disions plus haut. Voir plus haut, ch. 3, à la fin. Sans même avoir besoin d'agir. Observation profonde; mais il faut ajouter qu'entre les hommes vertueux, c'est la supposition préalable de cette bonne volonté de part et d'autre qui pousse à la sympathie d'abord, et bientôt à l'estime.
Puisque nous avons énuméré. Voir plus haut, ch. 7, § 3. La
transition d'ailleurs peut paraître assez brusque et mal amenée. |
Du
courage : il se rapporte à la peur, ou au sang-froid dans certains
cas. -- Portrait de l'homme courageux. On ne peut pas dire que les
soldats soient courageux; c'est par habitude qu'ils bravent le
danger et avec certaines conditions. — Erreur de Socrate, qui du
courage fait une science. -- On n'est pas courageux, quand la
fermeté que l'on montre vient de l'ignorance du danger, ou d'une
passion qui emporte. — Du courage social. Homère cité. -- Ce n'est
pas encore le vrai courage que celui qui vient de l'espérance ou du
désir. — Définition du véritable courage. |
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§ 1. D'abord, le courage se rapportant au sang-froid et à la peur, il est bon de savoir à quelles espèces de peur et à quelles espèces de sang-froid il se rapporte. Quelqu'un qui craint de perdre sa fortune, est-il un lâche pour cela seul ? Et pour garder toute sa fermeté dans une perte d'argent, est-il un homme de courage? Ou bien, ne l'est-il pas ? Et de même encore : Suffit-il que l'on ait peur ou qu'on soit plein de fermeté en ce qui regarde la maladie, pour dire que dans un cas on soit lâche, et que dans l'autre on soit courageux? On le sent donc : le courage ne consiste, ni dans les craintes, ni dans les sang-froid de ce genre. § 2. Il ne consiste pas davantage à braver le tonnerre et les éclairs, et tous les autres phénomènes redoutables qui sont au-dessus de la puissance humaine. Les braver, ce n'est pas être courageux ; c'est être fou. Ainsi, le vrai courage ne se manifeste que relativement aux choses dans lesquelles la peur ou le sang-froid sont permis à l'homme; et j'entends par là les choses que la plupart des hommes ou tous les hommes redoutent; et celui qui reste ferme dans ces rencontres, est un homme de courage. § 3. Ceci étant posé, comme on peut être courageux d'une foule de manières, il faut savoir d'abord ce que c'est au juste que d'être courageux. Il y a des gens courageux par habitude, comme le sont les soldats ; car les soldats savent par expérience que dans tel lieu, dans tel moment, dans telle situation, il n'y a absolument aucun danger à courir. L'homme qui sait qu'il a toutes ces garanties, et qui, par ce motif, attend les ennemis de pied ferme, n'est pas courageux pour cela; car si toutes les conditions requises ne se réunissent point, il n'est plus capable d'attendre l'ennemi. § 4. Il ne faut donc pas appeler courageux ceux qui ne le sont que par habitude et par expérience. Aussi Socrate n'a-t-il pas eu raison de dire que le courage est une science ; car la science ne devient science qu'en acquérant l'expérience par l'habitude. Mais, pour nous, nous n'appelons pas courageux ceux qui ne supportent les périls que par suite de leur expérience ; et eux-mêmes ne se donneraient pas non plus ce titre. Par conséquent, le courage n'est pas une science. § 5. On peut encore être courageux précisément par le contraire de l'expérience. Quand on ne sait point par expérience personnelle ce qui peut arriver, on demeure à l'abri de la crainte, à cause de son inexpérience. Certainement, on ne peut pas davantage prendre ces gens-là pour des gens courageux. § 6. Il en est d'autres aussi qui paraissent courageux par l'effet de la passion qui les anime ; et, par exemple, les amoureux, les enthousiastes, etc. Ce ne sont pas là non plus des gens de courage ; qu'on leur enlève en effet la passion dont ils sont dominés, et ils cessent sur le champ d'être courageux. Mais l'homme de vrai courage doit être toujours courageux. § 7. C'est là ce qui fait qu'on ne peut pas attribuer le courage aux animaux ; et, par exemple, qu'on ne peut pas dire que les sangliers sont courageux, parce qu'ils se défendent sous les coups qui les excitent en les blessant. L'homme courageux ne doit pas non plus être courageux sous le coup de la passion. § 8. Il est une autre espèce de courage qu'on pourrait appeler social et politique. On voit bien des gens affronter les dangers pour n'avoir point à rougir devant leurs concitoyens, et ils nous font ainsi l'effet d'avoir du courage. Je puis invoquer le témoignage d' Homère, quand il fait dire à Hector : « Polydamas d'abord m'accablera d'injures. » Et le brave Hector voit là dedans un motif pour combattre. Ce n'est pas encore là pour nous le courage véritable; et la même définition ne conviendrait pas pour chacun de ces genres de courage. Toutes les fois qu'en supprimant un certain motif qui fait agir, le courage ne subsiste plus, on ne peut pas dire que celui qui agit par ce motif soit courageux réellement ; et, par exemple, retranchez le espect humain, qui fait que le guerrier combat courageusement, il cesse à l'instant d'être courageux. § 9. Enfin, d'autres gens semblent avoir du courage par l'espérance et l'attente de quelque bien à venir; ceux-là ne sont pas courageux non plus, puisqu'il serait absurde d'appeler courageux des gens qui ne le seraient que d'une certaine façon et dans certains cas donnés. Donc, rien de tout cela n'est précisément le courage. § 10. Quel est donc l'homme vraiment courageux d'une manière générale? Et quel caractère doit-il avoir ? Pour le dire en un mot, l'homme courageux est celui qui ne l'est pour aucun des motifs qu'on vient de citer, mais qui l'est parce qu'il est bien de l'être, et qui est courageux toujours, soit que quelqu'un le regarde, soit que personne ne le voie. Ceci ne veut pas dire que le courage se produise absolument sans passion et sans motif ; mais il faut que l'impulsion vienne de la raison: qui montre que c'est là le bien et le devoir. Ainsi, l'homme qui, par raison et pour remplir son devoir, marche au danger, sans rien craindre de ce danger, celui-là est courageux ; et le courage exige précisément ces conditions. § 11. Mais on ne doit pas comprendre que l'homme courageux est sans crainte, en ce sens qu'il serait accidentellement hors d'état de sentir la moindre émotion de peur. Ce n'est pas être courageux que de ne craindre absolument rien du tout, puisqu'à ce compte on irait jusqu'à trouver que la pierre et les choses inanimées sont courageuses. Pour avoir vraiment du courage, il faut savoir craindre le danger et savoir le supporter ; car si on le supporte sans le craindre, ce n'est plus là être courageux. § 12. En outre, ainsi que nous l'avons établi plus haut, en divisant les espèces de courage, le courage ne s'applique pas à toutes les craintes, à tous les dangers : il ne s'applique directement qu'à ceux qui peuvent menacer la vie. De plus, ce n'est pas dans un temps quelconque, ni dans un cas quelconque, que peut se produire le vrai courage ; c'est dans ceux où les craintes et les dangers sont proches. Est-on courageux, par exemple, pour ne pas redouter un danger qui ne doit venir que dans dix ans ? Trop souvent on est plein d'assurance, parce qu'on est loin du péril ; et l'on se meurt de peur, quand on en est tout près. Telle est l'idée que nous nous faisons du courage et de l'homme vraiment courageux. |
Ch. XIX. Morale à Nicomaque, livre III, ch. 7 et suiv. ; Morale à Eudème, livre III, ch. 1. § 1. A quelles espèces de peur. Cette distinction est très juste; et il y a des choses dont il est raisonnable d'avoir peur. Ni dans les sang-froid. J'ai dû risquer cette expression pour que l'antithèse restât plus complète. § 2. A braver le tonnerre. Ceci est vrai; mais ce n'est pas à dire qu'il ale avoir peur da tonnerre; tout ce qu'il faut faire, c'est de s'en préserver. Dans l'antiquité, les phénomènes naturels paraissaient en général d'autant plus redoutables qu'on les comprenait moins. Le vrai courage. J'ai ajouté cette épithète pour que la pensée fût plus claire. § 3. Il faut savoir d'abord. Il semble que ceci vient d'être dit très nettement dans ce qui précède. Comme le sont les soldats. C'est peut-être rabaisser un peu trop le courage militaire. Quelqu'assuré que soit le soldat par les précautions prises pour lui, il n'en risque pas moins sa vie à chaque instant; et c'est une sorte de courage incontestable. § 4. Aussi Socrate n'a-t-il pas eu raison. Dans le Lachès au contraire, p. 378, traduction de M. Cousin, Platon soutient que le courage n'est pas la science des choses qu'il faut craindre ou ne pas craindre. Il est vrai que dans la République, livre IV, p. 213, ibid., Socrate donne du courage la définition qui est attaquée ici. Et eux-mêmes ne se donneraient pas non plus ce titre. Il est certain au contraire que tous les gens de guerre se croient très courageux, quoiqu'ils ne le soient en grande partie que par habitude. § 5. Par le contraire de l'expérience. C'est-à-dire par l'inexpérience complète. § 6. Par l'effet de la passion, Observation très exacte. § 8. Polydamas d'abord... Citation déjà faite dans la Morale à Nicomaque, livre III, ch. 9, § 2 ; et qui sera répétée dans la Morale à Eudème, livre III, ch. 1, à la fin. § 9. Donc, rien de tout cela. La discussion des diverses espèces de courage est ici beaucoup plus concise qu'elle ne l'est dans la Morale à Nicomaque et dans la Morale à Eudème.
§ 10.
Parce qu'il est bien de l'être. C'est là en effet le fond du
courage, Pour remplir son devoir. C'est bien là cependant le courage des soldats qu'on vient da critiquer un peu plus haut. § 11. L'homme courageux est sans crainte. Car alors il serait insensible. Pour affronter le danger où le devoir l'appelle, il faut qu'il sente l'existence de ce danger et qu'il ne l'en brave pas moins. § 12. Qui peuvent menacer la vie. Ceci contredit un peu ce qui a été dit plus haut, quand on niait qu'il pût y avoir du courage à braver la maladie |
De la tempérance. — Définition : c'est le milieu entre la licence et l'insensibilité dans les plaisirs des deux sens du toucher et du goût exclusivement. --- L'homme seul peut être tempérant, parce qu'il est le seul être qui soit doué de raison.
