Isocrate : oeuvres complètes, tome I

ISOCRATE

OEUVRES COMPLÈTES.

 

 ΧΙΧ. DISCOURS ÉGINÉTIQUE.- Αἰγινητικός

 XVIII. Exception contre Callimaque - XX Contre Lochitès

 

OEUVRES COMPLÈTES D'ISOCRATE, TRADUCTION NOUVELLE AVEC TEXTE EN REGARD  LE DUC DE CLERMONT-TONNERRE (AIMÉ-MARIE GASPARD) Ancien Ministre de la guerre et de la marine. Ancien élève de l'École polytechnique TOME TROISIEME PARIS LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET C Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56. M D CCC LXII

 

 

 

 

.

 ISOCRATE.

DISCOURS ÉGINÉTIQUE.

ARGUMENT.

Le nom d'Éginétique donné à ce plaidoyer vient de ce que l'affaire se plaide devant un tribunal siégeant à Égine. Il s'agit d'une succession contestée au légataire, fils adoptif du testateur, par une sœur naturelle de ce même testateur. L'accusé commence par montrer les liens qui unissaient sa famille et celle du défunt. Thrasyllus, père du testateur, avait eu des enfants de plusieurs femmes ; parmi eux se trouvait une fille qui réclame aujourd'hui sa succession ; mais il n'avait reconnu aucun des enfants qu'il avait eus illégitimement. Plus tard, il contracta successivement deux alliances avec la famille de l'accusé. Une troisième épouse, qu'il prit après la mort de sa seconde femme, lui donna Sopolis, Thrasylochus, et une fille, mariée dans la suite avec celui qui parle ici. Thrasylochus et lui resserrèrent les liens de l'amitié transmise par leurs pères. Partout, toujours, on les voit ensemble ; même dans l'exil ils ne se quittent pas un moment. Cependant Thrasylochus tombe malade de la peste ; son frère Sopolis était mort; sa mère et sa sœur étaient absentes. Ayant perdu l'espoir de recouvrer la santé et voulant récompenser l'accusé des soins qu'il lui a prodigués, il l'adopte d'après la loi d'Égine, où il meurt, et d'après celle de Siphnos, dont l'un et l'autre sont originaires, loi qui est également celle de la ville où est née leur partie adverse.

393 Après avoir ainsi exposé les faits de la cause, l'accusé montre que celle qui demande l'annulation du testament n'a jamais cessé d'être en différend avec Thrasylochus, avec Sopolis et avec leur mère, tandis que lui, il s'est constamment signalé par son zèle envers eux. Il rapporte, au péril de sa vie, à Thrasylochus et à Sopolis leurs richesses secrètement déposées à Paros, chez ses hôtes, lorsque cette ville est tombée au pouvoir d'un tyran. Contraint de s'enfuir de Siphnos, il n'abandonne pas Thrasylochus malade. A sa prière, il passe avec lui de Mélos à Trézène, malgré les instances de sa mère et de ses hôtes. Là, il tombe lui-même dangereusement malade et perd sa sœur d'abord, puis sa mère. Bien que dépouillé de sa fortune, bien que chez des étrangers, ses soins pour son ami ne se ralentissent pas ; il le soigne seul pendant six mois entiers avec un dévouement qui inspire des craintes sérieuses pour sa vie. Voilà au mépris de quels services cette femme ose réclamer la succession d'un frère dont elle n'est pas même la sœur légitime, aux funérailles duquel elle n'a pas daigné assister, et cela, lorsqu'elle voyait s'y rendre tous ses concitoyens établis à Trézène, c'est-à-dire, tous les habitants de Siphnos, qui, dans les troubles de cette île, s'étaient réfugiés à Trézène, et s'y étaient établis. Dans l'impossibilité de nier l'existence du testament, elle prétend qu'il est contraire à la justice et aux règles de l'équité. Mais, en faisant entrer l'accusé dans sa famille par voie d'adoption, Thrasylochus assurait la durée de son nom, il établissait sa mère et sa sœur héritières, non seulement de ses propres biens, mais aussi de ceux de l'accusé, puisqu'il lui faisait épouser l'une et le rendait fils de l'autre. L'accusé, d'ailleurs, n'était pas indigne d'être adopté par Thrasylochus ; ses ancêtres étaient les premiers de Siphnos par leur naissance, leurs richesses et leur crédit. Et de plus, on peut assurer que Thrasylochus, par ce testament, a surtout satisfait les mânes de Sopolis, à qui l'accusé a sauvé la vie lorsque leurs compagnons d'exil ont attaqué Siphnos, tandis que cette prétendue sœur, au moment même de la mort de son frère, offrait un sacrifice et célébrait une fête. Son père lui-même, s'il pouvait savoir comment sa fille en a usé envers ses fils, serait pour elle le juge le plus redoutable et s'irriterait de voir infirmer les dernières volontés de ses 394 enfants. L'accusé termine par une récapitulation et par une prière qu'il adresse aux juges de le maintenir en possession de l'héritage qui lui a été légué.

Benseler pense que ce plaidoyer doit avoir été composé l'an 402 avant J.-C.

395 SOMMAIRE

1 . Juges, je rends presque grâce à mes adversaires de m'avoir engagé dans ce débat ; car, si l'affaire n'eût pas été portée devant la justice, vous n'auriez pas pu savoir pour quels services rendus au défunt j'avais été constitué héritier de ses biens ; et vous n'auriez pas pu connaître le degré de méchanceté de ma partie adverse (a) comme de ceux qui appuient ses prétentions en attaquant ce testament. Afin d'apprécier le plus promptement possible l'état de la cause, veuillez écouter ce que je vais dire. — 2. Thrasyllus, père de celui qui m'a laissé sa fortune, était devin; il était né à Siphnos; il s'arrêta dans plusieurs villes ; il eut des rapports avec diverses femmes, dont quelques-unes donnèrent le jour à des enfants qu'il ne reconnut jamais : ce fut à cette époque qu'il eut des relations avec la mère de ma partie adverse. Après avoir rompu ces liaisons et acquis de grandes richesses, il revint dans sa patrie, et épousa d'abord la sœur, ensuite la cousine germaine de mon père, et, enfin, une femme de Sériphos, dont il eut trois enfants, Sopolis, Thrasylochus et ma femme. Ces enfants furent les seuls qu'il reconnut pour légitimes; et il leur laissa sa fortune en mourant. — 3. Thrasylochus et moi, depuis notre enfance jusqu'à la mort, nous resserrâmes les liens de l'amitié que nos pères nous avaient transmise. Attaqué d'une maladie grave, il souffrait depuis longtemps ; son frère Sopolis était déjà mort ; sa mère et sa sœur n'étaient pas à Égine ; il était abandonné de tout le monde ; je le soignai avec autant de fidélité que d'intelligence; mais, sa maladie devenant de plus en plus grave, il appela des témoins, m'adopta et me fit don de sa sœur et de sa fortune. — 4. Le testament est fait suivant la loi commune des Éginètes, chez lesquels il mourut, — 5. et des Siphniens, chez lesquels il avait vécu autrefois, loi qui permet l'adoption entre les hommes de même condition. J'étais son concitoyen et son ami ; je n'étais inférieur par ma naissance à aucun des habitants de Siphnos, et j'avais reçu la même éducation, la même instruction que lui. — 6. La loi admise dans la patrie de mes adversaires est d'accord avec celle des Éginètes et celle des Siphniens. — 7. Ainsi, ils conviennent que le testament est régulier; ils reconnaissent qu'aucune loi n'appuie les prétentions de celle qui m'attaque et que toutes me sont favorables; et alors, je le demande, de quel crime s'abstiendront des hommes qui s'efforcent de vous persuader d'infirmer ce testament, quand vous avez fait serment de juger conformément aux lois? — 8. Mais, afin que personne ne croie que j'ai reçu cet héritage pour de faibles motifs, et que celle qui le réclame en a été privée injustement, il convient que vous sachiez que celte femme qui me dispute, en vertu de sa parenté, la fortune laissée par Thrasylochus, a vécu dans un état d'hostilité conti- 396 nuelle avec lui, avec Sopolis et leur mère, et qu'elle les a poursuivis de sa haine incessante, tandis que j'ai agi de la manière la plus généreuse envers Thrasylochus et son frère, non-seulement pour ce qui touchait à leurs personnes, mais relativement à leurs intérêts. — 9. A l'époque où Pasinus occupait l'ile de Paros, étant monté la nuit sur un vaisseau, j'ai retiré de cette île, au péril de ma vie, la plus grande partie de leur fortune, qui y était déposée en secret chez mes amis ; et cela, lorsque déjà mon père, mon frère et trois de mes parents qui y demeuraient, avaient été assassinés. — 10. Les circonstances nous ayant ensuite obligés de fuir de Siphnos, et Sopolis étant absent, j'enlevai Thrasylochus malade, avec sa mère, sa sœur el toutes ses richesses. — 11. Plus tard et pendant que je me consacrais à lui donner des soins, je fus accablé par les plus cruelles calamités. — 12. Thrasylochus m'ayant persuadé de quitter Mélos, où nous nous étions réfugiés, je fis voile avec lui vers Trézène; là, étant moi-même près de la mort, j'ensevelis ma sœur et ma mère, peu de jours après mon arrivée, et, dépouillé, exilé, privé de. ceux qui m'étaient les plus chers, je continuai à le soigner sur une terre étrangère. — 13. Ce qui suit fera voir, avec plus d'évidence encore et de certitude, quel a été mon dévouement pour lui. Lorsqu'il se fut retiré à Égine dans l'intention d'y habiter, et qu'il y eut contracté la maladie dont il est mort, je lui prodiguai mes soins avec une telle abnégation que je ne sais pas si jamais un homme en a montré une semblable pour un autre homme. Il resta dans son lit pendant six mois entiers, sans qu'aucun de ses parents le visitât, excepté sa mère et sa sœur qui, malades elles-mêmes, vinrent de Trézène pour le voir, et, durant cette longue période, je le soignai, aidé des secours d'un seul esclave. Nous ne passions pas un jour sans verser des larmes ; et à ces calamités, il faut ajouter qu'il ne consentait jamais à ce que je m'éloignasse de lui. — 14. Toutes les choses pénibles, toutes les angoisses qui se rattachent à cette maladie, ne pourraient facilement être décrites ; ma santé était tellement altérée par tant de souffrances, que tous ceux de mes amis qui venaient me voir craignaient, disaient-ils, que je ne périsse avec lui; et alors je leur répondais que je préférais mourir moi-même plutôt que d'avancer le terme de sa vie par la privation des soins d'un ami dévoué. — 15. Et c'est contre moi, qui me suis montré si dévoué pour Thrasylochus, qu'une telle femme ose lutter, elle qui, dans tout le cours d'une aussi longue maladie, ne l'a pas visité une seule fois, qui n'a pas même daigné paraître à ses funérailles; mais qui, comme si elle eût été parente de sa fortune, et non de sa personne, est accourue, avant dix jours écoulés, pour intenter un procès qui la mît en possession des biens du défunt. Si c'est par suite de l'inimitié qui régnait entre elle et Thrasylochus qu'elle n'a pas agi comme elle aurait dû le faire, Thrasylochus a eu raison de me laisser sa fortune plutôt qu'à elle : s'il n'existait point de dissidence entre eux, il a encore agi avec plus de justice en la privant de ses biens qu'en la faisant son héritière. Il est d'ailleurs équitable qu'en prononçant votre sentence, vous ayez moins égard à ceux qui se disent les plus rappro- 397 chés par le sang et qui, en réalité, se sont montrés ennemis dans le malheur, qu'à ceux qui, dans l'infortune, se sont montrés plus amis que des parents.— 16. Thrasylochus a donc agi avec raison, avec sagesse, en prouvant sa reconnaissance envers ses amis, en me faisant épouser sa sœur, en me faisant adopter par sa mère, assurant ainsi à ses parents, non-seulement sa fortune, mais la mienne. — 17. Je n'étais pas d'ailleurs indigne d'être adopté pour fils par Thrasylochus, puisque mes ancêtres avaient été, par leur naissance, par leur richesse, par leur crédit, les premiers de leur ville, et que, quand même j'aurais été le plus humble des citoyens, j'aurais cependant encore, à cause des services que je lui avais rendus, obtenu justement de lui les plus grandes marques d'affection. — 18. Je pense aussi que ce testament eût été agréable à Sopolis, à son frère, qui haïssait ma partie adverse, qui la regardait comme malveillante à son égard, et qui m'accordait plus d'estime qu'à tous ses autres amis. En effet, tandis que je rapportais du champ de bataille Sopolis blessé, elle, aussitôt après avoir reçu la nouvelle de sa mort, offrait des sacrifices et célébrait une fête. — 19. Mais peut-être diront-ils que Thrasyllus, le père de cette femme, s'il existe chez les morts quelque sentiment des choses de la terre, s'indignerait en voyant sa fille dépouillée de son héritage et les richesses qu'il avait amassées pendant sa vie devenues ma possession. — 20. Pour moi, je, suis convaincu que le père de Thrasylochus serait de tous les juges le plus sévère, s'il pouvait savoir ce qu'elle a été pour ses enfants; qu'il ressentirait surtout l'irritation la plus vive s'il voyait annuler le testament de son fils, qui n'a pas fait passer sa fortune dans ma famille, mais qui m'a fait entrer dans la sienne par l'adoption.— 21. Thrasyllus, le père, avait d'ailleurs reçu ses richesses de Poléimaenétés, non par droit de parenté, mais à cause de sa vertu, et il attachait un tel prix à nos relations de famille, qu'il avait épousé la sœur et ensuite la cousine de mon père. — 22. Par conséquent, si vous m'adjugez son héritage, vous ferez une chose agréable à lui et à tous ceux qui, pour un motif quelconque, prennent intérêt à cette affaire. Il vous convient aussi de soutenir une loi par laquelle il nous est permis d'adopter des enfants, et de disposer de nos biens à notre gré, en nous pénétrant de celte pensée que c'est une loi commune à tout l'univers et qui est donnée aux hommes pour leur tenir en quelque sorte lieu d'enfants. — 23. Considérez en outre, d'une part, mon amitié pour ceux qui m'ont laissé cet héritage, amitié reçue de nos ancêtres et conservée sans interruption jusqu'à la mort; de l'autre, les grands et nombreux bienfaits dont ils ont été l'objet, lorsque le malheur les a frappés; enfin ajoutez que le testament n'est pas nié par nos adversaires eux-mêmes, et que la loi qui appuie ce testament est approuvée par tous les Grecs. Je vous demande donc de prononcer suivant l'équité et la justice, et d'être pour moi des juges tel» que vous désireriez en rencontrer pour vous-mêmes.

