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table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

DÉMOSTHÈNE

 

HARANGUE CONTRE TIMOCRATE.

 

 

texte grec

 

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SOMMAIRE DE LA HARANGUE CONTRE TIMOCRATE.

Lorsque les Athéniens étaient en guerre avec le roi de Perse, ils firent un décret qui enjoignait de prendre tous les vaisseaux ennemis, et d'en confisquer tous les effets au profit de Minerve et du trésor. Mausole, satrape de Carie, époux et frère d'Artémise, ravageait et pillait les îles de son voisinage. Sur les plaintes qu'elles en portèrent aux Athéniens, ceux-ci lui députent Androtion, Ménalope et Glaucète, pour se plaindre de ce qu'il maltraitait les Grecs, afin de complaire au roi de Perse. Les députés étaient sur un navire que commandaient Archébius et Lysithide. Ils rencontrent un vaisseau égyptien chargé de marchandises, ils le prennent et l'amènent au Pirée ; mais à lieu de remettre au temple de Minerve et au trésor les deniers provenant des effets, ils le retiennent pour eux-mêmes. Aristophon propose, dans un décret, de choisir des commissaires devant lesquels on devait dénoncer quiconque serait reconnu pour retenir des deniers appartenants aux dieux et au trésor. Euctémon dénonce Archébius et Lysithide : la cause est portée devant le peuple. Androtion, Ménalope et Glaucète déchargent les commandants du navire, et reconnaissent qu'ils sont saisis de l'argent qu'on redemande. Il y avait une loi qui ordonnait que quiconque aurait retenu plus d'une année les deniers appartenants à Minerve et au trésor, serait contraint de payer le double de la somme au trésor, et le décuple à Minerve ; qu'on s'assurerait de sa personne, et qu'on le mettrait en prison jusqu'à ce qu'il eût payé. Timocrate, pour favoriser les députés, dit Démosthène, pour retarder le paiement de la somme qu'ils doivent à Minerve et au trésor, pour empêcher qu'ils ne la paient décuple à la déesse, et double à l'état, et qu'ils ne soient mis en prison jusqu'à ce qu'ils se soient acquittés, porte une loi par laquelle il permet au débiteur du trésor, qui aura été condamné à la prison, ou qui y sera condamné par la suite, de fournir des répondants pour la somme qu'il doit à la république ; on sera tenu de recevoir les répondants que fournira le débiteur, qui, en conséquence, sera garanti de la prison. Un nommé Diodore, pour lequel Démosthène a composé ce discours, accuse Timocrate comme auteur d'une loi contraire aux lois existantes et aux intérêts de l'état.

L'exorde où il expose l'objet et l'importance de sa cause, tout le mal que lui a fait ou a voulu lui faire Androtion, en faveur duquel Timocrate a porté sa loi, est suivi d'une narration où il raconte ce qui a donné sujet à la loi de Timocrate et à l'accusation qu'il lui intente. Il attaque ensuite la loi, et entreprend d'abord de prouver qu'elle est contraire aux lois reçues. Une loi peut être contraire aux lois reçues de deux façons ; ou parce qu'elle n'a point été portée suivant les formes établies par les lois existantes, ou parce que ses dispositions contredisent les dispositions des autres lois. Démosthène attaque la loi de Timocrate de ces deux façons ; il l'attaque comme, illégale et comme illégitime. Il détaille toutes les formes qu'on doit suivre dans l'établissement des lois, et prouve que Timocrate n'en a observé aucune en portant la sienne. Après quoi il rapporte fort au long toutes les lois que sa loi contredit, montre, avec force et subtilité, l'opposition de l'une avec les autres, et conclut qu'il faut abolir les lois d'Athènes ou celle de Timocrate.

Jusqu'ici l'orateur a procédé avec beaucoup d'ordre ; mais il ne procède pas de même dans l'article suivant, où il attaque la loi comme nuisible à l'état. Il annonce une sous-division; il dit qu'une loi, pour être utile, doit être simple et claire, ne renfermer que des dispositions possibles, et ne point favoriser les coupables; or, que la loi de Timocrate a des qualités toutes contraires mais il ne suit pas exactement cette sous-division. Il fait lire la loi, en discute tous les articles, fait voir qu'elle infirme les sentences des tribunaux ; que ses dispositions sont captieuses, qu'elle cause un tort réel à l'état, en paraissant lui assurer les deniers qui sont dus ; qu'elle trouble et renverse toute l'économie politique ; qu'elle favorise les coupables. C'est sur ce dernier objet qu'il s'arrête davantage, il y revient plusieurs fois. Ces moyens sont mêlés ensemble et avec d'autres encore. En général, la méthode de Démosthène est de ne pas s'astreindre à un certain ordre. Il accable ses adversaires par une foule de raisons de toutes les espèces, remontrant plusieurs fois la raison victorieuse et décisive ; tantôt il se déchaîne contre leurs personnes, tantôt il détruit leurs objections. C'est ce que nous voyons dans plusieurs de ses harangues, et particulièrement dans celle sur les prévarications de .l'ambassade et dans celle-ci.

Tout le reste de le harangue, qui fait plus de la moitié, renferme des objections prévues et réfutées, de nouvelles raisons produites, d'anciennes qui reparaissent sous un nouveau jour ; des réflexions, qui avaient échappé, des suppositions éloquentes, de furies invectives contre les personnes de Glaucète, de Ménalope, de Timocrate, et surtout d'Androtion, auquel Diodore en voulait principalement, et contre lequel il se permet une longue excursion. L'orateur termine son plaidoyer par une courte exposition des grands avantages que let lois procurent à un état, et que rien ne supplée. Il exhorte les juges à punir Timocrate avec une rigueur proportionnée à ses délits.

Quoiqu'il y ait de grandes beautés dans ce discours, il me paraît inférieur au précédent. Il y a moins d'ordre et de netteté dans les idées, moins de morceaux frappants, beaucoup de déclamations vagues, plus imposantes que solides. Il le précède d'une année pour la date. Il fut composé sous l'archonte Eudème, la quatrième année de la CVIe Olympiade, dans la vingt-neuvième de Démosthène.

HARANGUE CONTRE TIMOCRATE.

 

[1] Si Timocrate est aujourd'hui accusé, c'est à lui seul, ô Athéniens, qu'il doit s'en prendre. Dans l'intention de frustrer la république d'une forte amende qui doit lui revenir, il a porté une loi qui attaque toutes les lois d'Athènes, et qui n'est ni juste ni utile. Je compte par la suite entrer dans le détail, et vous faire voir combien elle serait nuisible si elle était confirmée, combien elle troublerait le bon ordre de l'état : mais il est un point capital dont il est naturel de parler à des juges, et dont je vais vous dire d'abord quelques mots. [2] Je dis donc que la loi de Timocrate infirme les sentences que vous portez sur tous les objets, après vous être liés par un serment ; et elle les infirme, non pas afin que la république en tire quelque avantage : quel avantage, en effet, peut-elle tirer d'une loi qui attaque les tribunaux, soutiens de la république, qui les prive du droit de punir les malversations, par les amendes que les lois prescrivent? Mais afin que des hommes qui vous ont fait tort de sommes considérables qui en sont évidemment saisis, et qui en jouissent depuis longtemps, ne se voient pas condamnés à les rendre. [3] Il est d'autant plus commode à Timocrate de préférer leurs intérêts à la défense de vos droits, qu'il a reçu d'eux de l'argent ; que sans argent il ne leur eût pas donné sa loi ; tandis que moi, au contraire, loin que je reçoive de vous quelque gratification, je cours pour vous les risques de payer mille drachmes (01). [4] La plupart des orateurs qui ont à discuter des affaires publiques, commencent par annoncer que l'objet de leur discours est important, et qu'il exige la plus grande attention de ceux qui les écoutent. Mais, si jamais on peut employer ce début, il me semble que c'est principalement dans cette cause qu'il convient de le faire. [5] On ne peut nier, je pense, que les lois ne soient ce qui contribue davantage au bien d'une république, et ce qui assure le plus sa liberté et son indépendance : or, il s'agit maintenant d'examiner si, pour établir la loi de Timocrate, il faut abolir les autres lois portées contre ceux qui font tort à l'état, ou bien rejeter celle de Timocrate, pour laisser subsister les autres. Voilà, en deux mots sur quoi vous avez à prononcer aujourd'hui. [6] Et afin qu'on ne s'étonne pas de me voir occuper de jugements et de procès publics, moi qui, à ce que je me persuade, ai toujours vécu tranquille et sans ambition, je vais vous faire un court exposé, qui ne sera pas étranger à la cause.

J'ai eu des démêlés avec un méchant, un misérable, ennemi des dieux et des hommes, avec lequel en a eu toute la ville : je parle d'Androtion (02). [7] Il m'a fait beaucoup plus de mal qu'à Euctémon lui-même. Il n'a causé à ce dernier que des torts pécuniaires ; au lieu que, s'il eût réussi dans la manoeuvre employée contre moi, j'aurais été privé, je ne dis pas de mes biens, mais de toute société avec mes semblables, sans qu'il me fût même loisible de me donner la mort (03), dernière ressource des malheureux. Il m'a accusé d'un crime, qu'un homme sage n'oserait même nommer, d'avoir tué mon père et m'a cité en justice comme enfant dénaturé ; mais, faute d'avoir obtenu la cinquième partie des suffrages, il s'est vu condamné à mille drachmes. Pour moi, comme il était juste j'ai été renvoyé absous par la faveur des dieux et par la décision des juges. [8] J'ai donc regardé depuis, comme ennemi irréconciliable (04), un homme qui, sans être fondé, m'exposait à de telles disgrâces. Ainsi, voyant les torts qu'il causait à l'état dans la levée des impôts et dans la confection des vases sacrés, voyant qu'il retenait, sans vouloir les rendre, des sommes considérables qui appartenaient à Minerve, aux héros protecteurs de la ville, et à la ville même, je l'ai attaqué de concert avec Euctémon, persuadé que, par la même occasion, je pouvais, et poursuivre les torts faits à la. république, et venger mes injures personnelles. Je voudrais donc à la fois satisfaire un juste ressentiment, et lui faire subir la peine qu'il mérite.

[9] Quoiqu'il ne restât plus de doute sur les sommes frauduleusement retenues, quoique le sénat d'abord eût condamné les délinquants ; que le peuple ensuite eût employé tout un jour à examiner leur affaire, et que deux tribunaux réunis, composés de mille et un juges (05), eussent prononcés enfin, quoiqu'il n'y et plus de raison de retenir les deniers appartenant à l'état, Timocrate, s'embarrassant peu de. toutes ces circonstances, porte une loi par laquelle il prive les dieux et le trésor de l'argent qui leur est dû, infirme les décisions du sénat, du peuple et des tribunaux, et assure l'impunité à quiconque voudra piller les deniers publics. [10] Le seul moyen que nous ayons d'empêcher l'effet de leurs manoeuvres c'est d'attaquer la loi, de la soumettre à votre examen et de la faire annuler. Je vais reprendre les choses dès l'origine, et, vous instruisant dans un court récit ; je vous mettrai en état de suivre les prévarications de l'auteur de la loi.

[11] Aristopbon vous proposa un décret, pour qu'on choisît des commissaires, devant lesquels on devait dénoncer quiconque serait connu pour retenir des deniers appartenant aux dieux ou au trésor. Euctémon dénonce Archébius et Lysithide, comme mandants de navire, comme retenant une somme de neuf talents, trente mines, prise dans un vaisseau égyptien. Euctémon se présente au sénat, et en obtient un décret; le peuple s'assemble et délibère sur le décret du sénat. [12] Euctémon se lève ; et entre autres choses qu'il vous dit, il vous rappelle comment un vaisseau fut pris par la galère qui portait Ménalope, Glaucète et Androtion, députés vers Mauzole (06) ; comment ceux à qui l'argent appartenait, vous présentent requête ; comment vous décidâtes que l'argent était de bonne prise : il vous rappelle ces faits et vous fait lire les lois en vertu desquelles, les choses s'étant passées de cette manière, l'argent devait revenir au trésor. [13] Vous applaudissiez tous à son exposé. Androtion, Glaucète et Ménalope, se lèvent brusquement (j'en appelle à vous-mêmes pour la vérité de ces faits) ; ils crient s'emportent, invectivent, déchargent les commandant de navires C'est nous, disent-ils, qui avons l'argent, c'est à nous qu'il faut le demander. Quand vous eûtes entendu ces paroles, et que le tumulte fut apaisé. Euctémon ouvre un avis fort sage. Vous deviez faire payer les commandants de navire ; ceux-ci devaient avoir leur recours sur les députés ; s'ils ne s'accordaient pas, on examinerait l'affaire juridiquement ; et celui que les juges condamneraient, serait débiteur du trésor. [14] Le décret qu'il porte en conséquence est attaqué et soumis à votre examen ; pour trancher court, il est trouvé conforme aux lois et approuvé. Alors, quel parti convenait-il de prendre? il fallait faire rendre l'argent dû à la république, et punir les coupables, il n'était pas besoin de loi.

Jusques-là, Timocrate ne vous a porté aucun préjudice ; mais ensuite il s'est chargé de toutes les fautes qui ont précédé et il est clair que c'est lui qui vous a causé tous les torts. Se prêtant aux artifices et à la mauvaise foi des coupables, se rendant le ministre de leurs iniquités, il les a prises sur son compte, ainsi que je vous le démontrerai bien; [15] et il est nécessaire de vous rappeler le moment et la circonstance dans lesquels il a porté sa loi, veut verrez qu'il vous a joués d'une manière insultante. C'était le mois d'août, temps où les députés furent accusés par Euctémon, et se virent condamnés. Comme ils comptaient sur Timocrate, qui leur était vendu, et qu'ils n'avaient aucune envie de vous satisfaire, ils font semer des propos dans la place publique, ils font annoncer qu'ils sont prêts à payer simple la somme qu'on redemande, mais qu'ils ne pouvaient la payer double. [16] C'était un piège, un jeu et une manoeuvre pour que la loi de Timocrate passât sans qu'on y prît garde. Leur conduite même l'atteste; ils ne vous payèrent pas alors une obole de l'argent qui devait vous revenir; et de plus, ils ont confirmé plusieurs lois en vigueur, par une seule loi, par une loi la plus honteuse, la plus inique qui fût jamais portée. [17]  Mais avant de parler de la loi même contre laquelle je m'élève, je vais dire un mot de celles qui m'autorisent à intenter cette accusation: par-là il vous sera plus facile de suivre le reste.

Dans vos lois reçues, on a marqué clairement toutes les formalités à observer pour établir une loi. [18] Avant tout, on a fixé le temps où il convient de porter la Ioi nouvelle. Après cela, a-t-on la liberté d'agir comme on veut ? non ; mais il est ordonné de la faire transcrire et afficher, pour que le public l'examine. On exige en outre que cette même loi soit pour tous les citoyens, et qu'on fasse abolir celles qui lui sont contraires. Je ne parle pas d'autres ordonnances qu'il serait inutile de détailler ici. Enfin, il est permis à tout citoyen d'accuser quiconque omettra quelqu'une de ces formalités. [19] Si Timocrate n'avait pas enfreint toutes ces dispositions, s'il nε les avait pas attaquées toutes en portant sa loi, on aurait pu l'accuser sur une seules qu'il eût négligée : mais il faut nécessairement entrer dans le détail, et les expliquer l'une après l'autre. Je montrerai donc d'abord comment Timocrate a prévariqué, en portant sa loi sans observer aucune des formes prescrites par les lois ; puis je passerai aux autres articles, selon qu'on voudra m'entendre. Greffier, prenez les lois et faites-en lecture : on verra que Timocrate n'a suivi aucune des formes qu'elles prescrivent. Écoutez, Athéniens avec attention la lecture des lois. (07)

[20] Formes à observer dans l'établissement des lois.