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§ 1. La tempérance est un milieu entre la débauche et l'insensibilité en fait de plaisirs. La tempérance, comme en général toute autre vertu, est une excellente disposition morale ; et une excellente disposition ne peut regarder que l'excellent. Or, en ce genre, l'excellent c'est le milieu entre l'excès et le défaut. Les deux extrêmes contraires nous rendent également blâmables, et nous péchons aussi bien dans l'un que dans l'autre. Puis donc que le meilleur est le milieu, la tempérance tiendra le milieu entre la débauche et l'insensibilité, et elle sera le moyen terme de ces extrêmes. § 2. Mais si la tempérance se rapporte aux plaisirs et aux peines, elle ne s'applique pas à toutes les peines ni à tous les plaisirs; elle ne se produit pas dans tous les cas indistinctement où les uns et les autres se produisent. Ainsi, pour prendre du plaisir à voir un tableau, une statue ou tel autre objet analogue, on ne méritera pas d'être appelé intempérant et débauché. De même non plus, pour les plaisirs de l'ouïe ou de l'odorat. Maison peut l'être pour les plaisirs du toucher ou du goût. § 3. Un homme ne sera pas tempérant, même à l'égard de ces plaisirs particuliers, parce qu'il n'éprouvera pas d'émotion sous l'influence d'aucun d'eux ; car alors il ne serait qu'insensible. Mais il sera tempérant, si, tout en les sentant, il ne se laisse pas maîtriser par eux, au point de négliger, pour en jouir avec excès, tous ses devoirs; et la vraie tempérance sera de rester sage et modéré, uniquement par ce motif qu'il est bien de l'être. § 4. Car si l'on s'abstient de tout excès dans ces plaisirs, soit par crainte, soit par tel autre sentiment analogue, ce n'est plus de la tempérance. Aussi, excepté l'homme, ne disons-nous jamais des autres animaux qu'ils sont tempérants; car ils ne possèdent pas la raison, qui pourrait leur servir à distinguer et à choisir ce qui est bon ; et toute vertu s'applique au bien, et ne concerne que lui. En résumé, on peut dire que la tempérance se rapporte aux plaisirs et aux peines, mais seulement à ceux que peu vent nous donner les deux sens du toucher et du goût. |
Ch. XX. Morale à Nicomaque, livre III, ch. Il et 12 ; Morale à Eudème, livre ch. 2. § 1. L'excellent. En d'autres termes, la vertu, puisqu'il a été établi plus haut que la vertu consiste dans !e juste milieu. Voir ch. 5, § 3. § 2. Du toucher ou du goût. On remarquera la justesse de cette analyse, que d'ailleurs on commit déjà par la Morale à Nicomaque. § 3. Parce qu'il est bien de l'être. C'est le fond de la tempérance véritable, comme c'était tout à l'heure aussi le fond du vrai courage. |
De la douceur : c'est le milieu entre l'irascibilité, et l'indifférence, qui reste impassible. — Les deux extrêmes sont également blâniables. Il n'y a que le milieu qui mérite nos louanges.
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§. 1. A la suite de ceci, nous pouvons parler de la douceur, et montrer ce qu'elle est et en quoi elle consiste. Disons d'abord que la douceur est un milieu entre l'emportement, qui se met toujours en colère, et l'impassibilité, qui ne peut jamais s'y mettre. Nous avons déjà vu que toutes les vertus en général sont des milieux. Cette théorie pourrait être facilement prouvée, s'il en était besoin, et l'on n'aurait qu'à remarquer qu'en toutes choses le meilleur est dans le milieu ; que la vertu est la disposition la meilleure ; et que, le milieu étant le meilleur, la vertu est par conséquent le milieu. § 2. L'exactitude de cette observation sera d'autant plus évidente qu'on la vérifiera sur chaque cas particulier. Ainsi, l'homme irascible est celui qui s'emporte contre tout le monde, dans tous les cas, et au-delà des bornes. C'est une disposition très blâmable. Car il ne convient pas de s'emporter, ni contre tout le monde, ni pour toute chose, ni de toute façon, ni toujours, pas plus qu'il ne convient davantage de ne jamais s'emporter, ni pour quoi que ce soit, ni contre personne. Cet excès d'impassibilité est blâmable au même degré. § 3. Mais si l'on mérite le blâme pour être dans l'excès et dans le défaut, celui qui sait rester dans le vrai milieu, est à la fois doux et louable. On ne saurait approuver le caractère qui éprouve trop vivement le sentiment de la colère, ni le caractère qui l'éprouve trop peu. Mais celui-là est doux véritablement qui sait se tenir dans une juste mesure entre ces deux extrêmes. Ainsi, la douceur est le milieu entre les passions que nous venons de décrire |
Ch. XXl. Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 5 ; Morale à Eudème, livre IlI, ch. 3, § 1. § 1. A la suite de ceci. Transition évidemment insuffisante et toute verbale. § 2. Sur chaque cas en particulier. Là où elle est applicable ; car elle ne l'est pas à tous les cas, comme l'auteur lui-même l'a remarqué plus haut, ch. 8, § 3. Il y a tait un assez grand nombre d'exceptions. |
De la
libéralité : elle est le milieu entre la prodigalité et l'avarice.
Ces deux excès sont blâmables; le milieu seul est digne de louanges.
-- Espèces diverses de l'avarice. -- L'homme libéral ne doit pas
s'occuper d'amasser de l'argent et de faire fortune. |
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§ 1. La libéralité est le milieu entre la prodigalité et l'avarice, deux passions qui s'appliquent l'une et l'autre à l'argent. Le prodigue est celui qui dépense dans des choses où il ne faut pas dépenser, plus qu'il ne faut et quand il ne faut pas. L'avare, tout au contraire du prodigue, est celui qui ne dépense pas là où il faut dépenser, ni ce qu'il faut, ni quand il faut. § 2. Tous les deux sont également blâmables : l'un est dans l'extrême par défaut, l'autre est dans l'extrême par excès. L'homme vraiment libéral, puisqu'il mérite la louange, tient le milieu entre les deux autres ; et le libéral, c'est celui qui dépense aux choses où il faut dépenser, ce qu'il faut et quand il faut. § 3. Il y a d'ailleurs plus d'une espèce d'avarice ; et l'on peut distinguer, parmi les gens dénués de toute libéralité, ceux que nous appelons des cuistres, des ladres à couper un grain d'anis en deux, des sordides, ne reculant jamais devant les lucres les plus honteux, des chiches, relevant à tout propos leurs moindres dépenses. Toutes ces nuances se rangent sous la dénomination générale de l'avarice; car le mal a une foule d'espèces, tandis que le bien n'en a jamais qu'une. Et, par exemple, la santé est simple, et la maladie a mille formes. De même, la vertu est simple aussi, et le vice est multiple ; et ainsi, tous les gens que nous venons de signaler sont indistinctement blâmables à l'endroit de l'argent.
§ 4. Mais
appartient-il à l'homme libéral d'acquérir et d'amasser de l'argent?
Ou doit-il négliger ce soin ? Les autres vertus sont dans le même
cas que celle-ci ; et ce n'est point, par exemple, au courage de
fabriquer des armes, c'est l'objet d'une autre science ; mais c'est
au courage de les prendre pour s'en servir. De même encore pour la
tempérance et pour les autres vertus sans exception. Ce n'est donc
pas non plus à la libéralité d'acquérir de l'argent ; ce soin
regarde la science de la richesse ou chrématistique. |
Ch. XXII. Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 1; Morale à Eudème, livre III, ch. 4. § 1. Et l'avarice, Le texte dit : « l'illibéralité » . Ce terme marquerait peut-être mieux l'antithèse, et je l'ai employé quelquefois dans la traduction de la Morale à Nicomaque. § 2. Également blâmables. Il serait difficile en effet de décider le quel des deux est le plus blâmable de l'avare ou du prodigue. § 3. Des cuistres. Le mot de l'original a la même trivialité. Des ladres à couper.... J'ai paraphrasé le mot grec. Des sordides ne reculant jamais... Des chiches relevant.. Même remarque. § 4. D'acquérir et d'amasser de l'argent. Alors la libéralité ne serait possible qu'à ceux qui ont hérité de la fortune acquise par d'autres ; car l'homme généreux doit, pour continuer sa libéralité, savoir acquérir. La science de la richesse. Paraphrase du ce qui suit,
Chrématistique. Voir la Politique, livre I. ch. 3, p. 23 de me
traduction, 2e édition. Le mot de
«
chrématistique
»
a
été employé quelquefois dans notre langue, pour désigner l'économie
politique. Voir le cours de M. Rossi, 1re leçon. |
De
la
grandeur d'âme : elle est le milieu entre l'insolence et la
bassesse. — Le magnanime n'ambitionne que l'estime et la
considération des honnêtes gens. -- Définition du magnanime. |
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§ 1. La grandeur d'âme est une sorte de milieu entre l'insolence et la bassesse. Elle se rapporte à l'honneur et au déshonneur. Mais ce n'est pas à l'honneur dont dispose le vulgaire, c'est à l'honneur dont les honnêtes gens sont les seuls juges; et c'est bien plus de celui-là qu'elle se préoccupe. Les hommes de bien qui connaissent les choses et les apprécient à leur juste valeur, accorderont leur estime à qui la mérite ; et- le magnanime préférera toujours l'estime éclairée d'un coeur qui sait combien le sien est vraiment estimable. Mais la magnanimité ne recherche pas tout honneur sans distinction ; elle ne recherchera que l'honneur le plus haut, et n'ambitionnera que ce bien assez précieux pour qu'on puisse l'élever à la hauteur d'un principe. § 2. Les hommes méprisables et vicieux, qui se jugeant eux-mêmes dignes des plus grands honneurs, mesurent à leur propre opinion la considération qu'ils exigent, sont ce qu'on peut appeler des insolents ; ceux au contraire qui exigent moins qu'il ne leur revient en bonne justice, montrent une âme basse. § 3. Entre ces deux extrêmes, celui (lui tient le milieu c'est celui qui n'exige pas pour lui moins d'honneurs qu'il ne lui en revient, ni plus qu'il n'en mérite, et qui ne veut pas les accaparer tous pour lui seul. Celui-là est - le magnanime ; et, je le répète, évidemment la grandeur d'âme est le milieu entre l'insolence et la bassesse. |
Ch. XXlll. Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 3; Morale à Eudème, livre III, ch 5. § 2. Montrent une âme basse. L'expression est peut-être un peu rude. Il n'y a bassesse d'âme que si c'est la crainte qui vous fait exiger moins qu'il ne vous revient. § 3. Celui-là est le magnanime. C'est dans la Morale à Nicomaque qu'il faut lire le portrait magnifique qu'a fait Aristote de la grandeur drame. Le résumé qui en est donné ici est insuffisant et inexact ; celui de la Morale à Eudème est beaucoup plus complet. |
De la magnificence : elle est un milieu entre l'ostentation et la mesquinerie. Elle se rapporte à la manière de dépenser convenablement selon les temps, les lieux et les choses. — Le faste. — La mesquinerie. — Définition de la véritable magnificence.