LANGE.

(a) Il s'agit ici d'une femme qui, aidée de ses protecteurs, intente un procès d'hérédité à un homme pour lequel Isocrate a composé ce discours.


 

 

Αἰγινητικός

[1] Ἐνόμιζον μέν, ὦ ἄνδρες Αἰγινῆται, οὕτω καλῶς βεβουλεῦσθαι περὶ τῶν αὑτοῦ Θρασύλοχον ὥστε μηδέν᾽ ἄν ποτ᾽ ἐλθεῖν ἐναντία πράξοντα ταῖς διαθήκαις αἷς ἐκεῖνος κατέλιπεν· ἐπειδὴ δὲ τοῖς ἀντιδίκοις τοιαύτη γνώμη παρέστηκεν ὥστε καὶ πρὸς οὕτως ἐχούσας αὐτὰς ἀμφισβητεῖν, ἀναγκαίως ἔχει παρ᾽ ὑμῶν πειρᾶσθαι τῶν δικαίων τυγχάνειν. [2] Τοὐναντίον δὲ πέπονθα τοῖς πλείστοις τῶν ἀνθρώπων. Τοὺς μὲν γὰρ ἄλλους ὁρῶ χαλεπῶς φέροντας, ὅταν ἀδίκως περί τινος κινδυνεύωσιν, ἐγὼ δ᾽ ὀλίγου δέω χάριν ἔχειν τούτοις, ὅτι μ᾽ εἰς τουτονὶ τὸν ἀγῶνα κατέστησαν. Ἀκρίτου μὲν γὰρ ὄντος τοῦ πράγματος οὐκ ἂν ἠπίστασθ᾽ ὁποῖός τις γεγενημένος περὶ τὸν τετελευτηκότα κληρονόμος εἰμὶ τῶν ἐκείνου· πυθόμενοι δὲ τὰ πραχθέντα πάντες εἴσεσθ᾽ ὅτι δικαίως ἂν καὶ μείζονος ἢ τοσαύτης δωρεᾶς ἠξιώθην. [3] Χρῆν μέντοι καὶ τὴν ἀμφισβητοῦσαν τῶν χρημάτων μὴ παρ᾽ ὑμῶν πειρᾶσθαι λαμβάνειν τὴν οὐσίαν, ἣν Θρασύλοχος κατέλιπεν, ἀλλὰ περὶ ἐκεῖνον χρηστὴν οὖσαν οὕτως ἀξιοῦν αὐτῆς ἐπιδικάζεσθαι. Νῦν δ᾽ αὐτῇ τοσούτου δεῖ μεταμέλειν ὧν εἰς ζῶντ᾽ ἐξήμαρτεν, ὥστε καὶ τεθνεῶτος αὐτοῦ πειρᾶται τήν τε διαθήκην ἄκυρον ἅμα καὶ τὸν οἶκον ἔρημον ποιῆσαι. [4] Θαυμάζω δὲ καὶ τῶν πραττόντων ὑπὲρ αὐτῆς, εἰ διὰ τοῦτ᾽ οἴονται καλὸν εἶναι τὸν κίνδυνον, ὅτι μὴ κατορθώσαντες οὐδὲν μέλλουσιν ἀποτείσειν. Ἐγὼ μὲν γὰρ ἡγοῦμαι μεγάλην εἶναι καὶ ταύτην ζημίαν, ἂν ἐξελεγχθέντες ὡς ἀδίκως ἀμφισβητοῦσιν, ἔπειθ᾽ ὑμῖν δόξωσι χείρους εἶναι. Τὴν μὲν οὖν τούτων κακίαν ἐξ αὐτῶν τῶν ἔργων γνώσεσθ᾽, ἐπειδὰν διὰ τέλους ἀκούσητε τῶν πεπραγμένων· ὅθεν δ᾽, οἶμαι, τάχιστ᾽ ἂν ὑμᾶς μαθεῖν περὶ ὧν ἀμφισβητοῦμεν, ἐντεῦθεν ἄρξομαι διηγεῖσθαι.

399 ISOCRATE.

DISCOURS ÉGINÉTIQUE.

XIX.

1. [1] Je croyais, citoyens d'Égine, que Thrasylochus avait pris, pour l'arrangement de ses affaires, des dispositions tellement sages, que personne ne se présenterait pour attaquer le testament qu'il a laissé ; mais, puisque nos adversaires ont eu l'audacieuse pensée de contester un acte aussi conforme aux lois, nous sommes forcés de demander à votre tribunal le maintien de nos justes droits. [2] J'éprouve en ce moment un sentiment contraire à celui de la plupart des hommes. Je les vois s'indigner lorsqu'ils sont obligés de s'exposer aux chances d'un procès injuste; et moi, je ressens presque de la reconnaissance pour mes adversaires, qui m'ont contraint à entrer, dans ce débat. Si l'affaire n'eût pas été soumise à un jugement, vous n'auriez pas su quelle conduite envers celui qui est mort m'a valu d'être l'héritier de sa fortune ; tandis que si vous entendez le récit de ce qui s'est passé, vous saurez tous que j'aurais pu obtenir avec justice même au-delà d'une aussi grande récompense. [3] Il aurait fallu du moins que celle qui élève des prétentions sur les richesses de Thrasylochus, au lieu de chercher à s'emparer, à l'aide de votre autorité, de la fortune qu'il a laissée, eût accompli ses devoirs 401 envers lui, avant de se présenter devant vous pour la réclamer, mais elle est si loin de se repentir du mal qu'elle a fait à Thrasylochus pendant sa vie, qu'elle s'efforce, lorsqu'il est mort, d'annuler sa dernière volonté et de perdre sa famille. [4] Je m'étonne de voir des hommes prendre sa défense, dans la persuasion que ce litige leur fait honneur, parce que, dans le cas où ils succomberaient, ils n'auraient aucune amende à payer. Pour moi, je pense qu'ils recevront un châtiment sévère, si, convaincus d'avoir intenté un procès injuste, ils paraissent à vos yeux plus coupables qu'auparavant. Lorsque vous aurez entendu l'entier exposé des faits, vous reconnaîtrez à leurs actes la méchanceté de mes adversaires. Je commencerai ma narration au point d'où il me semble que vous parviendrez le plus rapidement possible à connaître les circonstances de notre débat.