«  Pendant la première prytanie, le onze du mois, dans l'assemblée du peuple, lorsque le héraut aura prononcé les voeux et l'imprécation, on procédera à l'établissement des lois. On s'occupera d'abord de celles qui intéressent le sénat; ensuite de celles qui regardent tout le peuple; puis de  celles qui sont portées pour les neuf archontes ; puis, de celles qui concernent les autres magistrats. Par rapport aux lois qui intéressent le sénat, la première audience sera pour ceux qui prétendent qu'elles sont suffisantes; la seconde pour ceux qui soutiennent qu'elles ne sont pas suffisantes. On fera de même pour les lois qui regardent tout la peuple. - On procédera à l'établissement des lois, conformément aux lois reçues. - [21] Si quelques-unes des lois établies sont désapprouvées, les prytanes qui seront alors en exercice, indiqueront, pour l'examen des lois désapprouvées, la dernière des assemblées (08). Les proèdres seront obligés, aussitôt après les sacrifices, de faire leur rapport sur les nomothètes, pour savoir dans quel temps et pour quel objet ils doivent siéger, et d'où l'on tirera leurs honoraires. - Les nomothètes seront pris parmi ceux qui prêtent le serment des héliastes.  - [22] Les prytanes qui n'indiqueront pas d'assemblées, ou les proèdres qui ne feront pas leur rapport, conformément à la disposition de la loi paieront les uns mille drachmes, les autres quarante, au profit de la déesse Minerve. Ils seront cités devant les thesmothètes, comme on y cite ceux qui s'ingèrent dans une magistrature, quoique débiteurs du trésor. Les thesmothètes, devant lesquels ils seront cités, les feront paraître devant les juges selon le voeu de la loi, sous peine, s'ils y manquent, de ne point passer dans l'aréopage, comme s'apposant à la perfection des lois. - [23] Tout Athénien qui voudra porter des lois, les fera transcrire, et afficher aux statues des dix héros, avant la tenue de l'assemblée, afin que le peuple décide, d'après le nombre des lois affichées, du temps qu'on accordera aux nomothètes. - Celui qui porte une loi nouvelle, la transcrira, et la fera afficher tons les jour aux statues des dix héros, jusqu'à ce qu'on tienne l'assemblée. Le onze de Septembre, le peuple choisira cinq hommes parmi tous les Athéniens, pour prendre la défense des lois qu'on vendra faire abroger par les nomothètes. »

[24] Toutes ces lois, ô Athéniens, subsistent depuis longtemps, et nous ont convaincus elles-mêmes de leur utilité par l'expérience. Personne n'est jamais disconvenu de leur sagesse, et avec raison. Humaines en tout, et conformes aux intérêts de la démocratie, elles ne contiennent. aucune disposition cruelle, violente, contraire à la liberté. [25] D'abord, elles vous rendent maîtres de décider s'il faut porter une nouvelle loi ou se contenter des anciennes. Ensuite, si vous n'avez pas de répugnance pour la loi nouvelle; sans ordonner de la porter aussitôt, elles assignent la troisième assemblée, dans laquelle on ne doit pas encore la porter, mais examiner en quel temps et pour quel objet on fera siéger les nomothètes. Elles ordonnent à ceux qui en sont les auteurs, de l'afficher, pendant cet intervalle, aux statues des dix héros, afin que tout le monde, l'examine et que, si on la trouve nuisible, on puisse parler et l'attaquer à loisir. [26] De toutes, ces formalités qui sont essentielles, Timocrate n'en a suivi aucune. Il n'a point affiché sa loi, il n'a point donné la liberté de la lire et de l'attaquer si on le jugeait à propos, il n'a pris aucun des délais prescrits par les lois ; et quoique l'assemblée où l'on procède à l'établissement des lois nouvelles, fût le onze de Septembre, il a porté la sienne le douze, dès le lendemain, le jour même des saturnales, lorsque l'état vaquait à cause de la fête, il a, dis-je, porté sa loi ce jour-là, ayant obtenu, de concert avec des hommes qui cherchent les occasions de vous nuire, que les nomothètes siégeraient en vertu d'un décret, sous prétexte des panathénées. Je vais vous faire lire le décret même qu'on a extorqué pour ce motif ; vous verrez que tout s'est fait avec dessein, rien au hasard. Greffier, prenez le décret et faites-en lecture.

[27] DÉCRET.

« Pendant la présidence de la tribu Pandionide, le onzième jour de la première prytanie (09), Epicrate a dit : Afin que tout se fasse en règle dans les sacrifices, que rien ne manque pour les dépenses, et qu'on dispose tout ce qui est nécessaire pour les panathénées, les prytanes de la tribu Pandionide feront siéger demain les nomothètes ; les nomothètes, au nombre de mille et un, auront tous prêté le serment ; le sénat siègera avec eux. »

[28] Vous avez dû remarquer, Athéniens, lorsqu'on lisait le décret, avec quel artifice son auteur sous prétexte de la proximité de la fête, et de pourvoir aux préparatifs qui pressaient, propose, de son chef, pour le lendemain, sans observer les délais prescrits, de procéder à l'établissement de nouvelles lois; non pas, certes, afin que tout fût bien régie pour la fête, puisque rien n'était omis, que tout était réglé ; mais afin que la loi qu'on attaque aujourd'hui, fût portée et confirmée sans qu'on y prît garde, sans qu'on fit d'opposition. [29] En voici la preuve. Les nomothètes assemblés, personne ne porta de loi, ni bonne ni mauvaise, sur les objets contenus dans le décret, sur les dépenses et les préparatifs des panathénées : Timocrate seul en porta une, tout à son aise, sur des objets qui n'étaient point contenus dans le décret, sur lesquels les lois défendent d'en porter ; il la porta, dis-je, persuadé qu'on devait faire plus d'attention au temps marqué par le décret qu'à celui qui était fixé par les lois. Oui, dans un jour où vous célébriez une fête, malgré une loi expresse qui défend de s'attaquer dans ce jour, soit en son propre nom, soit au nom de l'état, malgré une loi qui ordonne de ne traiter que de ce qui a rapport à la fête, il n'a pas craint, dans ce jour-là même, d'attaquer les intérêts, non d'un particulier, mais de toute la ville. [30] N'est-il donc pas affreux que Timocrate, instruit de l'existence des lois dont vous venez d'entendre la lecture, et sachant qu'une autre loi ne permet pas qu'un décret, fût-il d'ailleurs conforme aux ordonnances, prévale sur la loi, n'est-il pas affreux qu'il ait porté une loi contre vous en vertu d'un décret qu'il savait être contraire aux ordonnances ? [31] N'est-il pas cruel qu'une ville qui met chacun de nous à l'abri de toute disgrâce pour le temps où elle a établi une fête, n'ait pas été elle-même à l'abri des coups de Timocrate, et que, dans un jour de fête, elle ait essuyé de sa part les plus grands préjudices? Quel plus grand préjudice, en effet, un citoyen peut-il causer à l'état, que de renverser les lois par lesquelles l'état se gouverne ?

[32] Il est clair, par ce que je viens de dire, que l'accusé n'a rien fait de ce qui était convenable, rien de ce que les lois ordonnent. Mais, non seulement il a prévariqué, en portant une loi sans avoir égard aux délais prescrits, sans vous donner le temps d'y réfléchir et de l'examiner, dans un jour da fête; sa loi contredit encore toutes les formes consignées dans les lois reçues; et l'on ne tardera pas à s'en convaincre. Greffier, prenez d'abord et lisez une première loi, qui défend expressément de porter une loi en contradiction avec les autres, et qui permet d'accuser l'auteur d'une pareille loi. Lisez.

[33] LOI.

« Il ne sera permis d'abolir aucune loi reçue, si ce n'est dans l'assemblée des nomothètes. Il ne sera permis à un Athénien d'abolir une loi, qu'autant qu'il en substituera une autre à celle qu'il abolira. Les proèdres feront statuer le peuple sur les lois ; d'abord sur l'ancienne, qu'on examinera pour savoir si elle est utile ou non au peuple d'Athènes ; ensuite, sur la nouvelle qu'on aura dessein de porter. Il n'y aura d'autorisée que celle qui sera approuvée par les nomothètes. Il n'est pas permis de porter une loi contraire à quelqu'une des lois reçues. Quiconque abolira une loi reçue, et lui en substituera une autre qui ne sera pas utile au peuple d'Athènes, ou quiconque, en général, portera une loi contraire à quelqu'une des lois reçues, pourra être accusé en vertu de la loi qui commence par ces mots : SI QUELQU'UN PORTE UNE LOI QUI NE SOIT PAS UTILE. »

[34] Vous venez d'entendre la loi, ô Athéniens ! Parmi plusieurs lois fort sages, que renferme notre code, celle-ci ne le cède pas à d'autres. Voyez combien elle est juste et conforme aux intérêts du peuple. Elle ne permet pas de porter une loi contraire aux lois existantes. Pourquoi? c'est afin que vous puissiez prononcer selon votre serment et votre conscience. [35] Car, s'il y avait deux lois contraires et que, deux citoyens ayant un procès devant vous sur des affaires publiques ou particulières, chacun des deux prétendît gagner sa cause, en s'appuyant d'une loi différente, il serait, sans doute, impossible de prononcer pour l'un et l'autre ; on ne pourrait même prononcer justement pour l'un des deux, parce qu'alors on prononcerait contre l'autre, malgré une loi opposée, également valide. [36] C'est donc, premièrement, pour l'intérêt de votre religion, que le législateur a réglé ainsi les chose. Il voulait encore vous constituer les gardiens des lois, ne sachant que trop qu'on peut éluder les autres moyens qu'il a établis pour leur conservation. Par exemple, on peut séduire et en gager au silence Ies avocats nommés (10). Je sais qu'il ordonne d'afficher la nouvelle loi, pour que tout le monde la connaisse ; mais il pourrait arriver que ceux qui seraient dans la disposition de l'attaquer, ne songeassent pas à la lire, s'ils n'étaient prévenus d'ailleurs et que les autres ne la lussent pas avec assez d'attention. [37] On peut, dira-t-on, accuser l'auteur de la loi, comme je fais aujourd'hui. Oui mais, si on écarte l'accusateur, le peuple sera trompé. Quelle est donc la garde des lois la plus sure, la seule infaillible ? vous, Athéniens tous ensemble. On ne peut vous ravir la liberté de prononcer ce qui est juste, et d'approuver ce qui est meilleur; on ne peut, ni vous écarter, ni vous séduire, vous engager à donner la préférence à une loi nuisible ou moins utile. [38] D'après ces réflexions, le législateur fermant, de toutes parts, les voies à l'iniquité, arrête et empêche d'avancer ceux qui cherchent à vous nuire. Timocrate a détruit et anéanti, autant qu'il le pouvait, tous ces règlements sages, en portant une loi contre presque toutes les formes prescrites par des lois en vigueur. Il n'a pas fait lire la loi ancienne, ne l'a pas abolie, ne vous a pas donné à choisir; il n'a rien fait, en un mot de ce qui convenait.

[39] Ainsi donc, que Timocrate (11) soit dans le cas d'être condamné comme ayant porté une loi contre les formes prescrites par des lois en vigueur, vous le voyez tous, je pense ; mais, pour vous faire connaître quelle est sa loi, et contre quelles lois il l'a portée, on vous lira sa loi d'abord, et ensuite celles qu'elle attaque. Lisez, greffier.

LOI.

« Pendant la présidence de la tribu Pandionide, le douzième jour de la première prytanie ; Timocrate a dit : Si un débiteur du trésor a été condamné à la prison, en vertu d'une loi ou d'un décret, ou y est condamné par la suite, lui-même, ou un autre à sa place, pourra fournir, pour sa dette, des répondants qui seront approuvés par le peuple, et qui s'engageront de payer l'argent qu'il doit ; les proèdres seront tenus de faire statuer le peuple sur les répondants, lorsqu'on en voudra donner. [40] Si celui qui a fourni les répondants, paie à la république l'argent qu'il lui doit, et pour lequel il a fourni des répondants, il sera garanti de la prison. Mais, si, à la neuvième prytanie, lui et ses répondants n'ont rien payé, celui qui a fourni les répondants, sera enfermé, et les biens des répondants confisqués. Quant à ceux qui afferment et lèvent les impôts, et à leurs répondants ; quant à ceux qui prennent à bail les terres de l'état et à leurs répondants, la république pourra agir contre eux suivant les lois reçues. Celui qui sera condamné à une amende, pendant la neuvième prytanie, la paiera au plus tard l'année suivante; à la neuvième ou à la dixième prytanie. »

[41] Telle est, Athéniens, la loi de Timocrate. Retenez-en d'abord cet article : Si un débiteur du trésor a été condamné à la prison, ou y est condamné par la suite. Souvenez-vous aussi qu'il excepte du privilège de sa loi ceux qui afferment les impôts, ou qui prennent à bail les terres de l'état, et leurs répondants. Toute sa loi, en général, est contraire à toutes les lois reçues ; mais principalement les articles dont je parle : la lecture des lois même va vous en convaincre. Lisez, greffier.

[42] LOI.

« Dioclès a dit : Les lois portées avant (12) Euclide dans la démocratie, toutes celles qui ont été portées sous Euclide, et qui sont insérées dans les registres, seront reconnues valides. Celles qui ont été portées depuis Euclide, et qui le seront par la suite, seront valides du jour où chacune aura été portée, excepté les lois pour lesquelles on aura marqué le temps où elles commenceront à avoir force. Le greffier mettra à la tête des lois maintenant reçues, qu'elles auront force dans trente jours. Par la suite le greffier en exercice (13) mettra, à la tête de chaque loi, qu'elle sera valide du jour où elle aura été portée.»

[43] Les autres lois, Athéniens, établies chez vous, sont toutes également bonnes; celle qu'on vient de lire, les a comme distinguées et ratifiées. Elle veut qu'une loi soit valide du jour où elle aura été portée, excepté les lois pour lesquelles on aura marqué le temps où elles commenceront à avoir force. Pourquoi ? c'est qu'on avait mis à la tête de plusieurs lois : Cette loi n'aura force qu'après tel archonte. Celui qui, postérieurement à ces lois, a porté celle qu'on vient de lire, ne pensait pas qu'il fût juste de rétrograder, de faire exécuter, du jour où-elles étaient portées les lois même au sujet desquelles il était marqué qu'elles n'auraient force qu'après un certain temps; enfin, de les rendre valides plutôt que leur auteur ne le voulait.

[44] Voyez, Athéniens, combien la loi de Timocrate est contraire à l'ancienne loi. Celle-là veut qu'une loi ait force du jour qu'elle a été portée, ou à commencer d'un certain temps ; l'autre statue pour le passé : Si quelqu'un, dit-elle, a été condamné. L'auteur de cette dernière loi, sans déterminer, même dans le passé, depuis quel archonte elle aura force, la rend valide, non seulement avant le jour où elle a été portée, mais avant la naissance de chacun de nous, puisqu'il comprend indéterminément tout le temps passé. Cependant, Timocrate, vous deviez, ou vous abstenir de porter votre loi, ou abolir l'autre, et non, pour parvenir à vos fins, troubler tout, et tout confondre. Greffier, lisez une autre loi.

[45] LOI.

« On ne pourra faire réhabiliter les citoyens diffamés, ni faire remettre la dette aux débiteurs des dieux ou au trésor, ou même changer l'ordre du paiement, si, pour traiter de la dette des uns ou de la réhabilitation des autres, on n'a obtenu une permission des Athéniens, qui ne seront pas moins de six mille, et qui donneront leurs suffrages par scrutin ; et alors même on ne pourra traiter qu'aux conditions que le sénat et le peuple jugeront à propos. »

[46] Cette autre loi ne permet pas de travailler à faire réhabiliter les citoyens diffamés, ni à faire remettra la dette aux débiteurs des dieux ou du trésor, ou même à changer l'ordre du paiement, sans la permission obtenue de six mille Athéniens au moins. Timocrate dit en termes formels : Si un débiteur du trésor a été condamné à la prison, il obtiendra la remise de cette peine en fournissant des répondants, sans qu'on ait rien proposé sur cette remise, sans qu'on ait obtenu la permission d'en traiter. [47] Quand on a obtenu cette permission, la loi ne permet pas même alors de faire ce qu'on voudra, mais ce que le sénat et le peuple jugeront à propos. Peu content de prévariquer en traitant, sans en avoir obtenu de permission, d'objets dont parle la loi, et en proposant une loi sur ces objets, Timocrate, sans consulter ni le sénat ni le peuple, lorsqu'une fête faisait vaquer le sénat, lorsque les autres citoyens étaient occupés à la célébrer, porte sa loi clandestinement et comme furtivement. [48] Toutefois, instruit comme vous l'étiez, de la loi qu'on vient de lire, si vous eussiez voulu, Timocrate, procéder par des voies régulières, vous deviez, avant tout, vous présenter au sénat, traiter ensuite avec le peuple, et, si tous les Athéniens le trouvaient bon, proposer et porter votre loi, mais toujours en observant les délais prescrits. Alors, quand même on eût pu montrer que votre loi était nuisible à la république, du moins n'eussiez-vous point paru avoir voulu tromper, mais vous être trompé vous-même. [49] Au lieu qu'en agissant à la hâte et comme à la dérobée, portant moins une loi que la jetant parmi les autres lois, contre toutes les lois, vous vous êtes ôté toute excuse : car ce sont ceux qui se trompent qui sont excusables, et non ceux qui veulent tromper, comme vous êtes convaincu de l'avoir fait. Mais je reviendrai tout à l'heure sur cette observation ; maintenant, greffier, lisez la loi suivante.