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§ 1. La magnificence est le milieu entre l'ostentation et la mesquinerie. Elle se rapporte aux dépenses qu'un homme haut placé doit savoir faire. Celui qui dépense quand il ne faut pas, est fastueux et prodigue ; et, par exemple, quand on traite de simples convives qui apportent leur écot au repas, comme on traiterait dés invités de noces, on montre de l'ostentation et du faste; car l'ostentation consiste à faire parade de sa fortune dans les occasions où l'on ne devrait pas la montrer. § 2. La mesquinerie, qui est le défaut contraire du faste, consiste à ne pas savoir dépenser grandement quand il convient; ou bien quand on se résout à faire de ces grandes dépenses, par exemple, à l'occasion d'une noce ou d'une cérémonie publique, à ne pas savoir faire la dépense convenable et à la marchander avec parcimonie. C'est là ce qu'on appelle être mesquin. § 3. On comprend assez que la magnificence est bien telle que nous la décrivons, rien que par le nom même qu'elle porte ; et c'est parce qu'elle fait dans l'occasion les choses en grand, comme il convient de les faire, qu'elle reçoit à bon droit le nom de magnificence. Ainsi, la magnificence, puisqu'elle est louable, est un certain milieu entre l'excès et le défaut dans les dépenses, selon les circonstances où il convint de les faire. § 4. On veut aussi, quelquefois, distinguer plusieurs sortes de magnificence ; et, par exemple, on dit en parlant de quelqu'un : « Il marchait magnifiquement ». Mais ces acceptions diverses de l'idée de magnificence, ne reposent, comme celle-ci, que sur des métaphores; et ce mot n'est plus alors employé dans son sens spécial. A proprement parler, il n'y a pas dans ces cas-là de magnificence; il n'y en a que dans les limites où nous l'avons dit. |
Ch XXIV. Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 2; Morale à Eudème, livre III, ch. 6. § 1. Quand on traite de simples convives. Le même exemple est employé dans la Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 2, § 18. § 2. La mesquinerie. Notre langue n'a pas une expression autre que celle-là. J'aurais voulu trouver un mot moins vulgaire pour l'opposer à celui de magnificence. § 3. Le nom de magnificence. L'étymologie n'est pas aussi évidente dans notre langue, parce qu'il faut remonter au latin. § 4. Il marchait magnifIquement. Ces locutions sont admises aussi en français. Il parait qu'en grec elles étaient aussi peu justes. |
De
l'indignation qu'inspire le sentiment de la justice. Elle tient le
milieu entre l'envie, qui se désole du bonheur des autres, et la
malveillance, qui se réjouit de leurs maux. |
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§ 1. La juste indignation, en grec Némésis, est le milieu entre l'envie, qui se désole du bonheur des autres, et la joie malveillante, qui est heureuse de leurs maux. Toutes les deux sont des sentiments blâmables ; et l'homme seul qui s'indigne à juste titre, doit recevoir notre louange. La juste indignation est la douleur qu'on éprouve de voir le succès échoir à quelqu'un qui ne le mérite pas; et le coeur qui s'indigne à juste titre, est celui qui peut ressentir des peines de ce genre. Réciproquement aussi, il s'indigne de voir souffrir quelqu'un qui ne mérite pas son malheur. Voilà ce que c'est à peu près que la juste indignation ; et tel est le caractère de celui qui s'indigne justement. § 2. L'envieux lui est contraire, en ce sens qu'il est toujours indistinctement peiné de voir la prospérité d'un autre, que cet autre d'ailleurs la mérite ou ne la mérite point. De même que l'envieux, le malveillant, qui se réjouit du mal, sera toujours heureux du malheur des autres, que ce malheur soit ou ne soit pas mérité. L'homme qui ne s'indigne qu'au nom de la justice, ne leur ressemble ni à l'un ni à l'autre ; il tient le milieu entre ces deux extrêmes. |
Ch. XXV. Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 5; Morale à Eudème, livre III, ch. 7. Il n'y a d'ailleurs dans ces deux ouvrages que quelques traits de commun. § 1. En grec Némésis. J'ai rappelé le mot grec, qu'il m'a fallu paraphraser, parce qu'il n'a pas d'équivalent direct dans notre langue. Qui s'indigne à juste titre. Paraphrase du mot grec; j'ai dû recourir à la paraphrase dans tout ce chapitre. qui ne peut être rendu intelligible que par ce moyen.
§ 2.
Le malveillant, qui se réjouit du mal. Autre paraphrase. |
De la dignité et du respect de soi dans les rapports de société. Elle tient le milieu entre l'arrogance, qui n'est contente que d'elle-même, et la complaisance, qui recherche tout le monde.
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§ 1. La tenue et le respect de soi est le milieu entre l'arrogance, qui n'est contente que d'elle-même, et la complaisance, qui s'empresse indifféremment pour tout le monde. La tenue s'applique aux relations de société. L'arrogant est d'humeur à ne fréquenter personne, et à ne daigner parler à qui que ce soit. Le nom même qu'on lui donne, en grec Authadès, paraît venir de sa manière d'être. L'arrogant est en quelque sorte autoadès, c'est-à-dire content de soi ; et on l'appelle ainsi, parce qu'il se plaît beaucoup à lui-même. § 2. Le complaisant est celui qui peut s'accommoder de la société de tout le monde, pour toute relation et en toute circonstance. Ni l'un ni l'autre de ces caractères n'est louable. Mais l'homme qui a de la dignité et de la tenue, est estimé, parce qu'il garde le milieu entre ces extrêmes. Il ne va pas avec tout le monde ; il ne va qu'avec ceux qui sont dignes de sa société. Mais il ne fuit pas tout le monde non plus ; il ne fuit que ceux qui méritent aussi qu'on les évite. |
Ch. XXVI. Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 8; Morale à Eudème, livre III, ch. 7. § 1. La tenue. C'est peut-être le mot qui répond le mieux à celui du texte ; on pourrait employer ami le mot de «dignité » . En grec Authadès. J'ai dû paraphraser, pour rendre ce passe facile à comprendre. Autoadès. Mot composé en grec de deux mots qui signifient : « qui se plaît à lui-même. » § 2. De la dignité et de la tenue. Il n'y a qu'un seul mot dans le textes |
De la modestie : elle tient le milieu entre l'impudence, qui se permet tout, et la timidité, que tout embarrasse.
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§ 1. La modestie est un milieu entre l'impudence, qui se permet tout, et la timidité, que tout paralyse. Elle se produit dans les actions et dans les paroles. L'impudent est celui qui dit et fait tout, en toute rencontre, devant tout le monde, selon que cela se trouve. L'homme timide et embarrassé, qui est le contraire de celui-là, est l'homme qui prend toutes sortes de précautions pour agir et pour parler, en toutes choses, avec tout le monde. Il est toujours gêné et comme interdit ; il n'est bon à rien faire. La modestie et l'homme modeste tiennent le milieu entre ces extrêmes. L'homme modeste saura se garder à la fois de tout dire et de tout faire, en toute occasion, comme l'impudent ; et comme le timide qui se démonte trop aisément, d'avoir défiance pour tout et toujours. Mais il saura faire et dire les choses où il faut, qu'il faut et quand il faut. |
Ch. XXVII. Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 8 et 9; Morale à Eudème, litre III, ch. 7; les traits communs sont peu nombreux. § 1. L'homme timide et embarrassé. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. |
De l'amabilité : elle est le milieu entre la bouffonnerie, qui plaisante de tout et constamment, et la rusticité, qui ne plaisante jamais et qui se blesse aisément. La véritable amabilité se prête facilement à lancer des plaisanteries et à en recevoir.
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§ 1. L'amabilité est le milieu entre la bouffonnerie et la rusticité ; elle se rapporte à l'usage de la plaisanterie. Le bouffon est celui qui s'imagine qu'on peut se moquer de tout et de toute façon. La rusticité, au contraire, est le défaut de celui qui croit qu'on ne doit jamais se moquer de rien, et qui s'emporte si l'on vient à se moquer de lui. La véritable amabilité est entre les deux ; elle ne plaisante pas de tout et toujours; mais elle n'est pas moins loin d'une grossièreté rustique. Du reste, l'amabilité peut se montrer sous deux faces : elle sait à la fois plaisanter avec mesure et supporter au besoin les moqueries des autres. Tel est l'homme vraiment aimable, et la véritable amabilité, qui se prête facilement à la plaisanterie. |
Cil. XXVIII. Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 8; Morale à Eudème, livre III, ch. 7. § 1. L'amabilité. Ce portrait de l'amabilité, quoiqu'un peu court, ainsi que le précédent, ne manque pas de grâce, non plus que lui. C'est un style assez remarquable. |
De la bienveillance : elle est le milieu entre la flatterie et l'hostilité. La flatterie exagère les choses, l'hostilité les diminue. L'amitié bienveillante les dit comme elles sont.
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§ 1. L'amitié sincère est le milieu entre la flatterie et l'hostilité ; elle se montre dans les actes et dans les paroles. Le flatteur est celui qui accorde aux gens plus qu'il ne convient et plus qu'ils n'ont. L'ennemi de quelqu'un est celui qui nie même les avantages évidents que possède cette personne. Il va sans dire qu'aucun de ces deux caractères n'est louable. § 2. Le sincère ami tient le vrai milieu ; il n'ajoute rien aux avantages qui distinguent celui dont il parle ; il ne le loue point de ceux qu'il n'a point ; mais il ne les rabaisse pas non plus, et il ne se plaît jamais à contredire son propre sentiment. Tel est l'ami. |
Ch. XXIX. Morale à Nicomaque, livre IX, ch. 5, et livre IV, ch. 6 et 7 ; Morale à Eudème, livre III, ch. 7. § 1. L'amitié sincère. J'ai ajouté ce dernier mol. -- L'hostilité. Peut-être serait-il mieux de dire : «l'esprit d'hostilité. » § 2. Le sincère ami. Peut-être le mot « d'ami » est-il ici trop fort ; mais j'ai dû suivre le texte. |
De la
véracité : elle est le milieu entre la fanfaronnade et la
dissimulation. — Caractère de l'homme véridique. |
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§ 1. La véracité est le milieu entre la dissimulation et la fanfaronnade. Elle ne concerne que les paroles, sans que d'ailleurs elle concerne indistinctement les paroles de tout genre. Le fanfaron est celui qui feint et se vante d'avoir plus qu'il n'a, ou de savoir ce qu'il ne sait pas. Le dissimulé est le contraire ; il feint d'avoir moins qu'il n'a ; il nie savoir ce qu'il sait, et il cache qu'il le sait.
§ 2. L'homme
vrai ne fait ni l'un ni l'autre. Il ne feindra pas d'avoir, soit
pins, soit moins que ce qu'il a ; mais il dira Franchement ce qu'il
a, comme il dira ce qu'il sait. Que ce soit là ou que ce ne soit pas
de réelles vertus, c'est une autre question. Mais il est évident
qu'il y a des milieux dans les caractères qu'on vient de tracer,
puisque, quand on garde ces milieux dans sa conduite, on mérite des
éloges. |
Ch. XXX. Morale à Nicomaque, livre IV, ch. 7; Morale à Eudème, livre III, ch. 7. § 1. La dissimulation. Ou peut-être « ironie » ; mais ce dernier mot dans notre langue n'a pas tout à fait le même sens que le mot d'où il est tiré en grec.