[5] Θράσυλλος γὰρ ὁ πατὴρ τοῦ καταλιπόντος τὴν διαθήκην παρὰ μὲν τῶν προγόνων οὐδεμίαν οὐσίαν παρέλαβεν, ξένος δὲ Πολεμαινέτῳ τῷ μάντει γενόμενος οὕτως οἰκείως διετέθη πρὸς αὐτὸν ὥστ᾽ ἀποθνῄσκων ἐκεῖνος τάς τε βίβλους τὰς περὶ τῆς μαντικῆς αὐτῷ κατέλιπε καὶ τῆς οὐσίας μέρος τι τῆς νῦν οὔσης ἔδωκεν. [6] Λαβὼν δὲ Θράσυλλος ταύτας ἀφορμὰς ἐχρῆτο τῇ τέχνῃ· πλάνης δὲ γενόμενος καὶ διαιτηθεὶς ἐν πολλαῖς πόλεσιν ἄλλαις τε γυναιξὶ συνεγένετο, ὧν ἔνιαι καὶ παιδάρι᾽ ἀπέδειξαν ἃ 'κεῖνος οὐδὲ πώποτε γνήσι᾽ ἐνόμισε, καὶ δὴ καὶ τὴν ταύτης μητέρ᾽ ἐν τούτοις τοῖς χρόνοις ἔλαβεν. [7] Ἐπειδὴ δ᾽ οὐσίαν τε πολλὴν ἐκτήσατο καὶ τὴν πατρίδ᾽ ἐπόθεσεν, ἐκείνης μὲν καὶ τῶν ἄλλων ἀπηλλάγη, καταπλεύσας δ᾽ εἰς Σίφνον ἔγημεν ἀδελφὴν τοῦ πατρὸς τοὐμοῦ, πλούτῳ μὲν αὐτὸς πρῶτος ὢν τῶν πολιτῶν, γένει δὲ καὶ τοῖς ἄλλοις ἀξιώμασιν εἰδὼς τὴν ἡμετέραν οἰκίαν προέχουσαν. [8] Οὕτω δὲ σφόδρ᾽ ἠγάπησε τὴν τοῦ πατρὸς φιλίαν, ὥστ᾽ ἀποθανούσης ἐκείνης ἄπαιδος αὖθις ἠγάγετ᾽ ἀνεψιὰν τοῦ πατρός, οὐ βουλόμενος διαλύσασθαι τὴν πρὸς ἡμᾶς οἰκειότητα. Οὐ πολὺν δὲ χρόνον συνοικήσας ταῖς αὐταῖς τύχαις ἐχρήσατο καὶ περὶ ταύτην, αἷσπερ καὶ περὶ τὴν προτέραν. [9] Μετὰ δὲ ταῦτ᾽ ἔγημεν ἐκ Σερίφου παρ᾽ ἀνθρώπων πολὺ πλείονος ἀξίων ἢ κατὰ τὴν αὑτῶν πόλιν, ἐξ ἧς ἐγένετο Σώπολις καὶ Θρασύλοχος καὶ θυγάτηρ ἡ νῦν ἐμοὶ συνοικοῦσα. Θράσυλλος μὲν οὖν τούτους μόνους παῖδας γνησίους καταλιπὼν καὶ κληρονόμους τῶν αὑτοῦ καταστήσας τὸν βίον ἐτελεύτησεν.

2. [5] Thrasyllus, père de l'auteur du testament, n'avait reçu aucune fortune de ses ancêtres. Devenu l'hôte de Polymaenétès, le devin, il s'établit dans son affection d'une manière si intime, que celui-ci, en mourant, lui donna ses livres de divination et une partie de la fortune qu'il possédait. [6] Thrasyllus, en possession de ces ressources, pratiqua l'art de la divination, et, menant une vie errante, s'arrêtant dans beaucoup de villes, il eut des rapports avec plusieurs femmes ; quelques-unes donnèrent le jour à des enfants qu'il ne considéra jamais comme ses enfants légitimes : ce fut à cette époque qu'il eut des relations avec la mère de ma partie adverse. [7] Après avoir acquis une fortune considérable, il désira revoir son pays; il se sépara de cette femme aussi bien que des autres, et, faisant voile vers Siphnos, il épousa une sœur de mon père. Il était, par sa fortune, le premier 403 entre nos concitoyens, et il savait que, pour la naissance et pour tout ce qui peut donner des droits à la considération, notre famille était placée au premier rang. [8] Il attachait un tel prix à l'amitié de mon père, que, sa femme étant morte sans enfants, et ne voulant pas que nos liens de famille restassent brisés, il épousa en secondes noces la cousine de mon père. Peu de temps après, cette seconde union fut frappée du même malheur que la première. [9] Dans la suite, il s'unit à une femme de Sériphos, issue d'une famille beaucoup plus distinguée que ne semblait le comporter la ville qu'elle habitait. Il eut d'elle Sopolis, Thrasylochus et une fille à laquelle je suis uni. Thrasyllus, laissant en eux ses seuls enfants légitimes, et les ayant institués ses héritiers, termina son existence.

[10] Ἐγὼ δὲ καὶ Θρασύλοχος τοσαύτην φιλίαν παρὰ τῶν πατέρων παραλαβόντες ὅσην ὀλίγῳ πρότερον διηγησάμην, ἔτι μείζω τῆς ὑπαρχούσης αὐτὴν ἐποιήσαμεν. Ἕως μὲν γὰρ παῖδες ἦμεν, περὶ πλείονος ἡμᾶς αὐτοὺς ἡγούμεθα ἢ τοὺς ἀδελφούς, καὶ οὔτε θυσίαν οὔτε θεωρίαν οὔτ᾽ ἄλλην ἑορτὴν οὐδεμίαν χωρὶς ἀλλήλων ἤγομεν· ἐπειδὴ δ᾽ ἄνδρες ἐγενόμεθα, οὐδὲν πώποτ᾽ ἐναντίον ἡμῖν αὐτοῖς ἐπράξαμεν, ἀλλὰ καὶ τῶν ἰδίων ἐκοινωνοῦμεν καὶ πρὸς τὰ τῆς πόλεως ὁμοίως διεκείμεθα καὶ φίλοις καὶ ξένοις τοῖς αὐτοῖς ἐχρώμεθα. [11] Καὶ τί δεῖ λέγειν τὰς οἴκοι χρήσεις; ἀλλ᾽ οὐδὲ φυγόντες ἀπ᾽ ἀλλήλων ἠξιώσαμεν γενέσθαι. Τὸ δὲ τελευταῖον φθόῃ σχόμενον αὐτὸν καὶ πολὺν χρόνον ἀσθενήσαντα, καὶ τοῦ μὲν ἀδελφοῦ Σωπόλιδος αὐτῷ πρότερον τετελευτηκότος, τῆς δὲ μητρὸς καὶ τῆς ἀδελφῆς οὔπω παρουσῶν, μετὰ τοσαύτης ἐρημίας γενόμενον οὕτως ἐπιπόνως καὶ καλῶς αὐτὸν ἐθεράπευσα, ὥστ᾽ ἐκεῖνον μὴ νομίζειν ἀξίαν μοι δύνασθαι χάριν ἀποδοῦναι τῶν πεπραγμένων. [12] Ὅμως δ᾽ οὐδὲν ἐνέλιπεν, ἀλλ᾽ ἐπειδὴ πονηρῶς διέκειτο καὶ οὐδεμίαν ἐλπίδ᾽ εἶχε τοῦ βίου, παρακαλέσας μάρτυρας υἱόν μ᾽ ἐποιήσατο καὶ τὴν ἀδελφὴν τὴν αὑτοῦ καὶ τὴν οὐσίαν ἔδωκεν. Καί μοι λαβὲ τὰς διαθήκας.

3. [10] Thrasylochus et moi, ayant reçu de nos pères cette amitié si intime dont je viens de vous parler, nous la rendîmes plus intime encore. Tant que dura notre enfance, nous nous donnions mutuellement la préférence sur nos frères, et nous n'avons pas l'un sans l'autre pris part à un sacrifice, à une théorie (1), ou à une fête quelconque. Parvenus à l'âge d'homme, on ne nous vit jamais agir en opposition l'un à l'autre ; tout fut par nous mis en commun dans nos affaires domestiques ; nous n'eûmes qu'un sentiment sur les intérêts de notre pays ; nous eûmes les mêmes hôtes et les mêmes amis. [11] Mais qu'est-il besoin de parler de nos rapports dans ma patrie? Même dans l'exil, nous n'avons jamais voulu être séparés l'un de l'autre. Enfin Thrasylochus, tombé dans un état de consomption, était malade depuis longtemps son frère Sopolis était mort ; sa mère, sa sœur, n'étaient 405 pas encore auprès de lui, et, dans ce cruel isolement, je le soignai avec tant de zèle, tant de dévouement, qu'il regardait comme impossible de me donner un témoignage de reconnaissance égal à ce que j'avais fait pour lui. [12] Aussi ne négligea-t-il rien, et quand son mal s'aggravant ne lui laissa plus l'espérance de vivre, il fit appeler des témoins, m'adopta comme son fils et me fit don de sa sœur et de sa fortune. Présentez le testament.

 

Διαθῆκαι

Ἀνάγνωθι δή μοι καὶ τὸν νόμον τὸν Αἰγινητῶν· κατὰ γὰρ τοῦτον ἔδει ποιεῖσθαι τὰς διαθήκας· ἐνθάδε γὰρ μετῳκοῦμεν.

Νόμος

[13] Κατὰ τουτονὶ τὸν νόμον, ὦ ἄνδρες Αἰγινῆται, υἱόν μ᾽ ἐποιήσατο Θρασύλοχος, πολίτην μὲν αὑτοῦ καὶ φίλον ὄντα, γεγονότα δ᾽ οὐδενὸς χεῖρον Σιφνίων, πεπαιδευμένον δ᾽ ὁμοίως αὑτῷ καὶ τεθραμμένον. Ὤστ᾽ οὐκ οἶδ᾽ ὅπως ἂν μᾶλλον κατὰ τὸν νόμον ἔπραξεν, ὃς τοὺς ὁμοίους κελεύει παῖδας εἰσποιεῖσθαι. Λαβὲ δή μοι καὶ τὸν Κείων νόμον, καθ᾽ ὃν ἡμεῖς ἐπολιτευόμεθα.

Νόμος

[14] Εἰ μὲν τοίνυν, ὦ ἄνδρες Αἰγινῆται, τούτοις μὲν τοῖς νόμοις ἠναντιοῦντο, τὸν δὲ παρ᾽ αὑτοῖς κείμενον σύνδικον εἶχον, ἧττον ἄξιον ἦν θαυμάζειν αὐτῶν· νῦν δὲ κἀκεῖνος ὁμοίως τοῖς ἀνεγνωσμένοις κεῖται. Καί μοι λαβὲ τὸ βιβλίον.

