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table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

 

DÉMOSTHÈNE

 

PRÉAMBULE

 

 

 

I PRÉAMBULE.

Démosthène traduit en français ! l'entreprise est-elle possible ? Hâtons-nous de le reconnaître : non! Plus rapproché du grec que du latin, le mécanisme de notre langue diffère encore beaucoup trop du premier de ces idiomes. Notre littérature n'offre rien qui ressemble à l'éloquence attique; et cependant aine traduction doit être une oeuvre nationale. S'il est très difficile de reproduire, dans une langue quelconque, un morceau improvisé, inspiré, il est impossible de faire passer dans la nôtre le résultat de tant de laborieuses combinaisons, dont l'analyse nous confond dans les traités des anciens rhéteurs. Quel effort, d'ailleurs, ou plutôt quelle force d'illusion, pour se laisser emporter longtemps au mouvement d'autrui ! Enfin, avant de traduire, il faut comprendre nettement : or, plus de cent passages des harangues de Démosthène ont conservé, pour les plus savants hellénistes, quelque chose d'énigmatique (01). Et, quand vous surmonteriez tous ces obstacles, quand vous seriez sûr de posséder réellement ces harangues telles qu'elles ont été prononcées, quand vous rendriez toujours fidèlement le discours écrit, la lettre morte, traduirez-vous l'orateur, son émotion, son geste, sa voix, son regard?

L'auteur de ce travail, en y consacrant de longues veilles, ne s'est donc pas proposé un but chimérique. Seulement il a pensé que nos grandes commotions politiques facilitaient un peu l'intelligence de l'esprit du temps où Démosthène a vécu, et qu'elles avaient introduit dans la langue française des modifications qui, discernées de tant d'images forcées, de tant de mouvements convulsifs, rendraient peut être, par une habile application, sa tache moins impraticable (02). Bossuet, pour l'élan et la noble simplicité; Mirabeau et Foy, pour le sens politique, ont été l'objet constant de ses études de style. Quant à l'interprétation, il a trouvé, dans de récents et nombreux travaux de la philologie allemande, des ressources, insuffisantes sans doute, mais à peu près inexplorées parmi nous. Heureux s'il peut, à ces clartés nouvelles, nous faire entrevoir et admirer davantage un orateur que, sans doute, il ne faut pas transporter à la tribune française, mais dont l'étude aurait aujourd'hui des résultats plus applicables que celle de Cicéron (03) !

Pour mieux apprécier Démosthène, il faut voie sa vie et son talent mêlés à tous les événement: contemporains. Pour faire connaître le vrai carattère de nos éludes sur ce grand orateur, il faut en exposer la partie historique, ainsi que le choix des textes, nos éléments d'interprétation, et le système de traduction que nous avons suivi. Cinq section! composeront cette introduction générale.

PREMIÈRE SECTION.

Choix de textes; interprétation; introductions historiques; classification.

J'ai traduit sur le texte de Bekker la plupart des discours délibératifs et des plaidoyers politiques. Malgré le mérite incontestable de son travail, Bekker déplace quelquefois les mots arbitrairement, et affectionne un peu trop l'ellipse. Un autre inconvénient, mais nul pour le traducteur, c'est une profusion des euphoniques, d'élisions hasardées, même de désinences poétiques : système suggéré peut-être au savant éditeur par un manuscrit de Bavière, qu'il préfère, dans plus d'un cas douteux, à la majorité des autres manuscrits. J'ai donc consulté aussi les hellénistes qui, dans ces dernières années, ont revu, totalement ou en partie, le travail de Bekker, marchant sur ses traces, ou s'écartant de sa manière, ou collationnant des manuscrits qui lui avaient échappé (04) : Dobson, dont la grande et belle édition manque d'unité; Töpffer, Reuter, Voemel, Bremi, Frotscher, F. A. Wolf, les deux Buttmann, Harless, Wunderlich, etc. En tête des notes de chaque discours, j'indique l'édition spéciale qui m'a servi de base; et celles qui m'ont simplement aidé. Presque tous les plaidoyers pour affaires civiles ont été traduits sur le texte de Reiske, revu par le bon et savant M. Planche, et par mon illustre maître, M. Boissonade.

Quant à l'interprétation, voici la règle que j'ai suivie. Dans tous les passages obscurs, j'ai recouru d'abord aux anciennes autorités. Ce sont :

II Démosthène lui-même : rapprochements qui éclaircissent le sens, surtout dans le recueil d'exordes, et, en général, toutes les fois que l'orateur se répète avec des variantes. Pour Eschine, même procédé.

L'exégèse d'Ulpien : assez pauvre ressource. Ce compilateur, qui, par ces citations de Généthlios, de Didyme (05), du grammairien Ménandre, et de quelques autres anciens interprètes des orateurs, semble avoir rédigé un commentaire variorum, n'est souvent qu'un bavard ignorant et brouillon.

Les scolies supplémentaires réunies par Dobson, t. x et xii de ses Oratores Attici; le lexique d'Harpocration.

Les arguments de Libanius, et les imitations nombreuses que présentent ses Declamationes Demosthenicæ; les arguments grecs anonymes, les Declamationes Leptineae d'Élius Aristide.

Enfin, les citations des critiques et des rhéteurs anciens, toutes les fois qu'elles peuvent débrouiller le sens des morceaux cités; et même, Thucydide, Isocrate, Salluste et Cicéron, pour plusieurs phrases controversées, où Démosthène imite les deux premiers, et est imité par les deux autres.

Pour la partie historique et géographique de ces éclaircissements, j'ai consulté surtout Thucydide, Xénophon, Diodore, liv. xvi, etc.; Strabon et Pausanias.

Souvent ces secours m'ont suffi. Quand ils étaient impuissants, préférant les conjectures des autres aux miennes, j'ai recouru, avec choix, aux travaux des éditeurs et des traducteurs modernes. Toutes les dissertations du recueil de Dobson, plusieurs traités récents de Schömann, de Westermann, de Winiewski, ont été lus avec soin; et Böckh, qui, dans son excellent livre sur l'Économie politique des Athéniens, cite et explique souvent Démosthène, a prêté pour la première fois à un traducteur français l'appui le plus utile.

Mais tous ces documents n'auraient pu produire encore un résultat certain, si je n'avais eu un guide pour me diriger, un conseiller judicieux pour les coordonner. J'ai trouvé l'un et l'autre dans le vénérable Schaefer, dont l'Apparatus a été constamment sous mes yeux (06).

J'ai dit plus haut comment je comprenais la possibilité et l'utilité d'une traduction française de Démosthène. Ajoutons ici que ce qui m'a soutenu dans mon travail sur les harangues et sur les plaidoyers politiques, c'est la grandeur du sujet, c'est cette force de l'orateur qui, indépendamment de sa grave austère (07), demeure, même dans de médiocres versions, sa propriété inaliénable. Là, j'ai eu pour principe de faire revivre l'esprit par la lettre, et je me suis tenu aussi près du texte que le permet peut-être notre langue. Il n'en a pas été de même, je l'avoue, des plaidoyers civils. Ici, traducteur et lecteur ne sont plus soutenus par l'intérêt de la lutte; Démosthène, toujours précis, descend des hauteurs de son génie, et prête sa voix ou seulement sa plume à de petites passions, à des intérêts secondaires, que nous rabaisserions encore si nous allions aujourd'hui calquer son langage. « Il offre la perfection du talent de l'avocat, la justesse et la vivacité de la discussion, l'adresse du raisonnement, et quelquefois du sophisme, l'art de saisir et d'employer les circonstances; mais les procès, les lois, les moeurs des Athéniens sont si loin de nous, que cette lecture devient froide et pénible (08). » Elle le deviendrait bien plus encore par une rigoureuse fidélité de détails. Dans cette partie, je me suis donc écarté de la lettre; mais j'ai taché de le faire avec mesure (09).

Lorsque je commençai cette traduction, je fus vivement frappé d'une idée à laquelle aucun de mes devanciers ne semblait s'être arrêté : c'est que toutes ces harangues, sauf quelques altérations probables de rhéteur, sont des faits historiques. Lorsque nous lisons, dans Thucydide ou dans Tite-Live, un discours prononcé à la tribune, qu'est-ce qui nous en donne l'intelligence ? n'est-ce pas le récit qui le précède, et le récit qui le suit? La harangue antique est là à sa vraie place, au milieu des événements qu'elle amène, détourne ou modifie. Où est le Tite-Live, où est le Thucydide qui rend ainsi agissante la parole de Démosthène? Il n'existe pas pour nous (10). Ces discours, tout palpitants de passions contemporaines, nous sont parvenus détachés, sans ordre chronologique, à peine précédés de quelques maigres arguments de rhéteur. On a fait, de nos jours, l'Histoire Parlementaire de la révolution française pour replacer les harangues de Démosthène dans leur vrai jour; j'ai essayé l'Histoire oratoire de la résistance d'Athènes contre Philippe. Tous les discours délibératifs ont été rangés dans l'ordre des temps, et chacun d'eux est annoncé par une introduction historique. L'un de ces courts préambules continue l'autre; et leur ensemble offre un tableau complet des annales grecques, surtout de la républi- III que athénienne, pendant plus de trente ans, depuis la fin de la guerre Sociale jusqu'à la mort d'Alexandre. C'est aux sources même que j'ai puisé; et, autant que mes faibles moyens l'ont permis, j'ai tâché de reproduire, sans jamais forcer la vérité, cette manière vive, dramatique, pittoresque, qui anime notre moderne école historique.

Ces introductions contiennent aussi une rapide analyse de chaque discours; et, quand la nature du sujet ou l'étendue du morceau l'a demandé, l'économie générale de la harangue a été présentée en un tableau synoptique, à la manière des tables analytiques du Cicéron de Desjardins.

Des notes étaient indispensables. J'y présente de brèves explications, les variantes les plus remarquables, la simple indication de quelques rapprochements nouveaux avec l'éloquence moderne, le droit romain et nos codes.

C'est aussi par la classification que notre travail est entièrement neuf. Pour la première fois, dans une traduction complète des deux plus grands orateurs attiques, on trouvera réalisée la division savante et méthodique de G. Becker, dont je vais rendre compte.

Il existe de Démosthène 61 discours, 65 exordes et 6 lettres; d'Eschine, 3 discours, et 12 lettres que l'on croit supposées.

Seize discours sont du genre délibératif, λόγοι συμβουλεύτικοι : nous les appellerons Harangues politiques. Voilà notre Première Partie. L'ordre chronologique a présidé à la distribution de détail : le bon sens et l'intérêt historique l'exigeaient ainsi.