Que ce
soit... de réelles vertus. Cette question peut en effet être
soulevée pour quelques-unes des qualités qu'on vient de décrire, et
résolue négativement. |
De la
justice.— Il y a plusieurs espèces de juste. Le juste suivant la loi
et le juste suivant la nature; le juste qui ne se rapporte qu'à
l'individu; le juste qui se rapporte aux autres. Le juste relatif
aux autres est un milieu, puisqu'il consiste dans l'égalité.
L'égalité, pour être raisonnable, doit être proportionnelle; Platon.
C'est l'égalité proportionnelle qui maintient les sociétés en
ménageant les intérêts. -- Digression sur l'intervention et le rôle
nécessaire de la monnaie dans les transactions sociales. - Limites
du talion. Erreur des Pythagoriciens. — La justice politique est
celle qu'on doit surtout étudier ici. il n'y a pas de rapport de
justice des enfants au père; de l'esclave, au maître.-
Association conjugale : la femme est presque l'égale du mari. --
Le juste suivant la loi et le juste selon la nature ne doivent
jamais être confondus. Le juste par nature ne change pas comme le
juste légal. — Caractère essentiel de l'injustice : participation
nécessaire d'une volonté éclairée; ignorance innocente; ignorance
coupable. -- Peut-on faire une injustice contre soi-même? Arguments
pour et contre. — On ne peut être coupable envers soi. —
L'intempérant. Explication de cette contradiction apparente. II y a
plusieurs parties dans l'âme, meilleures ou pires ; et l'une peut
être injuste à l'égard de l'autre. |
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§ 1. Il nous resterait maintenant à parler de la justice, et à expliquer ce qu'elle est, dans quels individus elle se montre, et à quels objets elle s'applique. D'abord, si nous étudions la nature même du juste, nous reconnaîtrons qu'il y a deux sortes de juste. Le premier est le juste selon la loi ; et c'est en ce sens qu'on appelle justes les choses que la loi ordonne. La loi ordonne, par exemple, des actes de courage, des actes de sagesse, et en général toutes les actions qu'on dénomme d'après les vertus qui les inspirent. Voilà ce qui fait que l'on dit encore de la justice qu'elle est une sorte de vertu complète. En effet, si les actes que la loi commande sont des actes justes, et que la loi n'ordonne jamais que les actes qui sont conformes à toutes les différentes vertus, il s'en suit que l'homme qui observe scrupuleusement la loi et qui accomplit les choses justes qu'elle consacre, est empiétement vertueux. Par conséquent, je le répète, l'homme juste et la justice nous représentent une sorte de vertu parfaite. Voilà donc une première espèce de justice qui consiste dans les actes et qui s'applique aux choses que nous venons de dire. § 2. Mais ce n'est pas là tout à fait le juste ni la justice tels que nous les cherchons. Dans tous les actes de justice compris, comme la loi les comprend, l'individu qui les accomplit peut être juste exclusivement pour lui-même et vis-à-vis de soi, puisque le sage, le courageux, le tempérant n'a ces vertus que pour lui seul, et qu'elles ne sortent pas de lui. Mais le juste qui se rapporte à autrui, est fort différent du juste tel qu'il résulte de la loi; car il n'est pas possible, dans le juste qui est relatif aux autres, d'être juste pour soi tout seul. Voilà précisément le juste et la justice que nous voulons connaître, et qui s'appliquent aux actes que nous venons d'indiquer. § 3. Le juste qui est relatif aux autres, c'est, pour le dire en un seul mot, l'équité, l'égalité ; l'injuste, c'est l'inégal. Lorsqu'on s'attribue à soi-même une part de bien plus grande, ou une part moins grande de mal, il y a iniquité, inégalité ; et les gens pensent alors que vous avez commis et qu'ils ont souffert une injustice. § 4. La conséquence évidente, si l'injustice consiste dans l'inégalité, c'est que la justice et le juste consisteront dans l'égalité parfaite des contrats. Une autre conséquence, c'est que la justice est un milieu entre l'excès et le défaut, entre le trop, et le trop peu. Celui qui commet l'injustice a, grâce à cette injustice, plus qu'il ne doit avoir ; celui qui la souffre, précisément parce qu'il la souffre, a moins qu'il ne faut. Le milieu de ces extrêmes, c'est le juste. Or, le milieu, la moitié est égale; de telle sorte que l'égal entre le plus et le moins est le juste, et que l'homme juste est celui qui, dans ses rapports avec autrui, ne veut avoir que l'égalité. § 5. L'égalité suppose tout au moins deux termes. Ainsi donc, l'égalité, en tant qu'elle est relative aux autres, c'est le juste ; et l'homme vraiment juste est celui que je viens de dire, et qui ne veut qu'elle. § 6. La justice consistant dans le juste, dans l'égal et dans un certain milieu, le juste ne peut être du juste qu'entre certains êtres, l'égal ne peut être égal que pour certaines choses ; le milieu n'est le milieu qu'entre certaines choses. Aussi, il en faut conclure que la justice et le juste sont relatifs et à certains êtres et à certaines choses. § 7. De plus, le juste étant l'égal, l'égal proportionnel ou l'égalité proportionnelle sera encore le juste. Or, une proportion exige au moins quatre termes ; et pour l'établir, il faut dire, par exemple : A est à B comme C est à D. Autre exemple de proportionnalité : Celui qui possède beaucoup doit apporter beaucoup à la masse commune, et celui qui possède peu doit apporter peu. Réciproquement, il est également proportionnel que celui qui a beaucoup travaillé, reçoive beaucoup en salaire ; et que celui qui a peu travaillé, reçoive peu de chose. Ce que le grand travail est au petit, beaucoup l'est à peu ; et celui qui a beaucoup travaillé est en rapport avec beaucoup, tout comme celui qui a peu travaillé est en rapport avec peu, § 8. C'est aussi cette proportionnalité de la justice que Platon paraît avoir voulu appliquer dans sa République : « Le laboureur, dit-il, produit le blé ;l'architecte construit la maison ; le tisserand file le vêtement ; le cordonnier fait la chaussure. Le laboureur donne le blé à l'architecte, qui à son tour lui donne la maison ; mêmes rapports entre tous les autres citoyens, qui échangent ce qu'ils possèdent contre ce que possèdent les autres de leur côté. » § 9. Mais voici comment s'établit entr'eux la proportion. Ce que le laboureur est à l'architecte, l'architecte l'est réciproquement au laboureur. § 10. Même rapport pour le tisserand, pour le cordonnier et pour tous les autres, entre qui la proportion reste toujours également la même. § 11. C'est précisément cette proportionnalité qui constitue et maintient le lien social ; et l'on a pu dire en ce sens que la justice est la proportion; car c'est le juste qui conserve les sociétés ; et le juste se confond identiquement avec le proportionnel. § 12. Mais l'architecte mettait un plus haut prix à son ouvrage que le cordonnier ; et il était difficile que le cordonnier fit un échange de son oeuvre contre celle de l'architecte, puisqu'il ne pouvait, à la place de ses souliers, avoir une maison. On a donc imaginé un moyen de rendre toutes ces choses vénales, et l'on a décrété au nom de la loi que l'intermédiaire de toutes les ventes et achats possibles serait une certaine quantité d' argent, qu' on a appelée monnaie, en grec, Nomisma, du caractère légal qu'elle porte; et qu'en s'en donnant dans chaque circonstance les uns aux autres une quantité relative au prix de chaque objet, on pourrait faire toute espèce d'échanges, et main tenir par là le lien de l'association politique. § 13. Le juste consistant dans ces rapports, et dans ceux dont j'ai parlé un peu plus haut, la justice qui concerne ces rapports est la vertu qui pousse l'homme à faire spontanément toutes les choses de cet ordre avec une intention parfaitement réfléchie, et à se conduire comme on vient de le voir dans tous ces cas. § 14. On peut dire encore que la justice est le talion. Mais ce ne peut pas être au sens où l'entendaient les Pythagoriciens. Selon eux, il serait juste de souffrir à son tour tout ce qu'on aurait fait soi-même à autrui. Or, ceci n'est pas possible entre tous les hommes sans exception. Le juste n'est pas le même du serviteur à l'homme libre que de l'homme libre au serviteur; le serviteur qui frappe un homme libre, ne doit pas recevoir en bonne justice autant de coups qu'il en a donné ; il doit en recevoir bien davantage ; c'est que le talion n'est juste ainsi qu'avec la proportionnalité. Autant l'homme libre est au-dessus de l'esclave, autant le talion doit différer de l'acte qui le provoque. J'ajoute qu'il doit y avoir dans certains cas même différence de l'homme libre à l'homme libre. Il n'est pas juste, si quelqu'un a crevé l' oeil d'un autre, qu'on se contente de lui en crever un ; il faut que son châtiment soit plus grand conformément à la règle de proportion ; car c'est lui qui a frappé le premier et qui a commis un délit. A ces deux titres, il est coupable ; et par conséquent, la proportionnalité exige que, comme les délits sont plus forts, le coupable aussi souffre plus de mal qu'il n'en a fait. § 15. Mais comme le juste peut s'entendre en plusieurs sens, il faut déterminer de quelle espèce de juste on s'occupe ici. Il y a, dit-on, certainement des rapports de justice du serviteur au maître et de l'enfant au père ; et le juste dans ces relations-là parait, à ceux qui le reconnaissent, synonyme du juste civil et politique ; car le juste que nous étudions ici, est le juste politique. § 16. Or, nous avons vu que la justice civile consiste surtout dans l'égalité ; les citoyens sont, on peut dire, des associés qu'on doit regarder au fond comme semblables par leur nature, et qui ne sont différents que dans la façon d'être. Mais on pourrait trouver qu'il n'y a pas de rapports de justice possibles du fils au père, et de l'esclave au maître, pas plus qu'il n'y en a, relativement à moi-même, de mon pied ni de ma main, ni d'aucune autre partie de mon corps. C'est là aussi ce que le fils paraît être à l'égard de son père; le fils n'est qu'une partie du père en quelque sorte ; et c'est seulement quand il a pris lui-même toute la valeur et le rang d'un homme, et qu'il s'est isolé à ce titre, qu'il devient l'égal du père et son semblable, rapports que les citoyens tâchent toujours d'établir entre eux. § 17. Par la même raison et dans des relations à peu près pareilles, il n'y a pas non plus de justice, de droit, de l'esclave au maître ; car le serviteur est une partie de son maître ; et s'il y a un droit et une justice pour lui, c'est la justice de la famille, celle qu'on pourrait appeler la justice économique. Mais nous ne cherchons pas cette justice-là ; nous étudions uniquement la justice politique et civile ; et la justice politique semble consister exclusivement dans l'égalité et la complète similitude. § 18. Le juste dans l'association du mari et de la femme se rapproche beaucoup de la justice politique. La femme sans doute est inférieure