Νόμος

[15] Τί οὖν ὑπόλοιπόν ἐστιν αὐτοῖς, ὅπου τὰς μὲν διαθήκας αὐτοὶ προσομολογοῦσι Θρασύλοχον καταλιπεῖν, τῶν δὲ νόμων τούτοις μὲν οὐδείς, ἐμοὶ δὲ πάντες βοηθοῦσι, πρῶτον μὲν ὁ παρ᾽ ὑμῖν τοῖς μέλλουσι διαγνώσεσθαι περὶ τοῦ πράγματος, ἔπειθ᾽ ὁ Σιφνίων, ὅθεν ἦν ὁ τὴν διαθήκην καταλιπών, ἔτι δ᾽ ὁ παρ᾽ αὐτοῖς τοῖς ἀμφισβητοῦσι κείμενος; καίτοι τίνος ἂν ὑμῖν ἀποσχέσθαι δοκοῦσιν, οἵτινες ζητοῦσι πείθειν ὑμᾶς, ὡς χρὴ τὰς διαθήκας ἀκύρους ποιῆσαι τῶν μὲν νόμων οὕτως ἐχόντων, ὑμῶν δὲ κατ᾽ αὐτοὺς ὀμωμοκότων ψηφιεῖσθαι;

[16] Περὶ μὲν οὖν αὐτοῦ τοῦ πράγματος ἱκανῶς ἀποδεδεῖχθαι νομίζω· ἵνα δὲ μηδεὶς οἴηται μήτ᾽ ἐμὲ διὰ μικρὰς προφάσεις ἔχειν τὸν κλῆρον μήτε ταύτην ἐπιεικῆ γεγενημένην περὶ Θρασύλοχον ἀποστερεῖσθαι τῶν χρημάτων, βούλομαι καὶ περὶ τούτων εἰπεῖν. Αἰσχυνθείην γὰρ ἂν ὑπὲρ τοῦ τετελευτηκότος, εἰ μὴ πάντες πεισθείητε, μὴ μόνον ὡς κατὰ τοὺς νόμους ἀλλ᾽ ὡς καὶ δικαίως ταῦτ᾽ ἔπραξεν. Ῥᾳδίας δ᾽ ἡγοῦμαι τὰς ἀποδείξεις εἶναι. [17] Τοσοῦτον γὰρ διηνέγκαμεν ὥσθ᾽ αὕτη μὲν ἡ κατὰ γένος ἀμφισβητοῦσα πάντα τὸν χρόνον διετέλεσε καὶ πρὸς αὐτὸν ἐκεῖνον καὶ πρὸς Σώπολιν καὶ πρὸς τὴν μητέρ᾽ αὐτῶν διαφερομένη καὶ δυσμενῶς ἔχουσα, ἐγὼ δ᾽ οὐ μόνον περὶ Θρασύλοχον καὶ τὸν ἀδελφὸν ἀλλὰ καὶ περὶ αὐτὴν τὴν οὐσίαν, ἧς ἀμφισβητοῦμεν, φανήσομαι πλείστου τῶν φίλων ἄξιος γεγενημένος.

[18] Καὶ περὶ μὲν τῶν παλαιῶν πολὺ ἂν ἔργον εἴη λέγειν· ὅτε δὲ Πασῖνος Πάρον κατέλαβεν, ἔτυχεν αὐτοῖς ὑπεκκείμενα τὰ πλεῖστα τῆς οὐσίας παρὰ τοῖς ξένοις τοῖς ἐμοῖς· ᾠόμεθα γὰρ μάλιστα ταύτην τὴν νῆσον ἀσφαλῶς ἔχειν. Ἀπορούντων δ᾽ ἐκείνων καὶ νομιζόντων αὔτ᾽ ἀπολωλέναι, πλεύσας ἐγὼ τῆς νυκτὸς ἐξεκόμις᾽ αὐτοῖς τὰ χρήματα, κινδυνεύσας περὶ τοῦ σώματος· ἐφρουρεῖτο μὲν γὰρ ἡ χώρα, [19] συγκατειληφότες δ᾽ ἦσάν τινες τῶν ἡμετέρων φυγάδων τὴν πόλιν, οἳ μιᾶς ἡμέρας ἀπέκτειναν αὐτόχειρες γενόμενοι τόν τε πατέρα τὸν ἐμὸν καὶ τὸν θεῖον καὶ τὸν κηδεστὴν καὶ πρὸς τούτοις ἀνεψιοὺς τρεῖς. Ἀλλ᾽ ὅμως οὐδέν με τούτων ἀπέτρεψεν, ἀλλ᾽ ᾠχόμην πλέων, ἡγούμενος ὁμοίως με δεῖν ὑπὲρ ἐκείνων κινδυνεύειν ὥσπερ ὑπὲρ ἐμαυτοῦ.

LECTURE DU TESTAMENT.

4. Lisez aussi la loi des Eginètes ; car c'est conformément à cette loi que le testament a dû être fait, puisque c'était à Egine que nous avions transporté notre demeure.

LECTURE DE LA LOI DES EGINÈTES.

5. [13] Conformément à cette loi, citoyens d'Égine, Thrasylochus a adopté en moi, pour fils, un de ses concitoyens, son ami, un homme qui, par sa naissance, n'était inférieur à aucun des Siphniens, un homme enfin
nourri, élevé comme lui. J'ignore donc comment il aurait pu agir d'une manière plus conforme aux prescriptions d'une loi qui veut que l'adoption se fasse entre des personnes d'une condition semblable. Lisez aussi la loi de Céos qui nous régissait.

LECTURE DE LA LOI DE CÉOS.

6. [14] Citoyens d'Egine, si nos adversaires rejetaient ces lois pour chercher un appui dans celles de leur pays, il faudrait moins s'étonner de leur conduite ; mais la loi 407 de leur pays contient elle-même des dispositions semblables à celles qui viennent de vous être lues. Lisez, maintenant cette loi.

LECTURE DE LA LOI.

7. [15] Que reste-t-il à mes adversaires, puisqu'ils conviennent que Thrasylochus a laissé ce testament; qu'aucune loi n est favorable à leur cause, et que toutes prononcent en ma faveur : d'abord la loi qui vous régit, vous, qui devez décider dans ce litige; ensuite la loi des Siphniens, c'est-à-dire celle du pays où est né le testateur ; enfin la loi qui est en vigueur chez mes adversaires eux-mêmes ? De quel crime ne seraient pas capables des hommes qui cherchent à vous persuader qu'il faut casser le testament de Thrasylochus, quand les lois sont si positives, et quand vous avez vous-mêmes fait serment de prendre ces lois pour règle de vos jugements ?

8. [16] Je crois avoir présenté assez de preuves relativement à l'affaire considérée en elle-même; mais, afin que personne ne pense que je possède l'héritage de Thrasylochus pour des raisons d'une faible valeur, ou bien que cette femme a été privée de sa succession après avoir rempli ses devoirs envers lui, je veux aussi m'expliquer sur ce sujet. Je rougirais pour celui qui a cessé de vivre, si vous n'étiez pas tous persuadés qu'il a non-seulement agi en se conformant aux lois, mais qu'il a suivi les règles de la justice, vérités, selon moi, faciles à démontrer. [17] Il y a, en effet, une telle différence entre moi et celle qui réclame, à cause de sa naissance, la succession de Thrasylochus, que, tandis qu'elle n'a jamais cessé d'être en contestation avec lui, avec Sopolis et avec leur mère, et de montrer à leur égard des sentiments ennemis, on m'a toujours vu mériter de 409 Thrasylochus et de son frère plus de reconnaissance qu'aucun de leurs amis, non-seulement par mes soins pour eux, mais par mon zèle pour la conservation de la fortune qui fait l'objet de notre litige.

9. [18] Ce serait un grand travail de rapporter tous les faits anciens; mais, lorsque Pasinus se rendit, à l'aide d'une surprise, maître de Paros, il arriva que la plus grande partie de la fortune de Thrasylochus et de Sopolis y avait été secrètement déposée chez mes hôtes, parce que nous avions pensé que cette île devait surtout nous offrir une grande sécurité. Thrasylochus et Sopolis étaient en proie à la plus grande anxiété ; ils regardaient leurs richesses comme perdues, lorsque pendant la nuit je naviguai vers Paros, et, au péril de ma vie, je rapportai l'argent qui leur appartenait : car la campagne était gardée ; [19] quelques-uns de nos bannis avaient surpris la ville, et en un seul jour avaient assassiné mon père, mon oncle, trois de mes cousins, et mon beau-frère. Aucun de ces malheurs cependant n'avait pu me détourner de ma résolution, et j'avais fait voile, croyant devoir m'exposer pour eux comme pour moi-même.

[20] Μετὰ δὲ ταῦτα φυγῆς ἡμῖν γενομένης ἐκ τῆς πόλεως μετὰ τοιούτου θορύβου καὶ δέους ὥστ᾽ ἐνίους καὶ τῶν σφετέρων αὐτῶν ἀμελεῖν, οὐδ᾽ ἐν τούτοις τοῖς κακοῖς ἠγάπησα, εἰ τοὺς οἰκείους τοὺς ἐμαυτοῦ διασῶσαι δυνηθείην, ἀλλ᾽ εἰδὼς Σώπολιν μὲν ἀποδημοῦντα, αὐτὸν δ᾽ ἐκεῖνον ἀρρώστως διακείμενον, συνεξεκόμις᾽ αὐτῷ καὶ τὴν μητέρα καὶ τὴν ἀδελφὴν καὶ τὴν οὐσίαν ἅπασαν. Καίτοι τίνα δικαιότερον αὐτὴν ἔχειν προσήκει ἢ1 τὸν τότε μὲν συνδιασώσαντα, νῦν δὲ παρὰ τῶν κυρίων εἰληφότα;

 [21]`Τὰ μὲν τοίνυν εἰρημέν᾽ ἐστὶν ἐν οἷς ἐκινδύνευσα μὲν, φλαῦρον δ᾽ οὐδὲν ἀπέλαυσα· ἔχω δὲ καὶ τοιαῦτ᾽ εἰπεῖν, ἐξ ὧν ἐκείνῳ χαριζόμενος αὐτὸς ταῖς μεγίσταις συμφοραῖς περιέπεσον.