La Seconde Partie se compose de quinze Plaidoyers politiques, κατηγόριαι. Le même ordre y a été observé. Chaque fois qu'Eschine, accusateur de Timarque, de Ctésiphon, ou son propre apologiste, entre en lice avec Démosthène, je remets les deux athlètes face à face.

La confusion la plus grande a régné jusqu'ici dans les Plaidoyers pour causes privées, δίκαι, qui forment notre Troisième Partie. D'après les divers genres d'affaires, nous les avons rangés sous sept chefs : I. Procès de Démosthène contre ses tuteurs, 5 plaidoyers. — II. Fins de non-recevoir, 7. — III. Affaires de succession et de dot, 4. — IV. Affaires de commerce et de dettes, 3. — V. Actions en indemnités, 5. -- VI. Plaintes pour faux témoignage, 3. — VII. Réclamations au sujet de l'échange de fortune, et des charges navales, 3. -- En tout, 30 plaidoyers.

Nous avons rassemblé dans une Quatrième Partie deux Discours d'apparat, ἐπιδείκτικοι λόγοι, mis sous le nom de Démosthène, les Exordes et les Lettres.

SECONDE SECTION.

Des Traductions françaises de Démosthène.

Qu'il nous soit permis de jeter un coup d'oeil  rapide, mais complet, sur nos devanciers.

Le premier nom qui s'offre à nous dans l'ordre des temps, est celui de Jacques Perrion : Les deux Oraisons d'Æschines et Démosthenes pour et contre Ctesiphon. Paris, 1544, in-40. Cette version, que je ne connais que sur l'indication d'un savant étranger (11), serait postérieure de dix années seulement à notre plus ancienne traduction de Cicéron (celle du Discours pour Marcellus, par Ant. l'Esleu Macault).

2. Les quatre Philippiques de Demosthenes, traduites par Jean Lalemant. Paris, 1549, In-8.

3. Deux années après, Loys-le-Roy publia les trois Oraisons dites Olynthiaques, avec notes, à la suite du Timée de Platon. Paris; Vascosan, in-4°.(12). Avant d'être professeur de langue grecque au Collége de France, récemment fondé, Le Roy avait souvent emporté Démosthène dans ses voyages et à la suite des années. Les épigrammes de Joachim du Bellay firent trop promptement oublier que le nombre et l'harmonie de notre prose commencèrent à éclore sous la plume de ce docte humaniste. En 1675, il ajouta à son travail les quatre Philippiques.

4. Rapport des deux princes de l'éloquence grecque et latine, Démosthene et Cicero, à la traduction d'aucunes leurs Philippiques, par Jean Papon. Lyon, 1654, in-8°. Ce maître des requêtes de Catherine de Médicis était un bon homme, médiocre savant, et écrivain baroque.

6. Les Oraisons et Harangues de Demosthene, prince des orateurs grecs, sur le faict et conseil des guerres contre Philippe, roy de Macédoine, etc., le tout traduict du grec en françois, par Gervais de Tournay, scholastic et chanoine de Soissons, 2 vol. in-12. Paris 1579 (13). Tome I : Olynthiaques ; 1er Philipp.; la Paix ; 2e Phil.; l'Halonese ; la Cherrhonese ; les 3e et 4e Phil.; l'Epistre de Philippe aux Athéniens, avec l'Oraison responsive ; de l'Ordre en la Seigneurie d'Athènes (περὶ Συμμορῶν) ; pour obviler au Roy de Perse (περὶ Συντάξεως) ; Liberté rhodienne ; Mégalopolitains; Traictez de paix avec Alexandre. Tome II : Oraison d'Æschines contre Ctesiphon ; de Demosthene pour Ctes.; contre Aeschines accusé de fausse legation ; réponse d'Aeschines. Traduction beaucoup plus considérable que les précédentes. On y voit un premier essai d'ordre chronologique. IV Souvent obscur et trivial, Tournay rend parfois le mouvement de son auteur avec une énergie littérale, et d'heureuses ellipses qui seraient téméraires aujourd'hui. Ses équivalents burlesques doivent lui être pardonnés, en faveur des ducs d'Athènes et des princes d'Ithaque, qui peut-être subsistaient encore. Malgré son mérite, on ne se douterait pas, en le lisant, que depuis vingt ans Amyot avait donné son Plutarque.

6. Oraisons d'Eschine et Démosthène sur la Couronne, par Guillaume Duvair. Paris,1593 ; réimprimé plusieurs ibis. Le vénérable évêque de Lisieux, le vertueux chancelier, l'ami de Henri IV, élève parfois notre prose, naïve encore, à la dignité de la tribune. Sa version est simple, et que toujours d'une fidélité littérale. Sauf quelques erreurs, que les progrès d'une critique savante pouvaient seuls faire éviter, Duvair ouvrait la véritable route : mais on ne devait y rentrer que bien longtemps après lui.

7. Traduction des Philippiques de Démosthène, d'une des Verrines de Cicéron (la 4e), avec, etc., par François de Maucroix; - Paris, 1685, in-12. Boileau, à qui Démosthène faisait tomber la plume des mains, revit, dit-on, cette traduction du tendre abbé, qui reparut, sous un autre titre, en 1712. Elle n'en devint pas plus fidèle. La manière académique commence à s'y faire sentir. Nous rétrogradons : il était peut-être moins difficile de traduire Démosthène au temps de la Réforme et de la Ligue, que sous Louis XIV.

8. Jacques de Tourreil, après avoir remporté deux prix à l'Académie Française, publia, en 1691, une version de la 1ere Philippique, des trois Olynthiennes, et de la Harangue sur la Paix. L'emphase et le faux goût y dominaient. Pouvait-on mieux attendre du jeune jurisconsulte qui, dans de graves traités, appelait un exploit un compliment timbré; un salaire, une reconnaissance monnayée? Tourreil, savant sans avoir le sentiment de l'éloquence antique, refit son travail et l'augmenta. Cette fois, 1701, il s'était prescrit des lois un peu plus sévères; ce qui n'empêcha pas Racine de s'écrier : « Le bourreau ! il fera tant qu'il donnera de l'esprit à Démosthène. » En effet, l'or du bon sens, suivant l'expression de Boileau, était encore converti en clinquant. Les quinze dernières années de la vie du patient académicien se consumèrent à recommencer encore, à polir, à limer son oeuvre favorite. La dernière édition est de 1721. Tourreil était compatriote de La Calprenède : il ne comprit jamais la simplicité de son modèle ;

Tout a l'humeur gasconne en un auteur gascon :
Démosthène et Tourreil parlent du même ton.

Mais son commentaire renferme des choses excellentes. Aujourd'hui encore, des philologues allemands lui font l'honneur de le citer. Cesarotti et un des derniers traducteurs français ont reproduit sa préface historique en tête de leur Démosthènes. C'était, en effet, le tableau le plus animé qu'on eût encore tracé des révolutions de la Grèce.

9. « Les manuscrits de l'abbé de Maucroix, dit M. Barbier (Anonymes, n° 13323) ayant été confiés à l'abbé d' Olivet, celui-ci les trouva si
imparfaits qu'il ne conserva pas une seule de ses phrases.
» Ainsi refondue, la version de Maucroix fut insérée parmi ses oeuvres posthumes, 1710, et d'Olivet finit par s'en avouer l'auteur en la joignant à sa traduction des Catilinaires, Paris, 1727, in-12. Enthousiaste de Cicéron dont il a bien mérité, grammairien français estimable, d'Olivet savait médiocrement le grec. Sa phrase ne manque ni de fermeté ni de précision; mais elle est saccadée, et souvent gâtée par la pire affectation, celle de la simplicité.

10. Un véritable helléniste, Gédéon Le Cointe, qui a laissé d'honorables souvenirs dans la chaire évangélique, publia, en 1756, la Harangue sur les Immunités. Protestant et républicain, le bibliothécaire de Genève demandait à l'antique éloquence quelques accents d'indignation pour lancer l'anathème sur les auteurs de la révocation de l'Édit de Nantes : c'était, en France comme à l'étranger, le thème favori des esprits indépendants. Le Cointe ne nous a donc laissé qu'une bonne étude sur Démosthène; son texte, imprimé à Göttingue, et ses notes valent même mieux que sa version.

11. Huit ans plus tard, l'abbé Millet reproduisait, en style pâle et décharné, les deux harangues sur la Couronne. Un louable effort se fait cependant sentir dans cette nouvelle tentative : c'est le soin constant d'éviter la prolixité. On a dit que Millot serrait de près son modèle : de fort près, certes, car il l'étouffe, il l'étrangle ; il copie les anciens comme il écrit l'histoire moderne, par petites incises. Cela n'est ni oratoire, ni antique.

12. Ne demandons pas non plus ces qualités à Auger. L'infatigable traducteur d'Isocrate, de Lysias, d'Isée, d'Andocide, de Cicéron, de saint Jean Chrysostôme, fut encore, pour Eschine et Démosthène, éditeur, commentateur, traducteur. Son édition grecque-latine de 1790, in-4°, s'arrêta au 1er volume, Le grand-vicaire in partibus Atheniensium savait beaucoup de grec ; mais la rapidité de son travail et le défaut de critique percent dans ses notes et dans le choix des variantes. Sa version, qui parut, pour la première fois, en 1777, est à peu près complète. « Bien différent de Tourreil, qui le plus souvent donnait de l'es- V prit à Démosthène, Auger lui en ôta quelquefois ; cependant son désir de terminer honorablement une pareille entreprise était si ardent que, nommé curé pendant qu'il s'en occupait, il refusa en disant : Et qui traduira Démosthène? On prétend qu'il fut secondé par M. de Noé, évêque de Lescar.... Aussi disait-on que, si cette traduction avait quelques traits de force, tous ces traitslà étaient de Monseigneur (14). » Le bon Auger est aussi verbeux que Millot est concis : deux excès qui défigurent également leur modèle.

13. La révolution éclatait, et la France venait de conquérir une tribune politique. Un nouveau traducteur, non moins fécond qu'Auger, mais d'une ignorance étrange, Gin, crut le moment favorable : il se hâta de lancer deux volumes de Harangues choisies (1790 et 91 ). Contre-sens
perpétuel ! Après tout, tant de bévues durent peu choquer un public qui, par un contre-sens en action, s'habillait à la grecque.