[50] LOI.

« Si quelqu'un supplie le sénat ou le peuple pour une amende à laquelle il aura été condamné par le sénat, par le peuple, ou par un tribunal particulier, s'il supplie avant que d'avoir payé son amende, on pourra le poursuivre, comme on poursuit ceux qui s'ingèrent pour juger dans les tribunaux, quoique débiteur du trésor. Si un autre supplie pour lui avant qu'il ait payé, les biens du suppliant seront confisqués. Si un des proèdres admet la requête d'un homme jugé débiteur du trésor, ou permet à un autre de requérir pour lui avant qu'il ait payé, ce proèdre sera diffamé. »

[51] Il serait difficile de discuter toutes les lois que Timocrate enfreint dans la sienne ; mais, s'il est une loi qui mérite d'être expliquée, c'est surtout celle que le greffier vient de lire. Celui qui l'a portée, ô Athéniens, connaissait votre indulgence excessive ; il savait que, par trop de facilité, vous vous êtes fait à vous-mêmes les plus grands torts dans plusieurs occasions. [52] Voulant donc supprimer tout moyen de nuire à l'état, et ne croyant pas que celui qui, condamné selon les lois par une décision juridique, négligerait de vous satisfaire, dût jouir de la ressource de votre douceur, avoir l'avantage de vous supplier dans sa disgrâce : il lui défend absolument, à lui et à tout autre, de vous supplier pour la peine qui lui a été infligée; enfin, il veut qu'il satisfasse en silence. [53] Si on vous demandait à quoi vous aimeriez mieux céder, à un ordre ou à une prière, vous diriez sans doute que c'est à une prière, l'un étant le propre de la bonté, et l'autre de la faiblesse : or, toute loi intime des ordres, tout suppliant adresse des prières. Si donc il est défendu de prier par une supplique, sera-t-il permis d'ordonner par une loi ? Je ne le pense point ; car il conviendrait peu qu'on vous arrachât ce qu'on désire, dans des cas où vous n'avez pas même voulu qu'on vous demandât de grâce. Greffier, lisez la loi suivante.

[54] LOI.

 « Pour toute affaire, de quelque nature quelle soit, sur laquelle on a pratiqué dans un tribunal, ou statué clans une assemblée du peuple, on ne pourra plus avoir action : aucun des archontes n'autorisera celui qui voudrait poursuivre, et ne permettra une accusation interdite par les lois. »

[55] Timocrate n'a-t-il donc pas consigné la preuve de son délit, en contredisant cette loi dès les premiers mots de la sienne ? La loi ne permet pas de traiter dune affaire sur laquelle un tribunal aura une fois prononcé : si quelqu'un, dit Timocrate, est condamné en vertu d'une loi ou d'un décret, il pourra traiter avec le peuple, en sorte qu'un homme jugé débiteur du trésor pourra faire casser la sentence du tribunal, et donner des répondants. Suivant la loi, aucun des archontes ne peut autoriser une nouvelle poursuite ; les proèdres, suivant Timocrate, seront obligés de présenter au peuple les répondants qu'on donnera; il ajoute même, quand on voudra les donner. [56] Greffier, lisez une autre loi:

LOI.

« Tout jugement qui a été rendu conformément aux lois, lorsque la ville était libre, sera confirmé. »

Timocrate s'y oppose : Non pas, dit-il, par rapport à quiconque a été condamné à la prison. Continuez de lire.

LOI.

« Tout ce qui a été fait sous Ies trente tyrans, tous les jugements publics ou particuliers qui ont été rendus, seront infirmés. »

[57] N'en lisez pas davantage. - Je vous le demande, vous tous qui m'écoutez, qu'est-ce que vous regarderiez comme l'événement le plus triste, le plus contraire à vos désirs ? Ne serait-ce pas que le gouvernement des Trente fût renouvelé? La loi y a pourvu, ce me semble, lorsqu'elle a ordonné que tout ce qui a été fait sous ces tyrans serait infirmé.

Timocrate juge les actes de la démocratie aussi légitimes que vous jugez ceux de la tyrannie, puisqu'il infirme également les uns et les autres. [58] Mais que dirons-nous, en admettant la loi de Timocrate ? Que les tribunaux de la république, remplis de juges qui ont prêté serment, commettent les mêmes injustices que ceux des Trente? Un tel propos serait-il soutenable? Que leurs sentences sont justes ? Pourquoi donc admettrons-nous une loi qui les annule ? à moins qu'on ne dise que c'est par folie; car pourrait-on dire autre chose ? [59] Greffier, lisez une autre loi.

LOI.

« Il ne sera pas permis de porter une loi pour un particulier, si on ne la porte en même temps pour tous les Athéniens. Il faudra qu'elle soit approuvée de six mille Athéniens au moins, qui donneront leurs suffrages par scrutin. »

Le législateur ne permet pas de porter une loi, si on ne la porte pour tous les Athéniens : disposition sage et conforme au gouvernement populaire. En effet, comme chacun participe également à tous les avantages de l'état démocratique, il doit aussi participer également aux lois. Vous savez, sans doute, aussi bien que je le puis savoir, pour qui Timocrate a porté la sienne ; mais de plus, il reconnaît lui-même qu'il ne l'a pas portée en même temps pour tous les citoyens d'Athènes, puisqu'il excepte du privilège de sa loi ceux qui afferment les impôts, ou ceux qui prennent à bail les terres de l'état, et leurs répondants. Oui, Timocrate ; puisque vous exceptez quelques citoyens, votre loi n'est pas portée pour tous : [60] direz-vous que, parmi tous ceux qui sont condamnés à la prison, les fermiers public sont les plus coupables, et qu'ils sont les sont les seuls à ne pas bénéficier de votre loi. Comme s'ils n'avaient été beaucoup moins criminels que ceux qui trahissent la république dans quelque partie ou maltraitent leurs parents ou qui se mêlent dans les assemblées avec les mains impures. Toutes les lois existantes condamnent ceux-ci à la prison ; la votre les délivre, et annonce, par ceux qu'elle attaque, ceux pour qui elle est portée. En effet ceux qu'elle vise étant redevables au trésor de l'état, non pour avoir affermé les biens de l'état, mais pour avoir volé ou plutôt pillé ses deniers à titre de fermiers de l'impôt, c'est la raison, je pense, qui vous a fait exclure  les fermiers publics.

[61] On pourrait encore citer bien plusieurs lois excellentes, auxquelles la loi de Timocrate est pareillement en contradiction. Mais, sans compter que si je les citais toutes, il ne me resterait pas assez de temps pour faire voir combien la sienne vous serait nuisible, on peut également l'attaquer quand elle ne serait contraire qu'à une seule des lois reçues. Je laisserai donc les autres lois, et n'en citant plus qu'une seule dont il est lui-même l'auteur, je passerai à la partie de mon accusation qui regarde le tort que ferait à l'état sa loi actuelle, si elle était confirmée.  [62] Porter une loi contraire à celles que d'autres ont portées, c'est un délit grave, mais qui réclame un autre pour accusateur ; contredire une loi qu'on a portée soi-même auparavant, c'est s'accuser soi-même.  Pour vous convaincre que Timocrate est dans ce cas, on va vous lire le texte même de la loi antérieurement portée par celui-ci. Moi, je garderai le silence. Greffier, lisez.

LOI

[63] Proposition de Timocrate : « Tous les Athéniens qui, à la suite d'une eisangélie du conseil, sont maintenant en prison, ou y seront à l'avenir, et qui n'auront pas été envoyés en jugement devant les thesmothètes par le secrétaire de la prytanie, selon la loi sur l'eisangélie, devront, sur décision des nomothètes, être conduits par les Onze devant le tribunal, dans les trente jours à partir de la date où ces magistrats en auront reçu la garde, sauf empêchement d'ordre public, et, dans ce cas, aussitôt que possible. Tout Athénien qui n'est pas interdit pourra être accusateur. Si le prévenu est reconnu coupable, l'Héliée fixera la peine afflictive ou pécuniaire qui lui paraîtra méritée. S'il est frappé d'une amende, il sera retenu en prison jusqu'à paiement complet du montant de la condamnation. »

[64]  Vous entendez, juges ? Greffier, reprenez la lecture de ce dernier article.

LOI

« Si le prévenu condamné à une amende, il restera en prison jusqu'à ce qu'il ait tout payé. »

Juges, peut-on proposer deux mesures plus contradictoires ? L'une dit que les coupables resteront en prison jusqu'à ce qu'ils aient tout payé ; l'autre, que ces coupables pourront rassembler des cautions et ainsi ne pas aller en prison. Donc, C'est Timocrate qui accuse Timocrate, ce n'est pas Diodore, ni aucun de vous, tant que vous êtes. [65] De quel profit s'abstiendra, à votre avis, de quelle hésitation est capable, quand il y a appât du gain, celui qui, quand il présent des lois, se met, de propos délibéré, en contradiction, non seulement avec autrui, ce que déjà les lois défendent, mais avec lui-même ? Pour moi, il me semble que, par cupidité, cet homme-là est prêt à tout. De même donc, Athéniens, que pour tous les autres méfaits, les lois ordonnent, quand on avoue, que le coupable soit condamné sans jugement, de même aussi la justice demande, puisque Timocrate est pris sur le fait d'attentat aux lois, que vous le condamniez, sans lui donner la parole, sans vouloir l'entendre. Il a avoué, en effet, avoir commis une injustice en présentant cette loi qui contredit la première.

[66]  Que ce soit contre ces lois, comme aussi contre toutes les lois susdites, — peut s'en faut au mépris de toutes celles qui existent en ce pays —, que Timocrate a présenté la sienne : le fait, si je ne me trompe, est pour vous tous évident. Je me demande ce qu'il osera dire. il ne saura pas prouver que sa loi n'est pas en contradiction avec les autres lois, et, s'il prétend avoir agi par inexpérience, étant un simple amateur qui ne savait pas ce qu'il faisait, il ne trompera personne. Car voilà longtemps que tout le monde sait que, en se faisant payer, il propose des décrets et des lois. [67] D'autre part, il ne lui est même pas permis, de reconnaître être coupable et en même temps de réclamer votre indulgence : ce n'est pas contre son gré, ce n'est pas pour des malheureux, pour des parents ou des amis, qu'il a proposé sa loi ; c'est de son plein gré, pour des gens qui vous ont causé de graves dommages, et qui ne lui sont rien, à moins de dire qu'il tient pour parent tous ceux qui le payent !

[68] Que, par ailleurs, la loi que Timocrate a proposée n'offre pour vous ni opportunité ni avantage, c'est ce que je vais maintenant essayer de montrer. On avouera sans doute, que la première qualité d'une loi bonne et utile au peuple est de se présenter également à tout le monde, dans des termes si simples et si clairs qu'elle ne soit pas susceptible d'interprétations diverses ; il faut, en second lieu, qu'elle n'ordonne que des choses possibles ; en effet, quand ses dispositions seraient magnifiques, si elles sont impossibles, c'est une belle chimère, plutôt qu'une loi; [69] il convient outre cela, qu'elle ne favorise pas les coupables. Car, si c'est un avantage du gouvernement populaire que les lois soient douces, pour qui doivent-elles l'être ? c'est assurément pour ceux qui ne sont qu'accusés, et non pour ceux qui sont déjà convaincus. Pour les uns, il est incertain si c'est la calomnie qui les attaque; au lieu que les autres ne peuvent nier qu'ils ne soient méchants. [70] Loin d'avoir quelqu'une des qualités que je viens de détailler, la loi de Timocrate en a même de toutes contraires (14). Parmi plusieurs moyens de s'en convaincre, le meilleur est de discuter tous les articles de la loi ; d'autant plus qu'on ne peut dire que les uns soient bons, les autres vicieux: toute sa loi est contre vous depuis le commencement jusqu'à la fin, depuis la première syllabe jusqu'à la dernière. [71] Greffier, prenez la loi même, et lisez le premier article. Par-là, Athéniens, il me sera plus facile de vous instruire, et de vous faire entrer dans mes preuves.

LOI.

« Pendant la présidence de la tribu Pandionide, le douzième jour de la première prytanie, Aristocle de Myrrinuse étant un des proèdres et recueillant les suffrages (15), Timocrate a dit : Si un débiteur du trésor a été condamné à la prison, en vertu d'une loi ou d'un décret, ou y est condamné par la suite, lui-même, ou un autre à sa place, pourra fournir des répondants. »

[72] Arrêtez. Vous continuerez et lirez chaque article l'un après l'autre.

Ce premier article est à peu près le plus vicieux de tous ; et je ne pense pas que nul autre homme, en portant une loi pour l'usage de ses concitoyens, eût osé entreprendre de détruire des jugements portés, avant lui, d'après des lois encore valides. C'est néanmoins ce qu'a fait Timocrate, avec une impudence extrême. Voici les propres termes de sa loi : Si un débiteur du trésor a été condamné à la prison, en vertu d'une loi ou d'un décret, ou y est condamné par la suite. [73] Que s'il eût proposé quelque chose de juste sur des cas futurs, il ne serait pas en faute; mais porter sur des objets sur lesquels un tribunal a prononcé définitivement, porter une loi qui annule les sentences du tribunal, n'est-ce pas une conduite révoltante ? N'est-ce pas comme si, laissant subsister la loi de Timocrate, on portait cette autre ? Si des débiteurs du trésor qui ont été condamnés à la prison, donnent des répondants d'après la loi de Timocrate, les répondants ne leur serviront de rien, et par la suite on ne pourra se garantir de la prison en donnant des répondants. [74] Nul homme sensé ne le ferait, sans doute ; et c'est un crime à Timocrate de détruire des jugements rendus. S'il trouvait sa loi juste, il devait la porter pour les cas futurs, et non confondre l'avenir avec le passé, Ies délits incertains avec les évidents, et ensuite statuer de même sur les uns et sur les autres. Quoi de plus inique, en effet, que de soumettre aux mêmes réglements ceux qui sont déjà convaincus d'avoir nui à l'état et ceux dont on ne sait pas encore s'ils feront rien qui oblige à les citer en justice ?

[75] Que Timocrate soit criminel d'avoir porté une loi sur le passé en voici une nouvelle preuves. Veut-on examiner en quoi la démocratie diffère de l'oligarchie, et pourquoi ceux qui veulent être gouvernés par les lois, sont regardés comme de sages et généreux citoyens, tandis que ceux qui veulent vivre dans un gouvernement oligarchique sont réputés des lâches et des esclaves ; [76] on verra que la raison la plus simple de cette différence c'est que, dans les oligarchies, on est maître de détruire ce qui a été décidé par le passé, et de statuer sur l'avenir ce qu'on juge à propos ; au lieu que, dans la démocratie, les lois ne statuent que pour l'avenir et persuadent au peuple qu'elles seront utiles, si on est fidèle à les observer. Législateur d'un état démocratique, Timocrate transporte dans la loi que nous attaquons, l'injustice de l'état oligarchique, il s'arroge, pour le passé, un pouvoir supérieur aux juges qui ont prononcé avant lui. [77] Et il ne s'en est pas tenu à ce trait de témérité, il ajoute que, si quelqu'un, par la suite est condamné à la prison, il pourra s'en garantir en fournissant des répondants qui s'engageront de payer. Toutefois, s'il trouvait si dure la peine de la prison, il devait statuer que quiconque fournirait des répondants ne serait point condamné à cette peine, sans attendre, pour ordonner d'en garantir quelqu'un, s'il fournit des répondants, qu'il soit déjà condamné à la prison, et animé contre les juges par cette condamnation. Mais on dirait que, par sa loi, il affecte de soustraire quelqu'un à la prison de sa propre autorité, quand même vous auriez statué qu'on l'y enfermerait. [78] Cette loi vous semble-t-elle donc devoir être utile à la république, qui infirmera les décisions d'un tribunal, qui ordonnera à des hommes qui n'ont point prêté le serment, de détruire les sentences rendues par ceux qui l'ont prêté ? Pour moi, je ne le pense pas. Si donc chacun de vous s'intéresse pour le gouvernement républicain, s'il désire qua ses décisions, consacrées par le serment, ne soient pas infirmées, il doit rejeter une telle loi, et s'opposer de toutes ses forces à ce qu'elle soit acceptée.