Ἐπειδὴ γὰρ ἤλθομεν εἰς Μῆλον, αἰσθόμενος, ὅτι μέλλοιμεν αὐτοῦ καταμένειν, μένειν, ἐδεῖτό μου συμπλεῖν εἰς Τροιζῆνα καὶ μηδαμῶς αὐτὸν ἀπολιπεῖν, λέγων τὴν ἀρρωστίαν τοῦ σώματος καὶ τὸ πλῆθος τῶν ἐχθρῶν, καὶ ὅτι χωρὶς ἐμοῦ γενόμενος οὐδὲν ἕξοι χρῆσθαι τοῖς αὑτοῦ πράγμασιν. [22] Φοβουμένης δὲ τῆς μητρός, ὅτι τὸ χωρίον ἐπυνθάνετο νοσῶδες εἶναι, καὶ τῶν ξένων συμβουλευόντων αὐτοῦ μένειν, ὅμως ἔδοξεν ἡμῖν ἐκείνῳ χαριστέον εἶναι. Καὶ μετὰ ταῦτ᾽ οὐκ ἔφθημεν εἰς Τροιζῆν᾽ ἐλθόντες καὶ τοιαύταις νόσοις ἐλήφθημεν, ἐξ ὧν αὐτὸς μὲν παρὰ μικρὸν ἦλθον ἀποθανεῖν, ἀδελφὴν δὲ κόρην τετρακαιδεκέτιν γεγονυῖαν ἐντὸς τριάκονθ᾽ ἡμερῶν κατέθαψα, τὴν δὲ μητέρ᾽ οὐδὲ πένθ᾽ ἡμέραις ἐκείνης ὕστερον. Καίτοι τίν᾽ οἴεσθέ με γνώμην ἔχειν τοσαύτης μοι μεταβολῆς τοῦ βίου γεγενημένης; [23] ὃς τὸν μὲν ἄλλον χρόνον ἀπαθὴς ἦν κακῶν, νεωστὶ δ᾽ ἐπειρώμην φυγῆς καὶ τοῦ παρ᾽ ἑτέροις μὲν μετοικεῖν, στέρεσθαι δὲ τῶν ἐμαυτοῦ, πρὸς δὲ τούτοις ὁρῶν τὴν μητέρα τὴν αὑτοῦ καὶ τὴν ἀδελφὴν ἐκ μὲν τῆς πατρίδος ἐκπεπτωκυίας, ἐπὶ δὲ ξένης καὶ παρ᾽ ἀλλοτρίοις τὸν βίον τελευτώσας. Ὥστ᾽ οὐδεὶς ἄν μοι δικαίως φθονήσειεν, εἴ τι τῶν Θρασυλόχου πραγμάτων ἀγαθὸν ἀπολέλαυκα· καὶ γὰρ ἵνα χαρισαίμην ἐκείνῳ, κατοικισάμενος ἐν Τροιζῆνι τοιαύταις ἐχρησάμην συμφοραῖς, ὧν οὐδέποτ᾽ ἂν ἐπιλαθέσθαι δυνηθείην.

[24] Καὶ μὴν οὐδὲ τοῦθ᾽ ἕξουσιν εἰπεῖν ὡς εὖ μὲν πράττοντος Θρασυλόχου πάντα ταῦθ᾽ ὑπέμενον, δυστυχήσαντα δ᾽ αὐτὸν ἀπέλιπον· ἐν αὐτοῖς γὰρ τούτοις ἔτι σαφέστερον καὶ μᾶλλον ἐνεπεδειξάμην τὴν εὔνοιαν ἣν εἶχον εἰς ἐκεῖνον. Ἐπειδὴ γὰρ εἰς Αἴγιναν κατοικισάμενος ἠσθένησε ταύτην τὴν νόσον ἐξ ἧσπερ ἀπέθανεν, οὕτως αὐτὸν ἐθεράπευσα ὡς οὐκ οἶδ᾽ ὅστις πώποθ᾽ ἕτερος ἕτερον, τὸν μὲν πλεῖστον τοῦ χρόνου πονηρῶς μὲν ἔχοντα, περιιέναι δ᾽ ἔτι δυνάμενον, ἓξ μῆνας δὲ συνεχῶς ἐν τῇ κλίνῃ κείμενον. [25] Καὶ τούτων τῶν ταλαιπωριῶν οὐδεὶς τῶν συγγενῶν μετασχεῖν ἠξίωσεν, ἀλλ᾽ οὐδ᾽ ἐπισκεψόμενος ἀφίκετο πλὴν τῆς μητρὸς καὶ τῆς ἀδελφῆς, αἳ πλέον θάτερον ἐποίησαν· ἀσθενοῦσαι γὰρ ἦλθον ἐκ Τροιζῆνος, ὥστ᾽ αὐταὶ θεραπείας ἐδέοντο. Ἀλλ᾽ ὅμως ἐγώ, τοιούτων τῶν ἄλλων περὶ αὐτὸν γεγενημένων, οὐκ ἀπεῖπον οὐδ᾽ ἀπέστην ἀλλ᾽ ἐνοσήλευον αὐτὸν μετὰ παιδὸς ἑνός· [26] Οὐδὲ γὰρ τῶν οἰκετῶν οὐδεὶς ὑπέμεινεν. Καὶ γὰρ φύσει χαλεπὸς ὢν ἔτι δυσκολώτερον διὰ τὴν νόσον διέκειτο, ὥστ᾽ οὐκ ἐκείνων ἄξιον θαυμάζειν, εἰ μὴ παρέμενον, ἀλλὰ πολὺ μᾶλλον, ὅπως ἐγὼ τοιαύτην νόσον θεραπεύων ἀνταρκεῖν ἠδυνάμην· ὃς ἔμπυος μὲν ἦν πολὺν χρόνον, ἐκ δὲ τῆς κλίνης οὐκ ἠδύνατο κινεῖσθαι, [27] τοιαῦτα δ᾽ ἔπασχεν ὥσθ᾽ ἡμᾶς μηδεμίαν ἡμέραν ἀδακρύτους διάγειν, ἀλλὰ θρηνοῦντες διετελοῦμεν καὶ τοὺς πόνους τοὺς ἀλλήλων καὶ τὴν φυγὴν καὶ τὴν ἐρημίαν τὴν ἡμετέραν αὐτῶν. Καὶ ταῦτ᾽ οὐδένα χρόνον διέλειπεν· οὐδὲ γὰρ ἀπελθεῖν οἷόν τ᾽ ἦν ἢ δοκεῖν ἀμελεῖν, ὅ μοι πολὺ δεινότερον ἦν τῶν κακῶν τῶν παρόντων.

10. [20] Obligés ensuite de fuir notre patrie, au milieu d'un tumulte et d'une terreur tels que plusieurs citoyens ne songèrent pas même à préserver leurs parents, je ne me contentai pas, dans un semblable malheur, d'avoir sauvé ma famille ; mais, sachant que Sopolis était absent et que Thrasylochus était malade, j'enlevai le dernier, et avec lui sa mère, sa sœur et toute sa fortune. Qui pourrait donc posséder cette fortune avec plus de justice que celui qui à cette époque l'a sauvée, et qui maintenant l'a reçue de ceux qui en étaient les maîtres ?

411 11. [21] Jusqu'ici je vous ai exposé les circonstances où j'ai couru des dangers, mais sans éprouver toutefois rien de funeste. Je puis maintenant vous en faire connaître d'autres, où, pour complaire à Thrasylochus, j'ai été frappé des plus cruelles calamités.

12. Nous nous étions rendus à Mélos ; Thrasylochus, s'apercevant que nous voulions y rester, me demanda de faire voile avec lui pour Trézène et de ne point l'abandonner, m'alléguant d'une part sa mauvaise santé, de l'autre le grand nombre de ses ennemis, enfin l'impossibilité où il se trouverait, s'il était séparé de moi, de s'occuper de ses propres affaires. [22] Ma mère, ayant appris que l'air de Trézène était malsain, s'alarmait de notre départ; nos hôtes nous conseillaient de demeurer à Mélos; nous crûmes devoir néanmoins condescendre aux désirs de Thrasylochus. A peine étions-nous arrivés à Trézène, que nous fûmes atteints par des maladies si graves, que je me vis presqu'au moment de mourir; que, dans l'espace de trente jours, j'ensevelis ma sœur, jeune fille de quatorze ans, et ma mère, qui succomba moins de cinq jours après elle. De quels sentiments, croyez-vous, ne dus-je pas être affligé après un si cruel changement dans mon existence ! [23] Jusque-là j'avais été à l'abri de l'infortune, et tout à coup je faisais l'épreuve de l'exil ; j'étais obligé de vivre au milieu d'hommes inconnus ; j'étais dépouillé de ma fortune, et, en outre, j'avais vu ma mère, ma sœur, chassées de leur patrie, finir leurs jours sur une terre étrangère. Non, personne ne pourrait avec justice m'envier la part que j'ai recueillie des biens de Thrasylochus, puisque c'est par dévouement pour lui qu'en m'établissant à Trézène 413 je me suis vu accablé par des malheurs dont jamais le souvenir ne s'effacera de ma mémoire.

13. [24] Mes adversaires ne peuvent pas même prétendre que c'est lorsque Thrasylochus était dans la prospérité que j'ai supporté toutes ces épreuves et que je l'ai abandonné dans l'adversité; car c'est surtout à cette dernière époque, que j'ai montré avec plus d'évidence et de force mon affection pour lui. En effet, lorsque, après avoir fixé sa demeure à Egine, il fut atteint de la maladie dont il est mort, je lui donnai de tels soins que j'ignore si jamais un homme en a donné de semblables à un autre homme ; et je les lui continuai, non seulement quand ses souffrances lui permettaient encore de sortir, mais six mois entiers durant lesquels il ne put quitter son lit. [25] Aucun de ses parents ne daigna s'associer à ses douleurs ; aucun ne vint même le visiter, excepté sa mère et sa sœur, qui ajoutèrent à nos peines au lieu de les soulager, parce qu'étant arrivées malades de Trézène, elles avaient elles-mêmes besoin de soins. C'est pourtant lorsque tous les autres tenaient une telle conduite à l'égard de Thrasylochus, que je n'ai point perdu courage, que je ne l'ai point quitté, que je lui ai donné mes soins, avec le seul secours d'un jeune esclave, [26] car aucun de ses serviteurs n'avait pu se résoudre à rester auprès de lui. Il était naturellement irritable, et, la maladie ayant rendu son humeur plus chagrine, on ne doit pas être surpris qu'il leur ait été impossible d'y résister, mais on doit plutôt s'étonner que j'aie pu suffire à soigner, dans un pareil état, un homme dont l'expectoration était depuis longtemps purulente, qui ne pouvait quitter son lit, [27] et qui éprouvait de telles souffrances que nous ne passions pas un jour sans verser des larmes, sans déplorer mutuellement nos 415 peines, notre exil et notre isolement. Et cela, sans interruption, car il m'était impossible de m'éloigner sans paraître le négliger, ce qui aurait été pour moi une douleur beaucoup plus grande que tous les maux auxquels j'étais en proie.

 [28] Ἠβουλόμην δ᾽ ἂν ὑμῖν οἷός τ᾽ εἶναι ποιῆσαι φανερὸν οἷος περὶ αὐτὸν ἐγενόμην· οἶμαι γὰρ οὐδ᾽ ἂν τὴν φωνὴν ὑμᾶς ἀνασχέσθαι τῶν ἀντιδίκων. Νῦν δὲ τὰ χαλεπώτατα τῶν ἐν τῇ θεραπείᾳ καὶ δυσχερέστατα καὶ πόνους ἀηδεστάτους ἔχοντα καὶ πλείστης ἐπιμελείας δεηθέντ᾽ οὐκ εὐδιήγητ᾽ ἐστίν. Ἀλλ᾽ ὑμεῖς αὐτοὶ σκοπεῖτε, μετὰ πόσων ἄν τις ἀγρυπνιῶν καὶ ταλαιπωριῶν τοιοῦτον νόσημα τοσοῦτον χρόνον θεραπεύσειεν. [29] Ἐγὼ μὲν γὰρ οὕτω κακῶς διετέθην, ὥσθ᾽ ὅσοι περ εἰσῆλθον τῶν φίλων, ἔφασαν δεδιέναι, μὴ κἀγὼ προσαπόλωμαι, καὶ συνεβούλευόν μοι φυλάττεσθαι, λέγοντες ὡς οἱ πλεῖστοι τῶν θεραπευσάντων ταύτην τὴν νόσον αὐτοὶ προσδιεφθάρησαν. Πρὸς οὓς ἐγὼ τοιαῦτ᾽ ἀπεκρινάμην ὅτι πολὺ ἂν θᾶττον ἑλοίμην ἀποθανεῖν ἢ 'κεῖνον περιιδεῖν δι᾽ ἔνδειαν τοῦ θεραπεύσοντος πρὸ μοίρας τελευτήσαντα.