14. «Les traductions fréquemment semées dans le Cours de Littérature de La Harpe sont remplies des fautes les plus graves, les plus inattendues ; l'esprit antique y est sans cesse altéré, et la pensée de l'original, souvent défigurée par les plus singulières inadvertances Dans son analyse, d'ailleurs éloquente, de Démosthène, La Harpe commet une erreur continue, c'est de faire ressembler Démosthène à un écrivain élégant du dix-huitième siècle. Est-ce Démosthène qui a dit,. au milieu d'un mouvement fort animé : « Le succès est dans la main des dieux ; l'intention est dans le coeur du citoyen? » Non, certes ; Démosthène, dans toute sa vie, n'a pas fait une semblable antithèse (15). » Cette critique est juste. Me sera-t-il cependant permis d'ajouter qu'après Fénelon La Harpe a, le premier, fait sentir, parmi nous, le mouvement démosthénique? Sa version de la Chersonèse a de l'élan; malgré les contre-sens et les paraphrases, l'argumentation oratoire est serrée; et la raison passionnée commence à trouver un écho moins infidèle.

15. Essais sur Démosthène et sur son éloquence, contenant une traduction des Harangues pour Olynthe, avec le texte, des considérations sur les beautés des pensées et du style de l'orateur athénien. Paris, 1814 ; in-8°. Ce travail remonte à 1810, et fat fait aux lies Ioniennes, par M. Charles Dupin.

16. Ouuvres compl. de Dém. et d'Eschine, en grec et en français; trad. de l'abbé Auger; nouv. édit., revue et corrigée par J. Planche ; 10 vol. in-8°; 1819 -- 1821. -- Texte très correct. Les quatre premières Philippiques, la neuvième et la dixième, sont traduites par le savant éditeur.

Quelques parties de la traduction d'Auger ont subi, dans ces dernières années, d'autres révisions. Citons seulement le Discours sur la Couronne, retouché par M. Belèse. Paris, 1829.

17. Dans la nouvelle édition d'Auger, t. Il, M. A. Bignan a traduit la harangue pour la Liberté des Rhodiens.

18. Chefs-d'oeuvre de Dém. et d'Esch., nouvelle trad., avec disc. préliminaire, notes et analyses ; par M. l'abbé Jager; 3 vol. in-8° ; Paris,
1834. -1840.

19. La dernière partie du tome 2 de M. Jager est consacrée au Plaidoyer contre Midias, dont la version est de M. Delalle.

20. Harangues sur la Couronne, traduites par P. A. Plougouim. Paris, 1834.(16).

Chacune de ces dernières traductions se distingue par un mérite particulier, auquel je m'empresse de rendre hommage. Leurs auteurs sont vivants : je dois donc m'interdire l'éloge presque aussi sévèrement que la critique. Si le premier est absolu, il est faux ; il semblerait demander à mes devanciers mutuam dissimulationem mali.  Si je le restreins, on croira voir tomber un blâme jaloux sur tout ce que je ne loue pas. J'ai profité de tous ces estimables travaux ; et je dois faire remarquer, ne fût-ce que par reconnaissance, la réforme de bon goût tentée par M. Plougoulm : le tour correct s'unit presque toujours, sous sa plume, au sentiment vrai de la simplicité antique. C'est la manière de Duvair, appliquée à l'état actuel de notre langue (17).

21. Les mêmes, avec introd. notes, etc. trad. par J. F. Stiévenart. Paris, 1840.

IIIe SECTION.

Principaux événements de la Grèce, depuis la paix d'Antalcidas jusqu'à la première tentative de Philippe contre les Thermopyles.

Artaxerxès-Mnémon, en imposant aux Grecs le traité honteux d'Antalcidas (18), avait brisé ces confié- VI dérations devenues une partie essentielle de leur constitution générale et la sauvegarde de leur indépendance, et replace sous son sceptre les belles colonies grecques d'Asie. Le sage Evagoras, après  avoir seul protesté, dans son petit royaume de Cypre, les armes à la main, avait lui-même fait sa soumission. Sparte, qui fomentait de nouveaux troubles dans le Péloponnèse, attaque bientôt et détruit Mantinée, décime les chefs de la démocratie à Phlionte, porte, à plusieurs reprises, ses armes dans le nord, soumet Olynthe, laisse les Barbares s'agrandir en Macédoine comme en Perse, et s'empare, en pleine paix, de la citadelle de Thèbes ( 383 av. J. C.) Après cinq années d'oppression, la liberté thébaine se relève à la voix d'un exilé : Pélopidas apprend à ses lourds et patients concitoyens le secret de leurs forces; le disciple du pythagoricien Lysis, Épaminondas, en dirige l'emploi. Dès lors, Thèbes, à son tour, aspire à la prééminence. La guerre, qui se faisait sous ses murs, elle la refoule au fond de la Laconie. Sur l'une et l'autre mer, Chabrias, Iphicrate, Timothée écrasent les flottes lacédémoniennes. Malgré l'intrépidité vigilante du vieil Agésilas, la médiation de Jason, Tage de Thessalie, les secours envoyés par Denys I aux Spartiates comme Doriens, malgré l'alliance même d'Athènes, devenue attentive à maintenir l'équilibre entre les Mats helléniques, Lacédémone, abandonnée de ses alliés, expie à Mantinée sa perfide ambition (363 ). Les tentatives réitérées du Grand Roi pour pacifier la Grèce, et la lancer sur l'Égypte révoltée contre lui ; la destruction des principales cités béotiennes, par la féroce politique des Thébains ; la démocratie ramenée dans le Péloponnèse, à la suite de leur invincible bataillon Sacré; Messène, Mégalopolis, élevées, comme deux fortes barrières, contre les envahissements de Sparte ; les paisibles montagnards d'Arcadie, belliqueux à leur tour, et arbitres de la Grèce méridionale; un rayon de civilisation commençant à luire sur la sauvage Thessalie; l'habile gouvernement, les conquêtes, les grandes vues de Jason, ce précurseur de Philippe, assassiné, comme lui, au milieu de ses projets ; la Sicile en proie tour à tour aux Carthaginois, à ses tyrans, à une liberté frénétique : voilà les incidents les plus saillants qui dans les trente premières années de la vie de Démosthène, s'étalent précipités peur compliquer tant de grands événements sur ce sol mouvant de la Grèce, sur cette terre des commotions politiques. Les plus récents, n'en doutons pas, avaient fixé l'attention du jeune orateur, livré à la double étude de l'éloquence et des faits contemporains (19). Parmi ces faits, il en est un cependant qui avait d'abord passé inaperçu : lorsque Pélopidas eut réconcilié Perdiccas III avec Ptolémée, et admis la Macédoine dans l'alliance de Thèbes, il reçut en otage et emmena dans la maison du père d'Épaminondas un enfant de quinze ans ( 365) : cet enfant, c'était Philippe.

La grandeur thébaine avait commencé et fini avec le duumvirat de Pélopidas et d'Épaminondas ; Thèbes et Lacédémone, après leur lutte acharnée, étaient tombées en langueur. Alors le conseil des Amphictyons, auquel la marche des événements avait substitué, depuis plus d'un siècle, des congrès tenus dans ces deux villes, à Athènes, et même en Perse, recouvra son antique autorité. L'union fédérative parut se resserrer, et des circonstances favorables ranimèrent l'ambition des Athéniens. Les côtes lointaines de la Thrace et de l'Asie appelèrent leurs flottes; l'Eubée, qu'ils convoitaient, les reçut comme des libérateurs. De Rhodes au Bosphore, plusieurs places, le long des deux côtes, se soumirent à leurs amiraux ; les Cyclades, Corcyre, Byzance rentrèrent dans leur confédération. Ainsi, les jeunes amis de l'éloquence et de la liberté voyaient avec joie leur patrie ressaisir son ancien empire sur la Grèce : mais les vices publics et privés des Athéniens, plus encore que la jalousie des autres peuples, menaçaient cet empire d'une courte durée; et le poète comique aurait pu s'écrier encore :

Ὦ πόλις, πόλις, ῾ψς εὐτυχεῖς μᾶλλον ἢ καλῶς φρονεῖς (20) !

Charès, général heureux dans les coups de main, d'ailleurs paresseux et ignorant, était devenu l'idole de la multitude. Ses conseils de rapine sur les alliés et les colonies furent trop fidèlement suivis. Chios, Rhodes, Cos, Byzance se révoltèrent (368). Alors commença cette guerre Sociale qui dura deux ans, coûta la vie à Chabrias, éloigna de leur patrie Timothée et Iphicrate injustement accusés, et vainement défendus, le premier par son éloquence, le second par son audace, ne laissa aux Athéniens que le dernier de leurs grands généraux, Phocion, bien jeune encore, et se termina par l'indépendance des alliés, reconnue à la voix menaçante d'Artaxerxès-Ochus, le sanguinaire successeur de Mnémon.

Pendant son séjour à Thèbes, le jeune Philippe avait pu observer les mouvements de la Grèce, et en démêler les premiers ressorts dans le génie d'Épaminondas. Il avait visité les principales villes, étudié les Athéniens dans Athènes, appris à les estimer dans ce qu'ils avaient encore d'admirable, et peut- VII être à ne pas les craindre. Ainsi, cette Grèce, qui façonna la Macédoine avant de subir son joug, comme, un siècle et demi plus tard, elle envahit par ses idées Rome qui l'avait envahie par ses armes, fut l'institutrice de son futur conquérant. Le beau, le séduisant prince étranger put rencontrer à l'école de Platon un jeune homme d'assez mauvaise mine, dont la voix faible prononçait le grec moins purement que lui : mais, sans doute il ne devinait pas l'antagoniste à la parole puissante, qu'il devait tant redouter un jour.