[79] Mais Timocrate ne se contente pas d'infirmer les décisions des tribunaux qui prononcent sur les peines pécuniaires; les articles de sa loi, où il règle ce qui regarde les débiteurs du trésor, sont tellement conçus que, loin d'être simples et exempts de fraude, ils ne peuvent partir que d'un homme dont l'intention unique est de vous surprendre. Voici les propres termes de sa loi : Si un débiteur du trésor a été condamné à la prison, en vertu d'une loi ou d'un décret, ou y est condamné par la suite, lui-même, ou un autre à sa place, pourra fournir des répondants qui seront approuvés par le peuple et qui s'engageront de payer. [80] Voyez, Athéniens, comme de la condamnation d'un tribunal, il passe brusquement au peuple, et comme il soustrait le coupable aux ondécemvirs auxquels il doit être livré. En effet, qui le livrera aux ondécemvirs ; qui de ceux-ci le saisira, lorsque la loi de Timocrate l'autorise à présenter au peuple des répondants, lorsqu'il est impossible de tenir, dans le même jour, un tribunal de juges et une assemblée du peuple, et qu'enfin, Timocrate n'ordonne nulle part de s'assurer du débiteur public, jusqu'à ce qu'il ait fourni des répondants ? [81] Toutefois, quelle raison l'a empêché d'insérer cette clause en termes clairs, qu'on s'assurerait du débiteur public jusqu'à ce qu'il eût fourni des répondants ? n'est-elle pas juste ? Oui, assurément, nul n'en disconviendra. Est-elle contraire à quelque loi? Mais plutôt rien de si conforme aux lois. Quelle est donc la raison ? la voici, on n'en trouve point d'autre ; c'est qu'il voulait soustraire à la peine ceux qu'une sentence aurait condamnés à la subir.

[82] Mais que dit-il ensuite ? Le débiteur pourra fournir des répondants qui s'engageront de payer l'argent qu'il doit. Ici encore, il frustre les dieux du décuple qui leur est attribué par la loi, et l'état du double, quand la somme doit être doublée. Comment cela ? Il substitue le mot d'argent à celui d'amende, et ces mots qu'il doit à ceux-ci qui est ajoutée. [83] Quelle différence cela fait-il ? S'il eût dit que le débiteur du trésor pourrait fournir des répondants qui s'engageraient de payer l'amende qui est ajoutée, il eût compris dans sa lui, celles qui décuplent des sommes et en doublent d'autres ; de sorte que les débiteurs du trésor auraient été forcés de payer, outre l'argent dû, les amendes ajoutées par la loi. Au lieu qu'en disant que le débiteur du trésor pourra fournir des répondants qui s'engageront de payer l'argent qu'il doit, il les oblige à payer suivant les actes d'accusation, en vertu desquels ils ont comparu devant les juges, et qui portent tous la dette simple sans la doubler ni la décupler. [84] Après vous avoir causé un tort si énorme, par le seul changement de mots, il ajoute que les proèdres seront tenus de recevoir des répondants quand on en voudra fournir : il n'a d'autre but, dans tout le cours de sa loi, que de sauver un coupable que vous aurez condamné, puisqu'en lui permettant de fournir des répondants, quand il voudra, il l'a rendu maître de ne jamais payer sans qu'on puisse s'assurer de sa personne. [85] En effet, qui ne trouvera pas des misérables prêts à répondre ? Le débiteur échappera tandis que vous rejetterez les répondants : car si on veut l'enfermer comme ne fournissant pas de répondants, il dira qu'il en fournit et qu'il en fournira ; il s'appuiera de la loi de Timocrate qui lui permet d'en fournir quand il le jugera à propos, sans ajouter qu'on s'assurera de sa personne jusqu'à ce qu'il en ait fourni, même qu'il sera enfermé si vous rejetez les répondants; il s'appuiera, dis-je, de cette loi qui est vraiment une excellente ressource pour ceux qui veulent prévariquer.

[86] Si celui qui a fourni les répondants; ajoute-t-il, pale à la république l'argent qu'il lui doit et pour lequel il a fourni des répondants, il sera garanti de la prison. Ici encore, fidèle à la manoeuvre dont je parlais tout  l'heure, l'accusé ne se dément pas; sans rien dire de I'amende qui est ajoutée, s'il paie, dit-il, l'argent qu'il doit, il sera garanti de la prison.

[87] Mais si à la neuvième prytanie, continue-t-il, lui et ses répondants n'ont rien payé, celui qui a fourni les répondants sera enfermé, et les biens des. répondants seront confisqués. Il est clair que, dans ce dernier article, Timarque s'accuse absolument lui-même de prévarication. Car, s'il a défendu d'enfermer le débiteur, ce n'est pas qu'en général il regarde comme quelque chose d'indécent ou de révoltant qu'on enfermé un citoyen; mais, vous dérobant l'occasion de saisir le coupable dont vous êtes les maîtres, il ne vous laisse, à vous, à qui on a fait tort, que le nom de la peine dont il vous ôte la réalité ; il vous oblige, malgré vous, à laisser libres ceux qui retiennent vos biens de force, et va presque jusqu'à donner action au débiteur public, contre Ies juges qui l'ont condamné.

[88] Parmi tous les articles criants que renferme sa loi, ce qui mérite le plus votre indignation, le voici, Athéniens. Dans tout le cours de sa loi, iI ne parle que du débiteur qui a fourni des répondants?quant à celui qui n'en a fourni ni bons ni mauvais, qui n'a nullement songé à vous satisfaire; loin de le menacer d'aucune poursuite et de lui infliger aucune peine, il lui accorde la plus grande impunité. C'est pour celui, en effet, qui a fourni des répondants qu'il prescrit un terme, la neuvième prytanie. [89] Et il est aisé de s'en convaincre. Il veut, si on n'a pas payé, que les biens des répondants soient confisqués, or, sans doute, il n'est pas possible qu'on ait des répondants lorsqu'on n'en a pas fourni. Il impose à ceux des proédres que le sort a choisis pour présider aux assemblée du peuple, l'obligation de recevoir des répondants quand on en fournira, et au lieu d'imposer quelque obligation à ceux qui font tort à la république, il leur donne, comme récompense d'un service, le choix d'être punis ou de ne l'être pas. [90] Peut-il donc y avoir une loi plus absurde ou plus nuisible que celle qui, au sujet des particuliers qui ont déjà été jugés, contredit les sentences que vous avez rendues ; qui, par rapport à ceux qui doivent l'être, ordonne à des juges, liés par le serment, d'infliger une peine, en même temps qu'elle abolit les peines ci-devant infligées ; qui fait jouir vos débiteurs des droits de citoyens avant qu'ils aient acquitté leur dette ; qui enfin, rend inutiles la religion du serment, Ies amendes que vous imposez, la sévérité de vos sentences, tous vos jugements, en un mot et toutes vos décisions: Pour moi, je pense que, si Critias, un des Trente, eût voulu porter une loi, il ne l'eût pas portée d'une autre manière.

[91] Mais, que cette même, loi mette le trouble dans toute la république, qu'elle en dérange toute l'économie, et qu'elle la prive d'un grand nombre de ses plus brillants avantages, vous en conviendrez sans peine d'après ce que je vais dire.

Vous n'ignorez pas, sans doute, que ce qui fait la sûreté et la grandeur d'Athènes, ce sont les expéditions sur terre et sur mer ; vous vous couvrîtes plus d'une fois de gloire ; soit en sauvant les opprimés, soit en repoussant des attaques injustes, soit en réconciliant des peuples désunis. [92] Et comment réglons-nous ces expéditions ? c'est par les lois et par les décrets qui enjoignent aux uns de contribuer de leurs biens ; à d'autres, d'armer des galères, à d'autres, de les monter ; à d'autres, enfin, de se porter à ce que demande le service de l'état. C'est pour que tout se fasse en règle, que vous siégez dans les tribunaux, et que vous condamnez à la prison ceux qui ne se rangent pas à leur devoir. Voyez comme la loi de notre excellent citoyen trouble et renverse ces dispositions sages.

[93] Si un débiteur du trésor, dit-il en propres termes, a été condamné à la prison, ou y est condamné par la suite il pourra se garantir de la prison en fournissant des répondants qui s'engageront, pour la neuvième prytanie, de payer l'argent qu'il doit. Comment donc fournirons-nous aux dépenses? comment enverrons-nous des armées ? comment lèverons-nous des contributions, si tous nos débiteurs, au lieu de nous satisfaire fournissent des répondants en vertu de la loi de Timocrate ? [94] Dirons-nous, je vous prie, à nos alliés : Timocrate a porté une loi, attendez la neuvième prytane, nous nous mettrons alors en campagne. Eh ! que pourrions-nous leur dire autre chose ? Mais, s'il faut armer pour nous-mêmes, croyez-vous que les ennemis attendent les délais et les subterfuges de nos mauvais citoyens ; ou qu'en établissant des lois qui embarrassent notre système politique, et qui soient contraires à nos intérêts, nous puissions jamais réussir selon nos voeux? [95] Lorsque tout est bien réglé, lorsqu'il n'existe aucune loi pareille, nous sommes trop heureux de triompher de nos ennemis et de pouvoir, par la promptitude de nos préparatifs, arriver toujours à temps et profiter des occasions. Si donc, Timocrate, vous êtes convaincu d'être l'auteur d'une loi qui arrête des opérations importantes par lesquelles notre république est respectée et considérée chez tous les peuples, ne méritez-vous pas les derniers supplices ?

[96] Je vais plus loin, et je dis que sa loi détruit encore les règlements sages par lesquels se maintient chez nous la police intérieure, sacrée et civile. Et voici comment. Nous avons une loi, c'est une des plus sages, qui enjoint à ceux qui ont entre les mains des sommes appartenant aux dieux et au trésor, de venir les compter dans la salle du sénat ; sinon, le sénat peut les poursuivre en vertu des mêmes lois que les receveurs des impôts. [97] C'est cette loi qui règle la police générale ; c'est elle qui fournit l'argent nécessaire pour les assemblées du sénat et du peuple, pour les sacrifices, pour l'entretien de la cavalerie, et pour d'autres objets. En effet, comme les deniers provenant des impôts ne suffisent pas, la crainte de cette loi fait payer les sommes par lesquelles on supplée aux impôts. [98] Or, que deviendra toute la police publique? Subsistera-t-elle, si d'un côté, les deniers provenant des impôts sont loin de suffire ; si ces deniers même ne peuvent être touchés qu'à la fin de l'année ; et si, d'autre part, ceux qui ne paieront pas les sommes par lesquelles on supplée aux impôts, ne peuvent être condamnés à la prison, ni par le sénat, ni par les tribunaux ; s'ils sont en droit de fournir des répondants, et de ne payer qu'à la neuvième prytane ? [99] Mais, pendant le cours des huit précédentes, que ferons-nous, Timocrate ? Ne nous assemblerons-nous pas pour délibérer, quand il en sera besoin ? Nous renoncerons donc à la démocratie. Les tribunaux publics et particuliers ne siégeront-ils pas ? Toute ressource sera donc ôtée à ceux qui seront lésés. Le sénat ne tiendra-t-il d'assemblée, pour régler ce qui est ordonné par les lois ? Que nous restera-t-il donc, que de voir la république se détruire ? Mais, dira-t-on peut-être, nous servirons l'état sans demander de rétribution, Mais ne serait-il pas criant, qu'en vertu d'une loi pour laquelle vous, Timocrate, vous vous êtes fait payer, le peuple, le sénat, les tribunaux, se vissent sans rétribution ? [100] Vous deviez donc insérer dans votre loi la clause que vous y insérez pour les fermiers publics et pour leurs répondants, qui doivent être poursuivis suivant les lois reçues. S'il est porté dans quelque autre loi ou décret, auriez-vous dû dire, que certains débiteurs seront poursuivis comme les fermiers publics, ces débiteurs seront poursuivis, comme eux, selon les lois reçues. [101] Il n'a pas mis cette clause il a évité de parler des lois concernant les fermiers publics ; sans doute, parce que le décret d'Euctémon ordonne de poursuivre, selon ces lois, les débiteurs du trésor. Par-là, en abolissant, sans y en substituer une autre, la peine infligée contre ceux qui retiennent des sommes appartenant au trésor, il trouble tout, renverse tout, peuple, sénat, cavalerie, police sacrée et civile. En conséquence, Athéniens, si vous, êtes sages, vous le punirez comme il le mérite ; vous apprendrez aux autres, par son exemple, à ne point porter de pareilles lois.

[102] Mais c'est peu d'infirmer les décisions des tribunaux qui imposent des amendes, d'accorder l'impunité à ceux qui retiennent les deniers du trésor, d'arrêter les opérations du gouvernement les plus importantes, de déranger toute l'économie politique ; il favorise encore, par sa loi, ceux qui commettent des vols, ceux qui maltraitent leurs parents, ceux qui refusent de servir ; il les favorise, en abolissant les peines établies contre eux par des lois reçues. [103]  D'après les lois de Solon, ce grand législateur, auquel celui-ci ne ressemble guère; si quelqu'un, convaincu de vol, n'a pas été puni de mort, on doit le condamner à la prison : on doit enfermer de même celui qui, convaincu de maltraiter ses parents, s'ingère pour juger dans les tribunaux, et celui qui, diffamé pour avoir refusé de servir, usurpe les droits de, citoyen. Timocrate leur accorde à tous l'impunité ; il détruit les prisons en permettant de fournis des répondants. [104] Ce que je vais dire, paraîtra un peu dur, un peu étrange ; je le dirai toutefois et ne le cèlerai pas : il me semble que, pour cela même, on doit lui faire subir la mort, afin qu'il aille dans les enfers porter sa loi aux méchants, et qu'il nous laisse sur la terre les lois justes et saintes de Solon. Greffier lisez-nous ces lois.

[105] Lois portées contre ceux qui sont coupables de vol, qui maltraitent leurs parents, ou qui refusent de servir.

« Si on a volé quelqu'un, et que l'effet lui soit rendu, le voleur ne sera condamné qu'à payer le double ; sinon, il paiera le décuple, sans compter la peine arbitraire (16) qui lui sera imposée par les juges. Il sera enfermé, les fers aux pieds, pendant cinq jours et cinq nuits, si l'héliée ajoute une peine arbitraire. Cette peine supplémentaire pourra être proposée par le demandeur, s'il le veut, au moment de la peine. Si, quelqu'un est condamné pour mal se conduire envers des parents, ou pour insoumission, ou après mise hors la loi, si quelqu'un est arrêté pour être entré dans des lieux interdits, il sera emmené en prison par les Onze et sera conduite devant l'Héliée : tout citoyen qui en a le droit pourra se porter accusateur. S'il est reconnu coupable, l'Héliée fixera la peine judiciaire ou pécuniaire; en cas d'amende, il sera tenu en prison jusqu'à acquittement complet. »

[106] Ils se ressemblent - ne trouvez-vous pas, Athéniens ? - ces deux législateurs, Solon et Timocrate ! L'un cherche à rendre meilleur les citoyens, aussi bien pour le présent que pour l'avenir. L'autre, pour les scélérats d'hier, montre le chemin pour échapper aux châtiments ; et pour ceux d'aujourd'hui, il trouve le moyen de faire un mal en toute sécurité, pour leurs successeurs et pour que les misérables de tout temps soient sains et saufs et impunis. [107] Quel châtiment ne mérites-tu pas ? Peux-tu recevoir un châtiment proportionnel à ta faute ? Je laisse de côté le reste, mais tu détruis les lois protectrices de la vieillesse, lois qui obligent les enfants à nourrir leurs parents qui sont encore en vie et à leur assurer, après leur mort, des funérailles. Comment ne pas te considérer à juste titre comme le pire des misérables, toi qui, ouvertement, scélérat, préfères à ta patrie les voleurs, les malfaiteurs, les insoumis, et qui, pour les servir, proposes une loi contre nous ?

[108]  Je veux maintenant, en résumé, vous prouver que j'ai accompli ce que j'ai dit au début de mon discours. J'avais dit que je démontrerai que Timocrate est coupable de tous les délits portés dans l'acte d'accusation : premièrement, qu'il a proposé sa loi illégalement ; deuxièmement, qu'il y a inscrit des dispositions contraires aux lois existantee ; troisièmement, que certaines sont de nature à nuire à l'État. En conséquence, il vous avez entendu les lois imposées à celui qui présente une loi nouvelle ; après quoi, je vous ai fait voir que de ces lois Timocrate n'en a suivi aucune. [109] D'autre part, vous avez entendu les lois qui sont en contradiction avec celle de Timocrate ; et vous savez que ces lois, il ne les a pas fait abroger avant de proposer la sienne. Enfin, on vous a dit les inconvénients de sa loi : en effet c'est là que je me suis arrêté de parler tout à l'heure. Ainsi, sur tous ces points, il est vraiment coupable : il est évident qu'il n'a eu ni scrupule ni crainte ; et il me semble même que si, en plus de celle-là,  quelque autre défense eût figuré dans les lois existantes, il ne l'eût pas davantage respectée.