[30] Καὶ τοιούτῳ μοι γεγενημένῳ τετόλμηκεν ἀμφισβητεῖν τῶν χρημάτων ἡ μηδ᾽ ἐπισκέψασθαι πώποτ᾽ αὐτὸν ἀξιώσασα, τοσοῦτον μὲν χρόνον ἀσθενήσαντα, πυνθανομένη δὲ καθ᾽ ἑκάστην τὴν ἡμέραν, ὡς διέκειτο, ῥᾳδίας δ᾽ οὔσης αὐτῇ τῆς πορείας. Εἶτα νῦν αὐτὸν ἀδελφίζειν ἐπιχειρήσουσιν, ὥσπερ οὐχ ὅσῳ περ ἂν οἰκειότερον προσείπωσι τὸν τεθνεῶτα, τοσούτῳ δόξουσαν αὐτὴν μείζω καὶ δεινότερ᾽ ἐξαμαρτεῖν· [31] ἥτις οὐδ᾽ ἐπειδὴ τελευτᾶν ἤμελλε τὸν βίον, ὁρῶσα τοὺς πολίτας τοὺς ἡμετέρους, ὅσοι περ ἦσαν ἐν Τροιζῆνι, διαπλέοντας εἰς Αἴγιναν, ἵν᾽ αὐτὸν συγκαταθάψειαν, οὐδ᾽ εἰς τοῦτον τὸν καιρὸν ἀπήντησεν, ἀλλ᾽ οὕτως ὠμῶς καὶ σχετλίως εἶχεν, ὥστ᾽ ἐπὶ μὲν τὸ κῆδος οὐκ ἠξίωσεν ἀφικέσθαι, τῶν δὲ καταλειφθέντων οὐδὲ δέχ᾽ ἡμέρας διαλιποῦς᾽ ἦλθεν ἀμφισβητοῦσα, ὥσπερ τῶν χρημάτων ἀλλ᾽ οὐκ ἐκείνου συγγενὴς οὖσα. [32] Καὶ εἰ μὲν ὁμολογήσει τοσαύτην ἔχθραν ὑπάρχειν αὑτῇ πρὸς ἐκεῖνον ὥστ᾽ εἰκότως ταῦτα ποιεῖν, οὐκ ἂν κακῶς εἴη βεβουλευμένος, εἰ τοῖς φίλοις ἠβουλήθη μᾶλλον ἢ ταύτῃ τὴν οὐσίαν καταλιπεῖν· εἰ δὲ μηδεμιᾶς διαφορᾶς οὔσης οὕτως ἀμελὴς καὶ κακὴ περὶ αὐτὸν ἐγένετο, πολὺ ἂν δήπου δικαιότερον στερηθείη τῶν αὑτῆς ἢ τῶν ἐκείνου κληρονόμος γίγνοιτο. [33] Ἐνθυμεῖσθε δ᾽ ὅτι τὸ μὲν ταύτης μέρος οὔτ᾽ ἐν τῇ νόσῳ θεραπείας ἔτυχεν οὔτ᾽ ἀποθανὼν τῶν νομιζομένων ἠξιώθη, δι᾽ ἐμὲ δ᾽ ἀμφότερα ταῦτ᾽ αὐτῷ γεγένηται. Καίτοι δίκαιόν ἐστιν ὑμᾶς τὴν ψῆφον φέρειν, οὐκ εἴ τινες γένει μέν φασι προσήκειν, ἐν δὲ τοῖς ἔργοις ὅμοιοι τοῖς ἐχθροῖς γεγόνασιν, ἀλλὰ πολὺ μᾶλλον ὅσοι μηδὲν ὄνομα συγγενείας ἔχοντες οἰκειοτέρους σφᾶς αὐτοὺς ἐν ταῖς συμφοραῖς τῶν ἀναγκαίων παρέσχον.

[34] Λέγουσι δ᾽ ὡς τὰς μὲν διαθήκας οὐκ ἀπιστοῦσι Θρασύλοχον καταλιπεῖν, οὐ μέντοι καλῶς οὐδ᾽ ὀρθῶς φασὶν αὐτὰς ἔχειν. Καίτοι, ὦ ἄνδρες Αἰγινῆται, πῶς ἄν τις ἄμεινον ἢ μᾶλλον συμφερόντως περὶ τῶν αὑτοῦ πραγμάτων ἐβουλεύσατο; ὃς οὔτ᾽ ἔρημον τὸν οἶκον κατέλιπε τοῖς τε φίλοις χάριν ἀπέδωκεν, ἔτι δὲ τὴν μητέρα καὶ τὴν ἀδελφὴν οὐ μόνον τῶν αὑτοῦ κυρίας ἀλλὰ καὶ τῶν ἐμῶν κατέστησε, τὴν μὲν ἐμοὶ συνοικίσας, τῇ δ᾽ υἱόν μ᾽ εἰσποιήσας; [35] Ἆρ᾽ ἂν ἐκείνως ἄμεινον ἔπραξεν, εἰ μήτε τῆς μητρὸς τὸν ἐπιμελησόμενον κατέστησε, μήτ᾽ ἐμοῦ μηδεμίαν μνείαν ἐποιήσατο, τὴν δ᾽ ἀδελφὴν ἐπὶ τῇ τύχῃ κατέλιπε, καὶ τὸν οἶκον ἀνώνυμον τὸν αὑτοῦ περιεῖδε γενόμενον;

[36] Ἀλλὰ γὰρ ἴσως ἀνάξιος ἦν υἱὸς εἰσποιηθῆναι Θρασυλόχῳ καὶ λαβεῖν αὐτοῦ τὴν ἀδελφήν. Ἀλλὰ πάντες ἂν μαρτυρήσειαν Σίφνιοι τοὺς προγόνους τοὺς ἐμοὺς καὶ γένει καὶ πλούτῳ καὶ δόξῃ καὶ τοῖς ἄλλοις ἅπασι πρώτους εἶναι τῶν πολιτῶν. Τίνες γὰρ ἢ μειζόνων ἀρχῶν ἠξιώθησαν ἢ πλείω χρήματ᾽ εἰσήνεγκαν ἢ κάλλιον ἐχορήγησαν ἢ μεγαλοπρεπέστερον τὰς ἄλλας λῃτουργίας ἐλῃτούργησαν; Ἐκ ποίας δ᾽ οἰκίας τῶν ἐν Σίφνῳ πλείους βασιλεῖς γεγόνασιν; [37] Ὥστε Θρασύλοχός τ᾽ εἰ καὶ μηδὲ πώποτ᾽ αὐτῷ διελέχθην, εἰκότως ἂν ἠβουλήθη μοι διὰ ταῦτα δοῦναι τὴν ἀδελφήν, ἐγώ τ᾽ εἰ καὶ μηδέν μοι τούτων ὑπῆρχεν, ἀλλὰ φαυλότατος ἦν τῶν πολιτῶν, δικαίως ἂν παρ᾽ αὐτοῦ διὰ τὰς εὐεργεσίας τὰς εἰς ἐκεῖνον τῶν μεγίστων ἠξιώθην.

14. [28] Je voudrais pouvoir vous montrer avec évidence tout ce que j'ai été pour lui, car alors vous ne supporteriez pas même la voix de mes adversaires; mais il n'est pas facile de faire connaître les difficultés extrêmes attachées au traitement d'une pareille maladie, qui nécessite les services les plus pénibles, les soins les plus attentifs. Examinez vous-mêmes au prix de combien de veilles et de fatigues un mal de cette nature, et qui dure aussi longtemps, peut être combattu. [29] J'étais dans un tel état que tous ceux de mes amis qui venaient me visiter me témoignaient leur crainte de me voir périr avec lui et m'engageaient à me garantir moi-même, en me disant que la plupart de ceux qui avaient soigné cette maladie en étaient devenus les victimes. Je leur répondais alors que je préférais mourir, plutôt que de laisser expirer Thrasylochus avant l'instant marqué par la destinée, faute d'avoir auprès de lui quelqu'un pour le secourir.

15. [30] C'est donc lorsque j'ai été tel à l'égard de Thrasylochus, que cette femme ose me disputer son héritage, elle qui n'a pas même daigné le visiter une fois pendant le cours de ses longues souffrances, lorsque, n'étant séparée de lui que par un intervalle facile à franchir, elle entendait parler chaque jour de sa triste situation! Et voilà que maintenant elle essaye avec ceux qui la soutiennent de lui donner le nom de frère, comme si elle ne semblait pas l'injurier d'une manière plus coupable et plus odieuse en raison de la douceur du titre qu'elle lui donne après sa mort. [31] Enfin, lorsque 417 Thrasylochus touchait à sa dernière heure, qu'elle voyait tous nos concitoyens établis à Trézène faire voile vers Égine pour assister à ses funérailles, même alors elle ne se présente pas ; elle pousse la dureté et la barbarie jusqu'à ne pas daigner paraître à ses obsèques ; et lorsque ensuite il s'agit de sa fortune, dix jours ne sont pas écoulés qu'elle vient la réclamer, comme si elle eût été parente, non de sa personne, mais de son argent ! [32] Si elle avoue qu'il existait entre elle et lui une telle inimitié qu'elle a eu de justes motifs pour en agir ainsi, il n'a pas suivi une résolution insensée en préférant laisser ses biens à ses amis plutôt qu'à elle ; et s'il n'existait, au contraire, nul dissentiment entre eux, quand elle a montré à son égard tant d'indifférence et de méchanceté, il serait beaucoup plus juste de la priver de ses biens que de la rendre héritière de ceux de Thrasylochus. [33] Considérez qu'il n'a obtenu, de la part de cette femme, ni les soins auxquels il avait droit pendant sa maladie, ni les honneurs qui lui étaient dus après sa mort, tandis qu'il a reçu de moi les uns et les autres. Enfin il est juste de donner vos suffrages, non pas en faveur de ceux qui prétendent avoir des droits fondés sur la parenté, et que l'on voit, dans tous leurs actes, se comporter en ennemis, mais bien plutôt en faveur de ceux qui, sans avoir le nom de parents, se sont montrés plus dévoués dans le malheur que les parents véritables.