Furtivement accouru dans sa patrie, après la mort de Perdiccas III, il l'avait trouvée déchirée au dedans et terriblement menacée au dehors. Le poignard d'Eurydice, sa mère ; les révoltes des Grands ; deux princes de son sang ressaisissant avec ardeur l'occasion de régner ; le vieux Bardyllis, cet intrépide brigand, qui venait d'écraser avec ses Illyriens les meilleures troupes macédoniennes ; les Péoniens envahissant déjà les provinces septentrionales ; la Thrace armée pour placer sur le trône Pausanias, furieux de son double exil ; enfin, une flotte athénienne appuyant les prétentions d'Argée à une couronne qu'il avait déjà usurpée : tels sont les périls dont s'étaient vus entourés un roi au berceau et un régent de vingt et un ans (360). Philippe jette un peu d'or au roi de Thrace, et Pausanias rentre dans le néant. Il bat les Athéniens près de Méthone, les renvoie sans rançon, et se débarrasse d'Argée en déclarant libre la ville d'Amphipolis (359) conquise par Perdiccas, et promise par le prétendant aux Athéniens. La paix conclue avec ces derniers, il fait parler les oracles, qui déjà philippisaient, et il prend le titre de roi. Vainqueur des Péoniens dans de petits combats, il augmente, discipline son armée, crée la phalange, cette bête monstrueuse qui se hérissait de toutes parts, ce corps redoutable où la force de six mille lances se trouvait portée à une merveilleuse unité (21) ; il institue enfin le corps des Pézétéres ou Compagnons, qui donna tant d'habiles capitaines à la Macédoine. Puis il charge avec fureur les farouches Illyriens, en tue sept mille avec leur chef, et recule jusqu'au lac Lychnidos (22) la limite occidentale de son empire. Alors les Grands intimidés cessèrent de troubler la Macédoine par leurs séditions, et Eurydice par ses assassinats.

Bientôt s'offrit à Philippe l'occasion de se glisser à travers les débats de ses voisins. Kotys, chef des Odryses, en Thrace, avait soumis la Chersonèse (23), ancienne possession des Athéniens. Après le meurtre de ce prince, fol amant de Minerve, ses trois fils, Bérisadès, Amadocos, Kersobleptès, soumettent à l'arbitrage d'Athènes leurs prétentions respectives. Athènes fait le partage, et s'adjuge la Chersonèse, qu'elle ne recouvre qu'après de longs débats et la reconnaissance de Kersobleptès comme unique héritier de la tente royale (353). Amadocos porta son mécontentement à la cour de Philippe, qui déjà pensait à dépouiller Kersobleptès, et qui appuya les villes de la Chersonèse opposées à la domination athénienne.

Vers la même époque, Thèbes et Athènes se disputaient l'île d'Eubée, agitée par les sourdes intrigues de Philippe. Lancés par Timothée, l'heureux preneur de villes, les Athéniens en eurent bientôt chassé les Thébains. A leur retour, ils trouvèrent dans Athènes Hiérax et Stratoclès, députés accourus d'Amphipolis pour reconnaître leur domination, en échange des secours qu'ils leur demandaient contre Philippe. Arrêtons-nous ici : le nom d'Amphipolis reparaît souvent dans les harangues de Démosthène.

Cette ville, enfermée dans une île du Strymon, près de l'embouchure de ce fleuve, dans la contrée dite des Neuf-Chemins, recut son nom (Ville entourée) d'Agnon (24) fils de Nicias. La culture des lettres, un magnifique temple de Diane, un sol fertile, des mines d'or et d'argent, quelques victoires, surtout l'entrepôt du commerce de laines et de mature de la haute Thrace par le port et la citadelle d' fion, firent d'Amphipolis une des plus importantes places du Nord. Habitée d'abord par des dons, auxquels se joignirent quelques marchands grecs d'Europe et d'Asie, elle reçut Cimon lorsqu'il délivra ces contrées de la présence des Perses. Trois colonies athéniennes y furent successivement envoyées ( 469, 464, 446) : les deux premières furent massacrées; la troisième, toujours repoussée, ne put s'établir. Agnon s'en empara et la fortifia (437). Treize ans après, le Spartiate Brasidas vint l'enlever aux Athéniens, et, chose bien rare, il y fit aimer le joug de Lacédémone. Le traité de Nicias (421) rendit, malgré elle, cette république oligarchique aux Athéniens, dont elle secoua le joug après s'être constituée en démocratie. Sa conquête, manquée par Iphicrate (370), fut effectuée cinq ans plus tard par Perdiccas III, jaloux de donner à ses provinces orientales une frontière imposante.

Nous avons vu que Philippe, faible encore, ne voulut ni garder cette ville, ni la livrer aux Athéniens; il proclama son indépendance, comptant sur les retours de l'avenir. Il paraît qu'Amphipolis alors entra dans la confédération olynthienne. Iphicrate revint promptement l'assiéger ; mais, rappelé par ses concitoyens mécontents, il la vit s'échapper de ses mains. Timothée, qui le remplaça, ne fut pas plus heureux, grâce à la trahison de Charidème d'Oréos, chef de bandes mercenaires. Athènes alors recourt à des négociations. Ses députés, Antiphon et un autre Charidème, promettent secrètement à Philippe de lui livrer Pydna, s'il aide leur patrie à soumettre une colonie rebelle. Le rusé monarque affecte de se plaindre hautement des Amphipolitains, emporte leur ville d'assaut (358), après avoir paralysé les efforts de leur députation auprès des Athéniens, auxquels il répétait qu'il ne VIII travaillait que pour eux; et, fort de ses premiers 6uccès, trompant à la fois les Olynthiens et Athènes, il garde pour lui sa précieuse conquête. Depuis ce temps, le nom d'Amphipolis devint le cri de guerre des orateurs athéniens opposés à Philippe.

Bientôt ses intrigues lui livrent Pydna, ses armes Potidée (357); et, pour s'attacher les Olynthiens, il leur remet ces deux villes avec Anthémonte, place au N.-E. de Pella, qui avait toujours appartenu aux rois de Macédoine. Pydna et Potidée (25), colonies corinthiennes dans la délicieuse Piérie et sur l'isthme de Pallène, avaient été soumises par Timothée. Philippe prend ensuite Crénides, dépendance de Thasos, dans le mont Pangée ; il y établit une colonie de Macédoniens, qui donnent à la ville le nom de Philippi, et il fait exploiter ses mines d'or abandonnées, qui bientôt lui rapportent par année plus de six millions de nos francs.

« Pour dissiper les alarmes des Athéniens, le prince ne pousse pas plus loin ses succès dans la Thrace. Il accorde sa protection aux Thessaliens qui l'implorent contre la tyrannie des meurtriers et des successeurs d'Alexandre de Phères. Il détruit leur pouvoir despotique : la reconnaissance des thessaliens augmente ses richesses; ils lui abandonnent des revenus considérables, et lui ouvrent leurs ports sur le golfe Thermaïque (26) » Philippe épouse ensuite Olympias, triomphe en Illyrie par l'épée. de Parménion, réprime la Péonie et la Thrace; et la naissance d'Alexandre vient mettre le comble à sa prospérité (356). Dans le projet de dominer la Grèce, son génie fut merveilleusement secondé par deux guerres qui occupèrent treize ans les forces des Athéniens et des principaux États helléniques. La première était la guerre Sociale : nous en avons parlé ; l'autre est connue sous le nom de seconde guerre Sacrée.

« Le conseil amphictyonique, qui fut presque toujours impuissant pour prévenir les guerres, sert l'inimitié des Thébains contre les Lacédémoniens et les Phocidiens, condamne ces deux peuples comme parjures et comme sacrilèges, et donne lieu aux plus cruelles hostilités. Philomélos, un des principaux habitants de la Phocide, arme ses concitoyens contre l'autorité des Amphictyons, trouve des secours à Sparte, défait les Locriens, s'empare de Delphes, et arrache des colonnes sacrées le décret que les Thébains ont obtenu contre sa patrie. La guerre devient alors générale dans la Grèce.... Béotiens, Locriens, Thessaliens, Perrhèbes, Doriens, Dolopes, Athamanes, et quelques cités moins importantes, prennent les armes pour maintenir l'autorité des Amphictyons. Les Phocidiens comptent pour alliés les Lacédémoniens, les Athéniens et plusieurs peuples du Péloponnèse. Avec les trésors qu'il enlève au temple de Delphes, Philomélos soudoie dix mille mercenaires, et soutient pendant deux ans la guerre contre les Thébains et les Locriens avec des succès balancés ; mais il est vaincu dans les montagnes de la Phocide, et se donne la mort (353). Onomarque, son frère, lui succède, rassemble de nouvelles troupes, met la division parmi ses ennemis, confisque les biens des Phocidiens qui s'opposent à la guerre, se rend maître de Thronium, réduit les habitants d'Amphissa, ravage les terres des Doriens, pénètre dans la Béotie, s'empare d'Orchomène et menace Chéronée : mais, vaincu par les Thébains, il est réduit à prendre la fuite.

Les Athéniens, alors occupés des affaires de la Thrace et des entreprises de Philippe, ne portaient qu'un intérêt secondaire à la guerre Sacrée. Ils infestaient les côtes de la Macédoine; Philippe, ayant créé une marine, subjuguait les îles d'Imbros et de Leinnos, abordait sur la côte de Marathon, et enlevait aux Athéniens la galère Paralienne.... Sestos voulut échapper à leur domination, mais fut réduit par Charès, tandis que Philippe se rendait maître de Méthone, détruisait ses fortifications, et distribuait son territoire à ses soldats.

Phayllos envahissait la Thessalie dans le même temps qu'Onomarque, son frère, désolait la Béotie; mais il y trouvait Philippe, auquel les villes opprimées par la tyrannie de Lycophron, avaient déféré le protectorat que Pélopidas avait exercé quelques années auparavant. Philippe défait Phayllos, et le rejette dans les montagnes de la Phocide. Onomarque accourt, oppose plus de résistance, fait éprouver quelques pertes aux Macédoniens dans deux actions consécutives. L'année suivante, 352, son armée est taillée en pièces ; Onomarque et six mille Phocidiens restent sur le champ de bataille, trois mille sont jetés à la mer comme sacrilèges. Phayllos prend alors la direction générale de la guerre, qu'il poursuit avec énergie. Lacédémone, Athènes, l'Achaïe, secondent ses efforts ; les Thessaliens lui envoient deux mille hommes, malgré les derniers succès de Philippe. L'appât des richesses du temple de Delphes attire sous ses drapeaux des soldats de toutes les villes. Cependant les Béotiens repoussent victorieusement la nouvelle invasion des Phocidiens qui sont défaits trois fois près d'Orchomène, du Céphisse et de Coronée. Phayllos succombe à une maladie cruelle; Phaloecos, fils de Philomélos, et Mnaséas sont chargés de cette guerre funeste à tant de chefs : ils sont vaincus l'un et l'autre, et tués peu de temps après par les Béotiens. Tant de désastres portent le découragement chez les Phocidiens, et semblent un châtiment du ciel aux yeux d'un peuple dont la superstition s'accroît dans l'infortune (352). Dans le même temps, Philippe, sous prétexte de pénétrer dans la Phocide pour en châtier les habitants, essaye de s'emparer des Thermopyles : mais des troupes athéniennes, que Nausiclès conduisait au secours des Phocidiens, rendent cette tentative inutile (27) .

