Aristote : Morale à Eudème

ARISTOTE

 

MORALE A EUDEME

LIVRE SEPT : THEORIE DE L'AMITIE

CHAPITRE VIII

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Morale à Eudème

 

 

 

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CHAPITRE VIII.

De l'affection réciproque des bienfaiteurs et des obligés. — Si le bienfaiteur aime plus qu'il n'est aimé, c'est que l'obligé est en quelque sorte son œuvre, et que naturellement on aime toujours ce qu'on a fait, comme le prouve l'affection des parents pour leurs enfants, et même celle des animaux pour leurs petits.

1  πορεῖται δὲ διὰ τί μᾶλλον φιλοῦσιν οἱ ποιήσαντες εὖ τοὺς παθόντας ἢ οἱ παθόντες εὖ τοὺς ποιήσαντας. Δοκεῖ δὲ δίκαιον εἶναι τοὐναντίον. 2 Τοῦτο δ´ ὑπολάβοι μὲν ἄν τις διὰ τὸ χρήσιμον καὶ τὸ αὐτῷ ὠφέλιμον συμβαίνειν· τῷ μὲν γὰρ ὀφείλεται, τὸν δ´ ἀποδοῦναι δεῖ. Οὐκ ἔστι δὲ τοῦτο μόνον, ἀλλὰ καὶ φυσικόν. 3 γὰρ ἐνέργεια αἱρετώτερον,  [1242] τὸν αὐτὸν δὲ λόγον ἔχει τὸ ἔργον καὶ ἡ ἐνέργεια, ὁ δ´ εὖ παθὼν ὥσπερ ἔργον τοῦ εὖ ποιήσαντος. διὸ καὶ ἐν τοῖς ζῴοις ἡ περὶ τὰ τέκνα σπουδὴ ἐστί, καὶ τοῦ γεννῆσαι καὶ 〈τὰ〉 γεννώμενα σῴζειν. 4 Καὶ φιλοῦσι δὴ μᾶλλον οἱ πατέρες τὰ τέκνα (καὶ αἱ μητέρες τῶν πατέρων) ἢ φιλοῦνται· καὶ οὗτοι πάλιν τὰ αὑτῶν ἢ τοὺς γεννήσαντας, διὰ τὸ τὴν ἐνέργειαν εἶναι τὸ ἄριστον· καὶ αἱ μητέρες τῶν πατέρων, ὅτι μᾶλλον οἴονται αὑτῶν εἶναι ἔργον τὰ τέκνα· τὸ γὰρ ἔργον τῷ χαλεπῷ διορίζουσι, πλείω δὲ λυπεῖται περὶ τὴν γένεσιν μήτηρ.

Καὶ περὶ μὲν φιλίας τῆς πρὸς αὑτὸν καὶ τῆς ἐν πλείοσι διωρίσθω τὸν τρόπον τοῦτον·

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1 On demande pourquoi les bienfaiteurs aiment plus leurs obligés que les obligés n'aiment leurs bienfaiteurs. En bonne justice, il semble que ce devrait être tout le contraire.  2 On pourrait croire que l'intérêt et l'utilité personnelle expliquent suffisamment ceci, et dire que l'un est un créancier à qui l'on doit, et l'autre un débiteur qui doit rendre. Toutefois, non-seulement cette différence a lieu ; mais, de plus, il y a là quelque chose d'assez naturel. 3 L'acte en effet est toujours préférable; [1242] et le rapport est pareil entre l'œuvre produite par l'acte et l'acte qui la produit. Or, l'obligé est en quelque sorte l'œuvre du bienfaiteur; et voilà pourquoi, même dans les animaux, il y a une si vive tendresse envers les petits; d'abord, pour les mettre au monde, et ensuite, pour les conserver quand ils sont nés. 4. C'est là encore ce qui fait que les pères, moins tendres d'ailleurs que les mères, aiment plus leurs enfants qu'ils n'en sont aimés, et que ces enfants, à leur tour, aiment plus les leurs qu'ils n'aiment leurs parents. C'est que l'acte est ce qu'il y a de mieux et de supérieur. J'ajoute que, si les mères aiment plus que les pères, c'est qu'elles pensent que les enfants sont davantage leur œuvre. On mesure l'œuvre par la peine qu'elle donne ; et c'est la mère qui a le plus de mal dans la procréation.

Nous nous arrêtons ici en ce qui concerne l'amitié, tant celle qu'on peut avoir pour soi, que celle qu'on peut avoir pour les autres.

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Ch. VIII. Morale à Nicomaque, livre IX, ch. 7; Grande Morale, litre II, ch. 14.

§ 1. On demande pourquoi les bienfaiteurs... Il n'y a pas de transition entre ce nouveau sujet et ce qui précède.

§ 2. D'assez naturel. Ceci ne veut pas dire que l'auteur excuse l'ingratitude; la suite le prouve.

§ 3. Toujours préférable. A la chose même qu'il produit.

L'œuvre du bienfaiteur. C'est l'explication donnée également dans la Morale à Nicomaque.

Même dans les animaux. L'idée ne semble pas très-juste. Les animaux, en obéissant à l'instinct, ne savent pas que leurs petits sont leur œuvre. La tendresse chez eut, si le mot même est acceptable, ne va pas au-delà du besoin que le nouveau-né a de ses parents.

§ 4. Aiment plus leurs enfants qu'ils n'en sont aimés. J'ai déjà fait remarquer dans la Morale à Nicomaque combien tous ces détails sont vrais.

 — Les enfants sont davantage leur œuvre. Non pas seulement parce qu'elles les ont enfantés après une longue gestation et avec de grandes douleurs mais aussi parce qu'après la naissance elles leur ont prodigué des soins minutieux et prolongés.

Nous nous arrêtons ici. Loin de là, la discussion continue dans les chapitres suivants.