[110]  Il est donc tout à fait évident que Timocrate, lorsqu'il a  proposé sa loi, l'a fait pour vous faore du tort et ne s'est pas trompé par erreur. Surtout que sa loi tout entière est animée de sa malveillance de la première à la dernière syllabe : l'auteur n'y a pas mis, sans le vouloir, une seule clause régulière, ou dont vous puissiez retirer avantage. Quoi de plus naturel, dès lors, que de détester et de punir un homme qui, ne se soucie pas du peuple opprimé, et ne fait des lois  que pour ceux qui commettent des injustices et ceux qui en commettront à l'avenir ? [111] J'admire, juges, l'impudence de Timocrate : lorsqu'il était en charge avec Androtion, il n'a pas eu tant de pitié pour la masse, pour vous tous qui succombiez sous le faix des contributions ; et lorsqu'il faut qu'Androtion restitue des deniers publics qui appartiennent aux dieux et au trésor, des deniers qu'il retient depuis longtemps, il porte une loi par laquelle il frustre les dieux et le trésor des amendes qui doivent leur revenir. Après en avoir usé de la sorte envers le peuple, il ne manquera pas de dire tout à l'heure qu'ils porte sa loi en faveur du peuple. [112] Pour moi, je pense qu'il n'est pas de châtiment qu'on ne doive faire subir à celui qui croit que, si un citoyen chargé de veiller à quelque partie de la police, ou de juger dans les bourgs, homme pauvre, sans expérience, sans nulle connaissance des affaires, se trouve convaincu de prévarication lorsqu'il rend ses comptes ; qui croit, dis-je, qu'on doit exiger l'amende d'un tel homme sans miséricorde, qui ne porte aucune loi en faveur de ce malheureux tandis que favorable à des députés choisis par le peuple, hommes riches, qui ont pris aux dieux et au trésor des sommes considérables qu'ils retiennent depuis longtemps, il cherche tous les moyens de les soustraire à la peine ordonnée par des lois et par des décrets. [113] Mais Solon, auquel Timocrate n'oserait se comparer pour le talent de la législation, loin d'ouvrir un champ libre, aux malversations de gens de cette espèce, s'est étudié à les prévenir, ou à les punir d'une manière convenable et en conséquence il a porté une loi. Greffier, lisez cette loi.

LOI.

« Si quelqu'un, pendant le jour, vole plus de cinquante drachmes, ou pourra le traîner devant les ondécemvirs. Si quelqu'un, pendant la nuit y vole quoi que ce soit, on pourra le tuer, le blesser en le poursuivant, ou, si l'on veut, le traîner devant les ondécemvirs. - Celui qui sera convaincu de vols pour lesquels on peut traîner devant les ondécemvirs, sera puni de mort sans pouvoir se libérer, en promettant de payer une somme, et en fournissant des répondants. [114] Si quelqu'un vole dans le Lycée (17), dans l'Académie, ou dans le Cynosarge, un vêtement, un vase, ou quelque objet de moindre valeur ; s'il vole dans les ports ou dans les gymnases quelque effet au-dessus de dix drachmes : ces sortes de voleurs seront aussi punis de mort. - Si quelqu'un est convaincu de vol (18) dans un jugement particulier, il pourra se libérer en payant le double de ce qu'il a pris. Les juges seront maîtres d'ajouter à l'amende la peine de la prison, et d'y faire enfermer le voleur cinq jours et cinq nuits, afin que tout le monde l'y voie. »

Vous avez entendu, Athéniens, il n'y a qu'un moment, des lois où comme dans celle-ci, il est question de vol, [115] et où Solon établit de même contre le voleur la peine de la prison (19). Ce législateur pensait qu'un homme qui se déshonorait par un larcin, ne devait pas eu être quitte pour rendre l'objet volé, parce qu'alors les voleurs se multiplieraient à l'infini, si n'étant pas connus ils gardaient leur vol, ou si étant découverts ils étaient simplement obligés de rendre ; mais qu'il fallait le condamner à payer le double, et outre cela l'enfermer en prison, et le déshonorer pour tout le reste de ses jours. Bien différent de Solon, Timocrate n'exige que simple la somme qui doit être payée double, sans y ajouter aucune autre peine. [116]  Non, il n'a pas cru qu'il suffisait de favoriser injustement les criminels à venir, s'il ne soustrayait encore à la punition des particuliers déjà condamnés pour leurs crimes. Pour moi, je m'étais imaginé que le devoir d'un législateur était de statuer sur l'avenir, de régler la manière dont chaque chose doit être faite, et de fixer la peine pour chaque délit. Oui, ce sont là les objets dont il doit s'occuper, car c'est-là ce qui s'appelle porter des lois qui soient communes à tous les citoyens; au lieu que statuer en législateur sur les actions passées, c'est moins porter des lois que protéger les coupables. [117] Et voici la preuve de ce que je dis. Si Euctémon eût été condamné, Timocrate n'eût pas donné sa loi dont nous n'avions pas besoin ; et ceux qu'il protège, contents d'avoir frustré la république des deniers qui lui sont dus, ne se seraient pas embarrassés des autres citoyens. Mais comme Euctémon a été absous, Timocrate s'imagine que, pour confirmer sa propre autorité, et celle de sa loi, on doit infirmer vos ordonnances, les décisions des tribunaux, les dispositions des autres lois. [118] Cependant, nos lois reçues et bien établies abandonnent tout à la volonté des juges ; elles les rendent maîtres de punir les fautes avec une rigueur plus ou moins grande, une rigueur proportionnée à l'idée qu'ils s'en seront faite quand on les aura instruits ; et, soit qu'il faille infligerune peine afflictive ou pécuniaire, ce sont eux qui en déterminent l'étendue. [119] Vous, Timocrate, vous abolissez la peine afflictive, vous supprimez la prison, et pour qui ? pour des voleurs, pour des sacrilèges, pour des homicides, pour des enfants dénaturés, pour des lâches qui refusent de servir, ou qui abandonnent leur poste ; car voilà les hommes que votre loi protège. Mais un citoyen qui, chez un peuple libre, porte des lois en faveur de pareils hommes au préjudice des dieux et du peuple, ne mérite-t-il pas les plus rigoureuses peines ?

[120] Il ne pourra nier qu'il ne soit convenable, et que les lois n'ordonnent de soumettre aux plus sévères punitions les hommes dont je parlais tout à l'heure ; ou que ceux pour lesquels il a porté sa loi, ne soient des voleurs et des sacrilèges eux qui se sont emparés de votre bien, qui ont frustré Minerve et les autres dieux de sommes considérables, et qui les gardent au lieu de les rendre, en cela même sacrilèges, qu'ils n'ont rien porté dans la citadelle de ce qu'ils devaient y remettre. [121] Pour moi, certes je suis persuadé que ce n'est pas le hasard, mais la volonté de Minerve, qui a porté Androtion à cet excès d'insolence et d'effronterie. Cette déesse a voulu que, comme ceux qui ont volé les ailes de la victoire se sont perdus eux-mêmes, Androtion et ses complices travaillassent eux-mêmes à leur perte, en cherchant à échapper aux tribunaux, et qu'ils fussent condamnés, suivant les lois, à payer le décuple de ce qu'ils ont pris, ou à être enfermés en prison.

[122] Écoutez, Athéniens, pendant que ma mémoire me le rappelle, une absurdité de la loi de Timocrate qui est singulièrement frappante. Il inflige aux fermiers publics, s'il ne paient pas ; la peine établie par les lois anciennes, lesquelles condamnent à la prison et à payer le double, des hommes qui peut-être ne feront tort à l'état que malgré eux, parce qu'on aura porté trop haut leur ferme, et des voleurs, des sacrilèges, qui retiennent des sommes appartenantes à l'état, et a a déesse, il les exempte de la prison. Mais Timocrate, si vous prétendez que ceux-ci soit moins coupables, pourrez-vous disconvenir que vous ne soyez dépourvu de sens ? Si jugeant leurs délits plus graves, comme ils le sont, vous épargnez de pareils hommes quoique plus criminels, n'est-il pas clair que vous leur avez vendu votre loi ?

[123] Mais il faut vous apprendre, Athéniens, combien vous surpassez vos orateurs en générosité: Il est des peines rigoureuses établies contre fout homme du peuple qui à la guerre se fait donnez double paie, ou qui, débiteur du trésor, s'ingère dans les assemblées et dans les tribunaux, ou qui se permet quelque autre action défendue par les lois : vous ne les abolissez pas, ces peines, quoique vous soyez convaincus que c'est la pauvreté qui fera commettre les fautes dont nous parlerons ; et, loin d'établir des lois pour que de simples particuliers puissent prévariquer impunément, vous en établissez même pour qu'ils soient punis. Vos orateurs, au contraire, voudraient soustraire à la punition des ministres qui commettent les actions les plus basses et les délits les plus graves. [124] Ils vous accablent ensuite de mépris dans leurs entretiens, ils se donnent pour de grands personnages, eux qui ont tout le naturel d'un esclave ingrat. Pour l'ordinaire, des esclaves devenus libres, au lieu de savoir gré à leurs maîtres de leur liberté, les haïssent plus que les autres, comme des témoins importuns de leur servitude. De même, vos orateurs, ne comptant pour rien d'être devenus riches dans Ie ministère, vont, jusqu'à outrager les hommes du peuple, en qui ils voient des témoins incommodes de leurs dérèglements, quand ils étaient jeunes et dans l'indigence.

[125] On objectera, peut-être, que ce serait une chose honteuse qu'Androtion, Glaucète ou Ménalope, fussent mis en prison. Non, assurément, non ; mais il serait vraiment honteux que la république, lésée et insultée, ne pût venger Minerve, ne pût su venger elle-même.

Et d'abord, pour ce qui est d'Androtion on est accoutumé à la prison dans sa famille. Qui ne sait que son père y a passé un grand nombre d'années, et qu'il n'en est sorti qu'en s'échappant? [126] Serait-ce pour sa conduite dans la jeunesse qu'on lui ferait grâce ? Mais pour cette conduite, non moins que pour ses vols, il faudrait l'enfermer. Serait-ce parce qu'il s'est jeté dans la place publique qui lui était interdite, et qu'il en a arraché, pour les traîner en prison, des citoyens qui avaient toujours vécu sagement ?

Croit-on qu'il serait affreux d'emprisonner Ménalope ? Je ne dirai rien de mal de son père, quoique j'eusse beaucoup à dire sur ses vols et ses rapines ; je veux qu'il soit tel que Timocrate le présenterait dans ses éloges. [127] Mais, si le fils d'un père honnête homme est un méchant et un voleur ; s'il s'est vu condamné, comme traître, à payer trois talents ; si le tribunal même, dont il était assesseur (20), l'a convaincu de malversation, et lui a fait payer une forte amende ; s'il a prévariqué dans son ambassade d'Égypte, enfin, s'il a maltraité ses frères ; ne mériterait-il pas d'autant plus d'être enfermé, qu'il s'est montré tel, quoique fils d'un père estimable ? Pour moi, je pense que, si Lachès était réellement honnête homme et bon patriote, il ferait enfermer un fils aussi indigne, un fils la honte et l'opprobre de son père.

Laissons Ménalope, et parlons de Glaucète. N'est-ce pas ce Glaucète qui, désertant la ville, est passé à Décélée (21), et qui de ce fort faisant des incursions sur vos champs, les a pillés de mille manières ? fait que personne n'ignore. Lui qui payait exactement au gouverneur lacédémonien la dîme de ce qu'il avait pris à vos femmes, à vos enfants, à tous les autres, [129] n'a-t-il point encore prévariqué dans la fonction de député d'Athènes dont vous l'aviez honoré ? N'a-t-il point frustré Minerve de la dîme des prises faites sur les ennemis? Questeur de la citadelle, n'en a-t-il point enlevé ces dépouilles des Barbares, monuments de la valeur athénienne, le trône à pieds d'argent (22), et le cimeterre de Mardonius, dont le prix était de trente dariques ? Ces derniers faits ne sont ni moins répandus ni moins connus. D'ailleurs, n'est-ce pas le plus violent, le plus emporté des hommes ?

[130] Quelqu'un de ces trois personnages mérite-t-il donc d'être ménagé? Faut-il, à cause d'eux, frustrer Minerve et l'état des sommes qui leur appartiennent, et négliger de punir celui qui veut les soustraire à la punition ? Mais qu'est-ce qui empêchera les autres d'être médians, si ceux-ci gagnent tant à l'avoir été ? je ne le vois pas. [131] Punissez donc les méchants, ô Athéniens, et craignez de les encourager vous-mêmes. N'épargnez point des hommes qui se sont emparés de vos deniers; soumettez-les à la rigueur des lois, et ne souffrez point qu'ils se plaignent qu'on les menace de la prison. Ceux qui ont été condamnés comme étant étrangers, se plaignent-ils qu'on les tienne en prison, jusqu'à ce qu'ils puissent convaincre de faux les témoins? N'y restent-ils pas, sans croire qu'on doive leur permettre de parcourir librement toute la ville, pourvu qu'ils fournissent des répondants? [132] Non, on ne juge pas à propos de s'en rapporter sur leur bonne foi ; on appréhende qu'ils ne se dérobent au châtiment, sons prétexte qu'ils ont fourni des répondants ; enfin, on pense qu'ils peuvent rester où sont restés tant d'autres, incontestablement citoyens. Plusieurs citoyens, en effet, condamnés à la prison pour malversation dans les finances, y sont restés enfermés.

Quoiqu'il soit peut-être désagréable d'en citer par leurs noms il est nécessaire d'en opposer quelques-uns aux protégés de Timocrate. [133] Je ne nommerai pas les plus anciens, ceux qui étaient avant Euclide, et qui, chacun dans leur siècle, s'étant distingués d'abord par leur zèle pour l'état ont subi toute la rigueur du peuple pour les malversations qu'ils commirent ensuite : car on ne croyait point qu'après avoir été intègres quelque temps, ils dussent se permettre de piller le trésor; mais on voulait que l'intégrité ne se démentît pas, surtout dans l'administration des deniers publics. Un homme qui avait été intègre, et qui cessait de l'être, paraissait l'avoir été moins par caractère que par politique, afin d'abuser de la confiance de sa patrie.

[134] Pour nous borner aux temps depuis Euclide, vous vous rappelez tous que Thrasybule (23), un de ceux qui avaient ramené le peuple de Phyle et du Pirée, fut enfermé deux fois, en vertu de deux jugements prononcés par le peuple et, après lui, Philepsius ; puis Agyrrhius, bon citoyen, bon républicain, dévoué à vos intérêts. [135] Persuadé lui-même que les lois devaient être observées à son égard comme à regard des plus faibles, il resta plusieurs années en prison, jusqu'à ce qu'il eût rendu au trésor les deniers qu'on lui croyait entre les mains. Callistrate, un de ses proches, qui avait beaucoup de crédit, ne porta pas de loi pour l'en tirer ; non plus que Myronide, fils d'Archine, de cet Archine qui s'était emparé de Phyle ; qui, après les dieux, avait le plus contribué au retour du peuple, et qui, en d'autres occasions, avait rendu à la république nombre de services signalés, comme ministre ou comme général. [136] Tous ces hommes cependant ont cru devoir se soumettre à l'autorité des lois. Et les questeurs de Minerve et des autres dieux, sous qui le trésor a été incendié, ne sont-ils pas demeurés en prison, jusqu'à ce qu'où eût instruit leur procès ? N'y a-t-on pas tenu les administrateurs des blés, qu'on soupçonnait d'avoir malversé, et plusieurs autres, qui tous valent mieux qu'Androtion? [137] Les lois anciennes auront donc été observées pour ces citoyens, on les aura punis suie tant les lois reçues ; et il faudra établir une loi nouvelle pour Androtion, Glaucète et Ménalope, pour des hommes reconnus coupables d'après nos lois anciennes, déclarés juridiquement être saisis de deniers appartenants aux dieux et au trésor ! Notre ville ne se couvrira-t-elle pas d'opprobre, si elle établit une loi pour sauver les sacrilèges ? Oui, sans doute. [138] Ne permettez pas, Athéniens, qu'on vous insulte vous et la république. Rappelez à votre souvenir que, sous l'archonte Evandre, ce temps n'est pas éloigné, vous avez fait mourir Eudème, pour avoir porté une loi nuisible ; qu'il ne s'en est fallu que de quelques voix que vous ayez condamné à l'infamie, après avoir même voulu le condamner à mort, Philippe, fils de Philippe l'armateur ; que vous lui avez au moins infligé une forte amende sur sa propre arbitration. Vous rappelant ces faits, exercez la même rigueur envers Timocrate, et ajoutez cette réflexion à toutes Ies autres : songez à ce qu'il eût fait lui-même, s'il eût rempli pour vous la fonction de député. Non, certainement, il n'est pas de prévarications dont il n'eût été capable : ses intentions sont visibles et la loi dont il est l'auteur dévoile son caractère.

