Platon traduit par Victor Cousin Tome I

ISÉE


FRAGMENTS DE PLAIDOYERS PERDUS.

Traduction française : Rodolphe Dareste
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

FRAGMENTS DES PLAIDOYERS PERDUS.

 

On a réuni trente-six fragments des autres plaidoyers d'Isée. Ils forment six pages de l'édition de Scheibe. Les deux tiers sont trop courts ou trop insignifiants pour qu'il y ait intérêt à les traduire. Nous en donnons ici douze, les seuls qui paraissent avoir quelque utilité pour l'étude du droit athénien.

I. Contre Aristogiton et Archippos, au sujet de la succession d'Archépolis.

1. Après cette réponse ils apportèrent un autre testament qu'ils dirent avoir été fait par Archépolis, à Lemnos.

2. Quatre testaments ayant été fabriqués par eux.

II. Contre les membres du dème, au sujet d'un domaine.

3. Je voudrais avant tout, juges, qu'aucun de mes concitoyens ne m'eût fait tort. Je voudrais tout au moins, n'avoir pour adversaires que des gens dont l'inimitié me serait indifférente. Or, il m'arrive aujourd'hui la chose la plus fâcheuse du monde. Ceux qui me font tort sont les membres du dème. Fermer les yeux sur leurs usurpations n'est pas facile, mais encourir leur inimitié est désagréable, dans la nécessité où je suis de sacrifier avec eux et de prendre part à leurs réunions. En outre il n'est pas facile de soutenir un procès contre de nombreux adversaires. Leur nombre même contribue pour beaucoup à faire qu'ils paraissent dire la vérité. Néanmoins, j'ai foi dans la bonté de ma cause, et c'est ce qui me décide, dans mes nombreux et pénibles ennuis, à faire, sans hésiter, un effort pour obtenir de vous ce qui est mon droit. Je vous prie donc de me pardonner si tout jeune que je suis j'ose parler devant un tribunal. Ce sont mes adversaires qui me forcent à faire cette démarche, contrairement à mon caractère. Je m'efforcerai de vous faire connaître l'affaire depuis le commencement, en aussi peu de mots qu’il me sera possible.

III. Contre Dioclès, au sujet d'un domaine.

4. Je vous montrerai que ce domaine n'appartient pas à l'épiclère et ne lui a jamais appartenu. C'était un bien paternel de Lysiménès, père de Ménécrate. Lysiménès possédait tous les biens paternels.

IV. Contre Diophanès. Défense de la tutelle.

5. Il paya une partie comptant et s'engagea à faire payer le reste par d'autres.

6. Une partie fut payée par moi, à savoir deux talents et trente mines. Le reste fut promis par le tenancier.

V. Contre Elpagoras et Démophanès.

7. Ceux qui, après les affaires du Pirée, étaient, dit-on, les commissaires auxquels on apportait les objets confisqués.

VI. Contre Hermon au sujet d'un cautionnement.

8. Il réduisit Hermocrate aux extrémités, disant très haut que c'était son affranchi, et il ne le lâcha pas avant de lui avoir extorqué trente mines.

VII. Plaidoyer au sujet d'Eumathès. Revendication en liberté. Xénoclès contre Dionysios.

9. Ce n'est pas la première fois, juges, que je rends service à Eumathès. Il est juste qu'aujourd'hui je fasse tous mes efforts pour le sauver, si je puis, avec votre concours. Écoutez-moi un instant; je ne veux pas qu'un seul d'entre vous puisse soupçonner que la témérité ou quelque autre mauvais motif me pousse à prendre en main les affaires d'Eumathès. J'étais triérarque sous l'archontat de Céphisodote. Le bruit se répandit chez moi que j'avais trouvé la mort dans le combat naval. J'avais alors un dépôt chez Eumathès. Il envoya chercher mes parents et mes amis, leur fit voiries va leurs que j'avais chez lui et leur remit le tout, fidèlement, comme c'était son devoir. Aussi quand je me retrouvai sain et sauf, mes relations avec lui devinrent encore plus étroites, quand il fonda sa banque je lui lis de nouvelles avances, et enfin quand il fut emmené en servitude par Dionysios je le revendiquai en liberté, sachant qu'il avait été affranchi par Épigène, devant le tribunal. Pour le moment je n'en dirai pas davantage.