IX IVe SECTION.

Des partis politiques â Athènes, pendant la résistance à Philippe et à Alexandre.

A tous les graves événements que nous venons de parcourir le talent de la parole avait eu autant de part que les notes diplomatiques et la correspondance des cabinets en prennent aux destinées actuelles de l'Europe. Le grand coup était porté : Philippe aux Thermopyles venait de montrer à la Grèce émue les fers qu'il lui préparait depuis longtemps. L'or et les intrigues qui précédaient toujours ses armes, avaient déjà semé la division parmi les Athéniens, avides à saisir l'occasion de se déchirer mutuellement. Alors, plus fortement que jamais, les factions se dessinèrent; et que penser d'un peuple auquel le sentiment d'un danger commun n'avait pu rendre la paix intérieure? Chacune de ces factions eut ses chefs, ses représentants à la tribune et dans les cités travaillées des mêmes dissensions.

Lorsque, dans cette crise, on cherche à embrasser d'un coup d'oeil toutes les nuances de l'opinion et de la puissance publiques, on est d'abord frappé de la nullité du pouvoir exécutif, qui, dans les autres États helléniques, conserve sur l'esprit du peuple une légitime influence. Les archontes ne sont désignés par les orateurs que pour date, à peu près comme les saints de notre calendrier. On a peine aussi à suivre toutes les fluctuations de ce peuple mobile. Plongé dans une longue inertie, il se réveille pour délivrer l'Eubée; puis il se rendort, comme s'il croyait sa tâche finie. Il faudra de nouvelles secousses pour le pousser à Byzance, à Olynthe, à Chéronée. Il refusera un asile à quiconque attenterait aux jours de Philippe devenu tout puissant, et il couronnera son meurtrier. Il fera mourir Lysiclès qui, à Chéronée, se hâte trop de crier victoire; et, en faveur de Démosthène, fugitif et toujours honoré, il démentira sa longue réputation d'ingratitude. Un décret proscrira Démosthène à son tour; un décret consacrera la mémoire de ses services. Ce flux et ce reflux démocratique s'accroît encore de la versatilité personnelle d'un grand nombre de citoyens, de l'apparition de quelques orateurs nouveaux vers la fin de ce grand drame, d'une extrême diversité dans les motifs de résistance ou de soumission au rusé Macédonien. Les uns voyaient en lui un ami de la liberté, parce qu'il délivrait la Thessalie de ses tyrans, et soutenait quelques démagogues dans le Péloponnèse. Son apparente équité fascinait plus d'un bon esprit : ne s'était-il pas déclaré pour Messène contre Lacédémone? n'enlevait-il pas aux Spartiates leurs injustes conquêtes? Combien de partisans dut lui gagner son zèle pour la cause d'Apollon, dans la guerre de Phocide ! Les dangers de cette guerre ont fait mettre en dépôt dans ses mains de nombreux patrimoines. L'orage passé, il restitue les biens placés sous sa sauvegarde : et cet éminent service, ce désintéressement inespéré lui assurent d'ardents prosélytes ; il rend plus qu'on ne lui a confié, il donne à qui ne lui prêta rien : et la reconnaissance vient se confondre dans une vénalité adroitement déguisée. Ainsi, les aspects changeants du caractère et de la conduite de Philippe contribuaient, autant que la capricieuse mobilité d'Athènes, à multiplier les nuances de l'opinion au sein de cette petite république. Ajoutez à cela l'or prodigué par la Perse inquiète, pour combattre l'effet des largesses du roi-marchand (28). Placés entre deux appâts, comment les orateurs auraient-ils toujours résisté ? A l'aspect de tant de dégradation, une pensée console : ici, du moins, la discorde n'avait pas, comme à Rome, les pieds dans le sang. Malgré les incertitudes où nous laissent les rares témoignages de l'histoire, essayons d'esquisser ce tableau.

Nous trouvons d'abord trois grandes divisions dans les vingt mille citoyens dont se composait la population ayant droit de suffrage : parti monarchique, parti oligarchique, parti démocratique; vieux éléments de guerres intestines dans presque toutes les cités grecques. En tête de la première faction, Isocrate; de la seconde, Phocion, Eubule, Eschine ; de la troisième, Démosthène.

I. Élégant débris de la brillante école des sophistes, Isocrate, ami du luxe, enrichi par la culture de son art, trop timide pour les assauts de tribune, répétait sur ses vieux jours, dans ses écrits, dans ses leçons, la maxime de Gorgias : Il faut un chef à la Grèce, qui ne redeviendra forte et unie qu'en attaquant la Perse à son tour. Il ajoutait : Philippe, comme descendant d'Hercule, doit être ce chef. Tout l'art du langage le plus harmonieux et le plus poli était laborieusement appliqué à propager cette politique, qui devinait l'avenir, mais se trompait en partie sur le présent. Isocrate écrivait à Philippe avec une sorte de tendresse admirative; la bataille de Chéronée vint trop tard, le désabuser; et le vieillard disert, qui avait toujours aimé sa patrie, mourut de chagrin. Sa nombreuse école alimenta le parti monarchique, composé d'hommes de théorie, préférant la plume à la parole, publicistes plutôt qu'orateurs, et favorables à la Macédoine par système.

II. Nous ne voyons .pas la même unité dans la faction oligarchique. La haine pour les excès de la démocratie, la certitude de ses dangers dans la crise où s'engageait la Grèce, animaient surtout Phocion, Léodamas, Dinarque. D'autres, peu inquiets de Philippe, ne cherchaient que le pouvoir en flattant la plèbe, à laquelle leurs perfides caresses surprenaient les décrets les plus oppressifs : au premier rang viennent se placer Eubule d'Anaphlyste et Midias. Parmi ces adversaires des classes inférieures, plus d'un Athénien, jusque-là irréprochable, subit mal l'épreuve des bonnes grâces d'un ami couronné ; plus d'un, recevant ses dons X sans s'abaisser au métier de mercenaire (29), fut pris dans ses filets sans se croire un traître : après tout, un seul souverain lui demeurait aussi odieux que vingt mille. Enfin, des hommes de la naissance la plus obscure, tels qu'Eschine, méprisaient aussi la puissance populaire : ceux-là s'étaient faits aristocrates par bon ton, et philippistes par vénalité.

Doué des vertus d'un autre âge, Phocion, homme d'un grand sens, se hâta peut-être trop de désespérer de la liberté (30). Malgré ma vive admiration pour ce caractère si calme et si pur, je m'indigne de l'entendre s'écrier, à la nouvelle de chaque succès, Quand donc cesserons-nous de vaincre? Du reste, chacune de ses rares paroles est un coup de massue; chacune de ses expéditions, une suite de victoires : et jamais Phocion ne rechercha l'influence ! Immobile à la tribune, les mains dans son manteau, il attendait que les injures et les vociférations eussent passé ; puis il reprenait tranquillement ses laconiques et judicieux conseils. Prévoir, retarder, amortir la chute de la liberté, telle fut la vie de ce Socrate de la tribune, qui devait aussi périr par la ciguë. Ses amis étaient nombreux ; nous ignorons s'il y eut parmi eux beaucoup d'orateurs influents. Tour à tour accusateur et accusé devant le peuple, Léodamas, dont Eschine et Démosthène louent l'éloquence, prit part aux affaires, sans beaucoup espérer de sa patrie. Le Corinthien Dinarque, instrument de la politique macédonienne, ne viendra que plus tard à Athènes soutenir Alexandre et Antigone absents, et expier par la mort son attachement à Phocion. Eubule fut, après Eschine, le plus constant adversaire de Démosthène, et Midias, son ennemi le plus outrageux. Par de folles dissipations des deniers publics, le premier s'était élevé à une haute faveur ; il n'en était pas moins soupçonné de dévouement à Philippe, et d'avoir tourné ses talents oratoires à la perte de l'État. Le second nous apparaît comme un fastueux insolent, qui jetait son or à la multitude pour l'asservir. Le fils d'une joueuse de tympanon et d'un pauvre maître d'école Eschine fut le plus ferme appui de l'oligarchie amie de Philippe : il représente la classe des vendus, chaque jour plus nombreuse, plus active; il est le type du traître, beau parleur, employant tour à tour la ruse et l'audace. Doué d'une figure aussi gracieuse que celle de Démosthène était sévère, et d'un organe bien autrement souple et sonore que celui de son rival, Eschine avait préludé aux luttes de tribune par celles du champ de bataille, de la scène ex de la palestre. A l'époque où nous sommes parvenus, sa trahison est encore douteuse : mais bientôt, parti d'Athènes ambassadeur près de Philippe, il reviendra pensionnaire de ce prince. Orateur élégant, sa manière n'est peut-être déjà plus de l'atticisme : le luxe faux de l'école asiatique semble s'y faire pressentir. Chose remarquable ! le même jour, à la même tribune, on pouvait entendre trois orateurs qui représentent trois phases différentes de l'éloquence grecque : car l'époque de son perfectionnement dans Démosthène se trouve placée entre celle des premiers sophistes, qui aboutit, par Gorgias, à Isocrate, et l'école asiatique, dont Eschine, supérieur à cette école même, jettera plus tard les fondements à Rhodes et dans l'Ionie. Un ancien matelot, Démade, était devenu un improvisateur éblouissant. Quand il s'attendait à de l'agitation dans l'assemblée, il tressaillait de joie : doublement heureux si, dans l'intervalle de la courte méditation à la récitation du discours, le vent populaire n'avait pas changé! Quelle vie publique ! quelle vie privée ! Esclave de ses plaisirs, portant dans ses principes la légèreté de son esprit mobile, Démade devint un traître déclaré. En vain réclamerait-il quelque indulgence, parce qu'il ne dirigeait plus que les débris du naufrage général ; il était lui-même un de ces débris, suivant l'heureuse expression de Plutarque (31). Quelques années encore, et Antipater, ne pouvant le rassasier d'or, dira que, de ce vieux démagogue, comme de la dépouille d'une victime, il ne reste plus que le ventre et la langue (32). Philocrate, Phrynon, Pythéas, Calliclès, dont il ne nous reste qu'un nom déshonoré, travaillaient, sous Eschine, à gagner des partisans à la Macédoine : il parait que tous se firent bien payer leur besogne. Ce n'est pas que l'impunité leur fût toujours assurée : dans de soudains retours de colère, le peuple trahi en condamna plus d'un à l'exil, même au supplice; rigueurs passagères, qui effrayaient peu ! Ainsi, dans ses diverses nuances, le parti oligarchique était tout macédonien, ici par désespoir, là par ambition, ailleurs par séduction ou par avidité. Et, bien différente de la première, quoiqu'elle concourût au même but, cette immense faction était sans cesse agissante.