[139] Je vais vous raconter en quelle forme on porte les lois dans la Locride ; car il est bon que vous soyez instruits des usages d'une république bien policée. Les Locriens sont tellement dans le principe qu'ils doivent se gouverner d'après les lois anciennes, maintenir les réglements de leurs pères, sans établir des lois au gré de chacun, pour assurer au crime l'impunité ; les Locriens, dis-je, sont tellement dans ce principe, qu'ils ont voulu qu'on ne portât chez eux de loi nouvelle, qu'ayant le cou passé dans une corde ; de sorte que, si la loi est jugée utile, celui qui l'a proposée se retire avec la vie sauve sinon, il est étranglé sur-le-champ. [140] Aussi, les particuliers de ce pays, fidèles à observer les lois anciennes, n'osent point en porter de nouvelles ; et l'on dit que, dans un long intervalle de temps, il n'y en a eu qu'une seule de portée. Voici à quelle occasion. Il était ordonné, par une loi, que quiconque arracherait un oeil à quelqu'un serait condamné,à perdre un oeil, sans pouvoir se racheter de cette peine à quelque prix que ce fût. Un Locrien, (25), dit-on, menaça son ennemi qui n'avait qu'un oeil, de lui arracher le seul qui lui restait. [141] Celui-ci, irrité de cette menace, et croyant que le rendre aveugle ce serait lui rendre la vie insupportable, osa proposer une loi aux fins que quiconque arracherait un oeil à celui qui n'en n'aurait qu'un, serait condamné à perdre les deux yeux, pour que les choses fussent égales de part et d'autre. On prétend que c'est la seule loi qui ait été portée chez les Locriens, dans l'espace de plus de deux siècles.

[142] Chez nous, au contraire, les orateurs portent des lois, presque tous les mois, pour leur propre avantage. Sont-ils en place, ils traînent eux-mêmes en prison les citoyens ; et ils croient qu'on n'a pas contre eux le même droit ! Les lois de Solon, lois reçues depuis longtemps, et adoptées par vos ancêtres, ils les abolissent; et ils pensent que vous devez vous servir de leurs lois, lois portées au préjudice de la république ? [143] Si vous ne les punissez pas, le peuple se verra bientôt asservi à ces odieux personnages. Car, vous ne pouvez ignorer qu'ils seront moins insolents, si vous les traitez avec rigueur ; et que, si vous les épargnez, vous verrez se mutiplier ces hommes téméraires, qui vous outragent avec impudence, sous prétexte de servir l'état.

[144] Il faut parler de la loi dont Timocrate doit s'appuyer, comme étant conforme à la sienne, et qui porte : Je n'enfermerai aucun Athénien, s'il fournit trois répondants qui auront le même revenu que lui excepté ceux qui sont convaincus d'avoir trahi l'état, ou d'avoir conspiré contre le gouvernement populaire ; excepté encore les fermiers publics qui n'auront pas payé, leurs répondants, ou les collecteurs des impôts. Voici comme je détruis cette défense.

[145] Sans vous rappeler qu'Androtion a traîné lui-même en prison des Athéniens, et qu'il les y tenait enfermés malgré cette même loi, je vous montrerai pour qui elle a été portée. Elle a été portée, non pour ceux qui sont déjà jugés, mais pour ceux qui ne le sont pas encore, de peur qu'étant enfermés, ils ne pussent se défendre qu'avec désavantage, on qu'ils ne le pussent pas du tout. Timocrate citera donc, comme si elle était pour tout le monde, une loi uniquement établie pour ceux qui ne sont pas jugés.

[146] Une preuve évidente, qui doit vous convaincre de la vérité de mon sentiment, c'est que, si la loi qu'on cite, s'étendait à tout le monde, vous ne pourriez pas statuer sur les peines afflictives ou pécuniaires. La prison fait partie des peines afflictives, et il ne vous serait pas permis de condamner à la prison. On ne lirait pas non plus dans les lois, au sujet de ceux qui seraient déférés aux archontes, pour certains délits, ou traînés devant les ondécemvirs : Les ondécemvirs feront mettre en prison, les fers aux pieds, celui qui sera déféré aux archontes, ou traîné devant eux-mêmes : on ne lirait pas, dis-je, ces mots, s'il n'était permis d"emprisonner que
ceux qui auraient trahi l'état, ou qui auraient conspiré contre le gouvernement populaire, et les fermiers publics qui n'auraient pas payé. [147] Mais, la preuve certaine qu'on peut condamner à la prison, c'est qu'autrement les peines pécuniaires eussent déjà perdu toute leur force. Ajoutez que ces paroles même, Je n'enfermerai aucun Athénien, ne sont pas précisément une loi, mais font partie du serment des sénateurs. On craignait, sans doute, que les orateurs du sénat ne se liguassent pour faire emprisonner un citoyen. [148] C'est donc afin d'ôter ce pouvoir au sénat, que Solon a mis, dans le serment des sénateurs, des paroles qui ne se trouvent pas dans le serment des juges. Car ce législateur pensait qu'il n'est rien de plus fort que la décision d'un tribunal, et qu'une fois condamné, il faut subir la peine qu'il prononce. Pour vous en convaincre on va vous lire le serment des héliastes (26).

[149] Serment des héliastes.

« Je prononcerai suivant les lois et les décrets du peuple d'Athènes et du sénat des cinq cents ; je n'approuverai, par mes suffrages, ni la tyrannie, ni l'oligarchie ; si quelqu'un veut détruire la liberté des Athéniens, s'il emploie des discours ou l'autorité de sa place, je ne me laisserai pas gagner; je n'admettrai ni extinction de dettes, ni partage des terres et des maisons des Athéniens; je ne rappellerai ni les exilés, ni ceux qui ont été condamnés à la mort; ceux qui sont dans la ville, je ne les en chasserai pas malgré les lois reçues, malgré les décrets du peuple d'Athènes et du sénat des cinq cents; je ne le ferai, ni permettrai à un autre de le faire ; [150] je ne nommerai point magistrat et ne mettrai point en exercice celui qui sera comptable d'une autre magistrature, soit un des neuf archontes, ou un hiéromnémon, ou un des magistrats subalternes, choisis le même jour avec les neuf archontes, pas même l'huissier d'un député Athénien, ou d'un député des alliés, résidant à Athènes ; je ne souffrirai point que, dans la même année, le même homme possède deux fois la même charge, ou deux charges en même temps ; je ne recevrai de présent pour rendre la justice, ni par moi même,  ni par l'entremise de personne ; d'autres n'en recevront point pour moi,  à ma connaissance, par des voies, obliques et détournées; [151] je n'ai pas moins de trente ans ; j'écouterai également l'accusateur et l'accusé, et je prononcerai sur l'objet même du procès. Je jure par Jupiter, Neptune et Cérès; que ces dieux me perdent, moi et toute ma race, si j'enfreins ces règles ; si j'y suis fidèle, qu'ils me comblent de biens et de prospérités. »

On ne lit nulle part, dans ce serment, je n'enfermerai aucun Athénien ; car ce sont les tribunaux qui jugent tous les procès, et ils sont les maîtres de condamner à la prison, ou à toute autre peine qu'ils veulent. [152] Voilà comme je prouve qu'il vous est permis de condamner à la prison, Mais, qu'il soit contraire à toute règle, à toute justice, au maintien de la démocratie, d'infirmer les sentences rendues, vous en conviendrez tous de même que c'est monstrueux, impie et subversif pour un régime démocratique. Notre cité, juges, est administrée par des lois et par les décrets du peuple ; et si les décrets sont abrogées par une nouvelle loi, à quelle extrémité ita-t-on ? Pouvons-nous appeler cette chose une loi ? N'est-ce pas plutôt la négation de la loi ? Est-ce qu'un tel législateur ne mérite pas tout notre ressentiment ? [153] Pour moi il mérite le pire des châtiments, non seulement pour avoir proposé cette loi, mais pour avoir indiqué à tout le monde une façon de détruire les tribunaux, de rappeler les exilés, et d'amener les pires atrocités. Si l'auteur de cette loi continue son chemin sans avoir de problèmes, qu'est-ce qui peut empêcher, juges, un autre homme de venir renverser les fondements les plus sûrs par une nouvelle loi ?
[154] À mon avis, rien. On m'a dit que dans le passé le gouvernement populaire a été renversé de cette façon, quand les accusations pour illégalité furent supprimées, et des que les tribunaux furent dépouillées de leur autorité. Quelqu'un peut sans doute objecter que, quand je parle de renverser le gouvernement populaire, je ne tiens pas compte des conditions présentes et passées. Oui, mais personne ne doit permettre de laisier jeter le germe d'une telle politique dans notre état, même s'in ne peut pas germer pour l'instant. Si quelqu'un, en paroles ou en actes tente de le faire, il doit être cité en justice.

[155] Il faut aussi que vous soyez au courant avec quelle ruse il a tissé sa trame pour vous nuire. Après avoir observé que tout le monde, politiques ou citoyens, attribue constamment la prospérité d'Athènes à ses lois, il chercha à les détruire sans qu'on s'en aperçût, ou à ne rien offrir dans sa conduite qui pût révolter ceux qui s'en apercevraient. [156] Ainsi, dans le dessein de faire ce qu'il a fait réellement, de porter une loi qui abolit toutes les lois, il déguise et cache ses prévarications sous un nom agréable. Les lois sont le salut d'un état ; et quoique ce qu'il propose n'ait rien de commun avec Ies lois, il le décore du nom de loi, uniquement attentif à l'agrément du mot dont vous vous occupez surtout, et s'embarrassant peu que, dans l'usage, on voie paraître des effets tout contraires. [157] Sans cet artifice quel proèdre, quel prytane eût jamais approuvé un seul des articles contenus dans sa loi ? Aucun, à ce qu'il me semble. Comment donc a-t-il surpris leur approbation ? Il a décoré du nom de loi ses iniquités. Car Timocrate et ses pareils n'emploient pas pour vous nuire des moyens simples et ordinaires, mais des fraudes réfléchies ; et non seulement eux mais même plusieurs de vos chefs, qui paraîtront tout à l'heure, et qui prendront la défense de Timocrate, moins assurément parce qu'ils veulent l'obliger, (et pourquoi le feraient-ils ?) que parce qu'ils pensent chacun que sa loi leur est utile. Comme donc ils se liguent pour vous faire tort, unissez-vous tous pour repousser leurs injustices.

[158] Quelqu'un demandait à Timocrate, pour quel motif il avait proposé une telle loi ; votre affaire, lui disait-il, me semble fort mauvaise. Vous appréhendez à tort, répondit-il à celui qui lui, témoignait ses craintes ; je serai défendu par Androtion qui a imaginé et disposé à loisir des raisons subtiles sur tous les objets ; il ne m'arrivera, je suis sûr, aucun mal, de la loi que j'ai proposée.

[159] Voilà ce qu'espère Timocrate : pour moi, certes, je serais également surpris de l'impudence de tous les deux, et de celui qui implorerait lu secours d'un fourbe, et de celui qui se présenterait poux défendre le coupable; ce serait une preuve certaine que l'accusé aurait porté sa loi pour Androtion seulement et ses complices, et non pour tous les Athéniens.

Il est bon, au reste, de vous dire un mot des actes d'Androtion dans le ministère, de choisir les parties où il s'est fait seconder par Timocrate, et pour lesquelles ils méritent tous deux également votre haine. Je ne dirai que ce que tous avez déjà tous entendu, excepté quelques-uns qui ont pu ne pas se trouver au procès intenté par Euctémon. (27)

[160] Je commence par l'article dont il s'applaudit davantage ; je veux dire par les levées des contributions qu'il a faites de concert avec cet honnête citoyen. Il accusait Euctémon de retenir les deniers des contribuables, et s'engageait à le convaincre ou à payer lui-même. Il intrigua tant, et donna de si belles paroles, qu'il tint à bout de faire déposer par un décret un magistrat choisi par le sort, et de se faire nommer à sa place pour lever les contributions. Sous prétexte de la faiblesse de sa santé, et qu'il avait besoin d'un aide, il se fit donner pour adjoint Timocrate. [161] Dans les harangues qu'il vous débitait à ce sujet, il vous donnait trois partis à choisir. Il fallait, disait-il, ou fondre les vases sacrés, ou contribuer de nouveau, ou faire payer ceux qui étaient en retard : vous ne manquâtes pas de choisir ce dernier parti. Vous maîtrisant alors par ses promesses, et armé de la puissance que lui donnait la conjoncture, au lieu de se servir des lois déjà portées, ou d'en porter d'autres, si elles ne suffisaient pas, il vous proposa des décrets aussi cruels qu'injustes, en vertu desquels il vous rançonnait à son profit. [162] De concert avec Timocrate, ministre de sa cupidité, il pillait vos biens, et se faisait suivre par les ondécemvirs, les collecteurs et les officiers subalternes, pour se jeter avec eux sur vos maisons. Vous, Timocrate, vous étiez le seul de vos dix collègues qui l'accompagniez dans cette expédition (28).

Je ne prétends pas, on aurait tort de le croire, qu'il n'ait point fallu faire payer ceux qui étaient en retard. Il le fallait, sans doute, mais comment ? comme la loi l'ordonne ; pour décharger les autres, et non pour se satisfaire soi-même : car voilà ce qui est conforme au gouvernement populaire. Non, Athéniens, les cinq talents qu'ils ont levés et versés dans le trésor, ne vous ont pas tant profité que vous ont nui les actes de violence exercés dans une ville libre. [163] En effet, si vous vouliez examiner pourquoi on aimerait mieux vivre dans une démocratie que dans une oligarchie, vous n'auriez pas de peine à en trouver la raison ; c'est, sans doute, que dans une démocratie le gouvernement est plus doux. Je pourrais dire qu'Androtion et Timocrate ont agi dans Athènes même avec beaucoup plus de dureté et d'insolence que dans une oligarchie quelconque ; je me contente de vous demander quand il vous paraît que le gouvernement de notre ville ait été le plus dur et le plus cruel. [164] Vous direz tous, je le sais, que c'est sous les trente tyrans. Cependant alors, à ce qu'on rapporte, il n'est point de particulier qui ne fût à l'abri de la violence en se renfermant dans sa maison ; et ce que nous reprochons aux Trente c'est d'avoir fait arrêter injustement et traîner en prison ceux qui se montraient dans la place publique. Telle est donc la perversité des tyrans de nos jours, supérieure à celle des Trente, qu'au sein même de la démocratie, ils ont changé en prison la maison de chaque particulier en y conduisant les ondécemvirs.

[165] Mais que pensez-vous, Athéniens, lorsque vous vous représentez un homme pauvre, ou même un homme riche, qui a fait de grandes dépenses, et qui, pour cette raison, ne doit pas être muni d'argent, lors, dis-je, que vous vous représentez un tel homme craignant de paraître dans la place publique ne pouvant même rester sûrement dans sa maison, se voyant persécuté de la sorte par un Androtion à qui ses crimes et ses désordres passés ne permettent pas de poursuivre en justice ses propres injures, loin qu'il puisse lever les contributions au nom de la ville ? [166] Cependant, si on lui demandait ou à vous, Tirnocrate, le fauteur et le ministre de ses violences, si ce sont les biens ou la personne qui doivent les contributions, vous diriez que ce sont les biens, si vous vouliez dire la vérité, puisque c'est des biens que l'on contribue. Pourquoi donc, ô les plus pervers des hommes ! au lieu de confisquer les terres et les maisons, et de les afficher, vous permettiez-vous d'entériner et d'outrager des citoyens et des étrangers malheureux ? Pourquoi les traitiez-vous avec moins de ménagement que vous ne faites vos propres esclaves? [167] Toutefois, qu'on examine, si l'on veut, en quoi différent un esclave et un homme libre, on trouvera que la plus grande différence, c'est que dans les esclaves le corps. répond pour toutes les fautes, et que, dans un homme libre, il est le dernier contre lequel on doive sévir. Eux au contraire ils ont sévi contre nos personnes, comme si nous étions des esclaves.