VIII. Pour Calydon contre Hagnothée. Action d'exécution.

10. Je voudrais bien, juges, qu'Hagnothée fût exempt de cette avarice honteuse qui le pousse à convoiter le bien d'autrui et à intenter des actions comme celle-ci. Je voudrais qu'étant mon neveu et maître de la fortune paternelle que nous lui avons remise, fortune assez considérable pour supporter les liturgies, il en prît soin et ne jetât pas un regard d'envie sur la mienne; s'il la conservait, tout le monde trouverait sa conduite meilleure, et s'il l'augmentait il se montrerait citoyen plus utile à votre égard. Mais aujourd'hui, qu'il a dissipé, vendu, englouti cette fortune dans de honteuses débauches, contrairement à ce que j'aurais voulu, et que confiant dans les sociétés qui l'appuient, dans les discours dont il fait provision, il marche à la conquête de la mienne, il faut bien, je le vois, me résigner au malheur d'avoir dans ma famille un homme tel que lui, répondre à ses griefs, à ses calomnies étrangères au procès, et cela avec tout l'empressement que nous pourrons y mettre.

11. Sur quoi se fonde, dites-moi, la croyance en ce qui nous est dit? N'est-ce pas sur les témoignages? Je le crois, du moins. Et sur quoi se fonde la croyance donnée aux témoins? N'est-ce pas sur la torture? C'est probable. Sur quoi vous fonderez-vous pour refuser toute confiance aux discours de ces hommes? N'est-ce pas sur ce qu'ils fuient la preuve? Certainement. C'est pourquoi vous me voyez presser les choses et conduire la procédure vers la mise à la question, tandis que mon adversaire compte sur ses calomnies et ses discours, comme ferait un homme qui se croit plus fort que les autres. Eh bien! s'il avait quelque sentiment de justice, s'il ne cherchait pas à surprendre vos décisions, il aurait dû non pas faire ce qu'il fait, mais aborder le raisonnement avec les témoins et discuter tout ce qui a été dit, point par point ; enfin m'interroger moi-même, de la manière que voici : Combien comptes-tu de contributions? — tant et tant. — A combien se monte l'argent versé? — à tant et tant. — En vertu de quels décrets? — tels et tels — qui a reçu l'argent? — tels et tels, qui en rendront témoignage. Il aurait dû vérifier les décrets, le nombre des contributions, les sommes versées, les personnes qui les ont reçues ; si tout se trouve exact, il doit me croire sur parole, sinon il est tenu de produire des témoins sur les fausses mentions qui peuvent se trouver dans les comptes que je leur ai rendus.

IX. Contre Lysibios, au sujet de l'épiclère.

12. Nous pensons que cette femme est tenue d'épouser le plus proche parent, et que les biens lui appartiendront provisoirement, comme épiclère, mais que ses enfants en prendront possession le jour où ils auront atteint leur majorité.

 

 

 

NOTES SUR LE FRAGMENT DU PLAIDOYER

 

 

AU SUJET D'EUMATHÈS. (VII)

Eumathès, métèque, banquier à Athènes, a été saisi et emmené en servitude par Dionysios, comme esclave d'Épigène, dont Dionysios est héritier pour partie. Xénoclès, ami d'Eumathès est intervenu, l’a arraché des mains de Dionysios et s'est fait fort de prouver qu'Eumathès a été affranchi par Épigène, devant le tribunal.

Dionysios a intenté contre Xénoclès une action en dommages-intérêts, δίκη βλάβης. La formule de son action est ainsi conçue : « Xénoclès m'a fait tort en revendiquant Eumathès en liberté, alors que je l'emmenais en servitude pour la part qui me revient » (Harpocration, v° ἄγει).

Ce fragment que nous a conservé Denys d'Halicarnasse nous apprend deux choses :

1° L'affranchissement à Athènes, pouvait avoir lieu devant le tribunal, ἐν τῷ δικαστερίῳ. Il ne faudrait pas toutefois conclure de là que le tribunal jouât un rôle dans l'acte d'affranchissement, et qu'il y eût une formalité judiciaire. Il serait bien étrange que cette formalité ne nous fût connue par aucun autre texte. Xénoclès affirme seulement que l'affranchissement a eu lieu dans l'enceinte du tribunal, devant les juges et le public, pour qu'il y eût un grand nombre de témoins. Denys nous apprend d'ailleurs que suivant la règle l'affranchissement avait fait d'Eumathès un métèque et non un citoyen.

2° En cas de revendication en liberté, la personne saisie comme esclave était provisoirement libre. Le saisissant avait seulement l'action βλάβης contre le revendiquant. C'était donc à lui à faire la preuve de sa prétention, à moins qu'on ne dise que la preuve était également à la charge des deux parties, parce qu'il s'agissait d'une διαδικασία sur une question préjudicielle, tenant à l'état des personnes : Eumathès était-il libre ou esclave?

L'archontat de Céphisodote est de l'an 358. Le procès a eu lieu peu de temps après.