à l'homme ; mais elle lui est plus intime que l'enfant ou l'esclave ; et elle est plus près qu'eux d'être l'égale de son mari. Aussi, leur vie commune se rapproche-t-elle de l'association politique ; et par suite, la justice de la femme à l'époux est en quelque sorte plus politique qu'aucune de celles que nous venons d'indiquer. § 19. Le juste au point de vue où nous sommes placés, se trouvant donc dans l'association politique, il s'en suit que les idées et de la justice et de l'homme juste se rapporteront spécialement à la justice politique. Or, parmi les choses qu'on appelle justes, les unes le sont par la nature ; les autres ne le sont que par la loi. Mais il ne faut pas supposer que ces deux ordres de choses sont absolument immuables; les choses mêmes de la nature sont sujettes aussi au changement. § 20. Je m'explique par un exemple. Si nous nous appliquions tous à nous servir de la main gauche, nous deviendrions sans doute ambidextres ; et cependant la nature ferait toujours qu'il y aurait une main gauche. Nous ne pourrions donc pas empêcher que la main droite ne valût mieux qu'elle, quand bien même nous ferions tout de la gauche aussi habilement que de la droite. Mais de ce que les deux mains peuvent devenir également adroites et changer, ce serait une erreur de croire qu'il n'y a pas de nature pour l'une et pour l'autre ; et comme la gauche demeure la gauche le plus ordinairement et le plus longtemps, et que la droite demeure également la droite, on dit que c'est là une chose de nature. § 21. Cette remarque s'applique exactement aux choses justes par nature, à la justice naturelle ; et ce n'est pas parce que ce juste peut changer quelquefois pour notre usage, qu'il cesse d'être juste par nature. Loin de là, il reste juste ; car ce qui demeure juste dans la plus grande partie des cas est de toute évidence le juste naturel. La justice que nous établissons et sanctionnons par nos lois, c'est certainement encore la justice ; mais nous l'appelons la justice selon la loi, la justice légale. Le juste selon la nature est sans contredit supérieur au juste suivant la loi, que font les hommes. Mais le juste que nous cherchons en ce moment, c'est le juste politique et civil ; et la justice politique est celle qui est faite par la loi, et non pas celle de la nature. § 22. L'injuste et l'acte injuste pourraient sembler se confondre; et cependant il faut les distinguer. L'injuste est déterminé précisément par la loi ; et, par exemple, il est injuste de frustrer quelqu'un du dépôt qu'il vous a confié. L'acte injuste s'étend plus loin, et c'est de faire en réalité une chose quelconque injustement, Même différence entre l'acte juste et le juste. Le juste est aussi ce qui est fixé positivement par la loi ; et l'acte juste c'est de faire réellement des choses justes. § 23. Quand donc un acte est-il juste? Et quand ne l'est-il pas? Pour le dire en peu de mots, un acte est juste quand on agit avec une intention réfléchie et une entière liberté. J'ai dit plus haut ce qu'il nous faut entendre par un acte libre et volontaire. Quand on se rend bien compte pour qui, en quel temps et pourquoi l'on agit ainsi qu'on le fait, alors on fait vraiment un acte juste ; et réciproquement, l'homme injuste sera également celui qui sait à qui, quand et pourquoi il fait ce qu'il fait. Lorsque sans le savoir et sans aucune de ces conditions, on fait quelque chose d'injuste, on n'est pas vraiment injuste ; on est simplement malheureux. Par exemple, si croyant tuer un ennemi on a tué son père, on a bien fait un acte injuste ; mais l'on n'a point commis de crime envers personne ; seulement, c'est un malheur. § 24. Ainsi donc, on ne commet pas réellement d'injustice tout en faisant un acte injuste, quand on agit avec pleine ignorance, et que, comme nous le disions à l'instant, on ne sait pas, ni qui l'on frappe, ni comment, ni pourquoi. § 25. Mais il est bon d'expliquer un peu précisément ce que c'est que cette ignorance, et comment il se peut qu'en ignorant complètement la personne à qui l'on nuit, on ne soit, pas coupable. Voici dans quelles limites nous circonscrivons cette ignorance. Quand l'ignorance est la cause directe de l'action qu'on a faite, on n'a plus fait cette action volontairement ; et par conséquent, on n'est pas coupable. Mais quand au contraire on est cause soi-même de cette ignorance, et qu'on fait quelque chose par suite de cette ignorance dont on est la seule cause, alors on est coupable ; et c'est avec raison qu'on est appelé la cause du délit et qu'on en est responsable. C'est le cas de l'ivresse. Les gens qui étant ivres font quelque chose de mal sont coupables ; car ils sont cause eux-mêmes de leur ignorance. Ils étaient libres de ne pas boire jusqu'à ce point de méconnaître leur père et de le frapper. § 26. De même pour tous les autres cas d'ignorance que l'on cause soi-même ; ceux qui font mal par suite de ces aveuglements volontaires sont injustes et coupables. Mais pour ces ignorances dont on n'est pas la cause, et qui font seules qu'on agit comme on agit, on n'est pas coupable. C'est là en quelque sorte une ignorance toute physique, comme celle des enfants qui, ne connaissant pas encore leur père, viennent à le frapper. Cette ignorance toute naturelle, dans les cas de cette sorte, ne fait pas que, pour cette action aveugle, on dise des enfants qu'ils sont coupables de ce qu'ils font. L'ignorance étant la cause unique de leur acte, et eux-mêmes n'étant pour rien dans le fait de leur ignorance, on ne peut pas les accuser, ni les croire coupables. § 27. Une question s'élève, non plus sur l'injustice qu'on fait, mais sur celle qu'on souffre; et l'on demande : Peut-on volontairement souffrir une injustice ? Ou bien est-ce impossible? Nous faisons bien librement et volontairement des choses justes ou même des choses injustes ; mais nous ne sommes jamais volontairement les victimes de l'injustice. Nous fuyons avec grand soin tout ce qui nous peut nuire, et il n'est pas moins évident que nous ne souffririons pas de notre plein gré le tort qu'on nous fait, si nous pouvions l'empêcher. Personne ne supporte volontiers qu'on lui fasse tort ; et souffrir une injustice, c'est essuyer un tort et un dommage. §. 28. Oui ; tout cela est vrai ; mais il y a des cas où, quoi qu'on pût exiger l'égalité, on concède une partie de ses droits aux autres. Et alors, s'il était juste qu'on eût une part égale, avoir une moindre part est une injustice ; et comme on subit la réduction volontairement, il en résulte, dit-on, que l'on souffre volontairement une injustice. Voilà sans doute ce qu'on peut dire. Mais une preuve que le tort n'est pas réellement consenti, c'est que ceux qui, dans ces cas, se contentent d'une moindre part que la leur, réclament en place de ce qu'ils cèdent, ou de l'honneur, ou de la louange, ou de la gloire, ou de l'affection, ou telle autre compensation de ce genre. Or, celui qui échange quelque chose contre l'objet qu'il accorde, celui-là n'éprouve aucun tort; et s'il ne souffre pas d'injustice, il ne la souffre donc pas volontairement. § 29. Ajoutez que ceux qui prennent ainsi moins que leur part, et qui semblent traités injustement, s'ils ne reçoivent pas une portion égale à celle des autres, ne manquent pas de se glorifier de ces concessions et d'en faire parade en disant : « J'aurais bien pu avoir une part égale ; mais je ne l'ai pas prise, et je ]'ai abandonnée à un tel, qui est plus âgé, ou à un tel, qui 'est mon ami. » Or, personne ne se vante d'une injustice qu'il a soufferte. Mais si l'on ne fait jamais parade des injustices qu'on subit, et si l'on fait parade de celle-ci, il est clair que dans ce prétendu partage inégal, on n'a point été lésé, en gardant la part la plus petite; et si l'on a point du tout souffert d'injustice, il s'ensuit à plus forte raison, je le répète, que l'on n'a point souffert une injustice volontairement. § 30. Je conviens qu'un argument contre toute cette théorie, c'est l'exemple qu'on peut tirer de l'intempérance. L'homme intempérant, dira-t-on, qui ne sait pas se maîtriser, se nuit à lui-même en faisant un acte vicieux ; et il le fait de sa pleine volonté. Donc, il se nuit à lui-même tout en le sachant fort bien ; et ainsi, il souffre volontairement une injustice et un tort qu'il se fait à lui-même de son plein gré. Mais la légère addition que nous ferons à notre définition réfutera ce raisonnement; et voici notre addition : C'est que personne ne veut réellement souffrir . d'injustice. Sans aucun doute, c'est en le voulant que l'intempérant accomplit ses actes d'intempérance, de telle sorte qu'il se fait injustice et tort à lui-même, et qu'ainsi il veut se faire du mal. Mais personne, venons-nous de dire, ne veut souffrir d'injustice ; donc non plus l'intempérant lui-même ne peut pas souffrir une injustice volontairement de sa propre part. § 31. Mais peut-être ici pourrait-on encore élever une autre question et demander : « Il se peut donc qu'on soit coupable contre soi-même » ? Du moins, il semble en regardant à l'exemple de l'intempérant que cela est possible ; et évidemment, si ce qu'ordonne la loi est juste, celui qui ne le fait pas est injuste ; et si la loi, prescrivant de faire quelque chose pour quelqu'un, on ne le fait point, on est injuste envers cette personne. Or, la loi ordonne d'être tempérant et sage, de conserver son bien, de soigner son corps ; et elle a telles autres prescriptions de ce genre. Celui donc qui ne fait pas tout cela est injuste envers lui-même, puisque aucun de ces délits ne peut jamais s'étendre et passer jusqu'à un autre. § 32. Mais tous ces raisonnements ne sont pas vrais le moins du monde ; et en fait, on ne peut pas être injuste envers soi-même. Il est de toute impossibilité qu'un même individu, dans le même moment, ait tout à la fois plus et moins, et qu'il agisse tout ensemble et de son plein gré et malgré lui. L'injuste, en tant qu'injuste, a plus qu'il ne lui revient; la victime qui souffre une injustice, en tant qu'elle la souffre, a moins qu'elle ne devrait avoir. Si donc on se fait injustice à soi-même, il s'ensuit qu'un même individu, dans le même moment, pourrait avoir plus et moins. Mais c'est là ce qui est évidemment impossible ; et par conséquent, on ne peut se faire injustice à soi-même. § 33. En second lieu, comme celui qui fait une injustice la commet avec volonté et intention, et que celui qui la souffre la souffre contre son gré, si l'on pouvait être injuste envers soi-même, il en résulterait qu'on pourrait tout à la fois faire quelque chose de son plein gré et contre son gré. C'est une autre impossibilité aussi palpable ; et il ne se peut pas plus de cette façon que de l'autre qu'on soit injuste envers soi-même. § 34. Même résultat, si l'on descend à l'observation des délits particuliers. On se rend toujours coupable d'un délit, soit en refusant un dépôt, soit en commettant un adultère, un