III. On ne considère Démosthène que comme l'ennemi des Macédoniens : il fut aussi l'ennemi de l'oligarchie. Il avait compris qu'une démocratie forte pouvait seule arrêter un monarque conquérant; et c'est à lui prêter cette force qu'il usa l'éloquence à la fois la plus logique et la plus entraînante. Dans tous les âges, l'épée d'un despote étranger a toujours causé moins d'ombrage à l'aristocratie qu'à la classe plébéienne. Démosthène aurait mieux aimé voir les Athéniens défaits à la tête de leurs alliés, que vainqueurs sous l'étendard macédonien (33). Avec un tel caractère, soutenu d'un tel talent, il devint naturellement le favori du peuple, qu'il savait louer avec art, et plus souvent gourmander avec empire.

La liste des orateurs opposés à Philippe et à Alexandre nous est parvenue plus nombreuse que XI celle des chefs des autres partis : comme si une plus grande renommée attendait les premiers, pour les consoler de leur défaite !

Lycurgue, élève de Platon, aima jusqu'à l'enthousiasme la vertu et la patrie. ll administra pendant quinze ans les deniers publies avec une intégrité digne d'Aristide; et le compte rendu de sa gestion nous est parvenu dans une inscription que le temps a respectée. Il parcourut avec Démosthène le Péloponnèse, suscitant partout des ennemis à Philippe. Il parlait aux Athéniens avec une liberté que ses vertus seules pouvaient lui faire pardonner. Alexandre, après avoir détruit Thèbes, compta cet intrépide vieillard parmi les Athéniens dont il demandait la tête, et qui furent sauvés par l'adresse de Démade.

Plus jeune que Lycurgue, Hypéride, par une bizarrerie étrange, lutta contre Philippe avec l'épée, contre Alexandre avec la parole. Brave, incorruptible, mais de moeurs peu dignes de son patriotisme, il contribua, par sa célèbre défense de Phryné, à introduire l'éloquence véhémente au sein de l'impassible Aréopage. Sa haine pour la Macédoine lui survécut avec son talent dans la personne de Glaucippe et d'Alphinos, son fils et son petit-fils. Hégésippe, dont nous avons recueilli quelques  saillies éloquentes, jeta un assez vif éclat pour que plusieurs de ses harangues fussent attribuées à Démosthène. L'histoire sème, en passant, les noms de vingt autres orateurs estimables qui s'opposèrent, avec une mesure inégale de courage et de talent, aux progrès des armes macédoniennes : ambassadeurs, présidents du conseil, guerriers, magistrats, même comédiens. Que nous reste-t-il de leur patriotisme ? quatre ou cinq traits honorables ; de leur éloquence ?quelques mots ingénieux ou hardis.

Dans la démocratie athénienne, le barreau, du moins pour les causes criminelles, était une seconde tribune. Le plus célèbre avocat d'Athènes fut peut-être Isée de Chalcis, dont la vie est très peu connue. il ferma son école pour s'occuper exclusivement de former Démosthène : il entrevoyait donc le trésor caché sous cette nature si ingrate en apparence! L'orateur eubéen nous a transmis onze plaidoyers civils, tous empreints d'une rapidité nerveuse. Beaucoup d'autres citoyens, diserts ou éloquents, composaient des mémoires, ou parlaient devant ces juges si nombreux, si passionnés, si préoccupés de leurs dissensions, et qui se souciaient bien plus du bon goût que du bon droit. De ce tourbillonnement continuel, entretenu sur un petit coin de terre par tant de débats publics et privés, sortit un étrange orateur, le sycophante, qui est encore un des types de ce temps-là.

« Même sous la main de la justice, dit Démosthène aux Athéniens, le sycophante hurle, menace, calomnie. Les stratèges, à qui vous confiez des fonds considérables, lui refusent-ils de l'argent? il les proclame indignes des plus humbles emplois. Et pourquoi cet odieux langage? Est-ce pour outrager des hommes honorables, qui, avec un peu d'or, lui auraient fermé la bouche? Non, c'est pour décrier vos élections, pour afficher sa perversité. Vos magistrats tirés au sort, il les déchire, les rançonne, les poursuit à outrance.... Chaque citoyen fréquente la place publique, occupé d'affaires privées ou d'affaires d'État. Mais le sycophante, quelle est sa profession ? Il n'est ni artisan, ni agriculteur, ni négociant; aucun lien d'intérêt, aucun d'amitié. Il rampe sur nos places comme un scorpion ou une vipère, faisant vibrer son dard, s'élançant d'un côté à l'autre, épiant la victime qu'il percera de ses calomnies le riche qu'il intimidera pour le faire capituler (34). Vagabond, sans asile, sans amis, sans connaissances ;il reste étranger à toutes les douceurs de la société: Il rôde, tramant à sa suite ces monstres que les peintres donnent pour escorte aux scélérats dans le Tartare, l'Imprécation, la Calomnie, l'Envie, la Haine, la Discorde.... C'est le chien du peuple, disent quelques-uns. Je le crois ; mais c'est un de ces mâtins qui, au lieu de mordre ceux qu'ils appellent loups, mangent les brebis qu'ils disent protéger (35). »

Pour compléter ce triste tableau, remarquons que la Macédoine avait dans tous les rangs de la société athénienne une foule de partisans cachés. La classe des trois cents plus riches citoyens murmurait hautement chaque fois qu'une expédition exigeait de nouveaux subsides. Placés sous le patronage des premiers orateurs de chaque parti, des généraux inhabiles subissaient leur influence, et ne penchaient pas tous vers la guerre. Parmi les philosophes, seul, le vertueux Xénocrate se dévouera plus tard, quoique étranger, à la cause de l'indépendance. Maintenant, les derniers jours de Platon s'usent dans la réforme sociale, ce rêve de sa vie, qu'il a vainement essayé de réaliser en Sicile; et il ne sait plus enfin désirer pour l'espèce humaine qu'un bon tyran aidé d'un bon législateur (36). Diogène a passé l'été à Corinthe; Antisthène s'est renfermé dans le Cynosarge, et Aristippe dans son école. Un des muets disciples de Platon, après avoir erré à la cour de l'eunuque Hermias à Atarné, à Mitylène, vit en ce moment à la cour de Macédoine, où il élève le jeune Alexandre, sans doute par reconnaissance pour le père, qui vient de brûler Stagire, sa patrie. Mais le type le plus expressif de l'insouciance athénienne est le cercle dit des Soixante. Recueillir tous les ridicules, s'amuser, par de gais propos, des amis, des ennemis, parodier la tribune, prononcer des décrets bouffons, tel est son unique objet. Il tient ses séances dans un temple, au milieu d'une folle multitude, qu'il achève de démoraliser, et parfois devant les XII ambassadeurs de Philippe, affilié à ces spirituels démolisseurs, qui reçoivent ses dons.

Au sein de tous ces partis, qui sont constamment en présence, que d'ennemis pour Démosthène ! et combien peu d'auxiliaires !

Ve SECTION.

Coup d'oeil sur l'influence de l'éloquence de Démosthène chez les Anciens et chez les Modernes.

Ne dirait-on pas que, de toutes parts, on demande aujourd'hui, même à la littérature savante, une utilité pratique, des résultats applicables ? Considérée sous ce rapport, la publication d'une version nouvelle de Démosthène ne serait peut-être pas sans opportunité. La suite des temps qui nous séparent du grand orateur semble appuyer cette espérance. A peine tombées de la tribune, ses immortelles harangues, la plus simple et la plus éclatante protestation en faveur de la liberté, inspirent une génération de jeunes orateurs dont tout le tort, peut-être, est d'arriver trop tard. Bien que leur caractère propre ne puisse nulle part revivre tout entier, s'alliant au génie romain, elles aident Cicéron à flétrir Verrès, à confondre Catilina, à entraver Antoine; Salluste et Tacite à faire parler dignement le stoïcisme des Caton et des Thraséas (37). Mais bientôt il se prépare quelque chose de plus sérieux qu'une imitation littéraire : au sein de cet immense empire que la corruption dissout lentement, la philosophie devient réformatrice; et l'orateur qui tenta de régénérer sa patrie inspire quelques nobles âmes. Voyez-vous Dion Chrysostome banni, emportant jusque chez les Scythes une harangue de Démosthène, et la relisant seul, sous son habit de mendiant, pour s'instruire à parler aux légions romaines, et faire élire Nerva? Le jeune Marc-Aurèle, esprit plus grec que romain, étudie ce grand modèle; mais il désespère de l'imiter avec succès (38).