[168] Par un excès d'injustice et de tyrannie, Androtion a cru qu'il devait faire échapper de prison, sans avoir payé, sans avoir été absous dans un jugement, son père, qui était enfermé pour une dette publique, et des citoyens qui ne pouvaient contribuer de leur propre fortune, il les a arrachés de leurs foyers domestiques, il les a traînés lui-même en prison. [169] Pour Timocrate, quand il nous faisait payer le double de ce que nous devions, alors, sans daigner recevoir d'aucun de nous des répondants, je ne dis pas, jusqu'à la neuvième prytanie, je dis même pour un jour, il nous obligeait de payer le double sur-le-champ, sous peine d'être sur-le-champ enfermé ; il nous livrait aux ondécemvirs, quoique nous ne fussions condamnés par aucun tribunal, lui qui vient de porter une loi à ses propres risques, pour que des hommes, condamnés dans vos tribunaux, parcourent la ville en toute liberté. [170] Ils diront néanmoins, Androtion et lui, qu'ils ont agi alors, et qu'ils agissent à présent pour vos intérêts. Vous, Athéniens, aurez-vous la complaisance d'en convenir, et verrez-vous d'un oeil tranquille les effets de leur méchanceté et de leur audace ? Oui, vous devez détester plutôt qu'absoudre des hommes de cette espèce. Quiconque agit au nom de la ville, et veut éprouver votre clémence, doit montrer en soi les moeurs de la ville. [171] Et quelles sont ces moeurs ? protéger les faibles, réprimer l'insolence des forts et des puissants, ne pas traiter le peuple avec cruauté, ni flatter avec bassesse l'homme qui jouit de quelque crédit, comme vous faites, Timocrate. Aussi doit-on vous condamner à mort sans vouloir vous entendre? loin de vous pardonner en faveur d'Androtion.

[172] Mais que dans la levée même des contributions restées en arrière, ils n'aient point eu en vue votre avantage, c'est ce que je vais vous démontrer. Si on leur faisait cette demande : Des citoyens qui labourent leurs champs, qui vivent avec épargne, que l'éducation de leurs enfants, l'entretien de leur maison, et d'autres charges, ont mis hors d'état de payer les contributions, sont-ils plus coupables envers la république que ceux qui pillent et dissipent les biens des alliés et les recettes des contribuables ? Tout impudents qu'ils sont, ils ne porteraient pas l'audace jusqu'à dire que celui qui ne contribue pas de ses propres deniers, est plus coupable que celui qui vole les deniers publics. [173] Pourquoi donc, Androtion et Timocrate, depuis plus de trente ans que l'un de vous deux, du moins d'administration, pendant l'espace desquels il s'est trouvé nombre de généraux et d'orateurs qui, ayant nui à l'état, ont été cités devant les tribunaux, dont les uns ont subi la mort, pour leurs crimes, les autres, prévenant le jugement, se sont exilés et condamnés eux-mêmes ; pourquoi avez-vous négligé tous deux d'accuser des citoyens criminels ? Pourquoi n'avoir pas témoigné votre indignation pour les torts causés à la patrie et ne montrer de l'ardeur pour nos intérêts, que lorsqu'il faut persécuter le peuple misérable ? [174] Voulez-vous, Athéniens, que je vous en dise la raison? c'est quel participant aux iniquités des plus pervers, et s'enrichissant des contributions, leur cupidité insatiable tire en même remps des deux côtés, dans la république. Car, enfin, il n'est pas plus avantageux d'encourir la haine d'une multitude d'hommes qui sont peu coupables, que d'un petit nombre qui le sont beaucoup; il n'est pas plus agréable au peuple qu'on observe les fautes de ceux-là, que les fautes de ceux-ci : mais la vraie raison est celle que j'ai dite.

[175] Pleins de ces idées et ne perdant pas de vue les prévarications des hommes contre lesquels je m'élève, punissez-les chacun à mesure qu'ils sont cités à votre tribunal : examinez non si leurs délits sont anciens, mais s'ils sont réels ; d'autant plus que, si vous voyez aujourd'hui avec indifférence des actions qui ont excité d'abord votre rigueur, vous paraîtrez avoir condamné d'abord les coupables (29) par colère, plutôt que par justice. Le propre de la colère est de se décharger brusquement sur ceux qui nous ont fait quelque mal ; la justice punit tous ceux qui sont cités devant elle, quand elle le trouve en faute. Loin donc de paraître mollir en ce jour, et de satisfaire, au mépris de votre serment et contre la justice, votre penchant à la clémence, vous devez détester et même refuser d'entendre Androtion et Timocrate, dont la conduite à votre égard a été si révoltante.

[176] Mais peut-être n'ont-ils prévariqué que dans cette partie de l'administration, et se sont-ils bien comportés dans les autres. Telle a été, au contraire, leur conduite dans le reste, que les reproches que vous venez d'entendre sont les moins graves, les moins propres et leur mériter votre haine. Que souhaitez-vous que je dise ? Voulez-vous que je parle de la manière dont ils ont réparé les vases sacrés, de ces beaux ouvrages qu'ils ont substitués aux vases refondus et aux couronnes détruites ? [177] Mais pour cela même, quand ils n'auraient point causé à l'état d'autre préjudice, ils mériteraient, ce me semble, de subir plusieurs morts, puisqu'en cela seul ils se sont rendus coupables de sacrilège, d'impiété, de vol, de tous les crimes les plus énormes.

Sans parler de plusieurs discours que vous tenait Androtion pour vous tromper sous prétexte que les feuilles des couronnes tombaient flétries par le temps, comme si elles eussent été de rose et de violette, et non pas d'or, il vous persuada de les refondre. Choisi pour cet emploi, il s'associa Timocrate dans ses malversations; [178] et lui qui, dans la levée des contributions, dans un objet où chacun des contribuables pouvait être contrôleur (30), lui, dis-je, qui, affectant une régularité extrême avait demandé un officier public, il n'emploie pas la même formalité, quand il s'agit de rompre des couronnes, il est en même temps l'orfèvre, l'orateur, le trésorier, le contrôleur. [179] Toutefois, Androtion, si dans tout également vous aviez exigé que la ville eût confiance en vous, vous ne seriez pas aussi convaincu d'avoir malversé. Mais demander que, pour les contributions, la ville, comme il est juste, ait confiance en ses officiers, plutôt qu'en vous ; et dans d'autres cas, Iorsque vous réformez des offrandes sacrées, dont quelques-unes ne sont pas de notre temps, négliger de prendre les mêmes mesures, n'est-ce pas dévoiler les motifs de votre conduite ? pour moi je le pense.

[180] Et voyez, Athéniens, quelles inscriptions odieuses et impies il a substituées à ces inscriptions honorables qui étaient, pour la république, les titres d'une gloire immortelle. Vous savez tous, je crois, que, sur l'intérieur des couronnes, était gravée, ou cette inscription : Les alliés ont couronné le peuple d'Athènes pour son courage et sa vertu; ou cette autre : Les alliés ont fait cette offrande à Minerve sur les dépouilles; ou ces autres : Tels ou tels peuples, par exemple, les Eubéens, sauvés et délivrés par le peuple d'Athènes, l'ont couronné. Quelques couronnes portaient ces inscriptions : Conon, pour une victoire navale remportée sur les Lacédémoniens, Chabrias, pour un combat naval livré près de Naxe. Telles étaient les inscriptions des couronnes. [181] En détruisant les couronnes, on a fait disparaître les inscriptions qui étaient pour vous des titres d'honneur bien glorieux. On a mis sur les vases, par lesquels ce personnage impur a remplacé les couronnes, qu'ils ont été faits par les seins d'Androtion, et un misérable prostitué, à qui les lois interdisent l'entrée des temples, a gravé son nom sur les vases sacrés de ces mêmes temples ! Cette inscription, sans doute, oui, cette inscription est aussi belle, aussi honorable pour vous que les premières ! [182] Dans cette réforme, je vois de leur part trois délits des plus graves. Ils ont ravi à la déesse ses couronnes ; ils ont frustré les Athéniens de la gloire de leurs exploits, dont elles étaient les monuments ; enfin, ils ont privé ceux, qui les ont consacrées, de l'honneur qu'ils voulaient tirer de ces marques visibles de leur reconnaissance.

Après des attentats si horribles, par un excès de stupidité et d'audace, Timocrate s'imagine que vous lui fierez grâce en faveur d'Androtion ; Androtion se montre assis aux côtés de Timocrate, et ne va point cacher sa honte. [183] La cupidité lui ôte, je ne dis pas seulement la pudeur, mais le jugement, au point qu'il ignore que les couronnes sont des témoignages de vertu et que les vases, les coupes, et autres objets pareils, ne sont que des preuves d'opulence. Toute couronne, quelque petite qu'elle soit, est aussi honorable qu'une grande. Les coupes, les cassolettes, et autres effets semblables, s'ils sont en grand nombre, procurent à celui qui les possède la réputation d'homme riche ; mais y s'il se glorifie de ce luxe frivole, loin de se faire un nom par leur moyen, il passe même pour un sot ridicule. [184] A la place des possessions de la gloire, Androtion a donc mis celles de l'opulence, qui sont viles et indignes de vous. Il n'a pas vu que les Athéniens ne s'embarrassèrent jamais d'amasser des richesses ; au lieu qu'ils se sont montrés plus jaloux de gloire, que de tout autre avantage. Ce qui le prouve, c'est que possédant plus de richesses que les autres peuples, ils les ont prodiguées pour s'acquérir de la gloire : ils ont sacrifié pour elle tout ce qu'ils avaient, et ne se sont refusés à aucun péril. Aussi se sont-ils procuré des richesses immortelles, la célébrité de leurs exploits et la beauté des édifices qui en sont les monuments ; des arcs de triomphe, un temple de Minerve, des portiques, et non de méchants vases qui n'ont aucune valeur, et que vous pouvez, Androtion, refondre, quand il vous plaira. [185] Non, ce n'est ni en levant des dîmes sur eux-mêmes ni en faisant payer doubles les contributions, ni en tenant la conduite qu'auraient souhaitée leurs ennemis, ni en se servant de ministres tels que vous, que nos ancêtres ont construit ces édifices ; mais c'est en triomphant des ennemis, en ramenant la concorde dans la ville, en faisant ce que désirerait de faire tout homme sensé, et en excluant de la place publique ceux qui vivaient comme Androtion; c'est par-là qu'ils ont laissé après eux un nom qui ne périra jamais. [186] Pour vous, Athéniens, telle est votre faiblesse et votre indifférence, que, quoique vous ayez devant les yeux de tels exemples, vous craignez de les imiter. Androtion chargé du soin de réparer les vases sacrés ! Androtion, grands dieux ! n'est-ce pas une impiété réelle, et qui ne le cède à nulle autre? Pour moi, je pense que quiconque entre dans les temples pour toucher aux cassolettes et aux corbeilles sacrées ; quiconque est chargé de présider à quelque partie du culte, ne doit pas, seulement être chaste un certain espace de temps, mais s'être abstenu toute sa vie des vices infâmes dont Androtion s'est souillé.

[187] Mais je n'en dirai pas davantage sur cet homme, dont je n'ai parlé qu'en passant. Quoique j'eusse encore à rapporter tout ce qu'il dira en faveur de Timocrate, je finis pour ce qui le concerne, et je reviens à Timocrate lui-même. Celui-ci, je le sais, ne pouvant prouver que sa loi ne vous est pas nuisible, qu'elle n'est pas portée contre toutes les formes, qu'elle n'est pas contraire aux lois dans toutes ses parties, se bornera à dire qu'Androtion, Glaucète et Ménalope ont payé ce qu'ils devaient; or, que lui Timocrate serait traité le plus injustement du monde, si, quoique ceux pour lesquels on l'accuse d'avoir porté sa loi, aient acquitté leur dette, il n'en était pas moins condamné. [188] Pour moi, je pense qu'il ne peut faire usage de cette raison. Car enfin, Timocrate si vous convenez avoir porté votre loi pour quelques particuliers qui, selon vous, ont satisfait, il est clair, par cela même, que vous devez être condamné, puisque toutes les lois reçues, suivant lesquelles nos juges, ont fait voeu de prononcer, défendent expressément de porter une loi qui ne soit pas pour tous les citoyens. [189] Si vous dites l'avoir portée pour l'intérêt de tous, pourquoi parler d'un paiement étranger à votre loi ? Montrez que cette loi est vraiment utile : car c'est pour cela que vous prétendez, vous, l'avoir portée ; c'est pour cela que je l'attaque, moi qui prétends le contraire ; enfin, c'est sur cela que les juges ont à prononcer. Je pourrais montrer, sans peine, que le paiement qu'il fera valoir, n'est rien moins que légitime (31) ; mais, comme ce n'est point là l'objet de la cause, qu'est-il besoin de fatiguer inutilement ceux qui m'écoutent ?

[190] Il ne manquera pas, je crois, d'avoir recours à ces autres raisons, qu'il serait fort à plaindre de subir une peine afflictive, lui qui propose de n'en fermer aucun Athénien; qu'il est sur-tout de l'intérêt des particuliers faibles, que les lois soient les plus douces et les plus modérées.

II est bon de tous prévenir, en peu de mots, sur ces raisons spécieuses, de peur que vous ne ne soyez trompés. [191] Quand il dira que sa loi veut qu'on n'enferme aucun Athénien, sachez qu'il avance le faux. Elle veut que vous ne soyez pas maîtres de doubler ou de décupler les amendes ; elle infirme des sentences rendues selon toutes les formes, après une ample discussion. Qu'il ne choisisse donc pas dans sa loi les paroles qui annoncent le plus d'humanité; mais qu'il en explique toutes les parties, qu'il permette d'en examiner les suites ; vous trouverez qu'il en est comme je dis, et non comme il dira lui-même. [192] Quant à ce qu'il ajoute, qu'il est utile pour le peuple que les lois soient douces et modérées, écoutez là-dessus quelques réflexions. Il est deux sortes de lois dans toutes les républiques : les unes regardent les particuliers, leur conduite réciproque, leurs contrats, leurs réglements, enfin, tous les actes de la vie civile ; les autres ont pour objet la manière dont chaque citoyen doit gouverner l'état, s'il entreprend de le gouverner et de veiller aux intérêts de tous. [193] Il est de l'avantage du peuple que les lois, pour les simples particuliers soient dictées par la douleur ; mais il vous importe que celles qui regardent les principaux de l'état, soient pleines de sévérité. Par-là, en effet, vous aurez moins à souffrir de la part de ceux qui se mêlent de l'administration. Lors donc que Timocrate vantera la douceur de sa loi, réfutez-le, en lui disant que ce n'est pas les lois pour les particuliers, qu'il rend douces et faciles mais celles qui tendent à effrayer vos chefs.

[194] Il me resterait encore bien des choses à dire, si je voulais entrer dans le détail de tout ce qu'il débitera pour vous surprendre ; j'en omettrai une partie, et me bornerai à rapporter sommairement ce qu'il vous est essentiel de ne pas oublier. Parmi tous ses moyens de défense, voyez s'il en est un qui prouve qu'un législateur peut statuer sur Ies choses passées et définitivement jugées, de même que sur les choses futures ; car c'est-là le plus honteux, le plus inique et le plus révoltant de tous les articles que sa loi renferme. [195] Que si ni lui ni aucun autre ne peuvent prouver ce que je dis, soyez persuadés qu'on vous trompe, et songez au motif qui a pu lui faire imaginer une telle loi. Ce n'est pas sans intérêt, Timocrate, que vous l'avez portées. non il s'en faut beaucoup ; et vous ne pourriez produire d'autre cause de votre audace ; qu'une basse et odieuse cupidité. Aucun de ceux que votre loi favorise n'était votre ami intime, ni votre proche, ni votre allié. [196] Vous ne direz pas non plus que, touché de compassion pour le sort de particuliers misérables, vous avez voulu les secourir par votre loi. En effet, quoique condamné dans trois tribunaux, ne payer qu'après un long terme, par force et avec peine, ce qu'on doit à l'état, c'est moins assurément, une condition triste qu'une conduite criante qui doit exciter plus d'indignation et de haine que de compassion. Vous ne direz pas que vous étant montré en toute circonstance, plus doux et plus humain que personne vous êtes plus touché du sort des infortunés. [197] Non, il n'est pas possible que vous plaigniez Androtion, Glaucète et Ménalope, parce qu'ils sont forcés le rendre ce qu'ils ont pris, vous qui n'avez eu pitié ni des citoyens ici présents, ni des autres, dont vous envahissiez les maisons, suivi des ondécemvirs, des receveurs et des officiers subalternes; vous dis-je, qui, sans nulle pitié pour aucun d'eux avez enfoncé leurs portes, emporté leurs lits emmené l'esclave unique qui les servait; excès que vous n'avez cessé de commettre pendant toute une année, conjointement avec Androtion. [198] Ces citoyens, tourmentés par vous, étaient, sans doute, plus à plaindre que les hommes que vous plaignez. C'étaient eux, personnage infâme, qui méritaient votre pitié ; eux qui, pour vous autres orateurs, ne cessent de contribuer de toutes les parties de leur fortune. Ce n'est pas tout : ils se voient forcés de payer à l'état le double de ce qu'ils doivent, et cela par vous et votre Androtion, qui ne donnâtes jamais une obole au trésor. [199] Timocrate, ô Athéniens, était si assuré de voir tous ses crimes impunis que seul de ses dix collègues, il a osé tenir les registres (32) avec Androtion. Oui, certainement, c'est sans intérêt, sans aucune vue d'utilité personnelle, qu'il encourt votre haine, qu'il porte une loi contraire à toutes les lois contraire à une loi précédente que lui-même a portée, et que vous vous rappelez, je pense.