vol, ou quelqu'autre injustice particulière. Mais on ne peut se refuser à soi-même un dépôt qu'on se serait confié ; on ne peut commettre un adultère avec sa propre femme ; on ne peut se voler son propre argent ; et par conséquent, si ce sont là tous les délits possibles et qu'on ne puisse en commettre un seul contre soi-même, il en résulte qu'il est impossible aussi d'être coupable et de commettre un délit contre soi. § 35. Si l'on soutient encore que ce soit possible, il faut du moins convenir que l'injustice n'a plus rien de social et de politique, et qu'elle est toute domestique ou économique. Et voici comment. L'âme, divisée comme elle l'est en plusieurs parties, en a une qui est meilleure, une autre qui est pire ; et s'il y a quelqu'injustice possible dans l'âme, c'est uniquement de ces parties les unes à l'égard des autres. L'injustice domestique ou économique ne peut se distinguer que relativement au pire et au meilleur, pour qu'il soit possible qu'il y ait justice et injustice de l'individu envers soi. Mais ce n'est pas de cette justice-là que nous nous occupons ; et c'est uniquement de la justice politique, c'est-à-dire de celle qui s'exerce entre des citoyens égaux. § 36. En résumé, dans l'ordre des délits que nous étudions, l'individu ne saurait être coupable envers lui-même. Mais on peut encore demander : Qui est donc le coupable dans l'âme ? Dans quelle partie réside le délit ? Est-ce dans la partie de l'âme qui a une disposition injuste, ou qui juge avec injustice, ou qui répartit les parts injustement, comme il arrive dans les luttes et dans les concours? Si l'on reçoit le prix de la main du président qui en décide, on ne fait pas une injustice, bien que le prix soit donné injustement, Le seul coupable de l'injustice commise, c'est celui qui a mal jugé et mal attribué le prix. Et même encore, le président est coupable en un sens ; et en un autre, il ne l'est pas. Il l'est, en tant qu'il n'a pas bien jugé le juste conformément à la vérité et à la nature ; mais en tant qu'il a prononcé selon ses propres lumières, il n'est pas injuste ni coupable. |
Ch. XXXI. Morale à Nicomaque, livre V tout entier; Morale à Eudème, livre IV, id. Le résumé qui en est fait ici est assez exact. § 1. Deux sortes de juste. Morale à Nicomaque, livre V, ch. 4 et 2. Est complètement vertueux. C'est donner à la loi plus de portée qu'elle n'en peut avoir. II est une foule d'actes qui importent beaucoup à la vertu de l'individu, et que la loi ne peut atteindre. Elle ne peut régler non plus en aucune manière les actes intérieurs, c'est-à-dire les sentiments et les pensées. L'homme vertueux aux yeux de la loi peut être très coupable devant sa conscience, et à plus forte raison devant Dieu. § 2. Mais le juste qui se rapporte à autrui. La distinction qu'on essaie de faire ici n'est pas très claire ; et autant qu'on en peut juger, elle n'est pas très exacte. Le juste que la loi ordonne ne peut pas se rapporter exclusivement à l'individu; il se rap¬porte nécessairement aussi aux relations de l'individu avec ses semblables. Une distinction plus vraie est celle qu'avaient établie les Sophistes, tout en la dénaturant, et qu'a si souvent rappelée Platon : le juste selon la loi et le juste selon la nature. La loi n'est que l'interprète de ta justice naturelle. Voir aussi un peu plus bas dans ce chapitre. § 3. L'égalité. N'est pas toujours la justice, à moins qu'elle ne soit proportionnelle dans une foule de cas. § 4. L'égalité parfaite. Ce serait plutôt : « la stricte exécution des contrats » ; car souvent l'inégalité peut y être très justement stipulée. Ne veut avoir que l'égalité. Ou la proportion. Ces nuances sont très bien distinguées dans la Morale à Nicomaque, livre V, ch. 3, § 6. § 5. Ainsi donc. Conclusion qui, logiquement, est peu rigoureuse. § 6. A certains êtres et â certaines choses. Ceci ne contredit pas ce qui vient d'être dit un peu plus haut, que l'égalité suppose toujours deux termes. § 7. Sera encore le juste. Il faut aller plus loin et dire que dans certains cas, la proportion est la seule justice. Exige au moins quatre termes. Morale à Nicomaque, livre V, ch. 3, § 4. § 8. Platon paraît avoir voulu appliquer. Analyse exacte, mais insuffisante du système de Platon. Il serait d'ailleurs assez difficile de dire précisément à quel passage de la République ceci se rapporte. § 11. Cette proportionnalité qui constitue... La proportionnalité n'est qu'un échange équitable et loyal de services dans le sens où on l'entend ici ; ce n'est pas une vraie proportion. C'est d'ailleurs ce que l'auteur reconnaît lui-même un peu plus bas. § 12. Qu'on a appelée monnaie. Morale à Nicomaque, livre V, ch. 5, S 8, le rôle de la monnaie est décrit tout au long. § 14. La justice est le talion. Cette fausse théorie est également réfutée dans la Morale à Nicomaque, id. ibid., où elle est attribuée aussi aux Pythagoriciens. Du serviteur à l'homme libre. Le serviteur se confond avec l'esclave. § 15. Le juste peur s'entendre en plusieurs sens. Voir plus haut au début du chapitre, § 4. A ceux qui le reconnaissent. J'ai ajouté ces mots qui correspondent au « dit-on » de la phrase précédente, et qui servent à éclaircir la pensée trop peu nette dans l'original. § 16. Les citoyens sont... des associés. Ce sont là les principes qu'Aristote a souvent développés dans la Politique. Semblables par leur nature. Toutes les sociétés fondées sur des bases équitables doivent reconnaître ce grand principe. Mais dans l'antiquité, l'égalité parfois admise entre les citoyens ne s'étendait pas jusqu'au« esclaves. Du fils au père, de l'esclave au maître. Voilà les vraies théories d'Aristote, exposées tout au long dans la Politique, livre I, ch. 2, p. 10 et suiv. de ma trad., 2e édition. § 17. Le serviteur est une partie du maître. Id., ibid. Morale à Nicomaque, livre V. ch. 6. Économique. Il faut se rappeler l'étymologie grecque pour donner à ce mot son vrai sens. § 18. Se rapproche beaucoup. Sentiments excellents et très équitables envers les femmes. Voir la Morale à Nicomaque, livre VIII, ch. 12. § 19. Par la nature.... Par La loi. Voir plus haut au début de ce chapitre, et aussi dans la Morale à Nicomaque, livre V, ch. 7. § 21. A la justice naturelle. Source et modèle de la justice légale. En général, les anciens n'ont pas assez insisté sur ce rapport, et sur cette subordination du droit civil au droit naturel. Juste dans la plus grande partie des cas. Ce n'est pas là la vraie mesure de la justice naturelle ; c'est la raison seule qui nous la fait connaître et nous la révèle. L'usage n'en doit pas moins avoir une grande importance, et la philosophie doit toujours le consulter, si ce n'est le suivre. Le juste selon la nature est... supérieur. Principe souvent contesté par les sophistes. § 22. L'injuste et l'acte injuste. Ces distinctions sont plus nettement exprimées, sans être encore très précises, dans la Morale à Nicomaque, livre V, ch. 7 et 8. L'auteur veut distinguer le délit légal et la faute en général. La différence est considérable en effet; et elle repose sur la distinction qui vient d'être faite entre les deux espèces de justice. § 23. Avec une intention réfléchie. Voir la Morale à Nicomaque, livre V, ch. 8. J'ai dit plus haut. Dans ce livre, ch. 11, § 1. § 26. On ne commet pas réellement d'injustice. L'intention est un élément nécessaire de culpabilité dans la plupart des cas. § 25. Expliquer un peu précisément. Cette théorie qui se trouve en grande partie dans la Morale à Nicomaque, loc. laud., n'y en pas exposée aussi nettement qu'ici. La distinction est très vraie; et les tribunaux en tiennent ordinairement le plus grand compte. C'est le cas de l'ivresse. Dans la Politique, livre II, ch. 9, page 198 de ma traduction, 2e édition, Aristote rappelle que dans une loi de Pittacus, les délits commis dans l'ivresse étaient punis d'une peine double. § 26. C'est là en quelque sorte. Détails un peu longs, et presque inutiles pour une idée qui est parfaitement claire. § 27. Mais sur celle qu'on souffre. Morale à Nicomaque, livre V, ch. 11 § 4. § 28. Dit-on. Il y a dans le texte un singulier, qui semblerait indiquer que ceci est une réponse à quelque théorie d'un philosophe dont le nom n'est pus cité. § 29. Ajoutez que ceux.... Cet argument est aussi solide que le précédent, et l'on peut dire que tous deux sont péremptoires. § 30. Se nuit â soi-même. Se nuire à soi-même, ce n'est pas faire une injustice contre soi ; et toute cette discussion ne roule que sur une équivoque. § 31. Une autre question. Fort pareille à la précédente, et aussi subtile. Qu'on soit coupable. Sans doute on peut être coupable envers soi-même; mais c'est une simple métaphore que de dire, même dans ce cas, qu'on se fait une injustice. Or, la loi ordonne d'être tempérant. La loi ne va pas jusque-là ; elle défend les actes extérieurs qui, à la suite de l'intempérance, pourraient troubler le repos de la cité ; mais elle ne peut prescrire et ne prescrit point à l'individu d'être tempérant pour lui-même et pour son propre bien. C'est la raison seule qui le lui commande. Du reste cette théorie fausse est réfutée dans ce qui suit. § 32. Il est de toute impossibilité. Argument métaphysique qui suffit à résoudre la question, à laquelle l'auteur semble du reste attacher trop d'importance. § 34. A l'observation des délits particuliers. Cette réfutation est plus frappante et plus directe que la première. § 35. L'injustice n'a plus rien de social. Dans le sens où ce mot a été pris un peu antérieurement. Et de politique. Il n'y a que ce seul mot dans le texte. L'idée de politique renferme nécessairement ici l'idée d'égalité ; et la justice politique est celle qui s'exerce entre deux citoyens égaux. Elle est toute domestique. Au contraire, la justice domestique s'exerce du supérieur à l'inférieur, du père aux enfants, du maître à l'esclave, etc. Ou économique. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte. C'est-à-dire de celle.... J'ai ajouté cette paraphrase qui ressort de tous les développements antérieurs.
§ 36. Qui est donc le coupable dans
l'âme? Question subtile, qu'on ne résout pas, et que n'éclaircit
pas beaucoup l'exemple qui suit. L'auteur semblerait vouloir dire
que la partie de l'âme qui est coupable dans le cas supposé, c'est
celle qui juge les autres et qui les dirige en les présidant ; ce
serait la raison qui dès lors serait seule coupable. |
De la
raison. Il faut dire précisément ce qu'elle est, pour rendre utiles
et pratiques toutes les théories et les conseils sur la vertu. —
Analyse des diverses parties de l'âme. — Analyse des diverses
facultés qui nous découvrent la vérité : science, prudence,
entendement, sagesse et conjecture. — Caractères différents de ces
facultés. — Comparaison de la prudence et de la sagesse. -- La
prudence et la sagesse sont toutes deux des vertus. - De
l'habileté. Elle est une partie de la prudence. — De l'adresse.