C'est encore comme réformateur que Démosthène est médité par les Pères, ces éloquents organes de la réforme chrétienne. Avec quel enthousiasme en parle saint Jérôme! Par les orateurs sacrés, la renommée du grand orateur politique se maintient dans l'Orient. Julien va presque jusqu'à le copier; Libanius l'imite, mais par des pastiches dénués d'application; Plutarque écrit sa vie, et le cite souvent; Longin l'admire avec éloquence. Tous les rhéteurs de l'Asie, d'Athènes et de Rome se font les échos de cette parole qui a remué la Grèce; et, comme si la vie de Démosthène n'avait pas été assez remplie, ils lui supposent des situations nouvelles, ils se demandent, ils demandent à leurs auditeurs quel langage elles lui auraient inspiré. Quand les ténèbres d'une longue barbarie furent dissipées, Démosthène devint parfois, sous un costume étranger, même à l'aide d'un travestissement bizarre, l'interprète des besoins nouveaux qui agitaient le monde. Les factions environnent le berceau de Pétrarque : mais le poète, en se révélant à l'Italie, espère que les États chrétiens vont se réconcilier, que l'Europe retrouvera la paix intérieure dans une nouvelle croisade; et, dans sa plus belle canzone (39), il répète, à son insu sans doute, quelques-uns de ces cris de guerre et de patriotisme qui avaient retenti à la tribune athénienne. Un Grec, un ancien moine du Péloponnèse, Bessarion, emprunte ouvertement la même voix pour essayer d'armer la chrétienté contre les Osmanlis qui menacent l'Europe (40). Un schisme ardent se déclare : c'est encore Démosthène qui, dans ces leçons d'éloquence où Mélanchthon réunit plus de deux mille disciples, aide à parler, à écrire en faveur de la Réforme (41). Au dix-septième siècle, ces essais d'application ne sont plus possibles : qu'a de commun Démosthène avec la faconde de nos parlements et de nos tribunaux, envahis et quelque peu gâtés par Cicéron ? Mais des esprits amoureux de l'antiquité se pénètrent de ses harangues; sa vive et franche allure ravit Fénelon, qui le place au-dessus d'un rival qu'un tel panégyriste semblait devoir lui préférer. Sans doute, par son culte comme par son génie, Bossuet est plus grand que Démosthène : mais, par leurs mouvements soudains et entraînants, par cette chaleur d'argumentation, par cette puissance si haute et si rare qui rend le raisonnement pathétique et fait de la dialectique un irrésistible foudre, ces deux types immortels de la parole humaine semblent se rapprocher. Il ne parait pas cependant que, dans ses études, l'évêque de Meaux ait donné place à l'orateur athénien entre Homère et Isaïe. Dans l'âge suivant, on se détourne des sources antiques ; et toute l'admiration des vrais connaisseurs se concentre dans quelques lignes de Vauvenargues, dans un mot de l'éloquent Rousseau (42). Tandis que Marmontel et La Harpe s'efforcent de faire connaître à nos pères cette éloquence dont ils n'ont eux-mêmes qu'un sentiment très incomplet, le philosophe Hune proclame que, de toutes les productions de l'esprit humain, les harangues de Démosthène sont les plus voisines de la perfection (43); et de jeunes Anglais, pleins de savoir, et se préparant à la vie politique, demandent à l'antagoniste d'Eschine des armes pour combattre Walpole, et s'assurer une majorité parmi des auditeurs bien différents des Athéniens. A Vienne, à Bucharest, jusque dans les vallons de la Thessalie, le grand patriote Rhigas lit XIII  avec transport les philippiques à quelques Hellènes; et Démosthène gagne encore des partisans à la cause 4e l'indépendance. Dans la capitale de l'Autriche, Néophitos Doukas le réimprime, le commente, le distribue gratuitement à ses compatriotes. Depuis plus de trente ans, il est étudié à fond dans toutes les universités allemandes. Comment croire qu'une vogue aussi marquée se soit bornée à des résultats de pure théorie ? Loin de là, Niebuhr et Jacobs se sont fait une arme des philippiques contre le conquérant qui résumait en lui Philippe, Alexandre, et quelque chose de plus (44) : arme impuissante et ridicule ! Toutefois, pédantisme germanique à part, cet anachronisme s'explique très bien. Ne nous y trompons pas : ce que Démosthène a remué dans Athènes et dans la Grèce, ce ne sont point des intérêts passagers, c'est un principe durable, cosmopolite. Sans doute, une raison plus haute et plus forte, une politique plus savante domine tous les mouvements de la parole moderne (45) : mais, d'ans tous les ages, chez tous les peuples, la cause de l'indépendance nationale se présente avec le même caractère (46).

Un illustre contemporain, dont la pensée est aussi élevée que la parole est éloquente, a renouvelé dans une de ses belles leçons sur la philosophie de l'histoire (47), les agressions de Mably et de Thomas contre Démosthène. Il montre que l'antagoniste de Philippe devait inévitablement échouer; et je le reconnais avec lui. La faiblesse, ou plutôt la nullité de la confédération grecque (48), un patriotisme languissant, la vénalité s'étendant comme une lèpre hideuse, la disette de bons généreux, les excès d'une démocratie qui observe mal la paix conseillée par Phocion, et fait mollement la guerre qui parait à Démosthène l'unique moyen de salut ; tout prouve assez que la victoire était impossible. Mais Démosthène devait-il voir les choses sous le même jour que nous ? pouvait-il comprendre que son triomphe eût arrêté la marche du mande ? La politique de Phocion était l'utile ; celle de son adversaire, le beau moral, le devoir. Démosthène pensait que, pour un peuple comme pour un individu, il est des situations où il faut, sous peine d'être coupable, lutter en désespoir de cause, et s'exposer à périr. De ces deux principes, quel est le plus conforme à la vertu civique ? J'ose le demander au condisciple de Démosthène, au moderne élève de Platon. Quand Napoléon portait la guerre au delà du Rhin, tous les patriotes allemands s'écriaient que les États Germaniques devaient marcher contre l'ennemi commun sous leurs drapeaux réunis. Qu'un philosophe, que Kant lui-même se fût alors levé, et eût dit : « Vous voulez l'unité de l'Allemagne; et vous ne voyez pas que cette unité ne peut être amenée que par la conquête ! Hommes inconséquents ! laissez-vous pétrir par la main puissante qui, seule, fera de notre patrie un tout moins hétérogène » ; un tel langage n'eût-il pas semblé un blasphème ? Prenons un exemple encore plus rapproché de nous. Dans les prévisions de quelques publicistes, Constantinople serait maintenant pour4'Europe ce qu'était Olynthe pour la Grèce : mêmes proportions dans un cadre prodigieusement agrandi. Démosthène disait aux Athéniens : « Si vous laissez Philippe prendre Olynthe, il viendra vous attaquer dans vos murs. » On dit, on écrit aujourd'hui (49) : «  Si la France et l'Angleterre permettent aux Russes d'entrer dans Constantinople, c'en est fait de la liberté de l'Europe. » Eh bien! plus d'un penseur serait tenté de répondre : «  Laissez faire. C'est le bras de Dieu qui pousse lentement la Russie, et prépare par elle un grand mouvement social, une réforme morale immense. » Écouterez-vous ces paroles de sang-froid, vous qui blâmez la politique de Démosthène? non, sans doute. C'est que les grandes idées providentielles, dans leur ineffable vérité, appartiennent à une sphère trop haute ; peu savent y atteindre; et combien s'égarent en s'évertuant à les pénétrer! Mais la patrie, la liberté, les devoirs du citoyen nous touchent de près, nous serrent de toutes parts; et voilà ce que nous comprenons à merveille.

On est allé plus loin, on a reproché à Démosthène d'avoir échoué honteusement. Oui, sa fuite à Chéronée est une faute : mais pourquoi Athènes malheureuse lui conserve-t-elle son estime et sa confiance ? pourquoi ce magnifique décret, par lequel XIV ce même peuple qu'il a mené à la défaite, ce peuple si rigoureux même envers des généraux vainqueurs, honore à jamais sa mémoire (50) ? La véritable chute de Démosthène, c'est sa mort : et quelle mort! quelle magnanimité dans cette expiation du patriotisme, dans cette épreuve décisive et solennelle ! Détournant ma pensée de nos grands martyrs de la liberté, de notre stoïque Malesherbes, de notre sublime Bailly, je compare Démosthène mourant à Cicéron, et je trouve, avec Plutarque, plus de fermeté dans les derniers moments de l'orateur athénien. Toutefois, il est ici une autre différence, que le sage biographe n'a pu apprécier. Surpris par les satellites d'Antipater, Démosthène s'empoisonne ; arrêté par les égorgeurs des triumvirs, Cicéron leur présente sa tête. N'y aurait-il pas là un admirable progrès, une sorte d'anticipation sur l'Évangile qui approchait? Seule, la loi nouvelle pourra bientôt convertir en devoir une telle résignation, et dire à la victime :  « Même sous la main des bourreaux, ta vie ne t'appartient pas ; pour mourir avec toute ta vertu, attends ta délivrance du martyre, et non du suicide ! »

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À la liste des traducteurs français de Démosthène nous devons ajouter le nom de M. Lombard, dont l'estimable travail a paru dans le cours de 1841, sous ce titre : «Traduction du Discours sur la Couronne, avec les réflexions historiques et politiques qui se rattachent à l'étude de ce chef-d'oeuvre, et l'analyse littéraire enrichie des plus belles pages dos orateurs modernes qui ont rappelé l'éloquence de Démosthène; soit à la tribune, soit au barreau. Dédiée à M. Villemain, par B. Lombard. »

Un des plus célèbres hommes d'État de l'Angleterre, lord Brougham, non moins versé dans l'étude de l'éloquence ancienne, que dans celle de la philosophie, a publié à Londres, en 1840, une simple et fidèle version anglaise du chef-d'oeuvre de Démosthène, avec le texte et des notes.

 

 

(01) V. l'Apparatus de Schaefer ; le traité de l'Économie politique des Athéniens, par Böckh; les Notes de la traduction de Jacobs, etc.

(02) Bien des expressions employées par Démosthène n'ont de justes équivalents chez nous que depuis la formation de notre langage parlementaire : ὁ πόρος τῶν χρημάτων, voies et moyens ; τὰ καθεστηκότα πράγματα, la constitution ; προβούλευμα, projet de loi, quelquefois préavis; γραφή, souvent motion; ἐλευθερίως φρονεῖν, avoir des opinions libérales; τὰ ψηφίσματα ἐπεψηφίζετο, on allait aux voix; οὐκ ἐξῆν ἔτι δημηγορεῖν, la discussion était fermée; οἱ ἀντείποντες, l'opposition; ἐπανόρθωσις, amendement, etc.

(03) Opinion de La Harpe, Clément, Blair, et de MM. Villemain et Ch. Nodier.

(04) D'après une indication positive d'Alb. G. Becker, p. 76, j'ai cru qu'il existait à Besançon et à Schelestadt deux manuscrits de Démosthène non encore consultés : les renseignements exacts que j'ai pris à ce sujet m'ont détrompé.

(05) Taylor croit que l'argument et les scolies du plaidoyer contre Eubulide sont de Didyme.

(06) Apparatus criticus et exegeticus ad Demosthenem, etc. Land., 1824.1827, 5 vol. 8. Un sixième volume, contenant les tables, a été donné par Seiler. Leips., 1833.

(07) ταῖς φοβεραῖς χάρισιν, dit un célèbre critique, qui avait entendu Démosthène (Démétrius de Phalère, de Eloc., c. 13o). Voyez aussi Denys d'Halic., de Admir. vi dicendi in Dernosth., c. 13.

(08) M. Villemain, art. Démosthène, dans la Biographie Universelle.

(09) J'avais tenté d'abord de conserver à tous les noms propres leur forme grecque : il a fallu y renoncer ; l'usage est trop puissant. Je me suis borné à suivre l'exemple de Duvair : « Si, en la version des noms propres, ie n'ay pas tousiours suiuy une mesure regle, retenant en quelques uns la terminaison grecque, et en quelques autres la françoise, i'ay plus creu en cela mon oreille que toute autre raison. » Argum. des Orais. pour et contre Ctésiphon. Mais j'ai toujours évité l'étrange bigarrure qui consiste à présenter en français des noms grecs avec une désinence latine.