[200] Ce que je trouve de plus odieux, le voici, je ne le céderai pas : c'est qu'ayant porté sa loi pour de l'argent; c'est qu'ayant pris le parti de se vendre, il ne fait pas de ce qu'il a reçu un emploi excusable. Et quel serait cet emploi ? Son père est débiteur du trésor (je le dis par nécessité et non par reproche), et ce fils honnête n'en tient aucun compte. [201] Un fils, cependant, qui doit hériter de l'infâmie de son père, s'il est diffamé; un fils qui, négligeant d'acquitter la dette de ce père, veut profiter, pendant le peu de temps qu'il a encore à vivre, de ce qu'il lui en coûterait pour le libérer; de quelle bassesse n'est-il pas capable? Vous n'avez point pitié, Timocrate, de votre père ; vous ne pensez point quel serait son triste sort, si, lorsque vous recevez de l'argent de toutes parts, lorsque vous trafiquez des contributions que vous levez, des décrets que vous proposez, des lois que vous portez, il était privé des droits de citoyen, faute d'une somme modique : et vous prétendez que le sort des malheureux vous touche ! [202] Mais, dira-t-on, il a eu soin de sa soeur. Mais il mériterait de mourir pour cela seul. Il l'a vendue et non placée. Un habitant de Corcyre, un de vos ennemis, un de ceux oppriment maintenant la ville, et qui loge dans la maison de Timocrate quand il vient ici en députation, voulait avoir sa soeur (je supprime pour quel motif) ; il l'a livrée à prix d'argent, et elle est maintenant à Corcyre. [203] Un homme donc qui a vendu sa soeur, sous prétexte de la placer en pays étranger; qui a si peu d'égards pour la vieillesse de son père ; qui se conduit en tout, dans l'administration, par des vues de flatterie et d'intérêt; un tel homme est entre vos mains, et vous ne le ferez pas mourir ! Ce serait vous annoncer pour aimer les dissensions et les querelles, pour ne pas chercher à vous délivrer des méchants.

[204] Cependant, qu'on vous demande s'il convient de punir tous les hommes nuisibles, vous direz tous, j'en suis sûr, qu'il est à propos de le faire. Eh bien ! je vais vous prouver qu'il faut surtout punir celui qui porte une loi au détriment du peuple. Les voleurs, les brigands, tous les malfaiteurs ne nuisent, dans la réalité, qu'à ceux qu'ils attaquent; ils ne peuvent dépouiller ni piller tout le monde, et d'ailleurs ils ne déshonorent qu'eux seuls. [205] Au lieu que l'auteur d'une loi qui accorde toute licence et assure l'impunité à ceux qui veulent vous nuire, nuit à toute la ville, déshonore tout le peuple, parte qu'une loi honteuse, quand elle est reçue, est le déshonneur de la ville qui l'a adoptée, le malheur de ceux qui la suivent. Et vous ne punirez point, lorsque vous en êtes les maîtres, un homme qui entreprend de vous nuire, de vous déshonorer! Qu'auriez-vous donc à. dire pour votre défense !

[206] On peut se convaincre combien la loi de Timocrate est insidieuse, combien elle nous serait nuisible, combien elle est contraire à la constitue tien du gouvernement, surtout si l'on fait attention que quiconque veut innover et détruire la démocratie, commence d'abord par délivrer de la prison ceux qui, peur leurs délits, y sont détenus en vertu d'une sentence. [207] Timocrate ne mérite-t-il donc pas de subir plusieurs morts, s'il était possible, lui particulier isolé qui, loin d'être en état de vous perdre, est exposé, si vous prononcez avec justice, à périr par vos suffrages, et qui néanmoins, imitent le crime des destructeurs du peuple, voudrait, par une loi, délivrer ceux que les tribunaux ont fait emprisonner ; oui, il le voudrait, puisqu'il a eu l'impudence de statuer que quiconque aurait été condamné à la prison, en y serait condamné par la suite, en serait garanti ?

[208] Cependant, si tout à coup vous entendiez un cri aux environs du tribunal (33), et qu'on vînt vous dire que la prison est ouverte, que les prisonniers s'échappent, est-il un citoyen, jeune ou vieux, quelque indifférent qu'il fût, qui ne se prêtât de tout son pouvoir à faire cesser le désordre ? Mais si quelqu'un s'avançant disait que c'est Timocrate qui a délivré les prisonniers, ne le traînerait-on pas sur-le-champ au supplice sans l'entendre ? [209] Il l'a fait, Athéniens, et vous êtes ses juges ; il l'a fait, non pas en secret, mais publiquement : il a porté, en usant de fraude et de surprise, une loi qui ouvre la prison, que dis-je ? qui la détruit et avec elle les tribunaux. Quel besoin, en effet, aura-t-on de tribunaux et de prison, si on délivre ceux qui ont été condamnés à y être enfermés et si, lorsque vous y condamnerez quelqu'un par la suite, la condamnation devient inutile ?

[210] Considérez encore que plusieurs peuples de la Grèce ont souvent décidé qu'on adopterait vos lois ; honneur dont vous étiez flattés, et avec d'autant plus de raison, qu'au sentiment de tous les sages, comme on vous le disait un jour, les lois sont les moeurs d'une ville. Vous devez donc faire en sorte que les lois soient les meilleures possibles ; ceux qui cherchent à les détruire, vous devez les punir sévèrement persuadés que, si vous agissez avec mollesse, vous vous priverez vous-mêmes de l'honneur qu'elles procurent et que vous ferez concevoir de, votre ville une opinion peu avantageuse. [211] Vous qui louez, et à juste titre, Dracon et Solon, sans qu'ils aient rendu à l'état d'autre service que d'avoir porté des lois utiles et sages, négligeriez-vous de poursuivre ceux qui portent des lois contraires à celles de ces grands législateurs ? Je ne doute pas que ce ne soit aussi pour lui-même que Timocrate ait porté la sienne ; il a pensé que sa conduite dans le ministère l'exposerait souvent à subir la peine de la prison.

[212] Je vais vous raconter, et c'est par où je finis, ce que disait un jour Solon, en accusant l'auteur d'une loi nuisible. Après bien d'autres discours, il disait aux juges que, dans presque toutes les villes, la loi établissait peine de mort contre quiconque altérait la monnaie. Il leur demanda si cette disposition leur paraissait juste et raisonnable. [213] Les juges ayant répondu que oui : Je pense, leur dit-il, que l'argent est la monnaie des particuliers, inventée pour les échanges privés, et que les lois sont la monnaie de l'état ; or, il faut que les juges punissent beaucoup plus sévèrement ceux qui altèrent la monnaie de l'état et qui en produisent de fausse, que ceux qui altèrent la monnaie des particuliers. [214] Une preuve, ajouta-t-il, que c'est un plus grand crime d'altérer les lois que l'argent, c'est que plusieurs républiques qui font entrer dans leur monnaie, et qui ne le dissimulent pas, un alliage de cuivre et de plomb, se maintiennent et n'en reçoivent aucun dommage ; tandis que celles qui ont de mauvaises lois, ou qui laissent altérer les bonnes, ne purent jamais se maintenir. Timocrate est coupable de cette altération et vous devez le punir comme il le mérite.

[215] Sans doute, il faut traiter avec rigueur tous ceux qui portent des lois déshonorantes et vicieuses : mais on doit surtout sévir contre quiconque altère les lois d'où dépend l'agrandissement ou la décadence d'un état (34). Et quelles sont ces lois ? celles qui punissent les méchants et qui récompensent les bons. [216] Car, si tous les citoyens sont excités à servir la patrie par le désir des .honneurs et des récompenses que les lois promettent à la vertu, s'ils sont tous détournés de lui nuire par la crainte des peines qu'elles infligent au crime, qu'est-ce qui empêche qu'Athènes ne soit florissante ? Ne possède-t-elle pas plus de galères qu'aucune ville de la Grèce, plus d'infanterie et de cavalerie, plus de revenus, de places et de ports? Mais qu'est-ce qui conserva et maintient tous ces avantages ? les lois. Oui, c'est dans une république gouvernée par de bonnes lois, que ces avantages tourment au profit de l'état. [217] Si elle est mal gouvernée, si les citoyens vertueux n'ont aucune récompense à attendre, si le crime y jouit de l'impunité que lui assure Timocrate, quels désordres ne doivent pas y naître ? Ignorez-vous que, quand on posséderait la double des avantages dont je parle, ils ne serviraient de rien ? Timocrate ne manifesta que trop son dessein de vous être nuisible, en portant une loi qui exempte de toute peine ceux qui cherchent à vous nuire.

Pour toutes les raisons que je vous ai exposées, il faut le punir avec rigueur, et en faire un exemple. L'indulgence qui laisserait de tels hommes impunis, ou qui ne leur imposerait qu'une peine légère, ne ferait qu'en autoriser beaucoup d'autres, et leur apprendre à vous porter préjudice.
 

(01Cinq cents livres ; c'était la somme à laquelle devait être condamné Diodore, s'il perdait sa cause.

(02) Androtion était un des disciples d'Isocrate les plus célèbres, consommé dans l'administration des affaires et dans le talent de la parole. Il nous reste un discours de Démosthène contre Androtion, qu'on a vu avant celui qui précède.

(03) Je ne vois pas pourquoi Diodore n'aurait pas pu se donner la mort, si Androtion eût réussi à le faire regarder comme meurtrier de son père ; à moins qu'il ne veuille dire que, même après sa mort, on aurait fait le procès à son cadavre.

(04) J'ai déjà remarqué plus haut, dans le discours contre Androtion, que Ies anciens ne rougissaient pas de manifester les sentiments de haine et les désirs de vengeance : la religion chrétienne a réformé en cela les mouvements de la nature.

(05) Dans les affaires importantes, plusieurs tribunaux de la ville se réunissaient. Les juges étaient au nombre de mille et un, afin que deux avis différents ne pussent avoir un égal nombre de suffrages.

(06Nous avons parlé de Mauzole dans le second tome, parlant d'Artémise son épouse. Voyez page 285.

(07) L'orateur annonce plusieurs lois qu'il fait lire; ce que lit le greffier n'est donc pas une seule loi, mais plusieurs lois de suite. C'est la remarque du savant Taylor; je l'adopte, aussi bien que la manière dont il a distingué les différentes lois contenues sous un titre unique. - Pendant la première prytanie... Voyez tome I, Précis historique, où il est parlé du sénat des Cinq-cents.

(08) Dans le cours de chaque prytanie, il y avait de règle trois assemblées du peuple.

(09) C'était en même temps le onzième de la première prytanie, et le onzième du mois hécatombéon, qui répond à notre mois de septembre. Apparemment que les prytanies commençaient au mois hécatombéon.

(10) Les avocats nommés, pour plaider en faveur de la loi dont on, demandait l'abrogation. Ces avocats se nommaient syndics.

(11) L'orateur conclut ici le premier article du chapitre des lois, et passe au second.

(12) Euclide fut archonte après l'extinction de la tyrannie des Trente, et le rétablissement de la démocratie. L'année de son archontat faisait époque dans l'histoire d'Athènes. Au reste, il faut supposer, pour l'intelligence de cette loi, qu'elle fut portée une année après l'archontat d'Euclide ; il faut savoir aussi que tous les actes des Trente furent annuités, et que Solon n'avait donné de force à ses lois que pour cent ans. C'est afin de ratifier les lois de Solon, que Dioclès a porté la sienne.

(13) C'est-à-dire, le greffier des prytanes qui étaient en tour de présider.

(14) Il faut se rappeler ici ce que j'ai dit dans le sommaire, que Démosthène annonce une sous-division qu'il ne suit psi exactement.

(15) Aristocle de Myrrhinude étant un des proèdres et recueillant les suffrages. Ces paroles ne se trouvent pas dans la première citation de la loi.

(16) Dans certains délits, la loi permettait aux juges d'ajouter aux peines légales des peines arbitraires, c'est-à-dire des peines qu'ils infligeaient à leur volonté. Ces peines s'appelaient en grec ta prostitémata, ou ta épaitia.

(17Lycée, Académie, Cynosarge, trois édifices publics Athènes. Nous avons parlé du dernier plus haut, page 285. Le lycée était consacré à Apollon, destructeur de loups. L'Académie avait été bâtie par Académus, un des héros de la ville. Platon avait choisi l'Académie pour y donner ses leçons.

(18) De vol; sans doute, d'un vol peu considérable, d'un vol au-dessous de cinquante drachmes, et non commis dans un lieu public. Dans un jugement particulier. Les voleurs ou filoux que le législateur désigne auparavant, étaient regardés, comme des, voleurs publics, et jugés en conséquence.

(19) J'ai ajouté quelque chose au texte dans cet endroit, pour faire entendre la pensée de l'orateur.

(20) L'assesseur d'un tribunal était distingué des membres de ce même tribunal : il ne jugeait pas, mais il était donné aux juges pour les éclairer et les diriger dans leurs décisions. - Lachès ; on voit que c'était le nom du père de Ménalope.

(21) Nous avons déjà dit que Décelée était un fort de l'Attique, dont les Lacédémoniens s'étaient saisis à la fin de la guerre du Péloponnèse. Plusieurs citoyens d'Athènes, mécontent du peuple, embrassèrent le parti de Lacédémone.

(22) C'était le siège sur lequel était assis Xerxès, pour regarder le combat de Salamine, du sommet d'Aegalée, montagne de l'Attique.

(23) Ce n'est pas le fameux Thrasybule qui avait délivré sa patrie des trente tyrans, fils, de Lycus, du bourg de Stire ; c'est le Thrasybule du bourg de Colytte, un des ministres d'Athènes, dont il est parlé dans la harangue d'Eschine contre Ctésiphon. Sans doute il s'était réfugié avec les autres à Phyle, et ensuite au Pirée. - Puis Agyrrhius. Harpocration parle d'un Agyrrhius, ministre d'Athènes, qui proposa de distribuer au peuple, et d'employer, aux frais des spectacles, les deniers destinés originairement aux dépenses de la guerre. Quant à Callistrate et

(24) Archine, ce sont, sans doute, les mêmes dont il est beaucoup parlé dans quelques-uns des discours qui précèdent.

(25) Ce Locrien se nommait Casés. Le législateur des Locride était Zaleucus, connu dans l'histoire grecque par sa sagesse et la bonté de ses lois. Stobée rapporte les propres termes dans lesquels était conçue la loi de Zaleucus dont il est ici question.

(26)) Nous avons dit, dans le discours précédent, ce que c'était que les héliastes. Voyez page 217, note 2. Voyez aussi, tome 1, page 252, note, les remarques que nous avons faites sur le serment des héliastes.

(27) Euctémon était le principal accusateur, et Diodore, qui parle ici, parlait en second. Nous avons vu, après le plaidoyer contre Conon, la harangue que le même Démosthène a composée pour le même Diodore, et où la sortie violente contre Androtion, que nous allons voir, est répétée presque mot pour mot. Il paraît que les orateurs grecs, et Démosthène en particulier, ne se faisaient aucun scrupule de se répéter quand ils traitaient le même sujet, et qu'ils avaient occasion de dire les mêmes choses.

(28) Timocrate, sans doute, était pour lors sénateur, et un des dix prytanes.

(29) Androtion, dans le procès à lui intenté par Euctémon, avait été condamné comme coupable de sacrilège, et comme ayant volé les deniers publics.

(30) Contrôleur; voilà comme j'ai rendu le mot grec antigrapheus, qui signifiait un officier chargé de veiller à l'emploi des deniers publics.

(31) Je ne sais comment accorder I'orateur. II semble convenir ici que les députés avaient payé quelque chose, et dans d'autre endroits du discours il paraît dire, en termes formels, qu'ils n'avaient rien payé du tout.

(32) Tenir les registres, sans doute pour les contributions. On a ni plus haut qu'Androtion, chargé de lever les contributions, s'était fait donner pour adjoint Timocrate.

(33) Longin, dans son traité du sublime, cite cet endroit du discours, au chap. XIII, où il parle de l'effet que produisent les images. La supposition de Démosthène devait faire impression, surtout dans une république, où chacun, ayant part au gouvernement, s'intéressait d'elle façon particulière à la chose publique et au bon ordre de la ville.

(34) Les mêmes idées et les mêmes paroles sont répétées dans la harangue contre Leptine.