Objet spécial de l'adresse. — La nature a sa part dans la vertu ;
elle nous pousse instinctivement à des actes estimables, et en
général au bien. -- La raison a sa part aussi dans la vertu. —
Socrate a eu tort de confondre la vertu et la raison. Il faut, pour
que la vertu soit complète, réunir la nature à la raison. -
Relation de la prudence aux autres vertus et aux diverses parties de
l'âme. Elle est comme l'intendant de la sagesse. |
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§ 1. Jusqu'ici, en parlant des vertus, nous avons expliqué ce qu'elles sont, dans quels actes elles consistent, et à quoi elles s'appliquent. De plus, nous avons dit, en nous arrêtant à chacune d'elles en particulier, que les pratiquer c'est se conduire le mieux possible en suivant la droite raison. Mais se borner à cette généralité et dire qu'il faut obéir à la droite raison, c'est absolument comme si quelqu'un disait que la vraie manière de conserver la santé, c'est de n'user jamais que de choses bien saines. Certainement ce conseil serait fort obscur ; et si je parlais ainsi, l'on me dirait : « Indiquez précisément les choses saines que vous recommandez. » § 2. De même aussi pour la raison, on peut demander également : Qu'est-ce que la raison ? et quelle est la droite raison ? Pour répondre à cette question, le premier soin peut-être qu'il faut prendre, c'est de bien spécifier la partie de l'âme dans laquelle se trouve la raison, que l'on cherche. § 3. Antérieurement et dans une simple esquisse sur l'âme, on a vu qu'il y a en elle une partie qui est douée de la raison et une autre qui est irrationnelle. A son tour, la partie de l'âme qui est douée de la raison, se divise en deux autres parts qui sont la volonté, et l'entendement, qui est capable de science. Que ces parties de l'âme soient différentes l'une de l'autre, c'est ce qui est évident par la différence même de leurs objets. § 4. De même que ce sont des choses très différentes entre elles que la couleur, la saveur, le son et l'odeur, de même aussi la nature n'a pas manqué de leur attribuer des sens spéciaux et divers. Nous percevons le son par l'ouïe ; la saveur, par le goût ; la couleur, par la vue. On doit supposer que la même loi s'applique à tout le reste ; et puisque les sujets sont différents, il faut aussi que les parties de l'âme qui nous les font connaître, soient différentes comme eux. § 5. Autre en effet est l'intelligible, autre est le sensible ; et comme c'est l'âme qui nous les fait connaître l'un et l'autre, il faut que la partie de l'âme qui se rapporte aux sensibles, soit tout autre que celle qui se rapporte aux intelligibles. La volonté et la libre réflexion s'appliquent aux choses de sensation et de mouvement, en un mot à tout ce qui peut naître et périr. § 6. Notre volonté délibère sur les choses qu'il dépend de nous de faire, ou de ne pas faire, après une décision préalable, et où la volonté et la préférence réfléchie peuvent s'exercer pour agir, ou ne pas agir, selon notre choix. Mais ce sont toujours des choses sensibles, et qui sont en mouvement pour changer d' une façon quelconque. Par conséquent la partie de l'âme qui choisit et se détermine se rapporte, ensuivant la raison, aux choses sensibles. § 7. Ces points une fois fixés, nous devons, puisque la raison s'applique à la vérité, rechercher quelles sont les conditions du vrai dans l'âme. Or, le vrai peut être atteint par la science, la prudence, l'entendement, la sagesse et la conjecture. Il faut donc nous demander, pour faire suite à ce qui précède, à quel objet se rapporte chacune de ces facultés. § 8. D'abord, la science s'applique à ce qui peut être su ; et ce domaine s'étend aussi loin que la démonstration et le raisonnement. Quant à la prudence, elle ne s'applique qu'aux choses faisables et pratiques, qu'il y a possibilité de rechercher ou de fuir, et qu'il dépend de nous de faire ou de ne pas faire. § 9. Mais dans les choses que l'homme peut produire et où il peut agir, il faut distinguer avec soin, d'une part, ce qui produit; et de l'autre, ce qui agit simplement. Pour ce qui produit, il y a toujours quelqu'autre résultat final outre le fait même de la production. Ainsi, dans l'architecture, qui est destinée à produire la maison, le but spécial qu'elle se propose est la maison, indépendamment de la construction même qui produit cette maison. De même encore pour la menuiserie, et pour tous les arts en général qui tendent à produire quelque chose. § 10. Quant aux choses purement pratiques, il n'y a pas d'autre fin que l'action même. Par exemple, quand on - joue de la lyre, on n'a point une autre fin que l'acte même auquel on se livre ; c'est l'acte et le fait seul de jouer qui sont ici la fin qu'on se propose. Ainsi donc, la prudence s'applique à l'action et aux choses de pure action sans résultat ultérieur ; et l'art s'applique à la production et aux choses qu'on produit ; car l'usage de l'art consiste bien plus dans les choses qu'on produit que dans celles où l'on agit simplement. § 11. Ainsi, la prudence est, on peut dire, la faculté qui choisit volontairement, et qui agit dans les choses où il dépend de nous d'agir ou de ne pas agir, et qui toutes en général n'ont que l'utile pour objet. § 12. La prudence est une vertu, à ce qu'il me semble ; ce n'est pas une science; car les gens prudents sont dignes de louange ; et la louange ne s'adresse qu'à la vertu. De plus, il peut y avoir vertu dans toute science ; mais il n'y a pas de vertu à proprement parler dans la prudence, parce que la prudence, à mon avis est elle-même la vertu. § 13. Quant à l'intelligence, elle s'applique aux principes des choses intelligibles et des êtres. La science ne se rapporte qu'aux choses qui admettent la démonstration ; mais les principes sont indémontrables ; de telle sorte que la science ne s'applique pas aux principes, et que c'est l'intelligence seule ou l'entendement qui s'y applique.
§ 14. La
sagesse est un composé de la science et de l'entendement ; car la
sagesse est en rapport tout à la fois et avec les principes, et avec
les démonstrations, qui sortent des principes et sont l'objet propre
de la science. En tant que la sagesse touche aux principes, elle
participe de § 15. Enfin, la conjecture est la faculté par laquelle nous cherchons, dans tous les cas où les choses présentent une double face, à démêler si elles sont ou ne sont pas de telle ou telle façon. § 16. La prudence et la sagesse, telles qu'on vient de les définir, sont-elles ou ne sont-elles pas une seule et même chose ? La sagesse s'adresse aux choses qu'atteint la démonstration et qui sont toujours immuablement ce qu'elles sont. Mais la prudence, loin de concerner les choses de cet ordre, concerne celles qui sont sujettes au changement. Je m'explique : par exemple, la ligne droite, la ligne courbe, la ligne concave, et toutes les choses de ce genre, sont toujours les mêmes. Mais les choses d'intérêt ne sont pas telles qu'elles ne puissent perpétuellement se changer les unes dans lés autres ; elles changent donc ; et l'intérêt d'aujourd'hui n'est plus l'intérêt de demain ; ce qui est utile à celui-ci ne l'est pas à celui-là ; ce qui est utile de telle façon ne l'est pas de telle autre. Mais c'est la prudence qui s'applique aux choses d'utilité, aux intérêts ; ce n'est pas la sagesse. Donc, la prudence et la sagesse sont fort différentes. § 17. Mais la sagesse est-elle ou n'est-elle pas une vertu ? On peut voir bien clairement qu'elle est une vertu rien qu'en se rendant compte de la nature de la prudence. La prudence est, comme nous l'avons dit, une vertu de l'une des deux parties de l'âme qui possèdent la raison ; mais il est évident qu'elle est au-dessous de la sagesse ; car elle s'applique à des objets inférieurs. La sagesse ne s'applique qu'à l'éternel et au divin, comme nous venons de le voir, tandis que la prudence ne s'occupe qu'à des intérêts tout humains. Si donc le terme le moins élevé est encore une vertu, à plus forte raison le terme le plus haut en sera-t-il une ; et ceci prouve certainement que la sagesse est une vertu. § 18. D'autre part, qu'est-ce que l'habileté? et à quoi s'applique-t-elle ? L'habileté s'exerce aussi dans les choses où s'applique la prudence, c'est-à-dire dans les choses que l'homme peut et doit faire. On donne le nom d'habile à celui qui est capable de délibérer sensément, de bien juger et de bien voir, mais dont le jugement s'applique à de petites choses et n'aime que les petites choses. Ainsi, l'habileté et l'homme habile ne sont qu'une partie de la prudence et de l'homme prudent, et ne sauraient être sans eux ; car il serait impossible de séparer l'idée de l'homme habile de l'idée de l'homme prudent. § 19. La même observation pourrait s'appliquer encore à l'adresse. L'adresse n'est pas de la prudence; l' homme adroit n'est pas l'homme prudent; néanmoins l'homme prudent est adroit. Et voilà pourquoi l'adresse coopère dans une certaine mesure aux actes de la prudence. § 20. Mais on dit aussi d'un homme méchant qu'il est adroit; et c'est ainsi, par exemple, que Mentor paraissait adroit sans d'ailleurs être prudent. Le propre de la prudence et de l'homme prudent c'est de ne désirer jamais que les choses les plus nobles, de toujours les préférer, et de toujours les faire. Au contraire, le but unique de l'adresse et de l'homme adroit c'est de découvrir les moyens d'accomplir les choses qui sont à faire et de savoir se les procurer. Tels sont donc les objets dont parait s'occuper l'homme adroit, et auxquels il donne tous ses soins. § 21. Du reste, on pourrait ici nous demander, non sans quelqu'étonnement, pourquoi voulant traiter de la morale et de la politique dans cet ouvrage, nous en sommes venus à parler aussi de la sagesse. Notre premier motif, c'est que, si la sagesse est une vertu, comme nous le disions, l'étude qu'on en fait ne doit pas sembler étrangère à notre sujet. En second lieu, il appartient au philosophe d'étudier sans exception tous les objets qui sont compris dans un même cercle. § 22. Et puisque nous parlons des choses de l'âme, il faut nécessairement parler de toutes ; or, la sagesse est dans l'âme ; et en parler ce n'est pas sortir de l'étude de l'âme. § 23. Le rapport que nous avons signalé entre l'adresse et la prudence se répète, à ce qu'il semble, pour toutes les autres vertus. Je veux dire qu'il y a dans chacun de nous des vertus innées qu'y met la nature, et qui y sont comme des forces instinctives qui, sans l'intervention de la raison, poussent chaque homme à des actes de courage, de justice, et autres actes relatifs au reste des vertus particulières. § 24. Je me hâte d'ajouter que ces vertus se forment aussi sous l'influence de l' habitude et de la volonté. Mais les seules vertus acquises, et que la raison accompagne, sont complètement des vertus, et sont aussi les seules dignes d'estime. Ainsi donc, la vertu purement naturelle agit sans la raison ; et précisément parce qu'elle est isolée de la raison, elle est faible et n'est pas du tout digne de louange ; mais s'adjoignant à la raison et au libre arbitre, elle forme la vertu accomplie et parfaite. Aussi, l'instinct