(10) Théopompe de Chios, contemporain de Démosthène, avait écrit une Histoire de Philippe, en cinquante-huit livres qui existaient presque tous encore du temps de Photius.

(11) V. Le supplément à la monographie d'Alb. G. Becker, p. 171, 1834. M. Becter n'aurait-il pas confondu Jacques Perrion avec Joachim Périon, fougueux bénédictin qui a traduit en latin les deux harangues sur la Couronne, Paris, 1554, 4 ; et qui s'inspira des Philippiques, et des Catilinaires, pour persécuter l'infortuné Ramus?

(12)   Becker se trompe quand il indique ce travail comme appartenant à un autre traducteur que celui de l'édition augmentée de 1575.

(13)  Oublié par Becker, ainsi que Le Cointe.

(14) Gazette Universelle, 10 octobre 1821. Article de M. Péricaud, de l'Académie de Lyon.

(15) M. Villemain, Cours de litt. fr., XVIIIe siècle, ll' partie., p. 70.

(16) Il existe de plus, en manuscrit,, plusieurs traductions partielles de Démosthène : celle des Olynthiennes, par de la Porte du Theil; de quelques harangues, par Ricard, traducteur de Plutarque; des Philippiques et de la Couronne, par un ancien élève de l'Ecole Polytechnique, etc.

(17Traducteurs latins de Démosthène : il yen a trente-six, dont les noms sont connus. Un seul, J. Wolf, a tout traduit; Bâle, 1545; Venise, 1550; etc. Dix-sept ont publié seulement des versions partielles des Philippiques, de 1470 à 1794. Parmi ces travaux, Becker a oublié l'élégante traduction de la 1ere Philippique par le P. Jouveney, imprimée dans le volume de d'Olivet.

Traducteurs allemands : Reiske; Boner; Gottsched; Röiderer ; Scheffel ; Heinze ; Becker ; Wieland; Jenisch ; Luden, Seiler ; Raumer; Schwabe; Niebuhr; Kortum; Wols; etc.

Traducteurs italiens : Carlione; Figliucci ; Ferro ; le gentilhomme Florentin; Pigafetta; Felletti; Nogbera; Selechi ; Cesarotti ; etc.

Traducteurs anglais : Wylson ; Granvillé ; Dawson ; Portal ; Francis; Leland ; etc.

Traducteurs russes : trois traductions partielles et anonymes: 1re Philippique, Petersb. 1776; la Couronne, Moscou, 1784 : IXe Philippique, dans l'Europaischen Verkündiger, XII.

Voyez Monographie de Becker, p. 123 et 264 ; Bibliographie de Schweiger, Iere Partie, p. 90.

(18) Olymp. xcviii, 2; 387 av. J. C.

(19) Διεξῄει τάς τε πράξεις ἐφεξῆς, καὶ τοὺς ὑπὲρ αὐτῶν ἀπολογισμούς. Plut. in Demosth, 8.

(20)  « O Atbènes, Athènes ! ville plus heureuse que sage ! » Fragm. d'Eupolis.

(21) M. Michelet, Hist. rom., t, II, p. 52.

(22) Aujourd'hui lac d'Okhrida, en Albanie.

(23) Presqu'île de Gallipoli.

(24) Les chrétiens y ont substitué celui de Chrysopolis, et les Turcs appellent Iamboli une chétive bourgade de la. Romélie, bâtie sur ses ruines.

(25) Aujourd'hui Kitros et Les Portes

(26) Poirson et Cayx, Précis de l'Hist. anc., p. 347, 3e édit.

(27) Précis de l'Hist. anc., p. 349.

(28) « Philippus majore ex parte mercator Grœcioe, quam victor. » Val. Max. VII, 2.

(29)Telle est la distinction un peu subtile qui existait entre le δωροδόκος et le μισθάρνης μισθωτός, en politique

(30) Heeren et Gillies partagent cette opinion.

(31) Plutarch., Phoc. ναυάγιον τῆς πόλεως. Voyez Böckh, liv. II, c. 13.

(32) Plutarch., Phoc., 20, 25, 30.

(33) Gillies, Hist. de l'Anc. Gr., ch. 34.

(34) Je m'endormis mouton, et me réveillai loup.
Pour mordre à belles dents, tout fut de mon domaine;
Je tombai ma pitié sur la sottise humaine,
J'écorchai, déchirai le troupeau des trembleurs
Guerre ou tribut!

Ainsi parle Godwin, le sycophante moderne. Voyez La Popularité, par M. C. Delavigne, acte II, sc. 2.

(35) Premier Plaidoyer coutre Aristogiton.

(36) M. Villemain, Éloge de Montesquieu.

(37) L'exorde du discours de Caton dans Salluste (Catil. 52) est la traduction littérale du début de la IIIe Olynthienne.

(38) Lettres de M. Aurelius et de M. C. Fronto, trad. par Armand Cassan, liv. II, 6.

(39) La Ve.

(40) Voyez la Traduction latine de la Ire Olynthienne par Bessarion, et surtout les Remarques. Paris, 1470.

(41) Voyez les Déclamations de Mélanchthon, qui avait fait un cours public sur l'orateur Lycurgue, et traduit eu latin plusieurs harangues de Démosthène.

(42) « Entraîné par la mâle éloquence de Démosthène, Émile dira, C'est un orateur; mais en lisant Cicéron, il dira, C'est un avocat. » Liv. iv. Voyez deux dialogues entre Démosthène et Isocrate, Supplément aux oeuvres da Vauvenargues, 1820.

(43) Essais de morale et de politique.

(44) Au commencement de ce siècle, Niebuhr publia une version allemande de la Ire Philippique, avec cette devise : Prospicio natas e cladibus iras. Dans la préface d'une seconde édition, cet homme d'État philologue écrivit peu de temps avant sa mort : « Je m'occupais de ce travail après la défaite d'Ulm, en novembre 1805; je le dédiais à l'empereur Alexandre par ces mots :

Ille rem romanam, magno turbente tumultu
Sistet eques, Possum sternes Gallumque rebellem.

Mais, avant l'impression, Austerlitz avait prononcé. » La même année et dans la même vue, Jacobs publia, pour la première fois, une traduction des harangues choisies. En 1815, la Némésis reproduisait la IIIe Philippique en avertissant la jeunesse studieuse de cette allusion un peu usée, Mutato nomine de te Fabula narratur. Il existe aussi un plaisant parallèle de Bonaparte avec Philippe, par Petri, 1822.

(45) M. Villemain, Cours de Littérature Française. Tableau du 18e siècle, 2e partie.

(46) Aussi, ne nous étonnons pas que plusieurs esprits éminents de notre époque regardent Démosthène comme le plus grand homme d'État de l'antiquité. J'ai déjà cité Heeren; voyez encore M. de Chateaubriand, t. xxi, p. 292, Œuvres complètes; Niebubr, Antiq. Gr.; M. Brougham, Discours inaugural, 1826; et Revue Britannique (d'après l'Edinbnrg Review), Févr. 1831.

(47) Cours de Philosophie de M. Cousin, 10e leçon, 26 juin 1328.

(48) Dans ses savantes leçons au Collège de France, 1820 1821, M. Daunou a fort bien prouvé que le système fédératif dont la Grèce sentait le besoin n'a commencé à s'introduire que lorsqu'il n'était plus temps de remédier à l'anarchie générale.

(49) V. surtout la motion de lord Dudley Stuart à la Chambre des Communes, 19 février 1838. La seule analogie des circonstances a rempli ce discours remarquable de traits démosthéniques.

(50) Voyez Plutarque, Vie de Démosthène, 30. Voici ce décret, dont le texte a subi quelques altérations. Il est de Démocharès, neveu de Démosthène. C'est la première pièce du recueil qui se trouve à le suite des Vies des X Orateurs, et que Söckh et Gér. Becker regardent comme authentique. J'ai traduit d'après les corrections de Westermann (Plut. Vit. X Orat., p. 90 ; 1833).

DÉCRET DU PEUPLE ATHÉNIEN POUR HONORER LA MÉMOIRE DE DÉMOSTHÈNE

« Démocharès, fils de Lschès, de Leuconion, demande pour Démoethène., fils de Démosthène, de Paeania, une statue de bronze sur la place publique ; et, pour rainé de sa famille, à perpétuité, le droit d'être nourri au Prytanée, et des places d'honneur.

Démosthène a souvent servi honorablement le Peuple Athénien de ses bienfaits, de ses conseils, et employé sa propre fortune au bien de l'État :

Il a donné gratuitement irait talents et une trirème lorsque le Peuple délivra l'Eubée; une autre trirème lorsque Céphisedore fit voile pour l'Hellespont; une troisième, lorsque Charès et Phocion furent envoyés comme généraux à Byzance par le Peuple ;

Il a racheté plusieurs citoyens faits prisonniers par Philippe à Pydna, à Méthone, à Olynthe;

Il a été chorège volontaire quand la tribu Pandionide manqua de chorèges; il a fourni des armes à dei pauvres citoyens;

Préposé, par le choix du Peuple, à la réparation des remparts, il a ajouté aux dépenses trois talents de son bien, et payé les frais des deux tranchées dont il a fortifié le Pirée;

Il a donné:un talent après la bataille de Chéronée; un talent pour acheter du blé pendant la disette ;

Par ses conseils, son éloquence, son dévouement, il a fait entrer dans l'alliance de la république Thèbes, l'Eubée, Corinthe, Mégare, l'Achaïe, la Locride, Byzance et Messène; réuni, pour la défense d'Athènes et de la confédération, une armée de dix mille fantassins et de mille chevaux; déterminé, dans une ambassade, les villes liguées talents à fournir une contribution de guerre de plus de cinq cents talents ;

Il a empêché le Péloponnèse d'envoyer des renforts à Alexandre contre Thèbes, distribuant son argent, et s'acquittant lui-même de cette mission ;

Il a conseillé au Peuple beaucoup d'autres résolutions honorables, et mieux soutenu, par son administration, l'indépendance nationale et la démocratie, qu'aucun de ses contemporains;

Banni par l'oligarchie, quand le Peuple eut perdu sa souveraineté, il mourut à Calauria, victime de son zèle pour cette cause. Poursuivi par les soldats d'Antipater, il demeura jusqu'à la fin fidèle à son ardent amour pour la démocratie, sut échapper aux mains de ses ennemis, et, à l'approche de la mort, ne fit rien qui fût indigne d'Athènes.