16. [34] Mes adversaires déclarent ne pas révoquer en doute que ce testament ait été laissé par Thrasylochus, mais ils ajoutent que ses dispositions ne sont ni honorables ni justes ; et pourtant, citoyens d'Egine, comment un homme aurait-il pu prendre un parti plus sage, plus conforme à l'intérêt de ses affaires? Il a pourvu au maintien de sa famille; il s'est montré re- 419 connaissant envers ses amis ; il a établi sa mère et sa sœur maîtresses, non-seulement de sa fortune, mais de la mienne, en me rendant l'époux de l'une et le fils de l'autre. [35] Aurait-il agi avec plus de sagesse s'il n'eût chargé personne du soin de sa mère, s'il n'eût pas fait mention de moi, s'il eût abandonné sa sœur aux caprices de la fortune, et s'il eut vu avec indifférence s'éteindre le nom de sa famille ?

17. [36] Mais peut-être n'étais-je pas digne d'être adopté pour fils par Thrasylochus et d'épouser sa sœur ? Tous les Siphniens pourraient attester que nos ancêtres occupaient le premier rang dans Siphnos par leur naissance, leurs richesses, leur considération, et par tous les autres genres de supériorité. Quels sont ceux qui ont été honorés de plus hautes magistratures, qui ont fourni des sommes plus considérables à l'Etat, qui ont rempli avec plus de noblesse les fonctions de chorège et avec plus de magnificence les autres charges publiques ? Quel est, enfin, dans Siphnos, la famille d'où il est sorti plus de rois ? [37] De sorte que Thrasylochus, quand bien même je ne lui eusse jamais parlé, aurait, par ces motifs, sagement agi en me donnant sa sœur ; et, lors même que j'eusse été privé de tous ces avantages, que j'eusse été le dernier des citoyens, j'aurais pu obtenir de lui, avec justice, les plus grandes marques de reconnaissance pour les bienfaits qu'il avait reçus de moi.

[38] Οἶμαι τοίνυν αὐτὸν καὶ Σωπόλιδι τἀδελφῷ μάλιστα κεχαρίσθαι ταῦτα διαθέμενον. Καὶ γὰρ ἐκεῖνος ταύτην μὲν ἐμίσει καὶ κακόνουν τοῖς αὑτοῦ πράγμασιν ἡγεῖτο, ἐμὲ δὲ περὶ πλείστου τῶν αὑτοῦ φίλων ἐποιεῖτο. Ἐδήλωσε δ᾽ ἐν ἄλλοις τε πολλοῖς καὶ ὅτ᾽ ἔδοξε τοῖς συμφυγάσιν ἐπιχειρεῖν τῇ πόλει μετὰ τῶν ἐπικούρων. Αἱρεθεὶς γὰρ ἄρχειν αὐτοκράτωρ ἐμὲ καὶ γραμματέα προσείλετο καὶ τῶν χρημάτων ταμίαν ἁπάντων κατέστησε, καὶ ὅτ᾽ ἠμέλλομεν κινδυνεύειν, αὐτὸς αὑτῷ με παρετάξατο. [39] Καὶ σκέψασθ᾽ ὡς σφόδρ᾽ αὐτῷ συνήνεγκεν· δυστυχησάντων γὰρ ἡμῶν ἐν τῇ προσβολῇ τῇ πρὸς τὴν πόλιν καὶ τῆς ἀναχωρήσεως οὐχ οἵας ἠβουλόμεθα γενομένης, τετρωμένον αὐτὸν καὶ βαδίζειν οὐ δυνάμενον ἀλλ᾽ ὀλιγοψυχοῦντα ἀπεκόμις᾽ ἐπὶ τὸ πλοῖον μετὰ τοῦ θεράποντος τοὐμαυτοῦ, φέρων ἐπὶ τῶν ὤμων, ὥστ᾽ ἐκεῖνον πολλάκις καὶ πρὸς πολλοὺς εἰπεῖν ὅτι μόνος ἀνθρώπων αἴτιος εἴην αὑτῷ τῆς σωτηρίας. [40] Καίτοι τίς ἂν μείζων ταύτης εὐεργεσία γένοιτο; ἐπειδὴ τοίνυν εἰς Λυκίαν ἐκπλεύσας ἀπέθανεν, αὕτη μὲν οὐ πολλαῖς ἡμέραις ὕστερον μετὰ τὴν ἀγγελίαν ἔθυε καὶ ἑώρταζε καὶ οὐδὲ τὸν ἀδελφὸν ᾐσχύνετο τὸν ἔτι ζῶντα, οὕτως ὀλίγον φροντίζουσα τοῦ τεθνεῶτος, ἐγὼ δ᾽ ἐπένθης᾽ αὐτόν, ὥσπερ τοὺς οἰκείους νόμος ἐστίν. [41] Καὶ ταῦτα πάντ᾽ ἐποίουν διὰ τὸν τρόπον τὸν ἐμαυτοῦ καὶ τὴν φιλίαν τὴν πρὸς ἐκείνους ἀλλ᾽ οὐ ταυτησὶ τῆς δίκης ἕνεκα· οὐ γὰρ ᾤμην αὐτοὺς οὕτω δυστυχήσειν ὥστ᾽ ἄπαιδας ἀμφοτέρους τελευτήσαντας εἰς ἔλεγχον καταστήσειν, ὁποῖός τις ἕκαστος ἡμῶν περὶ αὐτοὺς ἐγένετο.

[42] Πρὸς μὲν οὖν Θρασύλοχόν τε καὶ Σώπολιν ὡς αὕτη τε κἀγὼ διεκείμεθα, σχεδὸν ἀκηκόατε· τρέψονται δ᾽ ἴσως ἐπ᾽ ἐκεῖνον τὸν λόγον ὅσπερ αὐτοῖς λοιπός ἐστιν, ὡς Θράσυλλος ὁ πατὴρ ὁ ταύτης ἡγοῖτ᾽ ἂν δεινὰ πάσχειν, εἴ τίς ἐστιν αἴσθησις τοῖς τεθνεῶσι περὶ τῶν ἐνθάδε γιγνομένων, ὁρῶν τὴν μὲν θυγατέρ᾽ ἀποστερουμένην τῶν χρημάτων, ἐμὲ δὲ κληρονόμον ὧν αὐτὸς ἐκτήσατο γιγνόμενον.

Ἐγὼ δ᾽ ἡγοῦμαι μὲν οὐ περὶ τῶν πάλαι τεθνεώτων, [43] ἀλλὰ περὶ τῶν ἔναγχος τὸν κλῆρον καταλιπόντων προσήκειν ἡμῖν τοὺς λόγους ποιεῖσθαι. Θράσυλλος μὲν γάρ, οὕσπερ ἠβούλετο, τούτους κυρίους τῶν αὑτοῦ κατέλιπεν· δίκαιον δὲ καὶ Θρασυλόχῳ ταὐτὰ ταῦτ᾽ ἀποδοθῆναι παρ᾽ ὑμῶν, καὶ γενέσθαι διαδόχους τῆς κληρονομίας μὴ ταύτην, ἀλλ᾽ οἷς ἐκεῖνος διέθετο· οὐ μέντ᾽ ἄν μοι δοκῶ φυγεῖν οὐδὲ τὴν Θρασύλλου γνώμην. [44] Οἶμαι γὰρ ἂν αὐτὸν πάντων γενέσθαι ταύτῃ χαλεπώτατον δικαστήν, εἴπερ αἴσθοιτο, οἵα περὶ τοὺς παῖδας αὐτοῦ γεγένηται. Πολλοῦ γ᾽ ἂν δεήσειεν ἀχθεσθῆναι κατὰ τοὺς νόμους ὑμῶν ψηφισαμένων, ἀλλὰ πολὺ ἂν μᾶλλον, εἰ τὰς τῶν παίδων διαθήκας ἀκύρους ἴδοι γενομένας. Καὶ γὰρ εἰ μὲν εἰς τὸν οἶκον τὸν ἐμὸν δεδωκὼς ἦν Θρασύλοχος τὴν οὐσίαν, τοῦτ᾽ ἂν ἐπιτιμᾶν εἶχον αὐτῷ· νῦν δ᾽ εἰς τὸν αὐτῶν μ᾽ εἰσεποιήσατο, ὥστ᾽ οὐκ ἐλάττω τυγχάνουσιν εἰληφότες ὧν δεδώκασιν. Χωρὶς δὲ τούτων, [45] οὐδένα μᾶλλον εἰκός ἐστιν ἢ Θράσυλλον εὔνουν εἶναι τοῖς κατὰ δόσιν ἀμφισβητοῦσιν· καὶ γὰρ αὐτὸς καὶ τὴν τέχνην ἔμαθε παρὰ Πολεμαινέτου τοῦ μάντεως καὶ τὰ χρήματ᾽ ἔλαβεν οὐ κατὰ γένος ἀλλὰ δι᾽ ἀρετήν, ὥστ᾽ οὐκ ἂν δήπου φθονήσειεν, εἴ τις περὶ τοὺς παῖδας αὐτοῦ χρηστὸς γενόμενος τῆς αὐτῆς δωρεᾶς ἧσπερ ἐκεῖνος ἠξιώθη.

Μεμνῆσθαι δὲ χρὴ καὶ τῶν ἐν ἀρχῇ ῥηθέντων. [46] Ἐπέδειξα γὰρ ὑμῖν αὐτὸν οὕτω περὶ πολλοῦ τὴν ἡμετέραν οἰκειότητα ποιησάμενον ὥστε γῆμαι καὶ τὴν ἀδελφὴν τὴν τοῦ πατρὸς καὶ τὴν ἀνεψιάν. Καίτοι τίσιν ἂν θᾶττον τὴν αὑτοῦ θυγατέρ᾽ ἐξέδωκεν ἢ τούτοις παρ᾽ ὧνπερ αὐτὸς λαμβάνειν ἠξίωσεν; ἐκ ποίας δ᾽ ἂν οἰκίας ἥδιον εἶδεν υἱὸν αὑτῷ κατὰ τοὺς νόμους εἰσποιηθέντα μᾶλλον ἢ ταύτης, ἐξ ἧσπερ καὶ φύσει παῖδας ἐζήτησεν αὑτῷ γενέσθαι;