naturel qui nous pousse à la vertu, aide-t-il la raison et ne peut-il exister sans elle. § 25. D'un autre côté, la raison et le libre arbitre n'arrivent pas non plus tout seuls à former complètement la vertu, sans le penchant instinctif que donne la nature. Et c'est là ce qui montre que Socrate n'était pas dans le vrai en prétendant que la vertu n'est que la raison ; car il soutenait qu'il ne servait de rien de faire des actes de courage et de justice, si on ne le sait pas, et si l'on ne se détermine point par la raison dans le choix qu'on fait. Socrate avait donc tort de dire que la vertu est le fruit de la raison toute seule. Les philosophes de nos jours comprennent mieux les choses, quand ils disent que la vertu c'est de faire de bonnes actions suivant la droite raison ; et cependant, leur théorie même n'est pas encore tout à fait juste. § 26. En effet, si quelqu'un accomplissait des actes de parfaite justice sans la moindre intention, sans la moindre connaissance des belles choses qu'il fait et se laissant emporter par une espèce d'élan irrationnel, ses actes pourraient encore fort bien être excellents et tout à fait conformes à la droite raison ; je veux dire qu'il aurait agi précisément selon ce qu'ordonne la droite raison ; mais pourtant une action de ce genre n'aurait rien qui méritât la louange et l'estime. Aussi, la définition que nous proposons, nous semble-t-elle préférable ; et selon nous, la vertu est l'instinct naturel vers le bien guidé par la raison ; parce qu'alors c'est tout ensemble et la vertu et une chose digne d'estime et de louange. § 27. Quant à la question de savoir si la prudence est ou n'est pas réellement une vertu, voici un argument qui peut faire voir très clairement que c'en est une. Si la justice, le courage et les autres vertus sont estimables, parce qu'elles font de belles actions, il est évident aussi que la prudence est également digne d'estime et qu'elle doit être placée aussi à ce rang élevé de vertu ; car la prudence s'applique aux actions que le courage nous inspire instinctivement. En général, le courage n'accomplit son oeuvre tout entière que selon ce qu'elle ordonne ; et par conséquent, si le courage est louable lui-même, parce qu'il fait ce que la prudence lui commande, la prudence à plus juste titre doit-elle être absolument louable et être absolument une vertu. § 28. Maintenant, la prudence est-elle ou n'est-elle pas une vertu agissante et pratique ? C'est ce qu'on pourra très clairement savoir en observant les diverses sciences. Prenons, par exemple, l'architecture. Dans cet art, il y a d'un côté celui que nous appelons l'architecte qui dirige tout le travail, et celui qui obéit à l'architecte en le servant, et qu'on appelle le maçon. C'est ce dernier qui fait la maison. Mais l'architecte, en tant que le maçon ne construit la maison que sur son plan, fait bien aussi la maison. De même encore pour toutes les autres sciences qui produisent quelque chose, et dans lesquelles on peut distinguer et le chef qui conduit et l'ouvrier qui exécute. Ainsi, le chef produit lui aussi une certaine chose, et il produit cette même oeuvre que fait l'ouvrier qui obéit à ses ordres. § 29. S'il en est absolument de même pour les vertus, ce qui parait fort probable et fort rationnel, il s'en suit que la prudence est aussi une vertu qui agit, une vertu pratique ; car toutes les vertus sont actives et pratiques ; et la prudence au milieu d'elles joue en quelque sorte le rôle du chef et de l'architecte. Ce qu'elle prescrit, les vertus, et les coeurs que les vertus inspirent, l'exécutent fidèlement ; et puisque les vertus sont agissantes et pratiques, la prudence l'est tout comme elles. § 30. Enfin, une autre question serait de savoir si la prudence commande, ou si elle ne commande pas, comme on l'a soutenu non sans motif, à toutes les autres parties de l'âme ? Il ne me semble point qu'elle doive commander aux parties qui lui sont supérieures ; et, par exemple, elle ne commande pas à la sagesse. § 31. Mais, dit-on, elle surveille et gouverne souverainement toutes les autres parties de l'âme, en leur prescrivant ce qu'elles doivent faire. Mais si elle est leur maîtresse, peut-être est-elle dans l'âme comme l'intendant dans la famille ; il est maître de tout, il dispose de tout ; mais au fond ce n'est pas lui qui commande à tout ; il ne fait que préparer du loisir à son maître, qui, s'il était détourné par tous ces soins nécessaires, se verrait fermer entièrement l'accès de toutes les belles et nobles choses qui lui conviennent.
§ 32. De même,
la prudence pareille à ce serviteur utile, est comme l'intendant de
la sagesse. Elle lui prépare aussi le loisir qu'il lui faut pour
accomplir son oeuvre supérieure, en contenant les passions et en les
modérant. |
Ch. XXXII. Morale à Nicomaque, livre VI tout entier; Morale à Eudème, livre V, id. § 1. Nous avons dit... Cette théorie est impliquée dans ce qui précède; mais je n'y retrouve pas précisément la formule « de la droite raison », dont il est parlé ici. Elle n'est employée que dans la Morale à Nicomaque, dans une foule de passages, et notamment livre VI, ch. 11, § 4 Si je parlais ainsi. Tournure un peu déclamatoire et qui n'est guère à l'usage d'Aristote. § 2. Antérieurement. Voir plus haut, ch. 5, § 4. Irrationnelle. Qui sans posséder la raison peut cependant encore y obéir. La volonté et l'entendement. Division très réelle et sur laquelle se fonde la division même des vertus en morales et en intellectuelles. § 4. Il faut aussi que les parties de I'âme.... Voir le Traité de l'Âme, livres Il et III, § 5. Autre est l'intelligible. Théorie très péripatéticienne. Voir le Traité de l'Âme, livre III, ch. 5. Aux choses de sensation et de mouvement. C'est peut-être trop restreindre le rôle de la volonté et du libre arbitre. Voir la morale à Nicomaque, livre VI, ch. 1, § 9, § 6. Le vrai peut être atteint Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 2, § 1. § 8. D'abord la science. Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 2, § I, où cette théorie est beaucoup plus développée qu'elle ne l'est ici. Quant à la prudence. Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 6, § 1. § 9. Il fait distinguer avec soin. Voir la Morde à Nicomaque, livre 1. ch. 1, § 2. Ce qui agit simplement. J'ai ajouté ce dernier mot. § 10. Purement pratiques. C'est-à-dire qu'on fait pour le faire, sans un but extérieur et différent. Voir la Morale à Nicomaque, id. ibid. § 11. La prudence est... la faculté. Voir la Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 4, § 4. § 12. Est une vertu.... Intellectuelle. Ne s'adresse qu'à la vertu. Il semble qu'elle ne s'adresse pas moins à la science. § 13. Quant à l'intelligence. Voir la Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 5. C'est l'intelligence seule. Voir les Derniers Analytiques, livre II, ch. 19, p. 220 de ma traduction. § 14. La sagesse est un composé. Voir la Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 5, § 7, où ces théories sont beaucoup plus développées. § 15. La conjecture. Le sens étymologique du mot grec peut être très bien rendu par celui de « subsumtion » Où les choses présentent une double face. J'ai paraphrasé les mots du texte. § 16. La prudence et la sagesse. Voir la Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 10, où cette comparaison est assez développée. Les choses d'intérêt.... changent donc. --- Observation empruntée à la doctrine Platonicienne, et qu'on a mille fois répétée depuis Platon et Aristote. § 17. Comme nous l'avons dit. Dans ce chapitre un peu plus haut, § 8. § 18. Qu'est-ce que l'habileté? Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 10, § 9. § 19. L'adresse. Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 10, § 9. § 20. Mentor. Je ne sais si cela s'applique bien au Mentor de l'Odyssée, ou s'il s'agit de quelqu'autre personnage du même nom. § 21. Non sans quelqu'étonnement. Il semble que l'étonnement ne serait pas ici du tout justifié. Il est tout simple de parier de la sagesse dans un traité de morale. § 22. Ce n'est pas sortir de l'étude de l'âme. C'est vrai ; mais l'étude de l'âme n'est pas l'objet qu'on doit approfondir dans cet ouvrage. § 23. Des vertus innées.... Voir la Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 11, § 4. § 24. Les seules dignes d'estime. En ce que ce sont les seules qui dépendent réellement de nous. Les autres nous sont données par la nature ; et nous les pratiquons instinctivement, et sans les bien comprendre. Il faut remarquer du reste que cette doctrine tient le plus grand compte de la dignité humaine, et qu'elle ne croit pas que l'homme soit fait pour le mal. § 25. N'arrivent pas non plus tout seuls. La part de la nature et celle de la volonté humaine sont faites ici avec une juste mesure. Il est clair que toutes deux contribuent à la vertu, dans une proportion à peu près égale. Socrate n'était pas dans le vrai. Voir plus haut, ch. i, ce quia été dit de Socrate, § 7. Les philosophes de nos jours. Il est regrettable que ces philosophes ne soient pas expressément nommés. Cette indication aurait jeté du jour sur la composition du présent traité. Voir une expression analogue, Morale à Nicomaque, livre VI, ch.11, § 4. Suivant la droite raison. Cette formule qu'on peut attribuer aussi à Platon, et qu'on retrouve souvent dans Aristote lui-même, ne caractérise point en particulier aucune école, bien que plus tard elle ait été surtout adoptée par les Stoïciens. § 26. Mais pourtant.... Ceci semblerait se rapprocher de la doctrine de Socrate, qui donne à la science tant d'importance dans la vertu. La définition que nous proposons. Cette définition n'est nulle part aussi nette qu'ici dans la Morale à Nicomaque. § 27. Quant à la question de savoir.... Une question analogue a été indiquée et discutée déjà plus haut, § 12. Dans la discussion actuelle, le courage est mis à la place de la prudence; mais le raisonne ment est le même. On a démontré antérieurement que la sagesse est une vertu, parce que la prudence qui lui est inférieure en est une; on démontre maintenant que la prudence est une vertu, parce que le courage, qui ne peut se passer d'elle, en est une aussi. Du reste, ces détails paraissent n'étire pas ici à leur place; et il y a sans doute quelque désordre dans le texte. § 28. Agissante et pratique. Il n'y a qu'un seul mot grec. Voir la Moraie à Nicomaque, livre VI, ch 4, § 4; et ch. 10, § 7. § 29. S'il en est absolument de même. Pour le démontrer, il aurait fallu citer une vertu qui fût à la prudente ce que le maçon est à l'architecte; car il n'est pas très exact de dire que toutes les vertus sont soumises à la prudence. La justice, par exemple, lui est supérieure. § 30. Comme on l'a soutenu. Il est probable que ceci s'adresse à Platon. Voir ta République, livre IV, pages 210 et suiv., traduction de M. Cousin. Elle ne commande pas a la sagesse. Voir la Morale à Nicomaque, livre VI, ch. 10, § 3.
§ 31. Comme l'intendant dans la
famille. Comparaison singulière et qui nous semble de mauvais
goût, bien qu'au fond l'idée ne manque pas de justesse, une fois
qu'on admet les théories antérieurs. |