[47] Ὥστ᾽ ἂν μὲν ἐμοὶ ψηφίσησθε τὸν κλῆρον, καὶ πρὸς ἐκεῖνον ὑμῖν καλῶς ἕξει καὶ πρὸς τοὺς ἄλλους ἅπαντας οἷς προσήκει τι τούτων τῶν πραγμάτων· ἂν δ᾽ ὑπὸ ταύτης πεισθέντες ἐξαπατηθῆτε, οὐ μόνον ἔμ᾽ ἀδικήσετε ἀλλὰ καὶ Θρασύλοχον τὸν τὴν διαθήκην καταλιπόντα καὶ Σώπολιν καὶ τὴν ἀδελφὴν τὴν ἐκείνων, ἣ νῦν ἐμοὶ συνοικεῖ, καὶ τὴν μητέρ᾽ αὐτῶν, ἣ πασῶν ἂν εἴη δυστυχεστάτη γυναικῶν, εἰ μὴ μόνον ἐξαρκέσειεν αὐτῇ στέρεσθαι τῶν παίδων, ἀλλὰ καὶ τοῦτ᾽ αὐτῇ προσγένοιτο, ὥστ᾽ ἐπιδεῖν ἄκυρον μὲν τὴν ἐκείνων γνώμην οὖσαν, ἔρημον δὲ τὸν οἶκον γιγνόμενον, [48] καὶ τὴν μὲν ἐπιχαίρουσαν τοῖς αὑτῆς κακοῖς ἐπιδικαζομένην τῶν χρημάτων, ἐμὲ δὲ μηδενὸς δυνάμενον τῶν δικαίων τυχεῖν, ὃς τοιαῦτ᾽ ἔπραξα περὶ τοὺς ἐκείνης, ὥστ᾽ εἴ τίς με σκοποῖτο μὴ πρὸς ταύτην ἀλλὰ πρὸς τοὺς πώποτε κατὰ δόσιν ἀμφισβητήσαντας, εὑρεθείην ἂν οὐδενὸς χείρων αὐτῶν περὶ τοὺς φίλους γεγενημένος. Καίτοι χρὴ τοὺς τοιούτους τιμᾶν καὶ περὶ πολλοῦ ποιεῖσθαι πολὺ μᾶλλον ἢ τὰς ὑφ᾽ ἑτέρων δεδομένας δωρεὰς ἀφαιρεῖσθαι. [49] Ἄξιον δ᾽ ἐστὶ καὶ τῷ νόμῳ βοηθεῖν καθ᾽ ὃν ἔξεστιν ἡμῖν καὶ παῖδας εἰσποιήσασθαι καὶ βουλεύσασθαι περὶ τῶν ἡμετέρων αὐτῶν, ἐνθυμηθέντας ὅτι τοῖς ἐρήμοις τῶν ἀνθρώπων ἀντὶ παίδων οὗτός ἐστιν· διὰ γὰρ τοῦτον καὶ οἱ συγγενεῖς καὶ οἱ μηδὲν προσήκοντες μᾶλλον ἀλλήλων ἐπιμελοῦνται.

[50] Ἵνα δὲ παύσωμαι λέγων καὶ μηκέτι πλείω χρόνον διατρίβω, σκέψασθ᾽ ὡς μεγάλα καὶ δίκαι᾽ ἥκω πρὸς ὑμᾶς ἔχων, πρῶτον μὲν φιλίαν πρὸς τοὺς καταλιπόντας τὸν κλῆρον παλαιὰν καὶ πατρικὴν καὶ πάντα τὸν χρόνον διατελέσασαν, ἔπειτ᾽ εὐεργεσίας πολλὰς καὶ μεγάλας καὶ περὶ δυστυχοῦντας ἐκείνους γεγενημένας, πρὸς δὲ τούτοις διαθήκας παρ᾽ αὐτῶν τῶν ἀντιδίκων ὁμολογουμένας, ἔτι δὲ νόμον ταύταις βοηθοῦντα, ὃς δοκεῖ τοῖς Ἕλλησιν ἅπασι καλῶς κεῖσθαι. [51] Τεκμήριον δὲ μέγιστον· περὶ γὰρ ἄλλων πολλῶν διαφερόμενοι περὶ τούτου ταὐτὰ γιγνώσκουσιν. Δέομαι οὖν ὑμῶν καὶ τούτων μεμνημένους καὶ τῶν ἄλλων τῶν εἰρημένων τὰ δίκαια ψηφίσασθαι, καὶ τοιούτους μοι γενέσθαι δικαστάς, οἵων περ ἂν αὐτοὶ τυχεῖν ἀξιώσαιτε.

18. [38] Je crois aussi que Thrasylochus a fait, dans ce testament, l'acte qui pouvait être le plus agréable à son frère Sopolis. Sopolis, en effet, haïssait cette femme ; il la regardait comme animée à son égard de sentiments ennemis, et j'étais, au contraire, parmi ses amis, celui qu'il estimait le plus. Il l'a montré dans 421 beaucoup d'occasions, mais principalement à l'époque où les exilés essayèrent de rentrer dans leur pays, en s'appuyant sur des troupes auxiliaires. Choisi alors pour général avec un pouvoir absolu, il me prit auprès de lui en qualité de secrétaire, me nomma trésorier général de l'armée, et, au moment du combat, il me plaça à ses côtés. [39] Voyez à quel point ce choix fut utile pour lui. Nous avions été malheureux dans l'assaut donné à la ville, et notre retraite avait été loin de s'exécuter comme nous l'eussions voulu : Sopolis blessé était dans l'impossibilité de marcher ; je le chargeai sur mes épaules, aidé de mon esclave ; je le portai mourant jusqu'au vaisseau, et plusieurs fois il a répété, devant un grand nombre de personnes, que seul, entre tous les autres, j'avais été l'auteur de son salut. [40] Quel bienfait pourrait être placé au-dessus d'un tel service ? Ayant ensuite fait voile vers la Lycie, Sopolis mourut, et ma partie adverse, peu de jours après en avoir reçu la nouvelle, offrait des sacrifices, célébrait des fêtes, et n'éprouvait pas de honte, devant un frère encore vivant, de montrer cette indifférence pour celui qui avait cessé de vivre. Quant à moi, je le pleurais, comme la loi le prescrit entre parents. [41] J'agissais en cela par l'impulsion de ma nature, comme de l'amitié que je portais aux deux frères, et non en vue du procès que je soutiens aujourd'hui ; car je ne croyais pas, alors, qu'ils seraient assez infortunés pour mourir l'un et l'autre sans enfants, et que je serais obligé de montrer ce que chacun de nous avait été à leur égard.

19. [42] Vous avez pu reconnaître quels avaient été les sentiments de cette femme et les miens à l'égard de Thrasylochus et de Sopolis. Peut-être ceux qui nous combattent se rejetteront-ils sur cet argument, le seul 423 qui leur reste, que Thrasyllus, son père, s'il existe chez les morts quelque sentiment des choses de la terre, éprouverait une grande indignation de voir sa fille dépouillée de ses richesses, et moi devenu l'héritier de ce qu'il avait acquis.

20. Pour moi, je pense qu'il nous convient de parler, dans ce moment, non de ceux qui sont morts depuis longtemps, [43] mais de ceux dont la succession s'est récemment ouverte. Thrasyllus a choisi pour héritiers ceux qu'il a voulu, il est donc juste que la même faculté soit accordée par vous à Thrasylochus, et que sa fortune appartienne, non à cette femme, mais à ceux en faveur desquels il a testé ; en cela même, je ne crois pas m' éloigner des sentiments de Thrasyllus. [44] Je suis convaincu, au contraire, qu'il deviendrait pour elle le juge le plus sévère, s'il savait ce qu'elle a été pour ses fils. Loin de vous voir avec peine prononcer selon les lois, il serait bien plutôt indigné, s'il vous voyait annuler les dernières volontés de ses enfants. Si Thrasylochus avait, par une simple donation, fait passer sa fortune dans ma maison, mes adversaires pourraient lui adresser quelques reproches ; mais, par l'adoption, il m'a fait entrer dans leur famille, et alors ils se trouvent avoir reçu autant qu'ils ont donné. Il est naturel, en outre, [45] que personne ne puisse être disposé plus favorablement que Thrasyllus à l'égard de ceux qui plaident pour le maintien d'une donation, car, ayant appris de Polémoenétès l'art de la divination, il a recueilli sa fortune, non pas à cause des droits du sang, mais à cause de son mérite ; il ne doit donc éprouver aucune colère en voyant un homme qui a été utile à ses enfants recevoir une récompense semblable à celle dont lui-même avait été jugé digne.

425 21. Il faut aussi vous rappeler ce que j'ai dit en commençant. [46] Je vous ai fait voir que Thrasyllus attachait un tel prix à notre alliance qu'il avait épousé la sœur, puis la cousine de mon père. Or à qui aurait-il donné sa fille avec plus d'empressement qu'à ceux chez lesquels il avait voulu choisir une épouse? Comme aussi, de quelle famille se serait-il vu donner avec plus de plaisir un fils selon la loi, que de celle dont lui-même avait cherché à obtenir des enfants selon la nature ?

22. [47] En un mot, si vous décidez que l'héritage m'appartient, vous rendrez un jugement qui aura l'assentiment de Thrasyllus, comme de tous ceux qui, pour un motif quelconque, ont intérêt au succès de cette affaire; et si, au contraire, persuadés par celle qui m'attaque, vous vous laissez abuser, non-seulement vous violerez la justice à mon égard, mais vous la violerez encore à l'égard de Thrasylochus, l'auteur du testament ; de Sopolis, de leur sœur, à laquelle je suis uni; de leur mère, qui serait la plus infortunée des femmes, si ce n'était pas assez pour elle d'être privée de ses enfants, mais qu'elle dût encore y ajouter la douleur de voir leurs volontés anéanties, leur famille éteinte, [48] celle qui revendique leur héritage insultant à son infortune en se le faisant adjuger; moi enfin, dans l'impossibilité de jouir d'aucun de mes droits, lorsque j'ai rendu de tels services à ses enfants que, si l'on me comparait, je ne dis pas à cette femme, mais à tous ceux qui ont jamais réclamé des donations, je ne serais jugé inférieur à aucun d'eux dans mon dévouement pour mes amis. Certes, il faut honorer les hommes de ce caractère et les entourer d'estime, plutôt que de leur arracher les dons 427 qui leur ont été faits. [49] Vous devez aussi venir au secours de la loi, qui nous permet d'adopter des enfants et de disposer de notre fortune; convaincus que cette loi a été faite pour que ceux qui sont privés de postérité puissent remplir le vide de leur existence, parce qu'elle encourage les parents, et même ceux qui n'ont entre eux aucun rapport de famille, à prendre réciproquement plus de soins les uns pour les autres.

23. [50] Afin de mettre un terme à ce discours et de ne pas nous arrêter plus longtemps, considérez combien sont puissants et justes les titres sur lesquels je m'appuie : d'abord, mon amitié pour ceux qui m'ont laissé leur héritage, amitié ancienne, héréditaire, constante dans tous les temps ; ensuite, les grands et nombreux bienfaits dont ils ont été l'objet dans leurs malheurs, et les dispositions testamentaires reconnues par mes adversaires eux-mêmes; enfin, la loi qui protège ces dispositions, loi qui paraît avoir l'assentiment de tous les Grecs. [51] En voici la plus grande preuve : divisés sur une foule d'autres lois, leur opinion sur celle-ci est unanime. Je vous demande donc de vous souvenir de ces faits, aussi bien que de tous ceux qui ont été rappelés ici ; et, en donnant vos suffrages conformément à la justice, d'être pour moi des juges tels que vous désireriez en rencontrer de semblables pour vous-mêmes.

(1) Théorie, voir la note à la p. 293.